Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 168
Date de la décision :
07/10/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli
Analyses
Faillite - Préférence frauduleuse - Exige-t-on une intention commune du débiteur insolvable et du créancier? - La Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B-3, art. 73.
Une compagnie a cédé aux intimés ses droits, en tant qu’acheteur, dans un contrat de vente de certains terrains. La somme de $15,250 est réputée avoir constitué la contrepartie de la cession. La compagnie cédante devait alors aux cessionnaires la somme de $15,000 plus l’intérêt et cette dette a servi à compenser le prix d’achat des droits de la cédante dans le contrat de vente. Le fils et la bru des intimés détenaient toutes les actions émises de la compagnie. Celle-ci a fait cession de ses biens dans le délai de douze mois de l’art. 74 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B-3, et l’appelant a été nommé syndic. Par la suite, on a fait droit à la requête visant à faire déclarer la cession inopposable au syndic dans la faillite. La Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta a infirmé cette décision. Le syndic s’est alors pourvu devant cette Cour. Il s’agit de décider si l’expression «en vue de procurer à ce créancier une préférence» contenue dans le par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite ne vise que l’intention du débiteur insolvable d’accorder une préférence ou si elle exige une intention commune du débiteur et du créancier.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.
L’existence d’une intention commune n’est pas nécessaire pour qu’il y ait lieu d’annuler un paiement qui constitue une préférence frauduleuse en vertu de l’art. 73 de la Loi sur la faillite. Il importe peu que le créancier ait connaissance ou non de la préférence accordée. Même si l’on comprend facilement que la notion d’intention commune sert à protéger le créancier qui accepte de bonne foi le paiement d’une dette, il est difficile de concilier cette idée avec les termes de la loi,
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avec l’historique de la législation sur la faillite et avec le droit des autres créanciers de bonne foi à une protection égale.
Distinction faite avec l’arrêt: Benallack c. Bank of British North America (1905), 36 R.C.S. 120.
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1] qui a accueilli l’appel d’un jugement du juge Cullen. Pourvoi accueilli.
J.L. MacPherson, c.r., pour l’appelant.
G.C. Hawco, pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DICKSON —
I
Ce pourvoi soulève une question d’interprétation d’un texte de loi qui, croirait-on, ne devrait pas présenter de difficultés, mais qui a en fait donné lieu à de nombreuses opinions juridiques contradictoires et engendré une totale confusion. Il s’agit de décider si l’expression «en vue de procurer à ce créancier une préférence» contenue dans le par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, c. B-3, ne vise que l’intention du débiteur insolvable d’accorder une préférence ou si elle exige l’intention commune du débiteur et du créancier. Les articles 73 et 74 de la Loi se lisent comme suit:
73. (1) Est tenue pour frauduleuse et inopposable au syndic dans la faillite, toute transmission ou transport de biens ou charge les grevant, tout paiement fait, toute obligation contractée et toute instance judiciaire intentée ou subie par une personne insolvable en faveur de quelque créancier ou de quelque personne en fiducie pour un créancier, en vue de procurer à ce créancier une préférence sur les autres créanciers, si la personne qui opère cette transmission ou ce transport, qui contracte cette obligation, qui intente, paie ou subit cette instance judiciaire devient en faillite dans un délai de trois mois après la date de cette transmission ou de ce transport, de cette obligation, de cette instance judiciaire intentée, payée ou subie.
(2) Si une telle transmission ou transport, paiement, obligation ou instance judiciaire a pour effet de procurer à quelque créancier une préférence sur d’autres créanciers, ou sur quelqu’un ou plusieurs d’entre eux, elle doit
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être tenue prima facie pour avoir été faite, contractée, intentée, payée ou subie en vue de procurer à ce créancier une préférence sur d’autres créanciers qu’elle ait été faite ou non volontairement ou par contrainte, et la preuve de la contrainte ne sera pas recevable et ne servira pas à justifier pareille opération.
(3) Pour les objets du présent article, l’expression «créancier» comprend une personne se portant caution ou répondant d’une dette envers un tel créancier.
74. Si la transmission, le transport, la charge, le paiement, l’obligation ou l’instance que mentionne l’article 73 est en faveur d’une personne liée à la personne insolvable, le délai fixé au paragraphe 73(1) doit être de douze mois au lieu de trois mois.
Toute transmission ou transport de biens ou tout paiement fait par une personne insolvable en faveur d’un créancier en vue de lui accorder une préférence sur les autres créanciers est tenue pour frauduleuse et inopposable au syndic de la faillite, si la personne insolvable fait faillite dans un délai de trois mois, ou dans un délai de douze mois, lorsque la personne insolvable et le créancier avantagé sont des personnes liées.
II
La transaction que l’on attaque en l’espèce est la cession faite le premier mars 1972 par G.S. & D. Construction Ltd. en faveur des intimés John Alexander Benallack et Lillian M. Benallack de ses droits, en tant qu’acheteur, dans un contrat de vente de certains terrains dans la ville de Calgary. Une somme de $15,250 aurait constitué la contrepartie de la cession. La compagnie cédante devait alors aux cessionnaires la somme de $15,000 plus l’intérêt, ce qui a servi à couvrir le prix d’achat des droits de la cédante dans le contrat de vente. George Bayard Benallack et Shirley Edna May Benallack, le fils et la bru des intimés, détenaient toutes les actions émises de G.S. & D. Construction Ltd. Celle-ci s’est mise en faillite le 27 juin 1972, soit avant l’expiration du délai de douze mois prévu à l’art. 74 de la Loi. L’appelant Hudson a été nommé syndic. Le savant juge Cullen, saisi de l’affaire, a tiré plusieurs conclusions, dont les suivantes, qui sont importantes:
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1° Le premier mars 1972, jour de la cession, la compagnie faillie était une personne insolvable au sens de la Loi sur la faillite;
2° La faillie et les intimés étaient des personnes liées au sens de la Loi, ce qui emporte application de l’art. 74;
3° Par suite de la cession, les intimés ont obtenu une préférence sur les autres créanciers;
4° La faillie avait en vue de procurer une préférence aux intimés sur ses autres créanciers.
Le juge Cullen a décidé que l’intention commune n’était pas nécessaire et a déclaré la cession inopposable au syndic dans la faillite. La Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta a infirmé ce jugement. Le juge McDermid, à l’avis duquel a souscrit le juge Prowse, s’est dit lié par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Benallack v. The Bank of British North America[2], tout en indiquant que s’il avait été le premier à étudier l’interprétation de l’art. 73, il n’aurait pas introduit une autre notion selon laquelle il faut que le débiteur et le créancier aient formé le dessein d’avantager ce dernier par rapport aux autres. M. le juge Clement a souscrit au jugement du juge McDermid, tout en ne partageant pas son avis sur l’interprétation à donner à l’art. 73.
III
Comme je l’ai signalé, les opinions divergent beaucoup sur la nécessité de prouver l’intention commune du débiteur et du créancier pour faire annuler une transaction. Bien des décisions ont conclu à la nécessité de prouver l’intention commune; d’autres ont établi que le tribunal ne devait considérer que l’intention du débiteur; et enfin, d’autres ont laissé la question sans réponse.
On trouve dans la jurisprudence de la Colombie-Britannique des arrêts comme Re Blenkarn Planer Ltd.[3], dans lequel le juge Ruttan a déclaré, en obiter dictum, que l’on ne doit considérer que
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l’intention du débiteur. Dans l’arrêt Re Totem Painting Co. Ltd.[4], le juge Wilson semblait d’avis qu’il fallait tenir compte de l’intention du créancier. Dans l’arrêt Re B.C. Boat Sales Ltd.[5], deux des juges ont déclaré que la preuve démontrait une intention commune et qu’il n’était donc pas nécessaire de décider si l’art. 64 (art. 73 actuel) de la Loi, il fallait tenir compte de l’intention du créancier. Le juge d’appel Norris a soutenu avec vigueur que l’intention de la personne avantagée n’était pas pertinente. Le juge en chef Wilson de la Cour suprême en est arrivé à la même conclusion dans l’arrêt Re Pacific Belting Co. Ltd.[6], suivi dans l’arrêt Re Lock Enterprises Ltd.[7] Dans l’arrêt récent de Flor-Lay Services Ltd. v. Stewart[8], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a examiné une grande partie de la jurisprudence et conclu que le principe énoncé dans l’arrêt Benallack v. Bank of British North America n’est pas applicable à l’art. 73 de la Loi sur la faillite et que le tribunal ne doit examiner que l’intention du débiteur. Le juge d’appel McIntyre (à l’avis duquel ont souscrit les juges d’appel Robertson et Taggart) a fait la remarque suivante dans les motifs de son jugement (à la p. 465):
[TRADUCTION] Il semble alors que le droit est bien fixé sur cette question. Toutefois, on ne peut examiner le grand nombre de décisions sur cette question sans se rendre compte que les juges canadiens, y compris les juges d’appel, sont de plus en plus réticents devant l’obligation d’appliquer le principe de l’intention commune de l’arrêt Benallack en interprétant l’art. 73 de la Loi sur la faillite.
Quant on étudie les décisions rendues en Alberta, on trouve aussi des opinions diverses: comparez les motifs du juge d’appel Beck dans l’arrêt In re Cohen and Mahlin[9], (Cour d’appel de
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l’Alberta) et ceux du juge Riley dans l’arrêt Re McIntosh-Marshall Equipment Ltd.[10] (Cour suprême de l’Alberta).
Deux juges de la Cour d’appel du Manitoba, le juge en chef Perdue et le juge Dennistoun, dans un vieil arrêt souvent cité, In re Bell[11], ont décidé qu’il fallait suivre l’arrêt Benallack de 1905 et que, par conséquent, il fallait une intention commune pour qu’il y ait préférence au sens de l’art. 31 (aujourd’hui l’art. 73) de la Loi sur la faillite. Le juge d’appel Cameron a exprimé une opinion dissidente dans un jugement convaincant et solidement documenté.
En Ontario, on renvoie souvent à l’affaire In re Webb[12] (Cour suprême de l’Ontario), où le juge Orde a décidé qu’il devait y avoir simultanément l’intention d’une part de procurer une préférence sur les autres créanciers et de l’autre de l’accepter. Un an après In re Webb, le juge en chef de la division de l’Échiquier Sir William Mulock est arrivé à une conclusion contraire dans Burns v. Royal Bank of Canada[13], (Cour suprême de l’Ontario). Il a statué que la préférence est établie lorsque deux conditions sont réunies: une préférence de fait et l’intention du débiteur de la procurer. La Division d’appel a rejeté, sans motifs écrits, l’appel de la décision du juge en chef Mulock de la division de l’Échiquier[14]. Dès l’année suivante, chose un peu surprenante, la Division d’appel, composée différemment, se fondant sur l’arrêt In re Bell, précité, et sur la décision du juge Orde dans In re Webb, précité, a conclu à l’intention commune dans l’arrêt Briscoe v. Standard Bank of Canada[15]. En 1928, le juge d’appel Orde, rendant le jugement de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Ontario dans Canadian Credit Men’s Association v. Jenkins[16], semble avoir suivi la décision du juge en chef Mulock de la division de l’Échiquier dans l’affaire Burns. Après avoir cité l’extrait suivant des motifs du juge Duff, alors juge puîné, dans l’arrêt Salter & Arnold, Ltd. v. Dominion Bank[17], à la p. 625:
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[TRADUCTION] «Il est bien établi que l’intention de procurer une préférence dont parle l’art. 31 est une intention de fait et, quoi que l’on puisse en dire, il doit s’agir de l’intention du débiteur:»
Le juge d’appel Orde a ajouté (à la p. 80):
[TRADUCTION] Voir également dans le même sens: le juge en chef Mulock dans Burns v. Royal Bank of Canada (1922) 2 C.B.R. 241, à la p. 253, 51 O.L.R. 564, à la p. 572; Ex parte Taylor; In re Goldsmid (1886), 18 Q.B.D. 295, 56 L.J.Q.B. 195.
Je peux mentionner deux affaires ontariennes plus récentes où il a été jugé que l’intention commune du débiteur et du créancier n’était pas nécessaire pour établir l’intention frauduleuse: Re Echlin Press Ltd.[18] (Cour suprême de l’Ontario) et Re Suta[19], (Cour suprême de l’Ontario).
Les décisions de la province de Québec reprennent les divers points de vue: In re La Corporation des Obligations Municipales Ltée[20], (appel rejeté[21]), et Gavsie v. Goldberg[22]. Voir également In re Piette et Frère[23].
Les arrêts suivants de la province de la Nouvelle-Écosse: In re Star Grocery Co.[24], et In re George E. Boak & Son[25] utilisent le critère de l’intention commune. Je n’ajouterai qu’un seul jugement à cette liste qui sans être exhaustive, illustre bien la question. Il s’agit de In re Mills and Mills[26] (Cour suprême de Terre-Neuve), où le juge Winter a conclu que la doctrine de l’intention commune semblait (traduction) «procéder d’un faux principe et être mal fondée en droit».
IV
Bien que les tribunaux du pays semblent exprimer des avis assez également partagés quant à la nécessité d’une intention commune pour annuler une transaction, ce n’est pas le cas des auteurs et des commentateurs. Les rédacteurs de Duncan & Honsberger, Bankruptcy in Canada, 3ème éd., à la
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p. 485, soulignent que l’art. 64 (l’art. 73 actuel) ne parle pas de l’intention du créancier et que les décisions rendues en Angleterre et dans les autres Dominions sur des articles équivalents des lois sur la faillite ne font pas mention de l’intention du créancier, la seule qui compte étant celle du débiteur. Les rédacteurs de Houlden & Morawetz, Bankruptcy Law of Canada, Cumulative Supplement, 1974, disent, à la p. 83:
[TRADUCTION] VU le sens clair de l’art. 73, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une intention commune du débiteur et du créancier pour établir une préférence frauduleuse. On ne doit tenir compte que de l’intention du débiteur.
En outre, dans Bradford & Greenberg’s de Canadian Bankruptcy Act, 3ème éd., à la p. 163, les auteurs mentionnent «l’intention du débiteur de procurer une préférence» comme l’une des deux conditions entraînant une préférence frauduleuse. Voir également 2 C.E.D. (Ont. 3ème) 15-334; [TRADUCTION] «Seule l’intention du débiteur importe»; Comment dans (1958-59), 37 C.B.R. 153, et Notes on Section 64 of The Bankruptcy Act du professeur Réginald Savoie dans (1967), 9 C.B.R. (N.S.) 1.
V
Si cette Cour est libre de trancher la question de l’intention commune sans égard aux décisions antérieures, il semble que trois raisons au moins la justifient de ne pas greffer une autre notion sur l’art. 73 de la Loi sur la faillite, celle de l’intention commune: d’abord, l’esprit de la Loi sur la faillite; ensuite, l’historique de la Loi; enfin, la rédaction de l’art. 73.
La législation sur la faillite a pour objet de garantir le partage des biens du débiteur failli proportionnellement entre tous ses créanciers. L’article 112 de la Loi prévoit que, sous réserve des dispositions de la Loi, toutes les réclamations établies dans la faillite doivent être acquittées pari passu. La Loi vise à mettre tous les créanciers sur un pied d’égalité. En général, jusqu’à ce qu’il soit insolvable ou projette de faire un acte de faillite, le débiteur est tout à fait libre d’administrer ses biens à sa guise et il peut préférer l’un ou l’autre de ses créanciers. Toutefois, dès qu’il devient insolvable,
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il ne peut plus rien faire qui sorte du cours ordinaire des affaires et ait pour effet de procurer une préférence à un créancier sur les autres. Si un créancier reçoit une préférence sur les autres par suite d’un acte délibéré et frauduleux du débiteur, le principe de l’égalité à la base de la législation sur la faillite est mis en échec.
Peu importe donc que le créancier en ait connaissance ou non. On comprend facilement ce qui sous-tend la notion d’intention commune, à savoir le désir de protéger le créancier qui accepte de bonne foi le paiement d’une dette, mais il est difficile de concilier cette idée avec la rédaction de la loi, avec l’historique de la législation sur la faillite et avec le droit des autres créanciers de bonne foi à une protection égale.
VI
Le paragraphe (1) de l’art. 73 de la Loi actuelle sur la faillite a son pendant dans l’art. 31 de la Loi de faillite, 1919 (Can.), c. 36, modifié par 1920 (Can.), c. 34, la première des lois canadiennes sur la faillite (ce n’était toutefois pas la première sur l’insolvabilité). Cet article tire son origine de l’art. 44 de la loi anglaise intitulée Bankruptcy Act, 1914 (R.-U.), c. 59, laquelle refondait des Lois antérieures de 1869 et de 1883. La jurisprudence anglaise sur l’interprétation de ces lois peut donc nous aider à comprendre notre propre Loi.
Il est intéressant de souligner que, avant même la promulgation de ces lois et dès 1777, lord Mansfield, dans l’arrêt Rust v. Cooper[27], a statué que lorsqu’une transaction est conclue afin de contourner le principe de l’égalité établi par les lois sur la faillite, le fait que le défendeur soit un créancier de bonne foi ne peut valider la transaction. Dans Bills v. Smith[28], le juge en chef Cockburn a parlé de l’intention de la partie effectuant le paiement dans le but de contourner la loi, comme du [TRADUCTION] «point essentiel autour duquel tournait toute la question». La décision dans Ex parte Blackburn; In re Cheesebrough[29], portait sur la Loi de 1869. Le juge en chef Sir
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James Bacon renvoie à l’expression [TRADUCTION] «en faveur d’un créancier en vue de procurer à ce créancier une préférence sur d’autres créanciers» et dit, à la p. 364: [TRADUCTION] «Il ne faut tenir compte que de l’acte du débiteur; on ne peut examiner que les fins pour lesquelles le paiement est fait …» Cet exposé du droit fut sanctionné dans l’arrêt Ex parte Topham; In re Walker[30]. On peut également faire référence à l’arrêt Butcher v. Stead[31]. L’article 92 de la Loi de 1869, 32 & 33 Vict., c. 71, qui régissait l’affaire, utilisait une terminologie presque identique à celle du par. (1) de l’art. 73 de notre Loi actuelle. Mais la Loi anglaise de cette époque contenait la disposition suivante:
[TRADUCTION] … mais cet article ne touchera pas les droits de tout acheteur, preneur ou créancier hypothécaire de bonne foi et à titre onéreux.
Cette réserve a introduit la notion de bonne foi du preneur ou créancier et elle a protégé la transaction dans l’affaire Butcher v. Stead. Cependant, elle n’a pas été intégrée dans la loi anglaise subséquente, la Bankruptcy Act de 1883, et une disposition semblable n’a jamais fait partie de la loi canadienne sur la faillite. D’après Williams On Bankruptcy, 18ème éd., à la p. 382: [TRADUCTION] «l’insertion de la conclusion dans la Loi de 1883 a rétabli la règle de common law, de sorte que la bonne foi du créancier avantagé n’a aujourd’hui plus d’importance.»
On retrouve l’attitude anglaise dans l’exposé suivant de lord Esher, cité avec approbation par le comte de Halsbury, lord chancelier, dans l’arrêt Sharp v. Jackson[32], à la p. 421:
[TRADUCTION] «Lorsqu’il faut décider s’il y a eu une préférence frauduleuse, on ne doit pas seulement considérer le fait qu’il y a eu une préférence, mais également l’état d’esprit de son auteur. Il faut démontrer non seulement qu’il a avantagé un créancier, mais aussi qu’il l’a fait en vue de frauder. Cela dépend de son état d’esprit. Qu’on appelle cela «intention» ou «dessein» ou «but» me semble de peu d’importance. Il s’agit de déci- der s’il avait en fait l’intention d’avantager certains créanciers.»
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VII
Je vais maintenant étudier la décision de cette Cour dans Benallack v. Bank of British North America, qui remonte à soixante-dix ans. Beaucoup de juges ont considéré que cet arrêt les obligeait à appliquer la notion d’intention commune au par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite; je l’aborde donc avec le respect que lui méritent ces avis. Mais je dois immédiatement souligner qu’il a été rendu en 1905, quelque quatorze ans avant la promulgation de la Loi de faillite de 1919. Il portait sur une ordonnance du Yukon relative aux cessions préférentielles, c. 38 des Consolidated Ordinances of the Yukon Territory 1902. Je vais reproduire intégralement cette ordonnance, afin de pouvoir la comparer avec le par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite:
[TRADUCTION] Ordonnance relative aux cessions préférentielles.
1. Toute disposition à titre gratuit, transmission, cession ou transport, remise ou paiement de biens ou effets ou d’obligations, de traites, de billets, de titres ou d’actions, de dividendes, de primes ou de bonis, à toute banque, compagnie ou corporation faite par toute personne à un moment quelconque alors qu’elle est en état d’insolvabilité, qu’elle est incapable de payer toutes ses dettes ou qu’elle se sait sur le bord de la faillite, dans l’intention de frustrer ses créanciers, d’obtenir un délai ou de leur porter préjudice, ou d’accorder une préférence à l’un ou à plusieurs d’entre eux sur ses autres créanciers ou sur l’un ou sur plusieurs d’entre eux ou qui à cet effet, leur est absolument inopposable.
2. Toute disposition à titre gratuit, transmission, cession transport, remise ou paiement de cette nature, qu’elle soit faite ou non sous la contrainte ou en partie sous la contrainte, qui a pour effet de frustrer des créanciers, d’obtenir un délai ou de leur porter préjudice ou d’accorder une préférence à l’un ou à plusieurs d’entre eux est absolument inopposable aux autres créanciers de ce débiteur.
3. Rien dans cette ordonnance ne vise un acte de cession fait et conclu par un débiteur en vue de payer et de rembourser équitablement, proportionnellement et sans préférence ou priorité à tous ses créanciers leurs justes dettes ou toute vente de biens ou paiement faits de bonne foi dans le cours normal des affaires ou sur demande de paiement à des acheteurs ou à des parties de bonne foi.
Les termes de cette ordonnance diffèrent de ceux du par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite;
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l’art. 3 introduit notamment les notions de bonne foi et [TRADUCTION] «d’acheteurs et de parties de bonne foi» que l’on ne trouve pas dans le par. (1) de l’art. 73.
Dans l’affaire Benallack, les poursuites avaient été intentées pour faire annuler plusieurs actes, soit une hypothèque mobilière, une cession de bien-fonds et des cessions de créances en faveur d’une banque, comme étant inopposables aux créanciers en vertu de l’ordonnance. La banque ignorait la situation financière véritable du débiteur. Le juge Idington, qui a rendu le jugement unanime des cinq juges, après avoir fait référence aux arrêts Stephens v. McArthur[33] et Gibbons v. McDonald[34], dit:
[TRADUCTION] Et au cas de préférence frauduleuse, à qui attribuer l’intention de l’accorder?
Suffit-il de prouver que le cédant a pu avoir cette intention?
Le cessionnaire ne doit-il pas avoir partagé cette intention frauduleuse avec le cédant?
C’est ce qui semble ressortir d’une longue série de décisions sur la foi desquelles le monde des affaires depuis longtemps se fonde. Et quoique cette Cour n’ait rendu aucune décision portant expressément sur ce point de la loi, feu le juge en chef Sir William Ritchie, dans l’arrêt Gibbons v. McDonald, à la page 589, souligne qu’à son point de vue doivent coexister
«d’une part l’intention de procurer une préférence sur les autres créanciers et d’autre part l’intention de l’accepter.»
L’avocat des appelants a admis avec raison que la preuve en l’espèce ne démontrait pas que la banque ait su quoi que ce soit, ce qui nous aurait permis de constater une intention commune.
Tant que le législateur n’aura pas fait disparaître la notion d’intention dans la loi et qu’il n’aura pas décrété clairement que, sans égard à l’intention, seuls comptent les résultats ou conséquences de la transaction attaquée, c’est-à-dire la préférence accordée, il sera extrêmement difficile d’en arriver à une autre conclusion dans les affaires de cette nature. Il ne convient pas d’anticiper les résultats d’une telle législation sans que le législateur ait très clairement exprimé que tel est le but visé.
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Cet arrêt n’est pas convaincant, si je peux, malgré tout le respect que je porte à son auteur, m’exprimer ainsi. De la «longue série de décisions» sur laquelle se fonde le juge Idington, aucune n’est citée et la conclusion que le créancier et le débiteur doivent partager l’intention que mentionne l’ordonnance n’est appuyée sur aucun fondement. Dans l’arrêt subséquent Salter & Arnold, Ltd. v. Dominion Bank, précité, le juge Duff, comme je l’ai déjà dit, a fait remarquer que quoi que l’on puisse dire de l’intention de procurer une préférence dont parle l’art. 31 (art. 73 actuel), «il doit s’agir de l’intention du débiteur». Certains juges ont déduit de ce passage que l’intention recherchée est seulement celle du débiteur. Toutefois, je crois que nous devons donner effet aux paroles du juge Duff «quoi que l’on puisse en dire.» A mon avis, son intention était de laisser la question en suspens, tout comme le juge Cartwright, alors juge puîné, dans l’avant-dernier paragraphe de son jugement dans Velensky v. Canadian Credit Mens Trust Association Limited[35], (publié dans 38 C.B.R. 162 sous l’intitulé In re Bernard Motors Ltd.). Pour une raison inconnue, cet alinéa n’a pas été reproduit dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême, mais on le retrouve dans 38 Canadian Bankruptcy Reports, à la p. 167:
[TRADUCTION] Avant de laisser cette question, je ferai remarquer que le juge Bridges laisse planer un doute sur la position qu’il adopterait, s’il ne tenait pas compte des précédents, quant à la bonne interprétation à donner à l’art. 64, c’est-à-dire que pour annuler une préférence de fait, il faut d’une part l’intention du créancier d’être avantagé et d’autre part l’intention du débiteur de procurer une préférence. Dans In re Blenkarn Planer Ltd. ((1958), 37 C.B.R. 147, 26 W.W.R. 168, 14 D.L.R. (2d) 719, 1958 Can. Abr. 55), le juge Ruttan étudie plusieurs décisions et estime que seule compte l’intention du débiteur. Je mentionne ceci afin de préciser qu’en l’espèce, nous n’avons pas à trancher cette question et que je ne me prononce pas là-dessus.
J’arrive à la conclusion que l’existence d’une intention commune n’est pas nécessaire pour entraîner, en vertu de l’art. 73 de la Loi sur la faillite, l’annulation d’un paiement qui constitue une préférence frauduleuse. Je ne crois pas que l’arrêt de cette Cour dans Benallack v. Bank of
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British North America fasse autorité pour interpréter l’art. 73 de la Loi sur la faillite. Quelle que soit la similitude des textes, je ne pense pas que le sens d’un membre de phrase dans une ordonnance provinciale ou territoriale de trois paragraphes relative aux cessions préférentielles qui a une histoire législative et une jurisprudence particulières doive régir le sens d’une Loi fédérale sur la faillite de 213 articles ayant une histoire législative et une jurisprudence complètement différentes.
Il faut se rappeler que les lois visant les préférences frauduleuses ou les transmissions frauduleuses, hormis les lois sur la faillite, contiennent en général un article excluant de leur application toute cession, paiement ou vente de biens faite de bonne foi à un acheteur de bonne foi dans le cours normal des affaires. Nos lois provinciales relatives aux préférences frauduleuses contiennent de telles dispositions d’exception. Il en allait de même pour les affaires étudiées dans chacune des décisions sur lesquelles est fondé l’arrêt Benallack de 1905. En vertu de ces lois-là, il fallait considérer la connaissance ou la bonne foi du créancier. Dans la législation sur la faillite, la règle n’est pas la même, comme le confirme la jurisprudence anglaise citée ci-dessus.
Je suis également d’avis que l’art. 3 de l’ordonnance du Yukon a joué le même rôle dans l’interprétation de celle-ci que la réserve de l’art. 92 de la Loi anglaise de 1869 dans l’affaire Butcher v. Stead, en exigeant que l’on tienne compte de la connaissance, de l’intention et du concours du créancier; mais l’art. 3 de l’ordonnance n’a pas d’équivalent dans le par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur la faillite. Le paragraphe (1) de l’art. 75 de la Loi, qui protège certaines transactions, est le seul où la bonne foi du créancier est mentionnée. Le paragraphe (1) de l’art. 75 a une portée très limitée, puisqu’il ne s’applique que «Sous réserve des dispositions précédentes de la présente loi … quant à l’annulation de certaines dispositions de biens et préférences …» et n’a d’effet que lorsque le par. (1) de l’art. 73 ne joue pas. Le paragraphe (1) de l’art. 75 exige expressément l’intention commune, alors que le par. (1) de l’art. 73 ne le fait pas.
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Notre devoir est d’interpréter l’art. 73 de la Loi sur la faillite dans le cadre de cette Loi et selon son esprit. Si nous en examinons les termes, nous voyons que ce qui est considéré comme frauduleux et nul, c’est:
«Toute transmission … de biens» (c.-à-d., la cession en faveur des intimés) «… faite par une personne insolvable» (c.-à-d., G.S. & D. Construction Ltd.) «en faveur de quelque créancier» (c.-à-d., les intimés) «… en vue de procurer à ce créancier une préférence …»
Il est indubitable, à mon sens, d’après les termes cités, que le par. (1) de l’art. 73 vise seulement l’intention de la personne insolvable effectuant la transmission. Nous ne devons pas en arriver à une autre conclusion en suivant un arrêt où l’on interprétait une loi différente rédigée en termes différents. Pour déterminer si une transmission ou un paiement constitue une préférence frauduleuse, seule l’intention du débiteur compte. Le juge de première instance a conclu sur ce point à l’encontre des intimés.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le jugement de la Division d’appel et de rétablir le jugement du juge Cullen, avec dépens dans toutes les Cours.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelant: MacPherson, Kelly & O’Neil, Calgary.
Procureurs des intimés: Nelson, Henders & Hawco, Calgary.
[1] [1974] 1 W.W.R. 548, 41 D.L.R. (3d) 624.
[2] (1905), 36 R.C.S. 120.
[3] (1958), 37 C.B.R. 147 (B.C.S.C.).
[4] (1960), 1 C.B.R. (N.S.) 38 (B.C.S.C.).
[5] (1962), 4 C.B.R. (N.S.) 168 (B.C.C.A.).
[6] (1971), 14 C.B.R. (N.S.) 233 (B.C.S.C.).
[7] (1971) 16 C.B.R. (N.S.) 83 (B.C.S.C.).
[8] [1975] 2 W.W.R. 459.
[9] [1927] 1 W.W.R. 162 (Alta. C.A.).
[10] (1967), 11 C.B.R. (N.S.) 33.
[11] [1922] 1 W.W.R. 1015.
[12] (1921), 2 C.B.R. 16 (Ont. S.C.).
[13] (1922), 2 C.B.R. 241 (Ont. S.C.).
[14] 4 C.B.R. 190.
[15] (1923), 53 O.L.R. 623.
[16] 10 C.B.R. 77.
[17] [1926] R.C.S. 621.
[18] (1968), 11 C.B.R. (N.S.) 258 (Ont. S.C.).
[19] [1968] 2 O.R. 485 (Ont. S.C.).
[20] (1931), 12 C.B.R. 398 (C.S.).
[21] 13 C.B.R. 475.
[22] (1938), 20 C.B.R. 253.
[23] (1959), 1 C.B.R. (N.S.) 1 (C.S.).
[24] (1925), 5 C.B.R. 554 (N.S.C.A.).
[25] (1926), 7 C.B.R. 477 (N.S.S.C.).
[26] (1959), 38 C.B.R. 115 (Nfld. S.C.).
[27] 2 Cowp. 629, 98 E.R. 1277 (K.B.).
[28] (1865), 34 L.J.Q.B. (N.S.) 68.
[29] (1871), 12 L.R. Eq. 358.
[30] (1873), 8 L.R. Ch. App. 614.
[31] (1875), 7 E. & I. App. 839 (H.L.).
[32] [1899] A.C. 419.
[33] (1891), 19 R.C.S. 446.
[34] (1891), 20 R.C.S. 587.
[35] [1960] R.C.S. 385.
Parties
Demandeurs :
HudsonDéfendeurs :
BenallackProposition de citation de la décision:
Hudson c. Benallack, [1976] 2 R.C.S. 168 (7 octobre 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-10-07;.1976..2.r.c.s..168