Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 802
Date de la décision :
07/10/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli
Analyses
Négligence - Négligence contributive - Abordage dans les eaux intérieures de la Colombie‑Britannique entre un voilier et une péniche tirée par un remorqueur - Négligence de l’équipage du voilier qui n’a pas mis en œuvre une veille appropriée - La négligence de l’équipage du remorqueur a aussi contribué à l’abordage - Membre de l’équipage du voilier tué dans l’accident - Partage de la responsabilité - Contributory Negligence Act, R.S.B.C. 1960, c. 74, art. 2.
Marine marchande - Accident mortel - Le propriétaire et le pilote du remorqueur n’ont pas le droit de limiter leur responsabilité - Ces derniers n’ont pas démontré que l’accident mortel s’est produit sans qu’il y ait faute ou complicité réelle de leur part - Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 647.
L’action est intentée par la veuve et les exécuteurs testamentaires de feu Charles Simmon Stein qui a perdu la vie dans les eaux de la baie English, à Vancouver, par suite de l’abordage impliquant la péniche sans équipage S.N. N° 1 tirée par le remorqueur Storm Point et le petit voilier sur lequel le défunt agissait comme homme d’équipage pour son fils.
Le Storm Point revenait à Vancouver après un voyage côtier et accostait près des entrepôts situés sur la rive sud du ruisseau False qui se déverse dans la baie English. Il avait en remorque la péniche S.N. N° 1. Pendant le déchargement de la péniche aux entrepôts, Greenfield, le capitaine du remorqueur, a communiqué
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avec Peter Shields, à la fois président de Shields Navigation Ltd., armateur du remorqueur, et de Egmont Towing & Sorting Ltd., propriétaire du même remorqueur. Le capitaine a alors obtenu l’autorisation de rester à terre et de laisser le remorqueur et la péniche déchargée sous le commandement de l’intimé Helsing qui, accompagné d’un seul matelot, devait leur faire franchir la baie English et contourner le parc Stanley pour aboutir à North Vancouver et ce, bien que Helsing n’eût jamais auparavant piloté un remorqueur et sa remorque sur les eaux du ruisseau False et que le certificat du remorqueur spécifiât un minimum de trois membres d’équipage.
Dans ses motifs, le juge de première instance conclut que l’«équipage» du voilier a été négligent dans la mesure où il a omis de mettre en œuvre une veille appropriée, et que l’équipage du remorqueur a également commis des actes de négligence qui ont contribué à l’abordage, et il partage la responsabilité en en attribuant 75% au remorqueur et 25% au voilier. En appel, la majorité de la Cour d’appel fédérale a infirmé le jugement de première instance et a rejeté l’action. La veuve et les exécuteurs testamentaires ont alors interjeté un pourvoi devant cette Cour.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli.
Bien que les conclusions sur les faits tirées en première instance ne soient pas intangibles, elles ne doivent pas être modifiées à moins qu’il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Même si la Cour d’appel a l’obligation de réexaminer la preuve afin de s’assurer qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès. Compte tenu de ce critère, il est impossible de conclure que le juge de première instance a commis en l’espèce une erreur manifeste dans ses conclusions pertinentes sur les faits formulées dans ses motifs de jugement.
Le capitaine du remorqueur a été négligent non seulement en omettant de garder la péniche au plus près du remorqueur et en entrant dans la baie à une vitesse excessive, mais également en ne s’écartant pas de la route du voilier, ce qui constitue une violation de la Règle 20a) des Règles sur les abordages. Le patron et l’équipage du voilier ont été négligents dans la mesure où ils ont omis de mettre en œuvre une veille appropriée contrairement à la Règle 29 des Règles.
Quant à la demande reconventionnelle des intimés aux fins de limiter leur responsabilité conformément à
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l’art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, ces derniers n’ont pas su démontrer comme il leur incombait de le faire, qu’il y a eu perte de vie sans faute ou complicité réelle de leur part, de sorte qu’ils n’ont pas le droit de limiter leur responsabilité. Toutefois, l’intimé Helsing, en qualité de capitaine du remorqueur, est fondé à limiter sa responsabilité aux termes des dispositions du par. (1) de l’art. 649 de la Loi.
Puisque l’abordage s’est produit dans les eaux intérieures de la Colombie-Britannique, les dispositions du Contributory Negligence Act, R.S.B.C. 1960, c. 74, art. 2, s’appliquent et, par conséquent, la responsabilité de réparer les dommages résultant du décès de Stein doit être proportionnelle à la faute de chaque navire.
Distinction faite avec l’arrêt: S.S. Devonshire (Owners) v. Barge Leslie (Owners), [1912] A.C. 634.
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] qui a accueilli l’appel d’un jugement du juge Heald. Pourvoi accueilli.
J.J. Robinette, c.r., et J.R. Cunningham, pour les demandeurs, appelants.
D.B. Smith et J.A. Hargrave, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale qui a infirmé (le juge Thurlow étant dissident) le jugement de première instance rendu par le juge Heald, L’arrêt a rejeté l’action intentée par la veuve et les exécuteurs testamentaires de feu Charles Simmon Stein qui a perdu la vie dans les eaux de la baie English, à Vancouver, par suite de l’abordage impliquant la péniche sans équipage S.N. N° 1 tirée par le remorqueur Storm Point et le petit voilier sur lequel le défunt agissait comme homme d’équipage pour son fils, Ross Stein. Les motifs de jugement du savant juge de première instance sont publiés à [1972] C.F. 585, et ceux de la Cour d’appel à [1974] 1 C.F. 657.
L’action des exécuteurs testamentaires est intentée en conformité de ce qui est maintenant l’art. 719 de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C 1970, c. S-9, au nom des personnes à charge du défunt, y compris ledit Ross Stein. L’article 719 se lit comme suit:
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719. Si la mort d’une personne a été occasionnée par une faute, une négligence ou une prévarication qui, si la mort n’en était pas résultée, aurait donné droit à la personne blessée de soutenir une action devant la Cour d’Amirauté et de recouvrer des dommages-intérêts à cet égard, les personnes à charge du défunt peuvent, nonobstant son décès, et bien que sa mort ait été occasionnée dans des circonstances équivalant, en droit, à un homicide coupable, soutenir une action pour dommages-intérêts devant la Cour d’Amirauté contre les mêmes défendeurs à l’égard desquels le défunt aurait eu droit de soutenir une action devant la Cour d’Amirauté en ce qui concerne cette faute, cette négligence ou cette prévarication, si la mort n’en était pas résultée.
La juridiction de la Cour fédérale pour entendre une réclamation pour perte de vie repose, d’une part, sur les modifications apportées à la Loi sur la marine marchande du Canada (S.R.C. 1970, c. 10 (2e supp.), annexe 2, item 5), où l’expression «Cour d’Amirauté» est définie comme signifiant «la Cour fédérale du Canada», et d’autre part, sur l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoit que:
22. (1) La Division de première instance a compétence concurrente en première instance, tant entre sujets qu’autrement, dans tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d’une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l’objet d’une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
…
d) toute demande pour avaries ou pour perte de vie ou pour blessures corporelles causées directement ou indirectement par un navire soit par collision soit autrement.
Il y a donc droit d’action si l’on peut démontrer que feu Charles Stein aurait été autorisé à soutenir une action devant la Cour fédérale du Canada s’il avait été blessé sans que la mort s’ensuive. L’action doit donc être considérée comme si elle avait été personnellement intentée par le défunt, bien qu’en sa qualité de membre de l’équipage, la manœuvre du voilier 505 lui soit imputable. Ross Stein n’est pas personnellement partie à cette action et l’iden-
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tité des propriétaires du 505 n’a pas été établie. De plus, il n’y a aucune réclamation contre le voilier in rem.
Dans ses motifs de jugement, après une soigneuse analyse de la preuve, le juge Heald conduit que «L’équipage du voilier 505… a été négligent dans la mesure où il a omis de mettre en œuvre une veille appropriée», et que l’équipage du remorqueur a également commis des actes de négligence qui ont contribué à l’abordage. Il partage la responsabilité «en en attribuant 75% au remorqueur Storm Point et 25% au voilier 505 commandé par M. Ross Stein». (Voir [1972] C.F. aux p. 599 et 600).
En attribuant au voilier l’entière responsabilité de l’accident, le juge en chef Jackett, quai a rendu le jugement au nom de la majorité de la Cour d’appel, me paraît avoir méconnu les conclusions du juge de première instance sur les faits, pour y substituer sa propre appréciation de «la prépondérance des probabilités». Sous ce rapport, il dit à la p. 661 du recueil [1974] 1 C.F.:
Toute tentative de retracer ou déterminer avec précision les trajets et vitesses respectifs de remorqueur (tirant la péniche) et du voilier, l’un par rapport à l’autre, et de déterminer avec précision les manœuvres à bord des navires respectifs à certains moments donnés, est vouée à l’échec compte tenu de l’état de la preuve. Je vais donc me limiter à exposer dans Ses grandes lignes ce qui est arrivé, vu ce que j’ai pu déduire en me fondant sur la prépondérance des probabilités.
Avec le plus grand respect pour le savant Juge en chef, je ne crois pas que cette façon de statuer sur les faits soit justifiée dans les circonstances, surtout si l’on considère que l’on a reçu au procès le témoignage des personnes en charge de chacun des bateaux et que le juge de première instance a apprécié leur crédibilité en formulant ses conclusions. Dans de telles circonstances, il est généralement admis qu’une cour d’appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronnées et non si elles s’accordent avec l’opinion de la Cour d’appel sur la prépondérance des probabilités.
Sous ce rapport, reportons-nous aux propos de
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lord Sumner dans S.S. Honestroom (Owners) v. S.S. Sagaporack (Owners)[2], aux p. 47 et 48:
[TRADUCTION]… le fait de ne pas avoir vu les témoins place les juges d’une cour d’appel dans une situation qui reste désavantageuse par rapport à celle du juge de première instance et, *à moins que l’on ne démontre que ce dernier a omis de profiter de cet avantage, ou qu’il s’en est clairement servi à mauvais escient, la cour d’instance supérieure ne doit pas prendre la responsabilité d’infirmer des conclusions ainsi tirées, lorsqu’elle ne se base que sur le résultat de ses propres comparaisons et critiques des témoins et de sa propre opinion sur les probabilités de l’affaire. Le déroulement du procès et tout le fond du jugement doivent être examinés, et il ne s’agit pas de déterminer si la crédibilité d’un témoin a été établie par contre-interrogatoire ou si le juge a trouvé incroyables les déclarations de ce témoin. Si son appréciation de l’homme forme une partie substantielle des motifs de son jugement, les conclusions du juge de première instance sur les faits, d’après ce que je comprends des décisions, doivent être laissées intactes. Dans l’affaire The Julia, (1860) 14 Moo. P.C. 210, à la p. 235, lord Kingsdown s’exprime ainsi:
Ceux qui, dans de telles circonstances, demandent au présent Comité d’infirmer une décision de la Cour d’instance inférieure sur un point de ce genre entreprennent une tâche difficile sinon impossible… Pour infirmer cette décision nous devons non seulement douter de son bien-fondé, mais également être convaincus qu’elle est erronée.
(Les italiques sont de moi).
Dans la même affaire, lord Sumner fait sienne la règle établie par le lord juge James dans The Sir Robert Peel[3], à la p. 322:
[TRADUCTION] La Cour n’a pas l’intention de s’écarter de la règle qu’elle a elle-même établie à l’effet qu’elle ne doit pas infirmer la décision d’une cour d’instance inférieure sur une question de fait au sujet de laquelle le juge a eu l’avantage de voir les témoins et d’observer leur comportement, à moins que la Cour ne découvre un fait dominant qui, en regard des autres, a créé une fausse impression.
Lorsqu’il a rendu le jugement de cette Cour dans Prudential Trust Co. Ltd. c. Forseth[4], le juge Martland a, à la p. 216, fait siens tous ces passa-
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ges, y compris le suivant tiré des motifs de jugement de lord Shaw dans Clarke v. Edinburgh Tramways Co.[5], à la p. 36, que cite d’ailleurs lord Sankey dans l’affaire Powell v. Streatham Manor Nursing Home[6], à la p. 250:
[TRADUCTION] «Moi qui ne puis profiter de ces avantages, parfois marqués, parfois subtils, dont bénéficie le juge qui entend la preuve et qui préside le procès, — suis-je en mesure de conclure avec certitude en l’absence de ces avantages, que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste? Si je ne puis me convaincre que le juge qui en a bénéficié a commis une erreur manifeste, il est alors de mon devoir de déférer à son jugement.»
On ne doit pas considérer que. ces arrêts signifient que les conclusions sur les faits tirées en première instance sont intangibles, mais plutôt qu’elles ne doivent pas être modifiées à moins qu’il ne soit établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits. Bien que la Cour d’appel ait l’obligation de réexaminer la preuve afin de s’assurer qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise, j’estime qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation de la prépondérance des probabilités aux conclusions tirées par le juge qui a présidé le procès.
Compte tenu du critère énoncé dans ces décisions, il m’est impossible de conclure que le savant juge de première instance a commis en l’espèce une erreur manifeste dans ses conclusions pertinentes sur les faits formulées dans ses motifs de jugement. Toutefois, je tiens à souligner que les assesseurs qui ont conseillé la Cour d’appel et ceux qui ont conseillé le savant juge de première instance ont différé d’opinion sur un point fondamental de sorte que, sous ce rapport du moins, la situation n’était pas la même en appel qu’en première instance.
Les circonstances antérieures à l’abordage et celles de l’abordage même, telles que décrites dans les motifs de dissidence du juge Thurlow, ne diffèrent que très peu de celles relatées par le savant juge de première instance, bien que le premier en vienne à des conclusions différentes sur les faits et
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tienne compte de l’avis d’autres assesseurs pour finalement conclure à une répartition égale de la responsabilité entre les deux bâtiments. La décision du juge Thurlow est publiée à [1974] 1 C.F., aux p. 671 et suivantes, et je me reporterai, à quelques occasions, aux conclusions qui y sont tirées. Toutefois, pour une meilleure compréhension des présents motifs, j’estime opportun de relater brièvement les faits que je considère importants dans la décision de ce litige.
Le 27 juin 1974, le remorqueur Storm Point revenait à Vancouver après un voyage côtier et accostait près des entrepôts Johnston, situés sur la rive sud du ruisseau False qui se déverse dans la baie English. Il avait en remorque la péniche S.N. N° 1. Pendant le déchargement de la péniche aux entrepôts, Greenfield, le capitaine du remorqueur, a communiqué avec Peter Shields, à la fois président de Shields Navigation Limited, armateur du remorqueur, et de Egmont Towing & Sorting Ltd., propriétaire du même remorqueur. Le capitaine a alors obtenu l’autorisation de rester à terre et de laisser le remorqueur et la péniche déchargée sous le commandement de l’intimé Helsing qui, accompagné uniquement de feu le matelot Iverson, devait leur faire franchir la baie English et contourner le parc Stanley pour aboutir au chantier naval Belair à North Vancouver, et ce, bien que Helsing n’eût jamais auparavant piloté un remorqueur et sa remorque sur les eaux du ruisseau False et que le certificat du remorqueur spécifiât un minimum de trois membres d’équipage.
Au départ des entrepôts Johnston, la péniche était attachée à l’arrière du remorqueur au plus près, mais en entrant dans la baie English, on a laissé filer le câble de remorque sur une longueur d’environ 150 pieds et on a augmenté la vitesse. A ce moment-là, selon le témoignage de Helsing, il y avait une concentration de voiliers par tribord avant, à environ cinq ou sept encablures. L’un des voiliers, soit le 505 commandé par Ross Stein, semblait dériver et filer à peu près dans la direction du remorqueur en suivant un relèvement de 45° par tribord avant. Lorsque le voilier fut à environ 1,000 pieds du remorqueur, ce dernier a modifié sa route de 15° à bâbord sans signaler ce
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changement, alors qu’au même moment le voilier modifiait sa route de 20° à bâbord.
Les manœuvres du voilier avant qu’il n’effectue son virage de 20° ont été décrites par le capitaine Helsing au cours de son interrogatoire préalable:
[TRADUCTION] Q. Bien, le voilier naviguait suivant une route relativement droite avant cela, n’est-ce pas?
R. Un tracé régulier.
Q. Et suivant le même relèvement, soit 45 degrés par tribord avant?
R. Oui.
Q. Et Se voilier suivait toujours ce relèvement alors qu’il naviguait vers vous?
R. Il se dirigeait davantage dans cette direction à mesure qu’il avançait.
Q. Lorsque vous dites «il se dirigeait davantage dans cette direction», c’est toujours vers vous qu’il se dirigeait?
R. Oui.
Dans ses motifs de dissidence, publiés à [1974] 1 C.F. 671, aux pp. 671 et 672, le juge Thurlow relate de façon complète et détaillée les manœuvres du voilier:
Pendant l’après-midi en cause, ils ont participé, avec 20 ou 30 autres personnes, dont certaines venaient aussi de Californie, à une course d’essai non officielle; par la suite, les Stein et quelques autres ont continué à naviguer à titre d’entraînement supplémentaire. Au voisinage de la pointe Ferguson, au moins trois d’entre eux ont, à un certain moment, viré et navigué par la suite pendant dix à yingt minutes, le voilier de Stein en tête, avec vent de travers à bâbord, à la vitesse de 3 ou 3½ milles à l’heure, suivant une direction générale sud-est, leurs grandes voiles, leurs focs et spinnakers dehors. Les Stein étaient des marins expérimentés, mais ils n’étaient pas habitués à voir de grandes péniches tirées par des remorqueurs relativement petits, ce qui est commun dans le port de Vancouver. Ils allaient amener leur spinnaker, pour se préparer à rentrer au Kitsilano Yacht Club, et en avaient largué les écoutes lorsque Ross Stein vit à bâbord la proue et le côté tribord d’un remorqueur, qui s’avéra être le Storm Point, mais il ne remarqua pas la péniche que le remorqueur tirait à une distance d’environ 150 pieds derrière lui. Il vira immédiatement vers bâbord et ne prévoyait aucune difficulté à éviter le remorqueur par cette manœuvre et en fait il n’en rencontra aucune; mais, selon son témoignage, que le savant juge de première instance semble avoir admis, alors que
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le bateau venait juste de retrouver son équilibre et de prendre sa nouvelle route, il aperçut la péniche pour la première fois, directement devant lui. Il tendit alors tous ses efforts pour éviter la péniche en essayant de virer un peu plus à bâbord, mais son spinnaker s’était affaissé et, compte tenu de l’erre, il fut incapable de lofer de manière à faire route tribord amure. La proue du voilier heurta celle de la péniche juste à tribord du centre de celle-ci, le voilier pivota de sorte que son côté bâbord vint au contact de la partie tribord de la proue de la péniche; le voilier alors chavira, le Dr Stein fut jeté à l’eau et fut tué.
En définitive, comme je l’ai déjà souligné, le juge Thurlow aurait modifié le jugement de première instance en répartissant également la responsabilité entre les deux bateaux en cause. La différence essentielle entre l’opinion du juge Thurlow et celle du juge Heald me paraît être que ce dernier a conclu, contrairement à cette opinion, que le remorqueur avait violé la Règle 20a) des Règles pour prévenir les abordages en mer (ci-après appelées «les Règles»). Les deux juges conviennent des conclusions suivantes que je partage également:
(1) Que le capitaine Helsing a commis la négligence suivante décrite par le juge Thurlow à la p. 681:
En laissant filer une trop grande longueur de câble de remorque et en avançant à trop grande vitesse, le capitaine Helsing s’est… mis dans l’impossibilité de rester maître de la péniche ou de l’arrêter complètement sur une distance raisonnable de sorte que, lorsqu’est apparu le risque d’un abordage, il n’a pu prendre les mesures nécessaires pour l’éviter soit en arrêtant la péniche, soit en s’écartant de la route. En conséquence, la péniche avançait encore au moment de l’abordage. A mon avis, la vitesse de la péniche peu avant l’abordage réduisit le temps dont les Stein disposaient pour prendre au dernier moment des mesures propres à l’éviter et, en fin de compte, c’est la vitesse acquise de la péniche et son mouvement qui ont causé les dommages.
(2) Que Ross Stein, le patron du voilier, et son père, qui était l’unique homme d’équipage, ont été négligents dans la mesure où ils ont omis «de mettre en oeuvre une veille appropriée», contrairement à la Règle 29, comme l’illustre le fait
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qu’ils n’ont aperçu la péniche que quelques instants avant l’abordage.
La divergence d’opinions entre ces deux juges porte sur les manœuvres effectuées par le capitaine Helsing après qu’il eut aperçu pour la première fois le voilier et réalisé que ce dernier naviguait vers lui. Le 505 était alors à environ 4/10 de mille du remorqueur à l’endroit marqué 1 sur la carte, soit à environ quatre encablures du lieu de l’abordage. A ce stade, Helsing n’effectua aucune manœuvre; il préféra attendre de se trouver à environ 1,000 pieds du voilier avant de modifier sa route de 15° seulement à bâbord, car il craignait, a-t-il déclaré, qu’une modification plus importante ne l’entraînât vers de «mauvais fonds». Selon le juge Thurlow, Helsing n’aurait pas agi comme doit le faire un bon marin s’il avait tenté de s’écarter de la route du voilier en effectuant un virage beaucoup plus prononcé, tandis que le juge Heald conclut que «s’il avait changé de route à n’importe quel moment entre le point n° 1 et le point n° 4 (le point où il a modifié sa route), il aurait pu en changer par 30° ou plus et aurait placé à la fois le remorqueur et la péniche complètement à l’écart du voilier». La Règle 20a) est libellée comme suit:
Lorsque deux navires l’un à propulsion mécanique et l’autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencontrer, le navire à propulsion mécanique doit s’écarter de la route du navire à voiles, sauf exceptions prévues aux Règles 24 et 26.
En statuant que:
…ce serait faire fi de tout réalisme et appliquer trop strictement la Règle 20a) des Règles sur les abordages que de conclure que le capitaine Helsing était tenu en vertu de cette règle de s’écarter de la route d’un tel voilier.
le juge Thurlow paraît croire que se conformer à cette règle aurait pu mettre en danger d’autres navires filant à bâbord. Sous ce rapport, le savant juge tient les propos suivants:
A mon avis, une telle application de la règle entraînerait dans la pratique l’impossibilité d’effectuer des transports commerciaux par péniches dans ces eaux dès qu’il y aurait un certain nombre de navires de plaisance, car dès qu’un remorqueur tirant une péniche manœuvrerait de manière à s’écarter de la route de l’un d’entre eux, il devrait s’attendre à en rencontrer un autre ou plusieurs
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autres sur sa route, de sorte que la manœuvre même visant à éviter l’un pourrait fort bien le mettre en contravention de la règle relativement à d’autres.
Avec le plus grand respect, ces remarques générales ne me paraissent pas applicables en l’espèce vu les réponses données par le capitaine Helsing lui-même au cours de son interrogatoire préalable:
[TRADUCTION] Q. En ce qui vous concerne, il n’y avait aucune circulation à l’avant et à bâbord?
R. Non, aucune.
Q. Maintenant, vous était-il possible de voir les voiliers, y compris celui qui fut impliqué dans l’abordage, avant que vous n’atteigniez la pointe?
R. Oui.
Q. A partir de Burrard, immédiatement à l’ouest du pont Burrard?
R. Oui.
Q. Est-il plus facile pour un remorqueur de contrôler une péniche si celle-ci le suit de près?
R. Oui.
S’il n’y avait «aucune» circulation à bâbord, je puis difficilement comprendre comment auraient pu se matérialiser les craintes formulées par le juge Thurlow. Toutefois, j’estime que la différence essentielle entre la décision du juge Thurlow et celle du juge Heald vient des réponses qu’ont fournies les différents assesseurs en première instance et en Cour d’appel.
Je suis d’avis que le juge Thurlow a dû être influencé par la conclusion suivante qu’ont tirée les deux assesseurs qui agissaient en Cour d’appel et à qui la question suivante fut posée:
[TRADUCTION] Q. Dans les circonstances décrites à la question (1), la bonne navigation aurait-elle exigé que le capitaine Helsing modifie sa route de 30° vers bâbord au moment où il doublait Crystal Pool et continue sa route dans le secteur ouest de la baie English afin de s’écarter de la route des voiliers se trouvant à l’est du chenal marqué par des balises sur les cartes?
R. Non, à cause d’un secteur dangereux tout proche à bâbord.
Une opinion contraire paraît avoir été émise par les assesseurs qui ont assisté le juge Heald, comme l’illustre le passage suivant de son jugement:
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En fait, au point n° 4, les experts m’ont appris qu’il aurait pu changer de route à bâbord par 90 degrés sans mettre son navire en danger. Son navire avait un tirant d’eau maximum à 7'6". On se trouvait également au plus haut niveau de la pleine mer, qui dépassait 11 pieds, ce qui lui aurait permis de dériver davantage. A mon avis, M. Helsing s’est rendu coupable de ne pas suivre correctement les pratiques de la navigation, ce qui a contribué d’une façon très directe et déterminante à l’abordage. Par rapport à lui, ils se trouvaient à 45 degrés par tribord avant, de l’endroit où il les a vus à celui de l’abordage. Le bateau des Stein a conservé le même relèvement alors qu’il arrivait vers lui (questions nos 347 à 350 de l’interrogatoire), et cependant il n’a absolument rien fait, alors même qu’il risquait de l’aborder, avant d’en être à environ 1,000 pieds. En conséquence, sa réaction a été nettement [TRADUCTION] «trop faible et trop tardive».
Dans l’étude de la divergence d’opinions entre les deux groupes d’assesseurs, j’estime qu’il convient de citer les propos qu’a tenus le vicomte Dunedin dans The Australia[7], à la p. 149:
[TRADUCTION] Toutefois, sans être injuste envers eux, je crois vraiment nécessaire de contester l’opinion qui a récemment été émise en cour d’appel, savoir que la Cour est tenue d’accorder plus de poids à l’opinion de ses propres assesseurs qu’à celles des assesseurs qui ont conseillé le tribunal d’instance inférieure. Il n’existe aucune hiérarchie d’assesseurs. Ils s’apparentent aux témoins experts: la seule différence est qu’ils ne sont sympathiques à la cause d’aucune des parties.
En l’espèce, l’opinion des assesseurs qui ont conseillé le savant juge de première instance me paraît étayée d’abord par un renvoi à la carte, ensuite par le fait qu’on se trouvait dans la baie «au plus haut niveau de la pleine mer», et finalement par le faible tirant d’eau du remorqueur et de sa remorque. A mon avis, la preuve dans son ensemble n’accorde aucun appui à l’opinion du juge Thurlow, et la profondeur indiquée sur la carte ainsi que la marée haute ne tendent pas à confirmer qu’il y avait un «secteur dangereux tout proche à bâbord». Je partage donc l’avis du juge Heald selon lequel le remorqueur aurait pu sans danger modifier sa route d’au moins 30° à bâbord assez tôt pour s’écarter de la route du voilier, et j’estime que le fait d’avoir omis d’effectuer cette manœuvre cons-
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titue une violation de la Règle 20a) et est un facteur qui a effectivement contribué à l’abordage.
En résumé, je suis d’avis que le capitaine Helsing a été négligent non seulement en omettant de garder la péniche au plus près du remorqueur et en entrant dans la baie à une vitesse excessive, mais également en ne s’écartant pas de la route du voilier, ce qui constitue une violation de la Règle 20a). Finalement, le remorqueur a croisé la route du 505 tout en tirant la péniche à 150 pieds derrière lui. Il est vrai qu’il aurait été possible d’apercevoir cette dernière du 505 si une veille appropriée avait été mise en œuvre, mais d’autre part si la péniche avait été remorquée au plus près de l’arrière du remorqueur, le voilier aurait certainement aperçu cette masse unique et la manœuvre faite avec succès pour éviter l’abordage avec le remorqueur aurait fort bien pu permettre d’éviter également la péniche.
Comme je l’ai déjà souligné, la différence essentielle entre la décision du juge Thurlow et celle du savant juge de première instance est que le premier n’a considéré comme négligence de la part du remorqueur que le fait d’avoir laissé filer trop tôt 150 pieds de câble de remorque et de s’être engagé dans la baie à une vitesse excessive, tandis que le juge Heald a en outre conclu que le remorqueur avait violé la Règle 20a) en n’effectuant pas assez tôt la manœuvre nécessaire pour éviter tout risque d’abordage. A mon avis, voilà pourquoi les deux savants juges ont réparti différemment la faute entre le remorqueur et le voilier.
Le savant juge de première instance a attribué d’autres fautes au remorqueur, mais je juge inutile de les examiner séparément. Il me suffit d’affirmer qu’à mon avis, on n’a pas démontré que la négligence du capitaine Helsing de mettre en œuvre une veille appropriée et d’actionner son sifflet lorsqu’il a modifié sa route ait effectivement contribué à l’abordage. Toutefois, je suis convaincu que les fautes dont j’ai fait état précédemment étayent entièrement les conclusions du juge Heald.
La conclusion tirée par la Cour d’appel me paraît fondée en grande partie sur l’opinion émise par le juge en chef Jackett dans le passage suivant
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de ses motifs de jugement ([1974] 1 C.F., à la p. 666):
A mon avis, l’obligation pour un navire à propulsion mécanique de «s’écarter de la route» d’un voilier lorsque les deux navires «courent de manière à risquer de se rencontrer» n’existe pas quand le voilier choisit une route comportant un risque d’abordage par rapport à celle du navire à propulsion mécanique à un moment où il n’est pas raisonnablement possible que le navire à propulsion mécanique s’écarte de la route suivie par le voilier…
Vu mon appréhension des faits de l’espèce, la Règle 20a), telle que je l’interprète, n’a jamais été applicable. Bien qu’on ne puisse déterminer avec précision le moment où le voilier a commencé à suivre une route comportant un risque d’abordage avec le remorqueur touant la péniche (ces navires ayant suivi la même route depuis leur entrée dans la baie English), la prépondérance des probabilités, vu la preuve, indique que c’était sans doute peu avant le moment où le remorqueur a viré de 15° vers bâbord et le voilier de 20° vers bâbord. Ceci étant, il ressort clairement de la preuve, à mon avis, qu’au moment où le voilier commença à suivre une route comportant un risque d’abordage, le remorqueur ne pouvait raisonnablement pas faire arrêter la péniche de manière à «s’écarter de la route» du voilier, qu’il lui était évidemment impossible de «s’écarter de la route» du voilier en virant de quelque façon vers tribord, et que, bien qu’on n’ait pas déterminé ce qui serait arrivé s’il avait viré plus franchement vers bâbord, on n’a pas déterminé non plus qu’un tel virement l’aurait écarté de la route du voilier. A mon avis, dans les circonstances, le remorqueur ne pouvait, à toutes fins utiles, s’écarter alors de la route du voilier et les dispositions de la Règle 20a) n’ont jamais été applicables.
Par contre, à mon avis, c’est l’équipage du voilier qui, a changé une situation ne présentant aucun danger en une situation potentiellement dangereuse en plaçant le voilier dans une direction comportant un risque d’abordage avec le remorqueur, à un moment où les deux navires étaient si proches que le remorqueur ne pouvait pas s’écarter de sa route, par une manœuvre normale.
Ce texte paraît supposer qu’à la dernière minute, l’équipage du voilier l’a placé dans «une direction comportant un risque d’abordage» avec le remorqueur, tandis que la preuve démontre que le 505 a toujours conservé la même direction à partir du moment où il s’est détaché du groupe de voiliers pour filer dans «la même direction générale» que le remorqueur et sa remorque jusqu’à ce qu’il effectue son virage de 20° à bâbord.
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Il m’est difficile d’accepter la conclusion du juge en chef Jackett selon laquelle la prépondérance des probabilités établit que le voilier a commencé à voguer dans une direction comportant un risque d’abordage lorsqu’il a effectué son virage de 20° à bâbord à un moment où les deux navires étaient si proches que le remorqueur ne pouvait pas s’écarter de la route du voilier, particulièrement si l’on considère ce qui paraît être, à la p. 662 des mêmes motifs de jugement, une autre conclusion sur les faits selon laquelle le voilier s’avançait déjà «selon une direction qui pouvait faire craindre un abordage» lorsque le capitaine du remorqueur l’aperçut pour la première fois. Il n’existe, à mon avis, aucune preuve établissant que le voilier a modifié sa route d’une quelconque façon entre le moment où on l’aperçut pour la première fois et le moment où il a effectué un virage de 20° à bâbord, et j’estime que cette modification n’a pas eu pour effet de placer le voilier dans «une direction comportant un risque d’abordage avec le remorqueur», mais qu’elle a plutôt joué un rôle important pour éviter l’abordage avec le remorqueur.
De plus, selon la Cour d’appel, rien ne démontre que si le remorqueur avait effectué un virage plus prononcé à bâbord, au moment où il n’était plus qu’à 1,000 pieds du voilier, il aurait pu s’écarter de la route de ce dernier. Le juge Thurlow semble partager cette opinion. Quant à moi, je réaffirme respectueusement ne pas pouvoir la partager.
A mon avis, il convient de souligner que les dispositions de la Règle 20a) s’appliquent «lorsque deux navires l’un à propulsion mécanique et l’autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencontrer» et que, à l’instar des «Règles de manœuvre et de route», il faut s’y conformer en vertu des alinéas préliminaires de la partie D des Règles qui prévoient que:
Toute manœuvre décidée en application ou par suite de l’interprétation des présentes Règles doit être exécutée franchement, largement à temps, et comme doit le faire un bon marin.
Cette disposition se rattache directement à la Règle 20a) par le biais de la Règle 22 qui prévoit que:
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Tout navire qui est tenu, d’après les présentes Règles, de s’écarter de la route d’un autre navire, doit, autant que possible, manœuvrer de bonne heure et franchement pour répondre à cette obligation et doit, si les circonstances le permettent, éviter de couper la route de l’autre navire sur l’avant de celui-ci.
et de la Règle 23, libellée comme suit:
Tout navire à propulsion mécanique qui est tenu d’après les présentes Règles de s’écarter de la route d’un autre navire, doit, s’il s’approche de celui-ci, réduire au besoin sa vitesse ou même stopper ou marcher en arrière si les circonstances le rendent nécessaire.
Dans l’affaire Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique c. Le Camosun[8], à la p. 45, le juge Maclean explique en ces termes l’expression «risque d’abordage»:
[TRADUCTION] AUX pages 302 et 303 de la 8e édition, Marsden examine ce qui constitue un risque d’abordage, et il cite les propos du Dr Lushington selon lesquels une probabilité d’abordage ne doit pas être mesurée au pouce, qu’une simple probabilité raisonnable d’abordage est suffisante, et que les navires ne doivent pas s’adonner à de beaux calculs pour déterminer si le risque en est un qui peut être couru, alors que bien avant l’abordage il est possible d’éliminer le risque en effectuant certaines manœuvres.
Si l’on s’en tient au témoignage de Helsing selon lequel le voilier filait déjà dans une direction comportant un risque d’abordage lorsqu’il l’aperçut pour la première fois alors qu’il était à environ 4/10 de mille de lui, il s’agissait d’une situation où «bien avant l’abordage, il est possible d’éliminer le risque en effectuant certaines manœuvres», mais, comme je l’ai déjà souligné, je suis d’accord avec le savant juge de première instance que le remorqueur aurait encore pu s’écarter de Sa route du voilier même au moment où les deux navires n’étaient qu’à 1,000 pieds l’un de l’autre.
Quant à la demande reconventionnelle des intimés aux fins de limiter leur responsabilité conformément à l’art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, précitée, je partage l’avis du juge Heald pour les motifs publiés à [1972] C.F. aux pp. 600 à 607, selon lesquels, premièrement, il incombait au propriétaire du remorqueur et de sa remorque de démontrer qu’il y a eu perte
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de vie sans «faute ou complicité réelle» de leur part, et deuxièmement, la propriétaire, Egmont Towing & Sorting Ltd., par l’intermédiaire de son président et directeur Peter Shields, qui occupait les mêmes postes au sein de Shields Navigation Ltd., s’est effectivement rendue coupable de la faute et de la négligence décrites précédemment. Il me paraît raisonnable d’imputer à l’inexpérience les fautes que le capitaine du remorqueur a commises en ne remorquant pas la péniche au plus près, en naviguant à une vitesse excessive et en ne s’écartant pas de la route du voilier. Tous ces facteurs ont contribué à l’abordage, et je suis d’avis que Shields, en confiant le remorqueur et sa remorque à une personne inexpérimentée, a exposé ceux qui naviguaient dans la baie à des dangers éventuels qui se sont réalisés, ce que Shields en sa qualité de président et de directeur des deux compagnies intimées, aurait dû prévoir.
L’obligation qui incombe aux propriétaires d’un navire est lourde et ils ne peuvent pas s’en acquitter en démontrant que leurs actes ne constituent pas [TRADUCTION] «l’unique cause ou la cause prochaine ou la cause principale» du malheureux accident. Comme l’a souligné le vicomte Haldane dans Standard Oil Co. of New York v. Clan Line Steamers, Ltd.[9], à la p. 113:
[TRADUCTION]… ils doivent démontrer que l’événement s’est produit sans qu’il y ait faute ou complicité de leur part.
Cela ne peut être dit des présents intimés. Peter Shields est le directeur des deux compagnies et je suis d’accord avec le juge Heald qui a commenté en ces termes son comportement:
M. Peter Shields a… autorisé MM. Helsing et Iverson à continuer le voyage, ce qui faisait un équipage total de deux personnes.
En prenant une telle mesure, M. Peter Shields s’est rendu, à mon avis, coupable de négligence. Il savait ou aurait dû savoir que M. Helsing n’avait jamais auparavant sorti un remorqueur et sa remorque du ruisseau False en qualité de capitaine. Il savait ou aurait dû savoir que M. Helsing avait navigué avec le titre de capitaine du Storm Point seulement une fois auparavant
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et que c’était le 23 juin 1970, date à laquelle il a amené le remorqueur et la remorque de Sidney, soit de l’île de Vancouver. Il savait qu’il y aurait une circulation maritime intense dans la baie English; il était lui-même un fervent de la voile. Il admet qu’il savait ne pas avoir l’autorisation légale d’exploiter le Storm Point avec un équipage de deux personnes et que ce manque d’autorisation légale lui est venu à l’esprit; il reconnaît maintenant qu’il mettait probablement M. Helsing, capitaine inexpérimenté, dans une situation éventuellement difficile. Voici ses mots exacts: [TRADUCTION] «VOUS devez être prêt à tout dans la baie English».
Je suis convaincu que la négligence de M. Shields exposée précédemment a contribué à l’accident.
A la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que les compagnies défenderesses n’ont pas le droit de limiter leur responsabilité en l’espèce, mais que le défendeur Helsing, en qualité de capitaine du remorqueur, est fondé à limiter sa responsabilité aux termes des dispositions du par. (1) de l’art. 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada. A cette fin, je suis d’accord avec le juge Heald que les calculs doivent être basés sur une jauge de 600 tonneaux et que la responsabilité doit être calculée d’après la somme des jauges de l’ensemble des responsables, c’est-à-dire le remorqueur et la remorque.
A mon avis, il ne serait pas convenable de passer sous silence les observations du juge en chef Jackett au début de ses motifs de jugement alors qu’il se reporte aux arrêts S.S. Devonshire (Owners) v. Barge Leslie (Owners)[10]; Sparrow’s Point c. Greater Vancouver Water District et al.[11] et Algoma Central and Hudson Bay Railway Co. c. Manitoba Pool Elevators Ltd.[12] et qu’il exprime l’opinion que ces arrêts soulèvent la possibilité que l’action aurait dû être rejetée parce que la négligence contributive du défunt Stein serait une défense pleine et entière selon la common law et la Loi sur la marine marchande du Canada.
Comme je l’ai précisé au début, la présente poursuite est intentée en vertu de l’art. 719 de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui ne permet aux appelants d’intenter une poursuite en dommages-intérêts que devant la Cour d’Ami-
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rauté, dont la juridiction a récemment été transmise à la Cour fédérale du Canada. Comme je l’ai déjà souligné, cette dernière Cour a juridiction relativement à «toute demande pour avaries ou pour perte de vie ou pour blessures corporelles causées directement ou indirectement par un navire soit par collision soit autrement». (Voir le par. (2) de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale, précité.)
La Haute Cour d’Amirauté d’Angleterre, chargée à l’origine d’administrer le droit maritime, répartissait la responsabilité de la perte proportionnellement au degré de faute des deux navires impliqués dans un abordage. Mais après quelque temps, vu la difficulté de déterminer une proportion équitable de responsabilité, la Cour a adopté le principe de la répartition égale et ce n’est que depuis la mise en vigueur du Maritime Conventions Act 1911 (Imp.) 1 & 2 Geo. V, c. 57, que la répartition de la faute fait l’objet de dispositions législatives. Ces dispositions figurent dans notre Loi des conventions maritimes, 1914 (Can.), c. 13, et sont maintenant substantiellement reproduites à l’art. 638 de la Loi sur la marine marchande du Canada dont voici le libellé:
638. (1) Lorsque, par la faute de deux ou plusieurs bâtiments, il y a avarie ou perte d’un ou plusieurs de ces bâtiments, de leurs cargaisons ou de leur fret, ou des biens à bord, la responsabilité en matière d’avarie ou de perte est proportionnée au degré de faute de chaque bâtiment.
(2) Lorsque eu égard à toutes les circonstances, il est impossible d’établir le différent degré de faute, la responsabilité est répartie également.
(3) Rien au présent article ne s’applique de façon à rendre un bâtiment responsable de perte ou d’avarie à laquelle sa faute n’a pas contribué.
Il convient de souligner que cet article ne prévoit pas le cas de blessures corporelles ou de perte de vie. C’est l’art. 639 qui en traite:
639. (1) Lorsqu’une personne, étant à bord d’un bâtiment, perd la vie ou subit des blessures par la faute de ce bâtiment et d’un ou plusieurs autres bâtiments, les propriétaires des bâtiments sont conjointement et solidairement responsables.
(2) Rien au présent article ne doit s’interpréter de façon à priver une personne de tout droit de défense sur lequel, indépendamment du présent article, elle pourrait
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compter dans une action intentée contre elle par la personne blessée, ou par toute personne ou personnes ayant droit de poursuivre à cause de cette perte de vie, ou de façon à porter atteinte au droit d’une personne de limiter sa responsabilité dans les cas visés au présent article, de la manière prévue par la loi.
L’affaire Devonshire, précitée, qui semble avoir semé le doute dans l’esprit du juge en chef Jackett, traite de dommages causés à un navire suite à la négligence combinée de deux autres navires, et les tribunaux ont décidé que chacun des navires en faute était responsable de tous les dommages. Sur poursuite intentée contre eux, les propriétaires du Devonshire, un des deux navires en faute, ont été condamnés à payer le plein montant des dommages subis. Dans ses motifs de jugement, le lord chancelier Haldane dit, à la p. 647:
[TRADUCTION] Je conclus que les appelants [c.-à-d. les propriétaires du Devonshire] n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’un principe selon lequel la Cour d’Amirauté aurait dû décider que les propriétaires d’un navire non fautif ne peuvent recouvrer la totalité des dommages qu’il a subis d’un seul des deux navires responsables de l’abordage.
et à la p. 651, lord Atkinson fait allusion
[TRADUCTION]… à la règle ou au principe de droit commun aux tribunaux de common law et d’amirauté, selon lequel les coauteurs d’un délit civil sont solidaires, chacun étant responsable de l’ensemble des dommages subis par une personne’ innocente et résultant de leur faute commune.
Le présent litige n’en est pas un où un navire ou une personne à qui on ne peut rien reprocher a subi des dommages par suite de la négligence commune des deux autres navires ou personnes, bien qu’à mon avis, ce soit la situation visée par le par. (1) de l’art. 639 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Lorsque ce paragraphe parle d’une personne qui, étant à bord d’un bâtiment, perd la vie ou subit des blessures par la faute de ce bâtiment et d’un ou plusieurs autres bâtiments, on doit l’interpréter comme visant une personne innocente se trouvant à bord d’un bâtiment, tel un passager, et non comme visant une personne qui, elle-même, a contribué à la négligence qui peut lui être imputée. Nous sommes aux prises ici avec une action personnelle intentée contre un navire, ses propriétaires et son capitaine, dans le but de faire valoir
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les droits qu’une personne décédée aurait été fondée à faire valoir si elle n’avait été que blessée. Il s’agit d’une réclamation pour perte de vie causée «directement ou indirectement par un navire… par collision» au sens de l’al. d) du par. (2) de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale.
A l’instar du principe établi dans l’arrêt Devonshire, l’art. 639 vise la responsabilité des coauteurs d’un délit civil dont la négligence commune a blessé un tiers innocent, et cet article consacre la responsabilité conjointe et solidaire de ces coauteurs, mais comme je l’ai déjà souligné, les parties à la présente action ne sont pas des coauteurs d’un délit civil en ce sens, et j’estime que l’art. 639 n’est pas applicable dans les présentes circonstances, pas plus que l’arrêt Devonshire ou les autres décisions qui ont suivi cet arrêt et que cite le juge en chef Jackett.
L’article 638 est également inapplicable puisqu’il ne s’agit pas en l’espèce d’avaries causées à un bâtiment ou à sa cargaison, ou à son fret ou à des biens à bord, et aucune disposition expresse de la Loi sur la marine marchande du Canada ne traite de la répartition de la faute dans le cas d’une perte de vie résultant de la faute commise par les deux navires impliqués dans un abordage.
L’ancienne défense de négligence contributive fondée sur la common law n’a jamais été reconnue en droit maritime dans les cas d’abordage, et le principe de répartition égale adoptée par la Cour d’Amirauté paraît n’avoir été appliqué qu’aux cas d’avaries à un navire ou à sa cargaison. De plus, l’abordage s’est produit à l’embouchure du ruisseau False dans la baie English, en Colombie-Britannique, donc dans les eaux intérieures de cette province, et je ne vois pas pourquoi une demande déposée en vertu de l’al. d) de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale ne devrait pas être régie par le droit provincial sur la répartition de la faute. Je suis donc d’avis que les dispositions du Contributory Negligence Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1960, c. 74, art. 2, s’appliquent à cet abordage et que la responsabilité de réparer les dommages résultant du décès de Charles Stein doit être proportionnelle à la faute de chaque navire.
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A la lumière de tout ce qui précède, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, de rétablir le jugement du savant juge de première instance et de statuer que les appelants sont fondés à recouvrer 75 pour cent des dommages déjà évalués à $160,000.
L’intimé Helsing est fondé à limiter sa responsabilité conformément aux dispositions du par. (1) de l’art. 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada et, à cette fin, le calcul doit s’effectuer sur la base de la somme des jauges du remorqueur et de la péniche, soit 600 tonneaux.
Les appelants ont droit à leurs dépens en cette Cour et en Cour d’appel.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: MacRae, Montgomery, Spring & Cunningham, Vancouver.
Procureurs des défendeurs, intimés: Bull, Housser & Tupper, Vancouver.
[1] [1974] 1 C.F. 657.
[2] [1927] A.C. 37.
[3] (1880), 4 Asp. M.L.C. 321.
[4] [1960] R.C.S. 210.
[5] [1919] S.C. (H.L.) 35.
[6] [1935] A.C. 243.
[7] [1927] A.C. 145.
[8] [1925] R.C.E. 39.
[9] [1924] A.C. 100.
[10] [1912] A.C. 634.
[11] [1951] R.C.S. 396.
[12] [1964] R.C.E. 505.
Parties
Demandeurs :
Stein et al.Défendeurs :
‘Kathy K’ et al. (The Ship)Proposition de citation de la décision:
Stein et al. c. ‘Kathy K’ et al. (The Ship), [1976] 2 R.C.S. 802 (7 octobre 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-10-07;.1976..2.r.c.s..802