Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 659
Date de la décision :
04/12/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli
Analyses
Vente de marchandises - Calcul du poids de l’acier - Interprétation erronée du contrat - Imprécision de la méthode du tirant d’eau - Inadmissibilité de la preuve par ouï-dire - Loi sur les poids et mesures, S.R.C. 1970, c. W-7.
Plusieurs contrats pour la construction d’installations portuaires, stipulant entre autres la fourniture d’acier, ont été donnés par l’appelante à l’intimée. Cette dernière a obtenu en Cour supérieure un jugement contre l’appelante pour $594,856.08 et le rejet de la demande reconventionnelle. Un arrêt majoritaire de la Cour d’appel a confirmé cette décision. Le juge dissident aurait retranché une somme de $120,800.61, soit la majeure partie d’une facture de $130,754.61 pour acier additionnel fourni conformément au contrat n° 7. Le point en litige, qui fait l’objet de la dissidence du juge Hyde de la Cour d’appel, porte sur la façon de calculer l’acier supplémentaire livré en vertu du contrat n° 7, compte tenu des clauses pertinentes. Ce contrat stipulait un prix à forfait pour une certaine quantité d’acier mais prévoyait également que «si le poids final à l’expédition différait du tonnage stipulé», ce prix serait réduit ou augmenté selon certains taux, variant selon la nature de l’acier. Pour en arriver à la somme de $130,754.61, l’intimée a calculé l’acier supplémentaire fourni en se basant sur la méthode du tirant d’eau. Selon le juge de première instance, cette méthode avait été stipulée entre les parties pour le contrat n° 7 et il fallait donc s’y référer. La Cour d’appel a été unanime à dire qu’il y avait là erreur d’interprétation du juge de première instance mais la majorité a décidé que cette méthode, même si elle n’avait pas été stipulée par les parties, demeurait la méthode la mieux appropriée aux circonstances et confirmé les conclusions de la Cour supérieure. D’où le pourvoi devant cette Cour.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.
Alors que d’autres contrats entre les parties (les contrats 6 et 12) stipulent une méthode de calcul du poids
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de l’acier, méthode dite C.I.S.C., le contrat qui fait l’objet du litige est silencieux à ce sujet. Lorsque le contrat parle du poids à l’expédition, il n’envisage pas la méthode du tirant d’eau. Pour le juge de première instance, qui a accepté la prétention que cette méthode était celle voulue par les parties, il n’y a pas eu lieu d’apprécier la preuve de l’appelante sur la précision de cette méthode.
En revanche, une fois admis que le contrat est silencieux sur la façon de déterminer le poids de l’acier vendu et livré, il faut appliquer les règles générales des contrats commerciaux. Normalement dans ce genre de contrats, lorsqu’on parle du poids des marchandises à livrer, cela s’entend du poids déterminé par une pesée sur une balance vérifiée conformément à la Loi sur les poids et mesures. Même si en l’espèce le vendeur, Davie, n’avait pas de balance pour peser les grosses pièces d’acier expédiées par eau, il lui incombait de prouver que la méthode utilisée était normale en pareille circonstance et commercialement acceptable pour déterminer le poids de la structure d’acier.
Les témoins sont unanimes à reconnaître que la méthode du tirant d’eau est tout à fait imprécise et qu’en pratique elle n’est jamais utilisée pour calculer le poids de l’acier ou d’autres marchandises de grande valeur. La méthode est aussi incompatible avec la clause du contrat prévoyant trois prix différents pour l’acier additionnel, selon les catégories.
Au procès, la demanderesse Davie s’est fondée exclusivement pour faire la preuve de ses calculs sur un document préparé par un nommé J.R. Josslyn, alors décédé. Il s’agissait donc d’une preuve par ouï-dire inadmissible à moins que le document puisse faire l’objet d’une exception. Or le document ne faisait pas état de constatations mais de conclusions, sans qu’on puisse y retracer et y vérifier les calculs faits pour en venir au résultat consigné. Il ne s’agit pas d’une situation ou par suite du décès inopiné d’un employé une entreprise se verrait complètement empêchée de faire la preuve d’une réclamation puisque l’ouvrage érigé pour le compte de l’appelante est toujours là et que rien n’empêchait l’intimée d’en établir le poids par la mesure des pièces, ce qui est la méthode ordinaire pour les structures d’acier.
La méthode du tirant d’eau n’ayant pas été stipulée pour le calcul du poids de l’acier livré et la preuve des conclusions de Josslyn n’étant pas admissible, il se trouve donc qu’on n’a pas d’autre preuve du poids que celle qui a été présentée par le témoin Armstrong pour le compte de l’appelante. Selon ce dernier, le poids additionnel d’acier est de quelque 21 tonnes et la réclamation sous ce chef est donc réduite de $130,754.61 à $5,447.60.
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La demande reconventionnelle ne soulevant que des questions de fait sur lesquelles les cours du Québec ont été d’accord, il n’y a pas lieu d’intervenir.
Arrêts mentionnés: Royal Victoria Hospital et al. c. Mary Morrow, [1974] R.C.S. 501; Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec confirmant un jugement de la Cour supérieure condamnant l’appelante à payer à l’intimée la somme de $594,856.08 et rejetant la demande reconventionnelle de l’appelante. Pourvoi accueilli et jugement de la Cour supérieure modifié en réduisant de $125,307 le montant de la condamnation.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure accueillant la poursuite de l’intimée Davie Shipbuilding Limited («Davie») pour la somme de $594,856.08 et rejetant la demande reconventionnelle de l’appelante Cargill Grain Limited («Cargill»). Le juge Hyde, dissident, aurait retranché de la condamnation, en outre d’un petit montant de $984.66, une somme de $120,800.61, soit la majeure partie d’une facture de $130,754.61 pour acier additionnel.
Par son factum et sa plaidoirie à l’audition, Cargill a limité son pourvoi à deux points: (1) la somme de $130,754.61; (2) la demande reconventionnelle.
Quant à la demande reconventionnelle qui est fondée sur de prétendues défectuosités, nous sommes en présence de conclusions concordantes des tribunaux du Québec sur les questions de fait qui en ont motivé le rejet. Cargill n’a vraiment soulevé aucune question de droit à ce sujet et elle n’a fait voir aucune erreur manifeste susceptible de justifier l’intervention de cette Cour. Cette partie du pourvoi ne mérite donc pas qu’on s’y arrête davantage.
Il en est autrement de la somme qui fait l’objet de la dissidence du juge Hyde. Ainsi que les juges qui ont entendu l’affaire en Cour d’appel sont unanimes à le reconnaître, le premier juge s’est mépris sur le sens du contrat en vertu duquel
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Davie a réclamé la somme de $130,754.61 dont il s’agit. De plus, il s’est fondé pour l’accorder sur le résultat d’observations et de calculs faits par une personne qui est décédée avant l’enquête et dont les observations et calculs n’ont pas été conservés. Il y a donc lieu d’exposer les faits essentiels relatifs à cette partie du litige.
Au printemps de 1959, Cargill avait décidé d’ériger à Baie Comeau des installations portuaires de réception et d’expédition de grain. Elle a donné à Davie plusieurs contrats, entre autres celui qu’on a appelé «le contrat n° 7» en date du 3 avril 1959 pour la construction de l’entrepôt n° 1. Ce contrat stipule un prix à forfait, mais un paiement additionnel est prévu pour le cas où le poids total d’acier expédié dépasserait les prévisions. Les deux clauses pertinentes se lisent comme suit:
[TRADUCTION]
3. TONNAGE
L’offre est basée sur le poids suivant à l’expédition, boulons de montage, etc. … compris,
a) Fourni par l’entrepreneur
1,247 tonnes
b) Fourni par le propriétaire
1,207 tonnes
TOTAL
2,454 tonnes
4. RAJUSTEMENT AUX PRIX UNITAIRES
Si le poids final à l’expédition diffère du tonnage stipulé, le prix à forfait sera réduit ou augmenté, selon les taux unitaires suivants:
Tôle
$264.00 la tonne
Acier de structure
$237.00 la tonne
Autre acier
$403.00 la tonne
Le mot «tonne» signifie la petite tonne de 2,000 livres.
Les contrats n° 6 et n° 12 n’ont pas été rédigés de la même manière que le contrat n° 7. Dans le premier, on trouve, relativement à la structure d’acier seulement et non aux trémies etc. pour lesquelles seul un prix fixe est stipulé, la disposition suivante:
[TRADUCTION]
ARTICLE 102 —
Supplément, ou déduction, à l’article 101 pour les modifications changeant le poids total d’acier stipulé à l’article 101.
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La différence entre le poids total stipulé à l’article 101 et le poids total effectivement fourni, sera la quantité servant au calcul du paiement prévu à l’article 102. Les mesures pour ce calcul s’effectueront selon la méthode décrite au bulletin technique C.I.S.C., n° 12, Partie 3 intitulée «Calcul du poids pour les soumissions au prix la livre».
Il y a dans le contrat n° 12 une disposition semblable relativement à certains articles. La méthode de calcul dite C.I.S.C. consiste à déterminer le poids des pièces d’après leur volume en partant de la densité de l’acier fixée à 0.2833 lb. par pouce cube. Le volume est compté selon les dimensions théoriques des pièces sans déduction pour les rognures.
A ce sujet, le premier juge a écrit avant de citer les textes:
L’ajustement des prix forfaitaires stipulés dans les trois contrats se fait sous deux bases différentes. En vertu des contrats 6 et 12, le calcul se fait sur les plans, en faisant le cubage de l’acier ou du fer utilisé et en en établissant la pesanteur selon la méthode décrite au contrat et que l’on appelle C.I.S.C. partie 3 du bulletin n° 12. Les experts établissent très facilement la pesanteur de l’acier qui entre dans une construction quelconque d’après cette méthode.
Une méthode différente a été adoptée pour le calcul de l’acier entré dans la construction du contrat n° 7. Les parties y ont stipulé la méthode du tirant d’eau des navires sur lesquels l’acier est chargé. Il s’agit de lire l’échelle d’étiage avant et après le chargement de l’acier. L’on trouve, selon cette méthode, de combien le navire s’est enfoncé dans l’eau. Connaissant la grosseur du navire et la pesanteur des diverses choses qui peuvent s’y trouver, qui ne sont pas de l’acier transporté et qui, par conséquent, ne doivent pas entrer dans le calcul, les experts établissent le poids de l’acier ainsi transporté.
L’on n’a pas à discuter si ces méthodes sont précises ou non. Puisque les parties ont stipulé dans les contrats que ces méthodes s’appliquaient, c’est à ces méthodes qu’il faut se référer. (Italiques et soulignés de moi).
Ensuite, après avoir cité les textes et statué sur la réclamation relative aux contrats nos 6 et 12 qui n’est plus contestée, le premier juge a ajouté:
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La situation est cependant différente pour le contrat 7. Comme dans les autres contrats, un prix forfaitaire a été stipulé en se basant sur une évaluation approximative. Puis le contrat continue en disant que la pesanteur totale de l’acier utilisé pour exécuter ce contrat sera établie par la méthode de tirant d’eau. Voici en quoi consiste cette méthode. Sur le flanc du navire se trouve une échelle graduée qui indique l’enfoncement du navire dans l’eau. Plus la charge est considérable, plus l’enfoncement est grand. La lecture de l’échelle se fait avant et après le chargement. Des experts déterminent facilement la pesanteur du chargement en prenant en considération la grosseur du navire, le degré d’enfoncement de celui-ci et la pesanteur des diverses choses qui peuvent avoir été mises dans le navire mais qui ne font pas partie du chargement par exemple, des camions, des grues mécaniques, des outils divers. (Italiques de moi).
La Cour d’appel est unanime à reconnaître qu’il y a là une erreur d’interprétation. Le juge Deschênes dit:
Au départ, il faut reconnaître avec l’Appelante que le premier juge a commis une erreur d’interprétation du contrat numéro 7 quand il écrit:
(texte des deux passages en italiques dans les citations ci-dessus).
En toute déférence, comme le souligne mon collègue Monsieur le Juge Rinfret, il faut plutôt tenir que le contrat est silencieux sur la méthode de calcul qu’il fallait employer alors que les autres contrats stipulaient une méthode précise. Il incombait alors à l’intimée d’employer la méthode la mieux appropriée aux circonstances: vu l’énormité de plusieurs pièces requises au contrat, on décida avec raison d’avoir recours à la méthode du tirant d’eau. La Cour et les parties doivent-elles en perdre le bénéfice parce que l’architecte Josslyn est décédé entre les événements pertinents et le procès?
C’est avec raison, dans mon opinion, que le premier juge a décidé dans la négative et je fais mien son raisonnement ainsi que les autorités sur lesquelles il s’est appuyé.
Comme on le voit, tout en reconnaissant l’erreur fondamentale du premier juge, la majorité en appel retient néanmoins ses conclusions. A mon avis, le juge Hyde, dissident, a raison de dire au contraire:
[TRADUCTION] Toutefois, le contrat n° 7 ne parle pas de la méthode et nous ne pouvons nous fonder que sur l’expression «poids final à l’expédition» utilisée dans la clause 4 citée précédemment. Selon Davie, les 2,960 tonnes qu’elle prétend avoir livrées aux termes de ce
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contrat, ont toutes, à l’exception de quelque 80 tonnes, été expédiées par bateau de son chantier à Lauzon à celui de Baie Comeau (voir pièce P-257 et les factures déposées en liasse sous la cote P-78).
L’emploi de balances, publiques ou autres, aurait assurément permis de déterminer les poids avec la meilleure précision, mais, selon Davie, cette façon de procéder était impraticable vu la dimension et la forme d’un certain nombre de pièces; de plus, chose étrange à dire, le chantier de Davie n’était pas équipé de balances (Veliotis 5-868). La méthode du tirant d’eau des bateaux a donc été utilisée pour les calculs. Veliotis (le vice-président de Davie) décrit en ces termes la méthode suivie (5-800):
«Le poids à l’expédition de chaque cargaison était calculé selon la méthode que j’ai décrite — soit le déplacement additionnel du navire. Du poids total ainsi obtenu était soustrait le poids des quantités d’acier facturées séparément, ainsi que le poids alloué pour le fardage, le blocage et tous autres objets exclus du contrat. Je crois que l’on est arrivé à un poids total, un poids total net, d’environ 5,920,000 livres.»
il a donné cela comme étant «conforme au contrat». C’est peut-être ce commentaire qui a induit le juge de première instance en erreur, l’amenant ainsi à déclarer que les parties avaient stipulé dans le contrat que le poids serait déterminé selon «la méthode de tirant d’eau».
Cette erreur est lourde de conséquence comme l’indiquent les conclusions que le juge a formulées après avoir décrit cette méthode de pesée:
«L’on n’a pas à discuter si ces méthodes sont précises ou non. Puisque les parties ont stipulé dans les contrats que ces méthodes s’appliquaient, c’est à ces méthodes qu’il faut se référer.»
Le passage cité démontre que le premier juge a tout simplement refusé de considérer la preuve faite par Cargill sur l’imprécision de la «méthode du tirant d’eau». Il a accepté la prétention de Davie à l’effet que c’était la méthode stipulée au contrat. On en convient aujourd’hui, c’est une erreur. Le contrat ne dit pas comment la quantité d’acier livrée sera mesurée. Il dit seulement «shipping weight», c’est-à-dire le poids à l’expédition.
Normalement, quand on parle dans un contrat commercial du poids des marchandises à livrer, cela s’entend du poids déterminé par une pesée sur une balance vérifiée conformément à la Loi sur les
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poids et mesures (S.R.C. c. W-7). Ainsi, même pour des marchandises qui ne valent que quelques dollars la tonne, comme le sable ou la pierre concassée, le vendeur fournit invariablement à l’acheteur un certificat de pesée pour chaque livraison. Ici cependant, Davie n’avait pas de balance pour peser les grosses pièces qu’elle expédiait par eau de Lauzon à Baie Comeau. Dans ces conditions, elle a pris pour acquis qu’elle pouvait déterminer le poids de la marchandise expédiée suivant ce que l’on a appelé la méthode du tirant d’eau. Il me semble clair que, vu qu’elle était demanderesse en l’instance, il lui appartenait de prouver qu’il s’agissait d’une méthode normale en pareille circonstance. Ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a pris l’attitude erronée que c’est ce que le contrat prévoyait et le premier juge a erronément admis cette prétention.
En appel, on a été unanime à reconnaître que c’était une erreur mais la majorité, comme on l’a vu, a néanmoins retenu la conclusion du premier juge. Voici l’essentiel du raisonnement fait à ce sujet par le juge Rinfret:
Il s’agissait de pièces de fortes dimensions dont la pesée s’avérait impossible après l’assemblage, et qui devaient être expédiées par bateau: moyen de transport évidemment le plus pratique et le plus économique tant pour l’expéditeur Davie que pour le récipiendaire à Baie Comeau, car toutes deux avaient des facilités portuaires excellentes. Le contrat n’exclut d’ailleurs pas le transport par eau.
Dans ces circonstances, il a paru plus simple et plus utile de procéder à la pesée des expéditions d’acier par la méthode dite du tirant d’eau.
Je n’ai rien à reprendre à l’explication qu’en donne le juge de première instance:
(texte suivant la partie en italiques de la seconde citation ci-dessus).
Réduite à sa plus simple expression, la méthode consiste à mesurer le poids du chargement, d’après la différence entre la pesanteur du bateau allège et celle du bateau une fois chargé.
Sur la question de la valeur de la méthode du tirant d’eau, la défenderesse-appelante a fait entendre quatre témoins, MM. Kuscher, Armstrong, Simard et Perry.
Certains l’ont écartée péremptoirement comme étant totalement inefficace; d’autres, moins intransigeants, ont admis que, dans certaines circonstances, comme, par
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exemple, pour une cargaison en vrac de valeur relativement moindre, elle pouvait être utilisée et que le degré d’exactitude de la pesée s’approcherait à 1% de la réalité.
Comme le juge de première instance, je m’étonne que l’on ait fait une distinction entre la cargaison de valeur moindre et celle de plus grande valeur; si la pesée est exacte à 1% dans un cas, pourquoi ne la serait-elle pas dans l’autre? La valeur pécuniaire n’entre pas ici en jeu.
Avec respect, ce raisonnement me paraît fautif. Le premier juge a écarté la question de la valeur parce qu’il a considéré que le contrat stipulait la méthode du tirant d’eau. Mais dès que l’on admet que ce n’est pas ce que le contrat stipule, alors il devient évident que la valeur de la marchandise est un facteur important lorsqu’il s’agit de décider si une certaine méthode de mesure est d’une précision acceptable. Davie n’a pas tenté de prouver que la méthode du tirant d’eau était commercialement acceptable pour déterminer le poids de structures d’acier.
Le témoin qui a dit que la méthode du tirant d’eau est parfois stipulée pour des marchandises en vrac de faible valeur, c’est le capitaine Kuscher. C’est un véritable expert dans le domaine. Il a produit la formule dont il se sert pour déterminer avec une précision acceptable, le poids de cargaisons en vrac en partant du tirant d’eau. Cette formule couvre une pleine page grand format et requiert une autre feuille pour les provisions et le lest. Quand ou lui a exhibé les pièces d’après lesquelles Davie a prétendu déterminer le poids de l’acier livré à Cargill, il a déclaré catégoriquement que dans de telles conditions, une précision acceptable était tout à fait impossible à obtenir. D’après lui, la marge d’erreur pour certains chargements était plus grande que le poids calculé pour le contrat n° 7.
Quant au témoin Armstrong, voici ce qu’il a répondu:
[TRADUCTION] Q. Maintenant dites-moi, n’est-il pas également possible de calculer le poids à l’expédition de l’acier en utilisant la méthode du tirant d’eau?
R. A mon avis, il est impossible, en utilisant cette méthode, de déterminer quoi que ce soit, ne serait-ce qu’un poids approximatif. Il y a trop d’impondérables.
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Q. Au cours de votre longue expérience, avez-vous déjà connu des cas où l’on a utilisé la méthode du tirant d’eau d’un navire pour déterminer le poids d’une cargaison d’acier?
R. Jamais.
Le témoin Simard a eu connaissance du dernier chargement d’acier du contrat n° 7 expédié par Davie à Baie Comeau. Il affirme n’avoir jamais utilisé la méthode du tirant d’eau et ajoute que lors de ce dernier chargement, il ne restait sur le navire aucune marque que l’on pouvait utiliser à cette fin parce qu’il avait navigué dans la glace. Le connaissement porte 42.6 tonnes alors que le tableau d’après lequel la réclamation a été établie en indique 69.
Enfin, quant au témoin Perry, il a dit:
[TRADUCTION] … pour facturer de l’acier de structure, c’est franchement inimaginable. Je ne puis concevoir l’utilisation de la méthode du tirant d’eau d’un navire pour autre chose qu’une cargaison complète d’une marchandise de peu de valeur.
Il faut donc dire qu’il n’y a absolument aucune preuve à l’effet que la méthode du tirant d’eau serait commercialement utilisable pour fixer le poids de structures d’acier expédiées par eau. Avec respect, je vois une erreur caractérisée dans l’affirmation que puisque certains témoins admettent que la méthode s’utilise parfois pour des marchandises de peu de valeur, on doit la considérer acceptable pour des marchandises de grande valeur. Les témoins sont unanimes à dire exactement le contraire.
De plus, le contrat me paraît exclure implicitement toute utilisation de la méthode du tirant d’eau en stipulant, non pas un seul prix pour la quantité additionnelle d’acier, mais trois prix différents selon qu’il s’agit de tôle, de pièces d’acier de structure ou d’autres pièces. En stipulant trois prix différents, on a évidemment voulu que le supplément de prix soit déterminé suivant le poids additionnel pour chacune des trois catégories. Or, la méthode du tirant d’eau ne permet aucune distinction, elle fournit un chiffre total pour le poids de la cargaison. En s’en servant, on n’a donc pas pu faire le calcul de la façon prévue au contrat et on a dû prendre une moyenne. Le juge Rinfret dit à ce sujet:
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L’appelante s’objecte à ce que le taux chargé soit un taux moyen de $258.18 la tonne additionnelle et soutient que l’on devrait s’en tenir au taux le plus bas de $237.00.
Je ne vois aucun mérite à cette prétention: il semble en effet que le chiffre de $258.18 est la résultante d’un calcul basé sur la proportion de chaque genre d’acier transporté: [TRADUCTION] «Parement à gradins, 34%; pièces détachées d’acier de structure, 17% et cintres tubulaires, 49% du poids total.»
Avec respect, je vois là un illogisme. En effet, comment a-t-on déterminé les proportions de genres d’acier transporté sinon par un calcul du poids en partant des quantités et des dimensions comme on l’a fait, d’ailleurs, pour l’acier utilisé pour les contrats nos 6 et 12. En réalité, Davie n’a pas vraiment établi sa facture suivant la méthode du tirant d’eau. Elle n’a eu recours à cette méthode que pour établir le poids total. Pour déterminer le prix eu égard aux catégories diverses stipulées au contrat, elle a dû avoir recours à une autre méthode.
Ce n’est pas tout. La majeure partie des pièces d’acier fournies en exécution des contrats nos 6 et 12 a été expédiée par eau dans des chargements où il y avait également des pièces relatives au contrat n° 7. La méthode du tirant d’eau ne donnant qu’un poids global, il a nécessairement fallu soustraire le poids des pièces relatives aux autres contrats pour en venir à calculer ce qui avait trait au contrat n° 7. Le poids de ces autres pièces a été établi par le procédé stipulé, c’est-à-dire le volume multiplié par la densité de l’acier. Le résultat de cette manière de procéder c’est qu’en réalité, le poids du tout a été déterminé par la méthode du tirant d’eau. On a bien facturé pour deux contrats selon le calcul basé sur le volume des pièces mais, comme on a imputé le reste au contrat n° 7, on se trouve à avoir réclamé en définitive le poids établi par la méthode du tirant d’eau pour tout ce qui a été livré par eau.
Il importe de souligner que les connaissements pour les expéditions par eau ne comportent qu’un
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chiffre global pour les pièces d’acier. Les listes qui y sont annexées n’indiquent pas à quel contrat elles se rapportent. Il est possible que cela puisse se déduire du numéro attribué aux pièces, mais rien ne le fait voir et rien n’établit la corrélation. Quoi qu’il en soit, l’attitude prise par Cargill au procès a été qu’elle ne se fondait pas sur les connaissements pour établir sa réclamation. Elle s’est fondée exclusivement pour tout ce qui a été expédié par eau, sur un document intitulé [TRADUCTION] «Relevé des expéditions à Baie Comeau, arrêté le 31 décembre 1959» préparé par un nommé J.R. Josslyn, un architecte naval qui était alors à son emploi. Ce document indique en tonnes la quantité d’acier expédié à chaque voyage imputable à chacun des trois contrats. Il ne fait pas voir comment on en est arrivé à ce résultat. Au procès, Davie s’est déclarée incapable de fournir les données d’après lesquelles on en est arrivé à ces chiffres ainsi que les calculs effectués pour y parvenir. Ces calculs sont évidemment complexes. Il suffit pour s’en rendre compte de jeter un coup d’oeil sur le document produit par le témoin Kuscher. Malgré cela, le premier juge et la majorité en Cour d’appel ont admis la preuve faite en partant de ce document.
Dans Royal Victoria Hospital et la Succession de feu Ewen Cameron c. Mary Morrow[1], la Cour a statué qu’en règle générale la preuve par ouï-dire est inadmissible au Québec. Le document dont il s’agit, comme ceux qui ont été établis en partant des données qu’on y trouve, ne pouvait donc être reçu qu’à la faveur d’une exception. Ainsi que le juge Hyde le fait observer, le cas présent n’est pas de la même nature que celui qui a fait l’objet de la décision de cette Cour dans Ares c. Venner[2], une affaire de la Colombie-britannique. Ce que l’on a déclaré admissible en l’occurrence ce sont des écrits constatant des faits observés par un préposé dans l’exercice de ses fonctions et immédiatement consignés par écrit. Ici, on n’a aucun écrit où seraient consignés les faits constatés par Josslyn: le tirant d’eau au début et à la fin de chaque chargement et les autres données nécessaires pour calculer le poids de l’acier chargé. De même, on n’a pas
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retracé les calculs faits pour en venir au résultat consigné dans la pièce produite. Il ne s’agit donc pas de constatations mais de conclusions. En définitive, si l’on admet le document préparé par Josslyn, cela signifie que ce préposé de Davie se trouve à avoir statué sur le point en litige en faisant le calcul de la quantité d’acier expédié sans que cela puisse être vérifié.
De toute façon, je ne crois pas qu’ici le contrat permette à Davie de réclamer un poids établi suivant la méthode du tirant d’eau. C’est en vain qu’on fait valoir qu’un représentant de la firme d’ingénieurs-conseils chargée de la surveillance de l’exécution du contrat pour le compte de Cargill n’aurait pas fait objection à la méthode du tirant d’eau la première fois qu’on lui en a parlé. Le fait est que cette firme n’a jamais consenti à approuver les factures établies sur cette base. On dit qu’on leur a fourni une abondante documentation, mais jamais on ne paraît leur avoir fourni les données et les calculs détaillés selon lesquels Josslyn aurait établi la réclamation. On nous dit qu’il y a avait un nombre immense de documents et qu’une grande entreprise commerciale ne peut pas indéfiniment tout conserver. Cela ne me paraît pas être un argument à retenir. Dans le cas présent, l’on savait pertinemment qu’il y aurait litige puisque les ingénieurs-conseils avaient refusé d’approuver la facture quand elle leur a été présentée et persisté dans ce refus.
On ne saurait voir ici une situation où, par suite du décès inopiné d’un employé, une entreprise se verrait complètement empêchée de faire la preuve d’une réclamation. L’ouvrage érigé pour le compte de Cargill est toujours là, de même que les plans d’exécution et les dessins d’atelier. Rien n’empêchait Davie d’en établir le poids par la mesure des pièces, ce qui est la méthode ordinaire pour les structures d’acier. Elle ne l’a pas fait. Même si les écrits de Josslyn étaient complets, il faut se demander s’ils auraient été admissibles vu l’existence de cette autre méthode simple et praticable. Le cas échéant, il faudrait se pencher sur cette question. La méthode du tirant d’eau n’ayant pas été stipulée pour le calcul du poids de l’acier livré et la preuve des conclusions de Josslyn n’étant pas admissible, il se trouve donc qu’on n’a pas d’autre
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preuve du poids que celle qui a été présentée par le témoin Armstrong pour le compte de Cargill Celui-ci n’a pas suivi exactement la méthode C.I.S.C. Vu la stipulation du poids à l’expédition, il a cru devoir retrancher les rognures en calculant le volume des pièces de façon à s’approcher le plus possible du poids qu’une balance eut indiqué.
Dans ces circonstances, je crois que le juge Hyde a raison de soutenir que c’est au poids ainsi calculé qu’il faut s’arrêter. Cependant, il fait erreur, en disant qu’il faut fixer le prix au chiffre le plus bas prévu à la convention, soit $237 la tonne. Dès que l’on reconnaît comme acceptable le procédé de détermination du poids en partant de la mesure des pièces, il y a lieu d’accepter la moyenne de $258.18 établie par Davie sur cette base-là. En effet, cette moyenne n’est pas une moyenne arithmétique mais bien une moyenne pondérée établie suivant la proportion de chaque catégorie d’acier dans l’ensemble de la structure. D’un autre côté, l’excédent de poids établi par l’expert de Cargill n’est pas de 42 tonnes, mais de 42,209 lbs. ce qui fait 21.1 tonnes, c’est-à-dire à $258.18 la tonne, $5,447.60. Je conclus donc qu’il y a lieu de réduire à ce chiffre la somme de $130,754.61 accordée à Davie pour excédent de poids d’acier sur le contrat n° 7, ce qui signifie une réduction de $125,307.
Tout considéré, il ne me paraît pas y avoir lieu d’accorder de dépens en appel et en cette Cour.
Pour ces motifs je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de modifier le jugement de la Cour supérieure en réduisant de $125,307 le montant de la condamnation, sans dépens en cette Cour et en Cour d’appel.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelante: Ahern, de Brabant, Nuss & Drymer, Montréal et P. Casgrain, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, et H. Hansard, Montréal.
[1] [1974] R.C.S. 501.
[2] [1970] R.C.S. 608.
Parties
Demandeurs :
Cargill Grain Ltd.Défendeurs :
Davie Shipbuilding Ltd.Proposition de citation de la décision:
Cargill Grain Ltd. c. Davie Shipbuilding Ltd., [1977] 1 R.C.S. 659 (4 décembre 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-12-04;.1977..1.r.c.s..659