Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 758
Date de la décision :
04/12/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être rejeté
Analyses
Contrats - Contrat de construction - Retard dans l’exécution des travaux résultant d’une erreur dans les plans - Responsabilité de l’architecte - Responsabilité contractuelle ou délictuelle - Faute de l’ingénieur consulté par l’architecte - Code civil, art. 1053, 1688 et 1689.
L’appelante, un entrepreneur, a construit à forfait un centre récréatif pour la ville de Pointe-Claire qui avait retenu les services de l’intimé, un architecte, pour préparer les plans et surveiller les travaux. Le représentant de ce dernier sur le chantier s’étant rendu compte que la charpente n’avait pas la résistance nécessaire, il en prévint l’intimé qui demanda à la firme d’ingénieurs qui avait fait les calculs de résistance de s’assurer que ceux-ci étaient exacts. La firme n’ayant point décelé d’erreur, l’intimé demanda qu’elle fasse vérifier les calculs par un homme de plus grande expérience. On s’aperçut alors qu’une erreur avait été commise et que pour obtenir une résistance suffisante il fallait renforcer considérablement la charpente. L’intimé modifia les plans et donna instructions à l’entrepreneur de faire les changements nécessaires, conformément aux stipulations du contrat. L’entrepreneur soumit, par la suite, sa réclamation pour les frais du changement, soit un montant total de $15,521.80. L’intimé recommanda à la ville de Pointe-Claire de payer à l’entrepreneur la somme de $4,159.32 pour matériaux et main-d’œuvre additionnels et l’avisa qu’elle n’avait pas à payer la réclamation de l’appelante pour le retard découlant des changements aux plans. L’appelante, alléguant la faute de l’intimé, a réclamé de ce dernier le montant impayé par la Ville. La Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel ont rejeté la réclamation. D’où le pourvoi à cette Cour.
Arrêt (Le juge de Grandpré étant dissident): Le pourvoi doit être rejeté.
Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson et Pigeon: En l’absence de tout lien d’ordre contractuel entre l’entrepreneur et l’architecte, l’appelante ne peut se fonder que sur l’art. 1053 C.c. La Ville ayant indemnisé l’appelante pour le coût des travaux additionnels
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nécessaires pour parfaire la construction, le recours pour le préjudice causé par la prolongation des travaux ne peut se fonder que sur la responsabilité délictuelle ou quasi‑délictuelle.
On ne peut assimiler la situation de l’entrepreneur à celle du consommateur qui achète un objet manufacturé. Si l’architecte n’est pas partie du contrat d’entreprise, il n’y est pas étranger. Entre l’entrepreneur et l’architecte, des fautes comme celle reprochée à ce dernier, font partie de l’exécution du contrat et ne peuvent être considérées comme des délits, à moins qu’elles ne soient des fautes lourdes.
Ce que l’appelante prétend faire, c’est recouvrer de l’agent (l’architecte intimé), auteur du dommage qu’elle a subi, la partie du préjudice qu’elle a convenu ne pouvoir recouvrer de celui avec lequel elle a contracté. En principe, les contrats n’ont d’effet qu’entre les parties, mais les actes de l’intimé dont l’appelante se plaint sont visés par les stipulations du contrat qui en prévoient les conséquences.
Il faut également tenir compte que si, sous le régime du contrat ou des art. 1688 et 1689, l’intimé ne saurait invoquer comme moyen de défense que ce sont les ingénieurs consultés qui ont commis la faute, il en va autrement dans le cadre de la responsabilité délictuelle. Dans cette responsabilité-là la règle est qu’on ne répond que de sa faute sauf dans certains cas d’exception, comme le commettant pour ses préposés ou employés, ce que les ingénieurs consultés par l’intimé ne sont sûrement pas ici.
Le juge de Grandpré, dissident: Les tribunaux du Québec se sont surtout appuyés sur des autorités de la common law pour refuser de reconnaître à l’appelante l’existence d’un recours délictuel contre l’intimé. Il y a toujours un danger d’utiliser dans une question de droit civil des autorités de droit anglais. En l’espèce, les parties n’ont cité aucune autorité québécoise exactement au point et aucune n’est connue. On peut donc librement référer à la doctrine et à la jurisprudence française qui ont reconnu au tiers étranger le droit de poursuivre l’entrepreneur et l’architecte. Ce droit apparaissant bien établi, il n’y a aucune raison qu’il n’appartienne pas aussi à l’entrepreneur si l’erreur de l’architecte lui a imposé un délai dommageable, puisqu’entre l’entrepreneur et l’architecte il n’y a pas de lien contractuel.
La convention entre la Ville et l’appelante n’a pas pour effet de modifier la situation entre l’entrepreneur et l’architecte qui demeure responsable de sa faute. La stipulation en faveur de l’entrepreneur ne peut bénéficier
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à l’architecte qui n’est pas partie au contrat. Rien non plus dans cette convention ne prévoit l’abandon de tout recours contre l’architecte en faute. Une telle renonciation étant une exception à la règle générale de responsabilité, elle devrait être exprimée en termes clairs, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Quant à la prétention que l’erreur n’est pas personnelle à l’architecte, elle ne peut être retenue puisque le contrat indique clairement que ce dernier est le seul responsable des plans et devis. D’ailleurs ce moyen ne s’appliquerait qu’à une portion des dommages, puisque, une fois l’erreur constatée, l’intimé aurait dû corriger les plans sans délai, ce qu’il n’a pas fait. La majeure partie du retard est donc imputable à l’architecte personnellement.
[Distinction faite avec les arrêts: Ross c. Dunstall (1921), 62 R.C.S. 393; J.G. Fitzpatrick Ltd. c. Brett et al., [1969] C.S. 144; arrêts mentionnés: Banque de Montréal c. Boston Ins. Co., [1963] B.R. 487, conf. par [1964] R.C.S. v; Dominion Electric Protection Co. Ltd. c. Alliance Ass’ce Co. Ltd. et al., [1967] B.R. 767, conf. par [1970] R.C.S. 168; Félizat c. Henry, S. 1879.1.374; Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562; Beaucamp-Wartel c. Léonardi de Galéa et Tournier, Gaz. Pal. 1929.1.150; Nova Scotia Construction c. La Commission des eaux courantes de Québec, [1933] R.C.S. 220, [1933] 2 D.R. 593; Prévert c. Lavigne, [1969] J.C.P. (Semaine juridique), n° 15937; Bilodeau c. A. Bergeron & Fils Ltée et Dominion Ready Mix Inc., [1975] 2 R.C.S. 345; N.Z. Shipping v. Satterthwaite Ltd., [1975] A.C. 154; The London & Lancashire Guarantee & Accident Co. of Canada c. La Compagnie F.X. Drolet, [1944] R.C.S. 82.]
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté la poursuite de l’appelante. Pourvoi rejeté, le juge de Grandpré étant dissident.
Louis Vaillancourt, c.r., pour l’appelante.
Alain Létourneau, pour l’intimé.
Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure rejetant la poursuite de l’appelante. Les motifs de la majorité ont été exposés par les juges Rinfret et Montgomery. Le juge Deschênes a été dissident.
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Par contrat à forfait en date du 15 février 1965, l’appelante s’était engagée comme entrepreneur à construire pour la ville de Pointe-Claire un centre récréatif dont l’intimé était l’architecte. Un des bâtiments devait abriter une piscine. Cet édifice ne comportait pas de murs latéraux. Un grand toit à deux pentes devait reposer directement sur les murs de fondation juste au-dessus du sol. Aux deux extrémités, on avait prévu des murs écrans en feuilles de contre-plaqué clouées de chaque côté d’une charpente légère en colombages. Ces murs étant de grande dimension, il était prévu que les colombages seraient en plusieurs bouts joints par des entures.
Du consentement de l’architecte montréalais qui surveillait les travaux pour le compte de l’intimé domicilié à Calgary, l’appelante utilisa des entremises au lieu des entures croyant ainsi obtenir une meilleure résistance. On ne tarda pas, cependant, à s’apercevoir qu’avec les dimensions prévues pour les colombages, les murs oscillaient dangereusement au moindre vent. L’architecte montréalais prévint aussitôt l’intimé que les murs écrans n’auraient pas une résistance suffisante avec les dimensions prévues pour les colombages.
L’intimé avait fait faire les calculs de résistance par une firme d’ingénieurs de Calgary. Il leur fit part des observations de son représentant mais les ingénieurs lui répondirent que leurs calculs étaient exacts et que la résistance des murs serait suffisante avec les dimensions prévues aux plans. L’intimé donna donc ordre de terminer la construction sans changement.
Sur les lieux, il était toutefois évident que la charpente en question avait une résistance insuffisante. L’architecte montréalais en informa l’intimé, celui-ci rappliqua chez les ingénieurs et insista pour faire vérifier les calculs par un homme de plus grande expérience. On s’aperçut alors qu’une erreur avait été commise et que pour obtenir une résistance suffisante, il fallait renforcer considérablement la charpente des murs. L’intimé prépara alors un plan de modifications comportant l’addition de pièces de bois de 2 po. par 8 po. et 2 po. par 6 po., avec un contre-plaqué plus fort cloué et collé. Cela fut transmis à l’appelante par l’architecte montréalais qui représentait l’intimé, avec
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une lettre en date du 21 juin 1965, lui donnant instructions de faire les changements. La lettre se termine comme ceci:
[TRADUCTION] NOUS vous avons envoyé sous autre pli trois copies du Plan #3154 SK-1 en date du 15 juin 1965. Selon notre conversation au chantier le 15 juin, nous désirons que les changements soient effectués au prix coûtant plus un pourcentage, d’après l’article 26D du contrat.
Les travaux prévus par le contrat de l’appelante avec la ville de Pointe-Claire devaient, d’après ses prévisions, se terminer le 20 juin 1965. Ils n’ont été parachevés que le 15 octobre. Ce n’est cependant que le 28 janvier 1966 que l’appelante présenta à l’architecte montréalais sa réclamation pour les frais du changement visé par la lettre du 21 juin 1965. Le montant total en était de $15,521.80 et il comprenait une somme de $9,760 pour le retard en découlant. Dans une lettre adressée à la Ville le 25 février 1966, l’architecte l’avisa que l’entrepreneur avait droit à $4,159.32 pour matériaux et main-d’œuvre additionnels. L’appelante protesta contre cette décision mais finalement, le 20 mai 1966, elle accepta le montant sous réserve en signant comme suit le document préparé par les fonctionnaires municipaux. Voici le texte:
[TRADUCTION] VILLE POINTE-CLAIRE
INSTRUCTIONS POUR TRAVAIL ADDITIONNEL
Entreprise N° 600 Date: le 17 mai 1966
Règlement N° 1009 Ordre de modification N°: 46
A: Vermont Construction Inc.
Nous vous ordonnons par la présente d’exécuter les travaux suivants:
Renforcer l’extrémité de l’édifice abritant la piscine conformément aux instructions de l’architecte et au plan révisé.
Devis de Vermont Construction Inc. en date du 1er février 1966.
Le prix de ces travaux s’établit comme suit:
Devis rectifié
$ 15,383.32
Moins $9,760.00, ainsi que les frais de 15% réclamés pour le délai occasionné par la décision sur les modifications
11,224.00
Somme à payer
$ 4,159.32
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Voir lettre de Chadwick, Pope & Edge,
architectes, en date du 25 février 1966
Autorisation:
J.P. Coombes
Ingénieur municipal Date: le 18 mai 1966
Sous réserve de réclamer le solde de
notre devis rectifié de $15,383.32 daté le 1er février 1966
Ordre de modification reçu et approuvé par:
P. Beetz
pour l’entrepreneur
Date: 20-05-66
Pour compléter l’exposé des faits, je citerai les dispositions suivantes du contrat:
[TRADUCTION] ARTICLE 25. Modifications.
Sans invalider le contrat, le propriétaire ou l’architecte peut modifier le travail à effectuer, l’accroître ou le diminuer, le prix du contrat étant alors modifié en conséquence. Ce travail doit être accompli aux conditions du contrat original, sauf la prorogation ou l’abrègement du délai d’exécution qui sera accordé sur demande quand les modifications en question seront ordonnées. Sous réserve de l’article 18, aucune modification ne sera faite sans un ordre écrit de l’architecte, et il n’y aura aucune augmentation ou diminution du prix du contrat sauf si elle est ainsi ordonnée et l’ordre doit en faire ou en prévoir l’évaluation conformément à l’article 26.
ARTICLE 26. Évaluation des modifications.
L’évaluation d’une modification doit être déterminée suivant une ou plusieurs des méthodes suivantes:
a) Par le calcul et l’acceptation d’une somme forfaitaire.
b) Par une entente fixant des prix unitaires.
c) Au prix coûtant plus un pourcentage ou au prix coûtant plus un honoraire déterminé.
d) Si on ne convient d’aucune de ces méthodes, la valeur doit être déterminée suivant la méthode prescrite à l’article 44 du présent contrat….
ARTICLE 35. Retards.
Si l’entrepreneur est retardé dans l’achèvement du travail par un acte ou une négligence du propriétaire, de l’architecte, d’un autre entrepreneur ou d’un de leurs employés, ou par une modification apportée au travail à effectuer, le délai d’achèvement sera prorogé pour le temps jugé raisonnable par l’architecte.
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Il convient maintenant d’ajouter que l’intimé, entendu comme témoin, a admis que le plan initial de l’édifice comportait une résistance insuffisante pour les murs écrans, qu’il y avait eu erreur de calcul par les ingénieurs et qu’il aurait pu s’en apercevoir s’il avait vérifié. S’il n’a pas vérifié c’est que suivant l’usage, il s’est fié aux ingénieurs qu’il avait consultés et qu’il considérait plus compétents que lui en matière de calculs de résistance.
Le juge du procès, après avoir relaté les faits, a dit:
Dans l’exercice de ses fonctions d’architecte, le défendeur n’agit que comme mandataire de la Cité de Pointe-Claire et il n’existe entre lui et la demanderesse aucun rapport contractuel. C’est donc dire que toute réclamation que la demanderesse pourrait faire à la suite de dommages subis dans l’exécution de son contrat doit être faite contre la Cité de Pointe-Claire, partie contractante et non contre son mandataire.
De plus, tel que la preuve l’a démontré, toutes les décisions prises et tous les actes posés se sont effectués en vertu des termes du contrat intervenu entre la Cité de Pointe-Claire et la demanderesse et ceci par voie d’ordre de changements et d’extras.
De plus, le contrat intervenu entre le propriétaire et l’architecte ne donne aucun droit à la demanderesse.
La demanderesse prétend qu’elle a un recours délictuel à l’encontre du défendeur.
La Cour, après avoir étudié les arguments soumis par les procureurs des parties sur ce recours délictuel et examiné la jurisprudence ci-après citée, en vient à la conclusion que, dans le présent cas, la demanderesse n’a aucun recours sur le plan délictuel contre le défendeur.
En appel, l’avocat de l’appelante reprocha au premier juge d’avoir cité dans la jurisprudence sur laquelle il s’est fondé uniquement des décisions rendues sous la common law. Les juges Rinfret et Montgomery n’y trouvèrent en l’occurrence aucune erreur ne voyant pas de différence essentielle entre le droit civil et la common law sur ce point-là. C’est le juge Deschênes, dissident, qui a le plus longuement étudié l’affaire. Après avoir cité plusieurs arrêts sur le danger de recourir à des précédents fondés sur un autre système juridique,
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il a résumé deux arrêts récents où, en partant de Ross c. Dunstall[1], on a admis la possibilité théorique de la co-existence du recours délictuel et du recours contractuel: Banque de Montréal c. Boston Insurance Company[2], Dominion Electric Protection Company Limited c. Alliance Assurance Company Limited et al.[3]. Ensuite, il a examiné l’affaire à la lumière des art. 1688 et 1689 C.c. qui se lisent comme suit:
Art. 1688. Si l’édifice périt en tout ou en partie dans les cinq ans, par le vice de la construction ou même par le vice du sol, l’architecte qui surveille l’ouvrage et l’entrepreneur sont responsables de la perte conjointement et solidairement.
Art. 1689. Si, dans le cas de l’article précédent, l’architecte ne surveille pas l’ouvrage, il n’est responsable que de la perte occasionnée par les défauts ou erreurs du plan qu’il a fourni.
Sur ce point-là, le juge Deschênes a conclu comme suit:
Il me paraît donc clair que, malgré l’absence de tout lien d’ordre strictement contractuel entre l’entrepreneur et l’architecte, l’entrepreneur possède un recours de nature extracontractuelle contre l’architecte si la faute de celui-ci, dans l’exécution de son obligation contractuelle envers le propriétaire, a eu pour résultat d’obliger l’entrepreneur à effectuer des travaux additionnels afin de parfaire l’ouvrage aux désirs de son propre contrat avec le propriétaire: art. 1688, 1118 et 1120 C.c.
Mais ce recours se limite au montant de la perte, comme le veut l’article 1688 i.e. en thèse générale, au coût de reconstruction de l’ouvrage détruit ou des travaux additionnels nécessaires pour le parfaire en conformité des règles de l’art. Or, ce n’est pas là l’objet de l’action instituée par Vermont.
Au contraire, tenue d’effectuer des travaux supplémentaires et correctifs, Vermont en a demandé paiement à la Ville qui, loin d’en tenir rigueur à Vermont, a accédé à sa requête et a remboursé à Vermont le coût de ces réfections en hommes et en matériel.
Entre Vermont et Beatson, l’effet de l’article 1688 est donc épuisé. …
Après cela, passant à l’examen du recours fondé sur le principe général de la responsabilité délic-
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tuelle ou quasi-délictuelle, l’art. 1053 C.c., il a dit notamment:
Il faut d’ailleurs être réaliste et ne pas se voiler les yeux devant la vérité des choses. L’entrepreneur devait construire suivant les plans de l’architecte retenu par la Ville et il était fondé de se reposer sur la compétence de cet architecte. Celui-ci, d’autre part, ne travaillait pas simplement en théorie. Il savait que les plans qu’il devait préparer serviraient à une fin spécifique et qu’un entrepreneur serait chargé de les faire passer de l’étape de l’idée à celle de la réalisation concrète.
C’est donc un sophisme que de s’arrêter exclusivement au lien contractuel entre Beatson et la Ville. Beatson fournissait des plans pour qu’un entrepreneur les étudie, en fasse la base d’une proposition, puis s’en serve fidèlement pour l’exécution des travaux. Ne pas reconnaître en conséquence d’obligation de droit commun de Beatson envers l’entrepreneur, c’est nier l’évidence de la vie et refuser d’accepter une relation entre deux personnes qui était pourtant indispensable à la bonne marche du projet.
Dès lors si, en plus de l’augmentation du coût des travaux, la négligence de l’architecte a entraîné un retard dans les travaux qui a causé à l’entrepreneur un dommage dont il ne saurait tenir le propriétaire responsable, je ne puis voir aucune raison valable qui empêcherait l’entrepreneur de faire valoir cette réclamation particulière contre l’architecte.
C’est la loi qui obligeait Beatson envers Vermont à fournir des plans conformes aux règles de l’art; c’est la même loi qui permet à Vermont de rechercher Beatson en responsabilité pour son défaut de remplir ce devoir légal. Il s’agit d’un cas de «faute … par … inhabilité» au sens de l’article 1053 C.c.
Après avoir rappelé l’arrêt Ross c. Dunstall, le juge Deschênes a conclu qu’il y avait lieu d’admettre le principe du recours de l’appelante mais, vu la conclusion de la majorité, il s’est abstenu de rechercher si les dommages réclamés étaient prouvés.
En appel, comme devant nous, l’appelante a invoqué le jugement du juge Mayrand dans J.G. Fitzpatrick Ltd. c. Brett[4]. C’est une affaire ayant de grandes analogies avec la présente. La demanderesse était également un entrepreneur qui, pendant l’exécution des travaux de construction d’un
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édifice, avait dû faire un ouvrage additionnel pour remédier à la résistance insuffisante d’une partie de la charpente. Comme ici, cela était dû à une erreur de calcul commise par les ingénieurs consultés par l’architecte. Le propriétaire ayant refusé tout paiement additionnel fut poursuivi en même temps que l’architecte et les ingénieurs. Après s’être désisté contre le propriétaire, l’entrepreneur procéda uniquement contre les ingénieurs. Il eut gain de cause. Le tribunal le considérant subrogé au recours de l’architecte contre les ingénieurs exprima l’avis que la poursuite se justifiait par le jeu combiné des deux art. 1053 et 1688 C.c.
Il ne me paraît pas que les principes de cette décision tendent à démontrer le bien-fondé de la réclamation de l’appelante. En effet, comme le note le juge Deschênes, elle a reçu de la Ville tout ce à quoi elle aurait droit en vertu des art. 1688 et 1689. Le juge Mayrand ne paraît pas avoir accordé plus que cela et rien dans son jugement n’indique qu’il se serait fondé sur l’art. 1053 pour justifier une réclamation de dommages autres que ceux visés par ces articles-là. Même en admettant qu’ils s’appliquent non seulement à la ruine de l’édifice survenant après l’exécution des travaux mais aussi aux ouvrages additionnels nécessaires en cours d’exécution pour l’éviter, je ne puis voir comment cela pourrait tendre à justifier la réclamation de l’appelante. Au contraire, lorsque ces textes s’appliquent, ne doit-on pas dire que le recours se limite à ce qu’ils prévoient? Cependant, je doute qu’ils trouvent leur application dans un cas semblable. Ne faut-il pas dire au contraire qu’il s’agit uniquement pour l’entrepreneur à forfait, de l’obligation de livrer un bâtiment dont «la perte de quelque manière qu’elle arrive avant la délivrance, tombe sur lui, …» (art. 1684, C.c.).
Ici, le préjudice dont l’appelante réclame réparation consiste essentiellement en ce que, par suite d’un défaut dans les plans fournis par l’intimé, l’exécution du contrat de construction s’est avérée moins profitable (ou plus désavantageuse) parce que la durée des travaux en a été augmentée. L’appelante a bien reçu la compensation prévue par le contrat pour le changement mais elle fait valoir que cela ne l’indemnise pas du préjudice causé par la prolongation des travaux. La faute
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reprochée à l’architecte consiste donc à avoir fourni à la Ville des plans défectueux qui ont nécessité un changement en cours d’exécution lorsqu’il est devenu évident que, sans cela, la construction ne résisterait pas au vent.
L’appelante voudrait que l’on assimile cette situation à la mise sur le marché d’une chose présentant un danger non apparent, ce qui a été jugé délictueux dans Ross c. Dunstall. On a indubitablement reconnu par là, qu’indépendamment de toute question de responsabilité contractuelle, celui qui met sur le marché une chose dangereuse sans avis suffisant d’un danger non apparent, peut encourir une responsabilité délictuelle. Pour conclure ainsi, notre Cour s’est fondée notamment sur un arrêt de la Cour de Cassation: Félizat c. Henry[5]. On a également exprimé l’avis que la conclusion serait la même sous la common law plus de dix ans avant que cette solution soit consacrée par la Chambre des Lords dans Donoghue v. Stevenson[6].
Ici, cependant, nous n’avons pas à rechercher ce que pourrait être la responsabilité de l’architecte envers une personne blessée dans l’écroulement d’un bâtiment mal construit. Ce que nous avons à étudier ce sont les relations juridiques entre l’entrepreneur et l’architecte d’un bâtiment. Peut-on voir une faute génératrice de responsabilité envers l’entrepreneur dans le fait de fournir, en vue de cette construction, des plans comportant une résistance insuffisante pour une partie de la charpente? Même si l’architecte n’est pas partie au contrat d’entreprise, il n’y est pas étranger. Il est un agent du propriétaire, ses fonctions y sont définies. Ensuite, la loi par les art. 1688 et 1689 C.c. établit une véritable solidarité entre l’entrepreneur et l’architecte pour les vices de construction. Envers le propriétaire, l’entrepreneur est garant des défauts des plans de même que de ceux de son travail, sauf recours contre l’architecte, tout comme ce dernier est garant des défauts de l’ouvrage sauf recours contre l’entrepreneur: Beaucamps-Wartel c. Léonardi de Galéa et Tournier[7].
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On ne saurait donc assimiler la situation de l’entrepreneur à celle du consommateur qui achète un objet manufacturé. Par l’effet de la loi, l’entrepreneur se porte garant des défauts du plan. Il a bien un recours contre l’architecte mais, comme nous l’avons vu, ce recours a une portée limitée et ne s’étend pas à ce que l’appelante réclame ici. Par son contrat, elle a convenu de ne pouvoir le réclamer du propriétaire, pourquoi pourrait-elle le réclamer de l’architecte? Si par suite d’une mauvaise exécution de l’ouvrage, l’architecte surveillant la construction moyennant un honoraire fixe ou un pourcentage, est obligé de consacrer plus de temps que d’habitude à cette surveillance vu les reprises nécessaires, pourra-t-il réclamer un paiement additionnel de l’entrepreneur à titré de dommages causés par la faute de ses ouvriers? A mon avis, entre l’entrepreneur et l’architecte, des fautes de ce genre font partie de l’exécution du contrat et ne peuvent être considérées comme des délits à moins, peut-être, qu’elles ne soient, comme on dit en France, des fautes caractérisées, autrement dit des fautes lourdes. Dans l’affaire Nova Scotia Construction c. La Commission des eaux courantes de Québec[8] (aux pp. 601-2), M. le juge Cannon cite de la doctrine et de jurisprudence anglaises à l’effet qu’un architecte ne garantit pas à l’entrepreneur l’exactitude de ses calculs. Il est vrai que la poursuite était contre le propriétaire et non contre l’ingénieur qui avait fait les plans du barrage. Mais en statuant que l’entrepreneur pouvait recouvrer pour le travail additionnel nécessaire et non prévu aux plans initiaux, seulement la compensation contractuelle et non pas tous les frais subis, la Cour a indubitablement appliqué la règle des contrats.
Récemment la Cour de Cassation a admis l’application des règles de la responsabilité délictuelle à une poursuite contre un entrepreneur et un architecte pour vice de construction (emploi de bois de charpente n’ayant pas subi le traitement insecticide prévu). Elle a confirmé l’arrêt accueillant l’appel en garantie de l’entrepreneur contre l’architecte fondé sur un défaut de surveillance de sa part: (Prévert c. Lavigne[9].) Cette solution est directement contraire à notre arrêt unanime dans
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Bilodeau c. A. Bergeron et Fils Liée et Dominion Ready Mix Inc.[10] où nous avons statué que le fournisseur de matériaux défectueux n’avait pas de recours contre le surveillant qui les avait reçus quoique ce dernir fût responsable de sa négligence envers l’entrepreneur qui avait retenu ses services.
D’une certaine manière, on se trouve ici en présence d’une stipulation limitative de responsabilité comme c’était le cas dans les affaires Banque de Montréal et Dominion Electric Protection. Ce que l’appelante prétend faire c’est recouvrer de l’agent, auteur du dommage qu’elle a subi, la partie du préjudice qu’elle a convenu ne pouvoir recouvrer de celui avec lequel elle a contracté. Il est bien vrai qu’en principe, les contrats n’ont d’effet qu’entre les parties. Mais les actes de l’intimé dont l’appelante se plaint sont visés par les stipulations du contrat qui en prévoit les conséquences. Même si ces actes sont professionnellement fautifs, ils ne sont pas illégaux ni dolosifs et on ne peut pas, à mon avis, les considérer comme s’ils avaient été faits en dehors de tout contrat car le contrat se trouve à en prévoir la possibilité et à en régler d’avance les conséquences. Sous la common law où l’on n’admet pas comme en droit civil la stipulation pour autrui, on vient cependant de reconnaître la validité, dans un connaissement, d’une stipulation ayant pour objet de limiter la responsabilité des arrimeurs: N.Z. Shipping v. Satterthwaite Ltd.[11]. A plus forte raison, doit-il en être ainsi en droit civil.
Enfin, il faut également, à mon avis, tenir compte du fait que ce n’est pas l’intimé, mais les ingénieurs qu’il a consultés, qui ont commis l’erreur cause du préjudice. Il est bien vrai que sous le régime du contrat ou sous celui des art. 1688 et 1689, cela n’est pas un moyen de défense. Ici cependant, la réclamation n’est pas fondée sur ces sources-là mais bien sur la théorie générale de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle. Or, dans cette responsabilité-là, c’est une règle établie que l’on se disculpe d’une imputation de faute en démontrant que l’on a agi suivant l’usage général approuvé, (The London & Lancashire Guarantee & Accident Co. of Canada c. La Compagnie F.X.
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Drolet[12]. C’est l’usage pour les architectes de s’en remettre à des ingénieurs pour les calculs de résistance des structures dont ils font les plans. Les ingénieurs consultés par l’intimé étaient apparemment compétents. On ne me paraît pas avoir démontré qu’il commettait une faute en se fiant à eux et en ne vérifiant pas leurs calculs même s’il était capable de le faire. Cela ne le libérerait pas de la responsabilité prévue aux art. 1688 et 1689 qui est une responsabilité découlant de la loi et qui n’admet pas de pareille exception mais, du point de vue de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle, il en est autrement. La règle, c’est qu’on ne répond que de sa faute sauf dans certains cas d’exception. Ici, les ingénieurs consultés par l’intimé ne peuvent sûrement pas être considérés comme ses employés ou préposés.
Sur le tout, je conclus au rejet du pourvoi avec dépens.
LE JUGE DE GRANDPRÉ (dissident) — La question principale que pose ce pourvoi est la suivante: lorsque les plans et devis d’un architecte sont erronés et que cette erreur retarde l’exécution des travaux, l’entrepreneur peut-il, après avoir reçu du propriétaire paiement des travaux supplémentaires exigés par la correction devenue nécessaire, poursuivre aux termes de l’art. 1053 C.c. l’architecte en faute et lui réclamer les dommages causés par le délai?
L’existence de l’erreur initiale qui ne fut corrigée qu’après de multiples démarches ressort des constatations de fait que l’on retrouve dans le jugement de la Cour supérieure et que la Cour d’appel a acceptées:
La bâtisse devant servir à abriter la piscine était couverte par un toit en forme de «A» qui se supportait par lui-même, ses bases s’appuyant de chaque côté au sol sur une lisse appuyée sur un mur de béton.
A chaque extrémité de la bâtisse devaient s’élever deux murs dont le rôle consistait à fermer la bâtisse et non à supporter le toit. Suivant les plans et devis, ces murs devaient être composés d’un colombage fortifié par des entures et avec, de chaque côté dudit colombage, des panneaux de plywood qui devaient être attachés audit colombage.
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Le 11 mai 1965, la demanderesse en commence l’érection et dès le début constate que la structure telle que demandée aux plans et devis ne serait pas suffisamment solide. En effet, après avoir suivi les plans et devis jusqu’à une hauteur de seize pieds, il apparut que le mur oscillait.
Suivant les plans et devis, les colombages verticaux étaient reliés l’un à l’autre au moyen d’entures (splices) tel qu’il apparaît au sketch numéro 27A6/A6 encerclé sur le plan produit comme exhibit P-18 D ainsi qu’à l’exhibit P-10.
Après consultation avec Monsieur Whiteside représentant du défendeur, la demanderesse décida de changer l’agencement des colombages en adoptant la méthode d’entremise (pièces horizontales entre les colombages) au lieu de la méthode spécifiée sur les plans et devis.
Le 25 mai 1965, Monsieur R.W. Chadwick arrête les travaux de construction des murs, soit à l’extrémité dudit bâtiment, et communique, le jour même ou le lendemain, avec le défendeur pour l’aviser que, suivant son opinion, les plans étaient erronés et que les murs tels qu’érigés par la demanderesse ne seraient pas assez forts et solides pour résister à la pression du vent pas plus d’ailleurs qu’ils ne le seraient s’ils étaient érigés suivant les plans et devis ci-haut mentionnés.
En effet, le problème soulevé par Monsieur R.W. Chadwick n’était pas relié à la façon dont les colombages avaient été disposés mais plutôt à l’insuffisance des données fournies par l’architecte dans les plans et devis relatifs au procédé «Stressed Skin» demandé à l’article XII-27 du devis P-15, soit la disposition et la fixation des panneaux de contreplaqué qui constituent la membrane structurale des murs pour résister à la force des vents.
D’ailleurs, cette opinion de Monsieur R.W. Chadwick est partagée par Monsieur Jean Damphousse, architecte entendu comme témoin expert, et par les ingénieurs auxquels s’était référé initialement le défendeur pour faire préparer des plans et devis relatifs à l’érection et construction de ces murs et enfin par le défendeur lui-même.
En effet, les ingénieurs ci-haut mentionnés après avoir fait de nouveaux calculs, ont proposé un nouveau plan et devis révisé (P-2) qui a été finalement remis à la demanderesse le 22 juin 1965.
Le défendeur a non seulement admis que les plans et devis originaires et relatifs à l’érection et construction desdits murs étaient incomplets et erronés mais il a même déclaré que s’il les avait examinés et étudiés, il aurait été à même de se rendre compte si les données y incluses étaient suffisantes ou non.
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Nonobstant cette erreur, les tribunaux du Québec avec la dissidence de M. le juge Deschênes ont refusé de reconnaître en faveur de la demanderesse-appelante l’existence d’un recours délictuel contre l’architecte-intimé. Pour ce faire, ils se sont appuyés, uniquement dans le cas de la Cour supérieure et partiellement dans le cas de la Cour d’appel, sur des autorités de la common law et ont affirmé, citant la préface de Lord Denning dans Professional Negligence par J.P. Eddy, que la responsabilité de l’architecte [TRADUCTION] «ne peut être que contractuelle et non délictuelle; seule une partie au contrat peut s’en prévaloir».
Je ne m’attarderai pas à l’affirmation qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux systèmes juridiques. La suite de ces motifs vise à établir que si la common law est bien exprimée dans les autorités citées par les tribunaux du Québec, il existe entre les deux des différences majeures. Il est toutefois pertinent de répéter ici la mise en garde que l’on retrouve dans les notes de M. le juge Deschênes touchant le danger d’utiliser dans une question de droit civil des autorités de droit anglais.
La common law affirme-t-elle vraiment ce que lui font dire la Cour supérieure et la Cour d’appel? Il ne m’est pas nécessaire de le décider. Qu’il me soit permis toutefois d’exprimer un doute qui prend sa source, entre autres, d’une part dans l’arrêt de cette Cour dans Canadian General Electric Company Limited c. Pickford & Black Limited[13], à la p. 43, et d’autre part dans l’arrêt de la Chambre des Lords dans Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners, Ltd.[14], ce dernier arrêt donnant du poids à l’opinion dissidente de lord Denning dans Candler v. Crane Christmas & Co.[15] Il est certes permis de se demander si en droit anglais un architecte dont la profession est de préparer des plans n’a pas le devoir de les préparer correctement, non seulement à l’égard du maître de l’ouvrage mais aussi à l’égard de tous ceux qui, à sa connaissance certaine, les utiliseront nécessairement; sans aucun doute, l’entrepreneur qui doit exécuter les travaux est de ceux-là.
[Page 774]
J’en arrive au nœud de la question: qu’en est-il du droit civil en dehors de toute stipulation particulière? Les parties ne nous ont référés à aucune autorité exactement au point et je n’en connais aucune. Je me sens donc libre dans l’étude qui suit de référer à la doctrine et à la jurisprudence françaises.
Il ne me semble faire aucun doute qu’en entreprenant de préparer les plans et devis l’architecte avait le devoir d’y apporter un soin raisonnable. Ce devoir, le maître n’en était pas le seul bénéficiaire. En s’acquittant de son travail l’intimé devait voir en l’appelante une personne directement touchée par ses actes. Notre jurisprudence contient de nombreux exemples de responsabilité imposée à un défendeur dont la relation avec le dommage trouve sa source dans un contrat auquel la victime n’était pas partie.
Les principes pertinents ont été réaffirmés dans l’arrêt Alliance Assurance Company Limited c. Dominion Electric Protection Company Limited[16]. On y peut lire à la p. 173:
Le devoir qu’on lui (Dominion Electric Protection) reproche d’avoir omis de remplir et en raison duquel on prétend qu’elle a commis une faute génératrice de responsabilité n’est pas de ceux qui incombent à tous, c’est au contraire uniquement une obligation contractuelle dont elle est chargée.
Il est vrai que l’existence de relations contractuelles n’exclut aucunement la possibilité d’une obligation délictuelle ou quasi-délictuelle découlant du même fait. Encore faut-il pour que cela soit possible que se rencontrent tous les éléments requis pour donner naissance à cette dernière responsabilité. Le premier de ces éléments est évidemment une faute. Pour qu’il y ait faute, il est essentiel comme cela découle du texte de l’art. 1053 C.c., qu’il y ait soit un fait positif dommageable et non justifiable, soit l’omission d’accomplir un devoir envers la partie lésée.
Et à la p. 174:
On nous a cité de nombreux arrêts touchant la responsabilité du manufacturier d’une chose dangereuse envers des personnes qui n’ont pas contracté avec lui. En pareil cas, la source de la responsabilité est le manquement au devoir que l’on reconnaît au manufacturier de ne pas mettre de telles choses sur le marché et ce devoir est indépendant de son obligation contractuelle de vendeur:
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Ross c. Dunstall (1921), 62 R.C.S. 393. Il en va de même pour le propriétaire d’un immeuble loué envers les personnes que le locataire y reçoit. La responsabilité du dommage découlant d’un état défectueux lui incombe comme propriétaire de la chose et elle existe indépendamment de ses obligations contractuelles de bailleur. On pourrait multiplier les exemples et dans tous les cas où la responsabilité quasi-délictuelle a été retenue Ton constaterait que le fondement en est l’existence d’un devoir autre que celui qui découle uniquement d’une obligation contractuelle.
Le cas du manufacturier et du vendeur est bien connu et je ne m’y attarderai pas, sauf pour rappeler deux passages tirés de l’arrêt classique Ross c. Dunstall[17]. D’abord M. le juge Duff, tel qu’il était alors (à la p. 396):
[TRADUCTION] L’appelant est-il responsable? Je ne vois aucune raison pour décider que sa responsabilité ne peut être retenue aux termes mêmes de l’art. 1053 C.c., sauf s’il peut être démontré que, dans de telles circonstances, il n’est possible de retenir que la responsabilité découlant du contrat de vente. Je ne vois aucune raison de restreindre ainsi la portée de l’article en question. Je ne puis comprendre pourquoi une responsabilité délictuelle envers ceux avec qui le fabricant négligent n’a aucun lien contractuel ne peut coexister avec une responsabilité contractuelle envers ceux avec qui il a contracté.
Ensuite, M. le juge Anglin, tel qu’il était alors (à la p. 399):
[TRADUCTION] L’omission de la part de l’appelant de prendre toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que l’avertissement du danger caché de la culasse mal posée — que ce danger équivale ou non à un défaut dans la conception — soit donné aux acheteurs dans le cours ordinaire du commerce de carabines de chasse le rend, à mon avis, responsable envers les demandeurs dans ces actions. Son inaction a constitué une omission de prendre les précautions qu’aurait dictées la prudence humaine et qu’il lui incombait de prendre et a ainsi constitué une faute qui, lorsque des blessures ont été causées à quelqu’un faisant partie d’une catégorie de personnes que le fabricant aurait dû envisager comme usagers éventuels de la carabine, a donné lieu à une cause d’action contre lui.
Dans Modem Motor Sales Limited c. Masoud et al.[18], M. le juge Taschereau, tel qu’il était alors, écrivait (à la p. 157):
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Le vendeur d’un objet qui cause un dommage, engage sa responsabilité, non seulement vis-à-vis l’acheteur, mais aussi vis-à-vis les usagers de cette chose, même s’il n’existe aucune relation contractuelle. La faute est délictuelle,…
Voir aussi Cohen c. Coca-Cola Limited[19]. Si le manufacturier ou le vendeur sont responsables du produit qui sort de leurs mains et qui cause un dommage à un tiers, il me semble que l’architecte a une responsabilité équivalente pour le produit qu’il met sur le marché, savoir les plans et devis.
Dans le cas précis des contrats de construction, la jurisprudence française a reconnu au tiers étranger le droit de poursuivre l’entrepreneur et l’architecte. Entre autres, ce droit a été reconnu aux locataires (Cass. civ. I, 24 oct. 1967: Bull. civ. 1, n° 309, p. 232) et à la victime de l’effondrement d’un balcon (Caen 16 avril 1947: J.C.P. 47, II, éd. G., 3667).
De son côté, la doctrine française reconnaît le droit du tiers de poursuivre l’entrepreneur et l’architecte. C’est, ainsi qu’on peut lire dans Mazeaud — Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, 6e éd., t. 1, à la p. 178:
144-3. Action en responsabilité délictuelle intentée par un tiers et fondée sur le contrat. — Une fois admis qu’un contractant ne peut pas engager sa responsabilité contractuelle envers les tiers, une autre question se pose: Les tiers peuvent-ils du moins intenter contre le contractant une action délictuelle, lorsque, pour réussir dans leur action, ils sont contraints d’invoquer le contrat? En ce faisant, ne vont-ils pas à l’encontre de la règle res inter alios acta …?
La solution réside dans une distinction. Il est loisible aux tiers de se prévaloir de l’existence et de l’inexécution d’un contrat auquel ils sont restés étrangers, mais à la condition de ne pas vouloir, par là même, étendre à leur profit une obligation qui n’a été prise qu’envers les cocontractants. Se prévaloir de ce qu’une personne a passé un contrat et même de ce qu’elle ne l’a pas exécuté, c’est se prévaloir d’un pur fait, qui existe en tant que fait, donc à l’égard de tous. Se prétendre créancier d’une obligation prise entre les parties, c’est forcer le cercle du contrat, c’est invoquer le contrat en
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tant qu’acte juridique, créateur d’obligations, ce qui est impossible.
Il est aussi intéressant de lire dans le même auteur la p. 58 du t. 2, et particulièrement la p. 121 de ce t. 2 où il traite des recours entre constructeurs.
M’apparaît donc comme solidement établi le droit appartenant au tiers étranger à la conception et à la construction de l’édifice de poursuivre l’architecte si l’erreur dans les plans lui a causé un dommage. Dès lors pourquoi ce droit n’appartiendrait-il pas aussi à l’entrepreneur si l’erreur de l’architecte lui a imposé un délai dommageable? Entre l’entrepreneur et l’architecte, il n’y a pas de contrat et il me semble que l’un est à l’égard de l’autre un «autrui» au sens de l’art. 1053 du Code civil.
La Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que l’architecte et l’entrepreneur sont des tiers dans leurs rapports personnels. Il est vrai qu’aucune de ces espèces ne rejoint exactement la nôtre et n’examine le cas des dommages personnels subis par l’entrepreneur à raison d’un délai découlant de l’erreur de l’architecte. Toutefois, l’ensemble des arrêts de la Cour de cassation est éclairant. Pour ne pas alourdir ces motifs, je réfère à la Jurisprudence française, 1807-1967, verbo Architecte et Entrepreneur, t. 1, aux pp. 423 et 424, et je ne veux citer ici que le n° 349:
L’architecte et l’entrepreneur, liés contractuellement au maître de l’ouvrage par des conventions distinctes, sont des tiers dans leurs rapports personnels et peuvent engager, l’un vis-à-vis de l’autre, leur responsabilité quasi délictuelle, même si le fait dommageable, générateur de cette responsabilité, constitue en même temps un manquement à une obligation contractuelle envers le maître de l’ouvrage (Cass. civ. 1, 14 oct. 1958: J.C.P. 58, IV, éd. G., 162; Bull. civ. I, n° 429, p. 345).
Il m’apparaît donc acquis et je le dis au risque de me répéter que le devoir de l’architecte n’est pas limité à la personne du maître. Si l’édifice, par erreur dans les plans, cause un dommage à un tiers, à un passant par exemple, ce tiers a un droit d’action contre l’architecte, celui-ci ayant omis de s’assurer de la solidité de son édifice alors qu’il savait que des passants pourraient en être affectés.
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Il a donc omis d’accomplir un devoir envers la partie lésée. Pourquoi ce devoir de l’architecte devrait-il en thèse générale être limité à un «autrui» qui n’a aucune relation avec la conception et l’exécution de l’entreprise? En l’espèce, le premier juge a trouvé faute chez l’architecte mais n’a rien reproché à l’entrepreneur. Je vois mal pourquoi cet entrepreneur, qui a dû faire des travaux supplémentaires pour empêcher qu’un accident ne se produise, ne pourrait pas recouvrer de l’architecte les dommages que lui cause le délai qui découle de l’erreur dans les plans.
L’existence de l’art. 1688 C.c. n’apporte aucune modification à cette règle à laquelle il est totalement étranger. Cet article établit en faveur du maître une responsabilité absolue même en l’absence de faute chez l’architecte et l’entrepreneur mais rien dans ce texte n’écarte le recours possible du second si l’architecte a été négligent.
De ce qui précède, je conclus qu’en droit civil, la règle est la suivante dans une espèce comme la nôtre:
(1) l’entrepreneur et l’architecte sont des tiers l’un à l’égard de l’autre;
(2) l’entrepreneur peut poursuivre l’architecte en dommages délictuels si le dernier a commis une faute et l’affirmation inverse est également vraie.
L’arrêt Nova Scotia Construction Company Limited c. La Commission des eaux courantes du Québec[20], ne contredit pas cette règle car il traite d’une autre matière, savoir le droit pour un entrepreneur d’obtenir du maître une compensation supplémentaire parce que le roc solide sur lequel il devait ériger un barrage se trouvait à une plus grande profondeur que prévu. L’article 37 du contrat stipulant que l’entrepreneur ne s’appuyait que sur les renseignements reçus de source autre que la Commission intimée et l’entrepreneur ayant été averti par le maître que son offre était trop basse (de beaucoup inférieure à celles de ses compétiteurs), il est facile de comprendre pourquoi M. le juge Cannon a pu écrire (à la p. 601):
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[TRADUCTION] Tous les soumissionnaires, sauf l’appelante, ont de toute évidence tenu compte de cet élément incertain dans la préparation de leur soumission et ils en sont venus à un prix unitaire après s’être accordé une marge de sécurité. L’appelante a omis de ce faire parce que, selon sa prétention, elle a considéré les données qui apparaissaient sur les plans des fondations comme étant sûres et certaines et comme constituant une garantie implicite valable. Le contrat n’offre aucune garantie expresse; et, en droit, il n’existe aucune garantie implicite au regard de la praticabilité des plans ou de l’exactitude des quantités.
La règle a-t-elle été modifiée en l’espèce par la convention entre la ville de Pointe-Claire et l’appelante? Je ne le crois pas. Dans cette convention ne se retrouve aucune affirmation générale qu’en aucun cas l’entrepreneur ne pourra poursuivre l’architecte si celui-ci est en faute. Les seules stipulations pertinentes en sont les art. 25, 35 et 39:
[TRADUCTION] Article 25. Modifications.
Sans invalider le contrat, le propriétaire ou l’architecte peut modifier le travail à effectuer, l’accroître ou le diminuer, le prix du contrat étant alors modifié en conséquence. Ce travail doit être accompli aux conditions du contrat original, sauf la prorogation ou l’abrègement du délai d’exécution qui sera accordé sur demande quand les modifications en question seront ordonnées. Sous réserve de l’article 18, aucune modification ne sera faite sans un ordre écrit de l’architecte, et il n’y aura aucune augmentation ou diminution du prix du contrat sauf si elle est ainsi ordonnée et l’ordre doit en faire ou en prévoir l’évaluation conformément à l’article 26.
Article 35. Retards.
Si l’entrepreneur est retardé dans l’achèvement du travail par un acte ou une négligence (act or neglect) de la part du propriétaire, de l’architecte, d’un autre entrepreneur ou d’un de leurs employés, ou par une modification apportée au travail à effectuer, le délai d’achèvement sera prorogé pour le temps jugé raisonnable par l’architecte.
Suivent deux phrases qui traitent de la responsabilité de l’entrepreneur lorsque le retard est le résultat de causes qui ne lui sont pas imputables et aussi de sa responsabilité lorsque le retard est dû à une cause sous son contrôle. La procédure est ensuite exposée dans deux paragraphes qui ne nous concernent pas et l’article continue:
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[TRADUCTION] Sauf sur avis écrit de l’entrepreneur, l’architecte ne doit pas arrêter ou retarder l’exécution d’une partie du travail à forfait en attendant les décisions ou les modifications proposées par lui-même ou par le propriétaire.
Article 39. Dommages et responsabilité mutuelle.
Si l’une ou l’autre des parties au présent contrat subit des dommages résultant d’une faute ou d’une négligence (wrongful act or neglect) commise par l’autre partie ou par l’un de ses employés, celle-ci doit alors la dédommager. Les réclamations aux termes de ce paragraphe doivent être faites par écrit et remises à la partie responsable dans un délai raisonnable après la première constatation de ce dommage et, au plus tard, à l’époque du paiement final, sauf dans le cas d’un travail ou de matériaux défectueux (faulty) où d’autres stipulations s’appliquent. Ces réclamations doivent être réglées à l’amiable ou selon la manière prescrite à l’article 44 du présent contrat, et la partie qui effectue le remboursement devient alors subrogée dans les droits de l’autre partie au regard de la faute ou de la négligence en question si elle a été commise par un tiers. Advenant que l’entrepreneur cause des dommages à un autre entrepreneur sur le chantier, l’entrepreneur convient, après avoir été dûment avisé, de régler la réclamation à l’amiable ou par arbitrage avec l’autre entrepreneur, si ce dernier le veut bien. Si cet autre entrepreneur intente une action contre le propriétaire au regard du dommage qu’il allégue avoir subi, le propriétaire doit aviser l’entrepreneur qui doit comparaître à titre de défendeur aux frais du propriétaire et si, à l’occasion de cette action, un jugement final ou une ordonnance définitive est rendue contre le propriétaire, l’entrepreneur doit satisfaire à ce jugement ou à cette ordonnance et il doit payer tous les dépens adjugés au propriétaire. Advenant cette éventualité, l’entrepreneur, après avoir remboursé le propriétaire des dépens adjugés contre lui, peut interjeter appel au nom du propriétaire à l’encontre du jugement final ou de l’ordonnance définitive en question devant tout tribunal compétent.
Il m’est impossible d’accepter les prétentions de l’intimé que ces articles sont une réponse complète à la réclamation.
L’article 25 ne prévoit pas l’abandon total par l’entrepreneur de tous ses recours contre l’architecte en faute. Une telle renonciation est évidemment une exception à la règle générale de responsabilité et comme telle doit être exprimée en termes très clairs, ce qui n’est certes pas le cas
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(Canada Steamship Lines v. The King[21]). Les changements y prévus sont des modifications aux plans et devis qui peuvent être dictés par de multiples considérations mais certes par par la faute de l’architecte. Si tel était le but recherché, il aurait fallu le dire en toutes lettres.
Par ailleurs, l’art. 35 ne règle pas plus notre cas. Il est vrai que le retard y mentionné peut être le résultat d’un «act or neglect of the Owner, Architect» et qu’à première vue ce texte peut englober la faute. Toutefois, tel n’est pas le sens des mots employés puisque parlant d’un «act or neglect» les parties ont, lorsqu’elle voulaient parler de faute et négligence, employé les qualificatifs «wrongful» et «faulty» ainsi qu’il apparaît à l’art. 39; il ne faut donc pas lire dans l’art. 35 plus qu’il n’y est exprimé et y voir une stipulation relative à la négligence. Par ailleurs, même si l’art. 35 traitait des actes fautifs, il ne réglerait pas le cas qui nous est soumis; cet article est clairement une stipulation en faveur de l’entrepreneur, dans le sens que le maître ne pourra dans les circonstances y mentionnées lui imposer de compléter le travail dans les délais stipulés au contrat; cet article ne traite nullement des droits que peut avoir l’entrepreneur contre un tiers, y compris l’architecte, par suite du délai qui lui est imposé par la faute de ce tiers.
Reste l’art. 39 qui est le seul qui parle de la faute et de la négligence. Rien de ce qu’on y retrouve ne permet d’affirmer que l’entrepreneur ait d’avance renoncé à son recours contre l’architecte. Ce texte se limite à traiter des cas où les parties au contrat, savoir le maître et l’entrepreneur, ont commis une faute. Rien de plus.
Devant cette situation, je conclus que la règle générale n’a pas été modifiée par la convention et qu’elle s’applique en l’espèce. J’ajoute, mais je n’en fais pas le fondement de ma conclusion, que Chadwick, l’architecte choisi par l’intimé pour surveiller les travaux, aurait apparemment recommandé le paiement des dommages, ou au moins d’une partie de ceux-ci, s’il n’avait à tort nié l’existence de la faute de l’architecte. Dans sa lettre du 25 février
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1966 adressée à la municipalité, Chadwick certifie que l’entrepreneur a droit à la somme de $4,159.32, coût des travaux supplémentaires résultant du changement dans les plans et devis, mais refuse de reconnaître la validité de la réclamation pour retard:
[TRADUCTION] L’entrepreneur n’a pas droit à une indemnité pour retard dans l’exécution générale des travaux si un retard qui a pu survenir résulte du fait que l’entrepreneur n’a pas suivi les plans de l’architecte.
L’entrepreneur-appelant, ayant exposé que la situation n’est pas du tout celle-là, Chadwick, dans une lettre du 28 mars 1966, maintient sa position. Or nous savons que la cause du délai était tout autre et qu’elle doit se retrouver dans l’erreur de l’architecte.
Si, comme je le crois, la règle générale pertinente favorise l’entrepreneur et qu’elle n’a pas été modifiée par la convention, la réclamation doit-elle être écartée quand même parce que l’erreur dans les plans n’était pas personnelle à l’architecte mais était celle de l’ingénieur consulté par ce dernier? Je ne puis me rendre à cette prétention de l’intimé. Le contrat entre la ville de Pointe-Claire et l’appelante exprime que le travail entrepris par cette dernière doit être conforme aux plans et devis de l’architecte Beatson et que ce dernier a tous les droits et pouvoirs que l’on reconnaît à l’architecte dans la formule standard de convention existant à l’époque. Comme question de fait, bien que le contrat évidemment n’ait été conclu qu’entre la municipalité et la demanderesse, il y a référence à l’architecte dans presque chacun de ses articles, l’architecte étant le seul tiers identifié par son nom et son adresse. Dans les circonstances, il m’apparaît que l’appelante était parfaitement justifiée de prendre l’attitude que la seule personne responsable des plans et devis était l’architecte et que la délégation faite par celui-ci à d’autres personnes ne pouvait être opposée à l’entrepreneur. D’ailleurs, même si ce moyen devait être retenu, il ne s’appliquerait qu’à une faible partie du dommage. Vers le 11 mai 1965, le représentant de l’architecte, Whiteside, constatait avec l’entrepreneur l’imperfection des plans et devis. Le 25 mai, Chadwick arrêtait les travaux. L’erreur de l’ingénieur était donc patente et l’architecte, maître des plans
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et devis, se devait de la corriger sans délai. Or, comme le souligne le premier juge, rien d’utile ne fut fait avant la mi-juin malgré des communications répétées de Chadwick et de Whiteside avec l’intimé. Finalement, le 22 juin, l’entrepreneur reçut les documents nécessaires qui lui permirent de remettre les travaux en marche. De sorte que même s’il était possible, comme l’intimé le soumet, de conclure que la première erreur ne peut être imputée à l’architecte, celui-ci doit supporter les conséquences de son défaut d’y apporter correction sans retard.
Reste la question de prescription à laquelle je ne m’attarderai pas. L’intimé soumet que, l’action ayant été signifiée le 28 mars 1967 et les plans remontant à l’automne 1964, l’action délictuelle est prescrite par application de l’art. 2261 du Code civil. Je ne saurais reconnaître ce moyen. Le point de départ de la prescription ne peut être que le mois de mai 1965, date à laquelle l’appelante commença à se servir de cette partie des plans et devis dont il est question en l’espèce.
Étant d’avis que l’architecte est responsable des dommages subis par l’entrepreneur, je dois m’arrêter à la question des dommages. L’action ayant été rejetée tant en Cour supérieure qu’en Cour d’appel, les dommages n’y ont pas été évalués. Le premier juge toutefois a fait la constatation suivante:
La preuve établit que la construction de ces murs a pris cinquante-huit jours ouvrables au lieu de dix jours ouvrables, créant un surplus de quarante-huit jours ouvrables à ce qui avait été prévu.
Quelle est la valeur monétaire de ces quarante-huit jours? L’appelante soumet que le délai lui a fait perdre $312.52 par jour et elle s’appuie sur le témoignage de son secrétaire-trésorier et d’un architecte expert, Damphousse. Par ailleurs, principalement par la voix de Chadwick, l’intimé prétend que les dommages n’existent pas. Toutefois, à mes yeux, la valeur du témoignage de Chadwick est considérablement diminuée par l’effet de ses lettres du 25 février et du 28 mars 1966 auxquelles j’ai déjà référé. Si vraiment à ce moment-là il ne croyait pas à l’existence de dommages résultant du délai, pourquoi a-t-il refusé de les reconnaître en donnant pour seule raison que ces dommages
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avaient été causés par la faute de l’entrepreneur lui-même? Après avoir étudié l’ensemble de la preuve sur le point, j’en viens à la conclusion que la somme de $11,224 mentionnée par l’appelante dans sa réclamation du 1er février 1966 et une évaluation raisonnable des dommages.
J’accueillerais donc le pourvoi et cassant le jugement dont appel, je maintiendrais l’action et condamnerais l’intimé à payer à l’appelante la somme de $11,224 avec intérêts depuis l’assignation, le tout avec dépens dans toutes les cours.
Pourvoi rejeté avec dépens, le juge DE GRANDPRÉ étant dissident.
Procureurs de l’appelante: Cousineau, Vaillancourt et Cadieux, Verdun, Qué.
Procureurs de l’intimé: Létourneau, Forest, Raymond, Létourneau & Roy, Montréal.
[1] (1921), 62 R.C.S. 393.
[2] [1963] B.R. 487, conf. par [1964] R.C.S. v.
[3] [1967] B.R. 767, conf. par [1970] R.C.S. 168.
[4] [1969] C.S. 144.
[5] S. 1879.1.374.
[6] [1932] A.C. 562.
[7] Gaz. Pal. 1929.1.150.
[8] [1933] 2 D.L.R. 593.
[9] [1969] J.C.P. (Semaine juridique), N° 15937.
[10] [1975] 2 R.C.S. 345.
[11] [1975] A.C. 154.
[12] [1944] R.C.S. 82.
[13] [1971] R.C.S. 41.
[14] [1963] 2 All E.R. 575.
[15] [1951] 1 All E.R. 426.
[16] [1970] R.C.S. 168.
[17] (1921), 62 R.C.S. 393.
[18] [1953] 1 R.C.S. 149.
[19] [1967] R.C.S. 469.
[20] [1933] R.C.S. 220 (publié en partie); [1933] 2 D.L.R. 593 (texte intégral).
[21] [1952] A.C. 192.
Parties
Demandeurs :
Vermont Construction Inc.Défendeurs :
BeatsonProposition de citation de la décision:
Vermont Construction Inc. c. Beatson, [1977] 1 R.C.S. 758 (4 décembre 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-12-04;.1977..1.r.c.s..758