Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 802
Date de la décision :
19/12/1975Sens de l'arrêt :
Les pourvois doivent être rejetés
Analyses
Véhicules automobiles - Recours des victimes d’accident contre l’assureur et le Fonds d’indemnisation - Prescription - Omission de l’assuré d’aviser l’assureur du changement de voiture - Cause de déchéance non-opposable aux victimes - Loi de l’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile S.R.Q. 1964, c. 232 - Code civil, art. 1056, 2262(2), 2264 et 2265.
A la suite d’un accident d’automobile survenu le 24 juillet 1964, où un nommé Tremblay a trouvé la mort, les demandeurs intimés ont obtenu, le 10 mai 1968, des jugements contre sa succession. Le 23 février 1970, ils ont intenté une action contre l’assureur de Tremblay («la Sécurité») et contre le Fonds d’indemnisation afin d’obtenir paiement du montant des jugements.
Comme premier moyen, la Sécurité a invoqué la prescription d’un an. Elle a soulevé en second lieu l’absence de contrat d’assurance visant la responsabilité de Tremblay. Selon l’appelante, la police d’assurance en vigueur au moment de l’accident décrivait le véhicule assuré comme une Chevrolet ‘57 alors que l’automobile impliqué dans l’accident était une Chevrolet ‘63. Dans le cas d’acquisition d’une nouvelle voiture, cette police stipulait que l’assuré devait en aviser l’assureur dans les quatorze jours de la livraison, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce. La Cour supérieure a ordonné à l’appelante de payer aux intimés le montant des jugements et rejeté l’action contre le Fonds. Un arrêt majoritaire de la Cour d’appel a confirmé cette décision. D’où les pourvois
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devant cette Cour contre les demandeurs et contre le Fonds.
Arrêt: Les pourvois doivent être rejetés.
La prescription d’un an de l’art. 1056, Ce, aussi bien que celle du par. 2 de l’art. 2262 C.c., ne s’applique qu’en matière de délit ou de quasi-délit. L’article 6 de la Loi de l’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile oblige les tiers à obtenir un jugement final exécutoire contre l’assuré avant d’intenter des poursuites contre l’assureur. Ce sont donc les jugements obtenus contre la succession de l’assuré qui sont à la base de la réclamation des intimés et ces jugements constituent des titres auxquels s’applique la prescription trentenaire prévue à l’art. 2265 C.c. Quant à la clause de la police stipulant que toute action en vertu de celle-ci doit être intentée dans un délai d’au plus une année après que la responsabilité de l’assuré a été établie par un jugement final, il s’agit là d’une condition qui constitue une déchéance susceptible d’être invoquée contre l’assuré mais non-opposable aux victimes ou à leurs ayants droit.
C’est dans cette perspective qu’il faut également envisager le deuxième moyen soulevé par la Sécurité, savoir, l’absence de contrat d’assurance visant la responsabilité du propriétaire de l’automobile où se trouvaient les victimes lors de l’accident. La police d’assurance en vigueur contenait une disposition selon laquelle, en cas de remplacement de la voiture désignée à la police par une autre voiture, l’assurance subsistait pendant une période de quatorze jours, soit le délai accordé à l’assuré pour donner avis de changement de voiture. En matière d’assurance responsabilité la voiture assurée n’est pas le facteur principal et en l’espèce l’omission de donner avis n’a pas causé de préjudice à l’assureur puisqu’il n’y avait pas d’aggravation de risque ni de surprime exigible. Même si l’assuré a enfreint une condition de la police il s’agit encore d’un cas de déchéance inopposable aux victimes en vertu de l’art. 6 de la Loi.
Quant au Fonds, il n’y a aucune raison de lui imposer l’obligation d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit au lieu de la Sécurité.
Arrêt non suivi: Fonds d’indemnisation c. Federation Insurance Company of Canada, [1972] C.A. 783; arrêts mentionnés: Northern Assurance Co. Ltd. c. Brown, [1956] R.C.S. 658; Cauchon c. Fidelity Phenix Insurance Company, [1967] C.S. 185; distinction faite avec les arrêts: Terrasse c. Cie la Zurich (1971), Revue générale des assurances terrestres, vol. 42, p. 515; Pascoe c. Le Trésorier de la Province du Manitoba (1958), 16 D.L.R. (2d) 300.
POURVOIS à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement de
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la Cour supérieure accueillant l’action des intimés contre l’appelante et rejetant l’action contre le Fonds d’indemnisation. Pourvois rejetés.
Pierre Michaud, pour l’appelante.
André Casgrain, c.r., pour les intimés Bélanger et al.
Pierre Cantin, pour l’intimé, le Fonds d’indemnisation.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Ces pourvois sont à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure condamnant l’appelante («la Sécurité») à payer aux intimés le montant des jugements qu’ils ont respectivement obtenus contre la succession d’un nommé Antoine Tremblay à la suite d’un accident survenu le 24 juillet 1964 où ce dernier a trouvé la mort. L’autorisation d’appeler a été accordée à l’égard des intimés dont la réclamation calculée suivant la loi ne dépasse pas $10,000.
Quant au Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile («le Fonds»), l’action dirigée contre lui en même temps que contre la Sécurité a été rejetée par la Cour supérieure et par la Cour d’appel. A l’audition, l’autorisation d’interjeter appel contre lui a également été accordée à tous les intimés. Il convient d’ajouter que les jugements contre la succession du conducteur d’automobile ont été rendus le 10 mai 1968. Dans une lettre en date du 23 août 1968, les procureurs du Fonds, en réponse à des demandes faites suivant les art. 36 et 37 de la Loi de l’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile («la Loi» S.R.Q. c. 232), dirent aux procureurs des intimés:
Dans ces circonstances, nous ne pouvons que vous référer à la Sécurité.
Cette dernière dit de son côté, dans une lettre de ses procureurs en date du 26 septembre 1968:
L’automobile qui a causé l’accident n’était pas assurée le 24 mai 1964. Nous vous suggérons donc de vous adresser au Fonds. Si le Fonds croit qu’un recours existe, il pourra l’exercer lui-même.
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L’action contre la Sécurité et le Fonds porte la date du 23 février 1970.
Le premier moyen soulevé par la Sécurité c’est la prescription d’un an prévue à l’art. 2262, par. 2 du Code civil. Comme le premier juge l’a fait observer, seul le jugement en faveur de l’intimée Laurette Bélanger a été prononcé sur une action pour lésions ou blessures corporelles visées par cet article. Les autres jugements ont été rendus sur des poursuites intentées en vertu de l’art. 1056 C.c., dispositions dont il est fait nommément exception au par. 2 de l’art. 2262. A mon avis, la prescription établie par cette disposition-là ne saurait pas plus que le délai d’un an fixé à l’art. 1056 être appliquée au recours contre l’assureur formé en vertu de l’art. 6 de la Loi qui est comme suit:
6. Sous réserve des conditions de son contrat et jusqu’à concurrence du montant stipulé, l’assureur est directement responsable envers les tiers d’un dommage faisant l’objet d’assurance-responsabilité.
De plus, jusqu’à concurrence pour chaque automobile du montant prescrit à l’article 14, il ne peut leur opposer les causes de nullité ou de déchéance susceptibles d’être invoquées contre l’assuré.
Il ne peut être poursuivi par les tiers avant jugement final exécutoire contre l’assuré.
Il peut au besoin intervenir en l’instance engagée contre celui-ci.
De même que l’art. 1056 vise le droit du conjoint, des ascendants et descendants de poursuivre l’auteur du délit ou quasi-délit pour les dommages résultant du décès de la victime, l’art. 2262, par. 2 vise le droit d’action de la victime pour lésions ou blessures corporelles. Dans les deux cas, par l’effet de l’art. 2265 C.c., la prescription ne recommence pas à courir par le même temps qu’auparavant, mais le jugement constitue un titre qui ne se prescrit plus que par trente ans.
Art. 2264. Après la renonciation ou l’interruption, excepté quant à la prescription de dix ans en faveur des tiers, la prescription recommence à courir par le même temps qu’auparavant, s’il n’y a novation, sauf ce qui est contenu en l’article qui suit.
Art. 2265. La poursuite non déclarée périmée et la condamnation en justice, forment un titre qui ne se prescrit que par trente ans, quoique ce qui en fait le sujet soit plus tôt prescriptible…
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C’est donc à bon droit que la Cour supérieure et la Cour d’appel ont, en la présente cause, refusé de suivre sur cette question de prescription la décision rendue par le juge Mayrand dans Fonds d’indemnisation c. Federation Insurance Company of Canada, bien qu’elle ait été confirmée par la Cour d’appel[1]. Comme le juge Montgomery l’y fait observer, cette décision est fondée sur la jurisprudence et la doctrine françaises et belges. Or en cette matière, le droit français est bien différent de celui du Québec. On ne trouve dans le Code Napoléon aucune disposition équivalant au premier alinéa de l’art. 2265 C.c. Ensuite, le texte d’où l’on déduit en France le droit de la victime à l’action directe contre l’assureur n’est aucunement identique à l’art. 6 de la Loi. C’est l’art. 53 de la loi sur les assurances du 13 juillet 1930 que l’on trouve sous le titre «Des assurances de responsabilité» et qui se lit comme suit:
Art. 53. L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré.
Pour ce qui est de l’assurance automobile, l’art. 13 du décret du 7 janvier 1959 a rendu non‑opposables aux victimes ou à leurs ayants droit:
2° Les déchéances, à l’exception de la suspension régulière de la garantie pour non‑paiement de prime;
On voit que cette législation est bien différente de l’art. 6 de la loi du Québec. On n’y trouve pas la disposition qui interdit la poursuite contre l’assureur avant jugement final exécutoire contre l’assuré. C’est une différence majeure avec le droit du Québec où le jugement constitue un titre exécutoire qui ne se prescrit que par trente ans même si la cause d’action est assujettie à une plus courte prescription. Ensuite, il faut considérer que la décision de la Cour de Cassation citée par le juge Mayrand (25 juin 1945, D. 1946.1.51) porte uniquement sur la question de savoir si la prescription de deux ans établie par l’art. 25 de la loi sur les assurances du 13 juillet 1930 peut s’appliquer à
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l’action directe de la victime contre l’assureur. Cet art. 25 se lit comme suit:
Art. 25. Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance…
Répétant textuellement le premier attendu d’un arrêt antérieur de 1939 (Dalloz J.G. 1939.1.68) la Cour de Cassation a dit:
Attendu que si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites, elle trouve, en vertu de la loi, son fondement dans le droit à la réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable;…
Si l’on applique ce raisonnement à la loi du Québec en tenant compte des divergences signalées ci-dessus, il est impossible d’en venir à appliquer une prescription autre que celle de trente ans. En effet, au moment où le recours peut s’exercer contre l’assureur, le droit de la victime contre l’assuré est devenu assujetti à cette prescription de trente ans.
En Cour d’appel le juge Rivard, dissident, aurait fait droit à l’appel de la Sécurité en se fondant sur le par. 3 de la condition 12 de la police, paragraphe qui se lit comme suit:
(3) Toute action ou poursuite intentée à l’Assureur en vertu de la police, dans le cas de perte de l’automobile ou de dommage subi par elle, doit être instituée dans le délai d’au plus une année après la perte et dans le cas de blessures corporelles ou de dommages aux biens d’autrui, doit être instituée dans un délai d’au plus une année après que la responsabilité de l’Assuré a été établie par un jugement du tribunal, un accord, ou une loi relative à la prescription des poursuites.
La conclusion du juge Mayrand dans l’affaire de La Fédération à l’effet que ce texte ne saurait s’appliquer au recours d’une victime contre l’assureur me paraît s’imposer pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une action fondée sur le contrat mais bien d’une action fondée sur la loi. Si en France on ne reconnaît pas applicable à l’action directe de la victime la prescription visant «toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance», à plus forte raison doit-il en être ainsi sous la loi du Québec lorsqu’il s’agit, non pas d’une prescription
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établie par la loi, mais uniquement d’une stipulation contractuelle. Au surplus, cette stipulation vise uniquement «une action intentée… en vertu de la police».
Il est à noter que, sous la loi d’Ontario qui donne aux victimes d’accidents d’automobile un recours direct contre l’assureur de l’automobiliste déclaré responsable par jugement, il a été décidé que la condition statutaire de polices d’assurance automobile analogue au par. 3 précité ne saurait s’appliquer au recours des victimes. Dans Northern Assurance Co. Ltd. c. Brown[2] M. le juge en chef Kerwin a dit (à la p. 660):
[TRADUCTION] Cette réclamation est un droit fondamental accordé par la loi et ne découle pas du contrat.
Par ailleurs, je ne puis voir aucune raison pour laquelle cette condition ne devrait pas être considérée comme une déchéance qui ne saurait être invoquée dans le cas présent vu que le montant total réclamé à la Sécurité est inférieur à celui qui est prescrit à l’art. 14 de la Loi. A ce sujet, je dois dire avec respect que le juge Mayrand a tort de voir à l’art. 6 de la Loi une ambiguïté parce que, «d’une part, la responsabilité de l’assureur envers la victime reste soumise aux conditions du contrat (1er alinéa), d’autre part, les causes de nullité ou de déchéance opposables à l’assuré sont inopposables à la victime» (2e alinéa). Il faut tenir compte de ce que le second alinéa ne s’applique que jusqu’à concurrence du montant prescrit à l’art. 14. Il n’y a donc ni ambiguïté ni contradiction. Le premier alinéa énonce la règle générale, le second énonce une exception à cette règle, exception dont la portée est limitée de deux manières: premièrement, quant au montant; deuxièmement, en ce qu’elle vise uniquement les causes de nullité ou de déchéance et non pas toutes conditions quelconques. Comme exemples de conditions visées par le premier alinéa et dont l’application n’est pas exclue par le second, il faut évidemment faire entrer celles qui délimitent l’étendue de la protection accordée à l’assuré. Il est certain en effet, que si les causes de nullité ou de déchéance ne sont pas opposables aux victimes dans les limites prescrites, en revanche, la loi n’étend pas le contrat d’assurance à ce qu’il ne vise pas.
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C’est en regard de ces observations qu’il y a lieu d’examiner le dernier moyen soulevé par la Sécurité, savoir, l’absence de contrat d’assurance visant la responsabilité du propriétaire et conducteur de l’automobile où se trouvaient les victimes lors de l’accident. Cette voiture était une Chevrolet 1963 que l’assuré avait acquise le 28 février 1964. Le contrat d’achat versé au dossier fait voir qu’il avait alors donné en échange une Ford 1960. La police d’assurance qui était en vigueur lors de l’accident et qui avait été émise pour un an à compter du 6 septembre 1963, décrit comme véhicule assuré une Chevrolet 1957. C’est ce même véhicule qui était décrit dans la première police délivrée par la Sécurité au même assuré en mars 1957 lorsqu’il en a fait l’achat. Le rapport d’enquête obtenu alors fait voir que l’assuré avait antérieurement une Oldsmobile 1954. Dans tous les certificats de renouvellement et polices émis successivement, c’est toujours la même voiture Chevrolet 1957 qui a été mentionnée. La thèse de la Sécurité c’est que rien ne démontre que l’assuré se serait départi de la Chevrolet 1957 et que, par conséquent, il n’y a pas d’assurance pour la responsabilité découlant de l’usage de la Chevrolet 1963.
Bien qu’on ne l’ait pas dit explicitement ni en Cour supérieure, ni en appel, il est évident que l’on a cru pouvoir présumer, en regard des faits prouvés et des circonstances, que l’assuré Antoine Tremblay n’avait jamais possédé en même temps plus d’une automobile. La Chevrolet 1957 avait évidemment remplacé l’Oldsmobile 1954 tout comme la Ford 1960 avait remplacé la Chevrolet 1957 et la Chevrolet 1963, la Ford 1960. Pour démontrer le contraire, la Sécurité avait allégué en défense que la Ford 1960 faisait l’objet d’une police émise par un autre assureur. Elle n’a pas tenté de faire la preuve de cet allégué qui lui aurait fourni un moyen préfemptoire de faire rejeter la demande. Dans ces conditions, la cause ayant été jugée en première instance et en appel en prenant pour acquis que l’assuré n’avait jamais eu plus d’un véhicule en même temps mais avait simplement omis d’aviser son assureur du changement, il ne me paraît pas qu’il serait juste maintenant de remettre en question cet aspect de la cause. Il est bien vrai qu’il n’y a pas de preuve directe. Cependant, il faut bien considérer que les réclamants
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sont les victimes ou les ayants-droit des victimes d’un accident d’automobile où l’assuré a trouvé la mort. Celui-ci était un curé retraité, on voit par le dossier que lorsque la Sécurité a tenté de rejoindre ses héritiers, la lettre a été délivrée à la supérieure d’un couvent. Il n’était sûrement pas riche puisque les réclamants n’ont pas réussi à percevoir un sou. L’hypothèse qu’il ait gardé deux voitures est d’une invraisemblance complète.
Si, pour les motifs ci-dessus l’on tient pour avéré que l’assuré de la Sécurité n’a toujours eu qu’une seule voiture, il s’ensuit nécessairement que bien que la police d’assurance émise pour un an à compter du 6 septembre 1963 mentionne une Chevrolet 1957, elle visait de fait la voiture que l’assuré possédait alors, soit la Ford 1960. Il ne s’agit pas dans la présente cause d’assurance du véhicule, mais uniquement d’assurance responsabilité et le témoignage du représentant de la Sécurité est textuellement:
Habituellement, la voiture n’est pas considérée, c’est surtout le conducteur.
Lorsque l’assuré a échangé la Ford 1960 pour la Chevrolet 1963, l’assurance est par le fait même devenue applicable à la nouvelle voiture, en vertu de la stipulation suivante de la police sous le titre: «Définition de l’automobile»:
Dans la présente police, à moins d’indication contraire, le mot «automobile» comprend les véhicules suivants:
Pour les fins des sections A (Responsabilité civile), B (Frais médicaux) et C (Perte de l’automobile ou dommage subi par elle)
1. Automobile décrite, c’est-à-dire une automobile ou une remorque dont la description est donnée dans la présente police; le mot «remorque» comprend la semi-remorque;
2. Automobile nouvellement acquise, c’est-à-dire une automobile acquise par l’Assuré, qui en donne avis dans les quatorze jours suivant la livraison, et pour laquelle l’Assuré n’a pas d’autre assurance en vigueur, soit qu’elle remplace une automobile décrite dans la présente police, soit que l’Assureur (en vertu des sections A, B ou des sous-sections 1, 2, 3 ou 4 de la section C des conventions d’assurance sur lesquelles repose la réclamation) assure toutes les voitures appartenant à l’Assuré audit jour de livraison, l’Assuré versant pour cette automobile la
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prime supplémentaire requise; toutefois, l’assurance en vertu des présentes ne s’applique pas si l’Assuré fait affaires comme marchand d’automobiles;
Il faut évidemment reconnaître que l’assuré a enfreint la condition en ne donnant pas l’avis à l’assureur dans les quatorze jours suivant la livraison de la nouvelle voiture. Même si c’était une violation sans préjudice pour l’assureur puisqu’il n’y avait pas d’aggravation de risque ni de surprime exigible, la garantie de l’assurance a nécessairement cessé de jouer en faveur de l’assuré par l’effet de la condition précitée. (Cauchon c. Fidelity Phenix Insurance Company[3]). Peut-on en dire autant à l’égard des intimés? Je ne le crois pas. Il me paraît que la Sécurité a tort de prétendre qu’il y a absence d’assurance. Puisqu’un délai de quatorze jours est accordé pour donner l’avis de changement de voiture, cela implique que l’assurance subsiste pendant ces quatorze jours. C’est donc une déchéance qui se produit à l’expiration de ce délai par l’effet de la condition.
L’avocat de la Sécurité a invoqué une décision de la Cour de cassation du 9 mars 1971, Terrasse c. Cie La Zurich[4]. On y a statué que la suspension du contrat d’assurance qui, sous la loi française, intervient de plein droit à partir du lendemain du jour de l’aliénation du véhicule «ne peut être assimilée à un cas de déchéance sanctionnant un manquement de l’assuré à ses obligations envers l’assureur et ne peut donc faire jouer les dispositions de l’art. 13 précité».
Cette solution ne saurait être appliquée dans le droit du Québec à cause de différences majeures. La police, loin d’être suspendue immédiatement par l’aliénation du véhicule, est applicable à la nouvelle voiture pendant quatorze jours. Ensuite, dans le décret du 7 janvier 1959, on trouve à la suite de l’art. 13 la disposition suivante:
Art. 14. Dans tous les cas où un contrat a été souscrit pour satisfaire à l’obligation d’assurance, l’assureur qui entend invoquer, en cas d’accident corporel, la nullité de ce contrat, sa suspension ou la suspension de la garantie, une non-assurance ou une assurance partielle opposables
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à la victime ou à ses ayants droit, doit, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, en faire la déclaration prévue au premier alinéa de l’article 5 du décret n. 52‑763 du 30 juin 1952 au fonds de garantie automobile…
Ce texte qui mentionne successivement la suspension du contrat et celle de la garantie semble impliquer que les déchéances non-opposables aux victimes ne comprennent pas la suspension du contrat. Or, c’est bien la suspension du contrat qui découle de l’aliénation de l’automobile assurée, l’art. 19 bis de la Loi du 13 juillet 1930, ajouté par ordonnance du 7 janvier 1959, comporte ce qui suit:
Art. 19 bis (Ajouté, Ord. n.59-113, 7 janv. 1959). — En cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur ou de ses remorques ou semi-remorques, et seulement en ce qui concerne le véhicule aliéné, le contrat d’assurance est suspendu de plein droit à partir du lendemain, à zéro heure, du jour de l’aliénation; il peut être résilié, moyennant préavis de dix jours, par chacune des parties.
A défaut de remise en vigueur du contrat par accord des parties ou de résiliation par l’une d’elles, la résiliation interviendra de plein droit à l’expiration d’un délai de six mois à compter de l’aliénation….
Je n’ai pas manqué d’examiner la décision rendue par le juge Monnin alors qu’il siégeait en première instance au Manitoba dans Pascoe c. Le Trésorier de la Province du Manitoba[5]. Il y a statué que l’absence d’avis à l’assureur dans les quatorze jours du changement de voiture était opposable aux victimes d’accidents d’automobiles. La rédaction du texte législatif qui fait l’objet de cette décision est bien différente de celle de l’art. 6 de la loi du Québec où l’on ne trouve pas les mots sur lesquels elle est fondée. A mon avis, le texte québecois beaucoup plus concis est également de portée beaucoup plus étendue. Je ne vois aucune raison d’en restreindre l’effet. Pourquoi l’absence d’avis à l’assureur d’un changement de voiture qui ne lui cause aucun préjudice, serait-il opposable aux victimes alors que l’absence d’avis d’accident susceptible de lui être extrêmement préjudiciable ne l’est certainement pas? Distinguer entre ce qui est antérieur à l’accident et ce qui est subséquent c’est introduire dans la loi du Québec une distinc-
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tion qu’elle ne fait pas et qu’elle ne justifie aucunement.
Il ne faut pas oublier que sous la loi du Québec, c’est l’ensemble des assureurs qui alimentent le Fonds par un prélèvement sur les primes. Le but évident de l’art. 6 c’est d’empêcher qu’un assureur reporte sur le groupe un risque pour lequel il a reçu une prime. S’il est obligé de supporter cette conséquence lorsque la fausse déclaration de l’assuré fait qu’il a touché une prime inférieure à celle qu’il aurait exigée autrement, à plus forte raison ne doit-il pas pouvoir reporter la responsabilité sur le Fonds en raison d’une omission qui ne lui a causé aucun préjudice. Dans la présente cause, le vrai litige est entre l’assureur et le Fonds. Je ne vois aucune raison d’imposer à ce dernier au lieu de la Sécurité, l’obligation d’indemniser les victimes ou leurs ayants droit.
Pour les motifs ci-dessus, il me paraît qu’il y a lieu de rejeter avec dépens le pourvoi de la Sécurité; quant au pourvoi contre le Fonds, je suis d’avis de le rejeter sans dépens.
Jugement en conséquence.
Procureurs de l’appelant: Desjardins, Ducharme, Desjardins, Tellier, Zigby & Michaud, Montréal.
Procureurs des intimés: Cagrain, Casgrain & Crevier, Rimouski.
Procureurs de l’intimé, le Fonds: Gagnon, de Billy, Cantin, Dionne & Martin, Québec.
[1] [1972] C.A. 783.
[2] [1956] R.C.S. 658.
[3] [1967] C.S. 185.
[4] Revue générale des assurances terrestres, vol. 42, p. 515.
[5] (1958), 16 D.L.R. (2d) 300.
Parties
Demandeurs :
Sécurité Compagnie d’Assurances Générales du CanadaDéfendeurs :
Bélanger et al.Proposition de citation de la décision:
Sécurité Compagnie d’Assurances Générales du Canada c. Bélanger et al., [1977] 1 R.C.S. 802 (19 décembre 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-12-19;.1977..1.r.c.s..802