Cour suprême du Canada
Landry c. Lapointe, [1980] 2 R.C.S. 412
Date: 1980-12-02
Charlemagne Landry (Demandeur) Appelant;
et
Jean Lapointe (Défendeur) Intimé.
1980: 30 octobre; 1980: 2 décembre.
Présents: Les juges Dickson, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli.
Charlemagne Landry, en personne.
Jean Crépeau, c.r., et Victoria A. Percival, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE LAMER — Ce pourvoi est à l’encontre d’un arrêt majoritaire de la Cour d’appel du Québec qui accueillait l’appel de l’intimé, Jean Lapointe, contre le jugement de la Cour supérieure du Québec le condamnant à payer à l’appelant, Charlemagne Landry, la somme de $5,100 avec intérêts et dépens. En accueillant le pourvoi la Cour d’appel du Québec réduisait à $1,600 le montant qu’avait à payer Jean Lapointe à Charlemagne Landry. L’appelant nous demande de rétablir la décision du premier juge.
M. Landry a été pendant plusieurs années, soit depuis 1955 jusqu’à 1974, gérant d’affaires dé Jean Lapointe et de Jérôme Lemay, deux artistes mieux connus des québécois comme étant à l’époque «Les Jérolas». Sa rémunération pour services rendus était établie à partir d’un pourcentage du montant des contrats qu’il négociait pour ses clients. En ce qui a trait aux contrats de publicité, il est admis par les parties que ce pourcentage était toujours, sauf pour la période 1973-74, précisément l’objet de ce litige, de 20 pour cent du montant de leurs honoraires.
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Lapointe a prétendu en Cour supérieure ne rien devoir à Landry pour l’année 1973-74 et ses raisons sont résumées par le juge Lajoie de la Cour d’appel du Québec comme suit (d.c. p. 103):
Lapointe nie devoir la somme de $3,500.00 réclamée, soit 20 pour cent du cachet payable à Lapointe en vertu de ce contrat pièce D-2, parce que Landry n’était pas partie à ce contrat pour l’année 1973-1974 contrairement à ce qui était les autres années, ayant accepté de ne pas l’être parce que Lapointe refusait de signer un contrat, préparé par l’agence, prévoyant une commission payable à Landry, le cachet offert étant inférieur à celui de l’année précédente. Lapointe n’aurait consenti à signer le contrat D-2 que si Landry ne devait pas recevoir de commission de lui.
Landry nie les prétentions de Lapointe et maintient que l’entente était toujours à l’effet qu’il devait recevoir 20 pour cent du montant obtenu, c’est-à-dire pour 1973-1974, 20 pour cent de $35,000, soit la somme de $3,500 de chacun de ses deux clients. Lemay n’est pas partie au litige puisqu’il a payé Landry; aussi, entendu comme témoin, il corrobore Landry.
La différence entre le montant de $3,500 et le montant du jugement de première instance, soit $5,100, représente d’autres commissions que Lapointe devait à Landry et qu’il a d’ailleurs reconnu lui devoir, ce qui explique le maintien par la Court d’appel de l’action pour partie. Eu égard aux circonstances judiciaires propres à l’espèce je ne crois pas utile ni opportun de poursuivre plus avant la narration des faits ni d’en faire une analyse plus poussée.
Dû à des circonstances malheureuses dont on ne peut sûrement pas imputer la responsabilité aux plaideurs ni non plus d’ailleurs à la Cour d’appel, les raisons que donnait verbalement séance tenante le juge de la Cour supérieure à l’appui de son jugement n’étaient pas disponibles lors de l’audition en Cour d’appel. Quant au dispositif formel reproduit au dossier conjoint en Cour d’appel, il s’agissait de la formule habituelle qui suit (d.c. p. 96):
«LE TRIBUNAL, ayant entendu la preuve au mérite, examiné le dossier, les procédures et les pièces, pour les raisons exposées verbalement à l’audience rend jugement séance tenante comme suit:
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L’action du Demandeur est maintenue pour la somme de cinq mille cent dollars ($5,100.00) avec intérêts et dépens.»
En Cour d’appel, M. le juge Lajoie, dans une opinion partagée par M. le juge Bélanger, nous laisse savoir qu’il est au fait de la situation. En effet, «Le jugement» nous dit-il, «est rendu séance tenante, dès après la clôture de l’enquête et audition, «pour les raisons exposées verbalement à l’audience» mais que le dossier ne reproduit pas.»
Plus loin dans son opinion le juge Lajoie dira:
«… Le juge de la Cour supérieure ne nous indique pas dans son jugement quels sont les motifs qui l’ont amené à conclure comme il l’a fait, ni s’il a préféré la preuve testimoniale de Landry et Lemay à celle de Lapointe ni, si ce fut le cas, pourquoi. Nous ne savons pas non plus s’il a considéré tous les contrats produits ou s’il a omis de le faire. Il nous faut reprendre l’étude de tout le dossier, apprécier la preuve et conclure de celle-ci.
Si l’on ne se réfère qu’aux témoignages eux-mêmes, je ne vois pas de raisons qui permettent de retenir une version plutôt que l’autre.» (d.c. p. 105)
Ceci dit, les juges d’appel procédaient ensuite à l’examen de la preuve et statuaient de novo avec le résultat que l’on connaît. Pour donner gain de cause à Lapointe, le juge Lajoie de la Cour d’appel, en examinant les modalités de certains contrats intervenus antérieurement entre «Les Jérolas» et la maison de publicité Cockfield, Brown & Company Limited ainsi que le contrat pour l’année 1974-1975, y trouvait une corroboration de son témoignage «qui dans mon esprit», dit-il, «le rend plus croyable, plus vraisemblable et probable que celui de Landry», (d.c. p. 107)
Plus industrieux que l’appelant en Cour d’appel, le nôtre, M. Landry, a depuis retracé les propos du juge et les a inclus au dossier devant cette Cour. En prononçant son jugement le juge s’était exprimé comme suit (d.c. p. 97):
«Il n’est pas nié que monsieur Landry a eu le mandat de continuer à négocier, il est prouvé par monsieur Landry …? par monsieur Lemay et effectivement monsieur Landry a continué les négociations et a obtenu cinq mille ($5,000.00) de plus. Alors je ne vois pas pourquoi
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on continuerait à s’objecter à payer. Si on voulait prouver qu’il fallait avoir une prépondérance de preuve pour prouver qu’il fallait quarante mille dollars ($40,000.00) autrement on payait pas de commission. Ça c’est la thèse de la défense mais il est seul à le dire contre deux témoins qui sont aussi dignes de foi que lui. Alors dans les circonstances je crois que la prépondérance de la preuve, je le répète, est favorable au demandeur et son action est maintenue avec dépens.[1]
Ces propos nous fournissent un éclairage quant au raisonnement du juge dont ne bénéficiaient point nos collègues de la Cour d’appel. En effet, il appert que le juge de la Cour supérieure a conclu qu’en 1973 M. Landry avait, comme il l’avait toujours eu depuis 1955, le mandat de négocier; que, compte tenu des témoignages de Lapointe, Landry et Lemay, il concluait à l’existence d’une prépondérance de preuve à l’effet que les parties n’avaient point, comme l’a prétendu Lapointe, dérogé aux conditions du contrat qui gouvernait leurs relations d’affaires depuis près de vingt ans et que Landry devait être rémunéré conformément à ce que prévoyait ce contrat, en l’espèce recevoir 20 pour cent du montant obtenu. On ne peut présumer que le juge a ignoré l’existence des documents sur lesquels se fonde la majorité de la Cour d’appel pour conclure dans le sens contraire. Un examen du dossier révèle qu’au cours du procès le juge en avait pris connaissance. Le fait que le juge de première instance n’y ait point fait spécifiquement allusion dans ses remarques et se soit limité à ne mentionner que le mandat de négocier indiquerait tout autant sinon davantage qu’il était d’avis, tout comme le fut d’ailleurs M. le juge Owen de la Cour d’appel, que le contrat qui gouvernait leurs relations d’affaires était celui qui existait entre eux depuis près de vingt ans et qu’il considérait peu pertinentes et de toute façon peu concluantes les variations d’une année à l’autre que l’on retrouve entre certains des contrats avec la maison Cockfield, Brown & Company Limited. En somme, c’est en regard des documents produits au dossier et nonobstant ceux-ci que le juge de première instance, qui a eu l’insigne avantage de voir et
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entendre les témoins, a préféré la version de l’appelant.
C’est peut-être présomptueux de ma part, mais je crois que, si les juges de la Cour d’appel avaient pu prendre connaissance des propos du juge de la Cour supérieure, ils auraient refusé d’intervenir pour substituer leur opinion à la sienne, et ce quand bien même n’eussent‑ils point partagé son avis. Quoi qu’il en soit, une fois versées au dossier les remarques du juge, la situation devient telle que la substitution par la Cour d’appel de son opinion à celle du juge du procès est une ingérence par celle-ci dans un domaine que la jurisprudence a de toujours réservé au juge de première instance (Voir entre autres Latour c. Grenier[2], à la p. 761; Maze c. Empson[3]; Dorval c. Bouvier[4]; Métivier c. Cadorette[5]; Gagnon c. Gauthier[6]; Globe et al. c. Vézina[7]. Voir aussi les propos de M. le juge Laskin, qui était à l’époque juge puîné à cette Cour, dans Hood c. Hood[8], aux pp. 251-54.)
Pour ces raisons je suis d’avis d’accueillir ce pourvoi, d’infirmer la décision de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour supérieure du Québec, avec dépens contre l’intimé dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureur de l’appelant: Charlemagne Landry, Ville d’Anjou, Qué.
Procureurs de l’intimé: de Grandpré, Colas, Deschênes, Godin, Paquette, Lasnier & Alary, Montréal.
[1] On ne sait de qui est la ponctuation, ni encore si elle rend bien les intonations du juge; elle n’est sûrement pas de celui-ci qui prononçait son jugement verbalement.
[2] [1945] R.C.S. 749.
[3] [1964] R.C.S. 576.
[4] [1968] R.C.S. 288.
[5] [1977] 1 R.C.S. 371.
[6] [1958] B.R. 401.
[7] [1970] C.A. 121.
[8] [1972] R.C.S. 244.