Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915
Will‑Kare Paving & Contracting Limited Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
Répertorié: Will‑Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada
Référence neutre: 2000 CSC 36.
No du greffe: 26601.
1999: 10 novembre; 2000: 20 juillet.
Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1998), 232 N.R. 381, 98 D.T.C. 6203, [1998] A.C.F. no 234 (QL), qui a rejeté l’appel d’un contribuable à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, [1996] 2 C.T.C. 2426, 97 D.T.C. 506, [1996] A.C.I. no 281 (QL). Pourvoi rejeté, les juges Gonthier, McLachlin et Binnie sont dissidents.
Philip Anisman et Robert B. MacLellan, pour l’appelante.
Bruce S. Russell et Anne‑Marie Lévesque, pour l’intimée.
Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Iacobucci, Major et Bastarache rendu par
1 Le juge Major — Le présent pourvoi porte sur le droit de l’appelante de se prévaloir, pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990, de deux stimulants fiscaux aux titres de la fabrication et de la transformation, fondés sur le coût en capital d’une usine de fabrication d’asphalte qu’elle a construite en 1988. Le droit aux deux stimulants, à savoir la déduction pour amortissement accéléré et le crédit d’impôt à l’investissement, est fonction de ce que l’usine produisant l’asphalte fourni dans le cadre des services d’asphaltage soit utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre.
I. Les faits
2 L’appelante, Will‑Kare Paving & Contracting Limited («Will‑Kare»), revêt d’asphalte des allées, des stationnements ainsi que des voies publiques secondaires pour des clients commerciaux et résidentiels.
3 Jusqu’en 1988, Will‑Kare achetait tout son asphalte de concurrents, ce qui la rendait vulnérable quant aux prix et à l’approvisionnement. Cette année‑là, elle a construit sa propre usine de fabrication d’asphalte afin de ne plus dépendre de tiers fournisseurs. Elle comptait en outre que le fait de posséder sa propre usine lui permettrait de soumissionner des travaux de plus grande importance. Enfin, même si sa consommation antérieure d’asphalte ne justifiait pas la construction de sa propre usine, Will‑Kare était convaincue de pouvoir rendre l’usine rentable en vendant sa production excédentaire à des tiers.
4 Après l’acquisition de l’usine, les ventes et les recettes de Will‑Kare provenant des contrats d’asphaltage ont augmenté comme prévu. Pour les années d’imposition considérées, environ 75 pour 100 de la production d’asphalte de Will‑Kare était utilisée pour son entreprise d’asphaltage et environ 25 pour 100 était vendue à des tiers.
5 Pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990, Will‑Kare a inscrit l’usine et les ajouts dans la catégorie 39 de l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945 (le «Règlement»), car il s’agissait selon elle d’un bien utilisé principalement pour la fabrication et la transformation de marchandises à vendre. Elle a donc demandé la déduction pour amortissement accéléré en application de l’al. 20(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 (la «Loi»). Elle a également demandé le crédit d’impôt à l’investissement prévu au par. 127(5) pour le motif que l’usine était un «bien admissible» au sens du par. 127(9) de la Loi. Enfin, elle a demandé le crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation prévu au par. 125.1(1), pour les années d’imposition 1988 et 1989, quant à la totalité de son revenu selon l’art. 5201 du Règlement (la «Règle concernant les petits fabricants»).
6 Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Will‑Kare, inscrivant l’usine dans la catégorie 8 aux fins de la déduction pour amortissement et refusant le crédit d’impôt à l’investissement, pour le motif, dans les deux cas, que l’usine n’était pas utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre. De ce fait, le revenu de Will‑Kare tiré d’une entreprise exploitée activement se chiffrait à plus de 200 000 $, de sorte qu’il fallait calculer le crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation suivant la formule de base proportionnelle prévue à l’art. 5200 du Règlement et non en appliquant le crédit à la totalité du revenu de l’appelante conformément à l’art. 5201 du Règlement.
7 Les appels interjetés par Will‑Kare à la Cour canadienne de l’impôt et à la Cour d’appel fédérale ont été rejetés.
II. Les dispositions pertinentes
8 Les dispositions suivantes sont applicables:
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 (maintenant L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)):
20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant:
a) la partie, si partie il y a, du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant, si montant il y a, du coût en capital des biens, supporté par le contribuable, que le règlement autorise;
127. . . .
(5) Est déductible de l’impôt payable par ailleurs par un contribuable en vertu de la présente partie pour une année d’imposition un montant qui ne dépasse pas le moins élevé des montants suivants:
a) le crédit annuel maximal d’impôt à l’investissement du contribuable;
b) le total des montants suivants:
(i) le crédit d’impôt à l’investissement du contribuable à la fin de l’année au titre de biens acquis, ou de dépenses faites, avant la fin de l’année,
. . .
(9) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 127.1:
. . .
«crédit d’impôt à l’investissement» d’un contribuable à la fin d’une année d’imposition s’entend de l’excédent, s’il en est, du total
a) de l’ensemble des montants dont chacun représente le pourcentage déterminé:
(i) du coût en capital pour le contribuable d’un bien admissible, . . .
...
«bien admissible» d’un contribuable s’entend d’un bien [. . .] qui est . . .
. . .
b) une machine prescrite ou du matériel prescrit que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,
qui, avant cette acquisition, n’a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit, et
c) qu’il compte utiliser au Canada principalement pour
(i) la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer, . . .
. . .
«pourcentage déterminé» correspond aux pourcentages suivants:
a) dans le cas d’un bien admissible
. . .
(iii) acquis principalement pour être utilisé dans les provinces de Terre‑Neuve, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de la Nouvelle‑Écosse ou du Nouveau‑Brunswick ou dans la péninsule de Gaspé,
(A) après le 16 novembre 1978 et avant 1989, 20 %,
(B) après 1988, 15 %, . . .
Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945:
4600. . . .
(2) Sont des machines prescrites ou constituent du matériel prescrit pour l’application de la définition de «bien admissible», au paragraphe 127(9) de la Loi, les biens amortissables suivants du contribuable qui [. . .] sont . . .
. . .
k) des biens compris dans la catégorie 21, 24, 27, 29, 34, 39 ou 40 de l’annexe II.
. . .
Annexe II
. . .
CATÉGORIE 8
(20 pour cent)
Les biens non compris dans la catégorie 2, 7, 9, 11 ou 30 qui sont constitués par:
a) une structure consistant dans des machines ou du matériel de fabrication ou de transformation;
. . .
CATÉGORIE 29
Les biens qui autrement seraient compris dans une autre catégorie de la présente annexe
a) c’est‑à‑dire les biens fabriqués par le contribuable et dont la fabrication a été achevée après le 8 mai 1972, ou autres biens acquis par le contribuable après le 8 mai 1972,
(i) et devant être utilisés directement ou indirectement par lui au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, . . .
. . .
b) c’est‑à‑dire
(i) les biens qui, sans la présente catégorie, seraient compris dans la catégorie 8, . . .
. . .
c) c’est‑à‑dire les biens acquis par le contribuable:
(i) soit avant 1988,
(ii) soit avant 1990 et, selon le cas:
(A) qui ont été acquis conformément à une obligation écrite contractée par le contribuable avant le 18 juin 1987,
(B) dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987,
(C) qui sont des machines ou de l’équipement constituant une partie fixe et intégrante d’un bâtiment, d’une structure, d’une installation d’usine ou d’un autre bien dont la construction par le contribuable ou pour son compte était commencée le 18 juin 1987.
. . .
CATÉGORIE 39
Les biens acquis après 1987 qui ne sont pas compris dans la catégorie 29 mais qui seraient compris par ailleurs dans cette catégorie s’il était fait abstraction de ses sous‑alinéas b)(iii) et (v) et de son alinéa c).
III. Les jugements antérieurs
A. La Cour canadienne de l’impôt, 97 D.T.C. 506
9 En rejetant l’appel de Will‑Kare, le juge Sarchuk a dit estimer que, pour avoir droit au crédit d’impôt à l’investissement et à la déduction pour amortissement accéléré pour les biens de la catégorie 39, la contribuable devait avoir acquis l’usine de fabrication d’asphalte principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer. Reprenant le raisonnement tenu dans Canada c. Hawboldt Hydraulics (Canada) Inc. (Syndic), [1995] 1 C.F. 830 (C.A.), le juge Sarchuk a conclu que l’utilisation de l’usine pour la fabrication d’asphalte destiné à l’exploitation de l’entreprise d’asphaltage de Will‑Kare était non pas une utilisation pour la fabrication de marchandises à vendre, mais plutôt une utilisation pour la fabrication de marchandises devant servir à l’exécution de contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux.
10 Le juge Sarchuk a également réfuté l’argument de Will‑Kare selon lequel, vu que sa décision d’acquérir l’usine était fondée de façon également importante sur la possibilité de vendre de l’asphalte à des tiers, la fabrication de marchandises à vendre était l’une des principales utilisations éventuelles de l’usine. Comme les ventes à des tiers n’ont jamais représenté plus de 25 pour 100 des ventes totales, le juge Sarchuk a conclu que l’utilisation principale de l’usine ne pouvait pas être la fabrication de marchandises à vendre.
B. La Cour d’appel fédérale, 98 D.T.C. 6203
11 Le juge Strayer a rejeté l’appel et a conclu que le juge Sarchuk avait à juste titre considéré que l’usine de fabrication d’asphalte n’avait pas été acquise principalement pour la fabrication de marchandises à vendre, mais bien pour la production d’asphalte destiné à l’entreprise d’asphaltage de Will‑Kare. Le juge Strayer a également convenu que l’expression «marchandises à vendre» devait avoir le sens attribué par le droit général en matière de vente de marchandises et exclure les marchandises fournies en exécution de contrats de fourniture d’ouvrage et matériaux. En conséquence, Will‑Kare n’avait pas acquis l’usine principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre.
IV. Question en litige
12 Will‑Kare peut-elle déduire le coût en capital de l’usine de fabrication d’asphalte au titre du crédit d’impôt à l’investissement prévu au par. 127(5) de la Loi et se prévaloir de la déduction pour amortissement accéléré selon la catégorie 39 de l’annexe II du Règlement et de l’al. 20(1)a) de la Loi?
V. Analyse
13 Que Will‑Kare puisse ou non se prévaloir à la fois du crédit d’impôt à l’investissement prévu au par. 127(5) et de la déduction pour amortissement accéléré selon la catégorie 39 dépend de l’interprétation d’une exigence légale commune aux deux stimulants.
14 Les parties conviennent que Will‑Kare pouvait amortir le coût de son usine de fabrication d’asphalte en se prévalant d’une déduction pour amortissement selon l’al. 20(1)a) de la Loi. Le litige porte plutôt sur la question de savoir à quelle catégorie de biens prévue à l’annexe II du Règlement appartient l’usine de Will‑Kare.
15 Will‑Kare préfère évidemment que son usine soit considérée comme un bien de la catégorie 39 et, à ce titre, soit amortie plus rapidement qu’un bien de la catégorie 8. Selon l’annexe II du Règlement, un bien de la catégorie 39 est essentiellement un bien de la catégorie 29 acquis après 1987. Par conséquent, pour que l’usine soit considérée comme un bien de la catégorie 39, Will‑Kare doit en avoir fait l’acquisition afin de l’utiliser «directement ou indirectement [. . .] au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location».
16 Pour donner droit au crédit d’impôt à l’investissement prévu au par. 127(5), l’usine de Will‑Kare doit être considérée comme un «bien admissible» au sens du par. 127(9) de la Loi, soit généralement comme machine prescrite ou du matériel prescrit que le contribuable compte utiliser au Canada principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer. Selon l’alinéa 4600(2)k) du Règlement, un bien est une machine prescrite ou du matériel prescrit s’il appartient notamment à la catégorie 39 de l’annexe II.
17 Par conséquent, pour bénéficier des deux stimulants, Will‑Kare doit établir qu’elle a acquis l’usine de fabrication d’asphalte principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer.
18 Des observations ont été formulées concernant un troisième stimulant, soit le crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation prévu à l’art. 125.1. Le droit à ce stimulant n’a pas été invoqué devant les tribunaux inférieurs et ne constitue pas une question en litige dans le présent pourvoi.
Fabrication ou transformation de marchandises à vendre
19 Il ressort de la jurisprudence canadienne deux interprétations divergentes des activités comportant fabrication et transformation de marchandises à vendre. Il peut être utile, sans examiner de façon approfondie la jurisprudence pertinente, d’exposer brièvement les affaires qui illustrent ces deux écoles de pensée.
20 L’un des deux points de vue est exprimé dans Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1re inst.), qui invoque des distinctions issues de la common law et du droit provincial en matière de vente de marchandises pour définir l’admissibilité aux stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Seuls sont admissibles les biens en immobilisation utilisés pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies en exécution de contrats comportant uniquement la vente de ces marchandises. Un bien utilisé pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies dans le cadre de la prestation de services, c’est‑à‑dire en exécution d’un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux, n’est pas considéré comme utilisé directement ou indirectement au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation d’articles destinés à la vente et n’ouvre donc pas droit à la déduction pour amortissement accéléré ou au crédit d’impôt à l’investissement.
21 La question en litige dans l’affaire Crown Tire était de savoir si la fixation de bandes de roulement fabriquées par la contribuable à des pneus que des clients venaient faire réparer équivalait à la fabrication ou à la transformation d’articles à vendre. Le juge Strayer (nommé depuis à la Cour d’appel) a rejeté la prétention de la contribuable selon laquelle elle avait droit au crédit d’impôt au titre des bénéfices de fabrication et de transformation prévu à l’art. 125.1, car les bandes de roulement fabriquées étaient fournies en exécution d’un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux, cette qualification étant fondée sur le mode de transfert de la propriété à l’acheteur. Il écrit (à la p. 223):
Dans Benjamin’s Sale of Goods (Londres, 1974), on dit relativement à la distinction entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux:
[traduction] Lorsqu’un bien, meuble ou immeuble, de l’employeur doit faire l’objet de travaux comportant l’utilisation ou l’adjonction de matériaux appartenant à la personne engagée à cet effet, il s’agira normalement d’un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux, la propriété de ceux‑ci passant alors à l’employeur par accession et non pas en vertu d’un contrat de vente.
. . .
J’estime que le principe général énoncé dans Benjamin s’applique à la situation en l’espèce. Quant aux pneus appartenant aux clients, il me semble que pendant tout le processus de rechapage ces derniers en conservent la propriété.
22 L’autre école de pensée se dissocie du point de vue exprimé dans Crown Tire et se refuse à appliquer les règles issues des lois et de la common law en matière de vente de marchandises pour déterminer à quels biens en immobilisation s’appliquent les stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Elle préconise plutôt une interprétation littérale du mot «vente», de telle sorte que la prestation d’un service accessoire à la fourniture d’un article fabriqué ou transformé n’empêche pas le contribuable de bénéficier des stimulants. Le transfert de propriété contre valeur suffit. Voir Halliburton Services Ltd. c. La Reine, 85 D.T.C. 5336 (C.F. 1re inst.), conf. par 90 D.T.C. 6320 (C.A.F.), et La Reine c. Nowsco Well Service Ltd., 90 D.T.C. 6312 (C.A.F.).
23 Dans Halliburton et Nowsco, le type de contrat entre le contribuable et le client n’a pas été jugé pertinent. Dans les deux cas, la Cour d’appel fédérale a cité et approuvé ce que disait le juge Reed, en première instance, dans Halliburton, semblant recommander un autre critère fondé sur la source du bénéfice du contribuable (à la p. 5338):
. . . je ne trouve aucune exigence selon laquelle le contrat qui donne lieu au bénéfice du contribuable doive être d’une nature particulière par ex.: un contrat pour la vente de marchandises et non un contrat d’une nature plus étendue qui comprend le travail et la main‑d’œuvre ainsi que les marchandises ou les matériaux qui sont fournis. À mon avis, c’est la source du bénéfice, (qui découle de la transformation) qui est importante [. . .] et non la nature du contrat du contribuable avec ses clients.
24 L’arrêt Rolls‑Royce (Canada) Ltd. c. La Reine, 93 D.T.C. 5031 (C.A.F.), tente de concilier les deux courants jurisprudentiels opposés en limitant le raisonnement tenu dans Crown Tire aux circonstances n’établissant pas la fabrication d’un article distinct et identifiable avant la prestation d’un service ou simultanément à celle‑ci. Comme le dit le juge MacGuigan (à la p. 5034):
La distinction cruciale entre les affaires Crown Tire et Halliburton me semble [. . .] [tenir au fait] que la transformation en cause dans l’affaire Crown Tire «ne comportait pas la création d’une marchandise avant son emploi dans la prestation d’un service» [. . .] Dans l’affaire Crown Tire, les bandes de caoutchouc n’étaient pas, selon la preuve, fabriquées ou transformées par la contribuable, alors que dans l’affaire Halliburton, le ciment était fabriqué par la contribuable, il l’était même sur mesure selon des stipulations très précises.
25 Dans Hawboldt Hydraulics, précité, la contribuable intimée se fonde sur l’interprétation, dans Rolls‑Royce, de la décision Crown Tire pour demander la déduction pour amortissement accéléré selon la catégorie 29 et le crédit d’impôt à l’investissement prévu au par. 127(5) à l’égard d’un bien utilisé pour fabriquer des pièces devant servir dans la prestation de services de réparation. La cour a débouté la contribuable et est revenue à la position adoptée initialement dans Crown Tire. Le juge en chef Isaac écrit (à la p. 847):
La règle moderne d’interprétation des lois nous invite à donner à ces mots leur sens ordinaire. Mais il s’agit en l’espèce d’une loi commerciale et dans le monde du commerce, les mots ont un sens bien compris. [. . .] Le juge Strayer avait raison, à mon humble avis, de dire ceci dans la décision Crown Tire, à la page 225:
. . . il faut supposer que le Parlement en parlant «d’articles destinés à la vente ou à la location» a voulu, par une référence au droit général en matière de vente ou de louage, donner à cette expression une plus grande précision dans des cas particuliers.
26 Dans le présent pourvoi, Will‑Kare reconnaît que l’asphalte fourni dans le cadre des services d’asphaltage l’est en application d’un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux. Néanmoins, elle demande à notre Cour de recourir à l’interprétation fondée sur le sens ordinaire qui est préconisée dans Halliburton et Nowsco et selon laquelle la fabrication de marchandises à vendre s’entend de la fabrication de toute marchandise devant être fournie à un client contre valeur, peu importe que des services d’asphaltage soient fournis concurremment. L’intimée fait valoir au contraire que, comme il est mentionné dans Crown Tire et Hawboldt Hydraulics, le mot vente employé dans le cadre des stimulants fiscaux pour la fabrication et la transformation s’entend nécessairement de la vente de marchandises au sens de la common law et de la loi.
27 Les deux parties citent abondamment les débats de la Chambre à l’appui de leur interprétation respective de l’intention du législateur qui sous‑tend l’emploi de «marchandises à vendre» dans le cadre des stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Je ne m’attarderai pas à ces documents législatifs étant donné que je suis généralement d’accord avec la qualification proposée à leur égard par le juge en chef Isaac dans Hawboldt Hydraulics, précité, aux pp. 846 et 847:
. . . il ressort clairement du contexte global des textes législatifs, y compris des extraits des Débats de la Chambre des communes auxquels j’ai fait référence, que le législateur avait, en adoptant ces textes, pour objectif de favoriser l’accroissement de la production et de la transformation de produits destinés à concurrencer les manufacturiers étrangers au pays comme sur le marché international. Que ce soit là l’activité que le Parlement voulait encourager ressort clairement, à mon sens, des Débats. Il est également manifeste que le Parlement entendait avantager les manufacturiers et les transformateurs engagés dans ce genre d’activités. En d’autres termes, les dispositions législatives applicables visaient à conférer aux manufacturiers et transformateurs canadiens un avantage par rapport à leurs concurrents étrangers, au pays et à l’étranger. Il est également clair que le Parlement avait à l’esprit des groupes ainsi que des activités cibles. Les dispositions n’ont pas été conçues au profit de toutes les activités manufacturières ni à celui de tous les manufacturiers. Il ressort clairement du texte de la loi que l’activité devant être avantagée était la fabrication de marchandises destinées à la vente ou à la location . . .
28 Il ressort des documents législatifs se rapportant aux stimulants fiscaux en cause que l’objectif du législateur était de rendre le secteur de la fabrication et de la transformation plus apte à soutenir la concurrence étrangère sur les marchés intérieur et international et de favoriser l’emploi dans ce secteur de l’économie canadienne. De plus, il est manifeste que le législateur n’a pas voulu définir de manière exhaustive les activités de fabrication et de transformation, ces mots n’ayant aucun sens juridique particulier, mais a plutôt confié aux tribunaux la tâche d’interpréter ces termes conformément à l’usage commercial courant. Le langage employé dans le journal des débats ne permet pas de déterminer le sens que le législateur a voulu attribuer au terme «à vendre ou à louer». Ainsi, l’application des distinctions établies en common law relativement à la vente de marchandises n’est ni prescrite ni exclue.
29 Malgré cette absence de précision, vente et location ont un sens bien établi en droit. Comme il est signalé dans Crown Tire et Hawboldt Hydraulics, le législateur connaissait le sens de ces termes et était conscient des conséquences de leur emploi. Il s’ensuit que les stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation ne visent que les biens utilisés pour la fourniture de marchandises à vendre, à l’exclusion des biens utilisés principalement pour la fourniture de marchandises en exécution de contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux.
30 Il se peut, comme l’a fait valoir Will‑Kare et comme il est mentionné dans Halliburton, précité, à la p. 5338, que le recours aux distinctions établies en droit relativement à la vente de marchandises ait parfois pour conséquence anormale que la fourniture de services relativement aux marchandises fabriquées et transformées rende inadmissible un bien qui, sans les services, aurait donné droit aux stimulants. Il demeure toutefois que, en incluant les mentions de la vente ou de la location dans les dispositions prévoyant l’octroi de stimulants pour la fabrication ou la transformation, le législateur a opté pour un langage qui fait appel à des distinctions relativement subtiles issues du droit privé. La Loi est en fait truffée de telles distinctions. Sauf indication contraire expresse, il y a lieu de recourir à l’interprétation qui découle des règles bien établies du droit commercial.
31 Interpréter en l’espèce le mot vente selon son «sens ordinaire» supposerait que la Loi s’applique en vase clos sans tenir aucun compte de la qualification juridique des rapports commerciaux plus généraux qu’elle vise. Il ne s’agit pas d’un code du commerce qui s’ajoute à une loi fiscale. Notre Cour a tenu pour acquis, dans des arrêts antérieurs, qu’il faut s’en remettre aux règles plus générales du droit commercial pour attribuer un sens à des mots qui, indépendamment de la Loi, sont bien définis. Voir Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298. Voir également P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law (3e éd. 1999), à la p. 2, où les auteurs signalent:
[traduction] La Loi de l’impôt sur le revenu se fonde implicitement sur le droit commun et plus particulièrement sur le droit des contrats et le droit des biens [. . .] Le fait qu’une personne soit un employé, un entrepreneur indépendant, un associé, un mandataire, le bénéficiaire d’une fiducie ou l’actionnaire d’une société par actions a généralement une incidence sur l’obligation fiscale et dépend de notions du droit commun, soit généralement du droit provincial.
32 Il est également conforme au principe moderne de l’interprétation des lois en fonction de leur objet de s’en remettre au contexte plus large du droit commercial pour déterminer le sens à donner aux termes employés dans la Loi. Comme le dit E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87:
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. Pour l’interprétation des lois fiscales, notre Cour a appliqué la méthode moderne. Voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au par. 5, le juge Bastarache, et au par. 50, le juge Iacobucci; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.
33 La nature technique de la Loi ne permet pas d’élargir le principe du sens ordinaire de manière à englober le sens courant. Le mot vente a un sens juridique bien établi et reconnu.
34 Dans ses arguments, Will‑Kare préconise essentiellement l’application du critère des réalités économiques pour déterminer ce qui constitue une vente pour l’octroi des stimulants fiscaux au titre de la fabrication et de la transformation. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, sauf indication contraire expresse dans la loi, je considère que, en ce qui concerne les stimulants fiscaux, le renvoi aux notions de vente et de louage introduit des distinctions établies par le droit privé. Les dispositions en cause sont claires et non équivoques, et le renvoi aux réalités économiques n’est pas justifié. Voir Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au par. 40.
35 Il serait loisible au législateur de prévoir une définition plus étendue de la vente aux fins de l’application des stimulants fiscaux en adoptant un libellé clair en ce sens. Cependant, comme les dispositions en cause renvoient simplement à la vente, on ne peut conclure qu’il a voulu donner une autre portée que celle découlant de la common law et des lois relatives à la vente de marchandises.
36 Pour les années d’imposition considérées, environ 75 pour 100 de l’asphalte fabriqué à l’usine de Will‑Kare était fourni dans le cadre des services d’asphaltage de Will‑Kare. Ainsi, l’usine était utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises fournies en exécution de contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux, et non en exécution de contrats de vente. La propriété de l’asphalte est passée aux clients de Will‑Kare comme accessoire fixe d’un bien réel.
37 Les principes énoncés dans Crown Tire et Hawboldt Hydraulics, dans la mesure où ils privilégient la définition de la vente selon la common law et les lois pertinentes, offrent des paramètres préférables à l’interprétation plus générale de la vente préconisée dans Halliburton et Nowsco.
38 Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.
Version française des motifs des juges Gonthier, McLachlin et Binnie rendus par
39 Le juge Binnie (dissident) — La question fondamentale en l’espèce est l’interprétation de termes courants employés par le législateur dans le contexte d’un régime fiscal fondé sur l’autocotisation. En 1997, dernière année pour laquelle nous disposons de statistiques précises, 20 453 540 déclarations de revenu ont été produites auprès de Revenu Canada. La plupart des contribuables ne sont pas des juristes (et n’ont probablement aucun désir de l’être). Confronté, comme en l’espèce, à l’interprétation de l’expression «principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer» au par. 127(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63 (la «Loi»), le contribuable a droit, à mon avis, au bénéfice du sens ordinaire d’un mot aussi courant que «vente». En l’espèce, le ministre a refusé ce bénéfice à la contribuable. On ne peut demander aux millions de contribuables qui ne sont pas des avocats d’aller consulter l’ouvrage Benjamin’s Sale of Goods pour y découvrir la différence entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux, et d’appliquer ces distinctions pour déterminer leur propre obligation fiscale. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi.
40 La contribuable appelante, qui était à l’origine une entreprise de pavage, a élargi ses activités pour y inclure la fabrication d’asphalte, et a demandé ensuite une déduction pour amortissement accéléré au titre de l’al. 20(1)a) de la Loi. (L’appelante a également demandé un crédit d’impôt à l’investissement en vertu du par. 127(5) de la Loi.) Le droit à la déduction pour amortissement accéléré dépend de la capacité de la contribuable de démontrer qu’elle a investi dans l’usine de fabrication d’asphalte dans le but d’acquérir des biens
devant être utilisés directement ou indirectement par [elle] au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location [italiques ajoutés]
au sens de l’al. 20(1)a) de la Loi et des catégories 39 et 29 de l’annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. 1978, ch. 945. Le droit au crédit d’impôt à l’investissement est formulé dans des termes similaires au sous‑al. 127(9)c)(i).
41 L’usine de fabrication d’asphalte produisait un matériau prêt à vendre. De toute évidence, l’asphalte était produit avant la prestation de tout service de pavage. Selon la preuve, la contribuable a pris environ 25 pour cent du produit pour le vendre tel quel à des clients. Le reste de l’asphalte a servi à l’exécution de divers contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux, la contribuable n’en ayant pas conservé. Le ministre a refusé la déduction pour amortissement accéléré au motif que, même si l’usine de fabrication d’asphalte produisait un matériau prêt à vendre, la contribuable a choisi de l’utiliser principalement en exécution de contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux et non de contrats de vente de marchandises, au sens de la Sale of Goods Act, 1893 (R.‑U.), 56 & 57 Vict., ch. 71, et de diverses lois provinciales dérivées.
42 Nul ne conteste que, si la contribuable avait conclu avec ses clients un contrat pour la vente de l’asphalte et un autre pour l’étendre, elle aurait droit à la déduction.
43 La Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale ont confirmé la décision du ministre en se fondant sur une explication donnée par le juge Strayer dans Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1re inst.), à la p. 225:
Bien que ces distinctions puissent paraître quelque peu subtiles et étrangères au droit fiscal, il faut supposer que le Parlement en parlant «d’articles destinés à la vente ou à la location» a voulu, par une référence au droit général en matière de vente ou de louage, donner à cette expression une plus grande précision dans des cas particuliers.
44 Toutefois, vu les faits de l’espèce, l’asphalte, à sa sortie de l’usine, était effectivement «à vendre». L’interprétation du ministre suppose l’ajout de quelques mots au texte de la loi pour préciser qu’il s’agit de «marchandises destinées à être aliénées en exécution de contrats de vente ou de location». Je souscris à cet égard à l’analyse du juge Reed qui parlait d’une disposition semblable de la Loi dans Halliburton Services Ltd. c. La Reine, 85 D.T.C. 5336 (C.F. 1re inst.), à la p. 5338, conf. par 90 D.T.C. 6320 (C.A.F.):
Il me semble assez évident que ce qui est prévu est une déduction fiscale en ce qui a trait au bénéfice qui découle de la fabrication et de la transformation de marchandises et non une exigence selon laquelle les marchandises doivent être vendues d’une manière particulière.
45 La question du pourcentage d’asphalte utilisé en exécution des contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux par opposition aux contrats de vente a été abondamment débattue devant notre Cour et les tribunaux d’instance inférieure. C’est l’emploi de «principalement» dans la définition qui a suscité le débat. À mon avis, le succès de la contribuable dépend non pas de ces pourcentages mais de la thèse selon laquelle la totalité de l’asphalte fabriqué à l’usine était destinée à la vente et l’utilisation de l’asphalte en exécution d’un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux était une «vente» de l’asphalte fabriqué, selon le sens ordinaire de la Loi.
Contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux
46 Le contrat type que l’appelante faisait signer à ses clients prévoyait qu’elle fournissait [traduction] «la totalité de la main‑d’œuvre, des matériaux et de l’outillage nécessaires à l’exécution» des travaux. Dans l’exemplaire figurant dans les dossiers de l’appelante, une note manuscrite indique que le contractant s’engage à [traduction] «enlever les matériaux impropres, fournir le gravier nécessaire, niveler le terrain, effectuer le compactage et appliquer 2½ po d’asphalte». Y figure ensuite le prix global des travaux. Selon la preuve, environ la moitié du prix du contrat s’appliquait aux matériaux, dont à peu près la moitié pour l’asphalte. Ces pourcentages importent peu étant donné que l’avantage fiscal s’attache non pas à un pourcentage du prix du contrat d’asphaltage mais à la totalité de la somme de 433 535 $ dépensée pour l’acquisition de l’usine de fabrication d’asphalte.
47 Je souligne d’entrée de jeu que la présente espèce diffère des «affaires de réparation», telle l’affaire Rolls‑Royce (Canada) Ltd. c. La Reine, 93 D.T.C. 5031 (C.A.F.), demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [1993] 2 R.C.S. x, où on a décidé que la révision de moteurs d’aéronef constituait une activité de fabrication ou de transformation, mais pas d’une marchandise «destinée à la vente» parce que les moteurs en cause demeuraient durant tout le processus la propriété des clients de la contribuable. L’arrêt Crown Tire, précité, va dans le même sens. La question ne se pose pas en l’espèce. Au point de départ, l’asphalte appartenait à la contribuable. Au point d’arrivée, elle appartenait au client. La seule question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si l’asphalte ainsi fabriqué était destiné à la vente.
48 Dans l’arrêt H. W. Liebig & Co. c. Leading Investments Ltd., [1986] 1 R.C.S. 70, à la p. 83, le juge La Forest souligne que «le sens premier du mot vente est le transfert de la propriété à quelqu’un d’autre, moyennant un prix quelconque». Renvoyant à la définition que donne le Oxford English Dictionary du mot «sale» — «[l]’action ou l’acte de vendre ou de transférer à quelqu’un d’autre moyennant un prix; l’échange d’une marchandise contre de l’argent ou une autre considération valable» — , le juge La Forest dit ceci, dans le contexte certes différent d’une convention d’achat d’un bien immobilier: «Je ne pense pas qu’il faille remplacer le sens ordinaire d’un mot du langage courant par le sens technique que les avocats peuvent lui attribuer à certaines fins, à moins qu’il n’y ait des éléments de preuve que les parties ont voulu utiliser ce mot dans son sens spécial ou technique» (p. 84). À mon avis, des termes ordinaires de la Loi comme le terme «en vue de la vente» devraient aussi être interprétés selon le «sens ordinaire d’un mot du langage courant». En l’occurrence, la fourniture d’asphalte était spécifiée, même si dans le contrat le prix de l’ouvrage n’était pas indiqué séparément de celui des matériaux. L’objectif du client était d’obtenir une allée asphaltée, et les services fournis par la contribuable étaient accessoires à la réalisation de cet objectif. Une fois le prix payé, le client devenait propriétaire de l’asphalte recouvrant son allée. La contribuable et ses clients n’étaient vraisemblablement pas conscients du fait (invoqué par le ministre) qu’aux yeux de la loi, le titre sur cette bande fumante d’asphalte passait par accession.
49 Notre Cour a fréquemment sanctionné la règle d’interprétation dite du «sens ordinaire» en ce qui concerne la Loi. L’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, en est un récent exemple. Le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) y dit ceci au nom de la Cour (au par. 40):
Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée...
À l’appui de cet énoncé, le juge McLachlin cite Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 305, au par. 16, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.
50 Cela ne veut pas dire que le tribunal doive appliquer la règle du «sens ordinaire» hors de tout contexte. Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578, le juge Estey souligne qu’«[a]ujourd’hui, les tribunaux appliquent à cette loi [la Loi de l’impôt sur le revenu] la règle du sens ordinaire, mais en tenant compte du fond», méthode qu’il a expliquée en renvoyant à l’extrait souvent cité de l’ouvrage de E. A. Driedger intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 (que Driedger appelle «la règle moderne»):
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou approche: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
51 Selon le professeur J. Willis, à la p. 6, dans «Statute Interpretation in a Nutshell» (1938), 16 Can. Bar Rev. 1, article classique que cite le juge Estey, dans Stubart Investments, précité, à la p. 577, [traduction] «[l]es mots, comme les gens, prennent la couleur de leur environnement». Plus récemment, le professeur J. M. Kernochan a exprimé un point de vue similaire: [traduction] «Les termes précis qui sont en litige eu égard aux faits doivent être appréciés d’après des cercles contextuels successifs» («Statutory Interpretation: An Outline of Method» (1976), 3 Dalhousie L.J. 333, aux pp. 348 et 349). Les principes énoncés dans l’arrêt Stubart Investments ont été repris par le juge Cory dans Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., précité, au par. 15:
Même si l’ambiguïté n’était pas apparente, il importe de signaler qu’il convient toujours d’examiner «l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur» pour déterminer le sens manifeste et ordinaire de la loi en cause.
52 Dans Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, le juge Gonthier au nom de la Cour, cite et applique les principes de l’arrêt Stubart Investments, et adopte l’énoncé suivant résumant sa conclusion sur la question de l’ambiguïté d’un texte législatif à la p. 17:
Toutefois, il y a eu un net changement [après Stubart] dans la résolution d’ambiguïtés. Dans le passé, on recourait souvent aux maximes selon lesquelles toute ambiguïté dans une disposition fiscale doit être résolue en faveur du contribuable et toute ambiguïté dans une disposition prévoyant une exemption doit être résolue en faveur de Sa Majesté. De nos jours, une ambiguïté est habituellement résolue ouvertement en tenant compte de l’intention du législateur. [Souligné par le juge Gonthier.]
L’accent mis dans Notre‑Dame de Bon‑Secours, précité, sur l’interprétation téléologique est parfois considéré comme allant à contre‑courant de la règle moderne du sens ordinaire: voir, à titre d’exemple, l’article de B. J. Arnold intitulé «Statutory Interpretation: Some Thoughts on Plain Meaning», dans Report of Proceedings of the Fiftieth Tax Conference (1999), 6:1, à la p. 6:20, mais cette observation est à mon sens incorrecte. L’arrêt Notre‑Dame de Bon‑Secours met en garde contre le recours excessif aux «présomptions préétablies» et préconise d’accorder la primauté à la «disposition législative en cause» (p. 20). La Cour dit que si, après avoir appliqué la méthode d’analyse de l’arrêt Stubart Investments, le tribunal conclut qu’il ne se dégage pas des mots eux‑mêmes un «sens ordinaire», il lui faut alors recourir à d’autres outils d’interprétation, dont «[le] contexte de la loi, [. . .] l’objet de celle‑ci et [. . .] l’intention du législateur» (p. 20). Loin de minimiser la règle du «sens ordinaire», le juge Gonthier analyse soigneusement le texte de la loi (p. 21), pour conclure finalement en ces termes (à la p. 27):
. . . si le législateur avait voulu que l’exemption de taxes d’un centre d’accueil soit subordonnée à l’existence d’un permis délivré par l’autorité compétente, il l’aurait expressément mentionné comme il l’a fait pour les garderies. Le même argument de texte peut être tiré du par. 204(15) . . .
53 La première règle dégagée dans le résumé figurant à la p. 20 de l’arrêt Notre‑Dame de Bon‑Secours est que «[l]’interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d’interprétation». Les «règles ordinaires» comprennent la règle moderne du sens ordinaire, comme le fait observer J. E. Fulcher, conseiller fiscal au ministère de la Justice, dans «The Income Tax Act: The Rules of Interpretation and Tax Avoidance. Purpose vs. Plain Meaning: Which, When and Why?» (1995), 74 R. du B. can. 563. Commentant (à la p. 578) l’arrêt ultérieur Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, il dit ceci:
[traduction] [L’]affaire n’a jamais dépassé la première règle énoncée dans Bon‑Secours. La règle ordinaire d’interprétation dans ce cas est que les dispositions non équivoques doivent être interprétées comme elles sont écrites et, le constat d’ambiguïté relevant d’une certaine subjectivité, pourquoi venir à la rescousse du ministère des Finances quand la disposition est parfaitement claire?
54 La première règle dans l’interprétation des lois est qu’il faut déterminer l’intention du législateur. Quand le sens des mots utilisés est clair et que le contexte ne crée pas d’ambiguïté, les mots sont alors les meilleurs indicateurs de l’intention du législateur: R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, à la p. 697, le juge en chef Lamer, et à la p. 712, le juge McLachlin dissidente. Certes, l’affirmation que les mots ont un «sens ordinaire» est en soi une conclusion fondée sur une analyse contextuelle. Toutefois, une fois qu’on a eu recours aux outils d’interprétation et qu’on a examiné la question sous les différents angles identifiés par le professeur Driedger, s’il ressort de cet exercice que le sens des termes utilisés par le législateur est manifeste, il faut leur donner effet. Les commentaires de Stubart Investments sur la notion de «sens ordinaire» sont ainsi réitérés par le juge Major dans Friesen, précité, au par. 10. Si, dit‑il, après avoir examiné le contexte et l’objet de la disposition fiscale, le tribunal conclut néanmoins qu’«une disposition est rédigée dans des termes précis qui n’admettent aucun doute ni aucune ambiguïté quant à son application aux faits, elle doit être appliquée nonobstant son objet»: Friesen, précité, au par. 11, citant P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (1995), à la p. 454.
55 La force de la règle du «sens ordinaire» réside dans la reconnaissance que les termes de la disposition sont eux-mêmes le véhicule par lequel le législateur transmet son intention aux personnes qui tentent de déterminer leurs droits et leurs obligations fiscales au titre de la Loi. Comme la Cour le dit dans l’arrêt Antosko, précité (aux pp. 326 et 327):
Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu’ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l’effet juridique et pratique de l’opération est incontesté...
56 À mon avis, est encore moins séduisante la tentative, en l’espèce, de restreindre le sens de «vente ou location» en recourant à des distinctions juridiques techniques entre divers types de contrats d’aliénation, distinctions qui sont totalement étrangères à la Loi et ne sont guère à la portée du contribuable en régime d’autocotisation. Mais outre tout cela, le recours à ces distinctions techniques importées risque d’aller à l’encontre non seulement du sens ordinaire, mais aussi de l’objet législatif de la disposition fiscale. Dans un cas où, comme en l’espèce, le législateur a utilisé des termes qui continuent d’être clairs malgré les «cercles contextuels successifs», j’estime que le contribuable a droit à l’avantage ainsi consenti. C’est le ministre (ou son collègue, le ministre des Finances) qui a recommandé le libellé particulier au législateur, et c’est le ministre ou son collègue qui peut recommander la modification de la Loi s’il l’estime souhaitable pour restreindre l’avantage fiscal.
Observations des fiscalistes
57 L’analyse fondée sur le «sens ordinaire», telle qu’elle est définie dans Stubart Investments, précité, a fait l’objet d’abondants commentaires dans la littérature fiscale récente, notamment par S. W. Bowman, «Interpretation of Tax Legislation: The Evolution of Purposive Analysis» (1995), 43 Can. Tax J. 1167; Fulcher, loc. cit.; K. Sharlow, «The Interpretation of Tax Legislation and the Rule of Law—Rejoinder» (1996), 75 R. du B. can. 151; R. Taylor, «The Interpretation of Fiscal Statutes: The ‘Plain Meaning’ Approach in Recent Supreme Court of Canada Decisions», dans Report of Proceedings of the Forty‑Eighth Tax Conference (1997), 64:1; Arnold, loc. cit. Plus récemment, la règle du «sens ordinaire» a été examinée en détail et critiquée par le professeur D. G. Duff dans deux articles intitulés «Interpreting the Income Tax Act» (1999), 47 Can. Tax J. 464 et 741. Le professeur Duff dit (à la p. 770) qu’en simplifiant à l’excès la tâche interprétative, la règle du sens ordinaire, dans sa forme pure (c.‑à‑d. avant que le juge Estey ne l’associe à la «règle moderne» de Driedger dans l’arrêt Stubart Investments, précité)
[traduction] obscurcit le processus d’interprétation des lois, en restreint artificiellement la portée, donne lieu à des décisions contraires à l’intention du législateur et à l’objet de la loi, laisse place à une discrétion judiciaire substantielle et impose aux rédacteurs des lois un fardeau déraisonnable.
Quoi qu’on ait pu dire de la règle du «sens ordinaire» initiale, je ne crois pas que la règle moderne du sens ordinaire énoncée dans Stubart Investments mérite honnêtement ces critiques.
58 Pour reprendre les arguments du professeur Duff dans l’ordre inverse, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable d’exiger du rédacteur de lois qu’il dise clairement (si telle est l’intention) que le matériau doit non seulement être fabriqué en vue de la vente, mais aussi en être disposé dans le cadre d’un type précis de contrat, excluant par exemple les contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux. Il serait très simple de signaler au contribuable, en langage clair, que s’il fournit des services en même temps que le matériau fabriqué il perdra la déduction pour amortissement accéléré et le crédit d’impôt à l’investissement.
59 Deuxièmement, l’adoption du sens ordinaire en l’espèce réduit plutôt qu’elle n’élargit le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. La Cour respecte les termes mêmes du législateur et part du postulat que ce dernier a voulu dire ce qu’il a dit: Friesen, précité, au par. 53. Elle ne complique pas la Loi en se fondant sur des idées empruntées de la Sale of Goods Act, 1893.
60 Troisièmement, un examen des dispositions connexes de la Loi et de l’historique législatif confirme le fait que le «sens ordinaire» concorde avec l’intention du législateur telle qu’elle est exprimée par le ministre et les hauts fonctionnaires responsables, type de preuve que la Cour a jugé admissible dans le cadre de l’interprétation: Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, aux pp. 749 et 750; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, au par. 173; Friesen, précité, au par. 63. Même si la critique est occasionnellement faite que [traduction] «[l]es juges jouissent d’une liberté considérable pour définir à leur manière l’objet de la loi» (R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la p. 60), le fait est qu’il existe en l’espèce d’abondantes sources convaincantes sur lesquelles s’appuyer.
61 Le 8 mai 1972, le ministre des Finances, l’honorable John Turner, présentait à la Chambre des communes une modification fiscale visant à permettre l’amortissement sur deux ans («amortissement accéléré») de la machinerie et de l’outillage utilisés dans les industries de fabrication, ces mesures devant aboutir à «des stimulants substantiels en vue de la création, au Canada, de nouvelles entreprises de fabrication, et de l’expansion de celles qui existent déjà, en accroissant les revenus que produiront, en fin de compte, les capitaux investis» (Débats de la Chambre des communes, vol. III, 4e sess., 28e lég., à la p. 2002). L’accent était mis sur la création d’emplois. Or, les usines de fabrication d’asphalte créent des emplois, peu importe le type de contrat d’aliénation de l’asphalte.
62 Le ministre des Finances est revenu sur le thème de l’encouragement à l’investissement dans les unités de production dans son exposé budgétaire du 19 février 1973 (Débats de la Chambre des communes, vol. II, 1re sess., 29e lég., à la p. 1428) et dans le débat sur les prévisions budgétaires le 13 juin 1973, où il a souligné qu’«[e]n augmentant le montant, net d’impôt, du revenu des placements, ces mesures permettront d’atteindre les objectifs nationaux en encourageant la création, dans différentes régions de notre pays, de nouvelles industries de fabrication et de transformation ainsi que des industries de service» (Débats de la Chambre des communes, vol. V, 1re sess., 29e lég., à la p. 4725). Or, quoi qu’on puisse dire des activités de la contribuable en l’espèce, elle a fait l’acquisition d’une nouvelle usine de fabrication et elle l’a exploitée parallèlement à son entreprise de service d’asphaltage.
63 Le ministre des Finances a de nouveau repris ce thème le 23 juin 1975: «Je propose donc d’établir, à titre de stimulant supplémentaire et temporaire, un dégrèvement pour les investissements dans une gamme étendue de nouvelles installations de production» (Débats de la Chambre des communes, vol. VII, 1re sess., 30e lég., à la p. 7028).
64 La même année, il dit ceci devant l’Association canadienne d’études fiscales:
[traduction] Nous voulons aussi que l’application de la politique soit claire. Le gouvernement, pas plus que les contribuables, n’apprécie les zones grises dans l’administration fiscale.
Pour appliquer le taux réduit, le contribuable doit répondre à deux questions:
Est‑ce que j’exerce une activité de fabrication ou de transformation?
Si oui, quelle part de mon revenu d’entreprise est assujettie au taux réduit?
(«Banquet Address», dans Report of Proceedings of the Twenty‑Fourth Tax Conference (1973), 278, à la p. 281.)
65 L’année suivante, R. D. Weil, c.a., de la Division des interprétations techniques au ministère du Revenu national, explique de nouveau les modifications fiscales devant l’Association canadienne d’études fiscales et il donne un exemple pertinent aux fins du présent pourvoi:
[traduction] Lorsqu’une entreprise signe un contrat de fourniture et d’érection, la fabrication hors chantier des produits de construction n’est pas considérée comme une activité de construction, tandis que leurs érection et installation au lieu de construction sont considérées comme des activités de construction. Lorsqu’un produit de construction, tel que le béton ou l’asphalte préparés, est fabriqué ou transformé ailleurs que sur les lieux de construction et est ensuite appliqué par la même entreprise sur les lieux de construction, une difficulté peut sembler surgir du fait qu’il n’y a pas eu de vente du béton ou de l’asphalte en question. Dans un tel cas ou un cas semblable, on considère que le produit a été vendu au moment où l’ouvrage terminé est lui‑même vendu et les activités en question remplissent donc les conditions requises. [En italique dans l’original; je souligne.]
(«Manufacturing and Processing Tax Incentives», dans Report of Proceedings of the Twenty‑Fifth Tax Conference (1974), 124, à la p. 127.)
66 La politique et l’interprétation de l’administration ne sont pas des sources concluantes, mais elles ont un certain poids en cas de doute sur la signification d’un texte législatif: Harel c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1978] 1 R.C.S. 851, à la p. 859, le juge de Grandpré; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la p. 37, le juge Dickson. Le Bulletin no IT‑145 publié par le ministère du Revenu national le 5 février 1974 reprend l’interprétation de M. Weil:
9. Lorsqu’un matériau ou produit de construction, tel que le béton ou l’asphalte préparés, est fabriqué ou transformé ailleurs que sur les lieux de construction, et est ensuite posé par la même corporation sur les lieux de construction, une difficulté peut sembler surgir du fait qu’il n’y a pas eu de vente du béton ou de l’asphalte en question. Dans un tel cas ou un cas semblable, on considère que le produit a été vendu au moment où l’édifice terminé est lui‑même vendu et les activités en question répondent donc aux exigences de la Loi et peuvent être considérées comme des activités de construction. [Je souligne.]
67 Ces observations, qui paraissent viser les projets de construction — terrain traditionnel privilégié des contrats de fourniture d’ouvrage et de matériaux — , affaiblissent à mon avis l’interprétation étroite que préconise le ministre en l’espèce.
68 De plus, l’historique législatif que nous venons d’esquisser montre clairement qu’il n’y a pas de lien entre la distinction inspirée des subtilités du droit des contrats que le ministre et les tribunaux inférieurs ont invoquées pour rejeter la prétention de la contribuable, et l’objet des déductions. En fondant le droit aux stimulants fiscaux sur la distinction entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d’ouvrage et de matériaux, le ministre applique des doctrines élaborées dans un contexte non fiscal visant des règles totalement différentes (et non pertinentes) régissant les droits et obligations des vendeurs et des acheteurs. Il y a sans aucun doute dans la Loi des dispositions dont la bonne compréhension exige de recourir au droit commercial ou aux pratiques comptables, mais les dispositions en cause dans le présent pourvoi ne sont pas de celles‑là.
69 L’arrêt Notre‑Dame de Bon‑Secours, précité, à la p. 18, reconnaît que, si à une époque on pouvait soutenir que la législation fiscale était limitée aux campagnes de financement destinées à couvrir les dépenses du gouvernement, «de nos jours, la loi sert d’autres objectifs et se présente comme instrument d’intervention économique et sociale. [. . .] Il s’agit là de deux buts légitimes qui expriment également l’intention du législateur et, à ce titre, on voit difficilement pourquoi l’un devrait primer l’autre.» À mon avis, l’objet de la loi en l’espèce, soit l’encouragement concret donné aux usines de fabrication et de transformation, corrobore et renforce le «sens ordinaire» de la Loi.
70 Si le principe du sens ordinaire limite dans une certaine mesure la portée de l’interprétation, il ne le fait pas «artificiellement». Il permet d’arriver à l’intention du législateur par le chemin le plus direct, soit en donnant effet aux termes que le législateur a utilisés dans les cas où il s’est exprimé clairement. S’il est peu probable que la Loi devienne un jour conviviale ou évidente en soi, il est d’une importance primordiale dans un régime fiscal fondé sur l’autocotisation de promouvoir une interprétation des dispositions qui soit, dans la mesure du possible, compréhensible pour les contribuables eux‑mêmes.
Dispositif
71 Je suis par conséquent d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il en soit disposé en conformité avec les présents motifs.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Gonthier, McLachlin et Binnie sont dissidents.
Procureurs de l’appelante: Philip Anisman, Toronto; Burchell MacDougall, Truro, Nouvelle-Écosse.
Procureur de l’intimée: Le ministère de la Justice, Halifax.