COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, 2006 CSC 36
Date : 20060727
Dossier : 30652
Entre :
Canadian Bearings Ltd.,
Farrokh Khalili, Hossein Banijamali et
Canadian Petroleum Processing & Equipment Inc.
Appelants
et
Celanese Canada Inc. et
Celanese Ltd.
Intimées
‑ et ‑
Advocates’ Society et
Association du Barreau canadien
Intervenantes
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 71)
Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish et Charron)
______________________________
Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, 2006 CSC 36
Canadian Bearings Ltd.,
Farrokh Khalili, Hossein Banijamali et
Canadian Petroleum Processing & Equipment Inc. Appelants
c.
Celanese Canada Inc. et
Celanese Ltd. Intimées
et
Advocates’ Society et
Association du Barreau canadien Intervenantes
Répertorié : Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp.
Référence neutre : 2006 CSC 36.
No du greffe : 30652.
2005 : 12 décembre; 2006 : 27 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
Procédure civile — Déclaration d’inhabilité d’un avocat à occuper — Avocats des demanderesses saisissant dans les locaux des défenderesses, conformément à une ordonnance Anton Piller, des documents électroniques dont certains se sont par la suite révélés assujettis au privilège avocat‑client — Avocats des demanderesses effectuant un examen partiel des documents — Défenderesses demandant que les avocats des demanderesses soient déclarés inhabiles à occuper — Les demanderesses ont‑elles l’obligation de réfuter la présomption de préjudice? — Y a‑t‑il lieu de déclarer les avocats des demanderesses inhabiles à occuper?
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Abella, Moldaver et Goudge) (2004), 73 O.R. (3d) 64, 244 D.L.R. (4th) 33, 190 O.A.C. 329, 1 C.P.C. (6th) 254, [2004] O.J. No. 3983 (QL), qui a infirmé une décision de la Cour divisionnaire (les juges MacFarland, Macdonald et Campbell) (2004), 69 O.R. (3d) 632, 237 D.L.R. (4th) 516, 183 O.A.C. 296, 46 C.P.C. (5th) 285, [2004] O.J. No. 372 (QL), qui avait infirmé une décision du juge Nordheimer (2003), 69 O.R. (3d) 618, [2003] O.J. No. 4211 (QL). Pourvoi accueilli.
Robert B. Bell, Douglas M. Worndl et Benjamin T. Glustein, pour les appelants.
Gavin MacKenzie et Michelle Vaillancourt, pour l’intimée Celanese Canada Inc.
Alan J. Lenczner, pour l’intimée Celanese Ltd.
C. Clifford Lax, c.r., et M. Paul Michell, pour l’intervenante Advocates’ Society.
Mahmud Jamal et Derek Leschinsky, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge Binnie — L’ordonnance Anton Piller ressemble étrangement à un mandat de perquisition privé. Aucun préavis n’est donné à la partie qu’elle vise. En fait, les défendeurs n’en prennent normalement connaissance qu’au moment de sa signification et de son exécution, sans avoir eu la possibilité de la contester ou de contester la preuve sur laquelle elle repose. Il se peut même que le défendeur ignore complètement qu’une instance est en cours. Aucune autorité publique ne se voit confier l’exécution de l’ordonnance, laquelle autorise plutôt une partie privée à exiger que la partie adverse la laisse entrer dans ses locaux pour qu’elle puisse y effectuer une perquisition‑surprise destinée à lui permettre de saisir et de conserver des éléments de preuve susceptibles d’étayer ses allégations dans un litige privé. Ce recours extraordinaire n’est justifié que dans le cas o— le demandeur dispose d’une preuve prima facie solide et peut démontrer que, selon les faits, il y a tout lieu de croire qu’à défaut de cette ordonnance des éléments de preuve pertinents risquent d’être détruits ou supprimés de quelque autre manière. La partie visée par une ordonnance Anton Piller devrait bénéficier d’une triple protection : une ordonnance soigneusement rédigée décrivant les documents à saisir et énonçant les garanties applicables notamment au traitement de documents privilégiés; un avocat superviseur vigilant et indépendant des parties, nommé par le tribunal; un sens de la mesure de la part des personnes qui exécutent l’ordonnance. En l’espèce, malheureusement, aucune de ces mesures de protection ne s’est révélée suffisante pour empêcher la divulgation de communications pertinentes effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client. Les mesures de protection prescrites par l’ordonnance étaient insuffisantes et n’ont pas été appliquées correctement. L’avocat superviseur semble avoir manqué de vigilance. Au lendemain de la perquisition, les avocats de Celanese semblent avoir oublié que l’ordonnance avait uniquement pour but de conserver des éléments de preuve, et non d’en permettre l’utilisation précipitée. En définitive, la partie ayant fait l’objet de la perquisition (Canadian Bearings) demande maintenant que les avocats de Celanese (Cassels Brock & Blackwell LLP (« Cassels Brock »)) soient déclarés inhabiles à occuper et que Celanese se voie interdire de continuer à consulter ses avocats américains (Kasowitz, Benson, Torres & Friedman LLP (« Kasowitz »)).
2 Il est donc question, en l’espèce, d’un conflit entre deux valeurs opposées : le privilège avocat‑client et le droit à l’avocat de son choix. J’estime que, pour résoudre ce conflit, il faut tenir pour acquis que le droit d’être représenté par un avocat ayant eu accès à des communications pertinentes effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client n’existe pas dans le cas où cet accès aurait dû être prévu et être sans trop de peine évité et où l’avocat en question n’a pas réfuté la présomption de risque de préjudice en résultant pour la partie visée par l’ordonnance Anton Piller.
3 L’arrêt de notre Cour Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, établit clairement qu’il y a présomption de préjudice lorsqu’une partie adverse a accès à des communications pertinentes effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client. Dans cet arrêt, la principale différence entre les opinions minoritaire et majoritaire tient au fait que les juges majoritaires considéraient que la présomption de risque de préjudice est réfutable dans certaines circonstances (p. 1260‑1261), alors que les juges minoritaires n’auraient même pas donné la possibilité de réfuter cette présomption (p. 1266). Dans l’affaire Succession MacDonald, la difficulté de traiter avec l’avocate qui avait changé de cabinet était accentuée par le fait que l’ampleur exacte des renseignements confidentiels que son ancien client lui avait communiqués pendant un certain nombre d’années était inconnue, voire impossible à connaître, et était, de toute façon, quelque chose qui ne devait pas être divulgué par souci d’équité pour lui. En conséquence, le juge Sopinka a écrit que « dès que le client a prouvé l’existence d’un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante, la Cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc la Cour qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué. C’est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s’acquitter » (p. 1260).
4 La situation de type Anton Piller est quelque peu différente du fait que les avocats qui ont procédé à la perquisition devaient établir un compte rendu exact de ce qui a été saisi et des documents — dont la confidentialité est invoquée — qu’ils ont examinés par la suite. Là encore, la réfutation devrait être permise, mais pour l’effectuer, la partie ayant eu accès devrait communiquer au tribunal ce qu’elle a appris et ce qu’elle a fait pour éviter le préjudice qui est présumé découler. Bien que les renseignements confidentiels communiqués à un avocat n’aient pas tous la même importance, la partie qui eu accès de façon illicite à de tels renseignements n’a pas le droit de laisser le tribunal présumer en sa faveur que leur divulgation ne comportait aucun risque de préjudice pour la partie adverse et qu’elle ne justifie donc pas que les avocats soient déclarés inhabiles à occuper. Pour les raisons qui suivent, je conclus, en toute déférence pour le point de vue contraire adopté par la Cour d’appel, que Celanese et ses avocats avaient effectivement l’obligation de réfuter la présomption de risque de préjudice et qu’ils ne l’ont pas fait. Le pourvoi est donc accueilli, l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario est annulée, et l’ordonnance de la Cour divisionnaire déclarant Cassels Brock inhabile à occuper pour Celanese et interdisant à cette dernière de continuer de consulter Kasowitz relativement à toute instance canadienne découlant des faits allégués dans la déclaration modifiée, est rétablie.
I. Les faits
5 Le litige fondamental en l’espèce, qui n’a aucune incidence directe sur l’issue du présent pourvoi, concerne une allégation d’espionnage industriel. Celanese exploitait une usine de production d’acétate de vinyle à Edmonton. Elle a décidé, pour des raisons commerciales, de démolir l’installation au lieu de la vendre. Celanese a, par la suite, confié les travaux de démolition à la défenderesse, Murray Demolition. Au cours de ces travaux de démolition, des précautions ont été prises pour empêcher la divulgation non autorisée de renseignements exclusifs de grande valeur que révéleraient l’aménagement et les procédés de l’usine. En avril 2003, Celanese a découvert que certains défendeurs, dont Canadian Bearings, profitaient des travaux de démolition pour se livrer à ce qui semblait être une tentative de copier de différentes façons des procédés et un équipement exclusifs. Canadian Bearings et les autres à qui Murray Demolition avait donné accès au chantier se sont donc vu ordonner de quitter les lieux. Celanese poursuit maintenant Canadian Bearings, notamment, en l’accusant d’avoir volé une technologie découverte pendant les travaux de démolition et de l’avoir utilisée sans autorisation pour construire une usine de fabrication d’acétate de vinyle en Iran.
6 Le 19 juin 2003, le juge des requêtes a accueilli la demande ex parte de Celanese visant à obtenir une ordonnance Anton Piller contre Canadian Bearings et autres. La question de la façon de traiter des documents privilégiés n’a pas été abordée dans le projet d’ordonnance soumis au juge des requêtes et aucune disposition de son ordonnance formelle ne porte sur cette question. Néanmoins, les parties reconnaissent toutes qu’une ordonnance Anton Piller n’autorise aucunement l’accès aux documents privilégiés d’un défendeur.
7 L’ordonnance a été exécutée les 20 et 21 juin 2003 par un cabinet comptable indépendant, BDO Hayes Smith (« BDO »), en présence de deux policiers et sous la supervision d’un avocat indépendant, Bernard Eastman, c.r. — son arrivée sur les lieux de la perquisition, Me Eastman s’est entretenu avec un cadre supérieur de Canadian Bearings. Il lui a remis une copie de l’ordonnance et des documents connexes, et lui en a expliqué les modalités. Me Eastman a informé le cadre supérieur que l’ordonnance lui accordait une heure pour solliciter une opinion juridique. Peu après, les avocats de Canadian Bearings, Borden Ladner Gervais LLP (« BLG »), sont arrivés sur les lieux. La perquisition, qui a duré 18 heures, s’est déroulée dans un climat qui pourrait être qualifié de légèrement chaotique. Pendant la perquisition, des membres du cabinet Cassels Brock ont eu des conversations téléphoniques fréquentes avec Me Eastman, mais aucun d’eux n’était présent sur les lieux.
8 Au cours de la perquisition, certains documents papier ayant fait l’objet d’une revendication de privilège ont été placés dans une enveloppe scellée dont la garde a été confiée à BDO jusqu’à ce qu’il soit statué sur le bien‑fondé de la revendication en question. À ce stade‑ci, la question du privilège ne se pose qu’à l’égard des documents électroniques saisis.
9 Lorsqu’il est devenu évident que certains documents électroniques pourraient être assujettis au privilège avocat‑client, le représentant de BDO a demandé l’aide des avocats de BLG pour en faciliter l’identification. Cette tâche a été expédiée. En raison de la taille des documents électroniques et du rythme auquel s’est déroulée la perquisition, les avocats de BLG se sont plaints, par la suite, de ne pas avoir disposé du temps nécessaire pour examiner convenablement les documents. À maintes reprises, une copie électronique de dossiers complets a été effectuée sans que l’on vérifie le contenu de chaque document. Toutefois, des documents pouvant être décrits comme étant potentiellement privilégiés ont été placés séparément dans un dossier électronique nommé « Borden Ladner Gervais ».
10 Durant la perquisition, BDO a téléchargé sur un disque dur portable et « gravé » sur des cédéroms environ 1 400 documents électroniques jugés pertinents qui n’avaient cependant pas encore été étudiés afin de déterminer s’ils pouvaient faire l’objet d’une revendication de privilège avocat‑client. Ils ont été placés dans une enveloppe de plastique et mis sous scellés. Un avocat de BLG et Me Eastman ont apposé leurs initiales sur le scellé. L’enveloppe a été remise à BDO. Contrairement à ce que prévoyait explicitement l’ordonnance Anton Piller, aucune liste complète des documents saisis n’a été dressée avant qu’ils soient retirés des lieux de la perquisition.
11 Le 23 juin 2003, des avocats de Cassels Brock et Kasowitz se sont présentés chez BDO pour récupérer les documents saisis. L’avocat de Cassels Brock a téléphoné à l’avocat superviseur, Me Eastman, pour lui poser des questions au sujet de l’enveloppe scellée contenant le disque dur et les cédéroms. Manifestement convaincu qu’aucune entente n’obligeait Cassels Brock à traiter directement avec BLG à ce sujet, il a ouvert l’enveloppe et a demandé à BDO d’en copier le contenu. Au bout d’un certain temps, divers courriels stockés sur un CD ont été copiés dans l’ordinateur de Cassels Brock. Aucune copie du CD n’a été envoyée à BLG. Par la suite, un avocat de Cassels Brock a fait parvenir le courriel suivant à des collègues : [traduction] « Le 24 juin 2003, des représentants de Celanese, un avocat de Kasowitz [. . .] et moi‑même nous sommes présentés au bureau de BDO [. . .] et avons examiné l’ensemble des documents électroniques saisis chez chacune des parties défenderesses. »
12 Il s’est avéré que le CD contenait des communications privilégiées. L’avocat de Cassels Brock a admis avoir examiné [traduction] « au complet quelques dizaines de courriels », mais il a ajouté qu’il ne se rappelait pas d’avoir examiné « quelque courriel dont BLG était l’expéditeur ou le destinataire ».
13 Kasowitz a également obtenu une copie du CD, qui a été examinée par l’un de ses avocats du bureau de Houston, Todd Colvard. Celui‑ci a été chargé de classer les documents électroniques comme étant [traduction] « pertinents, non pertinents, exclusifs ou très pertinents ». Remarquant que certains courriels avaient BLG pour expéditeur ou destinataire, Me Colvard les a sauvegardés séparément dans un cinquième dossier électronique qu’il a nommé « privilégié ». Par la suite, il a trouvé d’autres documents privilégiés dans le dossier nommé « pertinent », ce qui prouve que certains documents avaient été mal classés. Me Colvard affirme que c’est uniquement dans le but de trier les messages qu’il en a examiné la « teneur ».
14 Lorsque BLG a découvert, le 24 juin 2003, que l’enveloppe scellée avait été ouverte, un échange de correspondance très vif a eu lieu. Ce n’est que tard le vendredi 27 juin 2003, après que le juge des requêtes lui eut ordonné de le faire, que Cassels Brock a accepté de remettre à BLG une copie des documents électroniques saisis chez Canadian Bearings.
15 Le 11 ou le 12 juillet 2003, BLG a appris que des documents privilégiés avaient été transmis à Cassels Brock et à Kasowitz. Dans une lettre datée du 14 juillet 2003, à laquelle était jointe une liste de quelques 82 [traduction] « documents privilégiés figurant parmi ceux qui ont été retirés et supprimés du système informatique de mes clientes par les personnes ayant exécuté l’ordonnance rendue le 19 juin 2003 par [M. le juge Nordheimer] » (je souligne), BLG a demandé la restitution immédiate de ces documents « papier ou électroniques », ainsi que le nom de toutes les personnes qui pouvaient les avoir examinés.
16 En fin de compte, au lieu de restituer les documents électroniques privilégiés demandés, Cassels Brock et Kasowitz ont informé BLG que ces documents avaient été supprimés de leurs systèmes respectifs. La Cour d’appel a souligné que [traduction] « nul ne conteste que 13 avocats, 3 stagiaires et 2 étudiants en droit de Cassels [Brock] et 12 avocats de Kasowitz auraient pu avoir accès aux documents électroniques privilégiés pendant les deux ou trois semaines au cours desquelles ces cabinets les ont eu en leur possession après la perquisition ».
17 Le juge des requêtes a rejeté une requête de Canadian Bearings visant à faire déclarer Cassels Brock et Kasowitz inhabiles à continuer d’occuper pour Celanese. Canadian Bearings a interjeté appel devant la Cour divisionnaire, qui a accueilli l’appel et ordonné à Cassels Brock et à Kasowitz de cesser d’occuper. Celanese, Cassels Brock et Kasowitz ont interjeté appel devant la Cour d’appel de l’Ontario qui, accueillant l’appel, a statué que ni l’une ni l’autre des instances inférieures n’avait appliqué le bon critère pour décider si une déclaration d’inhabilité à occuper s’imposait, et a renvoyé l’affaire au juge des requêtes pour qu’il la réexamine à la lumière des motifs de la Cour d’appel. Nous sommes donc appelés, dans le présent pourvoi, à déterminer le critère applicable et à décider plus particulièrement quelle partie a l’obligation d’établir (ou de réfuter) l’existence du préjudice découlant de la communication de documents assujettis au privilège avocat‑client.
II. Historique des procédures judiciaires
A. Cour supérieure de justice (2003), 69 O.R. (3d) 618
18 Le juge des requêtes a décidé que Cassels Brock avait mal agi en ouvrant l’enveloppe scellée sans avoir préalablement obtenu le consentement de l’avocat de Canadian Bearings. Il a également reproché à l’avocat superviseur de ne pas s’être acquitté de son [traduction] « importante responsabilité à l’égard de ce recours extraordinaire », laquelle subsiste même après que les documents aient effectivement été retirés des locaux de la défenderesse. Enfin, il a conclu qu’il n’y avait aucun besoin urgent d’examiner les documents avant que la question des revendications de privilège ait été résolue, étant donné que l’objectif de conservation de la preuve visé par l’ordonnance avait été atteint.
19 Selon le juge Nordheimer, bien que l’exécution de l’ordonnance Anton Piller ait permis de « soutirer » les documents à Canadian Bearings, c’est néanmoins [traduction] « involontairement et par inadvertance » que Cassels Brock s’est retrouvé en possession de documents privilégiés. L’absence dans l’ordonnance formelle d’une disposition concernant la façon de traiter des revendications de privilège était une « lacune ».
20 En ce qui concerne la réparation constituée d’une déclaration d’inhabilité à occuper, le juge Nordheimer a conclu qu’il était nécessaire que l’un des avocats de Canadian Bearings produise un affidavit [traduction] « indiquant la nature et l’importance des documents privilégiés et le risque de préjudice qu’ils présentent ». Il a rejeté l’argument selon lequel la communication des documents privilégiés suffisait en soi pour que Cassels Brock et Kasowitz soient déclarés inhabiles à occuper pour Celanese. Tout en reconnaissant le « dilemme » devant lequel l’obligation de produire un affidavit placerait la partie requérante en la forçant à révéler les renseignements mêmes qu’elle cherche à protéger, le juge des requêtes a ajouté que
[traduction] [n]éanmoins, compte tenu de l’incidence de la réparation demandée et du fait que la requête repose sur l’affirmation que les parties intimées sont déjà en possession des renseignements et en ont implicitement pris connaissance, cette obligation imposée aux parties requérantes ne me paraît pas inéquitable. [par. 29]
21 Vu sa conclusion que la [traduction] « grave erreur de traitement » de l’enveloppe scellée n’a pas été « commise délibérément pour mettre la main sur des documents privilégiés » et vu « l’absence de preuve de l’existence [. . .] d’un préjudice réel imminent », le juge Nordheimer a décidé qu’il n’était pas justifié de déclarer Cassels Brock et Kasowitz inhabiles à occuper.
B. Cour divisionnaire (les juges MacFarland (maintenant juge à la Cour d’appel), Macdonald et Campbell) (2004), 69 O.R. (3d) 632
22 La Cour divisionnaire a jugé qu’il n’était pas nécessaire que Canadian Bearings produise des éléments de preuve concernant la nature des documents privilégiés communiqués. En l’espèce, [traduction] « il ressort clairement du dossier que des documents pertinents assujettis au privilège avocat‑client ont été consultés, copiés et examinés » par des avocats de Cassels Brock et de Kasowitz. Les avocats qui obtiennent des ordonnances Anton Piller pour leurs clients [traduction] « sont tenus dans toutes les circonstances liées à ces ordonnances de se conduire d’une manière irréprochable » et « [s]’ils ne le font pas, le tribunal doit agir rapidement et de façon décisive lorsque les modalités et l’esprit de son ordonnance ne sont pas respectés ». La Cour divisionnaire a conclu que [traduction] « lorsqu’il est clair que des documents sont pertinents et privilégiés et qu’ils ont été examinés par un avocat et d’autres personnes, il y a lieu de présumer qu’un préjudice a été causé à la partie adverse ». Citant l’arrêt Succession MacDonald, la Cour divisionnaire a décidé qu’il ne conviendrait pas d’obliger la partie requérante à démontrer l’existence d’un préjudice, étant donné que le privilège perdrait alors tout son sens.
23 Soulignant que la poursuite judiciaire en était à sa phase initiale, et compte tenu du fait que, sur la question du risque de préjudice auquel était exposée Celanese, Cassels Brock avait concédé que [traduction] « d’autres avocats pouvaient faire le travail », la Cour divisionnaire a estimé que, dans les circonstances, le droit à l’avocat de son choix devait céder le pas et que la [traduction] « seule réparation convenable » consistait à déclarer Cassels Brock et Kasowitz inhabiles à occuper. Sans cette réparation, [traduction] « la perception raisonnable de l’intégrité de l’administration de la justice serait compromise ».
C. Cour d’appel (les juges Abella, Moldaver et Goudge) (2004), 73 O.R. (3d) 64
24 Selon la Cour d’appel, la principale différence entre la décision du juge des requêtes et celle de la Cour divisionnaire tient à un désaccord au sujet de la partie qui a la charge d’établir la pertinence et l’existence du préjudice. À son avis, le critère applicable est de savoir si, [traduction] « compte tenu de l’ensemble de la preuve, la partie requérante peut convaincre le tribunal qu’il existe un risque réel que l’avocat de la partie adverse utilise à son préjudice les renseignements provenant de documents privilégiés, et que la déclaration d’inhabilité à occuper représente le seul moyen réaliste d’écarter ce risque de préjudice ».
25 Compte tenu de la conclusion du juge des requêtes que c’est par « inadvertance » que Cassels Brock et Kasowitz sont entrés en possession des documents en cause, le juge Moldaver a affirmé que le risque de préjudice doit être « réel » en ce sens qu’il doit exister une « possibilité réaliste » que les renseignements soient utilisés au préjudice ou au « détriment » de la partie requérante. Il incombe à la partie requérante d’établir (i) que l’avocat de la partie adverse a obtenu des renseignements confidentiels protégés par le privilège avocat‑client, (ii) que les renseignements concernent l’objet du litige et (iii) qu’ils sont potentiellement préjudiciables. Dès qu’il est établi que ces conditions sont remplies, il appartient alors à la partie adverse de réfuter cette preuve.
26 Selon le juge Moldaver, le juge des requêtes a eu tort de conclure que la partie requérante n’avait pas prouvé que les renseignements étaient pertinents et potentiellement préjudiciables, étant donné que ces renseignements devaient satisfaire à un critère de pertinence pour pouvoir être visés par l’ordonnance Anton Piller. Il a également rejeté le point de vue du juge des requêtes selon lequel la conduite de Cassels Brock et de l’avocat superviseur [traduction] « démontr[ait] une insouciance » à l’égard de la protection du droit à la confidentialité de Canadian Bearings. Le juge Moldaver estimait, au contraire, que [traduction] « la preuve démontre que [Cassels Brock et Kasowitz] étaient soucieux du droit à la confidentialité de [Canadian Bearings] et qu’ils tenaient en tout temps à ce que ce droit soit respecté ». Le juge Moldaver a conclu que le juge des requêtes n’avait pas tiré les conclusions nécessaires quant à savoir si les documents privilégiés avaient été examinés et, dans l’affirmative, jusqu’à quel point ils l’avaient été.
27 Le juge Moldaver a aussi rejeté la démarche adoptée par la Cour divisionnaire. Premièrement, il a fait remarquer que la cour ne semblait pas disposée à accepter la conclusion du juge Nordheimer voulant que les avocats de Celanese soient entrés en possession des documents par inadvertance, ce qui l’a incitée à inclure un « élément punitif » dans le critère. Deuxièmement, il n’a pas souscrit à l’affirmation de la Cour divisionnaire que la mesure dans laquelle les documents pouvaient avoir été examinés n’était pas pertinente. Troisièmement, contrairement à la Cour divisionnaire, il a estimé que le risque de préjudice serait grandement atténué si des mesures appropriées étaient prises pour assurer que Me Colvard ne compromette personne d’autre. En définitive, l’appel a été accueilli et l’affaire a été renvoyée au juge des requêtes pour qu’il se prononce sur les autres questions de fait et applique le critère formulé par la Cour d’appel.
III. Analyse
28 Au Canada, il est possible d’obtenir des ordonnances Anton Piller depuis près de 30 ans. Contrairement au mandat de perquisition, une telle ordonnance ne permet pas d’entrer par la force, mais la personne qu’elle vise s’expose à des procédures pour outrage si elle refuse de donner accès aux lieux. Pour le citoyen ordinaire qui se voit présenter à sa porte une ordonnance Anton Piller, cela peut représenter une distinction vide de sens.
29 D’abord conçues comme un « recours extraordinaire » dans le contexte de litiges en matière de secrets commerciaux et de propriété intellectuelle, ces ordonnances sont désormais assez courantes dans des litiges civils ordinaires, Grenzservice Speditions Ges.m.b.H. c. Jans (1995), 15 B.C.L.R. (3d) 370 (C.S.), en droit du travail, Ridgewood Electric Ltd. (1990) c. Robbie (2005), 74 O.R. (3d) 514 (C.S.J.), et Netbored Inc. c. Avery Holdings Inc., [2005] A.C.F. no 1723 (QL), 2005 CF 1405, et même en matière matrimoniale, Neumeyer c. Neumeyer (2005), 47 B.C.L.R. (4th) 162, 2005 BCSC 1259. Dans un cas extrême, une équipe chargée d’effectuer une perquisition a tenté d’exécuter une ordonnance Anton Piller en s’adressant au fils du défendeur, alors âgé de 10 ans, au moment où ses parents n’étaient pas à la maison : Ridgewood Electric.
30 Au fur et à mesure qu’il est devenu plus facile d’obtenir de telles ordonnances, certains avocats ont commencé à prendre trop à la légère les très lourdes responsabilités qu’impose une ordonnance aussi draconienne. Ce n’est que dans des cas véritablement exceptionnels qu’un tribunal devrait permettre que la vie privée d’un concurrent ou d’une autre partie fasse inopinément l’objet de l’atteinte massive résultant d’une perquisition organisée par des particuliers. Comme l’a expliqué le maître des rôles lord Denning dans la première affaire Anton Piller :
[traduction] Nous sommes donc disposés à en autoriser le maintien [c’est‑à‑dire de l’ordonnance] mais uniquement dans le cas extrême où il existe un grave danger que des biens disparaissent clandestinement ou que des éléments de preuve cruciaux soient détruits. [Je souligne.]
(Anton Piller KG c. Manufacturing Processes Ltd., [1976] 1 Ch. 55 (C.A.), p. 61)
Les ordonnances ex parte de type Anton Piller autorisent désormais régulièrement des perquisitions et saisies non seulement dans des lieux commerciaux, mais encore dans des résidences. Bien que la plupart des ordonnances Anton Piller soient exécutées correctement, elles peuvent donner lieu à de graves abus, comme dans l’affaire Ridgewood Electric mentionnée précédemment, où le juge Corbett de la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’est élevé contre la conduite inacceptable de ceux qui avaient exécuté l’ordonnance :
[traduction] À son arrivée chez lui le 14 avril 2004, Nigel Robbie a trouvé un voisin en train de barricader la porte d’entrée de sa résidence. Désemparé, son fils de dix ans avait été conduit chez un autre voisin. Le voisinage était en émoi. Devant sa résidence, des individus en tenue de ville brandissant une épaisse pile de documents exigeaient qu’on les laisse entrer.
. . .
Bien que nul ne soit censé ignorer la loi, les Robbie et leurs voisins pourraient être excusés de ne pas être au courant des ordonnances Anton Piller. Les Robbie et leurs voisins en ont été réduits à se demander dans quel genre de pays vivent‑ils si un ancien employeur peut secrètement obtenir une ordonnance judiciaire et ensuite entrer et perquisitionner dans une résidence privée. [par. 1 et 4]
Comme l’a souligné le juge Sharpe, alors professeur, [traduction] « les excès de zèle dans ce domaine risquent de faire l’objet de critiques qui nuiront à la capacité des tribunaux d’utiliser des injonctions de façon novatrice dans d’autres domaines » (R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (éd. feuilles mobiles), par. 2:1300).
31 En l’espèce, la perquisition a été effectuée par des gens honorables et responsables, sous la supervision d’un avocat ontarien chevronné. La divulgation de communications avocat‑client confidentielles résulte non pas d’une conduite inacceptable, mais d’un mélange d’incurie, d’excès de zèle, d’omission d’apprécier les risques que peut comporter une ordonnance Anton Piller et de défaut de mettre l’accent sur son objet précis, c’est‑à‑dire la conservation d’éléments de preuve pertinents.
32 L’expérience démontre que, malgré leur nature draconienne, les ordonnances Anton Piller jouent un rôle important en empêchant des défendeurs sans scrupules de profiter d’un préavis pour déjouer le processus judiciaire en faisant disparaître des éléments de preuve pertinents. Elles sont particulièrement utiles en cette ère de forte dépendance à l’informatique, où les documents peuvent facilement être supprimés, déplacés ou détruits. Il ne faut pas sous‑estimer l’utilité de cet outil d’equity dans les circonstances indiquées. Toutefois, la délivrance de ces ordonnances doit clairement tenir compte de leur nature extraordinaire et très attentatoire et les ordonnances délivrées doivent être soigneusement formulées et limitées à ce que dictent les circonstances. Les personnes responsables de leur exécution doivent se conformer à une norme de diligence professionnelle très élevée, sinon la partie requérante, et non la partie visée, risquera de subir les conséquences d’une perquisition bâclée.
33 Une bonne partie de l’argumentation qui nous a été présentée au sujet des documents privilégiés concernait un prétendu « éventail » de situations. À une extrémité de cet éventail, a‑t‑on dit, se trouvent les cas de [traduction] « divulgation par inadvertance », où l’avocat d’une partie reçoit un document privilégié à cause d’une erreur de l’avocat de la partie adverse, par exemple, lorsqu’une lettre est expédiée par télécopieur ou par courrier électronique à la mauvaise partie. En pareils cas, la réparation se limite souvent à une ordonnance enjoignant de supprimer ou de restituer le document clairement identifié, et interdisant d’en faire quelque usage que ce soit. À l’autre extrémité de l’éventail, a‑t‑on ajouté, se trouvent les cas d’« avocats qui changent de cabinet » ou de « fusion de cabinets », où l’avocat qui a agi pour le compte d’un client se retrouve dans un cabinet d’avocats qui occupe pour la partie adverse — exactement comme dans l’affaire Succession MacDonald. Dans ces derniers cas, il peut éventuellement se révéler difficile de déterminer exactement les communications confidentielles que l’avocat qui a changé de cabinet a vues ou entendues. À moins que des mesures suffisantes n’aient été prises (généralement d’avance) pour éviter de « compromettre » le nouveau cabinet, la réparation souvent accordée est la déclaration d’inhabilité à occuper. Je conviens avec l’intervenante Advocates’ Society que l’accent mis sur l’« inadvertance » est trop simpliste. Comme le fait valoir la Society :
[traduction] La notion d’« inadvertance » est également inutile sur le plan analytique parce qu’elle confond deux questions qui devraient être distinctes : a) Comment [Celanese] ou son avocat sont‑ils entrés en possession des documents? b) Qu’est‑ce que [Celanese] et son avocat ont fait lorsqu’ils se sont rendu compte que les documents étaient potentiellement assujettis au privilège avocat‑client?
34 Le problème est que, peu importe que ce soit consciemment ou par inadvertance, des renseignements échangés entre un avocat et son client se sont retrouvés dans les mauvaises mains. Même en admettant que les renseignements confidentiels protégés par le privilège avocat‑client n’ont pas tous la même importance et le même caractère crucial, la possession de tels renseignements par la partie adverse compromet l’intégrité de l’administration de la justice. Des parties doivent être libres de soumettre leurs différends aux tribunaux sans craindre que leur adversaire ait pris injustement connaissance des secrets qu’elles ont confiés à leurs conseillers juridiques. Les témoins de la défenderesse ne devraient pas craindre, au cours de leur contre‑interrogatoire, que les questions du contre‑interrogateur soient motivées par des renseignements qui ont été transmis à titre confidentiel aux avocats de la défenderesse. Une telle possibilité supprime l’égalité des chances et risque sérieusement de compromettre l’intégrité de l’administration de la justice. Pour éviter ce danger, les tribunaux doivent agir [traduction] « rapidement et de façon décisive », comme l’a souligné la Cour divisionnaire. Dans un cas comme la présente affaire, la mesure corrective est censée être réparatrice et non punitive.
A. Conditions applicables à une ordonnance Anton Piller
35 Quatre conditions doivent être remplies pour donner ouverture à une ordonnance Anton Piller. Premièrement, le demandeur doit présenter une preuve prima facie solide. Deuxièmement, le préjudice causé ou risquant d’être causé au demandeur par l’inconduite présumée du défendeur doit être très grave. Troisièmement, il doit y avoir une preuve convaincante que le défendeur a en sa possession des documents ou des objets incriminants, et quatrièmement, il faut démontrer qu’il est réellement possible que le défendeur détruise ces pièces avant que le processus de communication préalable puisse être amorcé : Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.), p. 197‑199; Indian Manufacturing Ltd. c. Lo, [1997] A.C.F. no 906 (QL), par. 5; Netsmart Inc. c. Poelzer, [2003] 1 W.W.R. 698, 2002 ABQB 800, par. 16; Anton Piller KG, p. 58‑61; Ridgewood Electric, par. 27; Grenzservice, par. 39; Pulse Microsystems Ltd. c. SafeSoft Systems Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 202 (C.A. Man.), p. 208; Ontario Realty Corp. c. P. Gabriele & Sons Ltd. (2000), 50 O.R. (3d) 539 (C.S.J.), par. 9; Proctor & Gamble Inc. c. M. Untel (f.a.s. Clarion Trading International), [2000] A.C.F. no 61 (QL) (1re inst.), par. 45; Netbored, par. 39; Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc., [1999] 3 C.F. 621 (1re inst.), par. 35.
36 La force et la faiblesse d’une ordonnance Anton Piller tiennent toutes deux au fait qu’elle est une ordonnance ex parte interlocutoire : aucun contre‑interrogatoire ne porte donc sur le contenu des affidavits produits au soutien de la requête. Le juge des requêtes compte nécessairement sur une divulgation fidèle et complète de la part des déposants, et tout autant, sinon plus, sur le professionnalisme des avocats qui participent à l’exécution de l’ordonnance. On nous informe qu’il n’est pas possible d’obtenir de telles ordonnances aux États‑Unis (transcription, p. 70).
37 Un exemple inquiétant au Canada est l’affaire Adobe Systems, dans laquelle une société spécialisée dans des logiciels a été informée qu’une petite agence de publicité de Halifax utilisait des versions non autorisées de certains de ses logiciels. Le déposant a affirmé sous serment qu’à son avis l’agence détruirait vraisemblablement ses copies non autorisées des logiciels si elle apprenait qu’elle faisait l’objet de poursuites. L’agence visée était bien établie et ses dirigeants jouissaient d’une excellente réputation au sein de la collectivité. Au cours d’un contre‑interrogatoire subséquent, il s’est avéré que l’opinion du dénonciateur, selon laquelle la défenderesse détruirait vraisemblablement les copies non autorisées, était fondée sur son « observation de la nature humaine » et non sur quelque observation de cette défenderesse en particulier. Lors de l’examen de l’ordonnance, le juge en chef adjoint Richard (maintenant Juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a conclu que les demanderesses n’avaient pas fait une enquête suffisamment approfondie sur les faits avant d’obtenir l’ordonnance. Citant la décision Adobe Systems, la Cour fédérale a réitéré récemment que « [d]ans toutes les procédures ex parte et, en particulier, dans des cas semblables à celui d’Anton Piller, le demandeur a la lourde obligation de faire une divulgation fidèle et complète de tous les faits pertinents à la Cour » (Netbored, par. 41).
38 À ce stade‑ci, la Cour n’est pas saisie d’une contestation de la décision du juge Nordheimer de rendre l’ordonnance Anton Piller.
B. Modalités de l’ordonnance Anton Piller
39 Dans l’affaire Grenzservice où il était question d’une demande visant à faire déclarer inhabile à occuper un avocat qui avait vu des documents privilégiés pendant l’exécution d’une ordonnance Anton Piller, la juge Huddart (plus tard juge à la Cour d’appel) a fait observer : [traduction] « La présente affaire indique que les garanties ne peuvent pas rester implicites dans l’ordonnance de supervision. Elles doivent être précisées » (par. 84). Je suis d’accord. Dans l’arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, la juge Arbour, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a formulé, au par. 49, un certain nombre de préoccupations pertinentes dans le contexte du droit criminel, qui, dans une certaine mesure, sont applicables par analogie. En dépit de la reconnaissance générale de la nécessité de modalités uniformes, maintes garanties censées être devenues courantes (telle une disposition portant sur les revendications de privilège) sont souvent omises. Dans la décision Ridgewood Electric, le juge Corbett a fait observer que l’ordonnance Anton Piller [traduction] « existe depuis près de 30 ans, [pourtant] ses “modalités uniformes” varient encore considérablement dans la province » (par. 3). Au Royaume‑Uni, on a conçu un ensemble de règles uniformes et une ordonnance type. En Australie, l’ordonnance 25B des Federal Court Rules et l’avis de pratique no 24 (5 mai 2006) énoncent un certain nombre de garanties uniformes applicables aux ordonnances Anton Piller. Voir également la décision Thermax Ltd. c. Schott Industrial Glass Ltd., [1981] F.S.R. 289 (Ch. D.).
40 Les ordonnances Anton Piller sont souvent conçues, obtenues et exécutées dans une situation d’urgence. Elles sont généralement temporaires (par exemple, 10 jours en Ontario selon la règle 40.02 des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, et 14 jours en Cour fédérale selon le par. 374(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106). Malgré l’urgence, plus les modalités de l’ordonnance sont détaillées et uniformes, moins grand est le risque de malentendu ou de préjudice. Comme le juge Lamer l’a fait remarquer dans l’arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 889 :
La perquisition est une exception aux principes les plus anciens et les plus fondamentaux de la common law et le pouvoir de perquisition doit être contrôlé strictement.
Tant et aussi longtemps que des ordonnances types n’auront pas été conçues par voie législative ou recommandées par des barreaux conformément à leur responsabilité en matière de déontologie professionnelle, les lignes directrices suivantes applicables à la préparation et à l’exécution d’une ordonnance Anton Piller pourront être utiles, selon les circonstances :
(1) Protection fondamentale des droits des parties
(i) L’ordonnance devrait désigner un avocat superviseur qui soit indépendant du demandeur ou de ses avocats et qui assistera à la perquisition afin d’en assurer l’intégrité. En l’espèce, le juge des requêtes a fait remarquer que le rôle essentiel de l’avocat superviseur indépendant consiste à [traduction] « veiller à ce que l’exécution de l’ordonnance Anton Piller et de tout ce qui s’y rattache, soit effectuée avec le plus grand soin possible et en tenant dûment compte des droits et intérêts de toutes les parties concernées » (par. 20). C’est [traduction] « un officier de justice qui est investi d’une très importante responsabilité à l’égard de ce recours extraordinaire » (par. 20). Voir également la décision Grenzservice, par. 85.
(ii) Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le demandeur devrait être tenu de s’engager à payer des dommages‑intérêts au cas où l’ordonnance se révélerait injustifiée ou mal exécutée, ou de fournir un cautionnement à cet égard, ou les deux à la fois. Voir Ontario Realty, par. 40; Adobe Systems, par. 43; Nintendo of America, p. 201‑202; Grenzservice, par. 85; Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c. Madame Unetelle, [2000] A.C.F. no 1827 (QL) (1re inst.), conf. par [2002] A.C.F. no 285 (QL), 2002 CAF 75.
(iii) L’ordonnance ne devrait pas avoir une portée plus grande que nécessaire et aucun document ne doit être retiré des lieux à moins d’être clairement visé par les modalités de l’ordonnance. Voir Columbia Picture Industries Inc. c. Robinson, [1987] Ch. 38.
(iv) Une modalité énonçant la procédure applicable aux documents protégés par le privilège avocat‑client ou aux autres documents de nature confidentielle devrait être incluse afin de permettre aux défendeurs d’invoquer la confidentialité de documents avant que le demandeur ou son avocat en prennent possession, ou de régler les différends qui surgissent. Voir Grenzservice, par. 85; Ontario Realty, par. 40. La procédure qui doit être suivie dans le cas des mandats de perquisition prévus par le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, peut fournir des indications utiles. La directive en matière de pratique du Royaume‑Uni sur ce point se lit ainsi :
[traduction] Avant de permettre à une personne autre que l’avocat superviseur de pénétrer dans les lieux, l’intimé peut, pendant une courte période (ne dépassant pas deux heures, à moins que l’avocat superviseur n’accepte une prolongation) — a) réunir les documents qu’il croit être [. . .] privilégiés et b) les remettre à l’avocat superviseur pour que celui‑ci [vérifie] s’il s’agit effectivement de documents [. . .] privilégiés.
Si l’avocat superviseur conclut que [. . .] des documents [peuvent être] privilégiés ou [s’il a des doutes à leur sujet,] il les soustrait à la perquisition [. . .] et [les] garde [. . .] jusqu’à ce que la cour prononce une ordonnance [(s’il n’est pas certain qu’ils sont privilégiés), ou il les restitue à l’intimé et garde une liste de ces documents (si ce sont des documents privilégiés)].
[Un] intimé [qui souhaite] obtenir des conseils juridiques et réunir des documents de la manière autorisée [. . .] doit préalablement en informer l’avocat superviseur et le tenir au courant des mesures prises.
(Civil Procedure, vol. 1 (2e suppl. 2005), Part 25, Practice Direction — Interim Injuctions, p. 43, par. 11-12)
L’expérience démontre que cette façon de procéder est généralement efficace. Les avocats qui défendent les appelants ont qualifié de trop court le délai de base de « deux heures » autorisé au Royaume‑Uni pour recueillir les documents. Il appartient au juge qui rend l’ordonnance de trancher cette question, mais il faut se rappeler qu’un délai inutile risque de causer un préjudice. En général, la perquisition devrait être effectuée aussi rapidement que la situation le permet.
(v) L’ordonnance devrait comporter une clause prescrivant un usage restreint (c’est‑à‑dire que les objets saisis ne peuvent être utilisés que pour les besoins du litige en cours). Voir Ontario Realty, par. 40; Adobe Systems, par. 43; Grenzservice, par. 85.
(vi) L’ordonnance devrait prévoir explicitement que, moyennant un court préavis, le défendeur aura le droit de retourner devant le tribunal pour a) faire annuler l’ordonnance ou b) faire modifier le montant du cautionnement. Voir Adobe Systems, par. 43; Grenzservice, par. 85; Nintendo of America, p. 201‑202.
(vii) L’ordonnance devrait prévoir que les documents saisis seront restitués aux défendeurs ou à leurs avocats dès que possible.
(2) L’exécution de la perquisition
(i) En général, l’ordonnance devrait prévoir que la perquisition commencera pendant les heures d’ouverture normales, au moment où la partie chez qui la perquisition est sur le point d’être effectuée est vraisemblablement plus en mesure de consulter son avocat. Voir Grenzservice, par. 85; Universal Thermosensors Ltd. c. Hibben, [1992] 1 W.L.R. 840 (Ch. D.).
(ii) La perquisition ne devrait être effectuée et les objets ne devraient être retirés qu’en présence du défendeur ou d’une personne qui paraît être un employé responsable du défendeur.
(iii) L’ordonnance devrait préciser qui peut effectuer la perquisition et saisir des éléments de preuve, ou limiter expressément le nombre des personnes ainsi autorisées. Voir Adobe Systems, par. 43; Grenzservice, par. 85; Nintendo of America, p. 201‑202.
(iv) Lorsqu’ils sont présents sur les lieux de la perquisition qui a été autorisée, les avocats du demandeur (ou l’avocat superviseur) devraient, en tant qu’officiers de justice, signifier une copie de la déclaration, de l’ordonnance et des affidavits produits au soutien de la requête et expliquer clairement au défendeur ou au dirigeant ou à l’employé responsable de l’entreprise la nature et l’incidence de l’ordonnance. Voir Ontario Realty, par. 40.
(v) Avant de permettre l’entrée dans ses locaux, le défendeur ou ses représentants devraient bénéficier d’un délai raisonnable pour consulter un avocat. Voir Ontario Realty, par. 40; Adobe Systems, par. 43; Grenzservice, par. 85; Sulphur Experts Inc. c. O’Connell (2000), 279 A.R. 246, 2000 ABQB 875.
(vi) Une liste détaillée de tous les éléments de preuve saisis devrait être dressée et l’avocat superviseur devrait, à la fin de la perquisition et avant que les documents saisis soient retirés des lieux, remettre cette liste au défendeur pour qu’il l’examine et la vérifie. Voir Adobe Systems, par. 43; Grenzservice, par. 85; Ridgewood Electric, par. 25.
(vii) Si une liste ne peut être dressée, la garde des documents saisis devrait être confiée à l’avocat superviseur indépendant, et les avocats du défendeur devraient avoir la possibilité raisonnable d’examiner ces documents de manière à pouvoir invoquer le privilège avocat‑client avant qu’ils soient remis au demandeur.
(viii) Si la propriété d’un document est contestée, la garde de ce document devrait être confiée à l’avocat superviseur ou aux avocats du défendeur.
(3) Procédure à suivre après la perquisition
(i) L’ordonnance devrait prévoir clairement que les responsabilités de l’avocat superviseur subsistent au‑delà de la perquisition elle‑même et s’étendent à l’examen des questions que soulève la perquisition, à moins évidemment qu’une partie ne souhaite renvoyer une question auprès du tribunal pour qu’il la tranche.
(ii) L’avocat superviseur devrait être tenu de déposer auprès du tribunal, dans un délai fixe, un rapport décrivant l’exécution de la perquisition, les personnes présentes et les objets saisis. Voir Grenzservice, par. 85.
(iii) Le tribunal peut vouloir obliger le demandeur à produire et à signifier une requête en examen de l’exécution de la perquisition dans un délai fixe, de 14 jours par exemple, afin d’assurer que le tribunal examine automatiquement le rapport de l’avocat superviseur et l’exécution de son ordonnance même si le défendeur ne sollicite pas cet examen. Voir Grenszervice, par. 85.
Voir également : Civil Procedure Act 1997 (R.‑U.), 1997, ch. 12, art. 7; Civil Procedure Rules 1998, S.I. 1998/3132, al. 25.1(1)h), et Part 25, Practice Direction — Interim Injunctions; Sharpe, par. 2:1100 et suiv.
41 Dans la présente affaire, il est évident que le projet d’ordonnance présenté au juge des requêtes comportait de nombreuses lacunes. Il est question ici de l’absence d’une disposition concernant le traitement des communications avocat‑client confidentielles. L’absence de modalités précises dans l’ordonnance Anton Piller ne soustrait pas les avocats qui exécutent la perquisition aux conséquences d’un accès inopportun. La déclaration d’inhabilité à occuper peut constituer l’une de ces conséquences. Par conséquent, une ordonnance bien rédigée et soigneusement réfléchie protégera non seulement le droit du défendeur d’invoquer le privilège avocat‑client, mais également celui du demandeur de continuer d’être représenté par les avocats de son choix, en contribuant à assurer que ces avocats ne tombent pas en possession de renseignements privilégiés.
C. L’arrêt qui s’applique pour décider s’il y a lieu de déclarer un avocat inhabile à occuper en raison de la possession de renseignements confidentiels est Succession MacDonald
42 Dans l’arrêt Succession MacDonald, la Cour a statué que, dans le cas d’un avocat qui change de cabinet, dès qu’il est démontré que le cabinet d’avocats agissant pour la partie adverse a appris « des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige » (p. 1260), le tribunal présumera « que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels » (p. 1262) et qu’il y a alors un risque que ces renseignements soient utilisés au préjudice du client, à moins que les avocats qui les ont obtenus ne puissent démontrer que « le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, [serait convaincu] qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » (p. 1260). La présomption n’est réfutée que s’il existe une « preuv[e] [contraire] clair[e] et convaincant[e] » (p. 1262). Donc, « [a] fortiori, les simples engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits » (p. 1263) ne sont pas suffisants pour réfuter la présomption de diffusion. Pour les besoins de la présente affaire, il importe de souligner que le juge Sopinka n’a pas imposé à la partie requérante l’obligation de produire d’autres éléments de preuve concernant la nature des renseignements confidentiels en plus de ce qui est nécessaire pour établir que, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, l’avocat en cause a appris des faits confidentiels qui concernaient l’objet du litige.
43 Il ne fait aucun doute que Canadian Bearings s’est acquittée de cette obligation. Le juge des requêtes a fait remarquer que [traduction] « [Celanese a] admis que les cabinets Cassels Brock et Kasowitz étaient tous deux entrés en possession de certains documents privilégiés » (par. 3). Les documents doivent être considérés comme concernant l’objet du litige, sinon ils n’auraient pas été visés par la saisie autorisée dans l’ordonnance Anton Piller.
44 Nous ne connaissons pas la nature des renseignements privilégiés, qui n’a pas non plus été révélée aux tribunaux d’instance inférieure. À ce propos, le juge des requêtes a affirmé ce qui suit :
[traduction] Il se pourrait que les renseignements privilégiés qui, en l’espèce, se sont retrouvés entre les mains des deux cabinets soient anodins, ou il se peut même qu’ils soient dénués de pertinence à l’égard des questions fondamentales. À l’inverse, ils pourraient certes être cruciaux pour la défense. Il m’est impossible de le savoir. [Je souligne; par. 28.]
45 Les tribunaux d’instance inférieure s’accordaient apparemment pour dire que si ces renseignements confidentiels privilégiés étaient [traduction] « cruciaux pour la défense », il conviendrait de déclarer inhabiles à occuper les avocats ayant effectué la perquisition. Ils étaient également d’accord (comme je le suis) pour dire qu’au vu du dossier il « est impossible de le savoir », pour reprendre l’expression du juge des requêtes. Il s’agit donc, en l’espèce, de savoir si Celanese a l’obligation de réfuter la présomption de préjudice (comme la Cour l’a décidé dans l’arrêt Succession MacDonald) ou s’il devrait plutôt incomber à Canadian Bearings d’établir l’existence d’un « risque réel de préjudice » (comme la Cour d’appel l’a exigé en l’espèce).
46 Kasowitz prétend que [traduction] « [l]es faits de la présente affaire ne soulèvent aucune des questions que la Cour a examinées dans l’arrêt Succession MacDonald [du fait que] Kasowitz [. . .] n’a aucun lien avec les appelantes. » Je ne suis pas de cet avis. Les éléments pertinents de l’analyse effectuée dans l’arrêt Succession MacDonald ne sont pas tributaires de l’existence préalable de rapports d’avocat à client. En l’espèce, le fond du problème est que les avocats de la partie adverse sont en possession de renseignements confidentiels pertinents qui ont été obtenus grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client et à l’égard desquels ils ne peuvent invoquer aucun droit.
D. La Cour d’appel a eu tort d’imposer le fardeau de la preuve à Canadian Bearings
47 D’après le juge Moldaver et ses collègues, il faut interpréter l’arrêt Succession MacDonald dans le contexte d’un avocat qui a changé de cabinet et qui a eu amplement accès à d’importantes communications effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client, alors que le présent contexte ne permet pas, selon eux, de faire une telle inférence. Les documents privilégiés, quoique pertinents, pourraient avoir si peu d’importance qu’il n’y aurait aucun risque réel qu’ils soient utilisés au détriment de Canadian Bearings.
48 Comme je l’ai déjà mentionné, je reconnais que le cas de l’avocat qui change de cabinet peut être distingué du cas de la divulgation par inadvertance en ce sens que ce n’est que dans le dernier cas qu’il est (ou devrait être) possible de connaître la teneur et l’ampleur des renseignements confidentiels en cause. Je ne suis pas d’accord pour dire que cette distinction a pour effet d’obliger la défenderesse à prouver l’existence du risque de préjudice important, au lieu de laisser à Celanese l’obligation de réfuter une présomption de préjudice.
49 Premièrement, dans une situation de type Anton Piller, comme dans l’affaire Succession MacDonald, s’il était « nécessaire [. . .] de révéler les renseignements confidentiels que l’on cherche justement à protéger [. . .] [l]a requête perdrait alors tout [son] sens » (p. 1260). Imposer le fardeau de la preuve à Celanese est conforme à la pratique habituelle selon laquelle la partie la plus apte à s’acquitter d’une obligation est généralement tenue de le faire. Les avocats de Celanese savent ce qu’ils ont examiné. Les avocats de Canadian Bearings ignorent ce que ceux de Celanese ont examiné. Les avocats de Canadian Bearings ne devraient pas être tenus de divulguer l’ensemble des renseignements potentiellement confidentiels aux avocats de Celanese qui, à ce stade, refusent (ou se sont rendus incapables) de dire exactement ce qu’ils ont vu.
50 Deuxièmement, imposer le fardeau de la preuve à la partie qui obtient les renseignements confidentiels plutôt qu’à la partie qui fait l’objet de la perquisition l’incite davantage à prendre soin d’éviter que des renseignements privilégiés soient examinés au départ.
51 Troisièmement, il m’apparaît inéquitable sur le plan procédural de faire subir à la défenderesse l’atteinte que représente une perquisition‑surprise effectuée en vertu d’une ordonnance extraordinaire et au cours de laquelle des communications avocat‑client confidentielles sont divulguées à la partie adverse, pour ensuite la contraindre à résoudre le problème causé par l’incurie de la demanderesse. La présente difficulté découle principalement de la conduite adoptée par les avocats de Celanese après la perquisition. Comme elle est à l’origine du problème, il devrait appartenir à la partie ayant sollicité la perquisition de le résoudre.
52 Celanese et ses avocats prétendent qu’ils ne sont pas en mesure de réfuter une telle présomption de préjudice. Le cas échéant, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux‑mêmes. Lorsqu’une ordonnance Anton Piller est exécutée correctement, les avocats qui effectuent la perquisition doivent être en mesure d’établir avec une certaine précision ce qui a été saisi, ce qu’ils ont vu et qui l’a vu, et quelles mesures ont été prises pour empêcher la communication abusive de renseignements confidentiels. Si les avocats de Celanese, qui, au cours de la perquisition, ont eu des conversations téléphoniques fréquentes avec l’avocat superviseur, avaient insisté pour qu’une liste en bonne et due forme de tous les documents saisis soit dressée sur les lieux de la perquisition, l’ensemble des documents potentiellement confidentiels aurait été connu au départ. Le juge des requêtes a conclu que cela n’avait pas été fait. Néanmoins, les parties ont eu la sagesse de placer le disque dur et les cédéroms contenant les documents électroniques maintenant en cause dans un sac scellé dont ils ont confié la garde à BDO. Dans les jours qui ont suivi la perquisition, il aurait donc été possible de dresser une liste complète en présence d’un avocat de BLG (étant donné que BLG avait été présent sur les lieux de la perquisition). Cela n’a pas pu se faire non plus en raison de la conduite précipitée et unilatérale de Cassels Brock. Il appert, comme l’a conclu le juge des requêtes, qu’[traduction] « [u]ne seule raison peut justifier l’apposition sur un contenant d’un scellé paraphé par des parties ayant des intérêts opposés, et cette raison est de veiller à ce que le contenant ne soit ouvert qu’en présence des deux parties ou, à tout le moins, qu’avec le consentement des deux parties » (par. 19). Le juge des requêtes a également exprimé son point de vue, qui est crucial en l’espèce :
[traduction] En outre, aucun besoin pressant ne justifiait l’ouverture plutôt précipitée des enveloppes ordonnée par [Cassels Brock]. L’ordonnance Anton Piller a pour objectif fondamental la conservation de la preuve et non son utilisation. BDO avait la garde des documents, auxquels [Celanese] pourra[it] avoir accès en temps et lieu. Il n’y avait donc aucune raison de s’empresser d’examiner les documents au lieu de les traiter de façon minutieuse et réfléchie. En d’autres termes, on avait amplement le temps de s’enquérir auprès de Me Hendell, ou d’autres avocats du cabinet Borden Ladner, de la façon de traiter ces documents. Si on avait agi prudemment, il est probable que la question que je dois trancher aujourd’hui ne se serait jamais posée. [par. 21]
53 Il est fort possible que, si Cassels Brock et Kasowitz avaient été en mesure d’expliquer au tribunal quels documents privilégiés ils avaient vus, le tribunal aurait pu considérer qu’il s’agissait à première vue de documents anodins et sans importance. Par exemple, le document privilégié pourrait être une lettre qu’un avocat a envoyée à son client et à laquelle est simplement joint un avant‑projet de contrat dont les clauses sont pratiquement les mêmes que celles d’un contrat qui a été conclu par la suite et auquel le public a accès. La communication du document de l’avocat, quoique privilégiée, ne serait vraisemblablement pas susceptible de causer un préjudice dans ce cas. Lorsqu’il est plus difficile d’évaluer l’importance des documents privilégiés auxquels ont eu accès les avocats qui ont effectué la perquisition, le juge des requêtes pourrait à bon droit demander au défendeur (s’il y a lieu, en l’absence des avocats de la partie ayant sollicité la perquisition) d’expliquer pourquoi ces documents risqueraient de causer un préjudice important. Il est évident que cela ne peut se faire que si les avocats ayant effectué la perquisition peuvent indiquer avec une certaine précision ce qu’ils ont examiné. En raison de la façon dont la perquisition a été effectuée en l’espèce, les avocats de Celanese ne pouvaient pas le faire, de sorte qu’on n’en est jamais arrivé à ce stade.
54 À mon avis, la présente instance ne doit d’aucune façon être perçue comme étant punitive. Je reconnais, comme l’ont fait les tribunaux d’instance inférieure, que ni Cassels Brock ni Kasowitz n’a tenté d’avoir accès aux documents privilégiés ou d’en tirer quelque avantage. Leur problème découle d’une incurie et d’une attitude trop agressive dans des circonstances qui commandaient la modération en reconnaissance de la situation de responsabilité exceptionnelle qu’impose la nature unilatérale et attentatoire d’une ordonnance Anton Piller. La protection des communications avocat‑client confidentielles revêt une grande importance. Selon l’état actuel du dossier, rien ne permet à Canadian Bearings de croire que les documents privilégiés auxquels Cassels Brock et Kasowitz ont eu accès ne seront pas utilisés à son préjudice.
55 En résumé, je suis d’accord avec la Cour divisionnaire pour dire que les avocats qui effectuent une perquisition en vertu d’une ordonnance Anton Piller et qui, de ce fait, entrent en possession de renseignements confidentiels pertinents qui ont été obtenus grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client ont l’obligation de démontrer qu’il n’y a aucun risque réel que ces renseignements soient utilisés au préjudice du défendeur. Les problèmes de preuve auxquels s’ajoutent les erreurs commises pendant et après la perquisition doivent être résolus par les gens qui sont responsables de la perquisition, et non par la partie qui en a fait l’objet. En l’espèce, les intimées ne se sont pas acquittées de ce fardeau.
E. La réparation convenable
56 Je suis d’accord avec les tribunaux d’instance inférieure pour dire que, s’il est possible de remédier au problème sans avoir à déclarer inhabiles à occuper les avocats ayant effectué la perquisition, il faut examiner cette possibilité. Comme l’affirme dans son mémoire l’intervenante l’Association du Barreau canadien (« ABC »), il s’agit de [traduction] « déterminer si, objectivement, l’intégrité du système de justice exige de déclarer les avocats inhabiles à occuper afin de remédier à la violation de privilège, ou si une réparation moins draconienne permettrait de le faire ». Le droit de la demanderesse de continuer à être représentée par les avocats de son choix constitue un élément important de notre système de justice accusatoire. Dans les litiges commerciaux modernes, il y a parfois un échange important de documents. Des erreurs sont commises. Dans ces circonstances, il n’est pas question d’inhabilité automatique à occuper.
57 Le juge Nordheimer a cité un certain nombre de cas de divulgation par inadvertance qui, à son avis, militent contre la déclaration d’inhabilité à occuper. Dans le premier cas, Tilley c. Hails (1993), 12 O.R. (3d) 306 (Div. gén.), il était question non pas d’une requête visant à faire déclarer un avocat inhabile à occuper, mais d’une demande d’injonction interdisant aux intimés d’utiliser un document privilégié communiqué par inadvertance. De même, dans l’affaire Aviaco International Leasing Inc. c. Boeing Canada Inc. (2000), 9 B.L.R. (3d) 99 (C.S.J. Ont.), il était question d’une requête visant à faire retirer du dossier divers documents privilégiés télécopiés par inadvertance aux avocats des demanderesses; ces derniers avaient alors tenté d’utiliser ces documents et en avaient fait et gardé des copies. Les documents ont été retirés du dossier. Le juge Nordheimer s’est également fondé sur la décision Coulombe c. Beard (1993), 16 O.R. (3d) 627 (Div. gén.), pour faire remarquer que les tribunaux [traduction] « hésitent » à imposer la réparation « draconienne » qu’est la déclaration d’inhabilité à occuper dans les cas où les documents privilégiés communiqués par inadvertance ne sont pas importants. Dans cette affaire, le juge Salhany a pu examiner la lettre communiquée, ce qui lui a permis d’en évaluer l’importance. Dans tous ces cas, le tribunal savait exactement ce qu’avait vu l’avocat de la partie adverse et quelles mesures avaient été prises à cet égard. La décision Coulombe montre que, même dans le cas où la partie adverse a la surprise de recevoir un document confidentiel, le tribunal doit tout de même prendre soin d’examiner le document pour évaluer le risque de préjudice (et sans doute également pour déterminer si la communication apparemment effectuée par inadvertance était un stratagème). Dans ces cas, les avocats évitent d’être déclarés inhabiles à occuper en démontrant qu’on ne peut pas les blâmer d’avoir reçu le document en question, et qu’ils ont fait ce qu’il fallait faire lorsqu’ils ont constaté que les documents étaient potentiellement privilégiés. Voir aussi Nova Growth Corp. c. Kepinski, [2001] O.J. No. 5993 (QL) (C.S.J.), par. 13 et 18, autorisation d’appel refusée, [2002] O.J. No. 2522 (QL) (C. div.), autorisation d’appel refusée, [2003] 1 R.C.S. xiv.
58 Les juges Nordheimer et Moldaver ont tous deux établi une distinction entre la présente affaire et l’affaire Grenzservice dans laquelle les avocats qui avaient bâclé l’exécution d’une injonction Mareva comportant des éléments d’une ordonnance Anton Piller avaient été déclarés inhabiles à occuper. Dans cette affaire, le tribunal a jugé que les avocats avaient agi [traduction] « de manière inacceptable ». La juge Huddart (maintenant juge à la Cour d’appel) est arrivée à cette conclusion, mais en se fondant également sur les principes énoncés dans l’arrêt Succession MacDonald qui fait autorité à cet égard. Je ne qualifierais certainement pas d’« inacceptable » la conduite des avocats en l’espèce, mais comme le démontre l’arrêt Succession MacDonald lui‑même, la violation d’un privilège qui n’est pas due à une conduite « inacceptable » peut néanmoins donner lieu à une déclaration d’inhabilité à occuper.
59 Dans leur argumentation utile, les intervenantes Advocates’ Society et l’ABC recommandent de prendre en considération un certain nombre de facteurs pour décider s’il y a lieu de déclarer des avocats inhabiles à occuper : (i) la manière dont le demandeur ou ses avocats sont entrés en possession des documents; (ii) les mesures que le demandeur et ses avocats ont prises lorsqu’ils ont constaté que les documents étaient potentiellement assujettis au privilège avocat‑client; (iii) la mesure dans laquelle les documents privilégiés ont été examinés; (iv) la teneur des communications avocat‑client et la mesure dans laquelle elles sont préjudiciables; (v) l’étape de l’instance; (vi) l’efficacité potentielle d’une mesure de protection ou d’autres précautions destinées à éviter un préjudice. Il va sans dire que d’autres facteurs peuvent intervenir dans des affaires différentes, mais je reconnais que la liste de facteurs qui précède est appropriée et me paraît suffisante pour trancher le présent pourvoi.
60 Quant au premier facteur, Cassels Brock et Kasowitz ont mis la main, d’une façon non intentionnelle mais évitable, sur les documents privilégiés grâce à une ordonnance extraordinaire de type Anton Piller. Des précautions insuffisantes ont été prises. Ceux qui ne prennent pas de précautions doivent en subir les conséquences. Comme nous l’avons vu, Me Colvard a témoigné qu’indépendamment des documents électroniques non encore classés qu’il avait placés séparément dans un dossier « privilégié », il a trouvé d’autres documents potentiellement privilégiés en examinant des documents qui avaient été auparavant classés comme étant « pertinents ». Me Colvard a tout le moins admis qu’il avait [traduction] « procédé à un examen assez approfondi [de ces documents] pour décider où les placer ». Même en ce qui concerne ces documents, nous n’en connaissons pas le contenu.
61 En ce qui concerne le deuxième facteur, Cassels Brock n’a pas dressé la liste des documents électroniques sur les lieux de la perquisition comme l’exigeait l’ordonnance et, par la suite, il n’a pas tenu compte de l’importance manifeste des initiales de BLG apposées sur l’enveloppe scellée contenant les documents électroniques; enfin, il a refusé de restituer à BLG les documents [traduction] « papier ou électroniques » demandés qui étaient visés par une revendication de privilège. Cassels Brock a effectivement pris des mesures, tout comme Kasowitz, pour limiter le préjudice ayant résulté, mais à cause de leurs erreurs, la Cour ne connaît pas (et Canadian Bearings n’est pas en mesure de connaître) l’ampleur potentielle de ce préjudice.
62 Quant au troisième facteur, l’ABC soutient que les avocats de la demanderesse devraient non seulement restituer sans délai les documents privilégiés communiqués par inadvertance, mais également [traduction] « informer la partie adverse de la mesure dans laquelle ces documents ont été examinés ». Je suis d’accord. À cet égard, Cassels Brock et Kasowitz nient avoir procédé à un « examen approfondi », mais ils doivent avoir effectué un examen assez minutieux pour pouvoir classer les documents comme étant [traduction] « pertinents, non pertinents, exclusifs ou très pertinents ». Comment peut‑on classer un document comme étant « très pertinent » ou « pertinent » sans l’avoir lu? Et, je le répète, certains documents lus et classés au départ comme étant « pertinents » se sont révélés (après une deuxième lecture) susceptibles de faire l’objet d’une revendication de privilège. Si nous ignorons ce que les avocats de Celanese ont examiné, nous sommes devant le dilemme prévu par le juge Sopinka à la p. 1263 de l’arrêt Succession MacDonald :
. . . les simples [. . .] affirmations catégoriques contenu[e]s dans des affidavits ne sont pas acceptables. On ne peut s’attendre à les trouver dans toute affaire de cette nature qui est soumise aux tribunaux. Cela revient à une invitation de l’avocat à lui faire confiance. Le tribunal a alors la tâche ingrate de décider quels avocats sont dignes de confiance et lesquels ne le sont pas.
63 En ce qui a trait au quatrième facteur, Cassels Brock et Kasowitz ne se sont pas acquittés de l’obligation de décrire la teneur des communications avocat‑client dont ils ont pris connaissance en classant les documents. Il n’est donc pas possible de déterminer « la mesure dans laquelle elles sont préjudiciables ». Comme nous l’avons vu, les avocats de Celanese ont créé ce problème en omettant d’agir avec prudence et ils doivent maintenant, tout comme Celanese, en subir les conséquences.
64 Quant au cinquième facteur, l’instance ne fait que débuter. À une étape avancée d’une instance complexe, une ordonnance déclarant un avocat inhabile à occuper peut être [traduction] « extrême » et avoir un effet « dévastateur » sur la partie dont l’avocat est déclaré inhabile à occuper (Michel c. Lafrentz (1992), 12 C.P.C. (3d) 119 (C.A. Alb.), par. 4). Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il n’y a pas de doute que les parties ont toutes engagé des frais considérables, mais dans une lettre datée du 15 juillet 2003, soit moins d’un mois après le début de l’instance et quelques jours après avoir pris connaissance de la controverse relative au privilège, BLG a informé Cassels Brock que [traduction] « [c]’est une question très grave et nous avons l’intention d’en faire part au tribunal à la première occasion. » La requête en déclaration d’inhabilité à occuper a été déposée le 24 juillet 2003. Un préavis amplement suffisant a donc été donné au sujet de la demande de déclaration d’inhabilité à occuper.
65 Sixièmement et pour terminer, en ce qui concerne « l’efficacité potentielle d’une mesure de protection ou d’autres précautions », Cassels Brock a mentionné au tribunal un certain nombre de mesures qui ont été prises (même si, selon la défenderesse, c’était trop peu, trop tard). Le juge des requêtes a conclu qu’[traduction] « il aurait fallu produire un affidavit dans lequel l’avocat responsable du dossier pour le cabinet Kasowitz aurait confirmé qu’un tel document [privilégié] avait été supprimé et qu’aucun autre membre du cabinet n’avait eu accès aux renseignements avant que le document soit supprimé (à l’exception, il va sans dire, de Me Colvard qui a été écarté du dossier) » (par. 30). Je partage cette opinion. Dans une affaire aussi délicate, le tribunal et le défendeur ont droit à la meilleure preuve possible. Il semble évident qu’aucune mesure de protection suffisante n’avait été prise avant que le préjudice soit causé.
66 En tout état de cause, je suis d’accord avec la Cour divisionnaire pour dire que Cassels Brock et Kasowitz n’ont pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour satisfaire au critère de l’arrêt Succession MacDonald, c’est-à-dire pour « convaincre le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera[it] fait aucun usage de renseignements confidentiels » (p. 1260).
67 Je suis également d’accord avec la Cour divisionnaire pour dire que le droit de Celanese à l’avocat de son choix cède le pas à ce qui s’est produit, en l’espèce, pendant et après l’exécution de l’ordonnance Anton Piller, et que [traduction] « la perception raisonnable de l’intégrité de l’administration de la justice serait compromise si Cassels, Brock [. . .] pouvait continuer d’occuper pour [Celanese] » (par. 42). Toutefois, pour ce qui est du rôle de Kasowitz à l’avenir, j’estime que la Cour divisionnaire est allée trop loin en décidant qu’[traduction] « en l’espèce ou dans toute autre procédure connexe, il devrait être interdit [à Celanese] d’obtenir des conseils ou des renseignements directement ou indirectement auprès de ce cabinet » (par. 40 (je souligne)). Celanese est une entreprise d’envergure mondiale et Kasowitz est son principal conseiller juridique. Comme l’usine de fabrication d’acétate de vinyle doit être construite en Iran, il se peut bien que des procédures connexes soient engagées à l’extérieur du Canada. J’estime que Canadian Bearings sera suffisamment protégée si on interdit à Celanese de demander ou d’obtenir des conseils ou des renseignements directement ou indirectement auprès de Kasowitz relativement à toute instance au Canada découlant des questions mentionnées dans la déclaration modifiée, ou liée à celles‑ci, pourvu que Kasowitz produise, à la satisfaction du juge responsable de la gestion de l’instance, un affidavit ou des affidavits confirmant que les mesures de protection qu’il s’était engagé à prendre existaient et existent encore, et une confirmation sous serment que tous les documents faisant l’objet d’une revendication de privilège qui se sont retrouvés en sa possession par suite de l’ordonnance Anton Piller ont été restitués ou détruits.
IV. Dispositif
68 Le pourvoi est accueilli avec dépens devant notre Cour. Cassels Brock est déclaré inhabile à occuper pour les intimées en l’espèce. Il ne doit ni représenter ni conseiller les intimées, directement ou indirectement, relativement à la présente instance ou à toute autre procédure connexe découlant des faits allégués dans la déclaration modifiée.
69 Les intimées ou quiconque agissant en leur nom ne doivent ni communiquer avec Kasowitz, ni obtenir des conseils ou des renseignements directement ou indirectement, auprès de ce cabinet, relativement à la présente instance ou à toute autre procédure connexe au Canada découlant des faits allégués dans la déclaration modifiée, ou liée à ceux‑ci.
70 Tous les documents visés par la revendication de privilège qui, les 20 et 21 juin 2003, ont été saisis dans les locaux de Canadian Bearings conformément à l’ordonnance Anton Piller et qui sont encore en la possession des intimées, de Cassels Brock ou de Kasowitz doivent être restitués immédiatement à Canadian Bearings et aucune copie papier, électronique ou autre de ces documents ne doit être conservée.
71 Kasowitz devra déposer, à la satisfaction du juge responsable de la gestion de l’instance, des affidavits confirmant l’existence de mesures de protection suffisantes, ainsi que la destruction ou la restitution de tous les prétendus documents privilégiés qui se sont retrouvés en sa possession par suite de l’ordonnance Anton Piller rendue en l’espèce.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des appelants : Borden Ladner Gervais, Toronto.
Procureurs de l’intimée Celanese Canada Inc. : Heenan Blaikie, Toronto.
Procureurs de l’intimée Celanese Ltd. : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Advocates’ Society : Lax O’Sullivan Scott, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.