La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2012 | CANADA | N°2012_CSC_36

Canada | Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36 (12 juillet 2012)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36

Date : 20120712

Dossier : 33800

Entre :

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement et CMRRA-SODRAC Inc.

Appelantes

et

Bell Canada, Apple Canada Inc., Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P., Société TELUS Communications, Entertainment Software Association et Association can

adienne du logiciel de divertissement

Intimées

- et -

Clinique d’intérêt public et de politique d’internet ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36

Date : 20120712

Dossier : 33800

Entre :

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement et CMRRA-SODRAC Inc.

Appelantes

et

Bell Canada, Apple Canada Inc., Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P., Société TELUS Communications, Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement

Intimées

- et -

Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko, Association canadienne des professeures et des professeurs d’université, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Institut canadien d’information juridique et Computer & Communications Industry Association

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

Motifs de jugement :

(par. 1 à 50)

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Deschamps, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

socan c. bell canada

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique,

Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement et

CMRRA‑SODRAC Inc. Appelantes

c.

Bell Canada,

Apple Canada Inc.,

Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership,

Shaw Cablesystems G.P., Société TELUS Communications,

Entertainment Software Association et

Association canadienne du logiciel de divertissement Intimées

et

Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada

Samuelson‑Glushko, Association canadienne des professeures et

des professeurs d’université, Fédération des ordres professionnels

de juristes du Canada, Institut canadien d’information juridique et

Computer & Communications Industry Association Intervenants

Répertorié : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada

2012 CSC 36

No du greffe : 33800.

2011 : 6 décembre; 2012 : 12 juillet.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Létourneau, Nadon et Pelletier), 2010 CAF 123, 403 N.R. 57, 320 D.L.R. (4th) 342, 83 C.P.R. (4th) 409, [2010] A.C.F. no 570 (QL), 2010 CarswellNat 1334, qui a confirmé une décision de la Commission du droit d’auteur, www.cb‑cda.gc.ca/decisions/2007/20071018‑m‑e.pdf, (2007), 61 C.P.R. (4th) 353, [2007] D.C.D.A. no 7 (QL), 2007 CarswellNat 3467. Pourvoi rejeté.

Henry Brown, c.r., Gilles M. Daigle, Paul Spurgeon et Matthew S. Estabrooks pour l’appelante la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

Glen A. Bloom, pour l’appelante l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement.

Casey M. Chisick, Timothy Pinos et Jason Beitchman, pour l’appelante CMRRA‑SODRAC Inc.

Gerald L. Kerr‑Wilson, Ariel A. Thomas et Julia Kennedy, pour les intimées Bell Canada, Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P. et Société TELUS Communications.

Michael Koch, pour l’intimée Apple Canada Inc.

Personne n’a comparu pour les intimées Entertainment Software Association et Association canadienne du logiciel de divertissement.

David Fewer et Jeremy de Beer, pour l’intervenante la Clinique d'intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.

Wendy Matheson, Andrew Bernstein et Alexandra Peterson, pour l’intervenante l’Association canadienne des professeures et des professeurs d’université.

Ronald E. Dimock et Sangeetha Punniyamoorthy, pour les intervenants la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et l’Institut canadien d’information juridique.

Andrea Rush, pour l’intervenante Computer & Communications Industry Association.

Version française du jugement de la Cour rendu par

La juge Abella —

[1] Les gens font de plus en plus l’acquisition d’œuvres musicales sur Internet. Certains sites commerciaux de vente en ligne leur permettent d’écouter un extrait d’une œuvre musicale avant de décider de se la procurer ou non. En l’espèce, la question à trancher est celle de savoir si l’« utilisation équitable » visée à l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, peut s’entendre de cette écoute préalable.

Contexte

[2] La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) représente les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique et elle gère par ailleurs leurs droits d’exécution et de communication. La thèse qu’elle défend devant nous reçoit l’appui de l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement et de CMRRA-SODRAC Inc.

[3] Bell Canada, Apple Canada Inc., Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P. et Société TELUS Communications exploitent des services de musique en ligne qui vendent le téléchargement de fichiers audionumériques. Leurs catalogues proposent des œuvres musicales classées par titre de piste ou d’album, genre ou artiste. Le consommateur peut, avant de décider d’acheter une œuvre ou non, en écouter gratuitement un extrait. La SOCAN demande qu’une somme soit exigible pour l’écoute d’un tel extrait en sus de ce qui est normalement versé pour l’obtention d’un téléchargement ou d’un disque compact.

[4] Généralement, l’extrait de la piste musicale dure de 30 à 90 secondes. L’utilisateur peut choisir la pièce et écouter l’extrait grâce à une transmission en continu, de sorte qu’il a accès à une copie temporaire qu’il ne peut conserver de manière permanente dans son ordinateur. L’écoute préalable guide l’utilisateur dans sa décision d’acheter ou non un téléchargement permanent de l’œuvre. Par exemple, grâce au service iTunes d’Apple, le consommateur peut écouter un extrait autant de fois qu’il le veut, sans obligation d’achat de sa part ni obligation d’être inscrit auprès du fournisseur en ligne.

[5] Comme il est précisé dans le pourvoi connexe (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35), en 1995, la SOCAN a demandé à la Commission du droit d’auteur du Canada de fixer les redevances exigibles des utilisateurs pour les années 1996 à 2006 lors de la communication au public d’œuvres musicales sur Internet.

[6] Dans sa décision du 18 octobre 2007 ([2007] D.C.D.A. no 7 (QL)), la Commission a convenu que la SOCAN pouvait à bon droit percevoir des redevances pour le téléchargement d’œuvres musicales, mais pas pour l’écoute préalable. À son avis, l’écoute préalable ne violait pas le droit d’auteur, car elle pouvait être assimilée à l’« utilisation équitable » aux fins de recherche que permet l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur compte tenu des éléments énoncés par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, [2004] 1 R.C.S. 339. L’écoute d’extraits ne constituant pas une violation du droit d’auteur, elle n’emportait pas le versement de redevances à la SOCAN.

[7] La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission (2010 CAF 123), et j’abonde dans le même sens.

Analyse

[8] Dans l’arrêt Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, la Cour signale que l’application du droit d’auteur commande « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (par. 30).

[9] Dans cet arrêt, la Cour rompt avec une conception jusque là centrée sur l’auteur de l’œuvre ainsi que sur le droit exclusif de l’auteur et du titulaire du droit d’auteur de décider de l’usage qui peut être fait de l’œuvre sur le marché : voir p. ex. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, aux p. 478‑479. Pour les tenants de cette conception, tout avantage que pouvait tirer le public du régime de protection du droit d’auteur ne représentait qu’une [traduction] « conséquence heureuse mais fortuite de la reconnaissance d’un droit privé » : Carys J. Craig, « Locke, Labour and Limiting the Author’s Right : A Warning against a Lockean Approach to Copyright Law » (2002), 28 Queen’s L.J. 1, aux p. 14 et 15.

[10] Dans l’arrêt Théberge, la Cour s’attache plutôt à l’importance du droit d’auteur lorsqu’il s’agit de promouvoir l’intérêt public et elle souligne que la diffusion des œuvres artistiques joue un rôle crucial dans l’établissement d’un domaine public vigoureux sur les plans culturel et intellectuel. Le professeur David Vaver fait observer que, à cette fin, un équilibre judicieux s’impose entre, d’une part, la protection des œuvres et, d’autre part, l’accès à ces dernières (Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks (2e éd. 2011), à la p. 60).

[11] L’arrêt CCH confirme que les droits des utilisateurs sont essentiels à la réalisation des objectifs de la Loi sur le droit d’auteur qui sont liés à l’intérêt public. L’exception au titre de l’utilisation équitable constitue l’un des moyens retenus par le législateur pour établir un juste équilibre entre protection et accès. Certaines activités qui, sans cette exception, pourraient violer le droit d’auteur, sont ainsi permises. Dès lors, pour maintenir un juste équilibre entre ces intérêts, « il ne faut pas []interpréter [l’exception] restrictivement » (CCH, au par. 48).

[12] Dans CCH, la Cour énonce le critère permettant de déterminer si une utilisation est équitable pour l’application de l’exception prévue à l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur, dont voici le libellé :

29. L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.

Les articles 29.1 et 29.2 de la Loi, dont l’application n’est pas précisément en jeu en l’espèce, permettent également une « utilisation équitable » aux fins de critique, de compte rendu ou de communication de nouvelles.

[13] Le critère établi dans CCH relativement à l’utilisation équitable comporte deux volets. Premièrement, l’utilisation a‑t‑elle pour but l’« étude privée » ou la « recherche », les deux fins permises à l’art. 29? Deuxièmement, l’utilisation est‑elle « équitable »? Il incombe à la personne qui invoque l’« utilisation équitable » de satisfaire aux deux volets.

[14] Selon la Cour, les six éléments suivants permettent de déterminer si une utilisation est « équitable » ou non : le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.

[15] En l’espèce, le premier volet du critère relatif à l’utilisation équitable que dégage la Cour dans CCH veut donc qu’on se demande d’abord si les extraits sont offerts à l’une des deux fins permises, la « recherche ». La Cour ne définit pas ce mot, mais elle conclut qu’« [i]l faut [l’]interpréter [. . .] de manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints » (par. 51).

[16] La Commission définit l’« écoute préalable » comme suit :

. . . un moyen de mise en marché utilisé entre autres par les fournisseurs de musique en ligne. Il implique la transmission sur demande d’un extrait (habituellement d’au plus 30 secondes) d’un enregistrement sonore afin de permettre à l’utilisateur de l’« essayer », de façon à décider d’acheter ou non un téléchargement (la plupart du temps permanent). [par. 18]

[17] Au vu de la preuve présentée concernant la fin poursuivie lors de l’écoute préalable et le recours à celle‑ci par les consommateurs, la Commission conclut que l’écoute d’extraits « sert à établir si la piste convient [à leurs] goûts [. . .] ou à vérifier si c’est bien celle qu’[ils] souhaite[nt] acheter » (par. 101). L’écoute préalable aide l’utilisateur à déterminer quelle pièce musicale il se procurera. Puisque planifier l’achat d’un téléchargement requiert à la fois « recherche [et] effort pour trouver », elle estime que l’écoute préalable équivaut à une « recherche » pour l’application de l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur (par. 109).

[18] La Cour d’appel fédérale adhère au point de vue de la Commission, à savoir que l’écoute préalable intervient dans la planification de l’achat du téléchargement d’une œuvre musicale et, par conséquent, « aux fins [. . .] de recherche ». Elle arrive à la conclusion suivante :

. . . il n’est pas déraisonnable de donner au mot « recherche » son sens premier et usuel. Car le consommateur est à la recherche d’un objet du droit d’auteur qu’il désire et s’efforce de trouver et dont il veut s’assurer de [l’] authenticité et de [la] qualité avant de se le procurer . . . « [L]’écoute préalable contribue à cet effort pour trouver ». [par. 20]

[19] Selon la SOCAN, la Commission et la Cour d’appel fédérale interprètent mal le mot « recherche », et ce, sous deux rapports. Premièrement, elles optent pour une interprétation trop large. Deuxièmement, l’objet de la « recherche » aurait dû être considéré du point de vue du fournisseur de services en ligne, et non du consommateur. En effet, dans l’optique du premier, le but de l’écoute préalable n’est pas la « recherche », mais bien la vente du téléchargement permanent de l’œuvre musicale.

[20] Pour la SOCAN, la « recherche » s’entend de [traduction] « l’enquête et l’étude systématiques de documents et de sources en vue d’établir des faits et de tirer des conclusions nouvelles » (M.A., au par. 96). En outre, la « recherche » devrait avoir pour but la conception d’œuvres créatives, car seule l’utilisation qui contribue au processus de création est dans l’intérêt public. Par conséquent, l’écoute préalable, dont le but principal n’est pas de favoriser la créativité mais de permettre à l’utilisateur d’acheter de la musique en ligne, ne saurait être assimilée à la « recherche ».

[21] Certes, l’un des objets importants de l’utilisation équitable des œuvres protégées est de permettre à d’autres personnes d’accomplir elles-mêmes des actes d’expression et de création (A. Drassinower, « Taking User Rights Seriously », dans Michael Geist, dir., In the Public Interest: The Future of Canadian Copyright Law (2005), 462, aux p. 467‑472). Pour autant, on ne saurait considérer que seule une fin créative constitue une fin de « recherche » pour l’application de l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur, car ce serait oublier que la diffusion des œuvres fait également partie des objets de la Loi; dès lors, la diffusion — avec ou sans créativité — est aussi dans l’intérêt public. Opter pour une telle interprétation restrictive serait également oublier que l’« étude privée » — une notion sans lien intrinsèque avec la créativité — constitue aussi une fin expressément permise à l’art. 29. La « recherche » et l’« étude privée » constituant deux fins de l’utilisation équitable permise par cette disposition, il ne convient pas d’interpréter la première plus étroitement que la seconde.

[22] Rendre la « recherche » tributaire de la poursuite d’une fin créative serait également contraire à son sens ordinaire, car on peut y associer nombre d’activités qui ne consistent pas nécessairement à établir des faits nouveaux ou à tirer des conclusions nouvelles. La recherche peut être fragmentaire, informelle, exploratoire ou confirmative. Elle peut même être entreprise pour aucun autre motif que l’intérêt personnel. La recherche peut assurément avoir pour but d’arriver à des conclusions nouvelles, mais ce n’est qu’un de ses composants définitionnels, non le principal.

[23] À l’appui de sa prétention selon laquelle le mot « recherche » doit être interprété étroitement de façon à n’englober que la création d’un objet nouveau, la SOCAN invoque la jurisprudence américaine qui ne conclut au caractère équitable d’une utilisation que si celle‑ci a une fin « transformative ». Elle cite à titre d’exemple la décision United States c. American Society of Composers, Authors and Publishers, 599 F.Supp. 2d 415 (S.D. 2009), dans laquelle la Cour de district de New York conclut que l’écoute préalable qui sert de moyen de mise en marché en vue de la vente de sonneries musicales pour téléphones portables n’est pas de nature [traduction] « transformative » et ne saurait donc être assimilée à une forme « de critique, de commentaire, de reportage, [. . .] ou de recherche » pour les besoins des dispositions du titre 17 relatives à l’utilisation équitable (§ 107, U.S. Code, aux p. 424‑425).

[24] Aux États‑Unis, les dispositions relatives à l’utilisation équitable permettent des fins dont l’énumération n’est pas exhaustive; mentionnons la critique, le commentaire, la communication de nouvelles, l’enseignement, les travaux d’érudition et la recherche (17 U.S.C § 107). On s’y livre d’emblée à la détermination du caractère équitable ou non de l’utilisation au regard des éléments établis par le législateur ou issus de la jurisprudence. Même si l’un de ces éléments correspond à la nature transformative ou non de l’utilisation, il n’est pas du tout certain que cette nature transformative soit [traduction] « absolument nécessaire » pour que l’on puisse conclure au caractère équitable de l’utilisation : Campbell c. Acuff‑Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994), à la p. 579.

[25] Or, même s’il s’agissait d’une exigence en droit américain, notre Cour a déjà mis en garde contre l’importation automatique, dans l’arène canadienne, de la jurisprudence fondée sur la conception américaine du droit d’auteur, car nos lois respectives sont « fondamentalement différentes » : Compo Co Ltd. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357, à la p. 367. La mise en garde trouve écho dans le contexte de l’utilisation équitable.

[26] Contrairement aux tribunaux américains qui passent directement à l’appréciation du caractère équitable, les tribunaux canadiens déterminent d’abord s’il y a utilisation à l’une des fins permises dans la Loi sur le droit d’auteur avant de se pencher sur le caractère équitable. Suivant les paramètres établis dans l’arrêt CCH, l’examen du caractère « équitable » correspond au second volet du critère applicable pour déterminer s’il y a utilisation équitable : voir CCH, au par. 51 ; voir également Giuseppina D’Agostino, « Healing Fair Dealing? A Comparative Copyright Analysis of Canada’s Fair Dealing to U.K. Fair Dealing and U.S. Fair Use » (2008), 53 McGill L.J. 309, et Century 21 Canada Limited Partnership c. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196, 338 D.L.R. (4th) 32, au par. 234.

[27] Dans CCH, en prescrivant une interprétation généreuse des fins auxquelles il peut y avoir utilisation équitable, dont la « recherche », la Cour applique un critère relativement peu strict au premier volet, de sorte que le grand branle‑bas analytique n’intervient qu’au second volet, celui de la détermination du caractère équitable. Prétendre comme le fait la SOCAN que la « recherche » ne s’entend que de la création d’œuvres nouvelles équivaut à confondre la notion de fin permise et l’analyse du caractère équitable et à resserrer indûment le passage menant à celle‑ci. En outre, sa conception étroite de la « recherche » ne tient compte ni de la mise en garde de la Cour dans CCH, à savoir que « [p]our maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas [. . .] interpréter restrictivement [l’utilisation équitable] » (par. 48), ni de son exhortation à interpréter le mot « recherche . . . de manière large » afin d’éviter que, dans l’établissement de cet équilibre, les droits des utilisateurs soient indûment restreints (par. 48, 51).

[28] En outre, lorsqu’elle définit la « recherche » comme comportant nécessairement une [traduction] « enquête . . . systématique[] » et des « conclusions nouvelles », la SOCAN contredit sa deuxième prétention concernant l’interprétation du mot « recherche », à savoir que c’est la fin poursuivie par le fournisseur de services en ligne, et non par le consommateur, qui doit être considérée. En effet, la définition qu’elle propose montre qu’elle conçoit la recherche comme une entreprise de l’utilisateur, puisque, de toute évidence, c’est lui, et non le fournisseur, qui fait l’enquête et tire les conclusions nouvelles. À la première étape de l’analyse relative au caractère équitable de l’utilisation, le bon angle n’est donc pas celui du fournisseur et de la fin qu’il poursuit lorsqu’il met les œuvres à disposition.

[29] Cette conclusion est dans le droit fil de l’arrêt CCH, où la Cour voit dans l’utilisation équitable un « droit des utilisateurs » (par. 48). Dans cette affaire, le fournisseur — la Grande bibliothèque — offrait un service de photocopie aux avocats désireux d’obtenir copie de documents juridiques. La Cour analyse la situation du point de vue non pas de la Bibliothèque mais de l’utilisateur, l’avocat, dont la fin poursuivie est la recherche juridique (par. 64).

[30] De même, afin de déterminer si, pour les besoins du premier volet du critère de l’arrêt CCH, la fin qui sous‑tend l’écoute préalable est la « recherche », la Commission tient compte avec raison du point de vue de l’utilisateur ou de la fin que poursuit le consommateur. Sous cet angle, l’écoute préalable permet au consommateur d’effectuer une recherche pour choisir les pièces dont il fera l’achat, ce qui entraîne la diffusion des œuvres musicales et la rétribution de leurs créateurs, deux résultats voulus par le législateur.

[31] Vient ensuite le deuxième volet, où il faut déterminer si, au regard des éléments dégagés dans l’arrêt CCH, l’écoute préalable constitue une utilisation « équitable ».

[32] Le caractère « équitable » est une question de fait qui doit être tranchée à partir des circonstances de l’espèce (CCH, au par. 52, citant Hubbard c. Vosper, [1972] 1 All E.R. 1023 (C.A.), à la p. 1027). À la lumière de tous les éléments à considérer, la Commission conclut, avec raison selon moi, que l’écoute préalable constitue une utilisation équitable.

[33] Le premier élément énoncé dans CCH est le but de l’utilisation. Il s’agit alors de déterminer objectivement « le but ou le motif réel » de l’utilisation de l’œuvre protégée (par. 54).

[34] La SOCAN fait valoir que, dans le cas qui nous occupe, l’écoute préalable a un but strictement commercial. Elle considère le but de l’écoute préalable du point de vue, non pas du consommateur, mais du fournisseur de services. Je conviens plutôt avec la Commission et la Cour d’appel fédérale que l’angle d’analyse prédominant est en l’espèce celui de l’utilisateur et que la fin poursuivie par ce dernier lors de l’écoute préalable est la recherche d’œuvres musicales en vue d’en faire l’achat en ligne. Bien qu’il vende le téléchargement d’œuvres musicales, le fournisseur de services offre l’écoute préalable essentiellement pour faciliter la poursuite des fins de recherche du consommateur.

[35] La Commission relève également que des mesures garantissent raisonnablement que l’écoute préalable aura lieu à cette fin : les extraits sont courts, en continu et de qualité souvent inférieure à celle de l’œuvre musicale. Ces caractéristiques empêchent la substitution des extraits aux œuvres, mais permettent néanmoins la recherche.

[36] La SOCAN fait par ailleurs valoir que même du point de vue du consommateur, la fin qu’il poursuit lors de l’écoute préalable est purement commerciale, car il s’agit de l’achat éventuel d’œuvres musicales. Or, tout compte fait, la démarche de la Commission respecte la remarque de la Cour dans CCH, à savoir que même si la recherche effectuée pour un motif commercial peut être moins équitable que celle effectuée à une fin non commerciale (par. 54), l’utilisation peut tout de même être équitable si on « garantit raisonnablement » que les œuvres sont effectivement utilisées aux fins de recherche (par. 66).

[37] Le deuxième élément à considérer selon l’arrêt CCH est la nature de l’utilisation. Pour la Cour, une utilisation peut être inéquitable lorsque de multiples copies d’une œuvre sont diffusées largement (par. 55). En outre, le fait qu’une seule copie sert à une fin légitime en particulier ou que la copie cesse d’exister après son usage milite en faveur du caractère équitable de l’utilisation (par. 55).

[38] La prétention de la SOCAN repose sur le constat que le consommateur accède en moyenne dix fois plus souvent à l’extrait d’une œuvre musicale qu’à sa version intégrale. Par contre, il ne reste pas de copie de l’extrait après l’écoute préalable. Les extraits sont transmis en continu; ils ne sont pas téléchargés. L’utilisateur n’obtient pas de copie permanente, et une fois l’écoute terminée, le fichier est supprimé automatiquement dans l’ordinateur, ce qui rend impossible toute reproduction ou nouvelle diffusion par l’utilisateur.

[39] Le troisième élément énoncé dans CCH correspond à l’ampleur de l’utilisation sur le plan quantitatif. La Commission, pour qui l’« ampleur » correspond à la durée de l’extrait par rapport à celle de l’œuvre en entier, conclut que l’écoute préalable d’un extrait d’une trentaine de secondes constitue une utilisation modeste « par rapport à l’achat de l’œuvre au complet [d’une durée approximative de quatre minutes] pour écoute répétée » (par. 113).

[40] La SOCAN écarte toutefois cette appréciation et fait valoir que la Commission doit plutôt tenir compte du nombre global d’extraits écoutés par les consommateurs au moyen de la transmission en continu. Comme la preuve révèle qu’un utilisateur écoute en moyenne dix extraits d’une œuvre musicale avant de la télécharger contre paiement, le temps consacré globalement à l’écoute préalable est si considérable qu’il rend l’utilisation inéquitable. Il s’agit pour la SOCAN d’un élément déterminant en l’espèce.

[41] S’il ne fait aucun doute que l’écoute préalable donne globalement accès à une grande quantité de musique, l’argument de la SOCAN va toutefois à l’encontre de ce que dit la Cour dans CCH, à savoir que l’« ampleur » de l’utilisation s’entend de « l’ampleur [d’ordre quantitatif] de l’extrait tiré de l’œuvre » (par. 56). Puisque le droit d’utilisation équitable correspond à un droit des utilisateurs, il faut déterminer « l’ampleur » en fonction de l’utilisation individuelle, et non globale. C’est donc à l’aune du rapport entre l’extrait et l’œuvre entière, comme le préconise la Commission, qu’il faut déterminer l’ampleur de l’utilisation. Une telle conclusion me paraît conforme à la démarche de la Cour dans CCH, où elle qualifie l’utilisation des œuvres en se penchant sur les suites données par la Grande bibliothèque aux demandes individuelles formulées par des usagers relativement à des œuvres précises, et non sur le nombre total d’usagers ou le nombre total de pages demandées. Il faut donc apprécier l’élément de l’« ampleur de l’utilisation » au regard de chacune des utilisations individuelles plutôt que de l’ensemble des utilisations.

[42] Qui plus est, l’aspect quantitatif de la diffusion globale est déjà pris en compte en fonction de la « nature de l’utilisation », l’élément qui appelle à se demander si de multiples copies de l’œuvre sont largement distribuées. Revenir sur la même quantification « globale » en liaison avec l’élément de l’« ampleur » rend ce dernier inutile aux fins de l’analyse et soustrait à l’examen le rapport entre l’extrait et l’œuvre entière.

[43] En outre, vu la facilité avec laquelle une œuvre numérisée peut être diffusée à grande échelle sur Internet, s’attacher à l’utilisation « globale » risque de mener à une conclusion d’utilisation inéquitable beaucoup plus souvent pour les œuvres qui sont numérisées que pour celles qui ne le sont pas. Si, comme le soutient la SOCAN, l’utilisation organisée et à grande échelle est intrinsèquement inéquitable, la quasi‑totalité des activités des fournisseurs de musique en ligne qui sont liées aux œuvres musicales emporte la violation du droit d’auteur. Je crains que sa thèse n’aille à l’encontre de l’objectif de la neutralité technologique, c’est‑à‑dire l’application uniforme de la Loi sur le droit d’auteur peu importe le support ou son degré d’avancement technologique : Robertson c. Thompson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, au par. 49.

[44] En ce qui concerne le quatrième élément, dans CCH, la Cour invite à examiner toute solution de rechange à l’utilisation. Le fait qu’un équivalent non protégé aurait pu servir ou que l’utilisation de l’œuvre n’était pas raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée pourrait militer contre le caractère équitable de l’utilisation (par. 57).

[45] La SOCAN prétend qu’il existe d’autres méthodes (telle la publicité) grâce auxquelles les consommateurs peuvent choisir la musique qu’ils veulent se procurer. Par exemple, le site de nombre de fournisseurs de services renferme une reproduction de la pochette, un texte descriptif et les critiques d’autres utilisateurs. Certains fournisseurs de services permettent également l’échange lorsqu’un utilisateur télécharge par mégarde une autre œuvre musicale que celle qu’il voulait.

[46] Or, lorsqu’il s’agit d’aider le consommateur à trouver des pièces musicales qui lui plaisent, l’échange constitue une solution coûteuse, complexe sur le plan technologique et défavorable à l’essor du secteur d’activité en cause. Qui plus est, aucune des solutions de rechange proposées ne permet au consommateur, comme seule le fait l’écoute préalable, d’entendre l’œuvre musicale, du moins en partie. La Commission estime que « [l’]écoute préalable d’un extrait est vraisemblablement la façon la plus pratique, la plus économique et la plus sûre pour les [utilisateurs] de s’assurer d’obtenir ce qu’ils veulent » (par. 114). Elle arrive donc à la conclusion que l’écoute préalable de courts extraits de piètre qualité, transmis en continu, constitue un moyen raisonnablement nécessaire à la recherche par le consommateur de ce qu’il souhaite acquérir. Je suis du même avis.

[47] La nature de l’œuvre — le cinquième élément — appelle à se demander si l’œuvre est de celles qui devraient être largement diffusées. La SOCAN ne nie pas que la vente et la diffusion des œuvres musicales sont souhaitables, mais selon elle, puisque ces œuvres peuvent facilement être acquises et diffusées sans l’écoute préalable, celle‑ci ne confère pas d’avantage supplémentaire pour l’optimisation de la diffusion. Or, un grand accès à une œuvre musicale ne coïncide pas nécessairement avec sa diffusion à grande échelle. Il n’y aura diffusion d’une œuvre que si un acquéreur éventuel peut la trouver et décider de l’acheter.

[48] L’observation qui précède est liée au dernier élément : l’effet de l’utilisation sur l’œuvre et, notamment, le risque que l’utilisation nuise à l’œuvre ou y fasse concurrence. Étant donné la courte durée des extraits et leur piètre qualité, on peut difficilement leur reprocher de faire concurrence au téléchargement de l’œuvre complète. Et comme l’écoute préalable a pour effet d’augmenter les ventes d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur — et donc leur diffusion — , ce qui entraîne la rémunération de leurs créateurs, on ne saurait lui attribuer d’incidence négative sur les œuvres.

[49] Toutes ces considérations confirment la conclusion de la Commission selon laquelle l’écoute préalable remplit les conditions de l’utilisation équitable et les fournisseurs de services en ligne ne violent pas le droit d’auteur. Pour arriver à cette conclusion, la Commission établit un juste équilibre entre les objets de la Loi en encourageant la création et la diffusion des œuvres, d’une part, et en veillant à la juste rétribution des créateurs, d’autre part. Elle respecte les paramètres établis par la Cour dans CCH, les principes d’interprétation qui y sont énoncés et le critère qui y est formulé pour déterminer qu’une utilisation peut être assimilée ou non à l’utilisation équitable visée à l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, il n’y a pas lieu de modifier sa conclusion.

[50] Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

Procureurs de l’appelante l’ Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement : Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa.

Procureurs de l’appelante CMRRA‑SODRAC Inc. : Cassels Brock & Blackwell, Toronto.

Procureurs des intimées Bell Canada, Rogers Communications Inc., Rogers Wireless Partnership, Shaw Cablesystems G.P. et Société TELUS Communications : Fasken Martineau DuMoulin, Ottawa.

Procureurs de l’intimée Apple Canada Inc. : Goodmans, Toronto.

Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Université d’Ottawa, Ottawa.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des professeures et des professeurs d’université : Torys, Toronto.

Procureurs des intervenants la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et l’Institut canadien d’information juridique : Dimock Stratton, Toronto.

Procureurs de l’intervenante Computer & Communications Industry Association : Heenan Blaikie, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2012 CSC 36 ?
Date de la décision : 12/07/2012
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Propriété intellectuelle - Droit d’auteur - Violation - Exception - Utilisation équitable - Services de musique en ligne offrant au consommateur, avant l’achat d’une œuvre musicale, la possibilité d’en écouter gratuitement un extrait - Société de gestion collective alléguant le droit de percevoir une redevance pour l’écoute préalable d’un extrait - Cette écoute constitue‑t‑elle une « utilisation équitable »? - Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 29.

S représente les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique et elle gère leurs droits d’exécution et de communication. Elle a demandé à la Commission du droit d’auteur de fixer les redevances exigibles lors de la communication au public d’œuvres musicales sur Internet. La Commission a convenu que S pouvait percevoir une redevance pour le téléchargement d’une œuvre musicale, mais pas pour l’écoute préalable d’un extrait de celle‑ci, d’une durée de 30 à 90 secondes, avant que le consommateur ne décide d’acheter l’œuvre ou non. À son avis, l’écoute préalable ne viole pas le droit d’auteur, car elle peut être assimilée à l’« utilisation équitable » aux fins de recherche que permet l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur et, partant, elle n’emporte pas le versement de redevances à S. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

L’utilisation équitable permet certaines activités qui, sans cette exception, pourraient violer le droit d’auteur. L’analyse y afférente fondée sur la Loi sur le droit d’auteur vise à déterminer si un juste équilibre a été établi entre la protection des droits exclusifs des auteurs et des titulaires du droit d’auteur et l’accès du public à leurs œuvres.

Énoncé dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, le critère relatif à l’utilisation équitable comporte deux volets. Dans le cadre du premier, il s’agit de savoir si l’utilisation a pour but la « recherche » ou l’« étude privée », les deux seules fins expressément prévues à l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur. Le second volet s’attache à déterminer si l’utilisation est « équitable ».

Suivant le premier volet du critère relatif à l’utilisation équitable, il faut d’abord se demander en l’espèce si les extraits sont offerts à la fin permise de « recherche ». Le bon angle d’analyse n’est alors pas celui du fournisseur de services en ligne, car il faut considérer la situation du point de vue du consommateur en tant qu’utilisateur ultime. La Commission a dûment considéré les extraits en fonction de la fin poursuivie par le consommateur, soit la recherche de pièces musicales à acquérir.

Une fin de « recherche » ne s’entend pas seulement d’une fin créative. Conclure en ce sens serait oublier que la diffusion des œuvres constitue l’un des objectifs de la Loi sur le droit d’auteur. Ce serait également contraire au sens ordinaire du mot « recherche » auquel on associe de nombreuses activités qui n’exigent pas l’établissement de faits nouveaux ou la formulation de conclusions nouvelles. Il ne faut pas interpréter restrictivement l’utilisation équitable, et le mot « recherche » doit être interprété de manière large et généreuse.

Au deuxième volet du critère de l’arrêt CCH, il faut déterminer si l’écoute préalable constitue une utilisation « équitable ». Les éléments à considérer sont alors le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.

La Commission a conclu avec raison que l’écoute préalable constituait une utilisation équitable. Le point de vue qu’il convient d’adopter est celui de l’utilisateur final, le consommateur. Le fournisseur de services facilite la recherche, la fin que poursuit le consommateur, et des mesures garantissent raisonnablement que l’écoute préalable a lieu à cette fin.

En ce qui a trait à la nature de l’utilisation, l’utilisateur n’obtient pas de copie permanente; le fichier transmis en continu est en effet supprimé automatiquement dans l’ordinateur de l’utilisateur une fois l’écoute terminée, ce qui exclut toute reproduction ou nouvelle diffusion.

Il ne faut pas apprécier l’élément « ampleur de l’utilisation » au regard du nombre total d’extraits écoutés par les consommateurs grâce à la transmission en continu. C’est à l’aune du rapport entre l’extrait et l’œuvre entière qu’il faut apprécier cet élément, et non en fonction de la quantité globale de musique écoutée grâce aux extraits. La transmission en continu d’un extrait de quelques secondes constitue une utilisation modeste par rapport à l’œuvre en entier.

En ce qui concerne les autres éléments, aucune solution de rechange à l’utilisation ne donne au consommateur une aussi bonne idée de la teneur de l’œuvre musicale. L’écoute préalable constitue donc un moyen raisonnablement nécessaire à la recherche par le consommateur de ce qu’il souhaite acquérir. Il n’y aura diffusion d’une œuvre que si un acquéreur éventuel peut la trouver puis décider de l’acheter. Étant donné leur courte durée et leur piètre qualité, les extraits ne font pas concurrence au téléchargement des œuvres elles‑mêmes et ils n’ont pas d’effet préjudiciable sur elles. En fait, ils augmentent la vente et la diffusion d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur.

L’écoute préalable constitue donc une utilisation équitable pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur.


Parties
Demandeurs : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique
Défendeurs : Bell Canada

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35
CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339
Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336
Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467
United States c. American Society of Composers, Authors and Publishers, 599 F.Supp.2d 415 (2009)
Campbell c. Acuff‑Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994)
Compo Co. c. Blue Crest Music Inc., [1980] 1 R.C.S. 357
Century 21 Canada Limited Partnership c. Rogers Communications Inc., 2011 BCSC 1196, 338 D.L.R. (4th) 32
Hubbard c. Vosper, [1972] 1 All E.R. 1023
Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363.
Lois et règlements cités
17 U.S.C. § 107 (2006).
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, art. 29, 29.1, 29.2.
Doctrine et autres documents cités
Craig, Carys J. « Locke, Labour and Limiting the Author’s Right : A Warning against a Lockean Approach to Copyright Law » (2002), 28 Queen’s L.J. 1.
D’Agostino, Giuseppina. « Healing Fair Dealing? A Comparative Copyright Analysis of Canada’s Fair Dealing to U.K. Fair Dealing and U.S. Fair Use » (2008), 53 R.D. McGill 309.
Drassinower, Abraham. « Taking User Rights Seriously », in Michael Geist, ed., In the Public Interest : The Future of Canadian Copyright Law. Toronto : Irwin Law, 2005, 462.
Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2nd ed. Toronto : Irwin Law, 2011.

Proposition de citation de la décision: Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36 (12 juillet 2012)


Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2012-07-12;2012.csc.36 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award