COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633
Date : 20140801
Dossier : 35026
Entre :
Sattva Capital Corporation (anciennement Sattva Capital Inc.)
Appelante
et
Creston Moly Corporation (anciennement Georgia Ventures Inc.)
Intimée
- et -
Procureur général de la Colombie-Britannique et BCICAC Foundation
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 125)
Le juge Rothstein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)
sattva capital c. creston moly, 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633
Sattva Capital Corporation (anciennement Sattva Capital Inc.) Appelante
c.
Creston Moly Corporation (anciennement Georgia Ventures Inc.) Intimée
et
Procureur général de la Colombie‑Britannique et
BCICAC Foundation Intervenants
Répertorié : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp.
2014 CSC 53
N o du greffe : 35026.
2013 : 12 décembre; 2014 : 1 er août.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Arbitrage — Appels — Sentences arbitrales commerciales — Conclusion d'une entente entre les parties prévoyant le versement en actions des honoraires d'intermédiation — Désaccord des parties sur la date applicable à l'évaluation du cours de l'action aux fins du versement des honoraires d'intermédiation et recours à l'arbitrage — Autorisation d'appel de la sentence arbitrale demandée en application de l'art. 31(2) de l'Arbitration Act — Rejet initial de la demande d'autorisation d'appel, qui est accueillie à l'issue d'un appel devant la Cour d'appel — Rejet de l'appel interjeté de la sentence infirmé par la Cour d'appel — La Cour d'appel a‑t‑elle accordé à tort l'autorisation d'appel? — Quelle est la norme de contrôle applicable aux sentences arbitrales commerciales rendues sous le régime de l'Arbitration Act? — Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55, art. 31(2).
Contrats — Interprétation — Conclusion d'une entente entre les parties prévoyant le versement en actions des honoraires d'intermédiation — Désaccord des parties sur la date applicable à l'évaluation du cours de l'action aux fins du versement des honoraires d'intermédiation et recours à l'arbitrage — L'arbitre a‑t‑il donné une interprétation raisonnable de l'entente dans son ensemble? — L'interprétation contractuelle constitue‑t‑elle une question de droit ou une question mixte de fait et de droit?
S et C ont conclu une entente selon laquelle C devait payer à S des honoraires d'intermédiation relativement à l'acquisition d'une propriété minière de molybdène par C. Les parties reconnaissaient qu'en vertu de l'entente, S a droit à des honoraires d'intermédiation de 1,5 million $US, versés en actions de C. Cependant, elles ne s'entendaient pas sur la date qui devrait être retenue pour évaluer le cours de l'action et, par conséquent, sur le nombre d'actions que S doit recevoir. S prétendait que la valeur de l'action était dictée par la date établie dans la définition du cours prévue dans l'entente et, par conséquent, qu'elle devait recevoir environ 11 460 000 actions, à raison de 0,15 $ l'unité. C prétendait que la stipulation relative au « plafond », qui figure dans l'entente, empêchait S de recevoir des actions d'une valeur supérieure à 1,5 million $US à la date du versement des honoraires et donc que S devait obtenir environ 2 454 000 actions, à raison de 0,70 $ l'unité. Les parties ont soumis le différend à l'arbitrage conformément à l' Arbitration Act de la Colombie‑Britannique et l'arbitre a statué en faveur de S. C a demandé l'autorisation d'interjeter appel de la sentence arbitrale en vertu du par. 31(2) de l' Arbitration Act . La demande a été rejetée au motif que la question soulevée n'était pas une question de droit. La Cour d'appel a infirmé la décision et accueilli la demande, présentée par C, en autorisation d'interjeter appel, jugeant que l'omission par l'arbitre d'examiner la signification de la stipulation de l'entente relative au « plafond » soulevait une question de droit. Le juge de la cour supérieure saisi de l'appel a rejeté l'appel de C et conclu que l'interprétation de l'entente par l'arbitre était correcte. La Cour d'appel a accueilli l'appel de C, concluant que l'interprétation de l'arbitre menait à un résultat absurde. S interjette appel des décisions de la Cour d'appel ayant accordé l'autorisation d'appel et ayant accueilli l'appel.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli et la sentence arbitrale est rétablie.
L'appel d'une sentence arbitrale commerciale est étroitement circonscrit par l' Arbitration Act . Aux termes du par. 31(1), il ne peut être interjeté appel que sur une question de droit, et l'autorisation d'appel est requise lorsque les parties ne consentent pas à l'appel. L'alinéa 31(2)(a) énonce les critères d'autorisation sur lesquels porte le présent litige, à savoir que le tribunal peut accorder l'autorisation s'il estime que, selon le cas, l'issue est importante pour les parties et que le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire.
En l'espèce, la Cour d'appel a assimilé à tort l'interprétation de l'entente relative aux honoraires d'intermédiation à une question de droit. Un tel exercice soulève une question mixte de fait et de droit , et la Cour d'appel a donc commis une erreur en accueillant la demande d'autorisation d'appel .
Il faut rompre avec l'approche historique selon laquelle la détermination des droits et obligations juridiques des parties à un contrat écrit ressortit à une question de droit. L'interprétation contractuelle soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s'agit d'en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel de ce dernier.
Il peut se révéler possible de dégager une pure question de droit de ce qui paraît au départ constituer une question mixte de fait et de droit, mais le rapport étroit qui existe entre, d'une part, le choix et l'application des principes d'interprétation contractuelle et, d'autre part, l'interprétation que recevra l'instrument juridique en dernière analyse fait en sorte que rares seront les circonstances dans lesquelles il sera possible d'isoler une question de droit au cours de l'exercice d'interprétation. Le but de l'interprétation contractuelle — déterminer l'intention objective des parties — est, de par sa nature même, axé sur les faits. Par conséquent, le tribunal doit faire preuve de prudence avant d'isoler une question de droit dans un litige portant sur l'interprétation contractuelle. L'interprétation contractuelle peut occasionner des erreurs de droit, notamment appliquer le mauvais principe ou négliger un élément essentiel d'un critère juridique ou un facteur pertinent. Conclure que la demande d'autorisation d'appel présentée par C ne soulevait aucune question de droit suffit à trancher le présent pourvoi ; toutefois, la Cour juge salutaire de poursuivre l'analyse.
Pour que l'erreur de droit reprochée soit une erreur judiciaire pour l'application de l'al. 31(2)(a), elle doit se rapporter à une question importante en litige qui, si elle était tranchée différemment, aurait une incidence sur le résultat. Suivant cette norme, le règlement d'un point de droit « peut permettre d'éviter une erreur judiciaire » seulement lorsqu'il existe une certaine possibilité que l'appel soit accueilli. Un appel qui est voué à l'échec ne saurait « permettre d'éviter une erreur judiciaire » puisque les possibilités que l'issue d'un tel appel joue sur le résultat final du litige sont nulles.
Ce n'est pas à l'étape de l'autorisation qu'il convient d'examiner exhaustivement le fond du litige et de se prononcer définitivement sur l'absence ou l'existence d'une erreur de droit. Cependant, le tribunal saisi de la demande d'autorisation doit procéder à un examen préliminaire de la question de droit pour déterminer si l'appel a une chance d'être accueilli et, par conséquent, de modifier l'issue du litige. Ce qu'il faut démontrer, pour l'application du par. 31(2), c'est que la question de droit invoquée a un fondement défendable, à savoir que l'argument soulevé par le demandeur ne peut être rejeté à l'issue d'un examen préliminaire de la question de droit.
L'examen visant à décider si la question soulevée dans la demande d'autorisation d'appel a un fondement défendable doit se faire à la lumière de la norme de contrôle applicable à l'analyse du bien‑fondé de l'appel. Il faut donc procéder à un examen préliminaire ayant pour objet cette norme. Le tribunal saisi de la demande d'autorisation ne procède qu'à un examen préliminaire à l'égard de la norme de contrôle, qui ne lie pas celui qui se penchera sur le bien‑fondé de l'appel.
Les termes « peut accorder l'autorisation » figurant au par. 31(2) de l' Arbitration Act confèrent au tribunal un pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui permet de refuser l'autorisation même quand les critères prévus par la disposition sont respectés. Les facteurs à prendre en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard d'une demande d'autorisation présentée en vertu de l'al. 31(2)(a) comprennent : la conduite des parties, l'existence d'autres recours, un retard indu et le besoin urgent d'obtenir un règlement définitif. Ces facteurs pourraient justifier le rejet de la demande sollicitant l'autorisation d'interjeter appel d'une sentence arbitrale même dans le cas où il est satisfait aux critères légaux. Cependant, les tribunaux devraient faire preuve de prudence dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
L'examen en appel des sentences arbitrales commerciales diffère du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif, de sorte que le cadre relatif à la norme de contrôle judiciaire établi dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et les arrêts rendus depuis, ne peut être tout à fait transposé dans le contexte de l'arbitrage commercial. Il demeure que le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif et l'appel d'une sentence arbitrale se ressemblent dans une certaine mesure. Par conséquent, certains éléments du cadre établi dans l'arrêt Dunsmuir aident à déterminer le degré de déférence qu'il convient d'accorder aux sentences arbitrales commerciales.
En matière d'arbitrage commercial, la possibilité d'interjeter appel étant subordonnée à l'existence d'une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, à moins que la question n'appartienne à celles qui entraînent l'application de la norme de la décision correcte, comme les questions constitutionnelles ou les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d'expertise du décideur. La question dont nous sommes saisis n'appartient pas à l'une ou l'autre de ces catégories; la norme de la décision raisonnable s'applique donc à la présente affaire.
En l'espèce, l'arbitre a donné une interprétation raisonnable de l'entente considérée dans son ensemble en déterminant que S était en droit de recevoir ses honoraires d'intermédiation en actions, à raison de 0,15 $ l'action. La sentence arbitrale, selon laquelle l'action devrait être évaluée en fonction de la définition du cours, donne effet à cette dernière et à la stipulation relative au « plafond » en les conciliant d'une manière qui ne peut être considérée comme déraisonnable. Le raisonnement de l'arbitre satisfait à la norme du caractère raisonnable dont les attributs sont la justification, la transparence et l'intelligibilité.
Le tribunal chargé de statuer sur une demande d'autorisation ne tranche pas l'affaire sur le fond. Il détermine uniquement s'il est justifié d'accorder l'autorisation, et non si l'appel sera accueilli, même lorsque l'étude de la demande d'autorisation appelle un examen préliminaire de la question de droit en cause. C'est pourquoi les remarques sur le bien‑fondé de l'affaire formulées par le tribunal saisi de la demande d'autorisation ne sauraient lier le tribunal chargé de statuer sur l'appel ni restreindre ses pouvoirs.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : British Columbia Institute of Technology (Student Assn.) c. British Columbia Institute of Technology , 2000 BCCA 496, 192 D.L.R. (4th) 122; King c. Operating Engineers Training Institute of Manitoba Inc. , 2011 MBCA 80, 270 Man. R. (2d) 63; Thorner c. Major , [2009] UKHL 18, [2009] 3 All E.R. 945; Prenn c. Simmonds , [1971] 3 All E.R. 237; Reardon Smith Line Ltd. c. Hansen‑Tangen , [1976] 3 All E.R. 570; Jiro Enterprises Ltd. c. Spencer , 2008 ABCA 87 (CanLII); QK Investments Inc. c. Crocus Investment Fund , 2008 MBCA 21, 290 D.L.R. (4th) 84; Dow Chemical Canada Inc. c. Shell Chemicals Canada Ltd. , 2010 ABCA 126, 25 Alta. L.R. (5th) 221; Canada c. Costco Wholesale Canada Ltd. , 2012 CAF 160 (CanLII); WCI Waste Conversion Inc. c. ADI International Inc. , 2011 PECA 14, 309 Nfld. & P.E.I.R. 1; 269893 Alberta Ltd. c. Otter Bay Developments Ltd. , 2009 BCCA 37, 266 B.C.A.C. 98; Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co. , 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230; Bell Canada c. The Plan Group , 2009 ONCA 548, 96 O.R. (3d) 81; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748; Housen c. Nikolaisen , 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d'assurance Guardian du Canada , 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie) , 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; Moore Realty Inc. c. Manitoba Motor League , 2003 MBCA 71, 173 Man. R. (2d) 300; Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society , [1998] 1 All E.R. 98; Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62; Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. , [1998] 2 R.C.S. 129; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd. , [1993] 2 R.C.S. 316; Gutierrez c. Tropic International Ltd. (2002), 63 O.R. (3d) 63; Domtar Inc. c. Belkin Inc. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 257; Quan c. Cusson , 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712; Quick Auto Lease Inc. c. Nordin , 2014 MBCA 32, 303 Man. R. (2d) 262; R. c. Fedossenko , 2013 ABCA 164 (CanLII); Enns c. Hansey , 2013 MBCA 23 (CanLII); R. c. Hubley , 2009 PECA 21, 289 Nfld. & P.E.I.R. 174; R. c. Will , 2013 SKCA 4, 405 Sask. R. 270; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor) , 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village) , [1991] 1 R.C.S. 326; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans) , 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; R. c. Bellusci , 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509; R. c. Bjelland , 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651; R. c. Regan , 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; Homex Realty and Development Co. c. Corporation of the Village of Wyoming , [1980] 2 R.C.S. 1011; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta , 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Pacifica Mortgage Investment Corp. c. Laus Holdings Ltd. , 2013 BCCA 95, 333 B.C.A.C. 310, autorisation d'appel refusée, [2013] 3 R.C.S. viii; Tamil Co‑operative Homes Inc. c. Arulappah (2000), 49 O.R. (3d) 566.
Lois et règlements cités
Administrative Tribunals Act , S.B.C. 2004, ch. 45, art. 58, 59.
Arbitration Act , R.S.B.C. 1996, ch. 55 [auparavant Commercial Arbitration Act ], art. 31.
Code civil du Québec .
Doctrine et autres documents cités
Brown, Donald J. M., and John M. Evans, with the assistance of Christine E. Deacon. Judicial Review of Administrative Action in Canada . Toronto : Canvasback, 1998 (loose‑leaf updated May 2014, release 1).
Dyzenhaus, David. « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », in Michael Taggart, ed., The Province of Administrative Law . Oxford : Hart, 1997, 279.
Hall, Geoff R. Canadian Contractual Interpretation Law , 2nd ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2012.
Lewison, Kim. The Interpretation of Contracts , 5th ed. London : Sweet & Maxwell, 2011 & Supp. 2013.
McCamus, John D. The Law of Contracts , 2nd ed. Toronto : Irwin Law, 2012.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Low et Levine), 2010 BCCA 239, 7 B.C.L.R. (5th) 227, 319 D.L.R. (4th) 219, [2010] B.C.J. No. 891 (QL), 2010 CarswellBC 1210, qui a infirmé une décision du juge Greyell, 2009 BCSC 1079, [2009] B.C.J. No. 1597 (QL), 2009 CarswellBC 2096, et contre un arrêt subséquent de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Kirkpatrick, Neilson et Bennett), 2012 BCCA 329, 36 B.C.L.R. (5th) 71, 326 B.C.A.C. 114, 554 W.A.C. 114, 2 B.L.R. (5th) 1, [2012] B.C.J. No. 1631 (QL), 2012 CarswellBC 2327, qui a infirmé une décision du juge Armstrong, 2011 BCSC 597, 84 B.L.R. (4th) 102, [2011] B.C.J. No. 861 (QL), 2011 CarswellBC 1124. Pourvoi accueilli.
Michael A. Feder et Tammy Shoranick , pour l'appelante.
Darrell W. Roberts , c.r. , et David Mitchell , pour l'intimée.
Jonathan Eades et Micah Weintraub , pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
David Wotherspoon et Gavin R. Cameron , pour l'intervenante BCICAC Foundation.
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Faits . 2
II. Sentence arbitrale . 11
III. Historique judiciaire . 19
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique — décision sur la demande d'autorisation d'appel, 2009 BCSC 1079 . 19
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique — décision sur la demande d'autorisation d'appel, 2010 BCCA 239 21
C. Cour suprême de la Colombie‑Britannique — décision sur l'appel, 2011 BCSC 597 . 23
D. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique — décision sur l'appel, 2012 BCCA 329 . 28
IV. Questions en litige . 31
V. Analyse . 32
A. Notre Cour est saisie à bon droit de la question de l'autorisation . 32
B. La Cour d'appel a commis une erreur en autorisant l'appel en vertu du par. 31(2) de l'AA 38
(1) Facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'analyse de la demande d'autorisation d'appel présentée au titre de l' AA .. 38
(2) L'issue est importante pour les parties . 41
(3) La question soulevée n'est pas une question de droit 42
a) Dans quelles circonstances l'interprétation contractuelle est‑elle une question de droit? 42
b) Le rôle et la nature des « circonstances » . 56
c) Tenir compte des circonstances n'est pas contraire à la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque 59
d) Application au présent pourvoi 62
(4) Le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire 68
a) L'erreur judiciaire pour l'application de l'al. 31(2)(a) de l'AA .. 68
b) Application au présent pourvoi 80
(5) Le pouvoir discrétionnaire résiduel qui habilite à refuser l'autorisation . 85
a) Éléments à examiner dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel à l'égard d'une demande d'autorisation présentée en vertu de l'al. 31(2)(a) 85
b) Application au présent pourvoi 93
C. Norme de contrôle applicable aux affaires régies par l'AA .. 102
D. L'arbitre a donné une interprétation raisonnable de l'entente considérée dans son ensemble . 107
E. La formation saisie de l'appel n'est pas liée par les observations formulées par la formation saisie de la demande d'autorisation sur le bien‑fondé de l'appel 120
VI. Conclusion . 125
ANNEXE I
Dispositions pertinentes de l'entente relative aux honoraires d'intermédiation conclue entre Sattva et Creston
ANNEXE II
Point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse de croissance TSX : Emprunts, primes, honoraires d'intermédiation et commissions
ANNEXE III
Commercial Arbitration Act , R.S.B.C. 1996, ch. 55 (dans sa version du 12 janvier 2007) (maintenant l' Arbitration Act )
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Rothstein — Dans quelles circonstances l'interprétation contractuelle est‑elle une question mixte de fait et de droit et dans quelles circonstances est‑elle une question de droit? Comment établir l'équilibre entre le caractère révisable et l'irrévocabilité des sentences arbitrales commerciales prononcées sous le régime de la Commercial Arbitration Act , R.S.B.C. 1996, ch. 55 (maintenant l' Arbitration Act , ci‑après l'« AA »)? Les conclusions relatives au bien‑fondé de l'appel tirées par le tribunal qui autorise l'appel peuvent‑elles lier celui qui est appelé à trancher l'appel? Voilà trois questions qui sont soulevées dans le présent pourvoi.
I. Faits
[2] Les questions soulevées dans le présent pourvoi découlent de l'obligation de Creston Moly Corporation (anciennement Georgia Ventures Inc.) de payer des honoraires d'intermédiation à Sattva Capital Corporation (anciennement Sattva Capital Inc.). Les parties reconnaissent que Sattva a droit à des honoraires d'intermédiation de 1,5 million $US, qui peuvent lui être versés en argent, en actions de Creston, ou en argent et en actions. Elles ne s'entendent pas sur la date qui devrait être retenue pour évaluer le cours de l'action et, par conséquent, sur le nombre d'actions que Sattva recevra.
[3] M. Hai Van Le, un directeur de Sattva, a fait part à Creston de la possibilité d'acquérir une propriété minière de molybdène au Mexique. Le 12 janvier 2007, les parties ont conclu une entente (l'« entente »), selon laquelle Creston devait payer à Sattva des honoraires d'intermédiation relativement à l'acquisition de cette propriété. Les dispositions pertinentes de l'entente sont énoncées à l'annexe I.
[4] Le 30 janvier 2007, Creston a conclu une convention d'achat de la propriété, le prix étant fixé à 30 millions $US. Le 31 janvier 2007, Creston a demandé que la négociation de ses actions à la Bourse de croissance TSX (la « Bourse ») soit suspendue afin d'empêcher la spéculation le temps d'achever le contrôle diligent préalable à l'achat. Le 26 mars 2007, Creston a annoncé qu'elle avait l'intention de conclure l'achat, et la négociation à la bourse a repris le lendemain.
[5] Aux termes de l'entente, Sattva doit recevoir des honoraires d'intermédiation correspondant au plafond autorisé par le point 3.3 de la politique 5.1 qui se trouve dans le Guide du financement des sociétés de la Bourse. Le point 3.3 est incorporé par renvoi à l'entente, à l'art. 3.1, et il est reproduit à l'annexe II des présents motifs. Dans le cas qui nous occupe, le plafond autorisé au point 3.3 de la politique 5.1 est de 1,5 million $US.
[6] Aux termes de l'entente, à moins d'indication contraire, les honoraires sont payés sous forme d'actions de Creston. Ils ne seraient versés en argent ou en argent et en actions que si Sattva avait indiqué avoir fait tel choix, ce qu'elle n'a pas fait. Ses honoraires devaient donc lui être versés sous forme d'actions au plus tard cinq jours ouvrables après la conclusion de l'achat de la propriété minière de molybdène.
[7] Le différend qui oppose les parties porte sur la date à retenir pour fixer le cours de l'action de Creston et, par conséquent, le nombre d'actions auquel Sattva a droit. Cette dernière prétend que la valeur de l'action est dictée par la définition du « cours », à l'art. 2 de l'entente, c.-à-d. la valeur de l'action [ traduction ] « le dernier jour ouvrable avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition ». Le communiqué de presse a été publié le 26 mars 2007. Avant la suspension de la négociation des actions le 31 janvier 2007, le dernier cours de clôture de l'action de Creston s'établissait à 0,15 $. Suivant cette interprétation, Sattva recevrait environ 11 460 000 actions (selon le calcul effectué en fonction des honoraires d'intermédiation de 1,5 million $US).
[8] Creston prétend que la stipulation relative au « plafond », qui figure dans l'entente, a pour effet de limiter à 1,5 million $US la somme d'argent ou la valeur des actions que peut recevoir Sattva à la date de versement des honoraires. Les actions devaient être cédées au plus tard cinq jours après le 17 mai 2007, date de conclusion de l'achat. À ce moment‑là, l'action de Creston valait 0,70 $, selon les calculs effectués par une société bancaire d'investissement en vue d'un placement privé par voie de prise ferme le 17 avril 2007. Suivant cette interprétation, Sattva recevrait environ 2 454 000 actions, soit environ 9 millions d'actions de moins que si chacune valait 0,15 $.
[9] Les parties ont soumis le différend à l'arbitrage conformément à l' AA . L'arbitre a statué en faveur de Sattva. Creston a demandé l'autorisation d'interjeter appel de la sentence arbitrale en vertu du par. 31(2) de l' AA . La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a refusé l'autorisation (2009 BCSC 1079 (CanLII) (« formation de la CS saisie de la demande d'autorisation »)). Creston a appelé de cette décision et obtenu l'autorisation de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique d'interjeter appel de la sentence arbitrale (2010 BCCA 239, 7 B.C.L.R. (5th) 227 (« formation de la CA saisie de la demande d'autorisation »)).
[10] Le juge de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique chargé de statuer sur le bien‑fondé de l'appel (2011 BCSC 597, 84 B.L.R. (4th) 102 (« formation de la CS saisie de l'appel »)) a confirmé la sentence arbitrale. Creston a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (2012 BCCA 329, 36 B.C.L.R. (5th) 71 (« formation de la CA saisie de l'appel »)), laquelle a infirmé la décision de la formation de la CS saisie de l'appel et a donné gain de cause à Creston. Sattva interjette appel des décisions des deux formations de la CA, soit celle saisie de la demande d'autorisation et celle saisie de l'appel, devant la Cour.
II. Sentence arbitrale
[11] L'arbitre, Leon Getz, c.r., a donné gain de cause à Sattva, concluant qu'elle était en droit de recevoir des honoraires d'intermédiation de 1,5 million $US en actions, à raison de 0,15 $ l'action.
[12] L'arbitre a fondé sa décision sur la définition du « cours » figurant dans l'entente :
[ traduction ] Qu'était donc le « cours » au sens de l'entente? Le communiqué de presse pertinent est celui qui a été publié le 26 mars [. . .] Il n'y avait pas de cours de clôture le 25 mars (la négociation des actions était suspendue à cette date). Par conséquent, le « dernier cours de clôture », au sens où cette expression est employée dans la définition, était de 0,15 $, soit le cours de clôture des actions de [Creston] le 30 janvier, le jour précédant la suspension des opérations « jusqu'à nouvel ordre » [. . .] Cette conclusion ne nécessite aucune extension de sens des mots employés dans la définition qui figure au contrat. Au contraire, elle concorde littéralement avec la définition. [par. 22]
[13] L'entente et les honoraires d'intermédiation devaient être approuvés par la Bourse. Creston était chargée d'obtenir cette approbation. L'arbitre a conclu qu'il était implicitement ou expressément prévu dans l'entente que Creston ferait de son mieux pour obtenir l'approbation de la Bourse. Selon lui, Creston n'avait pas fait de son mieux pour y arriver.
[14] Comme nous l'avons expliqué, les honoraires d'intermédiation se payaient en actions à moins d'avis contraire de la part de Sattva. L'arbitre a conclu que Sattva n'avait pas manifesté de choix. Malgré cela, Creston a déclaré à la Bourse que les honoraires d'intermédiation seraient versés en argent. La Bourse a donc approuvé conditionnellement le versement d'une somme de 1,5 million $US en argent. Sattva a appris qu'un versement en argent de ses honoraires avait été approuvé au début du mois de juin 2007. Quand Sattva a abordé ce point avec Creston, cette dernière a répondu que Sattva avait le choix de percevoir ses honoraires en argent ou en actions, à raison de 0,70 $ l'action.
[15] Sattva a soutenu qu'elle avait droit au versement des honoraires d'intermédiation en actions, à raison de 0,15 $ l'action. Creston a demandé à ses avocats de communiquer avec la Bourse afin qu'elle indique la valeur minimale de l'action qu'elle approuverait pour le versement des honoraires d'intermédiation. La Bourse a confirmé, par téléphone le 7 juin 2007 et par courriel le 9 août de la même année, qu'un cours minimal de 0,70 $ l'action s'appliquait aux fins du calcul des honoraires d'intermédiation. Selon l'arbitre, Creston [ traduction ] « a constamment fait des déclarations inexactes quant à l'obligation qu'elle avait contractée envers Sattva ou, à tout le moins, omis d'en divulguer complètement la nature » (par. 56(k)) et qu'« à moins que Sattva n'en décide autrement, elle a le droit aux termes de l'entente de percevoir ces honoraires sous forme d'actions, à raison de 0,15 $ l'action » (par. 56(g)). Selon l'arbitre, la position de Sattva a été véritablement présentée à la Bourse pour la première fois dans la lettre de l'avocat de celle‑ci datée du 9 octobre 2007.
[16] L'arbitre était d'avis que si Creston avait fait de son mieux, la Bourse aurait pu approuver le versement des honoraires d'intermédiation sous forme d'actions, à 0,15 $ l'action, et qu'une telle décision aurait été conforme à ses politiques. Il a affirmé que [ traduction ] « [la Bourse] aurait fort probablement donné son approbation » (par. 81) et il a évalué cette probabilité à 85 p. 100.
[17] Selon l'arbitre, Sattva aurait pu vendre ses actions de Creston après quatre mois à un prix variant entre 0,40 et 0,44 $ l'unité, ce qui aurait représenté un produit net situé dans une fourchette de 4 583 914 $ à 5 156 934 $. Établissant la moyenne de ces deux sommes d'argent à 4 870 424 $, l'arbitre a ensuite évalué les dommages‑intérêts à 85 p. 100 de ce nombre, soit 4 139 860 $, qu'il a ensuite arrondis à la hausse, pour obtenir 4 140 000 $, plus les dépens.
[18] Après le prononcé de cette sentence arbitrale, Creston a versé 1,5 million $US (ou l'équivalent en dollars canadiens) à Sattva. Le solde des dommages‑intérêts accordés par l'arbitre a été placé dans le compte en fiducie des avocats de Sattva.
III. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique — décision sur la demande d'autorisation d'appel, 2009 BCSC 1079
[19] La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande d'autorisation d'appel parce qu'elle était d'avis que la question soulevée n'était pas une question de droit, un critère prévu à l'art. 31 de l' AA . Selon le juge, il s'agissait d'une question mixte de fait et de droit puisque l'arbitre avait appuyé sa conclusion sur le [ traduction ] « fondement factuel ». Plus précisément, pour déterminer sous quelle forme les honoraires d'intermédiation devaient être versés, il fallait examiner « les politiques de la TSX se rapportant au plafond applicable aux honoraires d'intermédiation, ainsi que les pouvoirs discrétionnaires dont dispose la Bourse pour déterminer le montant des honoraires » (par. 35).
[20] Le juge a conclu que, même s'il avait été d'avis que le litige soulevait une question de droit, il aurait exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser l'autorisation d'appel en raison des déclarations inexactes faites par Creston à propos des honoraires d'intermédiation à la Bourse et à Sattva, et par égard pour le [ traduction ] « principe selon lequel l'[ AA ] a notamment pour objectif de favoriser et de préserver l'intégrité du système d'arbitrage » (par. 41).
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique — décision sur la demande d'autorisation d'appel, 2010 BCCA 239
[21] La Cour d'appel a infirmé la décision de la Cour suprême et a accueilli la demande, présentée par Creston, en autorisation d'interjeter appel de la sentence arbitrale. Selon elle, la Cour suprême avait [ traduction ] « commis une erreur en ne reconnaissant pas que l'omission par l'arbitre d'examiner la signification de l'art. 3.1 de l'entente (et plus particulièrement de la stipulation relative au “plafond”) soulevait une question de droit » (par. 23). La Cour d'appel a conclu que l'interprétation de l'art. 3.1 de l'entente, et plus particulièrement de la stipulation relative au « plafond », constituait une question de droit parce qu'elle ne reposait pas sur les faits de l'affaire, à savoir les renseignements communiqués à la Bourse et la décision de cette dernière.
[22] La Cour d'appel a reconnu que Creston s'était montrée [ traduction ] « moins que franche dans ses démarches auprès de M. Le et de [la Bourse] », mais a déclaré que « ces faits n'intéressent pas directement la question de droit qu'elle soulève en appel » (par. 27). Au sujet de la remarque sur la préservation de l'intégrité du système d'arbitrage formulée par la formation de la CS saisie de la demande d'autorisation d'appel, la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a dit que les parties, quand elles ont choisi de soumettre leur différend à l'arbitrage en vertu de l' AA , savaient que l'appel d'une question de droit était possible. De plus, bien que l'irrévocabilité de la sentence arbitrale constitue un facteur important dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, lorsqu'« une question de droit importante est soulevée et qu'il y a risque d'erreur judiciaire en cas d'impossibilité d'interjeter appel, l'intégrité du processus exige, du moins dans les circonstances de l'espèce, que le droit d'appel conféré par la loi soit respecté » (par. 29).
C. Cour suprême de la Colombie‑Britannique — décision sur l'appel, 2011 BCSC 597
[23] Le juge Armstrong a contrôlé la sentence arbitrale selon la norme de la décision correcte. Il a rejeté l'appel et conclu que l'interprétation de l'entente proposée par l'arbitre était correcte.
[24] Le juge Armstrong estimait que, selon le sens ordinaire de l'entente, les honoraires de 1,5 million $US devaient être versés en actions, à raison de 0,15 $ l'unité. Il n'estimait pas une telle interprétation absurde du simple fait que le cours de l'action à la date du versement des honoraires était supérieur à celui déterminé suivant la définition du cours. Selon lui, avec le temps, la fluctuation des cours est inévitable, et dès lors qu'elles ont prévu la possibilité du versement des honoraires en actions, les parties, des entreprises averties, devaient raisonnablement s'attendre à la fluctuation du marché. De l'avis du juge Armstrong, c'est d'ailleurs à cause de cette fluctuation qu'il faut indiquer une date précise qui servira à déterminer la valeur de l'action avant le versement. Il est arrivé à la conclusion que pour ce faire, le « cours » était défini dans l'entente et que le montant des honoraires demeurait 1,5 million $US, à payer sous forme d'actions à raison de 0,15 $ l'unité, cette valeur étant établie suivant la définition du cours, sans égard à la valeur de l'action à la date du versement des honoraires.
[25] Selon le juge Armstrong, il était prévisible que le cours de l'action à la date du versement soit supérieur à celui établi conformément à la définition du cours et il s'agissait là d'une [ traduction ] « conséquence naturelle de l'entente relative aux honoraires d'intermédiation » (par. 62). Il était d'avis que le risque était assumé par Sattva, puisque le prix de l'action pouvait certes augmenter, mais il pouvait aussi diminuer, de sorte que Sattva aurait alors reçu un portefeuille d'actions d'une valeur inférieure au montant des honoraires (1,5 million $US) qui avait été convenu.
[26] Le juge Armstrong était d'avis que l'interprétation de l'arbitre, laquelle donnait effet à la définition du cours et à la stipulation relative au « plafond », était préférable à celle de Creston, qui faisait fi de la définition du cours.
[27] En réponse à l'argument de Creston selon lequel l'arbitre n'avait pas examiné l'art. 3.1 de l'entente, qui contient la stipulation relative au « plafond », le juge Armstrong a souligné que l'arbitre avait fait expressément référence à cette stipulation au par. 23 de la sentence arbitrale.
D. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique — décision sur l'appel, 2012 BCCA 329
[28] La Cour d'appel a accueilli l'appel de Creston et a statué que la somme de 1,5 million $US versée par Creston en faveur de Sattva en exécution de la sentence arbitrale constituait le paiement intégral des honoraires d'intermédiation. La cour a contrôlé la sentence arbitrale suivant la norme de la décision correcte.
[29] La formation de la CA saisie de l'appel s'estimait liée, de même que la Cour suprême, par deux conclusions tirées par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation, à savoir : 1º il serait incongru que l'entente permette à Sattva, si elle opte pour le versement de ses honoraires en argent, de toucher 1,5 million $US alors que, si elle opte pour le versement sous forme d'actions, elle recevra un portefeuille valant environ 8 millions $ et 2º l'arbitre n'a pas tenu compte de cette anomalie et a fait fi de l'art. 3.1 de l'entente.
[30] Selon la Cour d'appel, conclure que Sattva avait droit à des honoraires d'intermédiation de 8 millions $ menait à un résultat absurde, étant donné la stipulation de l'entente relative au « plafond », qui limite le montant de tels honoraires à 1,5 million $US. La cour était d'avis qu'il faudrait donner l'effet prépondérant à cette stipulation qui limite à 1,5 million $US les honoraires [ traduction ] « à la date de leur versement » (par. 47). Elle était d'avis que donner effet à la définition du cours ne saurait avoir été l'intention des parties, et ce n'était pas non plus une décision sensée sur le plan commercial.
IV. Questions en litige
[31] Les questions suivantes sont soulevées dans le présent pourvoi :
a) La Cour a‑t‑elle été saisie à bon droit de la question de savoir si la Cour d'appel a commis une erreur en autorisant l'appel en vertu du par. 31(2) de l' AA ?
b) La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en autorisant l'appel en vertu du par. 31(2) de l' AA ?
c) Si l'autorisation a été accordée à bon droit, quelle norme de contrôle convient‑il d'appliquer aux sentences arbitrales commerciales rendues sous le régime de l' AA ?
d) L'arbitre a‑t‑il donné une interprétation raisonnable de l'entente dans son ensemble?
e) La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en s'estimant liée par les remarques formulées par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation au sujet du bien‑fondé de l'appel?
V. Analyse
A. Notre Cour est saisie à bon droit de la question de l'autorisation
[32] Sattva prétend notamment que la Cour d'appel a commis une erreur en accordant l'autorisation d'interjeter appel de la sentence arbitrale. Selon elle, la Cour d'appel n'a cerné aucune question de droit, alors que l'autorisation est subordonnée à l'existence d'une telle question, aux termes du par. 31(2) de l' AA . Creston soutient que la Cour n'est pas saisie à bon droit de cette question et avance deux arguments à l'appui de sa position.
[33] Premièrement, Creston fait valoir que cette question n'était pas soulevée dans la demande d'autorisation d'appel que Sattva a présentée à la Cour. Cet argument ne saurait tenir. À moins que la Cour n'impose des restrictions dans l'ordonnance accordant l'autorisation, cette ordonnance est de « portée générale ». Par conséquent, l'appelant peut soulever en appel une question qui n'était pas énoncée dans la demande d'autorisation. La Cour peut toutefois exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser de trancher une question qui n'a pas été abordée par les tribunaux d'instance inférieure, s'il en résulte un préjudice pour l'intimé, ou si, pour toute autre raison, elle juge opportun de ne pas la trancher.
[34] En l'espèce, l'ordonnance accordant l'autorisation d'interjeter appel des deux décisions de la Cour d'appel, sur la demande d'autorisation d'appel et sur l'appel, ne comportait aucune restriction (2013 CanLII 11315). La question — à savoir si l'appel proposé soulevait une question de droit — a été expressément débattue devant les formations de la CS et de la CA saisies de la demande d'autorisation, qui l'ont tranchée. Rien n'empêche Sattva de soulever cette question en appel, même si elle ne l'a pas mentionnée dans la demande d'autorisation d'appel qu'elle a présentée à la Cour.
[35] Deuxièmement, Creston soutient que la Cour n'a pas été saisie à bon droit de la question de savoir si la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a cerné une question de droit parce que Sattva n'a pas contesté la décision rendue à ce sujet devant tous les tribunaux d'instance inférieure. Plus précisément, aux dires de Creston, Sattva n'aurait pas fait valoir devant la formation de la CS saisie de l'appel que l'appel soulevait une question mixte de fait et de droit et aurait reconnu devant la Cour d'appel que l'appel soulevait une question de droit. Un tel argument ne tient pas. Devant la formation de la CS saisie de l'appel, il n'était pas possible pour Sattva de débattre à nouveau de la question de savoir si l'autorisation aurait dû être accordée. La formation de la CS saisie de l'appel était liée par les conclusions tirées par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation, à savoir que l'autorisation était opportune et qu'une question de droit avait été cernée. Ainsi, Sattva ne pouvait guère plaider devant la formation de la CS saisie de l'appel un point sur lequel la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation s'était déjà prononcée. Rien dans l' AA n'habilite Sattva à interjeter appel de la décision sur la demande d'autorisation d'appel rendue par une formation de la Cour d'appel à une autre formation de la même cour. Ce n'est pas parce que Sattva n'a pas plaidé à nouveau le point devant la formation de la CS saisie de l'appel ou devant la formation de la CA saisie de l'appel qu'elle ne peut le soulever devant notre Cour, tout particulièrement étant donné que Sattva a obtenu de notre Cour l'autorisation d'appeler de la décision rendue par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation.
[36] Ainsi, la Cour peut certes refuser l'autorisation si la question que l'on cherche à soulever devant elle n'a pas été plaidée devant les tribunaux d'instance inférieure, mais ce n'est pas le cas en l'espèce. En l'occurrence, les arguments sur le fondement de la demande d'autorisation d'appel de la sentence arbitrale présentée par Creston — à savoir si elle soulevait une question de droit ou une question mixte de fait et de droit — avaient été plaidés devant les formations saisies des demandes d'autorisation.
[37] Par conséquent, la Cour est saisie à bon droit de la question de savoir si la formation de la CA qui a accueilli la demande d'autorisation a conclu à tort que l'appel soulevait une question de droit.
B. La Cour d'appel a commis une erreur en autorisant l'appel en vertu du par. 31(2) de l'AA
(1) Facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'analyse de la demande d'autorisation d'appel présentée au titre de l' AA
[38] L'appel d'une sentence arbitrale commerciale est étroitement circonscrit par l' AA . Aux termes du par. 31(1), il ne peut être interjeté appel que sur une question de droit dans le cas où les parties consentent à l'appel ou, en l'absence de consentement, dans les cas où l'autorisation d'appel est accordée. Le paragraphe 31(2) de l' AA , reproduit intégralement à l'annexe III, énonce les critères d'autorisation :
[ traduction ]
(2) Relativement à une demande d'autorisation présentée en vertu de l'alinéa (1)(b), le tribunal peut accorder l'autorisation s'il estime que, selon le cas :
(a) l'importance de l'issue de l'arbitrage pour les parties justifie son intervention et que le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire,
(b) la question de droit revêt de l'importance pour une catégorie ou un groupe de personnes dont le demandeur fait partie,
(c) la question de droit est d'importance publique.
[39] De l'avis des tribunaux de la C.‑B., l'expression [ traduction ] « peut accorder l'autorisation » qui figure au par. 31(2) de l' AA confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire qui l'habilite à refuser l'autorisation même lorsque les critères légaux sont respectés ( British Columbia Institute of Technology (Student Assn.) c. British Columbia Institute of Technology , 2000 BCCA 496, 192 D.L.R. (4th) 122 (« BCIT »), par. 25‑26). L'appel d'une sentence arbitrale n'est donc entendu que si les critères du par. 31(2) sont remplis et que le tribunal saisi de la demande d'autorisation ne refuse pas néanmoins l'autorisation en vertu de son pouvoir discrétionnaire résiduel.
[40] Bien que Creston ait présenté une demande d'autorisation à la Cour suprême sur le fondement des al. 31(2)(a), (b) et (c), il semble que les arguments invoqués devant elle et au cours des autres instances portaient sur l'al. 31(2)(a). La décision de la Cour suprême sur la demande d'autorisation reprend un long passage tiré de l'affaire BCIT axé sur les éléments de l'al. 31(2)(a). La Cour suprême y souligne que les deux parties reconnaissent qu'il est satisfait au premier élément de l'al. 31(2)(a), c'est‑à‑dire que la question est importante pour les parties. Dans sa décision sur la demande d'autorisation d'appel, la Cour d'appel a dit craindre que refuser l'autorisation ne donne lieu à une erreur judiciaire — un critère prévu seulement à l'al. 31(2)(a). Enfin, ni les décisions sur les demandes d'autorisation des tribunaux d'instance inférieure ni les arguments soulevés devant notre Cour ne traitent des autres critères, à savoir que la question de droit revêt de l'importance pour une catégorie ou un groupe de personnes dont le demandeur fait partie (al. 31(2)(b)) ou est d'importance publique (al. 31(2)(c)). Par conséquent, l'analyse qui suit porte principalement sur l'al. 31(2)(a).
(2) L'issue est importante pour les parties
[41] L'autorisation d'interjeter appel d'une sentence arbitrale commerciale est subordonnée au respect d'un critère minimal : l'appel doit porter sur une question de droit. Toutefois, avant d'aborder ce sujet, il convient d'examiner sommairement un autre élément requis par l'al. 31(2)(a) et sur lequel s'entendent les parties, à savoir que l'importance de l'issue de l'arbitrage pour les parties doit justifier l'intervention du tribunal. Selon l'explication donnée par la juge Saunders de ce critère dans BCIT , il faut que l'issue de l'arbitrage soit [ traduction ] « suffisamment importante » aux yeux des parties, pour le principe ou les sommes d'argent en jeu, pour justifier le coût et la longueur d'une instance (par. 27). Les parties en l'espèce ont convenu que l'issue de l'arbitrage revêt de l'importance pour chacune. Étant donné la somme relativement considérable en litige et compte tenu du fait que les parties s'entendent pour dire que l'issue est importante pour elles, je conviens que l'importance de l'issue de l'arbitrage pour les parties justifie l'intervention du tribunal. Cette condition prévue à l'al. 31(2)(a) est remplie.
(3) La question soulevée n'est pas une question de droit
a) Dans quelles circonstances l'interprétation contractuelle est‑elle une question de droit?
[42] Aux termes de l'art. 31 de l' AA , la demande d'autorisation d'appel doit porter sur une question de droit. Pour déterminer la norme de contrôle applicable ou, comme c'est le cas en l'espèce, pour déterminer si les critères d'autorisation sont respectés, le tribunal siégeant en révision est régulièrement appelé à décider si une question tranchée en première instance est une question de droit, une question de fait ou une question mixte de fait et de droit.
[43] Autrefois, la détermination des droits et obligations juridiques des parties à un contrat écrit ressortissait à une question de droit ( King c. Operating Engineers Training Institute of Manitoba Inc. , 2011 MBCA 80, 270 Man. R. (2d) 63, par. 20, la juge Steel; K. Lewison, The Interpretation of Contracts (5 e éd. 2011 et suppl. 2013), p. 173-176; G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (2 e éd. 2012), p. 125-126). Cette règle a pris naissance en Angleterre, à une époque où les procès civils devant jury étaient fréquents et l'analphabétisme courant. Dans de telles circonstances, l'interprétation des documents écrits devait être assimilée à une question de droit parce que le juge était le seul dont on pouvait être certain qu'il savait lire et écrire et, par conséquent, qu'il était en mesure de prendre connaissance du contrat (Hall, p. 126; Lewison, p. 173-174).
[44] Cette justification historique ne s'applique plus. Néanmoins, pour les tribunaux du Royaume‑Uni, l'interprétation d'un contrat écrit ressortit toujours à une question de droit ( Thorner c. Major , [2009] UKHL 18, [2009] 3 All E.R. 945, par. 58 et 82-83; Lewison, p. 173-177), et ce, même s'ils tiennent compte des circonstances — un concept que nous aborderons — dans l'interprétation du contrat écrit ( Prenn c. Simmonds , [1971] 3 All E.R. 237 (H.L.); Reardon Smith Line Ltd. c. Hansen‑Tangen , [1976] 3 All E.R. 570 (H.L.)).
[45] Au Canada, l'approche historique n'a pas perdu tous ses adeptes. Voir par exemple Jiro Enterprises Ltd. c. Spencer , 2008 ABCA 87 (CanLII), par. 10; QK Investments Inc. c. Crocus Investment Fund , 2008 MBCA 21, 290 D.L.R. (4th) 84, par. 26; Dow Chemical Canada Inc. c. Shell Chemicals Canada Ltd. , 2010 ABCA 126, 25 Alta. L.R. (5th) 221, par. 11-12; Canada c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2012 CAF 160 (CanLII), par. 34. Or, des tribunaux canadiens ont délaissé l'approche historique au profit d'une nouvelle démarche qui conçoit l'interprétation des contrats écrits soit comme une question de droit soit comme une question mixte de fait et de droit. Voir par exemple WCI Waste Conversion Inc. c. ADI International Inc. , 2011 PECA 14, 309 Nfld. & P.E.I.R. 1, par. 11; 269893 Alberta Ltd. c. Otter Bay Developments Ltd. , 2009 BCCA 37, 266 B.C.A.C. 98, par. 13; Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co. , 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230, par. 44; Bell Canada c. The Plan Group , 2009 ONCA 548, 96 O.R. (3d) 81, par. 22-23 (les juges majoritaires, sous la plume du juge Blair) et par. 133-135 (la juge Gillese, dissidente, mais pas sur ce point); King , par. 20-23.
[46] La tendance à délaisser l'approche historique au Canada semble s'expliquer par deux changements. Le premier est l'adoption d'une méthode d'interprétation contractuelle qui oblige le tribunal à tenir compte des circonstances — que l'on appelle souvent le fondement factuel — dans l'interprétation d'un contrat écrit (Hall, p. 13, 21-25 et 127; J. D. McCamus, The Law of Contracts (2 e éd. 2012), p. 749-751). Le deuxième découle des explications formulées dans les arrêts Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. , [1997] 1 R.C.S. 748, par. 35, et Housen c. Nikolaisen , 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 26 et 31-36, sur ce qui distingue la question de droit de la question mixte de fait et de droit .
[47] Relativement au premier changement, l'interprétation des contrats a évolué vers une démarche pratique, axée sur le bon sens plutôt que sur des règles de forme en matière d'interprétation. La question prédominante consiste à discerner « l'intention des parties et la portée de l'entente » ( Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d'assurance Guardian du Canada , 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, par. 27, le juge LeBel; voir aussi Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie) , 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 64‑65, le juge Cromwell). Pour ce faire, le décideur doit interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat. Par l'examen des circonstances, on reconnaît qu'il peut être difficile de déterminer l'intention contractuelle à partir des seuls mots, car les mots en soi n'ont pas un sens immuable ou absolu :
[ traduction ] Aucun contrat n'est conclu dans l'abstrait : les contrats s'inscrivent toujours dans un contexte. [. . .] Lorsqu'un contrat commercial est en cause, le tribunal devrait certes connaître son objet sur le plan commercial, ce qui présuppose d'autre part une connaissance de l'origine de l'opération, de l'historique, du contexte, du marché dans lequel les parties exercent leurs activités.
( Reardon Smith Line , p. 574, le lord Wilberforce)
[48] Le sens des mots est souvent déterminé par un certain nombre de facteurs contextuels, y compris l'objet de l'entente et la nature des rapports créés par celle‑ci (voir Moore Realty Inc. c. Manitoba Motor League , 2003 MBCA 71, 173 Man. R. (2d) 300, par. 15, la juge Hamilton; voir aussi Hall, p. 22; McCamus, p. 749-750). Pour reprendre les propos du lord Hoffmann dans Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society , [1998] 1 All E.R. 98 (H.L.) :
[ traduction ] Le sens d'un document (ou toute autre déclaration) qui est transmis à la personne raisonnable n'équivaut pas au sens des mots qui le composent. Le sens des mots fait intervenir les dictionnaires et les grammaires; le sens du document représente ce qu'il est raisonnable de croire que les parties, en employant ces mots compte tenu du contexte pertinent, ont voulu exprimer. [p. 115]
[49] Relativement au deuxième changement, l'approche historique de l'interprétation contractuelle ne cadre pas bien avec la définition de la pure question de droit formulée dans les arrêts Housen et Southam . Les questions de droit « concernent la détermination du critère juridique applicable » ( Southam , par. 35). Or, lorsqu'il s'agit d'interprétation contractuelle, le but de l'exercice consiste à déterminer l'intention objective des parties — un but axé sur les faits — par l'application des principes juridiques d'interprétation. Il me semble que cela se rapproche plutôt de la question mixte de fait et de droit, définie dans l'arrêt Housen comme supposant « l'application d'une norme juridique à un ensemble de faits » (par. 26; voir aussi Southam , par. 35). Toutefois, certains tribunaux ont émis des doutes sur l'application directe de cette définition, qui avait été établie à l'égard d'une action intentée pour négligence, à des questions d'interprétation contractuelle et laissent entendre que cette dernière est d'abord et avant tout une affaire de droit (voir par exemple Bell Canada , par. 25).
[50] Avec tout le respect que je dois aux tenants de l'opinion contraire, à mon avis, il faut rompre avec l'approche historique. L'interprétation contractuelle soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s'agit d'en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel.
[51] Cette conclusion est étayée par les raisons qui sous‑tendent la distinction établie entre la question de droit et la question mixte de fait et de droit. En distinguant ces deux catégories, on visait principalement à restreindre l'intervention de la juridiction d'appel aux affaires qui entraîneraient probablement des répercussions qui ne seraient pas limitées aux parties au litige. Ainsi, le rôle des cours d'appel, qui consiste à assurer la cohérence du droit, et non à offrir aux parties une nouvelle tribune leur permettant de poursuivre leur litige privé, est préservé. C'est pourquoi la Cour dans l'arrêt Southam reconnaît le degré de généralité (ou « la valeur comme précédents ») comme la principale différence entre la question de droit et la question mixte de fait et de droit. Plus la règle est stricte, moins l'intervention de la cour d'appel sera utile :
Si une cour décidait que le fait d'avoir conduit à une certaine vitesse, sur une route donnée et dans des conditions particulières constituait de la négligence, sa décision aurait peu de valeur comme précédent. Bref, plus le niveau de généralité de la proposition contestée se rapproche de la particularité absolue, plus l'affaire prend le caractère d'une question d'application pure, et s'approche donc d'une question de droit et de fait parfaite. Voir R. P. Kerans, Standards of Review Employed by Appellate Courts (1994), aux pp. 103 à 108. Il va de soi qu'il n'est pas facile de dire avec précision où doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer si le litige porte sur une proposition générale qui peut être qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier de circonstances qui n'est pas susceptible de présenter beaucoup d'intérêt pour les juges et les avocats dans l'avenir. [par. 37]
[52] De même, la Cour dans l'arrêt Housen conclut que la retenue à l'égard du juge des faits contribue à réduire le nombre, la durée et le coût des appels tout en favorisant l'autonomie du procès et son intégrité (par. 16-17). Ces principes militent également en faveur de la déférence à l'endroit des décideurs de première instance en matière d'interprétation contractuelle. Les obligations juridiques issues d'un contrat se limitent, dans la plupart des cas, aux intérêts des parties au litige. Le vaste pouvoir de trancher les questions d'application limitée que notre système judiciaire confère aux tribunaux de première instance appuie la proposition selon laquelle l'interprétation contractuelle est une question mixte de fait et de droit.
[53] Néanmoins, il peut se révéler possible de dégager une pure question de droit de ce qui paraît au départ constituer une question mixte de fait et de droit ( Housen , par. 31 et 34-35). L'interprétation contractuelle peut occasionner des erreurs de droit, notamment [ traduction ] « appliquer le mauvais principe ou négliger un élément essentiel d'un critère juridique ou un facteur pertinent » ( King , par. 21). En outre, il est indubitable que nombre d'autres questions se posant en droit des contrats mettent en jeu des règles de droit substantiel : les critères de formation du contrat, la capacité des parties, l'obligation que soient constatés par écrit certains types de contrat, etc.
[54] Le tribunal doit cependant faire preuve de prudence avant d'isoler une question de droit dans un litige portant sur l'interprétation contractuelle. Compte tenu de l'obligation, prévue au par. 31(2) de l' AA , que la demande d'autorisation soulève une question de droit, le demandeur et son représentant chercheront à qualifier de question de droit toute erreur qu'ils invoquent. Toutefois, le législateur a pris des mesures visant à limiter ce genre d'appels, et les tribunaux doivent examiner soigneusement le motif d'appel proposé pour déterminer s'il est bien caractérisé. La mise en garde exprimée dans Housen qui appelle à la prudence lorsqu'il s'agit d'isoler une question de droit s'applique dans le cas présent :
Les cours d'appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu à la négligence, puisqu'il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n'est pas facilement isolable, il s'agit alors d'une « question mixte de fait et de droit » . . . [par. 36]
[55] Certes, cette mise en garde a été formulée dans le contexte d'une action pour négligence, mais elle s'applique également à mon avis à l'interprétation contractuelle. Comme je le mentionne précédemment, le but de l'interprétation contractuelle — déterminer l'intention objective des parties — est, de par sa nature même, axé sur les faits. Le rapport étroit qui existe entre, d'une part, le choix et l'application des principes d'interprétation contractuelle et, d'autre part, l'interprétation que recevra l'instrument juridique en dernière analyse fait en sorte que rares seront les circonstances dans lesquelles il sera possible d'isoler une question de droit au cours de l'exercice d'interprétation. En l'absence d'une erreur de droit du genre de celles décrites plus haut, aucun droit d'appel de l'interprétation par un arbitre d'un contrat n'est prévu à l' AA .
b) Le rôle et la nature des « circonstances »
[56] Abordons le rôle des circonstances dans l'interprétation du contrat et la nature des éléments admis à l'examen. La présente analyse ne traite que de la démarche d'interprétation contractuelle fondée sur la common law; elle ne se veut ni une application ni une modification du droit relatif à l'interprétation contractuelle régi par le Code civil du Québec .
[57] Bien que les circonstances soient prises en considération dans l'interprétation des termes d'un contrat, elles ne doivent jamais les supplanter ( Hayes Forest Services , par. 14; Hall, p. 30). Le décideur examine cette preuve dans le but de mieux saisir les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les mots du contrat. Une disposition contractuelle doit toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l'ensemble du contrat (Hall, p. 15 et 30-32). Les circonstances sous‑tendent l'interprétation du contrat, mais le tribunal ne saurait fonder sur elles une lecture du texte qui s'écarte de ce dernier au point de créer dans les faits une nouvelle entente ( Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62).
[58] La nature de la preuve susceptible d'appartenir aux « circonstances » variera nécessairement d'une affaire à l'autre. Il y a toutefois certaines limites. Il doit s'agir d'une preuve objective du contexte factuel au moment de la signature du contrat ( King , par. 66 et 70), c'est‑à‑dire, les renseignements qui appartenaient ou auraient raisonnablement dû appartenir aux connaissances des deux parties à la date de signature ou avant celle‑ci. Compte tenu de ces exigences et de la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque que nous verrons, on entend par « circonstances », pour reprendre les propos du lord Hoffmann [ traduction ] « tout ce qui aurait eu une incidence sur la manière dont une personne raisonnable aurait compris les termes du document » ( Investors Compensation Scheme , p. 114). La question de savoir si quelque chose appartenait ou aurait dû raisonnablement appartenir aux connaissances communes des parties au moment de la signature du contrat est une question de fait.
c) Tenir compte des circonstances n'est pas contraire à la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque
[59] Quelques mots sur l'examen des circonstances et la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque s'imposent. Cette règle empêche l'admission d'éléments de preuve autres que les termes du contrat écrit qui auraient pour effet de modifier ou de contredire un contrat qui a été entièrement consigné par écrit, ou d'y ajouter de nouvelles clauses ou d'en supprimer ( King , par. 35; Hall, p. 53). À cette fin, la règle interdit notamment les éléments de preuve concernant les intentions subjectives des parties (Hall, p. 64-65; Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. , [1998] 2 R.C.S. 129, par. 54-59, le juge Iacobucci). La règle vise, premièrement, à donner un caractère définitif et certain aux obligations contractuelles et, deuxièmement, à empêcher qu'une partie puisse utiliser des éléments de preuve fabriqués ou douteux pour attaquer un contrat écrit ( Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd. , [1993] 2 R.C.S. 316, p. 341-342, le juge Sopinka).
[60] La règle d'exclusion de la preuve extrinsèque n'interdit pas au tribunal de tenir compte des circonstances entourant le contrat. Cette preuve est compatible avec les objectifs relatifs au caractère définitif et certain puisqu'elle sert d'outil d'interprétation qui vient éclairer le sens des mots du contrat choisis par les parties, et non le changer ou s'y substituer. Les circonstances sont des faits connus ou qui auraient raisonnablement dû l'être des deux parties à la date de signature du contrat ou avant celle‑ci; par conséquent, le risque que des éléments d'une fiabilité douteuse soient invoqués ne se pose pas.
[61] Selon une certaine jurisprudence et des auteurs, la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque serait un anachronisme ou, à tout le moins, d'application restreinte vu la myriade d'exceptions dont elle est assortie (voir par exemple Gutierrez c. Tropic International Ltd. (2002), 63 O.R. (3d) 63 (C.A.), par. 19-20; Hall, p. 53-64). Dans le cadre du présent pourvoi, il suffit de dire que la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque ne s'oppose pas à la présentation d'une preuve des circonstances entourant le contrat pour l'interprétation de ce dernier.
d) Application au présent pourvoi
[62] En l'espèce, la Cour d'appel a accordé l'autorisation d'appel relativement à la question suivante : [ traduction ] « L'arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en n'interprétant pas l'entente relative aux honoraires d'intermédiation dans son ensemble . . . ?» (d.a., vol. I, p. 62)
[63] Comme nous le verrons, l'obligation d'interpréter le contrat dans son ensemble est une question de droit susceptible, si on pouvait l'isoler, de satisfaire au critère minimal exigé à l'art. 31 de l' AA . À mon avis, cette question n'a pas été isolée comme il se doit en l'espèce.
[64] Je reconnais qu'il est un principe fondamental de l'interprétation contractuelle selon lequel le contrat doit être interprété dans son ensemble (McCamus, p. 761-762; Hall, p. 15). Si l'arbitre n'a pas tenu compte de la stipulation relative au « plafond », comme le prétend Creston, il n'a alors pas interprété l'entente dans son ensemble, car il en a négligé une clause précise et pertinente. Voilà une question de droit qui pourrait être isolée de la conclusion mixte de fait et de droit.
[65] Or, il semble que l'arbitre a effectivement tenu compte de la stipulation relative au « plafond ». En effet, selon la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation, l'arbitre a examiné la stipulation, puisqu'elle signale qu'il a envisagé le plafond de 1,5 million $US, un nombre auquel il ne peut être arrivé que s'il a consulté la politique de la Bourse à laquelle renvoie la stipulation relative au « plafond » à l'art. 3.1 de l'entente. À la lumière de ses motifs, j'estime que la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation, au lieu de se demander si l'arbitre a négligé la stipulation relative au plafond — ce que Creston prétend devant la Cour —, a axé sa décision sur l'interprétation qu'a donnée l'arbitre de l'art. 3.1 de l'entente, qui contient cette stipulation (par. 25-26). Par exemple, la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation s'est dite préoccupée que l'arbitre n'ait pas abordé l'[ traduction ] « absurdité » de la variation « considérable » dans la valeur des honoraires selon qu'ils étaient versés en argent ou en actions (par. 25).
[66] Avec tout le respect que je lui dois, j'estime que la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a assimilé à tort l'interprétation de l'art. 3.1 de l'entente à une question de droit. Comme l'explique le juge Armstrong dans la décision de la CS sur l'appel, pour interpréter l'art. 3.1 et tenir compte de la stipulation, il fallait examiner les circonstances pertinentes, y compris le fait que les parties étaient des parties avisées, la fluctuation du cours de l'action et la nature du risque qu'une partie assume quand elle opte pour le versement de ses honoraires en actions plutôt qu'en argent. Un tel exercice soulève une question mixte de fait et de droit. Comme aucune question de droit ne peut être isolée de la question mixte de fait et de droit qui porte sur l'interprétation de l'art. 3.1 et de la stipulation, la Cour d'appel a commis une erreur en accueillant la demande d'autorisation d'appel.
[67] Conclure que la demande d'autorisation d'appel présentée par Creston ne soulevait aucune question de droit suffirait à trancher le présent pourvoi. Toutefois, puisque la Cour a rarement l'occasion de se pencher sur l'appel d'une sentence arbitrale, il est à mon avis utile d'expliquer que même si la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation avait conclu à bon droit que l'interprétation de l'art. 3.1 de l'entente constituait une question de droit, elle devait néanmoins rejeter la demande, car il n'était pas satisfait aux autres volets de l'analyse des demandes d'autorisation que requiert l'al. 31(2)(a) de l' AA , qui concernent l'erreur judiciaire et le pouvoir discrétionnaire résiduel.
(4) Le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire
a) L'erreur judiciaire pour l'application de l'al. 31(2)(a) de l'AA
[68] Une fois qu'il a cerné une question de droit, le tribunal doit être convaincu que le fait de statuer sur cette dernière [ traduction ] « peut permettre d'éviter une erreur judiciaire » avant d'accorder l'autorisation d'appel en vertu de l'al. 31(2)(a) de l' AA . La première étape de l'analyse consiste donc à définir l'erreur judiciaire pour l'application de cette disposition.
[69] Dans BCIT , la juge Saunders traite du critère concernant l'erreur judiciaire prévu à l'al. 31(2)(a). Elle confirme la définition énoncée dans l'affaire Domtar Inc. c. Belkin Inc. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 257 (C.A.), selon laquelle l'erreur de droit doit toucher une question importante de sorte qu'une conclusion différente aurait abouti à un résultat différent : [ traduction ] « . . . si le point de droit avait été tranché différemment, l'arbitre aurait rendu une décision différente. Autrement dit, l'erreur de droit invoquée a‑t‑elle eu un effet déterminant sur la décision; touche‑t‑elle au cœur de la décision? » ( BCIT , par. 28). Voir également l'arrêt Quan c. Cusson , 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, où la Cour analyse le critère qui sert à déterminer s'il y a « préjudice grave ou [. . .] erreur judiciaire » dans le contexte des procès civils avec jury (par. 43).
[70] Compte tenu des arrêts BCIT et Quan , je suis d'avis que, pour que l'erreur de droit reprochée soit une erreur judiciaire au sens où il faut l'entendre pour l'application de l'al. 31(2)(a) de l' AA , elle doit se rapporter à une question importante en litige qui, si elle était tranchée différemment, aurait une incidence sur le résultat.
[71] Suivant cette norme, le règlement d'un point de droit « peut permettre d'éviter une erreur judiciaire » seulement lorsqu'il existe une certaine possibilité que l'appel soit accueilli. Un appel qui est voué à l'échec ne saurait « permettre d'éviter une erreur judiciaire » puisque les possibilités que l'issue d'un tel appel joue sur le résultat final du litige sont nulles.
[72] Ce n'est pas à l'étape de l'autorisation qu'il convient d'examiner exhaustivement le fond du litige et de se prononcer définitivement sur l'absence ou l'existence d'une erreur de droit. Cependant, il faut procéder à un examen préliminaire de la question de droit pour déterminer si l'appel a une chance d'être accueilli et, par conséquent, de modifier le résultat du litige.
[73] Selon l'arrêt BCIT , le demandeur doit établir [ traduction ] « plus qu'un argument défendable » (par. 30) lors de cet examen préliminaire de l'appel. Pourtant, une fois un argument défendable soulevé, que faudrait‑il démontrer de plus pour qu'il soit satisfait à cette norme? Vraisemblablement, le juge saisi de la demande d'autorisation devrait alors examiner les arguments se rapportant à la question de droit soulevée en appel de plus près que ce qui serait indiqué à cette étape pour trouver plus qu'un argument défendable. À mon humble avis, exiger un examen plus approfondi du point de droit brouille les rôles respectifs de la formation saisie de la demande d'autorisation et de celle saisie de l'appel.
[74] Selon moi, ce qu'il faut démontrer, pour l'application du par. 31(2), c'est que la question de droit invoquée a un fondement défendable. Ce critère s'applique souvent à l'étape de l'autorisation, pour établir sommairement le bien‑fondé de l'appel (voir par exemple Quick Auto Lease Inc. c. Nordin , 2014 MBCA 32, 303 Man. R. (2d) 262, par. 5; R. c. Fedossenko , 2013 ABCA 164 (CanLII), par. 7). Il est bien connu et a été exprimé de diverses façons : [ traduction ] « une possibilité raisonnable d'être accueilli » ( a reasonable prospect of success ) ( Quick Auto Lease , par. 5; Enns c. Hansey , 2013 MBCA 23 (CanLII), par. 2); une « certaine chance de succès » ( some hope of success ) et un « fondement suffisant » ( sufficient merit ) ( R. c. Hubley , 2009 PECA 21, 289 Nfld. & P.E.I.R. 174, par. 11); un « argument plausible » ( credible argument ) ( R. c. Will , 2013 SKCA 4, 405 Sask. R. 270, par. 8). À mon avis, les diverses appellations qui désignent le fondement défendable présentent un élément commun : l'argument soulevé par le demandeur ne peut être rejeté à l'issue d'un examen préliminaire de la question de droit. Pour déterminer s'il faut annuler la sentence arbitrale, un examen approfondi est nécessaire, et c'est au tribunal saisi de l'appel qu'il incombe, une fois l'autorisation accordée.
[75] L'examen visant à décider si la question soulevée dans la demande d'autorisation d'appel a un fondement défendable doit se faire à la lumière de la norme de contrôle applicable à l'analyse du bien‑fondé de l'appel. Il faut donc procéder à un examen préliminaire ayant pour objet la norme applicable. Comme nous le verrons, la norme de la décision raisonnable s'appliquera presque toujours aux arbitrages commerciaux régis par l' AA , sauf dans les rares circonstances où l'application de la norme de la décision correcte s'imposera, notamment lorsqu'il s'agit d'une question constitutionnelle ou d'une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d'expertise du décideur administratif. Par conséquent, dans le cadre de l'examen préalable à l'autorisation le tribunal s'interrogera ordinairement quant à savoir si la prétention — selon laquelle la sentence arbitrale sur la question en litige était déraisonnable — a un fondement défendable, compte tenu du fait que le décideur n'est pas tenu de faire référence à tous les arguments, dispositions ou précédents ni de tirer une conclusion précise sur chaque élément constitutif du raisonnement pour que sa décision soit raisonnable ( Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor) , 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16). Certes, le tribunal saisi de la demande d'autorisation ne procède qu'à un examen préliminaire ayant pour objet la norme de contrôle, qui ne lie pas celui qui se penchera sur le bien‑fondé de l'appel. Ainsi, il ne faudrait pas considérer qu'il s'agit d'une invitation à se perdre en analyses ou en arguments poussés à propos de la norme de contrôle à l'étape de la demande d'autorisation.
[76] Dans BCIT , la juge Saunders s'interroge sur l'étape à laquelle il convient d'examiner le bien‑fondé de l'appel dans le cadre de l'analyse requise par l'al. 31(2)(a) de l' AA . Contrairement à ce que prétendait une partie, soit que l'évaluation du bien‑fondé se rapporte au critère de l'erreur judiciaire, la juge détermine que cet examen se rattache plutôt à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Ses motifs révèlent que sa décision découle de sa volonté d'adopter une approche uniforme à l'égard des al. 31(2)(a), (b) et (c) :
[ traduction ] À quel moment, le cas échéant, faut‑il alors examiner le bien‑fondé de l'appel? M. Roberts, qui représente l'Association étudiante, prétend qu'il convient de procéder à cet examen lorsqu'on se demande si une erreur judiciaire risque d'être commise, c'est‑à‑dire, à la deuxième étape. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, l'appréciation du bien‑fondé ou de l'absence de fondement apparent de l'appel s'inscrit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel et s'applique également aux trois alinéas, de ( a ) à ( c ). Tout comme un appel manifestement dénué de fondement ne devrait pas être autorisé en vertu de l'al. ( b ) (revêt de l'importance pour une catégorie ou un groupe de personnes dont le demandeur fait partie) ou de l'al. ( c ) (est d'importance publique), un tel appel ne devrait pas non plus être autorisé en vertu de l'al. ( a ). Dans un but d'uniformité à l'égard de l'article entier, l'appréciation du bien‑fondé devrait être intégrée à l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel. [par. 29]
[77] Je reconnais la validité du raisonnement axé sur l'uniformité. Cependant, à mon humble avis, cette volonté d'adopter une démarche semblable au regard des al. 31(2)(a), (b) et (c) ne saurait l'emporter sur le libellé de la disposition. Contrairement aux al. 31(2)(b) et (c), l'al. 31(2)(a) exige que le tribunal détermine si le fait d'autoriser l'appel « peut permettre d'éviter une erreur judiciaire ». J'estime qu'un examen préliminaire de la question de droit s'inscrit implicitement dans l'examen qui vise à déterminer si l'autorisation « peut permettre d'éviter une erreur judiciaire ».
[78] Cependant, lorsqu'il s'agit d'une demande d'autorisation d'appel présentée en vertu des al. 31(2)(b) ou (c) — puisque ces dispositions ne prévoient pas le risque d'erreur judiciaire comme critère —, je souscris aux commentaires formulés par la juge Saunders dans BCIT selon lesquels l'examen préliminaire du bien‑fondé de la question de droit devrait intervenir à l'étape de l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel dans l'analyse, puisque l'examen du bien-fondé de l'appel proposé demeure pertinent dans la décision d'accorder ou non l'autorisation d'appel en vertu de l'art. 31.
[79] Bref, afin d'établir que l'intervention du tribunal est justifiée [ traduction ] « et que le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire » pour l'application de l'al. 31(2)(a) de l' AA , le demandeur doit prouver que le point de droit en appel aura une incidence sur le résultat final et qu'il est défendable.
b) Application au présent pourvoi
[80] La formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a conclu à la possibilité d'une erreur de droit par l'arbitre qui n'aurait pas interprété l'entente dans son ensemble et, plus particulièrement, aurait fait fi de la stipulation relative au « plafond ». Admettons cette prétention comme question de droit uniquement pour les besoins de la cause. Le règlement de la question est déterminant parce qu'il pourrait avoir pour effet de modifier la sentence de l'arbitre, lequel a accordé 4,14 millions $ en dommages‑intérêts au motif qu'il évaluait à 85 p. 100 la probabilité que la Bourse approuve des honoraires d'intermédiation payés en actions, à raison de 0,15 $ l'unité. Si l'argument invoqué par Creston est correct et que le cours de l'action ne peut s'établir à 0,15 $ en raison de la stipulation relative au « plafond », les dommages‑intérêts seraient réduits à 1,5 million $US, une amputation considérable de la somme initiale accordée.
[81] Comme l'al. 31(2)(a) de l' AA est la disposition pertinente en l'espèce, il doit être procédé à un examen préliminaire de la question de droit pour déterminer le risque qu'une erreur judiciaire découle du rejet de la demande d'autorisation d'appel présentée par Creston. Cette dernière soutient que le fait que Sattva reçoive un portefeuille d'actions dont la valeur est très supérieure au plafond de 1,5 million $US en exécution de la sentence arbitrale prouve que l'arbitre n'a pas tenu compte de la stipulation relative au « plafond ».
[82] Or, l'arbitre renvoie effectivement à l'art. 3.1, la stipulation relative au « plafond », à deux reprises dans sa décision, soit aux par. 18 et 23(a). Par exemple, il affirme ce qui suit au par. 23 :
[ traduction ]
Bref, à partir du 27 mars 2007, il était clair et incontestable qu'aux termes de l'entente :
(a) Sattva avait le droit de recevoir des honoraires équivalant au plafond payable conformément aux règles et politiques de la Bourse de croissance TSX – article 3.1. Les parties conviennent que le montant des honoraires s'établit à 1 500 000 $US.
(b) La commission était payable en actions, en fonction du cours, tel qu'il est défini dans l'entente, à moins que Sattva n'opte pour le versement des honoraires en argent ou en argent et en actions.
(c) Le cours de l'action, tel qu'il est défini dans l'entente, s'établissait à 0,15 $. [Je souligne.]
[83] Ainsi, même si l'arbitre n'indique pas expressément avoir examiné le jeu de la stipulation relative au « plafond » et de la définition du cours, cet examen ressort implicitement de sa sentence. La seule clause de l'entente qui prévoit le montant des honoraires, soit 1,5 million $US, est la stipulation relative au « plafond », qui renvoie au point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse. Reconnaissant que le montant des honoraires s'élève à 1,5 million $US, l'arbitre a accordé à Sattva pareille somme, payable en actions, à raison de 0,15 $ l'unité. Contrairement à l'argument avancé par Creston, selon qui l'arbitre aurait négligé la stipulation dans son interprétation de l'entente, il ressort de l'examen préliminaire de la question que l'arbitre a effectivement tenu compte de la stipulation relative au « plafond ».
[84] Par conséquent, même si la Cour d'appel avait cerné à juste titre une question de droit, elle aurait dû rejeter la demande d'autorisation. Il n'était pas satisfait au critère qui exige que le caractère déraisonnable de la sentence arbitrale ait un fondement défendable, ni à celui de l'erreur judiciaire.
(5) Le pouvoir discrétionnaire résiduel qui habilite à refuser l'autorisation
a) Éléments à examiner dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel à l'égard d'une demande d'autorisation présentée en vertu de l'al. 31(2)(a)
[85] Les tribunaux de la C.‑B. ont conclu que les termes [ traduction ] « peut accorder l'autorisation » figurant au par. 31(2) de l' AA confèrent au tribunal un pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui permet de refuser l'autorisation même quand les critères prévus par la disposition sont respectés ( BCIT , par. 9 et 26). Dans BCIT , la juge Saunders énumère des facteurs à considérer dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire (par. 31) :
1. [ traduction ] « le bien‑fondé apparent de l'appel »;
2. « l'importance de la question pour les parties, les tiers et la société en général »;
3. « les circonstances qui sont à l'origine du différend et de l'arbitrage, y compris le besoin urgent d'obtenir un règlement définitif »;
4. « d'autres considérations temporelles, y compris la possibilité pour l'une ou l'autre des parties de remédier autrement aux conséquences »;
5. « la conduite des parties »;
6. « l'étape à laquelle la décision qui a été portée en appel avait été prise »;
7. « le respect du choix des parties d'avoir recours à l'arbitrage pour résoudre leurs différends »;
8. « la reconnaissance du fait que l'arbitrage constitue souvent un moyen expéditif et définitif de régler les différends, spécialement conçu pour traiter les enjeux susceptibles de toucher les parties à la convention d'arbitrage ».
[86] Je conviens avec la juge Saunders pour dire qu'il n'est pas opportun de dresser ce qu'elle appelle une [ traduction ] « liste immuable » de facteurs à considérer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au par. 31(2) ( BCIT , par. 32). Cependant, je ne peux convenir que tous les facteurs qui figurent sur la liste qu'elle a dressée sont applicables à cette étape de l'analyse.
[87] Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'al. 31(2)(a) et qui l'habilite à rejeter la demande d'autorisation, le tribunal devrait examiner les motifs traditionnels justifiant le refus d'une réparation discrétionnaire : la conduite des parties, l'existence d'autres recours et tout retard indu ( Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village) , [1991] 1 R.C.S. 326, p. 364‑367). L'exercice du pouvoir discrétionnaire qui permet de refuser une réparation fait intervenir des considérations relatives à la prépondérance des inconvénients ( Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans) , 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, par. 52). Parmi celles‑ci se trouve le besoin urgent d'obtenir un règlement définitif.
[88] Quant aux autres facteurs mentionnés dans la liste et dont je traite successivement ci‑après, j'estime qu'ils ont déjà été examinés dans le cadre de l'analyse fondée sur l'al. 31(2)(a) ou qu'il conviendrait mieux de les examiner à un autre volet du critère énoncé au par. 31(2). Une fois examinés, ces facteurs ne devraient pas être réexaminés par le tribunal au moment de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire résiduel.
[89] Je le rappelle, dans l'analyse fondée sur l'al. 31(2)(a), il faut procéder à l'examen préliminaire du bien‑fondé de la question de droit soulevée dans la demande d'autorisation pour déterminer s'il y a risque d'erreur judiciaire. La question de l'importance pour les parties se règle à l'al. 31(2)(a) : [ traduction ] « l'importance de l'issue de l'arbitrage pour les parties ». L'importance de la question pour les tiers et pour la société en général ne doit pas être examinée à l'al. 31(2)(a), car l' AA prévoit ces motifs à des dispositions distinctes, soit les al. 31(2)(b) et (c). En outre, le respect du choix des parties d'avoir recours à l'arbitrage sous‑tend la loi elle‑même, ce dont témoigne le seuil élevé auquel l'autorisation est subordonnée aux termes de l'al. 31(2)(a). La reconnaissance du fait que l'arbitrage constitue souvent un moyen expéditif et définitif de régler les différends et spécialement conçu pour traiter les enjeux susceptibles de toucher les parties à la convention d'arbitrage s'inscrit dans le besoin urgent d'obtenir un règlement définitif.
[90] Quant à l'étape du processus à laquelle la décision dont on veut faire appel a été rendue, ce n'est pas un facteur pertinent pour l'exercice par le tribunal du pouvoir discrétionnaire résiduel conféré par l'al. 31(2)(a) qui lui permet de refuser l'autorisation. Ce facteur a été défini en réponse à des préoccupations selon lesquelles l'autorisation d'appeler d'une décision interlocutoire risque d'être prématurée et d'entraîner des retards indus ainsi qu'une fragmentation inutile du processus judiciaire (D. J. M. Brown et J. M. Evans, avec la collaboration de C. E. Deacon, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 3‑67 à 3‑76). Or, ces préoccupations auront été dissipées par la formation saisie de la demande d'autorisation lorsqu'elle se sera penchée sur le risque d'erreur judiciaire, et, plus précisément, sur la possibilité que la question interlocutoire ait une incidence sur le résultat final. Ainsi, les préoccupations mentionnées précédemment ne devraient donc pas être réexaminées.
[91] En résumé, une liste non exhaustive des facteurs à prendre en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard d'une demande d'autorisation présentée en vertu de l'al. 31(2)(a) de l' AA comprendrait :
• la conduite des parties;
• l'existence d'autres recours;
• un retard indu;
• le besoin urgent d'obtenir un règlement définitif.
[92] Ces facteurs pourraient, le cas échéant, justifier le rejet de la demande sollicitant l'autorisation d'interjeter appel d'une sentence arbitrale même dans le cas où il est satisfait aux critères prévus à l'al. 31(2)(a). Cependant, les tribunaux devraient faire preuve de prudence dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Après avoir conclu à l'existence d'une erreur de droit et, au moins en ce qui concerne l'al. 31(2)(a), d'un risque d'erreur judiciaire, le tribunal doit soupeser ces facteurs avec soin avant de décider s'il va rejeter ou non pour des motifs discrétionnaires une demande par ailleurs admissible.
b) Application au présent pourvoi
[93] Le juge de la CS saisi de la demande d'autorisation a rejeté cette dernière au motif qu'elle ne soulevait aucune question de droit. Il a indiqué que, même s'il avait conclu à l'existence d'une telle question, il aurait refusé l'autorisation en vertu de son pouvoir discrétionnaire résiduel, et ce, pour deux raisons : premièrement, à cause de la conduite de Creston qui a présenté inexactement les faits relatifs aux honoraires d'intermédiation à la Bourse et à Sattva; deuxièmement, [ traduction ] « par égard pour le principe selon lequel l'[ AA ] a notamment pour objectif de favoriser et de préserver l'intégrité du système d'arbitrage » (par. 41). La formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a écarté la décision de la CS pour ces deux raisons discrétionnaires.
[94] Pour les motifs énoncés précédemment, l'objectif qui vise à favoriser et à préserver l'intégrité du système d'arbitrage ne devrait pas constituer une considération distincte dans l'analyse que requiert l'al. 31(2)(a) préalable à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Bien que le régime instauré par le par. 31(2) reconnaît cet objectif, l'exercice du pouvoir discrétionnaire doit se rapporter aux faits et aux circonstances de l'affaire. Cet objectif général ne fait pas partie des considérations susceptibles de justifier le refus discrétionnaire de l'autorisation.
[95] Toutefois, la conduite des parties est un facteur que le tribunal peut prendre en considération dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel que lui confère l'al. 31(2)(a). La cour d'appel doit faire preuve de déférence lorsqu'elle contrôle la décision discrétionnaire de refuser l'autorisation d'interjeter appel. Elle doit se garder d'intervenir seulement parce qu'elle aurait exercé son pouvoir discrétionnaire différemment ( R. c. Bellusci , 2012 CSC 44, [2012] 2 R.C.S. 509, par. 18 et 30). La cour d'appel ne saurait intervenir à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le juge de l'instance inférieure que si celui‑ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice ( R. c. Bjelland , 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 15; R. c. Regan , 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 117).
[96] En l'espèce, la formation de la CS saisie de la demande d'autorisation a fondé sur un facteur reconnu sa décision de refuser la réparation discrétionnaire : l'inconduite de Creston. La formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a infirmé cette décision au motif que [ traduction ] « ces faits [la conduite de Creston] n'intéressent pas directement la question de droit » soulevée en appel (par. 27).
[97] La formation de la CA saisie de la demande d'autorisation n'a pas expliqué pourquoi l'inconduite doit se rapporter directement à une question de droit pour que l'autorisation soit refusée. Rien dans le par. 31(2) de l' AA ne limite l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la demande d'autorisation de la façon avancée par la Cour d'appel. Mon interprétation de la jurisprudence ne cadre pas avec le point de vue selon lequel l'inconduite d'une partie doit se rapporter directement à la question devant être tranchée par la cour.
[98] Dans l'arrêt Homex Realty and Development Co. c. Corporation of the Village of Wyoming , [1980] 2 R.C.S. 1011, p. 1037-1038, l'inconduite d'une partie ne se rapportait pas directement à la question en cause devant la Cour, mais cette dernière a néanmoins refusé d'accorder la réparation. Le litige tirait son origine d'un désaccord sur la question de savoir si l'acheteur de lots sur un lotissement, Homex, avait assumé les obligations du vendeur prévues à la convention de lotissement, c'est‑à‑dire de satisfaire à « toutes les exigences, financières ou autres » relativement à l'installation des services d'utilité publique sur un lotissement (p. 1015-1016). La Cour décide qu'Homex n'a pas bénéficié de l'équité procédurale lorsque la municipalité avait adopté un règlement se rapportant au litige (p. 1032). Néanmoins, la demande visant à obtenir l'annulation discrétionnaire du règlement a été rejetée notamment parce que « [t]out au long de ces procédures, Homex a cherché à éviter les obligations qui se rattachent au lotissement des terrains » qu'elle détenait (p. 1037), même si Homex savait, de l'avis de la Cour, qu'elle devait assumer cette obligation (p. 1017-1019). Cette conduite se rapportait, non pas à la question de savoir si le règlement avait été adopté d'une manière équitable sur le plan de la procédure, mais au désaccord à l'origine du litige. Par conséquent, je crois que l'arrêt Homex étaye la proposition selon laquelle une conduite répréhensible se rapportant au différend à l'origine du litige peut justifier le refus de la réparation discrétionnaire sollicitée, en l'occurrence l'autorisation d'interjeter appel.
[99] En l'espèce, l'arbitre a tiré la conclusion de fait suivante : Creston a induit la Bourse et Sattva en erreur en ce qui concerne [ traduction ] « la nature de l'obligation qu'elle avait contractée envers Sattva en affirmant que les honoraires d'intermédiation étaient payables en argent » (par. 56(k)). Bien que cette conduite ne soit pas reliée à la question de droit énoncée par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation, elle est reliée à l'arbitrage visant à déterminer le cours de l'action applicable aux fins du versement des honoraires d'intermédiation de Sattva. La Cour suprême pouvait à bon droit fonder sur une telle conduite sa décision de refuser l'autorisation, en vertu de son pouvoir discrétionnaire.
[100] Par conséquent, à mon humble avis, même si la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation avait défini une question de droit et qu'il avait été satisfait au critère du risque d'erreur judiciaire, elle aurait dû confirmer la décision de la formation de la CS saisie de la demande d'autorisation de rejeter cette demande, par égard pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire de cette cour.
[101] S'il est vrai que la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a commis une erreur en autorisant l'appel, ces interminables procédures ne s'en trouvent pas moins à l'heure actuelle devant nous. Puisque, par ailleurs, c'est la question de fond de l'appel — soit celle de savoir combien l'entente exige que Creston paie à Sattva — qui intéresse réellement les parties, et que les tribunaux d'instance inférieure ont considérablement divergé d'opinion quant à l'interprétation qu'il faut donner à l'entente, il serait bien peu satisfaisant que le véritable litige à l'origine de cette instance ne soit pas réglé. Je vais donc examiner les trois autres questions soulevées en appel comme si l'autorisation d'interjeter appel avait été accordée à bon droit.
C. Norme de contrôle applicable aux affaires régies par l'AA
[102] Abordons les décisions des tribunaux siégeant en appel. Tout d'abord, il est nécessaire de déterminer la norme applicable au contrôle de la sentence arbitrale en fonction de la question à l'égard de laquelle la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a accordé cette dernière : l'arbitre a‑t‑il interprété la disposition sur les honoraires d'intermédiation à la lumière de l'entente dans son ensemble? Plus particulièrement, l'a‑t‑il interprétée en tenant compte de la stipulation relative au « plafond »?
[103] D'entrée de jeu, il convient de souligner que l' Administrative Tribunals Act , S.B.C. 2004, ch. 45, laquelle prévoit les normes de contrôle applicables aux décisions rendues par de nombreux tribunaux administratifs de la Colombie‑Britannique (art. 58 et 59), ne s'applique pas aux arbitrages régis par l' AA .
[104] L'examen en appel des sentences arbitrales commerciales s'inscrit dans un régime, strictement défini et adapté aux objectifs de l'arbitrage commercial, qui diffère du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif. Par exemple, la plupart du temps, les parties décident d'un commun accord de soumettre leur différend à l'arbitrage. Il ne s'agit pas d'un processus imposé par la loi. De plus, contrairement à la procédure devant un tribunal administratif, dans le cas d'un arbitrage les parties à la convention choisissent le nombre d'arbitres et l'identité de chacun. Ces différences révèlent que le cadre relatif au contrôle judiciaire établi dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et les arrêts rendus depuis, ne peut être tout à fait transposé dans le contexte de l'arbitrage commercial. Par exemple, l' AA interdit le contrôle des conclusions de fait tirées par l'arbitre. En matière d'arbitrage commercial, une telle disposition est absolue. Suivant le cadre établi dans Dunsmuir , l'existence d'une disposition d'inattaquabilité (aussi appelée clause privative) n'empêche pas le tribunal judiciaire de procéder au contrôle d'une décision administrative, elle signale simplement que la déférence est de mise ( Dunsmuir , par. 31).
[105] Il demeure que le contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif et l'appel d'une sentence arbitrale se ressemblent dans une certaine mesure. Dans les deux cas, le tribunal examine la décision rendue par un décideur administratif. En outre, l'expertise constitue un facteur tant en matière de contrôle judiciaire qu'en matière d'arbitrage commercial : quand les parties choisissent leur propre décideur, on peut présumer qu'elles fondent leur choix sur l'expertise de l'arbitre dans le domaine faisant l'objet du litige ou jugent sa compétence acceptable. Pour ces raisons, j'estime que certains éléments du cadre établi dans l'arrêt Dunsmuir aident à déterminer le degré de déférence qu'il convient d'accorder aux sentences rendues en matière d'arbitrage commercial.
[106] La jurisprudence depuis l'arrêt Dunsmuir vient confirmer qu'il est souvent possible de déterminer la norme de contrôle applicable suivant la nature de la question en litige (voir par exemple Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 44). En matière d'arbitrage commercial, la possibilité d'interjeter appel étant subordonnée à l'existence d'une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, à moins que la question n'appartienne à celles qui entraînent l'application de la norme de la décision correcte, comme les questions constitutionnelles ou les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d'expertise du décideur ( Alberta Teachers' Association , par. 30). La question dont nous sommes saisis, à savoir si l'arbitre a interprété l'entente dans son ensemble, n'appartient pas à l'une ou l'autre de ces catégories. Compte tenu des éléments pertinents de l'analyse établie dans l'arrêt Dunsmuir , la norme de la décision raisonnable s'applique en l'espèce.
D. L'arbitre a donné une interprétation raisonnable de l'entente considérée dans son ensemble
[107] Essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exprimés par le juge Armstrong aux par. 57-75 de la décision de la CS sur l'appel, je suis d'avis que l'arbitre, en déterminant que Sattva était en droit de recevoir ses honoraires d'intermédiation en actions, à raison de 0,15 $ l'action, a donné une interprétation raisonnable de l'entente considérée dans son ensemble. Le juge Armstrong a contrôlé la décision de l'arbitre selon la norme de la décision correcte, mais ses motifs démontrent amplement le caractère raisonnable de cette décision. L'analyse qui suit est largement fondée sur son raisonnement.
[108] La question que devait trancher l'arbitre portait sur la date qui doit être retenue pour évaluer le cours de l'action aux fins du versement des honoraires d'intermédiation : la date établie selon la définition du cours qui figure dans l'entente ou la date du versement des honoraires d'intermédiation.
[109] L'arbitre a conclu que la valeur calculée selon la définition du cours l'emportait, soit 0,15 $ l'action. Selon lui, tel constat découlait des termes de l'entente et était [ traduction ] « clair et incontestable » (par. 23). Apparemment, comme il estimait que ce point était clair, il ne l'a pas motivé abondamment.
[110] Dans l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union , la juge Abella cite le professeur David Dyzenhaus pour expliquer que les tribunaux siégeant en révision peuvent compléter les motifs du décideur de première ligne dans le cadre de l'analyse du caractère raisonnable :
[ traduction ] Le « caractère raisonnable » s'entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d'abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer . Car s'il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c'est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu'a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu'on doit présumer du bien‑fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Soulignement ajouté par la juge Abella; par. 12.]
(Citation de D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)
Par conséquent, on peut supposer que l'explication donnée par le juge Armstrong du jeu de la définition du cours et de la stipulation relative au « plafond » complète les motifs de l'arbitre.
[111] Les deux clauses en cause sont la définition du cours et la stipulation relative au « plafond » :
[ traduction ]
2. DÉFINITIONS
« cours » , pour les sociétés dont les titres sont inscrits à la cote de la Bourse de croissance TSX, a le sens qui lui est attribué dans le Guide du financement des sociétés de la Bourse de croissance TSX, c'est‑à‑dire qu'il s'entend du cours de clôture des actions le dernier jour ouvrable avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition. Pour les sociétés cotées à la Bourse TSX, le cours s'entend du cours de clôture moyen des actions de la société à une bourse reconnue cinq jours de bourse avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition.
Et :
3. HONORAIRES D'INTERMÉDIATION
3.1 . . . la société convient qu'à la conclusion d'une acquisition qui lui a été présentée par l'intermédiaire, elle verse à l'intermédiaire des honoraires (des « honoraires d'intermédiation »), calculés en fonction de la contrepartie versée au vendeur, dont le montant est égal au plafond payable conformément aux règles et politiques de la Bourse de croissance TSX. Ces honoraires d'intermédiation sont versés en actions de la société en fonction du cours ou, au choix de l'intermédiaire, en actions et en argent, dans la mesure où le montant des honoraires n'excède pas le plafond énoncé au point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse — Plafond des honoraires d'intermédiation . [Je souligne.]
[112] L'article 3.1 de l'entente permet à Sattva de recevoir ses honoraires d'intermédiation en actions en fonction du « cours ». Aux termes de l'art. 2 de l'entente, le cours des titres des sociétés cotées à la Bourse de croissance TSX est égal au « cours de clôture des actions le dernier jour ouvrable avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition ». En l'espèce, compte tenu de la définition du cours, l'action vaudrait 0,15 $. Le passage « dans la mesure où le montant des honoraires n'excède pas le plafond énoncé au point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse — Plafond des honoraires d'intermédiation » tiré de l'art. 3.1 de l'entente constitue la stipulation relative au « plafond ». Cette stipulation limite le montant des honoraires d'intermédiation. Le plafond correspond dans le cas qui nous occupe à 1,5 million $US (voir le point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse à l'annexe II).
[113] La stipulation relative au « plafond » limite le montant des honoraires d'intermédiation, mais elle ne change rien à la définition du cours. Comme l'explique le juge Armstrong, la définition du cours fixe la date à laquelle un moyen de paiement (dollars américains) est converti en un autre (actions) :
[ traduction ] Le moyen de paiement des honoraires d'intermédiation est clairement établi par l'entente conclue en ce sens. La valeur marchande de ces actions au moment où les parties ont conclu cette entente était inconnue. L'intimée établit une analogie entre le paiement en actions des honoraires d'intermédiation de 1,5 million $US et une entente hypothétique en vertu de laquelle la somme de 1,5 million $US serait convertie en dollars canadiens. Dans les deux cas, les honoraires seraient payés en devises différentes. Le taux de change d'une à l'autre serait fixé à une date précise, tout comme l'est le cours de l'action dans l'entente relative aux honoraires. Ce taux de change permettrait de calculer la somme à verser en dollars canadiens en règlement des honoraires de 1,5 million $US, tout comme le cours permet de déterminer le nombre d'actions cédées en règlement des honoraires. Le dollar canadien est une forme de paiement, au même titre que l'action. Il importe peu que la valeur du dollar canadien augmente ou diminue après la date fixée pour établir le taux de change. Le montant des honoraires payé est toujours égal à 1,5 million $US. Il est converti en un certain nombre de dollars canadiens (ou d'actions) équivalant au montant des honoraires en fonction de la valeur de la devise à la date à laquelle cette valeur est déterminée.
(Décision de la CS sur l'appel, par. 71)
[114] Comme l'explique le juge Armstrong, accepter la position de Creston revient à ne pas tenir compte de la définition du cours et à fixer le cours de l'action en fonction de l'évaluation faite en prévision d'un placement privé.
[115] Cependant, rien dans l'entente n'indique, expressément ou implicitement, qu'il faille réévaluer avant la date du versement des honoraires d'intermédiation la conformité à la stipulation relative au « plafond ». L'entente ne précise pas non plus — ni expressément, ni implicitement — la base sur laquelle il faudrait procéder à une telle réévaluation — en l'occurrence un placement privé. Accepter l'interprétation de Creston reviendrait à faire fi du libellé de l'entente selon lequel les « honoraires d'intermédiation sont versés en actions de la société en fonction du cours ».
[116] La sentence arbitrale, selon laquelle l'action devrait être évaluée en fonction de la définition du cours, donne effet à cette dernière et à la stipulation relative au « plafond ». Comme l'explique le juge Armstrong, l'interprétation par l'arbitre de l'entente atteint cet objectif en conciliant la définition du cours et la stipulation relative au « plafond » d'une manière qui ne peut être considérée comme déraisonnable.
[117] Comme l'explique le juge Armstrong, fixer le cours de l'action en avance engendre un risque qui rend le paiement en actions qualitativement différent du paiement en argent. Le versement des honoraires sous forme d'actions présente un risque inhérent, qui ne se pose pas dans le cas du versement en argent. Les honoraires payés en argent ont une valeur prédéterminée. Par contre, quand les honoraires sont versés en actions, le cours de l'action (ou le mécanisme permettant de le déterminer) est fixé à l'avance. Cependant, le cours de l'action fluctue avec le temps. La personne qui reçoit des honoraires payés en actions espère une augmentation du cours, de sorte que ses actions auront une valeur marchande supérieure à celle qui est établie selon le cours prédéterminé. En revanche, si le cours chute, cette personne reçoit des actions dont la valeur est inférieure à celle des actions selon le cours prédéterminé. Ce risque est bien connu de ceux qui évoluent dans ce milieu, et Creston et Sattva, des parties avisées, en auraient eu connaissance.
[118] En acceptant un paiement en actions, Sattva acceptait de se soumettre à la volatilité du marché. Si l'action de Creston avait chuté, Sattva aurait tout de même été liée par la valeur déterminée en application de la définition du cours, de sorte qu'elle aurait reçu des actions d'une valeur marchande inférieure au plafond de 1,5 million $US. Il ne serait guère logique d'accepter le risque d'une baisse du cours de l'action sans avoir la possibilité de bénéficier d'une hausse. Pour reprendre les propos du juge Armstrong :
[ traduction ] Il serait contraire aux principes commerciaux reconnus de protéger l'appelante de la hausse du cours de l'action dont bénéficiait l'intimée à la date de versement des honoraires, alors qu'une telle augmentation était prévisible et aurait dû être soulevée par l'appelante, tout comme il serait contraire aux principes commerciaux reconnus, et aux termes de l'entente relative aux honoraires, d'augmenter le nombre d'actions cédées à l'intimée dans le cas où leur valeur aurait baissé par rapport au cours en vigueur à la date du versement des honoraires. Les deux parties ont reconnu, quand elles ont conclu l'entente relative aux honoraires, la possibilité de fluctuation de la valeur de l'action après la définition du cours.
(Décision de la CS sur l'appel, par. 70)
[119] Pour ces raisons, on ne peut prétendre que l'arbitre n'a pas tenu compte de la stipulation de l'entente relative au « plafond ». Le raisonnement de l'arbitre, que le juge Armstrong explique, satisfait à la norme du caractère raisonnable dont les attributs sont la justification, la transparence et l'intelligibilité ( Dunsmuir , par. 47).
E. La formation saisie de l'appel n'est pas liée par les observations formulées par la formation saisie de la demande d'autorisation sur le bien‑fondé de l'appel
[120] La Cour d'appel a conclu qu'elle‑même et la formation de la CS saisie de l'appel étaient liées par les conclusions tirées par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation en ce qui a trait non seulement à la décision d'autoriser l'appel, mais aussi au bien‑fondé de l'appel. Autrement dit, elle a conclu que la formation de la CS saisie de l'appel avait commis une erreur de droit en faisant fi des conclusions de la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation quant au bien‑fondé de l'appel.
[121] La formation de la CA saisie de l'appel a mis en relief deux conclusions précises quant au bien‑fondé de l'appel qui, à son avis, la liaient elle, et aussi la formation de la CS saisie de l'appel : 1º il serait incongru que l'entente permette à Sattva, si elle opte pour le versement de ses honoraires en argent, de toucher 1,5 million $US alors que, si elle opte pour le versement sous forme d'actions, elle recevra un portefeuille valant environ 8 millions $ et 2º l'arbitre n'a pas tenu compte de cette anomalie et a fait fi de l'art. 3.1 de l'entente :
[ traduction ] Le juge [de la CS saisi de l'appel] a conclu que l'arbitre avait expressément tenu compte du plafond des honoraires payables conformément au paragraphe 3.1 de l'entente et que sa sentence était correcte.
Cette conclusion est contraire aux remarques formulées par la juge Newbury dans l'appel antérieur selon lesquelles, si ses honoraires étaient versés en actions, à raison de 0,15 $ l'unité, Sattva obtiendrait des honoraires d'une valeur, à la date du versement des honoraires, de plus de 8 millions $. Si elle optait pour le versement en argent, elle recevrait un montant de 1,5 million $US. La juge Newbury a statué expressément que l'arbitre n'avait pas soulevé cette anomalie et qu'il n'avait pas tenu compte du sens du paragraphe 3.1 de l'entente.
Le juge [de la CS saisi de l'appel] était tenu d'accepter ces conclusions. De même, à défaut d'une décision d'une formation de cinq juges en l'espèce, nous devons aussi accepter ces conclusions. [par. 42-44]
[122] Avec tout le respect que je lui dois, j'estime que la formation de la CA saisie de l'appel a commis une erreur en concluant que les commentaires sur le bien‑fondé de l'appel formulés par la formation de la CA saisie de la demande d'autorisation la liaient elle, de même que la formation de la CS saisie de l'appel. Le tribunal chargé de statuer sur une demande d'autorisation ne tranche pas l'affaire sur le fond ( Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta , 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 88). Il détermine uniquement s'il est justifié d'accorder l'autorisation, et non si l'appel sera accueilli ( Pacifica Mortgage Investment Corp. c. Laus Holdings Ltd. , 2013 BCCA 95, 333 B.C.A.C. 310, par. 27, autorisation d'appel refusée, [2013] 3 R.C.S. viii). Cela vaut même lorsque l'étude de la demande d'autorisation appelle un examen préliminaire de la question de droit en cause, comme c'est le cas en l'espèce. L'autorisation accordée ne saurait lier le tribunal chargé de statuer sur l'appel ni restreindre ses pouvoirs ( Tamil Co‑operative Homes Inc. c. Arulappah (2000), 49 O.R. (3d) 566 (C.A.), par. 32).
[123] Creston concède ce point, mais prétend que la conclusion tirée par la formation de la CA saisie de l'appel selon laquelle elle était liée par les conclusions de celle saisie de la demande d'autorisation était sans conséquence parce que la première est arrivée à la même conclusion que la seconde sur le bien‑fondé, à l'issue d'un raisonnement distinct et indépendant.
[124] Le fait que la formation de la CA saisie de l'appel soit arrivée à la même conclusion que celle saisie de la demande d'autorisation pour des motifs différents n'annule pas l'erreur. Dès lors que la formation de la CA saisie de l'appel a accordé un caractère obligatoire aux motifs concernant le bien‑fondé de l'appel énoncés par celle saisie de la demande d'autorisation, elle ne pouvait guère arriver à une autre décision. Comme le souligne l'avocat de Sattva, considérer comme impérative la décision relative à la demande d'autorisation rendrait l'appel futile.
VI. Conclusion
[125] La formation de la CA saisie de la demande d'autorisation a commis une erreur en accordant l'autorisation d'interjeter appel en l'espèce. Quoi qu'il en soit, la sentence arbitrale était raisonnable. L'appel interjeté à l'encontre des décisions de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique datées du 14 mai 2010 et du 7 août 2012 est accueilli avec dépens devant toutes les cours. La sentence arbitrale est rétablie.
ANNEXE I
Dispositions pertinentes de l'entente relative aux honoraires d'intermédiation conclue entre Sattva et Creston
a) Définition du « cours » :
[ traduction ]
2. DÉFINITIONS
« cours » , pour les sociétés dont les titres sont inscrits à la cote de la Bourse de croissance TSX, a le sens qui lui est attribué dans le Guide du financement des sociétés de la Bourse de croissance TSX, c'est‑à‑dire qu'il s'entend du cours de clôture des actions le dernier jour ouvrable avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition. Pour les sociétés cotées à la Bourse TSX, le cours s'entend du cours de clôture moyen des actions de la société à une bourse reconnue cinq jours de bourse avant la publication du communiqué de presse annonçant l'acquisition.
b) Disposition relative aux honoraires d'intermédiation (laquelle contient la stipulation relative au « plafond ») :
[ traduction ]
3. HONORAIRES D'INTERMÉDIATION
3.1 . . . la société convient qu'à la conclusion d'une acquisition qui lui a été présentée par l'intermédiaire, elle verse à l'intermédiaire des honoraires (des « honoraires d'intermédiation »), calculés en fonction de la contrepartie versée au vendeur, dont le montant est égal au plafond payable conformément aux règles et politiques de la Bourse de croissance TSX. Ces honoraires d'intermédiation sont versés en actions de la société en fonction du cours ou, au choix de l'intermédiaire, en actions et en argent, dans la mesure où le montant des honoraires n'excède pas le plafond énoncé au point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse — Plafond des honoraires d'intermédiation.
ANNEXE II
Point 3.3 de la politique 5.1 de la Bourse de croissance TSX : Emprunts, primes, honoraires d'intermédiation et commissions
3.3 Plafond des honoraires d'intermédiation
Les honoraires d'intermédiation sont assujettis à un plafond si l'avantage que retire l'émetteur prend la forme d'un achat ou d'une vente d'actifs ou d'une convention de coentreprise, ou si son avantage n'est pas lié à un financement précis. La contrepartie devrait être exprimée à la fois en valeur monétaire et en pourcentage de la valeur de l'avantage reçu. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les honoraires d'intermédiation ne doivent pas dépasser les pourcentages suivants :
Avantage
Honoraires d'intermédiation
300 000 $ et moins
Jusqu'à 10 %
Entre 300 000 $ et 1 000 000 $
Jusqu'à 7,5 %
1 000 000 $ et plus
Jusqu'à 5 %
De façon générale, les honoraires ou la commission, exprimés en pourcentage de la valeur monétaire de l'avantage, devraient être inversement proportionnels à cette valeur.
ANNEXE III
Commercial Arbitration Act , R.S.B.C. 1996, ch. 55 (dans sa version du 12 janvier 2007) (maintenant l' Arbitration Act )
[ traduction ]
Appel devant le tribunal
31 (1) Une partie à l'arbitrage peut interjeter appel au tribunal sur toute question de droit découlant de la sentence si, selon le cas :
(a) toutes les parties à l'arbitrage y consentent,
(b) le tribunal accorde l'autorisation.
(2) Relativement à une demande d'autorisation présentée en vertu de l'alinéa (1)(b), le tribunal peut accorder l'autorisation s'il estime que, selon le cas :
(a) l'importance de l'issue de l'arbitrage pour les parties justifie son intervention et que le règlement de la question de droit peut permettre d'éviter une erreur judiciaire,
(b) la question de droit revêt de l'importance pour une catégorie ou un groupe de personnes dont le demandeur fait partie,
(c) la question de droit est d'importance publique.
(3) Si le tribunal accorde l'autorisation en vertu du présent article, il peut assortir des conditions qu'il estime équitables l'ordonnance accordant l'autorisation.
(4) En appel, le tribunal peut, selon le cas :
(a) confirmer, modifier ou annuler la sentence,
(b) renvoyer la sentence à l'arbitre avec l'opinion du tribunal sur la question de droit qui a fait l'objet de l'appel.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureurs de l'appelante : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureurs de l'intimée : Miller Thomson, Vancouver.
Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.
Procureurs de l'intervenante BCICAC Foundation : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.