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13/03/2015 | CANADA | N°2015_CSC_11

Canada | R. c. Araya


r. c. araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Nahoor Araya Intimé
Répertorié : R. c. Araya
2015 CSC 11
N o du greffe : 35669.
2014 : 17 octobre; 2015 : 13 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Exposé au jury — Preuve — Admissibilité — Directives restrictives — Qualification du témoignage d'un témoin — Accusé déclaré coupable d'homicide involontaire coupable — Modification

de l'apparence de l'accusé entre la perpétration de l'infraction et la tenue du procès — Les photos de...

r. c. araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Nahoor Araya Intimé
Répertorié : R. c. Araya
2015 CSC 11
N o du greffe : 35669.
2014 : 17 octobre; 2015 : 13 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Exposé au jury — Preuve — Admissibilité — Directives restrictives — Qualification du témoignage d'un témoin — Accusé déclaré coupable d'homicide involontaire coupable — Modification de l'apparence de l'accusé entre la perpétration de l'infraction et la tenue du procès — Les photos de l'accusé prises quelques jours après l'infraction étaient-elles admissibles? — Les directives du juge du procès sur l'usage que le jury pouvait en faire étaient-elles insuffisantes? — Dans son exposé, le juge a-t-il eu tort de décrire les propos de l'accusé relatés par un témoin comme un aveu?
A a été déclaré coupable d'homicide involontaire coupable pour sa participation alléguée à un meurtre par balle survenu dans un parc de Toronto. La victime et quelques amis bavardaient dans le parc lorsqu'un groupe d'hommes s'est amené et a tenté de voler certains d'entre eux. La victime a été abattue d'une balle après s'être mise à la poursuite des agresseurs qui avaient pris la fuite. Les témoins oculaires n'ont pu donner qu'une description générale des agresseurs : jeunes, de race noire, minces et rasés de près. Ils ont dit du tireur qu'il mesurait entre 5 pieds 4 pouces et 5 pieds 8 pouces. A, qui faisait alors 6 pieds 1 pouce, n'a pas été identifié comme étant l'un des agresseurs. Il a été arrêté cinq jours plus tard après que son enseignant eut informé la police qu'il l'avait approché et lui avait confié avoir été présent lors de l'homicide, mais ne pas avoir tiré le coup de feu.
A ayant changé d'apparence entre le jour de l'homicide et son procès, le ministère public a demandé l'admission en preuve de deux photos de lui prises cinq jours après l'homicide afin d'établir ce dont il avait l'air à l'époque. La défense s'y est opposée en faisant valoir que les photos étaient très préjudiciables. Le juge du procès les a admises à la seule fin de permettre au jury de déterminer si A avait l'une ou l'autre des caractéristiques physiques mentionnées par les témoins, sous réserve de la directive restrictive de se garder de conclure à tort que A avait été au nombre des agresseurs seulement parce que son apparence correspondait aux descriptions générales des témoins oculaires. Dans son exposé au jury, le juge a également résumé la thèse du ministère public, à savoir que l'entretien à l'école de A avec son enseignant devait être considéré comme un aveu de culpabilité. A a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine. Les juges majoritaires de la Cour d'appel lui ont donné gain de cause et ont ordonné un nouveau procès.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli, la déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable de A est rétablie et l'affaire est renvoyée à la Cour d'appel pour qu'elle statue sur l'appel de la peine.
Nul motif ne justifie de réformer la conclusion du juge du procès selon laquelle les photos étaient admissibles en preuve. La question de savoir si A avait pu se trouver parmi les agresseurs revêtait une importance cruciale, car il niait être allé au parc le soir en question. Qui plus est, A ne reconnaissait pas que son apparence correspondait aux descriptions générales des témoins oculaires. Les photos étaient donc pertinentes quant à la seule question de savoir si l'apparence de A au moment des faits correspondait aux descriptions générales des témoins. En ce qui concerne l'effet préjudiciable éventuel, montrer aux témoins une seule photo pour savoir si la personne photographiée est celle qu'ils ont vue comporte des risques particuliers, car leur souvenir peut être influencé par la vue de la photo. Cette crainte n'est cependant pas justifiée lorsque c'est au jury qu'on montre la photo d'une seule personne et auquel on demande de déterminer si cette personne correspond à une description générale. Le jury n'a pas de l'apparence de la personne un souvenir préexistant qui est susceptible d'être influencé, et la crainte qu'un témoignage ainsi vicié ne soit trop persuasif n'est pas justifiée dans le contexte. Au vu de la déférence qui s'impose à l'endroit de la mise en balance de la valeur probante et de l'effet préjudiciable par le juge de première instance, nul motif ne justifie de réformer la conclusion selon laquelle le risque associé aux photos pouvait être dûment atténué par une directive restrictive, de sorte que la valeur probante des photos l'emportait sur leur effet préjudiciable.
La directive restrictive du juge du procès concernant l'usage qui pouvait être fait des photos était suffisante. La réduire à la formulation d'une phrase en particulier pour déterminer si elle met suffisamment en garde ou non contre un raisonnement inacceptable, sans tenir compte du contexte général de l'exposé au jury, ni du procès comme tel, revient à se livrer à la dissection et à l'examen détaillé contre lesquels notre Cour a déjà fait une mise en garde. En l'espèce, il ne semble pas y avoir eu un grand risque que le jury, à cause de légères imperfections de l'exposé, perde tout bon sens et adhère à un raisonnement manifestement erroné. De plus, le fait que l'avocat du ministère public n'a pas invité le jury à tirer d'inférences inacceptables et l'exposé du juge du procès dans son ensemble ont adéquatement atténué le risque qu'un juré utilise de fait les photos pour échafauder un raisonnement inacceptable.
L'emploi du mot « aveu » par le juge du procès n'a pas rendu ses directives toxiques de telle sorte qu'un nouveau procès doive être ordonné. En effet, le juge n'a pas qualifié d'aveux les déclarations de A à son enseignant. Il a en fait décrit maintes fois l'échange survenu à l'école comme un « entretien ». En outre, il n'a parlé d'aveux à cet égard que pour rappeler la thèse du ministère public selon laquelle l'entretien à l'école devait être considéré comme un aveu de culpabilité. À la lumière des autres mises en garde du jury, y compris celle voulant qu'il doive considérer le témoignage de l'enseignant seulement pour établir ce que A avait dit, et non son interprétation de ses propos, de même que la précision selon laquelle l'aveu de la seule présence sur les lieux n'était pas suffisant pour établir la culpabilité, l'utilisation une seule fois du mot « aveu » pour faire état de la thèse du ministère public ne saurait avoir rendu la directive toxique au point de justifier sa rectification. Le juge a bien fait état de l'entretien de A avec son enseignant, et le jury était admis à conclure qu'il s'agissait d'un aveu ou non.
Comme les directives au jury étaient adéquates, il est inutile d'examiner si les faits de l'espèce justifieraient l'application de la disposition réparatrice correspondant au sous-al. 686(1) b )(iii) du Code criminel .
Jurisprudence
Distinction d'avec l'arrêt : R. c. Proctor (1992), 69 C.C.C. (3d) 436; arrêts mentionnés : R. c. Hay , 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694; R. c. Shearing , 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33; R. c. Rodney , [1990] 2 R.C.S. 687; R. c. Goldhar (1941), 76 C.C.C. 270; R. c. Smierciak , [1947] 2 D.L.R. 156; R. c. Jaw , 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26; R. c. Avetysan , 2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745; R. c. Jacquard , [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. Cooper , [1993] 1 R.C.S. 146; R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523; R. c. Corbett , [1988] 1 R.C.S. 670; R. c. Hibbert , 2002 CSC 39, [2002] 2 R.C.S. 445; R. c. Samuels (2005), 196 C.C.C. (3d) 403.
Lois et règlements cités
Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 , art. 21(2) , 686(1) a ), b )(iii).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Laskin, Gillese et Strathy), 2013 ONCA 734, 312 O.A.C. 284, 305 C.C.C. (3d) 14, [2013] O.J. No. 5546 (QL), 2013 CarswellOnt 16738 (WL Can.), qui a annulé la déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable prononcée contre l'accusé. Pourvoi accueilli.
Michael Bernstein , pour l'appelante.
James Lockyer et Richard Posner , pour l'intimé.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Rothstein — À l'issue d'un procès devant juge et jury pour meurtre au deuxième degré, Nahoor Araya a été reconnu coupable de l'infraction incluse d'homicide involontaire coupable en raison de sa participation alléguée à l'homicide par balle survenu dans un parc de Toronto le 3 octobre 2008. La Cour d'appel de l'Ontario (sous réserve de la dissidence du juge Strathy, aujourd'hui Juge en chef) a annulé la déclaration de culpabilité et ordonné un nouveau procès au motif que, dans ses directives, le juge n'avait pas bien mis le jury en garde contre toute inférence injustifiée à partir de photos de M. Araya prises quelques jours après l'homicide et admises en preuve. Le ministère public fait appel de la décision et demande le rétablissement de la déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable. Il fait valoir subsidiairement que les juges majoritaires de la Cour d'appel ont omis à tort d'appliquer la disposition réparatrice correspondant au sous-al. 686(1) b )(iii) du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 .
[2] À l'appui de la décision des juges majoritaires de la Cour d'appel, M. Araya formule deux nouveaux arguments. Premièrement, les photos n'avaient aucune valeur probante et étaient donc inadmissibles en preuve. Deuxièmement, les directives au jury étaient lacunaires quant au témoignage de son enseignant d'anglais au secondaire, Cordel Browne, avec lequel il s'est entretenu après l'homicide.
[3] Concernant les directives sur les photos, je conviens avec le juge Strathy qu'elles sont adéquates. Elles ne sont certes pas formulées idéalement, mais dans leur ensemble, eu égard au contexte de l'affaire considérée globalement, elles mettent bien les jurés en garde contre l'emploi des photos pour échafauder un raisonnement inacceptable.
[4] Au chapitre de l'admissibilité, je ne fais pas droit à la prétention de M. Araya selon laquelle les photos n'avaient pas de valeur probante. L'identification était centrale en l'espèce, et l'apparence de M. Araya avait changé entre l'homicide et le procès. La défense n'a jamais reconnu que M. Araya correspondait à la description des agresseurs — assurément générale — fournie par les témoins oculaires des événements dans le parc. L'identification de l'accusé incombait donc toujours au ministère public, et le juge du procès a conclu que les photos avaient un caractère probant en ce qu'elles indiquaient que M. Araya appartenait à la catégorie des personnes visées par la description des témoins. Je conviens avec la Cour d'appel qu'il n'y a pas lieu de réformer cette décision sur l'admissibilité en preuve.
[5] Enfin, en ce qui a trait au témoignage de M. Browne, je ne conviens pas avec M. Araya que le juge a donné au jury des directives erronées sur l'emploi de cet élément de preuve ou sur sa juste qualification. Dans son exposé, le juge a bien fait état de l'entretien entre MM. Araya et Browne, et le jury était admis à conclure qu'il s'agissait d'un aveu ou non.
[6] Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de renvoyer le dossier à la Cour d'appel pour examen de la question de la détermination de la peine. Il est donc inutile de se pencher sur l'application de la disposition réparatrice.
I. Les faits
[7] Le soir du 3 octobre 2008, Boris Cikovic, âgé de 17 ans, et un groupe d'amis prenaient un verre tout en bavardant sur le terrain de tennis et aux alentours, dans le parc Buttonwood situé dans l'ouest de Toronto. Selon les témoins, un groupe de trois ou quatre hommes s'est amené au parc vers 22 h 30, s'est engagé dans un affrontement avec certains membres du groupe de M. Cikovic et a tenté de voler certains d'entre eux. M. Cikovic ne s'est pas laissé faire et a utilisé un pistolet électrique pour repousser l'un des agresseurs. Ces derniers ont alors pris la fuite, mais M. Cikovic s'est lancé à leur poursuite, ce que constatant, l'un des fuyards s'est retourné et a fait feu. M. Cikovic a été atteint mortellement.
[8] L'éclairage à proximité du terrain de tennis était faible, de sorte que les témoins oculaires n'ont pu donner qu'une description générale des inconnus : ils étaient jeunes, de race noire, minces et rasés de près. Certains ont dit se souvenir qu'un bandana recouvrait une partie du visage de quelques-uns. Le tireur aurait mesuré entre 5 pieds 4 pouces et 5 pieds 8 pouces, tandis que M. Araya faisait alors 6 pieds 1 pouce. Aucun des témoins n'a précisément identifié M. Araya comme étant l'un des agresseurs.
[9] Le 7 octobre, soit quatre jours après l'homicide, M. Araya a approché son enseignant d'anglais, M. Browne, et a demandé à lui parler en privé. Le procès a fait ressortir un désaccord sur la nature de l'entretien. Selon M. Araya, même s'il avait parlé à M. Browne, il ne lui avait pas dit s'être trouvé au parc Buttonwood ou avoir été mêlé de quelque manière à l'homicide. Il aurait plutôt inventé une histoire d'affrontement à un autre endroit dans l'espoir que M. Browne, soucieux du bien-être de son élève, lui offre le gîte pour la nuit. Selon M. Browne, M. Araya aurait dit avoir fait partie du groupe qui avait volé et abattu M. Cikovic au parc Buttonwood le 3 octobre, mais ne pas avoir tiré le coup de feu, et aurait requis ses conseils sur ce qu'il devait faire. M. Browne aurait conseillé à M. Araya d'informer les autorités, puis il aurait relaté leur entretien à la police. M. Araya a été arrêté le 8 octobre. Le même jour, M. Browne faisait une déposition à la police sur son entretien de la veille avec M. Araya à l'école.
II. Historique judiciaire
A. Le procès
[10] M. Araya a subi son procès devant jury en 2011. Il était accusé de meurtre au deuxième degré au motif qu'il avait été au nombre des agresseurs le soir de l'homicide, en application du par. 21(2) du Code criminel . Le ministère public n'a pas prétendu qu'il avait été l'auteur du coup de feu. Les témoins oculaires ont témoigné sur ce dont ils se souvenaient des agresseurs. Rappelons que leurs descriptions faisaient état de caractéristiques vagues et générales : jeunes, de race noire, minces et rasés de près.
[11] Lors de son témoignage, M. Araya a soutenu ne pas s'être trouvé au parc Buttonwood le soir du 3 octobre 2008, mais avoir plutôt rendu visite à une amie à plusieurs kilomètres de là. Il a reconnu avoir eu un entretien avec M. Browne à l'école le 7 octobre, mais il en a contesté la teneur. Il a dit avoir inventé une autre histoire de vol afin d'obtenir la sollicitude de M. Browne, mais que, même dans le récit des faits inventés, il n'avait pas avoué s'être trouvé au parc Buttonwood le 3 octobre au soir.
[12] M. Araya a invoqué un certain nombre de contradictions entre la déposition de M. Browne au lendemain de leur entretien à l'école et le témoignage de l'enseignant au procès. Plus particulièrement, tandis que, selon M. Browne, il avait reconnu avoir été du groupe d'agresseurs qui avait sévi dans le parc le 3 octobre, M. Araya a fait valoir que les incohérences du témoignage de M. Browne, notamment quant à savoir s'il avait dit [ traduction ] « j'ai participé » ou « je n'ai pas participé » et « on les a abordés » ou « ils les ont abordés », compromettaient la valeur du témoignage inculpatoire de l'enseignant (lequel a dit avoir compris que, dans le contexte, « aborder » les personnes présentes sur le terrain de tennis voulait dire aller les voler).
[13] Ainsi, la question de la présence de M. Araya au parc Buttonwood était déterminante quant à sa culpabilité. Il a nié y avoir été présent et n'a jamais reconnu que son apparence du 3 octobre 2008 correspondait à la description générale des témoins oculaires.
[14] Au procès en 2011, M. Araya avait changé d'apparence depuis les événements survenus en 2008 : il avait pris du poids, ses cheveux étaient plus courts, il se rasait de près et il portait des lunettes. Le ministère public a tenté de faire admettre en preuve deux photos de M. Araya prises cinq jours après l'homicide afin d'établir ce dont il avait l'air à l'époque. La défense s'y est opposée en faisant valoir qu'elles étaient très préjudiciables. Elle craignait que les jurés entendent les descriptions vagues des agresseurs fournies par les témoins oculaires, qu'ils constatent que les photos correspondaient à ces descriptions et qu'ils concluent à tort que M. Araya devait donc avoir été l'un des agresseurs. Le juge McMahon, qui présidait le procès, a admis les photos en preuve à la seule fin de permettre au jury de déterminer si l'accusé avait l'une ou l'autre des caractéristiques physiques mentionnées par les témoins, sous réserve d'une directive restrictive selon laquelle les jurés devaient se garder de conclure à tort que M. Araya avait été au nombre des agresseurs seulement parce que son apparence correspondait aux descriptions générales des témoins oculaires.
[15] Avant que le jury ne se retire pour délibérer, le juge du procès lui a donné de longues directives portant entre autres sur les photos et sur le témoignage de M. Browne.
[16] M. Araya a été déclaré coupable d'homicide involontaire coupable et condamné à huit ans d'emprisonnement, déduction faite des crédits accordés pour le temps passé en détention avant le procès.
B. Cour d'appel de l'Ontario, 2013 ONCA 734, 312 O.A.C. 284
[17] M. Araya a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine devant la Cour d'appel de l'Ontario. Il a soutenu que le juge du procès avait eu tort d'admettre les photos en preuve et, à supposer que leur admission ait été régulière, que les directives restrictives du juge n'avaient pas suffi à le protéger contre un effet préjudiciable.
(1) Les juges majoritaires (la juge Gillese avec l'accord du juge Laskin)
[18] Les juges majoritaires ne relèvent aucune erreur dans la conclusion du juge du procès selon laquelle les photos sont pertinentes et ont une certaine valeur probante (par. 31). Ils conviennent cependant avec M. Araya que cette valeur probante est minimale dans la mesure où la défense ne contestait pas l'allégation voulant que l'apparence de l'accusé en 2008 ait correspondu aux descriptions générales des témoins oculaires (par. 32).
[19] Les juges majoritaires estiment par ailleurs que les photos ont pu avoir un effet préjudiciable important en ce que les jurés les ont utilisées pour échafauder le raisonnement lacunaire et inacceptable suivant : [ traduction ] « Les photos de l'appelant au moment de l'homicide montrent qu'il était jeune, de race noire, mince et relativement rasé de près. L'appelant correspondait donc alors au signalement générique des voleurs du terrain de tennis, de sorte qu'il se trouvait dans le parc ou était l'un des voleurs, ou les deux » (par. 33).
[20] Étant donné le risque d'effet préjudiciable si un juré tenait ce raisonnement, les juges majoritaires statuent que des directives restrictives claires s'imposaient et qu'elles devaient satisfaire à deux conditions. Il fallait premièrement qu'elles précisent l'utilisation qui pouvait être faite des photos et, deuxièmement, qu'elles expliquent les risques d'un raisonnement inacceptable (par. 42). Les juges majoritaires concluent au respect de la première condition (par. 45), mais estiment que les directives ne satisfont pas à la seconde en ce qu'elles omettent [ traduction ] « d'expliquer clairement au jury en quoi consiste le raisonnement inacceptable » (par. 47). Ils reprochent en outre au libellé des directives restrictives de « prêter à confusion » (par. 46).
[21] Vu le caractère lacunaire des directives restrictives, les juges majoritaires concluent à l'existence d'un [ traduction ] « risque d'erreur judiciaire grave » (par. 50) et accueillent l'appel pour ce motif. Ils n'estiment pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens d'appel invoqués par M. Araya, y compris le sort réservé au témoignage de M. Browne par le juge du procès.
[22] La formation majoritaire accueille l'appel et ordonne un nouveau procès.
(2) Le juge Strathy, dissident
[23] Dissident, le juge Strathy convient avec ses collègues que les photos avaient une valeur probante. Puisque M. Araya ne reconnaissait pas que son apparence correspondait aux descriptions générales des témoins oculaires recueillies en 2008, ce point [ traduction ] « demeurait litigieux » (par. 154). Après examen de l'exposé du juge au jury, il conclut que le risque d'erreur judiciaire est convenablement écarté. Plus précisément, il estime que le risque d'effet préjudiciable doit être apprécié « eu égard à la totalité de la preuve présentée au jury, aux plaidoiries et à l'exposé du juge au jury considéré globalement » (par. 157, citant R. c. Hay , 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694, par. 47).
[24] S'agissant de l'instance dans son ensemble, le juge Strathy considère que les photos constituent un élément infime de la preuve du ministère public. Sans compter qu'elles ont servi à la défense pour dissocier M. Araya des descriptions générales obtenues, car certains des témoins oculaires avaient dit des agresseurs qu'ils étaient rasés de près, alors que M. Araya avait alors des poils au visage (par. 158). Il ajoute que la défense ne s'est pas opposée à l'exposé au jury sur ce point (par. 171). À son avis, l'opinion de ses collègues selon laquelle il existait un risque important que les jurés fassent un usage inacceptable des photos [ traduction ] « nie tout bon sens au jury et fait abstraction des directives du juge lui enjoignant précisément de s'abstenir d'un tel usage » (par. 178-179).
[25] Le juge Strathy examine par ailleurs de nouveaux arguments formulés par M. Araya en Cour d'appel. Le plus pertinent pour les besoins du présent pourvoi a trait au caractère erroné ou non des directives du juge du procès sur le témoignage de M. Browne. Le juge Strathy résume les deux versions de l'entretien à l'école du 7 octobre 2008 — celle de M. Browne et celle de M. Araya (par. 93-109) —, ainsi que leurs versions respectives de la teneur de leur entretien ultérieur au centre de détention Metro West le 23 octobre 2008 (par. 116-122). Il reconnaît l'existence de contradictions manifestes entre ce que M. Browne a dit aux policiers et ce qu'il a affirmé au procès (par. 104). Or, selon lui, le juge du procès [ traduction ] « fait exhaustivement état tant du témoignage de l'appelant que de celui de M. Browne sur les deux entretiens » (par. 246), ses directives précisent au jury l'emploi qu'il peut faire des différences entre la déposition de M. Browne aux policiers et son témoignage au procès (par. 247) et il enjoint aux jurés de tenir compte de ce que M. Araya aurait dit à M. Browne, et non de l'interprétation des dires de M. Araya par M. Browne (par. 249).
[26] Le juge Strathy arrive à la conclusion que les différences manifestes entre la déposition de M. Browne aux policiers et son témoignage au procès concernant l'entretien à l'école, ainsi qu'entre les versions de l'un et l'autre témoins sur la nature de leur entretien au centre de détention, sont imputables au caractère équivoque de certains des termes employés (par. 253-254). [ traduction ] « Il appartenait donc au jury de soupeser l'explication de la contradiction alléguée et de décider du sort à réserver à l'élément de preuve » (par. 255). L'exposé du juge sur les attributions du jury et sa mise en garde selon laquelle le témoignage de M. Browne ne valait que pour la teneur des propos de M. Araya, non pour son interprétation de ces propos, suffisent à rendre adéquates les directives au jury (par. 255).
[27] Le juge Strathy aurait rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité.
III. Questions en litige
[28] Le ministère public soulève les questions suivantes :
(1) Les directives du juge au jury concernant l'utilisation qui pouvait être faite ou non des deux photos de M. Araya étaient-elles insuffisantes?
(2) Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont-ils eu tort de ne pas appliquer la disposition réparatrice correspondant au sous-al. 686(1) b )(iii) du Code criminel ?
[29] M. Araya demande à la Cour de confirmer la décision des juges majoritaires de la Cour d'appel et soulève deux autres questions :
(3) Les photos étaient-elles inadmissibles en preuve au motif qu'elles n'avaient aucune valeur probante?
(4) Le juge du procès a-t-il omis à tort de préciser au jury que la relation par M. Browne de l'entretien du 7 octobre 2008 avec M. Araya ne pouvait être considérée comme un aveu de la participation de ce dernier au vol. M. Araya a saisi la Cour d'appel de la question, mais les juges majoritaires ne l'ont pas examinée.
IV. Analyse
[30] L' alinéa 686(1) a ) du Code criminel dispose que la Cour d'appel peut accueillir l'appel lorsque le verdict est déraisonnable ou ne peut s'appuyer sur la preuve, qu'une décision erronée a été rendue sur une question de droit ou qu'il y a eu erreur judiciaire. M. Araya prétend que la décision du juge d'admettre les photos en preuve, ainsi que ses directives sur l'emploi que le jury pouvait faire des photos de M. Araya et du témoignage de M. Browne, équivalent chacune à une erreur judiciaire. Au vu des moyens invoqués, j'estime que ces prétentions sont à juste titre assimilées à des affirmations selon lesquelles le juge a donné au jury des directives erronées ou n'a pas donné de directives du tout, de sorte qu'il y a eu erreurs de droit de sa part.
A. Admissibilité en preuve des photos
[31] Un principe fondamental du droit de la preuve veut que la valeur probante d'un élément dépende du contexte dans lequel il est présenté. L'appréciation par le juge de la valeur probante et de l'effet préjudiciable d'un élément en vue de statuer sur son admissibilité au procès commande une grande déférence. Cette déférence n'est pas illimitée, mais parce que « le juge du procès a l'avantage d'être en mesure d'apprécier sur place la dynamique du procès et l'effet que la preuve aura vraisemblablement sur les jurés », il convient de déférer à sa mise en balance de la valeur probante de l'élément et de l'effet préjudiciable que pourrait avoir son admission ( R. c. Shearing , 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33, par. 73).
[32] Selon le par. 21(2) du Code criminel , un accusé peut être reconnu coupable d'une infraction lorsque, avec une ou plusieurs autres personnes, il partage l'intention commune de commettre un acte illégal et que l'une ou plusieurs de ces autres personnes commettent une infraction dont il savait ou aurait dû savoir que la perpétration serait la conséquence probable du projet [1] . Dans la présente affaire, M. Araya a été déclaré coupable d'homicide involontaire coupable en application de cette disposition sur la participation à une infraction. Le ministère public n'a pas soutenu qu'il avait abattu la victime, mais bien qu'il avait fait partie des agresseurs et que l'homicide avait été la conséquence probable du projet commun d'aborder le groupe de M. Cikovic dans le parc. Il lui fallait donc prouver que M. Araya s'était trouvé dans le parc lors des faits, ainsi que la part qu'il avait prise dans le projet commun des agresseurs de commettre un vol et le fait qu'il savait ou aurait dû savoir que l'homicide serait la conséquence probable de la mise à exécution du projet.
[33] La question de savoir si M. Araya avait pu se trouver parmi les agresseurs revêtait une importance cruciale, car il niait être allé au parc Buttonwood le soir du meurtre. Le ministère public a tenté de mettre en preuve, relativement à la question de l'identité, des photos de M. Araya prises après son arrestation, ce à quoi la défense s'est opposée au motif que les photos étaient très préjudiciables. Dans sa décision sur l'admissibilité des photos, le juge du procès fait observer que le jury a entendu les témoignages de nombreux témoins qui ont brossé un tableau assez flou des caractéristiques physiques des agresseurs. Il signale ensuite que, au fil des semaines qu'a duré le procès, les jurés ont eu le loisir d'examiner M. Araya et que son apparence différait alors beaucoup de celle qu'il avait en 2008. Il conclut que les photos constituaient un élément de preuve circonstancielle pertinent quant à la seule question de savoir si l'apparence de M. Araya en 2008 correspondait aux descriptions générales des témoins.
[34] M. Araya fait valoir que les photos ne se rapportaient pas à une question en litige au procès et qu'elles ont donc été admises à tort, car il ne niait « manifestement » pas avoir beaucoup changé d'apparence entre 2008 et 2011. Or, même si la Cour reconnaissait cet aveu tacite, la question de la modification de son apparence différait de celle de savoir si, en 2008, son apparence correspondait ou non aux descriptions des témoins. En l'occurrence, M. Araya n'a pas reconnu que son apparence correspondait aux descriptions générales des témoins. Je ne vois donc aucune raison de remettre en cause la conclusion du juge du procès selon laquelle les photos étaient pertinentes quant à ce point particulier.
[35] M. Araya invoque l'arrêt R. c. Proctor (1992), 69 C.C.C. (3d) 436 (C.A. Man.), à l'appui de sa thèse selon laquelle le ministère public ne peut présenter une preuve préjudiciable sur un point qui n'est pas en litige. Il le fait à tort car, dans cette affaire, le ministère public refusait de reconnaître l'aveu « clair et net » de la défense au chapitre de l'identité dans le but de se ménager artificiellement une question en litige au procès de telle sorte qu'il puisse alors offrir une preuve particulièrement incendiaire sur ce point (p. 440 et 447). En l'espèce, il n'y a pas d'aveu clair et net que l'apparence de M. Araya correspondait aux descriptions des témoins, et le ministère public n'a pas non plus écarté un aveu dans le dessein de présenter une preuve incendiaire. Le juge du procès a indiqué que les photos étaient en soi relativement inoffensives et ne jetaient pas un éclairage indûment préjudiciable sur l'accusé. Qui plus est, lorsque le ministère public a demandé l'admission en preuve des photos, il ne pouvait pas savoir ce qui serait dit ou non sur l'apparence de M. Araya et sur les descriptions générales des témoins oculaires au moment où la défense offrirait sa preuve ou présenterait sa plaidoirie finale. En conséquence, l'arrêt Proctor ne s'applique pas aux faits de la présente espèce.
[36] M. Araya fait valoir par ailleurs que, dans la mesure où il n'aurait pas été permis de montrer aux témoins oculaires les photos d'une seule personne et de leur demander s'il s'agissait de la personne qu'ils avaient vue, il n'était pas permis de montrer les photos au jury. Je reconnais que montrer aux témoins une seule photo pour savoir si la personne photographiée est celle qu'ils ont vue comporte des risques particuliers. En pareil cas, il existe une nette possibilité que [ traduction ] « la personne qui voit la photo garde en mémoire le visage alors aperçu plutôt que celui entrevu lors du crime » ( R. c. Goldhar (1941), 76 C.C.C. 270 (C.A. Ont.), p. 271). Cependant, le risque tient au fait que la mémoire du témoin , à laquelle le jury peut accorder une grande valeur persuasive s'il la juge crédible et fiable, peut être influencée par la présentation d'une seule photo ( Goldhar , p. 271; R. c. Smierciak , [1947] 2 D.L.R. 156 (C.A. Ont.), p. 157-158). Cette crainte n'est cependant pas justifiée lorsque c'est au jury qu'on montre des photos d'une seule personne et auquel on demande de déterminer si cette personne correspond à une description générale. Le jury n'a pas de l'apparence de la personne un souvenir préexistant qui est susceptible d'être influencé, et la crainte qu'un témoignage ainsi vicié ne soit trop persuasif n'est pas justifiée en l'espèce.
[37] Après avoir soupesé la valeur probante et l'effet préjudiciable, le juge se dit d'avis que [ traduction ] « le fait pour le jury de savoir à quoi ressemblait l'accusé au moment des faits a valeur probante lorsque l'identification est en jeu ». Il fait également droit à la prétention de M. Araya selon laquelle les photos peuvent avoir un effet préjudiciable :
[traduction ] Puisque aucun des témoins oculaires ne peut identifier l'accusé, le jury auquel les photos seraient présentées pourrait erronément en conclure que l'accusé a pu se trouver sur les lieux parce qu'il correspond à la description générale de certains témoins qui n'ont pu donner que de vagues descriptions. La défense fait valoir que là réside le risque de préjudice pour l'accusé. [d.a., vol. VII, p. 88]
Il estime que cet effet préjudiciable peut être dûment atténué par une directive restrictive et, partant, que [ traduction ] « la valeur probante des photos l'emporte sur leur effet préjudiciable ».
[38] Au vu de la déférence qui s'impose à l'endroit de la mise en balance de la valeur probante et de l'effet préjudiciable, je conviens avec la Cour d'appel que nul motif ne justifie de revenir sur la décision du juge du procès d'admettre les photos en preuve.
B. Caractère adéquat de la directive restrictive
[39] Lorsqu'elle se penche sur une erreur qui entacherait des directives au jury, « [u]ne cour d'appel doit examiner l'erreur alléguée dans le contexte de l'ensemble de l'exposé au jury et du déroulement général du procès » ( R. c. Jaw , 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32, le juge LeBel). En outre, le juge du procès doit bénéficier d'une certaine latitude dans la formulation de ses directives (voir Hay , par. 48 (citant R. c. Avetysan , 2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745, par. 9)). Il doit certes faire en sorte que ses directives préparent bien le jury à ses délibérations, mais son exposé n'a pas à être parfait. La raison d'être du contrôle en appel est d'assurer « que l[e] jur[y] reçoi[t] des directives appropriées et non pas des directives parfaites » ( R. c. Jacquard , [1997] 1 R.C.S. 314, par. 62, le juge en chef Lamer). Notre Cour a dit maintes fois qu'« on ne doit pas sans cesse disséquer les directives au jury, les soumettre à un examen détaillé et les critiquer » ( R. c. Cooper , [1993] 1 R.C.S. 146, p. 163). Dans l'arrêt R. c. Daley , 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, par. 30, le juge Bastarache résume la règle comme suit :
La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l'ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances.
Une cour d'appel doit se garder d'examiner isolément un élément précis des directives au jury. « C'est l'effet global de l'exposé qui compte » ( Daley , par. 31).
[40] Je commence par l'examen de l'exposé au jury. Le juge McMahon a fait un exposé étoffé d'une durée totale d'environ quatre heures. Il a abordé un grand nombre de questions de fait et de droit pertinentes pour les délibérations du jury, y compris les descriptions des témoins oculaires et leur lien avec les photos. Vu l'importance d'une démarche fonctionnelle et contextuelle dans le cadre d'un tel contrôle en appel, je reproduis ci-après les passages pertinents de l'exposé qui touchent la question de savoir si M. Araya se trouvait ou non au parc Buttonwood. Voici les directives du juge sur le récit des témoins oculaires :
[ traduction ] Maintenant, membres du jury, en plus de tous les éléments de preuve que j'ai déjà passés en revue sur ce point, à savoir si l'accusé se trouvait ou non au parc ce soir-là, vous devriez également prendre en considération la manière dont les personnes qui se trouvaient au terrain de tennis ce soir-là ont décrit les hommes de race noire qui s'y sont amenés. Je vous rappelle que parmi les jeunes présents dans le parc, aucun ne peut affirmer que M. Araya s'y trouvait bel et bien. Plusieurs de ces personnes vous ont dit que, en raison de l'obscurité, de la façon dont les hommes de race noire étaient habillés et de la vitesse à laquelle les événements se sont déroulés, elles ne pouvaient vous décrire le visage des hommes en question.
Toutefois, certaines d'entre elles se souvenaient vaguement de leurs vêtements, de leur taille et de la couleur de leur peau. Certaines étaient en mesure de décrire leurs coiffures et il me semble qu'aucune n'a dit qu'ils avaient des poils au visage. Je crois également qu'aucun témoin n'affirme avoir vu les hommes, c'est-à-dire les hommes de race noire qui se sont amenés, porter alors un sac ou un sac à dos. Comme vous l'avez entendu, ces descriptions étaient très vagues. [d.a., vol. I, p. 94]
[41] Le juge du procès instruit ensuite le jury sur les utilisations acceptables et inacceptables qui peuvent être faites des photos :
[ traduction ] À présent, vous disposez de photos qui montrent ce à quoi ressemblait M. Araya cinq jours après l'homicide. Selon son témoignage et celui de M me Cooke, c'est apparemment ce à quoi il ressemblait vers le 3 octobre. Vous pouvez vous demander si son aspect correspond ou non aux vagues descriptions des différents témoins. Toutefois, vous ne pouvez évidemment pas conclure sur le seul fondement des vagues descriptions de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos qu'il doit être la personne. Ce serait tout à fait inapproprié puisque les descriptions sont très vagues et les témoins ne peuvent identifier personne. Si certaines des caractéristiques décrites diffèrent de celles de l'accusé, elles peuvent servir à démontrer que l'accusé n'était pas présent.
Rappelez-vous qu'aucun témoin n'a relevé de pilosité du visage. Maintenant, vous aurez une photo de M. Araya prise cinq jours plus tard qui, selon certains témoins, montre ce à quoi il ressemblait le 3 octobre. Il semble avoir quelques poils au menton. Il n'a manifestement pas de barbe fournie. C'est ce que montre la photo. Ce sera à vous de décider si c'est quelque chose que les témoins auraient remarqué compte tenu de l'occasion qu'ils avaient de le faire, de leur état et de l'éclairage. [d.a., vol. I, p. 94-95]
[42] Enfin, le juge du procès instruit le jury sur la manière dont la preuve constituée des dépositions des témoins oculaires et des photos et se rapportant à la présence ou à l'absence de M. Araya au parc touchait généralement à la culpabilité :
[ traduction ] Si vous accordez foi aux témoignages selon lesquels les hommes étaient tous rasés de près, alors M. Araya ne pouvait pas être l'un d'eux. Plus tard, lorsque je passerai les témoins en revue, je reviendrai sur le témoignage de chacun et sur leur brève description.
Cependant, vous pouvez tenir ce à quoi ressemblait l'accusé et les vagues descriptions des hommes en cause pour un seul élément de preuve circonstancielle, que l'apparence physique de l'accusé corresponde ou non aux vagues descriptions. Vous prendrez alors cet élément en considération de pair avec l'ensemble de la preuve pour déterminer si le ministère public vous convainc ou non, hors de tout doute raisonnable, que M. Araya est l'un des hommes de race noire qui se sont amenés au terrain de tennis.
Si, après avoir considéré tous ces éléments et au vu de l'ensemble de la preuve, vous n'êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que M. Araya se trouvait au parc Buttonwood ce soir-là, celui où M. Boris Cikovic a été abattu, vous le déclarerez non coupable, ce qui mettra un terme à vos délibérations, et vous n'irez pas plus loin dans l'arbre décisionnel.
Si, au vu de l'ensemble de la preuve, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable que M. Araya se trouvait au parc ce soir-là, vous devrez ensuite déterminer s'il a commis une infraction criminelle. Comme je l'ai mentionné, le seul fait qu'une personne se trouve sur les lieux d'un crime ne suffit pas pour la déclarer coupable d'une infraction. Ainsi, dans l'hypothèse où vous seriez convaincus hors de tout doute raisonnable que l'accusé se trouvait au parc, vous passerez à l'étape suivante. [d.a., vol. I, p. 95-97]
[43] Pour conclure que les directives au jury n'étaient pas suffisamment claires, les juges majoritaires de la Cour d'appel insistent beaucoup sur la phrase suivante de l'extrait précité (par. 41) : « Toutefois, vous ne pouvez évidemment pas conclure sur le seul fondement des vagues descriptions de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos qu'il doit être la personne. » Ils concluent que la phrase prête à confusion sous deux rapports. Premièrement, il paraît incongru de parler de « vagues descriptions de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos ». Les vagues descriptions visaient les agresseurs aperçus dans le parc par les témoins oculaires, et non les photos de M. Araya. Deuxièmement, la formule « il doit être la personne » manque de clarté, car elle ne précise pas l'objet de ce que le jury ne peut inférer : soit que l'accusé était seulement dans le parc, soit qu'il était un des voleurs (par. 46).
[44] Soit dit en tout respect, ces préoccupations sont exagérées eu égard au contexte des directives dans leur ensemble. En ce qui concerne l'ambiguïté apparente du renvoi aux « vagues descriptions de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos », il me paraît s'agir d'une légère erreur de formulation. Le juge se serait exprimé plus clairement s'il avait dit aux jurés qu'ils ne pouvaient tirer de conclusions sur l'identité seulement à partir des descriptions générales et de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos. De fait, dans ses directives écrites, c'est exactement ce qu'il invite le jury à se garder de faire, à savoir [ traduction ] « conclure, sur le seul fondement des vagues descriptions et de ce à quoi ressemblait M. Araya sur les photos, qu'il doit être la personne » (je souligne). Je n'irais pas jusqu'à dire que toute lacune de directives orales au jury peut être corrigée par la seule communication de directives écrites appropriées, puisque certains jurés peuvent accorder une grande importance à ce qu'ils entendent en salle d'audience. Toutefois, lorsque la lacune tient à la possibilité que les directives aient pu semer la confusion chez les jurés, le fait de recourir à une formulation non ambiguë dans les directives écrites contribue à faire en sorte que les jurés s'y retrouvent grâce à ce texte plus limpide.
[45] Qui plus est, dans le contexte de l'exposé oral comme tel, le juge du procès clarifie son propos un peu plus loin lorsqu'il dit aux jurés : [ traduction ] « Cependant, vous pouvez tenir ce à quoi ressemblait l'accusé et les vagues descriptions des hommes en cause pour un seul élément de preuve circonstancielle, que l'apparence physique de l'accusé corresponde ou non aux vagues descriptions » (je souligne). Dès lors, le lien logique entre les photos et les vagues descriptions est clarifié.
[46] En ce qui concerne le deuxième point, c'est-à-dire le risque que le jury ait été dérouté par la formulation [ traduction ] « il doit être la personne », les juges majoritaires de la Cour d'appel s'interrogent quant à savoir si les jurés se sont vu indiquer clairement les inférences qu'ils devaient se garder de tirer sur le seul fondement des descriptions des témoins oculaires et des photos. Plus particulièrement, vu le caractère général de la preuve, il aurait été inacceptable de déterminer, à partir seulement des descriptions des témoins et des photos, que M. Araya se trouvait ou non au parc ou qu'il faisait partie ou non des agresseurs. Toutefois, deux paragraphes plus loin, le juge du procès fait remarquer : [ traduction ] « Si vous accordez foi aux témoignages selon lesquels les hommes étaient tous rasés de près, alors M. Araya ne pouvait pas être l'un d'eux. » En plus de souligner les caractéristiques disculpatoires des photos d'une manière qui paraît contribuer à diminuer le risque d'effet très préjudiciable sur M. Araya, le juge ajoute que les inférences qui peuvent être tirées des photos sont celles voulant que M. Araya se soit trouvé au parc parmi les agresseurs.
[47] Au vu de l'exposé global et du contexte du procès, il est manifeste que « les hommes » renvoie au groupe d'agresseurs qui a sévi dans le parc Buttonwood. Je reconnais que l'énoncé « il doit être la personne » aurait pu être plus explicite, mais il semble raisonnablement clair en l'espèce que l'inférence selon laquelle M. Araya était « la personne » s'entendait de l'inférence selon laquelle il se trouvait au parc Buttonwood et faisait partie des agresseurs. Eu égard au contexte des directives, je ne suis pas convaincu que le jury a été dérouté par les mots « il doit être la personne ».
[48] Devant notre Cour, l'avocat de M. Araya fait valoir que le juge du procès a eu tort d'attirer l'attention du jury sur le degré de pilosité du visage de M. Araya à l'époque de l'homicide et sur la question de savoir si c'était quelque chose que les témoins auraient remarqué. Le juge du procès dit : [ traduction ] « Ce sera à vous de décider si [la pilosité du visage de M. Araya révélée par les photos prises après son arrestation est] quelque chose que les témoins auraient remarqué compte tenu de l'occasion qu'ils avaient de le faire, de leur état et de l'éclairage. »
[49] Selon l'avocat de M. Araya, cette directive est problématique en ce qu'elle revient à présumer que M. Araya se trouvait au parc. Je ne peux être d'accord. Située dans son contexte, on ne peut valablement prétendre qu'elle établit explicitement ou implicitement une telle présomption. Dans la phrase qui la suit, le juge dit au jury que s'il accorde foi aux témoignages selon lesquels les agresseurs étaient tous rasés de près, M. Araya ne peut s'être trouvé parmi eux. Le juge reconnaît donc expressément la possibilité que M. Araya ne se soit pas trouvé au parc ou qu'il n'ait pas été au nombre des agresseurs. Ces deux énoncés considérés ensemble, je ne crois pas qu'il y ait eu un risque important que le jury soit indûment influencé par la directive sur la question de savoir si les témoins auraient pu ou non remarquer la pilosité du visage de M. Araya. Il demeurait suffisamment clair qu'il appartenait au jury de décider si M. Araya s'était trouvé au parc ou s'il avait été au nombre des agresseurs.
[50] Il convient de signaler que ni l'un ni l'autre des avocats n'ont invité le jury à tenir le raisonnement inacceptable en cause ou à tirer des photos les inférences problématiques dont font mention les juges majoritaires de la Cour d'appel. Ce n'est pas qu'une directive lacunaire ne puisse en soi entraîner une erreur judiciaire, mais il s'agit d'une considération valable pour apprécier le contexte des directives.
[51] Il convient aussi de mentionner que l'avocat qui a représenté M. Araya au procès (mais non en appel) — c'est-à-dire la personne qui, dans la salle d'audience, avait le plus à cœur les intérêts de M. Araya — ne s'est pas opposé à la directive dont on allègue le caractère déroutant et insuffisant. Cette omission permet de conclure que la formulation de la directive, dans son contexte global en salle d'audience, ne paraissait pas susceptible de créer de la confusion ou d'inciter au raisonnement infondé. Dans l'arrêt Jacquard , notre Cour affirme que même si l'omission de l'avocat de la défense de s'opposer à l'exposé n'est pas concluante en appel, elle demeure « révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée » (par. 38).
[52] Réduire l'exposé à la formulation d'une phrase en particulier pour déterminer s'il met suffisamment le jury en garde contre un raisonnement inacceptable, sans tenir compte de son contexte général ni du procès comme tel, revient justement à le disséquer et à le soumettre à un examen détaillé, ce contre quoi notre Cour met en garde dans l'arrêt Cooper . La directive du juge sur l'utilisation inacceptable n'était pas parfaite, mais le juge en chef Dickson dit ce qui suit dans l'arrêt R. c. Corbett , [1988] 1 R.C.S. 670, p. 692 : « . . . on aurait bien tort de trop insister sur le risque que le jury puisse faire mauvais usage de ladite preuve. En effet, une telle attitude pourrait nuire gravement à l'ensemble du système de jurys » (souligné dans l'original). En l'espèce, il ne semble pas y avoir eu un grand risque que le jury, à cause de légères imperfections de l'exposé, perde tout bon sens et adhère au raisonnement manifestement erroné selon lequel M. Araya devait forcément s'être trouvé au parc Buttonwood puisque son apparence correspondait à une description générale qui aurait pu être celle de bien des gens.
[53] Enfin, dans leur appréciation du caractère globalement suffisant de l'exposé au jury, les juges majoritaires de la Cour d'appel signalent que, [ traduction ] « en l'espèce, la preuve du ministère public n'était pas très solide » (par. 49). Devant notre Cour, l'avocat de M. Araya fait en outre valoir que le caractère suffisant de l'exposé au jury doit être apprécié à l'aune de la solidité de la preuve du ministère public. Je conviens avec le ministère public que la solidité de sa preuve ne saurait jouer dans l'appréciation du caractère suffisant de l'exposé au jury. Dans l'arrêt R. c. Hibbert , 2002 CSC 39, [2002] 2 R.C.S. 445, par. 43, la juge Arbour fait observer que lorsqu'il s'agit d'apprécier des directives au jury, il faut d'abord considérer leur caractère suffisant. Ce n'est que si elles sont jugées inadéquates que la nature et l'effet de l'erreur dont elles sont entachées doivent être déterminés au regard de la solidité de la preuve du ministère public, pour les besoins de l'application de la disposition réparatrice du sous-al. 686(1) b )(iii).
[54] À mon avis, les considérations qui précèdent permettent de conclure que le risque qu'un juré utilise de fait les photos pour échafauder un raisonnement inacceptable a été adéquatement atténué tant par l'exhortation du jury par l'avocat du ministère public à ne pas tirer d'inférences inacceptables que par l'exposé du juge du procès. Je suis donc convaincu que, située dans son contexte, la directive restrictive était suffisante.
C. Qualification du témoignage de M. Browne
[55] Monsieur Araya relève certaines contradictions entre le témoignage et la déposition de M. Browne sur l'entretien du 7 octobre 2008 à l'école. Il soutient que, au vu de ces contradictions, le juge du procès a eu tort, dans ses directives, de voir un « aveu » dans les propos qu'il a alors tenus. La prétention soulève trois questions. Premièrement, quelle est la nature des contradictions alléguées entre la déposition de M. Browne aux policiers et son témoignage au procès? Deuxièmement, le juge a-t-il commis une erreur dans son analyse de ces contradictions? Troisièmement, a-t-il eu tort de qualifier l'entretien à l'école d'« aveu » dans ses directives au jury?
(1) Les contradictions entre la déposition de M. Browne et son témoignage
[56] Monsieur Araya invoque l'existence de contradictions importantes entre la déposition de M. Browne et son témoignage et donne plusieurs exemples à l'appui. En outre, dans son témoignage, M. Browne aurait interprété les propos de M. Araya lors de leur entretien à l'école au lieu de rapporter ses paroles exactes (m.i., par. 53), et la manière dont le juge présente le témoignage au jury dans ses directives constituerait une erreur judiciaire. (Je rappelle que, à mon sens, il est plus juste de parler d'une allégation selon laquelle le juge a commis une erreur de droit.) J'examinerai d'abord chacune des contradictions alléguées, puis la question de savoir si les directives s'y rapportant étaient suffisantes compte tenu du caractère éventuellement contradictoire des déclarations de M. Browne. Il importe toutefois de signaler que, dans l'examen de chacune des contradictions alléguées, il n'y a pas lieu d'accorder, pour apprécier le caractère suffisant de l'exposé au jury dans son ensemble, une importance indue à l'analyse d'un énoncé en particulier soustrait au contexte du dossier de l'instruction et de l'exposé au jury. L'examen des énoncés est plutôt de nature à éclairer l'analyse contextuelle globale du caractère suffisant de la directive du juge sur la manière dont le droit permettait au jury de considérer les déclarations de M. Browne.
[57] Premièrement, dans sa déposition aux policiers, M. Browne a affirmé que M. Araya lui avait dit [ traduction ] « ils [ont] abordé ces gars-là » dans le parc, alors que, selon son témoignage au procès, M. Araya lui aurait dit « on a abordé ces gars-là » (m.i., par. 55 (souligné dans le mémoire)). Selon M. Araya, le premier énoncé indique qu'il n'a pas participé au vol qualifié qui a mené à l'homicide, et le second, qu'il y a participé activement (m.i., par. 55). Il ajoute que les deux déclarations sont foncièrement incompatibles et que l'implication cruciale selon laquelle il a participé au vol qualifié découle de l'interprétation de ses propos par M. Browne, et non de ses propos lors de l'entretien à l'école. Bref, M. Araya plaide que la déposition de M. Browne doit être tenue pour exacte et disculpatoire, et son témoignage au procès pour une interprétation inadmissible de ses paroles véritables.
[58] Je ne suis pas convaincu que, situés dans leur contexte général, les deux énoncés sont incompatibles. Dans sa déposition, M. Browne s'exprime parfois au moyen de bouts de phrases où son souvenir de ce que M. Araya a effectivement dit s'entremêle avec son résumé de ce que M. Araya a dit ainsi qu'avec son souvenir de ce que lui-même a dit. Quant à savoir qui avait « abordé » le groupe de M. Cikovic dans le parc, voici comment M. Browne a décrit aux policiers cette partie de l'entretien : [ traduction ] « Puis [M. Araya] a expliqué essentiellement qu'il avait dit non, qu'il ne voulait pas le faire, mais qu'ils avaient abordé les gars quand même. » Par contre, dans son témoignage au procès, M. Browne a affirmé ce qui suit : « . . . le résumé serait j'étais là, j'ai participé. On a abordé des gars. Je n'avais pas l'arme à feu, les choses ont mal tourné, quelqu'un a été touché, mais ce n'est pas moi qui avais l'arme à feu. »
[59] À mon avis, on peut voir dans la déposition de M. Browne aux policiers selon laquelle M. Araya avait dit [ traduction ] « ils ont abordé les gars » le souvenir de l'emploi exprès par M. Araya du pronom « ils » et la volonté de ce dernier de se dissocier des agresseurs en s'excluant du groupe. Ou alors, M. Browne a pu vouloir dire que M. Araya et les autres agresseurs avaient abordé ensemble le groupe de M. Cikovic après les réticences exprimées initialement par M. Araya. Il ne paraît pas déraisonnable que le jury ait pu interpréter l'emploi du mot « ils » dans ce dernier sens. Ses déclarations n'établissent pas nécessairement non plus que, au procès, il a rapporté les propos de M. Araya de manière défavorable afin de les rendre plus incriminants que ceux relatés dans sa déposition initiale.
[60] Deuxièmement, M. Araya souligne que, au procès, M. Browne a relaté comme suit son souvenir de ce qu'il lui avait dit : [ traduction ] « Eh bien, vous savez, quelqu'un a été tué, mais je -- ce n'est pas moi qui ai tiré. J'étais présent, j'ai participé , mais je n'ai pas tiré. Je n'avais pas l'arme à feu » (je souligne). À l'opposé, dans sa déposition, M. Browne a relaté en ces termes les propos de M. Araya :
[ traduction ] . . . j'ai dit, qu'en est-il [de l'homicide au parc Buttonwood] et puis lui il dit, eh bien j'étais là, mais je n'ai pas participé et j'ai dit, que veux-tu dire, Nahoor? Et lui il a dit, j'étais là, mais je n'ai pas participé, je n'avais pas l'arme à feu , puis il explique essentiellement que, euh, il a dit non, il ne voulait pas participer à ça, mais qu'ils ont quand même abordé les gars. [Je souligne; d.a., vol. VII, p. 138-139.]
Monsieur Araya fait valoir que la déposition initiale de M. Browne (« j'étais là, mais je n'ai pas participé ») correspond au souvenir de M. Browne de ce qu'il lui a dit, alors que le résumé présenté au procès (« J'étais présent, j'ai participé, mais je n'ai pas tiré ») correspond à l'interprétation de ses propos par M. Browne (voir m.i., par. 53).
[61] Le témoignage de M. Browne renferme d'autres ambiguïtés concernant la reconnaissance réelle par M. Araya de sa « participation » au vol malgré son opposition à ce que le groupe mette son plan à exécution. Selon son interprétation, la déclaration de M. Araya voulant qu'il ait été présent dans le parc permettait de conclure à sa participation au vol qualifié : [ traduction ] « . . . le fait d'avoir été là, pour moi, signifiait qu'il avait participé » (je souligne). Cependant, lorsque l'avocat de la défense lui a demandé tout de suite après « lorsque vous affirmez qu'il faisait partie des agresseurs, s'agit-il seulement de votre interprétation? », M. Browne a précisé « [n]on, il a dit qu'il était là et qu'ils avaient décidé d'aborder le gars. Il était l'un de ceux qui disaient non. Quelque chose avait mal tourné, quelqu'un avait été atteint et il me demandait alors conseil sur ce qu'il devait faire étant donné sa participation à l'affaire. » Même si M. Browne a expressément nié la présence de tout élément tendancieux dans son témoignage, il appert de celui-ci qu'il s'est efforcé de se rappeler les paroles exactes de M. Araya mais que certaines de ses déclarations peuvent correspondre à son interprétation de ces paroles. Toutefois, même si sa déposition aux policiers devait être tenue pour incompatible, elle doit néanmoins être considérée dans le contexte de l'ensemble de son témoignage et des directives du juge y afférentes.
[62] Troisièmement, en ce qui concerne les propos que M. Browne aurait lui-même tenus lors de l'entretien à l'école, M. Araya soutient que le témoignage de M. Browne selon lequel il lui aurait dit [ traduction ] « d'informer les autorités » diffère sensiblement de celui selon lequel il lui aurait dit « de [s]e rendre » (m.i., par. 55). Monsieur Araya fait valoir que l'on invite normalement un témoin, et non un participant à un crime, à « informer les autorités », et qu'à cause de cette contradiction, conjuguée à d'autres qui entacheraient le témoignage de M. Browne, le juge du procès a eu tort d'employer le mot « aveu » dans ses directives au jury (m.i., par. 57). Je ne suis pas convaincu qu'il faut accorder beaucoup d'importance en appel à l'utilisation des termes « informer les autorités » pour déterminer si le juge du procès a eu tort d'employer le mot « aveu » dans ses directives. Il appert du témoignage global de M. Browne sur l'entretien des deux hommes à l'école qu'il ne se souvenait pas exactement de ce qu'il avait dit à M. Araya, mais qu'il se souvenait de lui avoir dit d'informer les autorités dans le sens de se rendre à la police.
[63] Le contexte du témoignage de M. Browne révèle donc l'existence d'une incertitude quant aux paroles exactes de M. Araya et aux siennes lors de l'entretien à l'école — de même que son explication de cette incertitude — qu'il était loisible au jury de prendre en considération. De plus, dans ses directives au jury, le juge du procès signale comme suit les contradictions du témoignage de M. Browne :
[ traduction ] Cordel Browne vous a affirmé en interrogatoire principal que M. Araya lui avait dit qu'il avait été présent et qu'il avait participé au vol qualifié, mais non à l'homicide. En contre-interrogatoire, on l'a interrogé sur sa déposition recueillie sur bande vidéo au lendemain de cet entretien. Il a admis avoir dit à la police que M. Araya avait dit ne pas avoir participé. Il a également reconnu avoir dit la vérité aux policiers. Il a en outre fourni une explication de la différence entre ce qu'il avait dit au procès et ce qu'il avait dit dans sa déclaration antérieure. Puisque M. Browne semble maintenir celle-ci, vous pouvez y voir une partie de son témoignage. Vous devez également prendre en considération son explication des différences. [m.i., vol. I, p. 38]
[64] Au vu des interprétations possibles de la déposition de M. Browne et de son témoignage, et compte tenu de ses dires sur la signification des contradictions, j'estime que la directive du juge sur la manière dont le jury devait considérer le témoignage de M. Browne n'était pas erronée. Lorsque des contradictions étaient susceptibles d'opposer la déposition de M. Browne à son témoignage au procès, le jury a reçu les directives voulues pour apprécier ces différences.
[65] Même si on devait conclure que, dans son témoignage sur les propos tenus par M. Araya le 7 octobre 2008, M. Browne interprète ceux-ci de manière tendancieuse, notamment lorsqu'il se penche sur la notion de « participation », les directives mettent expressément le jury en garde contre le risque d'ajouter foi à un tel témoignage. Le juge précise que [ traduction ] « ce qui importe c'est ce qui a été dit à M. Browne, et non ce que M. Browne pense que M. Araya voulait dire ». Par conséquent, je ne suis pas persuadé que le juge a donné des directives erronées sur le témoignage de M. Browne.
(2) Assimilation de l'entretien à l'école à un « aveu »
[66] Monsieur Araya soutient qu'il est préjudiciable et donc inadmissible de qualifier l'entretien à l'école d'« aveu » en raison du caractère disculpatoire de ses paroles relatées initialement par l'enseignant dans sa déposition et des contradictions relevées dans le témoignage de M. Browne. M. Araya conteste d'ailleurs la validité de la directive suivante au jury :
[ traduction ] Le ministère public prétend que le 7 octobre 2008, M. Araya a avoué avoir fait partie du groupe d'hommes qui avait « abordé » M. Cikovic et ses amis pour les voler dans le parc Buttonwood le soir du 3 octobre 2008. Il ajoute qu'il a dit à son enseignant, M. Browne, qu'il n'avait pas l'arme à feu, qu'il n'avait pas tiré le coup de feu, mais qu'il avait fait partie des agresseurs. Le ministère public plaide que, dans ce contexte, M. Araya a employé le verbe « aborder » au sens d'approcher en vue de commettre un vol qualifié. [d.a., vol. I, p. 159]
[67] Pour l'avocat de M. Araya, l'emploi du mot « aveu » dans ce contexte rend la directive [ traduction ] « toxique », de sorte qu'un nouveau procès serait justifié selon le raisonnement suivi dans R. c. Samuels (2005), 196 C.C.C. (3d) 403 (C.A. Ont.) (m.i., par. 58). Je ne saurais être d'accord. Les faits de la présente affaire ne sont pas analogues à ceux de Samuels , où les déclarations de l'accusé étaient en grande partie disculpatoires, mais où le juge du procès avait dit au jury [ traduction ] « [qu']elles renfermaient non seulement des aveux, mais aussi des excuses qui tendaient à l'exonérer » (par. 27). Dans cette autre affaire, le juge du procès avait ajouté qu'il fallait accorder plus d'importance aux déclarations incriminantes de l'accusé qu'à ses déclarations disculpatoires. En Cour d'appel, le juge Armstrong a statué que la directive comportait « de graves lacunes. Les déclarations de l'appelant étaient en grande partie disculpatoires et étayaient sa défense d'accident. Il était donc erroné et préjudiciable de dire des déclarations qu'elles renfermaient des “aveux” » ( Samuels , par. 28). La Cour d'appel a donc conclu qu'il était préjudiciable que le juge du procès , dans le contexte de cette affaire, assimile certaines déclarations de l'accusé à des « aveux ».
[68] Or, en l'espèce, le juge du procès ne qualifie pas d'aveux les déclarations de M. Araya. Il décrit maintes fois l'échange survenu à l'école comme un « entretien » plutôt qu'un aveu. Dans la partie des directives au jury mise en évidence par M. Araya, le juge fait observer que [ traduction ] « [l]e ministère public prétend que [. . .] M. Araya a avoué » (je souligne). Cela revient à rappeler la thèse du ministère public, à savoir que l'entretien à l'école devait être considéré comme un aveu de culpabilité. J'estime que, à la lumière des autres mises en garde du jury, y compris celle voulant qu'il doive considérer le témoignage de M. Browne seulement pour établir ce que M. Araya a dit, et non pour interpréter ses propos, de même que la précision selon laquelle l'aveu de la seule présence sur les lieux n'est pas suffisant pour établir la culpabilité, l'utilisation une seule fois du mot « aveu » pour faire état de la thèse du ministère public ne saurait rendre la directive « toxique » au point de justifier sa rectification.
D. Moyens invoqués en Cour d'appel de l'Ontario
[69] Devant la Cour d'appel, M. Araya a soutenu que le juge du procès avait commis sept erreurs. Les juges majoritaires concluent que les lacunes imputées aux directives au jury sur l'utilisation acceptable des photos étaient suffisantes pour que l'appel soit accueilli, si bien qu'ils ne se penchent pas sur les autres erreurs alléguées. Deux des sept erreurs alléguées à l'origine — l'admissibilité en preuve des photos et les directives au jury s'y rapportant, ainsi que la directive du juge sur le témoignage de M. Browne — sont invoquées devant notre Cour. Les cinq autres motifs invoqués en Cour d'appel ont trait aux erreurs suivantes reprochées au juge de première instance :
[ traduction ]
(b) l'omission d'instruire le jury sur les implications du rejet de l'alibi de l'appelant;
(c) l'omission de faire une mise en garde de type Vetrovec à l'égard du témoignage de George Athens, un témoin oculaire;
(d) l'omission de bien instruire le jury sur la responsabilité du participant suivant le par. 21(2) du Code criminel . . .;
. . .
(f) l'omission de préciser au jury que le ministère public n'avait pas à demander à l'appelant pourquoi son enseignant aurait menti et l'aurait impliqué dans l'homicide alors qu'ils étaient en bons termes;
(g) l'autorisation du ministère public à mettre en preuve les actes de l'appelant au moment où il a appris qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrestation, et après son arrestation, pour établir son comportement après le fait et étayer une inférence de culpabilité.
(Motifs de la Cour d'appel, par. 68, le juge Strathy, dissident)
[70] Pour les motifs exposés par le juge Strathy, je conviens que le juge du procès n'a pas commis d'erreur à l'égard de l'un ou l'autre de ces cinq motifs d'appel supplémentaires.
E. Disposition réparatrice
[71] Puisque je conclus que les directives au jury étaient adéquates, il est inutile d'examiner si les faits de l'espèce justifieraient l'application de la disposition réparatrice correspondant au sous-al. 686(1) b )(iii) du Code criminel .
V. Conclusion
[72] Le pourvoi est accueilli et la déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable est rétablie. Le dossier est renvoyé à la Cour d'appel de l'Ontario pour qu'elle statue sur l'appel visant la détermination de la peine.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelante : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intimé : Lockyer Campbell Posner, Toronto.


[1] Le paragraphe 21(2) s'applique quelque peu différemment dans le cas d'une accusation de meurtre. Dans l'arrêt R. c. Rodney , [1990] 2 R.C.S. 687, notre Cour affirme qu'« [u]ne déclaration de meurtre doit être fondée sur la preuve d'une prévision subjective de la mort » (p. 692). Dès lors, il n'y a culpabilité de meurtre pour les besoins du par. 21(2) que si l'intéressé savait que l'infliction de la mort serait la conséquence probable du projet commun auquel il était partie.


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 11 ?
Date de la décision : 13/03/2015
Proposition de citation de la décision: R. c. Araya


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-03-13;2015.csc.11 ?

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