Association canadienne des libertés civiles, Alberta Public Interest Research Group et Amnistie internationale, Section Canada francophone
Intervenants
Traduction française officielle : Motifs des juges Abella et Gascon et du juge Moldaver
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown
Motifs de jugement conjoints : Les juges Abella et Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell et Karakatsanis)
Motifs concordants : Le juge Moldaver
Motifs dissidents : Le juge Wagner (avec l’accord des juges Côté et Brown)
Répertorié : Morasse c. Nadeau‑Dubois
No du greffe : 36351.
2016 : 22 avril; 2016 : 27 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.
en appel de la cour d’appel du québec
Procédure civile — Outrage au tribunal — Connaissance et intention requises — Disposition légale prévoit qu’est coupable de l’infraction d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal — Protestations orchestrées et piquets de grève érigés à l’université par une organisation étudiante — Injonction interlocutoire provisoire ordonnant de laisser libre accès aux classes et aux installations universitaires obtenue par un étudiant — Commentaires sur les injonctions et les lignes de piquetage émis par le porte-parole d’une organisation étudiante durant une entrevue — Le porte-parole est-il coupable d’outrage? — Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, art. 50 al. 1.
N‑D était le porte-parole d’une organisation étudiante qui a orchestré des manifestations et érigé des piquets de grève dans divers établissements postsecondaires du Québec pour contester des hausses projetées des droits de scolarité universitaires. M, un étudiant, a obtenu une injonction interlocutoire provisoire qui intimait de laisser libre accès aux installations où se donnaient les cours du programme auquel M était inscrit. Durant une entrevue télévisée qu’il a accordée en présence d’un autre leader étudiant, N‑D a affirmé que ces tentatives pour forcer le retour en classe ne fonctionnent pas, qu’une minorité d’étudiants et d’étudiantes utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective de faire la grève, et que les lignes de piquetage constituent un moyen tout à fait légitime d’assurer le respect du vote de grève. M a déposé une requête pour outrage contre N‑D pour les commentaires qu’il a émis durant l’entrevue. N‑D a été déclaré coupable d’outrage au tribunal en application du premier alinéa de l’art. 50 du Code de procédure civile et condamné à accomplir 120 heures de travaux communautaires dans un délai de six mois sous la supervision d’un agent de probation. La Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité ainsi que la peine et a prononcé un acquittement.
Arrêt (les juges Wagner, Côté et Brown sont dissidents) : L’appel est rejeté.
La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Karakatsanis et Gascon : La question en litige est celle de savoir si une accusation d’outrage portée par un simple citoyen contre une autre personne satisfait aux garanties procédurales et substantielles rigoureuses prescrites par la loi pour faire en sorte que le droit à la liberté de personnes accusées d’outrage soit pleinement protégé. Le pouvoir de déclarer une personne coupable d’outrage au tribunal en est un d’exception. Il s’agit d’un pouvoir de contrainte de dernier recours et de la seule procédure civile au Québec qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement. En raison des répercussions éventuelles qu’elle peut avoir sur la liberté de l’intéressé, les formalités de la procédure pour outrage doivent être strictement respectées; un avis clair, précis et sans ambiguïté de l’infraction particulière d’outrage dont il est inculpé doit être donné à l’accusé, et les éléments nécessaires à la déclaration de culpabilité doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable. Une déclaration de culpabilité pour outrage ne doit être prononcée que lorsqu’il est véritablement nécessaire de protéger l’administration de la justice.
À l’époque où M a engagé sa procédure contre N‑D, l’infraction d’outrage au tribunal était prévue dans deux dispositions distinctes du Code, maintenant consolidées à l’art. 58 du nouveau Code. Le premier alinéa de l’art. 50 établissait la compétence générale des tribunaux de déclarer quelqu’un coupable d’outrage. L’article 761 créait l’infraction d’outrage au tribunal qui se rapportait spécifiquement aux violations d’injonctions. Ces deux dispositions ont été interprétées en harmonie avec la common law. L’infraction d’outrage au tribunal décrite au premier alinéa de l’art. 50 comporte deux volets. Lorsqu’une ordonnance ou une injonction en particulier est en cause, les deux volets exigent la connaissance réelle ou inférée de l’ordonnance ou de l’injonction. Le premier volet vise la contravention à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un juge. La personne accusée d’outrage doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige. Suivant le deuxième volet, l’actus reus est établi lorsque la personne « agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal ». Les actes posés ou les propos reprochés doivent soit avoir cet effet, soit créer un risque sérieux ou important de l’avoir. La mens rea de cette forme d’outrage est l’intention de dénigrer l’administration de la justice, de miner la confiance du public à son égard, ou d’inciter à la désaffection à son endroit. La critique de bonne foi des institutions judiciaires et de leurs décisions n’atteint pas ce seuil.
Les seules allégations qu’a soulevées M à l’endroit de N‑D se rapportaient à une violation alléguée d’un paragraphe d’une ordonnance par les propos tenus en entrevue. N‑D n’a pas été avisé de la partie spécifique du premier alinéa de l’art. 50, le cas échéant, en vertu de laquelle il était accusé. Quant au premier volet, il n’y avait aucune preuve que N‑D avait une connaissance, directe ou par inférence, de l’ordonnance. Le fait que d’autres injonctions aient été prononcées ne prouve pas que N‑D avait connaissance de l’ordonnance particulière en cause. La connaissance ne peut pas non plus être imputée à N‑D sur le fondement des commentaires qu’il a formulés durant l’entrevue, de la question qui lui a été posée ou des déclarations faites par l’autre leader étudiant interviewé en même temps que lui. L’appui qu’il a donné au piquetage par les étudiants en général n’équivalait pas non plus à une incitation à employer des piquets de grève pour bloquer l’accès aux cours, puisque l’ordonnance n’interdisait pas complètement le piquetage. Le fait que M n’ait pas prouvé que N‑D avait connaissance, réellement ou par inférence, de l’ordonnance est déterminant pour trancher la question au regard du deuxième volet. Si N‑D n’avait pas connaissance de l’ordonnance, il ne pouvait avoir l’intention d’y faire obstacle ou d’inciter d’autres personnes à le faire.
Le juge Moldaver : En répondant comme il l’a fait durant l’entrevue télévisée, N‑D avait l’intention d’inciter les étudiants en général à contrevenir à toutes les ordonnances judiciaires quelle qu’elles aient été qui prohibaient le piquetage comme moyen d’empêcher l’accès aux cours. Si le dossier avait été présenté de la sorte, son appel généralisé à la désobéissance aurait nécessairement visé l’ordonnance interlocutoire obtenue par M, que N‑D ait eu une connaissance spécifique de cette dernière ou non. Or, la question à trancher lors du procès était celle de savoir si N‑D avait contrevenu à cette ordonnance en particulier. La Cour d’appel du Québec a donc conclu, à bon droit, que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle N‑D avait une connaissance spécifique de l’ordonnance, et que cela empêchait de conclure à l’outrage au tribunal. Vu la façon dont la cause a été présentée au procès, il serait à la fois injuste et préjudiciable d’autoriser M à changer sa thèse à la présente étape des procédures. Pour ce seul motif, l’appel est rejeté.
Les juges Wagner, Côté et Brown (dissidents) : La condamnation pour outrage au tribunal, que ce soit en matière civile ou criminelle, a pour but de sauvegarder la confiance du public dans l’administration de la justice et d’assurer le fonctionnement harmonieux des tribunaux. Ce pouvoir est exceptionnel et ne doit être exercé qu’en dernier recours. L’exercice de ce pouvoir est néanmoins justifié lorsqu’une condamnation pour outrage au tribunal s’impose afin d’appuyer l’intégrité du système de justice et d’assurer sa crédibilité auprès des justiciables. Le prononcé d’une ordonnance d’outrage exige le respect de conditions d’application strictes, notamment la norme de preuve applicable en droit criminel. Cela ne veut pas dire pour autant que l’application de ce pouvoir doit être à ce point ardue que celui-ci ne peut plus concrètement être exercé.
En l’espèce, N‑D savait précisément qu’il devait répondre à l’accusation d’outrage portée en vertu des art. 761 et 50 al. 1 du Code de procédure civile, compte tenu des précisions apportées par l’avocat de M lors de sa comparution en première instance, de l’ordonnance spéciale de comparaître qui fait expressément état des deux articles, des faits que M reproche à N‑D dans sa requête et de la description des allégations formulées contre ce dernier, ainsi que des arguments que N‑D a présentés lors du procès. Le juge de première instance était donc justifié de décider si N‑D était coupable en vertu de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 du Code.
La connaissance spécifique d’une ordonnance n’est pas essentielle pour les fins de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 du Code. Cette infraction est de portée plus générale que la seule violation des ordonnances. Une condamnation pour outrage au tribunal est possible, sous le régime de cette disposition, même si l’ordonnance sous-jacente n’a pas encore pris effet. La connaissance personnelle réelle de l’ordonnance d’un tribunal, exigée par la jurisprudence, peut toujours être inférée de la preuve circonstancielle. L’inférence doit être raisonnable compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant le bon sens et l’expérience humaine. La preuve doit établir que celui accusé d’avoir incité d’autres personnes à violer une ordonnance connaissait l’existence d’une ou de plusieurs ordonnances en vigueur au moment de l’infraction et qu’il était en mesure de savoir que ses actes ou ses paroles contrevenaient à ces ordonnances.
En l’espèce, une analyse contextuelle des propos de N‑D ne peut mener qu’à une seule conclusion raisonnable. Considérées dans le contexte de l’ensemble de l’entrevue, les paroles de N‑D démontrent au-delà de tout doute raisonnable qu’il connaissait l’existence des ordonnances, ainsi que la teneur et la portée de celles-ci, et qu’il a incité les étudiants à y contrevenir.
La conclusion du juge de première instance sur l’actus reus mérite déférence. L’actus reus correspondant à la première partie de l’art. 50 al. 1 du Code est une contravention à une ordonnance ou à une injonction d’un tribunal. Par contre, l’actus reus visé par la dernière partie de cette disposition s’entend de toute action qui entrave ou tend à entraver le cours normal de l’administration de la justice, ainsi que de toute action qui porte ou tend à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal. Appréciées dans le contexte de l’ensemble de l’entrevue, les paroles de N‑D constituaient une incitation à contrevenir à l’ordonnance en question ainsi qu’aux autres ordonnances visant à assurer l’accès des étudiants à leurs cours.
La conclusion du juge de première instance sur la mens rea ne justifie pas une intervention. L’intention d’entraver l’administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction d’outrage au tribunal; l’insouciance à l’égard de cette conséquence suffit. Vu le contexte dans lequel N‑D a prononcé ses paroles, il savait que sa transgression serait publique et il est permis d’inférer qu’à tout le moins il ne se souciait pas de savoir s’il y aurait atteinte à l’autorité de la cour.
L’importance de la liberté d’expression et de sa protection dans une société démocratique ne saurait jamais être exagérée. Or on ne peut, sous prétexte d’exercer sa liberté d’expression, inciter des citoyens à violer une ordonnance de la cour. Le fait d’assurer le respect des ordonnances prononcées par les tribunaux et, ainsi, de maintenir l’autorité et la crédibilité de ceux-ci, a pour effet d’appuyer le principe de la primauté du droit et, par ricochet, les libertés fondamentales, dont la liberté d’expression.
La peine infligée par le juge de première instance n’était ni déraisonnable ni disproportionnée. Le juge a correctement appliqué les règles relatives à l’admissibilité de la preuve à l’étape de la détermination de la peine. L’argument de N‑D voulant qu’au moment où la peine a été infligée, la nécessité d’empêcher la violation des ordonnances n’existait plus en vertu d’une intervention législative fait abstraction de l’objectif de dénonciation en cas d’outrage au tribunal. La peine infligée ne s’écarte pas de manière déraisonnable des sanctions imposées en semblable matière, où l’outrage avait une connotation publique.
Jurisprudence
Citée par les juges Abella et Gascon
Arrêts mentionnés : Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1565; Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859; Lavoie c. Collège de Rosemont, 2012 QCCS 1685; Goudreault c. Collège de Rosemont, 2012 QCCS 2017; Caron c. Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc., 2016 QCCA 564; Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 R.C.S. 79; Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; Guay c. Lebel, 2016 QCCA 1555; Droit de la famille — 122875, 2012 QCCA 1855, 29 R.F.L. (7th) 137; Javanmardi c. Collège des médecins du Québec, 2013 QCCA 306, [2013] R.J.Q. 328; Godin c. Godin, 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204; Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109; Constructions Louisbourg ltée c. Société Radio‑Canada, 2014 QCCA 155; Trudel c. Foucher, 2015 QCCA 691; Chamandy c. Chartier, 2015 QCCA 1142; Montréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP), section locale 301, 2006 QCCS 5273; Gougoux c. Richard, 2005 CanLII 37770; Estrada c. Young, 2005 QCCA 493; Zhang c. Chau (2003), 229 D.L.R. (4th) 298; R. c. Kopyto (1987), 62 O.R. (2d) 449; Attorney‑General c. Times Newspapers Ltd., [1973] 3 All E.R. 54; Boucher c. The King, [1951] R.C.S. 265; Re Ouellet (No. 1) (1976), 28 C.C.C. (2d) 338; Prud’homme c. Prud’homme, 1997 CanLII 8253; S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi‑Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8, [2002] 1 R.C.S. 156.
Citée par le juge Moldaver
Arrêts mentionnés : Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859; Newcastle Recycling Ltd. c. Clarington (Municipality), 2010 ONCA 314, 261 O.A.C. 373; R. c. Vaillancourt, 1995 CanLII 5036; R. c. Tran, 2016 ONCA 48; Wexler c. The King, [1939] R.C.S. 350.
Citée par le juge Wagner (dissident)
Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1565; Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859; Zhang c. Chau (2003), 229 D.L.R. (4th) 298, autorisation d’appel refusée, [2003] 3 R.C.S. v; United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901; Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; R. c. Bridges (1989), 61 D.L.R. (4th) 154, conf. par (1990), 54 B.C.L.R. (2d) 273; MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 1; R. c. Krawczyk, 2009 BCCA 250, 275 B.C.A.C. 6, autorisation d’appel refusée, [2010] 1 R.C.S. xi; Canada Metal Co. c. Canadian Broadcasting Corp. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585, conf. par (1975), 11 O.R. (2d) 167; Constructions Louisbourg ltée c. Société Radio‑Canada, 2014 QCCA 155; Echostar Satellite Corp. c. Lis, 2004 CanLII 2156; Procom Immobilier Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1992] R.D.J. 561; Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048; Re Awada (1970), 13 C.R.N.S. 127; Droit de la famille — 122875, 2012 QCCA 1855, 29 R.F.L. (7th) 137; Iron Ore Co. of Canada c. United Steel Workers of America, Local 5795 (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 27, autorisation d’appel refusée, [1979] 1 R.C.S. viii; Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217; Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618; Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 R.C.S. 79; College of Optometrists (Ont.) c. SHS Optical Ltd., 2008 ONCA 685, 241 O.A.C. 225; Estrada c. Young, 2005 QCCA 493; R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1001; Re Tilco Plastics Ltd. c. Skurjat, [1966] 2 O.R. 547, conf. par [1967] 2 C.C.C. 196, autorisation d’appel refusée, [1966] R.C.S. vii; Avery c. Andrews (1882), 51 L.J. Ch. 414; Ex parte Langley (1879), 13 Ch. D. 110; R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42; B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214; Hébert c. Procureur général du Québec, [1966] J.Q. no 15 (QL); Attorney‑General c. Times Newspapers Ltd., [1973] 3 All E.R. 54; R. c. Kopyto (1987), 62 O.R. (2d) 449; Charbonneau c. Procureur général du Québec, [1973] R.P. 10; Boon‑Strachan Coal Co. c. Campbell, [1981] C.S. 923; Re Ouellet (No. 1) (1976), 28 C.C.C. (2d) 338, modifié pour d’autres motifs, [1976] C.A. 788; Daigle c. Corporation municipale de la Paroisse de St‑Gabriel de Brandon, [1991] R.D.J. 249; Godin c. Godin, 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204; Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516; Canadian Transport Co. c. Alsbury (1952), 6 W.W.R. (N.S.) 473, conf. par [1953] 1 D.L.R. 385, conf. par [1953] 1 R.C.S. 516; R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; Westfair Foods Ltd. c. Naherny (1990), 63 Man. R. (2d) 238; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; Agence nationale d’encadrement du secteur financier c. Coopérative de producteurs de bois précieux Québec Forestales, 2005 CanLII 11614; Peter Kiewit Sons Co. c. Perry, 2007 BCSC 305.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , préambule, art. 2b) .
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 3.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25 [rempl. 2014, c. 1, art. 833], art. 1, 50, 51 al. 1, 53, 53.1, 761.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 58, 62.
Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, L.Q. 2012, c. 12, art. 10, 11, 13, 14, 32.
Règlement modifiant le Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public, 18 mai 2012, Ville de Montréal, Règl. 12‑024, art. 1.
Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public, R.R.V.M., c. P‑6, art. 2.1 [aj. 2012, Règl. 12‑024, art. 1].
Doctrine et autres documents cités
Borrie & Lowe : The Law of Contempt, 4th ed., by Ian Cram, gen. ed., London, LexisNexis, 2010.
Ferland, Denis. « La Cour suprême et l’outrage au tribunal en matière d’injonction : Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada) Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388; [1983] R.D.J. 481 (C.S.C.) » (1985), 45 R. du B. 462.
Ferland, Denis, et Benoît Emery. Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 5e éd., Montréal, Yvon Blais, 2015.
Gendreau, Paul‑Arthur, et autres. L’injonction, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1998.
Gervais, Céline. L’injonction, 2e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2005.
Popovici, Adrian. L’outrage au tribunal, Montréal, Thémis, 1977.
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, loose‑leaf ed., Toronto, Canada Law Book, 2015 (updated November 2015, release 24).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, Giroux et Dufresne), 2015 QCCA 78, [2015] AZ‑51142714, [2015] J.Q. no 158 (QL), 2015 CarswellQue 284 (WL Can.), qui a annulé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées par le juge Jacques à l’égard de l’outrage au tribunal, 2012 QCCS 5438, [2012] R.J.Q. 2174, [2012] AZ‑50907942, [2012] J.Q. no 11705 (QL), 2012 CarswellQue 11446 (WL Can.), et 2012 QCCS 6101, [2012] R.J.Q. 2279, [2012] AZ‑50918771, [2012] J.Q. no 14670 (QL), 2012 CarswellQue 12900 (WL Can.), et prononcé un acquittement. Pourvoi rejeté, les juges Wagner, Côté et Brown sont dissidents.
Maxime Roy, Vincent Rochette et Ariane Gagnon‑Rocque, pour l’appelant.
Giuseppe Sciortino, Sibel Ataogul et Félix‑Antoine Michaud, pour l’intimé.
Argumentation écrite seulement par Julius H. Grey, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Ranjan K. Agarwal, Faiz M. Lalani et Avnish Nanda, pour l’intervenant Alberta Public Interest Research Group.
François Larocque et Maxine Vincelette, pour l’intervenante Amnistie internationale, Section Canada francophone.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Karakatsanis et Gascon rendu par
[1] Les juges Abella et Gascon — Au printemps 2012, des manifestations étudiantes importantes et soutenues ont lieu dans la province de Québec sur la question de hausses projetées des droits de scolarité universitaires. Les hausses sont annoncées dans le cadre du budget présenté par le gouvernement provincial. Plusieurs organisations étudiantes opposées à ces hausses organisent des manifestations en réaction au projet.
[2] Les manifestations paralysent plusieurs établissements postsecondaires et des cours sont annulés dans plusieurs d’entre eux. Des organisations étudiantes tiennent des votes « de grève ». Des lignes de piquetage sont formées sur les campus de plusieurs universités et cégeps[1]. Des étudiants et des enseignants sont empêchés de pénétrer dans les édifices où doivent se donner les cours. En conséquence, plusieurs injonctions sont demandées pour limiter ces entraves et aider à faire en sorte que l’année scolaire se poursuive.
[3] Les événements sous‑jacents de ce printemps 2012 ont été très perturbateurs et ils ont causé d’importants ennuis et beaucoup de frustration pour plusieurs. Toutefois, tel n’est pas l’objet du pourvoi. Nous devons nous garder de nous prononcer sur des questions et des éléments de preuve qui n’ont pas fait l’objet du procès et qui n’y ont pas été examinés. La question sur laquelle nous sommes appelés à nous pencher est celle de savoir si une accusation d’outrage portée par un simple citoyen contre une autre personne satisfait aux garanties procédurales et substantielles rigoureuses prescrites par la loi pour faire en sorte que le droit à la liberté de personnes accusées d’outrage soit pleinement protégé. À notre avis, il faut répondre à cette question par la négative.
[4] Durant la période en cause, Gabriel Nadeau‑Dubois est le porte‑parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). En tant qu’organisation étudiante parmi les plus actives dans la province, la CLASSE organise des manifestations et des piquetages dans plusieurs institutions d’enseignement postsecondaire.
[5] Au plus fort des manifestations, Jean‑François Morasse est étudiant à la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval, qu’il fréquente pour une dernière année avant de terminer un certificat en arts plastiques. L’Association des étudiants en arts plastiques de l’Université Laval (ASÉTAP), l’organisation qui représente les étudiants inscrits à ce programme, tient un vote de grève et organise des manifestations. Le 29 février 2012, des lignes de piquetage sont érigées pour bloquer l’entrée de l’édifice où sont offerts les cours de M. Morasse.
[6] Dans le cadre d’une instance civile qu’il introduit contre l’Université Laval, l’ASÉTAP et une autre organisation étudiante, M. Morasse obtient le 12 avril 2012 une injonction interlocutoire provisoire d’une durée de 10 jours[2]. L’injonction intime de laisser libre accès à toutes les installations où se donnent des cours du programme d’arts plastiques. Elle enjoint également à tous ceux qui boycottent alors les cours de s’abstenir d’obstruer ou de bloquer autrement l’accès aux cours par l’intimidation ou par d’autres gestes qui auraient vraisemblablement cet effet.
[7] Le 26 avril 2012, M. Morasse présente une demande de renouvellement de l’injonction. Le 2 mai 2012, le juge Émond (maintenant juge de la Cour d’appel) renouvelle l’injonction en prononçant une ordonnance de sauvegarde valide jusqu’au 14 septembre 2012[3]. Dans cette ordonnance, le juge réaffirme l’interdiction d’obstruer l’accès aux cours ou de nuire à cet accès, mais il ne fait aucune mention particulière du piquetage en général :
ORDONNE à l’Université Laval, l’Association des étudiants en arts plastiques [ASÉTAP] ainsi qu’à toute personne informée de la présente ordonnance, de laisser libre accès aux salles de cours de l’Université Laval où sont dispensés les cours menant au certificat en arts plastiques, et ce, afin que ces cours puissent être donnés à l’horaire prévu à la session d’hiver 2012;
ORDONNE à tous les étudiants et autres personnes qui pratiquent présentement le boycottage des cours de s’abstenir d’obstruer ou de nuire à l’accès aux cours par intimidation ou de poser toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours;
CONFIE à l’Université Laval le soin de signifier sans délai la présente ordonnance selon les modalités prévues au Code de procédure civile et d’en informer toute personne qu’elle jugera à propos de façon à ce qu’elle puisse, à titre de propriétaire et responsable des lieux, s’assurer de la bonne exécution de la présente ordonnance;
DÉCLARE que la présente ordonnance demeure en vigueur jusqu’au 14 septembre 2012; [Nous soulignons; par. 59-62 (CanLII).]
[8] Onze jours plus tard, le 13 mai 2012, M. Nadeau‑Dubois est interviewé par RDI, le réseau français de l’information de Radio‑Canada, après qu’un cégep, le Collège de Rosemont, eut repris son horaire normal parce qu’une ordonnance de la Cour supérieure lui enjoignait de le faire[4]. Participe également à l’entrevue M. Léo Bureau‑Blouin, dirigeant de la Fédération étudiante collégiale du Québec, une coalition représentant des associations étudiantes des cégeps et collèges privés du Québec. L’entrevue est diffusée en direct partout dans la province. Les extraits pertinents sont reproduits ci‑après :
[Journaliste de RDI] : On va parler concrètement sur le terrain, Léo Bureau‑Blouin, bon demain, on a vu du côté du Cégep de Rosemont, on incite les étudiants à revenir en classe. Vous de votre côté, est‑ce que vous invitez toujours les grévistes à ériger des piquets de grève pour empêcher les étudiants d’entrer . . . Lionel‑Groulx également . . . il y a des injonctions un peu partout dans certains cégeps . . .?
[Léo Bureau‑Blouin] : Il n’y a pas de manifestation qui est organisée directement par la fédération, mais à chaque fois qu’il y a des retours comme ça forcés en classe, évidemment ça amène des piquets justement qui s’érigent devant le collège, c’est sûr que nous on a invité les étudiants par exemple à respecter les injonctions hein, quand y a des ordres précis de la Cour, pour ne pas bloquer le passage de certains étudiants, ça je pense que c’est important qu’on les respecte, mais c’est sûr que la décision du Collège de Rosemont, je pense c’est une décision qui est dangereuse qui peut potentiellement amener des tensions parce que dans un premier temps c’est un vote qui a été pris de manière démocratique quand même par les étudiants donc ça crée un malaise pour les enseignants de franchir justement ces piquets de grève là ou de malgré le vote d’aller donner les cours mais surtout aussi que ça amène des tensions parce qu’il y a des étudiants qui veulent entrer en classe, y en a d’autres qui veulent pas que les cours reprennent et ça amène des échauffourées, potentiellement des bagarres alors qu’en ce moment justement on essaie de pacifier le conflit et ça marche parce que depuis quelques jours la situation est un peu plus calme à Montréal.
[Journaliste de RDI] : À la CLASSE Gabriel Nadeau‑Dubois, on réagit comment devant ce retour en classe demain, est‑ce que bon vous, de votre côté, vous encouragez encore les piquets de grève pour empêcher euh?
[Gabriel Nadeau‑Dubois] : Ce qui est clair c’est que ces décisions‑là, ces tentatives‑là de forcer le retour en classe, ça ne fonctionne jamais parce que les étudiants et les étudiantes qui sont en grève depuis 13 semaines sont solidaires les uns les autres, respectent, de manière générale là, respectent la volonté démocratique qui s’est exprimée à travers le vote de grève et je crois qu’il est tout à fait légitime pour les étudiants et étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d’aller en grève. C’est tout à fait regrettable là qu’il y ait vraiment une minorité d’étudiants et d’étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise. Donc nous, on trouve ça tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c’est un moyen tout à fait légitime de le faire.
(m.i., par. 62)
[9] Le 15 mai 2012, M. Morasse, agissant en application de l’art. 53 du Code de procédure civile[5] (« C.p.c. » ou « Code »), dépose une requête pour outrage contre M. Nadeau‑Dubois pour les commentaires qu’il a émis durant l’entrevue. Dans cette requête, déposée dans le cadre de son instance pendante contre l’Université Laval et l’ASÉTAP, M. Morasse allègue que les commentaires de M. Nadeau‑Dubois violent le paragraphe suivant de l’ordonnance prononcée le 2 mai par le juge Émond :
ORDONNE à tous les étudiants et autres personnes qui pratiquent présentement le boycottage des cours de s’abstenir d’obstruer ou de nuire à l’accès aux cours par intimidation ou de poser toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours; [par. 60]
[10] La requête se limite à alléguer une violation de l’art. 761 du Code, qui dispose :
761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance d’injonction, qui la transgresse ou refuse d’y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupables d’outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n’excédant pas 50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an, et sans préjudice à tous recours en dommages‑intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu’à ce que le contrevenant se soit conformé à l’injonction.
Le tribunal peut également ordonner que ce qui a été fait en contravention à l’injonction soit détruit ou enlevé, s’il y a lieu.
[11] Le 17 mai 2012, le juge Jacques ordonne à M. Nadeau‑Dubois de comparaître le 29 mai suivant pour répondre aux allégations énoncées dans la requête pour outrage de M. Morasse, ainsi qu’à la preuve présentée dans ce contexte[6]. Dans l’« ordonnance spéciale de comparaître » qu’il prononce en application de l’art. 53 du C.p.c., le juge Jacques décrit en ces termes les allégations formulées contre M. Nadeau‑Dubois : « . . . a, sur les ondes du réseau de télévision RDI, incité publiquement les gens à contrevenir à l’ordonnance rendue [c’est‑à‑dire l’ordonnance rendue par le juge Émond] en empêchant les étudiants et étudiantes, dont le demandeur [à savoir, M. Morasse], à avoir accès à leurs cours » (par. 3 (CanLII)).
[12] De son propre chef, le juge Jacques fait aussi référence dans les « considérants » de l’ordonnance au premier alinéa de l’art. 50 du C.p.c. (le seul à être pertinent dans le présent pourvoi) :
50. Est coupable d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.
Toutefois, l’ordonnance spéciale de comparaître ne précise pas quelle partie du premier alinéa de l’art. 50 est en cause. Aucune injonction autre que celle prononcée par le juge Émond le 2 mai n’y est par ailleurs mentionnée.
[13] Il ressort clairement du procès‑verbal et des notes sténographiques de l’audience du 29 mai 2012 ― lors de laquelle la preuve contre M. Nadeau‑Dubois est communiquée ― que, pour toutes les parties, la seule accusation portée contre M. Nadeau‑Dubois est celle d’avoir effectivement violé le par. 60 de l’injonction prononcée le 2 mai 2012 en posant un geste susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès aux cours.
[14] Sur le fond de la requête pour outrage, le juge Jacques conclut que M. Nadeau‑Dubois ne peut pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal en application de l’art. 761 puisque l’ordonnance du juge Émond ne lui a pas été signifiée. Toutefois, le juge le déclare coupable en vertu de la disposition du premier alinéa de l’art. 50 qui crée l’infraction d’outrage pour des actes qui portent atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal. Le juge Jacques conclut que la connaissance qu’avait M. Nadeau‑Dubois de l’injonction peut être inférée du fait que l’ASÉTAP, à qui l’ordonnance a été signifiée, était membre de la CLASSE au moment où l’ordonnance a été prononcée. Puisque M. Nadeau‑Dubois était le porte‑parole de la CLASSE à l’époque, sa connaissance peut être inférée. La connaissance qu’il avait de l’injonction peut également être inférée de ses propos tenus lors de l’entrevue, et de sa connaissance présumée d’autres injonctions non précisées que d’autres tribunaux ont prononcées à la même époque. Pour le juge Jacques, les déclarations de M. Nadeau‑Dubois témoignent d’une intention d’entraver l’administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité des tribunaux. Qui plus est, en incitant à contrevenir aux injonctions généralement, ses propos ont eu pour effet d’inciter à contrevenir à l’injonction du juge Émond [7].
[15] Monsieur Nadeau‑Dubois est condamné à accomplir 120 heures de travaux communautaires dans un délai de six mois sous la supervision d’un agent de probation[8].
[16] Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel du Québec accueille l’appel[9]. Au nom de la cour, le juge Dufresne conclut que les propos tenus pendant l’entrevue à la télévision ne permettent pas d’établir que M. Nadeau‑Dubois connaissait l’existence et la teneur de l’ordonnance du juge Émond. La question à laquelle M. Nadeau‑Dubois répondait en entrevue portait sur l’injonction prononcée contre un cégep, et non sur l’ordonnance rendue le 2 mai par le juge Émond contre l’Université Laval. En outre, la référence générale de M. Nadeau‑Dubois à « ces tentatives‑là de forcer le retour en classe » ne permet pas d’inférer la connaissance de cette ordonnance en particulier.
[17] La Cour d’appel se dit d’accord avec le juge Jacques pour conclure que l’art. 761 ne s’applique pas, puisque M. Nadeau‑Dubois n’était ni nommé ni visé par l’injonction. La seule question à trancher est donc celle de savoir si M. Nadeau‑Dubois est coupable en application du premier alinéa de l’art. 50. La cour conclut que la mens rea n’a pas été établie, puisqu’il n’a pas été prouvé hors de tout doute raisonnable que M. Nadeau‑Dubois avait connaissance de l’injonction du 2 mai. Dans de telles circonstances, on ne peut imputer à M. Nadeau‑Dubois une intention d’inciter d’autres personnes à violer une ordonnance dont il n’avait pas connaissance. Quant à l’actus reus, la cour conclut que, de toute façon, les paroles prononcées étaient ambiguës, si bien qu’elle ne peut conclure hors de tout doute raisonnable que ces paroles ont incité ou encouragé quiconque à violer l’injonction. La cour annule donc la déclaration de culpabilité ainsi que la peine et prononce un verdict d’acquittement.
[18] Nous souscrivons aux conclusions de la Cour d’appel. Le juge Jacques a commis des erreurs de droit de même que des erreurs manifestes et déterminantes qui justifiaient l’intervention de la Cour d’appel. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
Analyse
[19] Au Québec, le pouvoir de déclarer une personne coupable d’outrage au tribunal en est un d’exception. Les tribunaux ont toujours refusé de l’exercer de façon routinière pour faire respecter des ordonnances judiciaires. En somme, il s’agit d’un pouvoir qui ne doit être exercé qu’en dernier recours : Caron c. Paul Albert Chevrolet Buick Cadillac inc., 2016 QCCA 564, par. 25‑26 (CanLII), citant Carey c. Laiken, [2015] 2 R.C.S. 79, par. 36; Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663, par. 7‑8 (CanLII).
[20] L’outrage au tribunal est la seule procédure civile au Québec qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement : Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, p. 1076; article premier du Code de procédure civile; art. 62 du nouveau Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, entré en vigueur le 1er janvier 2016. En raison des répercussions éventuelles qu’elle peut avoir sur la liberté de l’intéressé, les formalités de la procédure pour outrage doivent être strictement respectées; un avis clair, précis et sans ambiguïté de l’infraction particulière d’outrage dont il est inculpé doit être donné à l’accusé, et les éléments nécessaires à la déclaration de culpabilité doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : Guay c. Lebel, 2016 QCCA 1555, par. 8 (CanLII); Droit de la famille — 122875 (2012), 29 R.F.L. (7th) 137 (C.A. Qc), par. 24 et 30, et Javanmardi c. Collège des médecins du Québec, [2013] R.J.Q. 328 (C.A.), par. 26, citant tous les deux Godin c. Godin (2012), 317 N.S.R. (2d) 204 (C.A.), par. 47; art. 53.1 du Code de procédure civile; Céline Gervais, L’injonction (2e éd. 2005), p. 125; Vidéotron, p. 1077, citant Imperial Oil Ltd. c. Tanguay, [1971] C.A. 109. Cette insistance sur le formalisme est particulièrement importante dans le cadre exceptionnel de la procédure pour outrage introduite par des parties privées.
[21] Dans toutes les affaires d’outrage, il est essentiel que les tribunaux gardent à l’esprit le caractère exceptionnel de leurs pouvoirs en la matière et ne les exercent qu’à titre de mesure de dernier recours. Une déclaration de culpabilité pour outrage ne doit être prononcée que lorsqu’il est véritablement nécessaire de protéger l’administration de la justice : Centre commercial Les Rivières, par. 7 et 65‑66; Constructions Louisbourg ltée c. Société Radio‑Canada, 2014 QCCA 155, par. 26 (CanLII).
[22] À l’époque où M. Morasse engage sa procédure contre M. Nadeau‑Dubois, l’infraction d’outrage au tribunal est prévue dans deux dispositions distinctes du C.p.c., soit les art. 50 et 761[10]. Le premier alinéa de l’art. 50, qui se trouve dans la partie du Code qui énonce les pouvoirs des tribunaux et des juges, établit la compétence générale des tribunaux de déclarer quelqu’un coupable d’outrage :
50. Est coupable d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.
[23] L’article 761 se trouve dans la partie du C.p.c. qui porte sur les injonctions. Il crée l’infraction d’outrage au tribunal qui se rapporte spécifiquement aux violations d’injonctions :
761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance d’injonction, qui la transgresse ou refuse d’y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupables d’outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n’excédant pas 50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an, et sans préjudice à tous recours en dommages‑intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu’à ce que le contrevenant se soit conformé à l’injonction.
Le tribunal peut également ordonner que ce qui a été fait en contravention à l’injonction soit détruit ou enlevé, s’il y a lieu.
[24] Les articles 50 et 761 ont été tous les deux interprétés en harmonie avec la common law : voir, par ex., Vidéotron, p. 1078; Trudel c. Foucher, 2015 QCCA 691, par. 31 (CanLII); Chamandy c. Chartier, 2015 QCCA 1142, par. 26 et 31 (CanLII); Montréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP), section locale 301, 2006 QCCS 5273, par. 117 (CanLII); Gougoux c. Richard, 2005 CanLII 37770 (C.S. Qc), par. 28‑31.
[25] L’infraction d’outrage au tribunal décrite au premier alinéa de l’art. 50 comporte deux volets. Lorsqu’une ordonnance ou une injonction en particulier du tribunal est en cause, les deux volets exigent la connaissance réelle ou inférée de l’ordonnance ou de l’injonction. La connaissance réelle peut être établie par la preuve que l’ordonnance du tribunal a été signifiée personnellement à l’individu accusé d’outrage. Elle peut aussi être inférée des circonstances ou du comportement de l’intéressé : Estrada c. Young, 2005 QCCA 493, par. 11 (CanLII); Zhang c. Chau (2003), 229 D.L.R. (4th) 298 (C.A. Qc), par. 30-31. Toutefois, la connaissance réelle ne peut être inférée du comportement d’autrui ou de la signification de l’ordonnance du tribunal à d’autres personnes que l’accusé : Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, par. 128. En outre, lorsqu’on allègue la violation d’une ordonnance du tribunal, il faut que l’ordonnance énonce clairement et sans équivoque ce qui est exigé ou interdit. Cette exigence vise à faire en sorte que l’intéressé ne soit pas déclaré coupable d’outrage si l’ordonnance du tribunal est vague : Paul Albert Chevrolet, par. 26; Carey, par. 33.
[26] Le premier volet vise la contravention à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un juge. La personne accusée d’outrage doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige : Carey, par. 35.
[27] Le deuxième volet du premier alinéa de l’art. 50 est différent. L’actus reus est établi lorsque la personne « agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal ». Les actes posés ou les propos reprochés doivent soit avoir cet effet, soit créer un risque sérieux ou important de l’avoir : Adrian Popovici, L’outrage au tribunal (1977), p. 41; R. c. Kopyto (1987), 62 O.R. (2d) 449 (C.A.), p. 512, citant Attorney‑General c. Times Newspapers Ltd., [1973] 3 All E.R. 54 (H.L.), p. 66-67, lord Morris de Borth‑y‑Gest. Inciter des tiers à violer une ordonnance du tribunal n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce que peut constituer l’actus reus de ce volet de l’outrage en matière civile : Denis Ferland, « La Cour suprême et l’outrage au tribunal en matière d’injonction : Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada) Ltd. » (1985), 45 R. du B. 462, p. 464; Borrie & Lowe : The Law of Contempt (4e éd. 2010), p. 145.
[28] La mens rea de cette forme d’outrage, tant en common law qu’en droit québécois, est l’intention de [traduction] « dénigrer l’administration de la justice », de « miner la confiance du public à son égard », ou d’« inciter à la désaffection à son endroit » : Kopyto, p. 514, citant Boucher c. The King, [1951] R.C.S. 265, p. 344; Re Ouellet (No. 1) (1976), 28 C.C.C. (2d) 338 (C.S. Qc), p. 356-357; Gougoux, par. 30. La critique de bonne foi des institutions judiciaires et de leurs décisions, même lorsqu’elle est vigoureuse et véhémente, n’atteint pas ce seuil : Kopyto, p. 502, le juge Dubin de la Cour d’appel, dissident en partie; Prud’homme c. Prud’homme, 1997 CanLII 8253 (C.S. Qc), par. 8-9.
Application
[29] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
[30] Le juge Jacques a ordonné à M. Nadeau‑Dubois de comparaître pour répondre à des accusations fondées à la fois sur le premier alinéa de l’art. 50 et sur l’art. 761 du C.p.c., même si M. Morasse n’avait porté des accusations qu’en vertu de la seconde de ces dispositions. Rappelons que, dans une procédure pour outrage, l’accusé doit être informé de la nature précise des accusations portées contre lui : Droit de la famille, par. 26‑27. Pour protéger les droits de l’accusé, tout doute ou ambiguïté à cet égard doit jouer en sa faveur. En l’espèce, les seules allégations qu’a soulevées M. Morasse à l’endroit de M. Nadeau‑Dubois se rapportaient à une violation alléguée du par. 60 de l’ordonnance du juge Émond par les propos tenus en entrevue. Aucune ordonnance judiciaire autre que celle du juge Émond n’a été invoquée dans l’ordonnance spéciale de comparaître. Cela a été dit très clairement lors de l’audience du 29 mai 2012. Dans ses motifs, le juge Jacques a même reconnu qu’il était essentiel qu’il soit convaincu hors de tout doute raisonnable que M. Nadeau‑Dubois connaissait la teneur de cette ordonnance en particulier (par. 2, 49, 51(2) et 67).
[31] Puisque M. Nadeau‑Dubois n’était ni nommé, ni désigné dans l’injonction qu’a prononcée le juge Émond le 2 mai 2012, les deux juridictions d’instances inférieures ont conclu qu’une déclaration de culpabilité d’outrage en application de l’art. 761 du Code ne pouvait être prononcée contre lui. Devant la Cour, M. Morasse n’a pas poursuivi le débat sur cette question.
[32] Quant au premier alinéa de l’art. 50, bien qu’il comporte deux volets, M. Nadeau‑Dubois n’a pas été avisé de la partie spécifique, le cas échéant, en vertu de laquelle il était accusé. Au contraire, l’ordonnance spéciale de comparaître ne faisait mention que de l’alinéa en entier. Sans autre précision, il s’ensuivait que la seule infraction à l’égard de laquelle M. Nadeau‑Dubois devait se défendre avait trait aux allégations particulières qui se trouvaient dans la requête pour outrage présentée par M. Morasse.
[33] Rappelons que pour faire déclarer M. Nadeau‑Dubois coupable en vertu du premier volet du premier alinéa de l’art. 50, M. Morasse avait le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que l’ordonnance du juge Émond était claire, que M. Nadeau‑Dubois en avait connaissance et qu’il avait intentionnellement fait ce qu’interdisait l’ordonnance. Or, il n’y avait aucune preuve que M. Nadeau‑Dubois avait une connaissance, directe ou par inférence, de l’injonction du 2 mai. Aucune copie de cette dernière n’a été signifiée personnellement à M. Nadeau‑Dubois. Marie‑Pierre Bocquet, qui était présidente de l’ASÉTAP à l’époque où l’injonction a été prononcée, a reconnu qu’une copie de l’ordonnance du 2 mai lui avait été signifiée, mais elle a affirmé dans son témoignage qu’elle n’en avait pas remis copie à la CLASSE ou à M. Nadeau‑Dubois et que, à sa connaissance, personne d’autre ne l’avait fait. La signification à des personnes autres que M. Nadeau‑Dubois ne permet pas, à elle seule, de conclure hors de tout doute raisonnable que M. Nadeau‑Dubois en avait lui‑même connaissance : Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, par. 128.
[34] Contrairement à ce qu’a conclu le juge Jacques, le fait que, à l’époque de l’entrevue, d’autres injonctions aient été prononcées dans le contexte des manifestations étudiantes ne prouve pas que M. Nadeau‑Dubois avait connaissance de l’injonction rendue par le juge Émond. Comme la Cour d’appel l’a affirmé à bon droit, inférer que M. Nadeau‑Dubois avait connaissance de l’ordonnance particulière en présumant qu’il avait connaissance d’autres ordonnances, potentiellement semblables, mais dont aucune n’a été mise en preuve ou mentionnée dans la procédure pour outrage, équivaut à inverser le fardeau de la preuve; il s’agit là d’une erreur manifeste et déterminante.
[35] Nous n’admettons pas non plus que la connaissance puisse être imputée à M. Nadeau‑Dubois sur le fondement de la réponse qu’il a donnée à la question qui lui a été posée pendant l’entrevue, ou, plus indirectement, en s’appuyant sur des déclarations faites par l’autre personne interviewée, M. Bureau‑Blouin. Ni la question de la journaliste à M. Bureau‑Blouin ni les déclarations de ce dernier n’ont fait mention d’injonction s’appliquant à l’Université Laval, ni, de fait, à aucune autre université. Monsieur Bureau‑Blouin n’a parlé que des injonctions qui s’appliquaient aux cégeps. Qui plus est, la question que la journaliste a adressée à M. Nadeau‑Dubois n’a nullement fait mention de quelque injonction que ce soit. Du contexte de l’entrevue, il ne ressort aucune preuve selon laquelle il était question, même indirectement, de l’ordonnance du juge Émond, de sorte que l’on pût présumer la connaissance de M. Nadeau‑Dubois.
[36] Quant à l’affirmation de M. Nadeau‑Dubois dans l’entrevue voulant qu’il y ait « une minorité d’étudiants et d’étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise [de faire la grève] », elle est, au mieux, ambiguë. À elle seule, cette affirmation ne permet pas de conclure qu’il connaissait les détails des injonctions prononcées contre les cégeps mentionnées par la journaliste et M. Bureau‑Blouin, et encore moins de l’ordonnance du juge Émond en particulier.
[37] À tous égards, indépendamment de la teneur de la question de la journaliste ou de la réponse de M. Bureau‑Blouin, aucun de leurs propos ne peut être utilisé de manière à attribuer à M. Nadeau‑Dubois la connaissance de l’ordonnance du juge Émond. S’il en était autrement, on ouvrirait la porte à la possibilité que des individus puissent être punis pour les paroles prononcées par d’autres.
[38] Puisqu’il est purement hypothétique d’attribuer à M. Nadeau‑Dubois la connaissance de l’ordonnance que le tribunal a prononcée le 2 mai, et partant, la connaissance de sa teneur, on ne saurait lui imputer une intention de violer cette ordonnance par les propos qu’il a tenus en entrevue.
[39] En outre, le juge Jacques a inféré que, dans les circonstances, l’appui de M. Nadeau‑Dubois au piquetage par les étudiants en général équivalait à une incitation à employer des piquets de grève pour bloquer l’accès aux cours. Or, l’injonction qu’a prononcée le juge Émond le 2 mai n’interdisait pas le piquetage en tant que tel. Elle se limitait à proscrire des comportements qui auraient pour effet d’entraver l’accès aux cours; le piquetage qui n’avait pas pour effet de bloquer l’accès était permis. Dans ses commentaires, M. Nadeau‑Dubois n’a pas parlé de bloquer et d’empêcher l’accès aux cours. Sa déclaration générale à propos des lignes de piquetage était à tout le moins compatible avec l’encouragement au recours continu à des piquets de grève d’une manière qui était permise par l’injonction. Tout au plus, dire simplement que le piquetage était légitime, même si cela était interprété comme l’équivalent d’empêcher l’accès, était bien loin d’encourager les autres à poser des gestes illégaux.
[40] Même s’il était possible de tirer d’autres inférences raisonnables et logiques des propos de M. Nadeau‑Dubois, nulle part dans ses motifs le juge Jacques n’a‑t‑il pris en considération ces autres possibilités. Dans son analyse sommaire des paroles effectivement prononcées par M. Nadeau‑Dubois, le juge Jacques n’a pas fait de distinction entre les piquets de grève légaux et ceux qui étaient interdits, ce qui l’a amené à tirer l’inférence selon laquelle M. Nadeau‑Dubois « prôn[ait] . . . l’anarchie et encourage[ait] la désobéissance civile » (par. 95). La Cour d’appel a eu raison de conclure que le juge Jacques s’est trompé en assimilant apparemment le piquetage en général au fait de bloquer l’accès aux salles de cours de l’université en particulier (motifs du juge Jacques, par. 84, 94 et 103; motifs de la Cour d’appel, par. 77). La Cour a déjà statué que le piquetage est une forme légitime d’expression et d’exercice de la liberté de réunion; le piquetage n’est pas une activité illégale en soi : S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi‑Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156, par. 27 et 30-31; voir également Paul Albert Chevrolet, par. 27 et 30.
[41] Puisque l’ordonnance du juge Émond n’interdit pas complètement le piquetage, le juge Jacques a eu tort de simplement tenir pour acquis, sans vraiment se pencher sur les autres possibilités, que M. Nadeau‑Dubois parlait d’un acte prohibé, alors que, dans les faits, il n’a pas parlé de bloquer l’accès à des classes, mais seulement de piquetage en général. De même, en l’absence de paroles allant directement dans ce sens, le juge Jacques n’aurait pas dû assimiler la déclaration de M. Nadeau‑Dubois selon laquelle il était légitime de respecter le vote de grève à un encouragement à l’endroit d’autres personnes à commettre des gestes illégaux.
[42] Il reste à trancher la question de savoir si M. Nadeau‑Dubois pouvait être déclaré coupable d’outrage en vertu du deuxième volet du premier alinéa de l’art. 50, c’est‑à‑dire de déterminer si ses paroles ou ses actes ont « soit [. . .] entrav[é] le cours normal de l’administration de la justice, soit [. . .] port[é] atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal » dans le contexte des accusations identifiées dans l’ordonnance spéciale de comparaître. Pour pouvoir déclarer M. Nadeau‑Dubois coupable en vertu de ce deuxième volet du premier alinéa de l’art. 50, compte tenu des allégations précises de la requête pour outrage, de l’ordonnance spéciale et de la communication de la preuve, M. Morasse devait prouver hors de tout doute raisonnable que M. Nadeau‑Dubois avait entravé le cours normal de l’administration de la justice ou qu’il avait porté atteinte à la dignité du tribunal en incitant d’autres personnes à violer le par. 60 de l’ordonnance particulière qu’avait prononcée le juge Émond le 2 mai. Pour ce faire, M. Morasse devait prouver que M. Nadeau‑Dubois avait connaissance de l’ordonnance et qu’il voulait par ses propos [traduction] « dénigrer l’administration de la justice », ou « inciter à la désaffection à son endroit », ou du moins qu’il s’était montré insouciant à cet égard.
[43] À l’instar de ce qui découle de l’application du premier volet du premier alinéa de l’art. 50, le fait que M. Morasse n’ait pas prouvé que M. Nadeau‑Dubois avait connaissance, réellement ou par inférence, de l’ordonnance du 2 mai est déterminant. Si M. Nadeau‑Dubois n’avait pas connaissance de l’ordonnance, il ne pouvait avoir l’intention d’y faire obstacle ou d’inciter d’autres personnes à le faire.
[44] Les événements qui se sont déroulés au printemps 2012 ont donné lieu à plusieurs recours judiciaires, dont celui qui nous occupe n’est qu’un exemple. Le rôle des tribunaux était de traiter des questions juridiques spécifiques et particulières à chaque recours. Le présent appel ne concerne que la question de savoir si les accusations portées par M. Morasse contre M. Nadeau‑Dubois satisfaisaient aux règles strictes régissant l’outrage au tribunal. Considérer que quoi que ce soit d’autre était en jeu dans le contexte de ce recours irait, selon nous, au‑delà des questions juridiques concrètes qui sont en cause ici, et risquerait de punir l’accusé en regard du rôle qu’il a joué plutôt qu’en regard des accusations portées contre lui.
[45] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur de M. Nadeau‑Dubois.
Version française des motifs rendus par
[46] Le juge Moldaver — J’ai eu l’occasion de lire les motifs des juges Abella et Gascon de même que ceux du juge Wagner. Malheureusement, je ne suis d’accord avec ni l’une ni l’autre de leur série de motifs. Comme je l’expliquerai, si la cause avait été présentée au procès comme je le décris ci‑après, j’aurais accueilli l’appel et maintenu la conclusion d’outrage au tribunal contre l’intimé, Gabriel Nadeau‑Dubois. Cela dit, étant donné la façon dont s’est déroulé le procès, des préoccupations quant à l’équité procédurale m’empêchent d’adopter cette position. En conséquence, je dois rejeter l’appel.
[47] Selon ma lecture du dossier, il ne fait aucun doute que, en répondant comme il l’a fait durant l’entrevue télévisée, l’intimé avait l’intention d’inciter les étudiants en général à contrevenir à toutes les ordonnances judiciaires, quelles qu’elles aient été, qui prohibaient le piquetage comme moyen d’empêcher les étudiants d’accéder à leurs cours. Autrement dit, sa déclaration était un appel généralisé à désobéir aux ordonnances judiciaires, quels qu’aient été le juge en particulier qui avait pu rendre l’ordonnance ou l’établissement auquel cette dernière s’appliquait.
[48] À mon avis, si le dossier avait été présenté de la sorte, le fait que l’allégation contre l’intimé ait fait spécifiquement référence à une violation de l’« ordonnance de sauvegarde » rendue par le juge Émond le 2 mai 2012 (Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859), n’aurait pas été un obstacle à sa déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal. Ceci s’explique du fait que l’appel généralisé de l’intimé à la désobéissance aurait nécessairement visé l’ordonnance du juge Émond, qu’il ait eu une connaissance spécifique de cette dernière ou non.
[49] De ce point de vue, l’appel généralisé de l’intimé à la désobéissance aurait manifestement constitué l’outrage au tribunal décrit à la dernière portion du premier alinéa de l’art. 50 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25 (maintenant abrogé), dans la mesure où il a agi de manière à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal. En effet, il se serait agi d’un cas manifeste d’outrage au tribunal.
[50] Ce n’est toutefois pas comme cela que la cause s’est déroulée. Au procès, la question a été débattue sur le fondement de la connaissance spécifique par l’intimé de l’ordonnance du juge Émond et du fait qu’il a incité les étudiants à y contrevenir en mettant en place des piquets de grève pour empêcher les étudiants en arts plastiques de l’Université Laval d’accéder à leurs classes.
[51] En accueillant l’appel de l’ordonnance du juge Jacques selon laquelle l’intimé s’était rendu coupable d’outrage au tribunal (2012 QCCS 5438, [2012] R.J.Q. 2174), la Cour d’appel du Québec a conclu, à bon droit selon moi, que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle l’intimé avait une connaissance spécifique de l’ordonnance du juge Émond, comme le précisait l’allégation de la demande contre lui, et que cela empêchait de conclure à l’outrage au tribunal (2015 QCCA 78). Je souscris à cette conclusion, mais uniquement parce que c’est de cette façon que la cause a été présentée au procès et que c’est contre cette cause que l’accusé a eu à se défendre.
[52] Si la cause avait été présentée sur le fondement que j’ai décrit précédemment, soit sur celui d’un appel généralisé à la désobéissance, une telle conclusion ― que l’intimé avait une connaissance spécifique de l’ordonnance du juge Émond ― n’aurait pas été nécessaire pour prouver qu’il avait été coupable d’outrage au tribunal. Cela dit, la cause n’ayant pas été présentée de cette façon au procès, j’estime qu’il serait à la fois injuste et préjudiciable d’autoriser l’appelant, Jean‑François Morasse, à changer sa thèse à la présente étape du processus (Newcastle Recycling Ltd. c. Clarington (Municipality), 2010 ONCA 314, 261 O.A.C. 373; R. c. Vaillancourt, 1995 CanLII 5036 (C.A. Qc); R. c. Tran, 2016 ONCA 48; Wexler c. The King, [1939] R.C.S. 350). Pour ce motif ― et pour ce seul motif ―, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Les motifs des juges Wagner, Côté et Brown ont été rendus par
Le juge Wagner (dissident) —
I. Aperçu
[53] Le pouvoir de sanctionner l’outrage au tribunal ne doit être exercé qu’en dernier recours, avec prudence et avec discernement. Cela dit, une telle ordonnance s’impose lorsqu’elle est nécessaire pour protéger la primauté du droit, la liberté d’expression et la démocratie, lesquelles sont largement tributaires de la crédibilité de la magistrature et du système de justice auprès des justiciables.
[54] Ce pourvoi soulève la question du niveau de connaissance requis de la part d’une personne accusée d’outrage au tribunal pour cause de violation de l’art. 50 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 (« C.p.c. »)[11], en vigueur à l’époque, dans un contexte particulièrement médiatisé.
[55] La Cour supérieure a déclaré l’intimé, Gabriel Nadeau-Dubois, coupable d’outrage au tribunal en vertu de cet article, pour avoir incité, lors d’une entrevue télévisée, les citoyens à contrevenir à une ordonnance d’injonction prononcée par un de ses juges. La Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure, essentiellement au motif que le niveau de connaissance requis ainsi que l’actus reus n’avaient pas été établis hors de tout doute raisonnable.
[56] Avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel a eu tort d’infirmer la décision de la Cour supérieure. Contrairement à la Cour d’appel, je suis d’avis que la preuve de la connaissance spécifique de l’ordonnance d’injonction n’était pas requise. De plus, en l’absence d’erreur dans le jugement de première instance, il n’était pas loisible à la Cour d’appel de substituer son avis sur l’actus reus. Je propose donc d’accueillir le pourvoi.
II. Le contexte
A. Mise en contexte
[57] Le pourvoi entrepris concerne une période d’agitation sociale sans précédent dans l’histoire du Québec, soit « la plus importante “grèveˮ étudiante de son histoire ». Il s’agit d’un conflit maintenant connu et décrit comme le « printemps érable » par analogie avec le « printemps arabe » qui, en 2011, avait monopolisé l’attention médiatique à l’échelle internationale. Ce conflit a éclaté en réponse à une hausse des frais de scolarité proposée par le gouvernement du Québec en 2012. Pour exprimer leur désaccord, certains étudiants opposés à la hausse des frais de scolarité appellent au « boycottage » des cours comme moyen de pression (jugement de la Cour d’appel, 2015 QCCA 78, par. 12 (CanLII)). Notamment, des associations étudiantes, dont la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (« CLASSE »), font la promotion du boycott des cours. À tout moment pertinent, l’intimé est le principal porte-parole de la CLASSE. Il devient avec Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, le « porte-étendard » du mouvement et la « figure de proue » de la contestation étudiante (jugement sur la peine, 2012 QCCS 6101, [2012] R.J.Q. 2279, par. 6 et 15). Ils sont aussi reconnus comme les « leaders du mouvement », incarnent les principaux protagonistes auprès de la population et « sont de toutes les tribunes » pendant que le conflit perdure.
[58] Pour appuyer l’appel au boycott des cours, des piquets sont érigés devant de nombreux établissements d’enseignement postsecondaire (Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1565, par. 4 (CanLII), le juge Lemelin). De ce fait, les cours sont « perturbés » et plusieurs de ces établissements sont « paralysés », puisque les professeurs et autres responsables ne peuvent s’acquitter de leurs tâches (jugement de la Cour d’appel, par. 12). De tous les gestes d’éclat accomplis par les associations étudiantes, c’est sans contredit la levée des cours et la mise en place de lignes de piquetage empêchant les étudiants d’accéder à leurs salles de classe qui suscitent le plus de controverse.
[59] Le mouvement, qui tire son origine d’une action étudiante, s’étend progressivement et rallie dorénavant les syndicats ainsi que des groupes de pression qui prônent toutes sortes de causes ayant peu à voir avec les revendications initiales. Cette période « particulièrement fébrile » dans la province est marquée par de « nombreuses manifestations » populaires quotidiennes, lesquelles se terminent souvent par des actes de violence et des affrontements avec les forces de l’ordre (jugement de la Cour d’appel, par. 12).
[60] Au début du mois de mai 2012, « [p]endant cette période de boycottage des cours et de perturbation », l’appelant, Jean-François Morasse, est étudiant et il est inscrit au programme d’arts plastiques de l’Université Laval. Il désire terminer ses études, s’objecte au mouvement de levée des cours et veut accéder aux salles de cours. L’Association des étudiants en arts plastiques de l’Université Laval (« ASÉTAP ») est membre de la CLASSE depuis avril 2012 et agit officiellement au nom de tous les étudiants du programme. Elle appuie la levée des cours et, à compter du 29 février 2012, elle assure la mise en place de lignes de piquetage devant l’Université Laval pour empêcher les étudiants d’assister à leurs cours (2012 QCCS 1565, par. 4).
[61] Afin d’accéder aux salles de cours, l’appelant sollicite et obtient une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire prononcée par le juge Lemelin le 12 avril 2012. Le 2 mai 2012, cette ordonnance est renouvelée sous la forme d’une ordonnance de sauvegarde, laquelle demeurera en vigueur jusqu’au 14 septembre 2012 (Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859 (l’« Ordonnance de sauvegarde »)). C’est cette ordonnance, rendue par le juge Émond (maintenant juge de la Cour d’appel), qui est à l’origine de ce pourvoi. Les conclusions pertinentes sont libellées ainsi :
ORDONNE à l’Université Laval, l’Association des étudiants en arts plastiques ainsi qu’à toute personne informée de la présente ordonnance, de laisser libre accès aux salles de cours de l’Université Laval où sont dispensés les cours menant au certificat en arts plastiques, et ce, afin que ces cours puissent être donnés à l’horaire prévu à la session d’hiver 2012;
ORDONNE à tous les étudiants et autres personnes qui pratiquent présentement le boycottage des cours de s’abstenir d’obstruer ou de nuire à l’accès aux cours par intimidation ou de poser toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours; [En caractère gras dans l’original; par. 59-60 (CanLII).]
[62] Il y a alors une « multiplication des injonctions » similaires au Québec (jugement de la Cour d’appel, par. 13; jugement de première instance, 2012 QCCS 5438, [2012] R.J.Q. 2174, par. 81-82, le juge Jacques; jugement sur la peine, par. 32). L’objectif demeure toujours le même : permettre aux étudiants le libre accès à leurs cours pour terminer leur année scolaire (jugement de première instance, par. 15 et 23).
[63] Bien que d’aucuns qualifient de « grève » le mouvement entrepris, nulle part dans le jugement attaqué ne retrouve-t-on l’application de règles propres au droit du travail. D’ailleurs dans le jugement portant sur la prolongation de l’ordonnance d’injonction déjà prononcée (l’Ordonnance de sauvegarde), le juge Émond écartait en ces mots les arguments à cet effet :
L’ASETAP confond le monopole de représentation, si monopole de représentation il y a, avec le monopole du travail, lequel découle des dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail qui interdisent à un employeur de retenir les services d’un salarié qui fait partie d’une unité de négociation en grève.
Contrairement au Code du travail, la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants ne contient aucune disposition permettant à une association de forcer un étudiant, contre son gré, à pratiquer le boycott de ses cours et de lui en faire supporter les effets.
Les références au Code du travail sont non seulement boiteuses et inappropriées, mais encore, elles confirment l’interprétation de ceux qui, comme le juge Lemelin, considèrent que les lois du Québec ne confèrent aucun véritable droit de grève aux étudiants. [Je souligne; notes en bas de page omises; par. 30-32.]
[64] De plus, il résumait ainsi la position de l’appelant :
La demande de M. Morasse ne vise pas à interdire aux étudiants de manifester, mais seulement à les empêcher de poser des gestes illégaux, en l’occurrence le blocage de l’accès aux salles où sont dispensés les cours.
. . .
Or, nous l’avons déjà mentionné, la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants ne contient aucune disposition permettant à une association étudiante de forcer un étudiant à boycotter ses cours contre son gré. [par. 44-46]
Ces propos complétaient en quelque sorte les constatations du juge Lemelin de la Cour supérieure, qui avait rendu la première ordonnance d’injonction provisoire en ces termes :
Le Tribunal ne discute pas le droit de certains étudiants de soutenir et de participer au boycottage des cours en refusant d’y assister, mais leur refus ne leur accorde [pas] le droit de brimer et même d’anéantir le droit des autres étudiants d’assister à leurs cours de manière à terminer leur session.
Il appartient aux étudiants qui boycottent les cours de supporter seuls les risques de cette action. Ils n’ont pas le droit d’imposer ou de faire supporter ce risque à ceux qui veulent assister à leurs cours. [par. 14-15]
[65] De plus, le boycott des cours relève d’un choix individuel et de nombreux étudiants contestent en conséquence la légitimité, voire la légalité d’un tel moyen de pression, comme le démontrent les ordonnances décrites ci-dessous.
[66] En dépit du prononcé de nombreuses ordonnances d’injonction, la situation dégénère, les actes de violence et d’intimidation se succèdent, les responsables des institutions d’enseignement ne peuvent assurer le respect des ordonnances en toute sécurité, alors qu’ils assistent à des « échauffourées », des « bagarres » (jugement de la Cour d’appel, par. 15, citant une entrevue avec M. Bureau-Blouin). Il s’installe alors au Québec une crise de légitimité et de désobéissance civile qui empoisonne le climat social.
[67] Pour résoudre cette impasse, l’Assemblée nationale du Québec adopte le 18 mai 2012 une loi spéciale (Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, L.Q. 2012, c. 12 (la « Loi 12 »)), qui prévoit entre autres que :
13. Nul ne peut, par un acte ou une omission, entraver le droit d’un étudiant de recevoir l’enseignement dispensé par l’établissement d’enseignement qu’il fréquente, faire obstacle ou nuire à la reprise ou au maintien des services d’enseignement d’un établissement ou à l’exécution par les salariés de leur prestation de travail relative à ces services, ni contribuer directement ou indirectement à ralentir, altérer ou retarder la reprise ou le maintien de ces services ou l’exécution de cette prestation.
[68] Cette loi spéciale interdit également à quiconque d’« entraver l’accès d’une personne à un lieu où elle a le droit ou le devoir d’accéder pour y bénéficier des services d’un établissement ou pour y exercer des fonctions » (art. 14). Finalement, la loi oblige le personnel d’un établissement, y compris les professeurs, à se présenter au travail et à accomplir toutes ses tâches habituelles (art. 10 et 11).
[69] Au même moment, la Ville de Montréal adopte un nouveau règlement (Règlement modifiant le Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public, Règl. 12-024, 18 mai 2012) qui oblige les organisateurs de manifestation à fournir à l’avance aux autorités le lieu et l’itinéraire que choisiront les manifestants (ajoutant l’art. 2.1 au R.R.V.M., c. P-6).
[70] Suite au prononcé des ordonnances d’injonction, l’intimé et M. Bureau-Blouin accordent au réseau d’information RDI (un service télévisuel de Radio-Canada), le 13 mai 2012, une entrevue télévisée portant sur le conflit étudiant. Les deux leaders « profitent de l’occasion [. . .] pour s’adresser à leurs membres et sympathisants ainsi qu’à la population du Québec » (jugement de première instance, par. 24).
[71] Au cours de l’entrevue, qui survient au paroxysme du conflit, la journaliste rappelle aux deux leaders étudiants que le Collège de Rosemont incite les étudiants à revenir en classe, puis pose la question suivante à M. Bureau-Blouin :
Vous de votre côté, est-ce que vous invitez toujours les grévistes à ériger des piquets de grève pour empêcher les étudiants d’entrer . . . [le Collège] Lionel-Groulx également . . . il y a des injonctions un peu partout dans certains cégeps . . .?
(Jugement de la Cour d’appel, par. 15)
[72] Conscient de la nature et de la portée des ordonnances d’injonction déjà prononcées, comme en témoignent ses propos, M. Bureau-Blouin conseille aux auditeurs de respecter les ordonnances des tribunaux :
Il n’y a pas de manifestation qui est organisée directement par la fédération, mais à chaque fois qui a des retours comme ça forcés en classe, évidemment ça amène des piquets justement qui s’érigent devant le collège, c’est sûr que nous on a invité les étudiants par exemple à respecter les injonctions hein, quand y a des ordres précis de la Cour, pour ne pas bloquer le passage de certains étudiants, ça je pense que c’est important qu’on les respecte, mais c’est sûr que la décision du Collège de Rosemont, je pense c’est une décision qui est dangereuse qui peut potentiellement amener des tensions parce que dans un premier temps c’est un vote qui a été pris de manière démocratique quand même par les étudiants donc ça crée un malaise pour les enseignants de franchir justement ces piquets de grève là ou de malgré le vote d’aller donner les cours mais surtout aussi que ça amène des tensions parce qu’il y a des étudiants qui veulent entrer en classe, y en a d’autres qui veulent pas que les cours reprennent et ça amène des échauffourées, potentiellement des bagarres alors qu’en ce moment justement on essaie de pacifier le conflit et ça marche parce que depuis quelques jours la situation est un peu plus calme à Montréal. [Je souligne.]
(Jugement de la Cour d’appel, par. 15)
[73] L’intimé emprunte pour sa part une tout autre approche. Après avoir entendu la réponse de M. Bureau-Blouin, la journaliste pose une question similaire à l’intimé : « . . . on réagit comment devant ce retour en classe demain, est-ce que bon vous, de votre côté, vous encouragez encore les piquets de grève pour empêcher [les étudiants d’entrer]? » L’intimé répond ce qui suit :
Ce qui est clair c’est que ces décisions-là, ces tentatives-là de forcer le retour en classe, ça ne fonctionne jamais parce que les étudiants et les étudiantes qui sont en grève depuis 13 semaines sont solidaires les uns les autres, respectent, de manière générale là, respectent la volonté démocratique qui s’est exprimée à travers le vote de grève et je crois qu’il est tout à fait légitime pour les étudiants et étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d’aller en grève. C’est tout à fait regrettable là qu’il y ait vraiment une minorité d’étudiants et d’étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise. Donc nous, on trouve ça tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c’est un moyen tout à fait légitime de le faire. [Je souligne.]
(Jugement de la Cour d’appel, par. 15)
B. Jugements à l’origine de ce pourvoi
[74] Deux jours après l’entrevue, l’appelant présente, en vertu de l’art. 53 C.p.c., une requête demandant que l’intimé soit assigné à comparaître pour répondre à une accusation d’outrage au tribunal. Il invoque l’art. 761 C.p.c. et soutient que, par ses propos lors de l’entrevue télévisée, l’intimé a contrevenu à l’Ordonnance de sauvegarde. Cet article était rédigé ainsi :
761. Toute personne nommée ou désignée dans une ordonnance d’injonction, qui la transgresse ou refuse d’y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rendent coupables d’outrage au tribunal et peuvent être condamnées à une amende n’excédant pas 50 000 $, avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an, et sans préjudice à tous recours en dommages-intérêts. Ces pénalités peuvent être infligées derechef jusqu’à ce que le contrevenant se soit conformé à l’injonction.
Le tribunal peut également ordonner que ce qui a été fait en contravention à l’injonction soit détruit ou enlevé, s’il y a lieu.
[75] Le 17 mai 2012, le juge Jacques de la Cour supérieure enjoint à l’intimé de comparaître (2012 QCCS 2141). Dans ses motifs, le juge reproduit l’art. 761 al. 1 C.p.c., ainsi que l’art. 50 al. 1 C.p.c., lequel prévoyait ce qui suit :
50. Est coupable d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.
Le juge décrit ainsi les prétentions de l’appelant :
. . . le demandeur [Jean-François Morasse] allègue que le défendeur Gabriel Nadeau-Dubois [. . .] a, sur les ondes du réseau de télévision RDI, incité publiquement les gens à contrevenir à l’ordonnance rendue [par le juge Émond] en empêchant les étudiants et étudiantes, dont le demandeur, à avoir accès à leurs cours . . . [Je souligne; par. 3 (CanLII).]
[76] Au procès, l’intimé ― qui n’a pas témoigné comme c’était son droit le plus strict ― invoque des arguments basés à la fois sur la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., et sur l’art. 761 al. 1 C.p.c. Le juge de première instance le reconnaît néanmoins coupable d’outrage au tribunal en vertu de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. étant d’avis, au-delà de tout doute raisonnable, que l’intimé connaissait pertinemment la nature des ordonnances d’injonction prononcées, dont l’Ordonnance de sauvegarde, que ses propos ont incité au non-respect de ces ordonnances et qu’il a intentionnellement agi de manière à porter atteinte à l’autorité du tribunal. Le juge ajoute que l’art. 761 al. 1 C.p.c. ne s’appliquait pas en l’espèce, car l’intimé n’était pas directement ou nommément visé par l’Ordonnance de sauvegarde. Finalement, il condamne l’intimé à accomplir 120 heures de travaux communautaires, tout en soulignant au passage qu’en incitant les citoyens à contrevenir à une ordonnance du tribunal, l’intimé « a outrepassé une règle fondamentale de notre société fondée sur l’état de droit » (jugement sur la peine, par. 65).
[77] La Cour d’appel infirme le jugement. Elle estime que la connaissance spécifique de l’Ordonnance de sauvegarde est requise et que, tout comme la connaissance de l’actus reus, cette connaissance n’a pas été établie hors de tout doute raisonnable.
[78] Avec égards, la Cour d’appel a selon moi eu tort d’infirmer la décision du juge de première instance. Puisque la conclusion du juge de première instance, selon laquelle l’art. 761 C.p.c. ne s’appliquait pas, n’était pas contestée devant la Cour d’appel et devant notre Cour, l’analyse porte essentiellement sur l’art. 50 al. 1 C.p.c. En matière d’outrage au tribunal fondé sur la dernière partie de cet alinéa, j’estime que la preuve de la connaissance spécifique de l’ordonnance n’est pas requise. Il suffit, pour le poursuivant en semblable matière, d’établir hors de tout doute raisonnable que le défendeur savait que des ordonnances existaient et qu’elles contenaient, comme l’Ordonnance de sauvegarde, les mêmes termes qu’il a incité les citoyens à violer. En ce qui concerne l’actus reus, la Cour d’appel a, à mon sens, erronément substitué sa propre évaluation des propos de l’intimé à celle du juge de première instance. Finalement, je suis d’avis que la conclusion du juge de première instance sur la preuve de la mens rea est conforme à la règle de droit applicable. J’accueillerais le pourvoi et je rétablirais la déclaration de culpabilité de l’intimé pour outrage au tribunal. Je ne modifierais pas la peine infligée par le juge de première instance.
III. Analyse
A. Principes
[79] En matière d’outrage au tribunal, les circonstances dans lesquelles l’ordonnance est prononcée doivent être examinées avec attention (Zhang c. Chau (2003), 229 D.L.R. (4th) 298 (C.A. Qc), par. 31, autorisation d’appel refusée, [2003] 3 R.C.S. v). En l’espèce, l’examen des jugements de la Cour supérieure et de la Cour d’appel révèle que la situation au Québec était explosive, de nombreuses ordonnances des tribunaux n’étaient pas respectées et des manifestations populaires, au départ pacifiques, dégénéraient quotidiennement.
[80] Il convient de rappeler le lien essentiel entre la sanction de l’outrage au tribunal et la préservation de la primauté du droit. Comme le souligne la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, p. 931 :
Tant l’outrage civil au tribunal que l’outrage criminel au tribunal reposent sur le pouvoir de la cour de maintenir sa dignité et sa procédure. La primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l’ordre et le bon gouvernement n’existent pas. La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû.
[81] Autrement dit, la condamnation pour outrage au tribunal fait partie des outils essentiels pour assurer la primauté du droit dans une société démocratique et pour garantir que l’ordre social prime sur le chaos (C. Gervais, L’injonction (2e éd. 2005), p. 123). Il est acquis que cette procédure, que ce soit en matière civile ou criminelle, a pour but de sauvegarder la confiance du public dans l’administration de la justice et d’assurer le fonctionnement harmonieux des tribunaux (A. Popovici, L’outrage au tribunal (1977), p. 98-99; Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c. Cutter (Canada), Ltd., [1983] 2 R.C.S. 388). En conséquence, toute forme d’outrage implique une entrave à la bonne administration de la justice qui s’attaque au cœur même de la primauté du droit (Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean bleu inc., 2012 QCCA 1663, par. 65 (CanLII), citant Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065).
[82] Il est donc primordial que tous les acteurs d’une société civile dite démocratique adhèrent à cet idéal et que les tribunaux restent vigilants et assurent le respect des ordonnances qu’ils prononcent. Cette vigilance est particulièrement cruciale en période de crise ou d’agitation sociale, telle celle qu’a vécue le Québec durant le « printemps érable ». Dans un tel climat, l’incitation à désobéir aux ordonnances des tribunaux engendre le désordre et met en péril les libertés fondamentales. [traduction] « La fragilité de la primauté du droit est telle qu’aucune personne désireuse de jouir des avantages de ce principe ne saurait être autorisée à déroger à ses préceptes pour quelque moment d’anarchie occasionnelle, et ce, aussi impérieuse ou par ailleurs convaincante que puisse être la cause que ces moments d’anarchie visent à soutenir » (R. c. Bridges (1989), 61 D.L.R. (4th) 154 (C.S. C.-B.), p. 157, le juge Wood, conf. par (1990), 54 B.C.L.R. (2d) 273 (C.A.), cité avec approbation dans MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.), par. 6, et dans R. c. Krawczyk, 2009 BCCA 250, 275 B.C.A.C. 6, par. 32, autorisation d’appel refusée, [2010] 1 R.C.S. xi; voir également Canada Metal Co. c. Canadian Broadcasting Corp. (No. 2) (1974), 4 O.R. (2d) 585 (H.C.J.), p. 613, conf. par (1975), 11 O.R. (2d) 167 (C.A.)).
[83] Ainsi, en matière d’outrage au tribunal, il ne faut pas réduire à une simple question de procédure et de fardeau de preuve le véritable enjeu juridique, soit le respect de l’autorité des tribunaux, puisque la résolution juste et équitable du litige est tributaire des circonstances et des conséquences liées aux actes reprochés.
[84] Cela dit, il coule de source que le pouvoir de sanctionner l’outrage au tribunal est exceptionnel et ne doit être exercé qu’en dernier recours (Centre commercial Les Rivières, par. 7; Constructions Louisbourg ltée c. Société Radio-Canada, 2014 QCCA 155, par. 26 (CanLII)). L’exercice de ce pouvoir est néanmoins justifié lorsqu’une condamnation pour outrage au tribunal s’impose afin d’appuyer l’intégrité du système de justice et d’assurer sa crédibilité auprès des justiciables (Echostar Satellite Corp. c. Lis, 2004 CanLII 2156 (C.S. Qc), par. 21). Cela dit, en raison de la nature d’une telle ordonnance, son prononcé exige le respect de conditions d’application strictes, notamment la norme de preuve hors de tout doute raisonnable applicable en droit criminel (art. 53.1 al. 1 C.p.c.). Cela ne veut pas dire pour autant que l’application de ce pouvoir doit être à ce point ardue que celui-ci ne peut plus concrètement être exercé.
[85] Force est de constater, comme le soulignait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Procom Immobilier Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1992] R.D.J. 561, cité dans Zhang, que même si les règles procédurales portant sur l’outrage au tribunal sont d’application stricte, strictissimi juris, cela ne veut pas dire que la cour doit tolérer la violation de ces ordonnances ou qu’elle doit permettre d’ignorer ou pire encore d’inciter à défier une injonction au nom d’un formalisme artificiel et excessif. Voir, également, Gervais, p. 125-126.
B. Le préavis de l’art. 50 al. 1 C.p.c., in fine
[86] Je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle, en l’espèce, il ne fait aucun doute que l’intimé savait précisément qu’il devait répondre à l’accusation d’outrage portée en vertu de l’art. 761 C.p.c. et de l’ensemble de l’art. 50 al. 1 C.p.c.
[87] Je reconnais que le libellé de la requête de l’appelant qui demandait que l’intimé soit assigné à comparaître pour outrage au tribunal se référait uniquement à l’art. 761 C.p.c. Lors de sa comparution, l’avocat de l’appelant a précisé que ce dernier invoquait aussi la violation du par. 60 de l’Ordonnance de sauvegarde, à savoir la violation de celle-ci en accomplissant « toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours ». Cette prétention reprend les éléments essentiels de l’art. 761 C.p.c. et de la première partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. Les deux dispositions couvrent ainsi les infractions fondées sur la violation par le défendeur d’une ordonnance de la Cour supérieure.
[88] L’ordonnance spéciale de comparaître, dont l’intimé a reçu signification, fait expressément état des art. 50 et 761 C.p.c. Puisque cette ordonnance ne cite pas seulement une partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., il est loisible de conclure que les deux articles sont au cœur du litige. De plus, les faits que l’appelant reproche à l’intimé dans sa requête, ainsi que la description des allégations formulées contre ce dernier dans l’ordonnance spéciale ― notamment qu’il a « incité publiquement les gens à contrevenir à » l’Ordonnance de sauvegarde ― sont visés par la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. (voir le jugement de première instance, par. 61-62; jugement de la Cour d’appel, par. 44). Finalement, lors du procès, l’intimé a présenté des arguments portant sur cette disposition, soulignant « qu’il n’a pas agi de manière à entraver le cours normal de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal » (jugement de première instance, par. 32). Avec égards pour l’opinion contraire, il est raisonnable d’affirmer que l’intimé savait qu’il devait aussi répondre aux allégations d’outrage au tribunal fondées sur la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c.
[89] En conséquence, au vu de l’ensemble des circonstances, je suis d’avis que l’intimé a reçu une notification suffisamment claire et précise de l’accusation d’outrage portant sur une contravention de l’art. 50 al. 1 C.p.c. L’accusation déposée contre l’intimé était précise, car les propos exacts à l’origine de l’accusation ainsi que les articles pertinents du C.p.c. étaient reproduits (Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048; Re Awada (1970), 13 C.R.N.S. 127 (C.A. Qc)). Il connaissait la nature de l’accusation et avait reçu tous les détails pertinents (Droit de la famille ― 122875, 2012 QCCA 1855, 29 R.F.L. (7th) 137, par. 27). Il était pleinement conscient de l’accusation portée contre lui et il avait la possibilité d’y répondre (Iron Ore Co. of Canada c. United Steel Workers of America, Local 5795 (1979), 20 Nfld. & P.E.I.R. 27 (C.A. T.-N.), par. 45, le juge Gushue, autorisation d’appel refusée, [1979] 1 R.C.S. viii). Un « formalisme artificiel et excessif » ne saurait s’appliquer (Procom, p. 563). Dans l’évaluation de la preuve des faits, le juge de première instance était donc justifié de décider si, en incitant d’autres personnes à violer l’Ordonnance de sauvegarde, comme il lui était reproché de l’avoir fait, l’intimé a agi de manière à entraver le cours de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal, suivant les termes de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. (par. 64).
C. La connaissance de l’ordonnance
[90] J’estime que la connaissance spécifique d’une ordonnance que l’intimé a, prétend-on, incité d’autres citoyens à enfreindre n’est pas essentielle pour que ce dernier soit déclaré coupable d’outrage au tribunal en vertu de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c.
[91] En l’espèce, il ne s’agit pas d’une ordonnance à laquelle l’intimé a lui-même désobéi. Il s’agit plutôt d’une ordonnance, parmi plusieurs autres ordonnances semblables, à laquelle l’intimé est accusé d’avoir contrevenu en incitant d’autres étudiants à y désobéir. Partant, l’outrage au tribunal allégué en l’espèce ne vise pas vraiment la violation de l’Ordonnance de sauvegarde elle-même (la première partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c.), mais plutôt un comportement ayant porté atteinte à l’autorité du tribunal (la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c.). La deuxième de ces infractions est de portée plus générale que la seule violation des ordonnances. C’est pourquoi une condamnation pour outrage au tribunal est possible, sous le régime de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., même si l’ordonnance sous-jacente n’a pas encore pris effet. Comme l’a reconnu le juge Dickson (plus tard Juge en chef) au nom de la Cour dans l’arrêt Baxter, p. 396-397 :
Les pouvoirs de la cour en matière d’outrage ont pour but général d’assurer le fonctionnement harmonieux du système judiciaire. L’outrage au tribunal va beaucoup plus loin que la violation des ordonnances de la cour. . .
L’outrage relatif à des injonctions a toujours été de portée plus générale que la violation réelle d’une injonction. Le juge Cattanach le reconnaît en l’espèce. Thomas Maxwell est désigné dans l’ordonnance de justification comme auteur d’un outrage au tribunal à titre personnel bien qu’il ne soit pas partie à l’action. Il n’est pas personnellement lié par l’injonction et il ne pouvait donc pas être personnellement coupable de violation. Néanmoins, le juge Cattanach a reconnu qu’il pouvait quand même être déclaré coupable d’outrage, si en toute connaissance de l’existence de l’injonction, il a contrevenu à ses conditions. Bien qu’il ne s’agisse pas formellement de la violation d’une injonction, une telle conduite constitue un outrage au tribunal parce qu’elle tend à entraver le cours de la justice; Kerr on Injunctions, 6e éd., 1927, à la p. 675; Poje v. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516. [Je souligne.]
[92] Le juge doit alors apprécier la nature et l’étendue de la connaissance de l’ordonnance en cause afin de décider si le défendeur est, hors de tout doute raisonnable, coupable d’outrage au tribunal selon la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., pour le motif qu’il a incité d’autres personnes à désobéir à cette ordonnance.
[93] Dans l’arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217, p. 225, il est exact que notre Cour a précisé que la preuve doit démontrer « la connaissance personnelle réelle [par le défendeur] de l’ordonnance d’un tribunal ». Le droit québécois en matière d’outrage au tribunal tire sa source de la common law, dont les règles s’appliquent à moins d’avoir été écartées expressément (Vidéotron, le juge Gonthier; Société Radio-Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618, p. 644, le juge Beetz; D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec (5e éd. 2015), vol. 1, p. 302-303).
[94] Toutefois, l’arrêt Bhatnager et d’autres décisions importantes en la matière ne précisent pas ce qui constitue la connaissance « personnelle réelle ». Elles ne déclarent pas non plus que cette connaissance doit être spécifique. Voir, à titre d’exemple, Carey c. Laiken, 2015 CSC 17, [2015] 2 R.C.S. 79, par. 34; et College of Optometrists (Ont.) c. SHS Optical Ltd., 2008 ONCA 685, 241 O.A.C. 225, par. 71. Ce qui est clair, c’est qu’il n’est pas nécessaire que le défendeur ait reçu signification de l’ordonnance. La connaissance peut toujours être inférée de la preuve circonstancielle (Bhatnager, p. 226; Estrada c. Young, 2005 QCCA 493, par. 11 (CanLII)). L’inférence doit être raisonnable compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant le bon sens et l’expérience humaine (R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1001, par. 36).
[95] L’arrêt Re Tilco Plastics Ltd. c. Skurjat, [1966] 2 O.R. 547 (H.C.J.), conf. par [1967] 2 C.C.C. 196 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [1966] R.C.S. vii, constitue un exemple pertinent de connaissance inférée. Dans cet arrêt, il était allégué que les manifestants avaient violé une ordonnance limitant le piquetage autour d’un lieu de travail. La plupart des manifestants n’étaient ni nommés dans l’ordonnance, ni parties à l’action dans laquelle elle avait été prononcée. Néanmoins, la cour a apprécié la preuve circonstancielle, notamment le fait que la presse régionale avait informé le public de l’existence et du contenu de l’ordonnance, et le fait que plusieurs affiches brandies par certains manifestants durant leur piquetage référaient de façon générale aux ordonnances d’injonction. La cour a conclu qu’il avait été démontré hors de tout doute raisonnable que les manifestants connaissaient la nature et le contenu de l’ordonnance et les a reconnus coupables d’outrage au tribunal : [traduction] « . . . il est très peu probable, compte tenu des autres circonstances établies, que les autres intimés n’aient pas appris l’existence de l’ordonnance par l’entremise de la radio et de la télévision, ainsi que par la notoriété dont jouissait cette situation dans la communauté » (Tilco Plastics, p. 570).
[96] Dans l’arrêt Avery c. Andrews (1882), 51 L.J. Ch. 414, mentionné dans Bhatnager, le tribunal a estimé que certains défendeurs, nouveaux fiduciaires d’une société, possédaient une connaissance suffisante du contenu d’une ordonnance d’injonction visant et nommant seulement les anciens fiduciaires, même si ces défendeurs avaient prétendu n’avoir jamais vu l’ordonnance ou une copie de celle-ci. Le tribunal a décidé que ces défendeurs étaient [traduction] « au fait des effets de l’ordonnance », étant donné qu’ils avaient assisté à une réunion pendant laquelle une lettre conseillant à la société de consentir à l’ordonnance était lue, et qu’un journal local avait publié un résumé complet du recours dans lequel l’ordonnance avait été rendue (p. 415-416).
[97] En conséquence, la question de la connaissance requiert une évaluation contextuelle. Dans Bhatnager, p. 225, notre Cour a cité et approuvé les propos suivants du lord juge Thesiger dans l’arrêt Ex parte Langley (1879), 13 Ch. D. 110 (C.A.), p. 119 :
[traduction] . . . la question dans chaque cas, et selon les circonstances particulières de l’affaire, doit être : y a‑t‑il eu un avis donné à la personne accusée d’outrage au tribunal qui permette de déduire des faits qu’elle a effectivement reçu un avis de l’ordonnance qui avait été rendue? Et dans une affaire de ce genre, compte tenu du fait qu’il peut y avoir atteinte à la liberté de la personne, je suis d’avis que ceux qui affirment qu’il y a eu un tel avis sont tenus de le démontrer hors de tout doute raisonnable. [Je souligne.]
[98] Ainsi, le juge Baudouin de la Cour d’appel du Québec a souligné ce qui suit dans l’arrêt Zhang : [traduction] « . . . les tribunaux doivent, d’une part, examiner le contexte dans lequel l’ordonnance a été rendue et l’évaluer selon les circonstances spécifiques et particulières de la cause puis, d’autre part, se demander si le défendeur aurait ou non raisonnablement pu savoir que ses actes ou omissions étaient visés par l’ordonnance » (par. 31 (je souligne)).
[99] Cela dit, lorsque l’accusation d’outrage au tribunal reproche au défendeur d’avoir incité d’autres personnes à violer une ordonnance, en contravention de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., je suis d’avis que la preuve doit établir hors de tout doute raisonnable que le défendeur savait que l’ordonnance en cause existait ou qu’il existait des ordonnances semblables contenant les mêmes conditions qu’il a encouragé d’autres personnes à ne pas respecter. En d’autres mots, la preuve doit établir, d’une part, que le défendeur connaissait l’existence d’une ou de plusieurs ordonnances en vigueur au moment de l’infraction et, d’autre part, qu’il était en mesure de savoir que ses actes ou ses paroles contrevenaient à ces ordonnances.
[100] En l’espèce, une analyse contextuelle des propos de l’intimé ne peut mener qu’à une seule conclusion raisonnable (Villaroman, par. 30; R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42, par. 33, la juge Charron pour la majorité), soit que l’intimé avait la connaissance requise de la nature et de la portée des ordonnances.
[101] La connaissance des ordonnances étant une question de fait, la conclusion du tribunal de première instance à cet égard commande la déférence. Même si la Cour d’appel remet en cause certains faits constatés par le juge de première instance qui sont tributaires de la connaissance, ainsi que les inférences qu’en a tirées le juge, ces reproches concernent pour la plupart la preuve de la connaissance spécifique de l’Ordonnance de sauvegarde, connaissance qui, tel qu’il a été expliqué plus haut, n’est pas nécessaire.
[102] À mon avis, tant l’approche adoptée par la Cour d’appel, que celle avancée par l’intimé lors de l’audience de notre Cour sont erronées. Si la preuve de la connaissance est circonstancielle, il faut alors examiner toutes les circonstances. Or, la Cour d’appel a affirmé que, dans le cadre de l’analyse de la connaissance de l’intimé, il fallait s’attarder à la réponse donnée par l’intimé lors de l’entrevue, plutôt qu’aux questions posées par la journaliste (par. 56). De même, l’intimé suggère d’ignorer les paroles de M. Bureau-Blouin sur le même sujet qui ont été diffusées juste avant. Une telle approche surprend et laisse perplexe. Comment peut-on procéder à une véritable évaluation contextuelle et circonstancielle en acceptant la preuve de certaines circonstances mais en écartant certaines autres? Avec égards pour l’opinion contraire, j’estime qu’une telle analyse est perfectible et incomplète.
[103] Considérées dans le contexte de l’ensemble de l’entrevue, comme l’a fait le juge de première instance, les paroles de l’intimé démontrent au-delà de tout doute raisonnable que l’intimé connaissait l’existence des ordonnances, ainsi que la teneur et la portée de celles-ci ― c’est-à-dire l’obligation de laisser aux étudiants le libre accès à leurs cours.
[104] Comme le constate le juge de première instance, l’intimé « lui-même fait directement référence aux ordonnances rendues par les tribunaux ordonnant le libre accès des étudiants à leurs cours » (par. 81). Pendant l’entrevue télévisée, l’intimé dit qu’il est « tout à fait regrettable là qu’il y ait vraiment une minorité d’étudiants et d’étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective » de boycotter les cours (jugement de la Cour d’appel, par. 15 (je souligne)). Ces propos de l’intimé suivent la réponse de M. Bureau-Blouin, lequel mentionne qu’il y a des « injonctions », « des ordres précis de la Cour, pour ne pas bloquer le passage de certains étudiants » (ibid.). L’intimé a tenu les propos reproduits ci-dessus après avoir entendu cette réponse de M. Bureau-Blouin.
[105] Prétendre que l’intimé ne savait pas qu’il y avait des ordonnances dont les conditions pertinentes interdisaient de bloquer l’accès des étudiants à leurs cours fait totalement abstraction du contexte mis en preuve devant le juge de première instance. Même si c’était là une interprétation des faits théoriquement possible, le juge des faits ne devait pas s’appuyer sur des interprétations qu’il considère comme déraisonnables (Villaroman, par. 42). L’Ordonnance de sauvegarde faisait partie des mesures dont l’intimé connaissait pertinemment la teneur. Ainsi que le souligne le juge de première instance, au par. 82, « [d]ans ce contexte, [l’intimé] ne peut prétendre [. . .] [qu’]il référait à toutes les autres ordonnances rendues par les tribunaux protégeant l’accès pour les étudiants à leurs cours, sauf celle du juge Émond. » De plus, comme a conclu le juge de première instance, et c’était là l’essentiel de son raisonnement, l’intimé connaissait la teneur des ordonnances et il a incité les étudiants à contrevenir à celles-ci pendant l’entrevue télévisée.
D. L’actus reus
[106] Je suis d’avis que la conclusion du juge de première instance sur l’actus reus mérite déférence. Avec égards, la Cour d’appel n’a relevé aucune erreur manifeste et déterminante dans le raisonnement du juge de première instance sur la nature et la connaissance de l’actus reus. Elle a tout simplement qualifié différemment la même trame factuelle.
[107] L’actus reus correspondant à la première partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. est une contravention à une ordonnance ou à une injonction d’un tribunal ou d’un de ses juges. Par contre, l’actus reus visé par la dernière partie de cette disposition s’entend de toute action qui entrave ou tend à entraver le cours normal de l’administration de la justice, ainsi que de toute action qui porte ou tend à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal (Baxter, p. 396; B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, le juge en chef Dickson; Hébert c. Procureur général du Québec, [1966] J.Q. no 15 (QL) (B.R.), par. 71-73, le juge en chef Tremblay). Il faut que le risque de préjudice pour l’administration de la justice ou pour l’autorité du tribunal soit sérieux, réel ou substantiel (Attorney-General c. Times Newspapers Ltd., [1973] 3 All E.R. 54 (H.L.), p. 66-67, cité dans R. c. Kopyto (1987), 62 O.R. (2d) 449 (C.A.), p. 512, le juge Dubin, dissident en partie). L’incitation et l’encouragement à désobéir à une injonction ou à une ordonnance peuvent constituer l’actus reus de l’infraction prévue à la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. (Charbonneau c. Procureur général du Québec, [1973] R.P. 10 (C.A.); Boon-Strachan Coal Co. c. Campbell, [1981] C.S. 923; P.-A. Gendreau et autres, L’injonction (1998), p. 356).
[108] À la lumière de ces principes, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion du juge de première instance sur la nature de l’actus reus ou dans le raisonnement qui l’a amené à conclure ainsi. Ce dernier n’a pas « prêt[é] des intentions » à l’intimé (jugement de la Cour d’appel, par. 71). Il a procédé à une analyse contextuelle raisonnée, alors que la Cour d’appel a plutôt entrepris une analyse fragmentaire de la preuve. De plus, le juge de première instance était le mieux placé pour réaliser cette analyse.
[109] Appréciées dans le contexte de l’ensemble de l’entrevue, les paroles de l’intimé démontrent au-delà de tout doute raisonnable que l’intimé exprimait davantage que son simple désaccord avec la judiciarisation du conflit étudiant. L’intimé ― qui était porte-parole de la CLASSE et un des leaders du mouvement étudiant ― a déclaré pendant l’entrevue télévisée portant sur le conflit sévissant alors au Québec, au cours duquel des étudiants ont sollicité l’aide des tribunaux afin de pouvoir accéder à leurs salles de cours, que, selon lui, il était « tout à fait légitime » pour les étudiants et les étudiantes de prendre « les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève », même « si ça pren[ait] des lignes de piquetage » (jugement de la Cour d’appel, par. 15 (je souligne)). L’intimé a fait ces remarques après celles de M. Bureau-Blouin, qui a plutôt invité les étudiants à respecter les ordonnances d’injonctions, et immédiatement après la question de la journaliste, lui demandant s’il « encourage[ait] encore les piquets de grève pour empêcher [les étudiants d’entrer] » (ibid. (je souligne)).
[110] Selon le juge de première instance, il ne faisait aucun doute que, dans ce contexte, « faire respecter le vote de grève » ou « faire respecter le choix démocratique qui a été fait d’aller en grève » voulait dire « empêcher l’accès aux étudiants à leurs cours, voire même par le piquetage, malgré les injonctions, le tout afin de faire respecter le vote tenu par les étudiants favorables au boycottage » (par. 94 et 96-97). Dans ces circonstances, aucune autre inférence raisonnable et logique ne peut être tirée de ces propos. De plus, la déclaration de l’intimé selon laquelle il est « légitime » de prendre les « moyens nécessaires » à cette fin, faite en réponse à la question de savoir s’il « encourage[ait] encore les piquets de grève pour empêcher [les étudiants d’entrer] », relève de l’incitation. Il n’y avait alors aucun doute que les paroles de l’intimé constituaient une incitation à contrevenir aux conditions de l’Ordonnance de sauvegarde, ainsi qu’aux autres ordonnances visant à assurer l’accès des étudiants à leurs cours. L’Ordonnance de sauvegarde interdisait à toutes les personnes qui boycottaient les cours « d’obstruer ou de nuire à l’accès aux cours par intimidation ou de poser toute action susceptible d’empêcher ou d’affecter négativement l’accès à ces cours » (par. 60). Les autres ordonnances imposaient les mêmes restrictions.
[111] La conclusion de la Cour d’appel selon laquelle « [r]ien ne permet de conclure que les “moyens de pressionˮ dont [l’intimé] parle sont autres choses que des moyens légaux », et que, de toute manière, ses propos « comportent une ambiguïté irrésoluble » étonne (par. 71-72). En effet, on ne peut conclure ainsi à moins de donner aux paroles de l’intimé une signification latitudinaire qui s’éloigne de la logique et de la raisonnabilité. À quoi peuvent bien référer les mots « les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève », sinon aux moyens d’empêcher l’accès aux cours, en contravention des conditions de l’Ordonnance de sauvegarde? Soit dit en tout respect, la conclusion de la Cour d’appel fait abstraction du contexte et témoigne d’un formalisme artificiel et excessif, car elle permet à l’intimé de [traduction] « se réfugier derrière une interprétation restrictive et littérale pour contourner l’ordonnance ainsi que pour la tourner en dérision de même que l’administration de la justice » (Zhang, par. 32).
[112] De l’avis du juge de première instance, par ses paroles, l’intimé « prôn[ait] [. . .] l’anarchie et encourage[ait] la désobéissance civile » (par. 95). Le juge a également conclu que l’incitation par l’intimé au non-respect des ordonnances, dont celle obtenue par l’appelant, portait une atteinte grave à l’autorité des tribunaux (par. 109). Je suis d’accord. Lors d’une entrevue télévisée largement diffusée, l’intimé incitait publiquement à la violation des ordonnances des tribunaux au beau milieu du conflit. Il a formulé ces propos en sa qualité de porte-parole de la CLASSE, ce qui ajoutait au risque de nuire à l’autorité et de miner la crédibilité des tribunaux (Re Ouellet (No. 1) (1976), 28 C.C.C. (2d) 338 (C.S. Qc), modifié pour d’autres motifs, [1976] C.A. 788). Dans ce contexte, le risque de préjudice pour l’autorité du tribunal était suffisamment sérieux et substantiel pour que le juge de première instance soit justifié d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de prononcer la culpabilité de l’intimé.
E. La mens rea
[113] Je n’interviendrai pas à l’égard de la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’intimé possédait la mens rea nécessaire pour être reconnu coupable d’outrage au tribunal en vertu de la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. La Cour d’appel n’a pas examiné cette question vu ses conclusions sur la connaissance et l’actus reus.
[114] Le juge de première instance a estimé qu’il ressortait manifestement de l’examen du contexte particulier de l’entrevue télévisée que l’intimé incitait et avait l’intention d’inciter les citoyens à contrevenir aux ordonnances prononcées par les tribunaux. Il a donc conclu que l’appelant avait satisfait au fardeau qui lui incombait de prouver la mens rea hors de tout doute raisonnable, et ce, suivant un degré d’intention qui semble être plus exigeant que nécessaire.
[115] Dans l’arrêt Daigle c. Corporation municipale de la Paroisse de St-Gabriel de Brandon, [1991] R.D.J. 249 (C.A.), la Cour d’appel a décrit comme suit la mens rea requise pour l’application de l’art. 50 al. 1 C.p.c. :
Dans le contexte particulier de l’article 50 [C.p.c.], la mens rea qui constitue un élément essentiel du comportement de l’intimé peut se manifester de deux façons : ou bien l’attitude du débiteur de l’obligation reconnue par le jugement démontre une intention évidente de ne pas l’exécuter; ou bien il y a donné suite d’une façon qui, en plus d’être insatisfaisante, révèle de sa part une insouciance grossière à en respecter, sinon la lettre, du moins l’esprit dans lequel elle lui a été imposée. [Je souligne; p. 253.]
[116] Cependant, cette description concerne la violation d’une ordonnance et, de ce fait, la première partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. Dans l’arrêt Carey, une décision récente sur le sujet en common law, notre Cour a décidé que le droit n’exige pas, pour qu’il soit satisfait aux éléments constitutifs de l’outrage en matière civile, que le défendeur ait violé une injonction avec l’intention d’y désobéir ou d’entraver l’administration de la justice. Au civil, il suffit que le poursuivant prouve hors de tout doute raisonnable que le défendeur a intentionnellement agi — ou omis d’agir — en violation d’une ordonnance claire, dont il avait connaissance. En conséquence, seules des actions spontanées ou accidentelles ne sauraient satisfaire à l’exigence relative à l’intention (l’honorable R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (éd. feuilles mobiles), p. 6-18).
[117] Pour ce qui est des tiers, c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas visées par une ordonnance, la situation n’est pas aussi claire. Selon le juge Sharpe de la Cour d’appel de l’Ontario, en Angleterre et en Australie, il est établi que la preuve de l’intention d’entraver l’administration de la justice est requise dans le cas des tiers qui ne sont pas visés par l’injonction en question (p. 6-26). Notre Cour a commenté ce point dans Carey, mais ne l’a pas tranché (par. 45-46). D’après la jurisprudence canadienne existante, il semble que l’intention d’entraver l’administration de la justice ou de porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction d’outrage au tribunal en matière civile dans le cas de la violation d’une ordonnance. Voir, à titre d’exemple, B.C.G.E.U.; et Droit de la famille, par. 30, où le juge d’appel Dalphond fait siens les propos formulés par le juge Saunders de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’arrêt Godin c. Godin, 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204, par. 47.
[118] Même dans les cas d’outrage en matière criminelle, l’intention de miner sciemment l’autorité de la cour n’est pas requise; l’insouciance à l’égard de cette conséquence suffit. L’appelant prétend en effet que, aux termes de l’arrêt United Nurses, il doit être prouvé que, par les actes ou paroles qui lui sont reprochés, « l’accusé a [. . .] contribu[é] à miner l’autorité de la cour, en le sachant ou sans s’en soucier » (p. 933). En raison de la dualité ― civile et criminelle ― de l’infraction d’outrage au tribunal et du fait qu’en visant l’intérêt du public à la sauvegarde de l’administration de la justice, la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c., implique la nature quasi criminelle de l’outrage (Poje c. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516), cette prétention de l’appelant est raisonnable. D’ailleurs, la notion de mens rea, telle qu’elle est plaidée en l’espèce, ressemble à celle exposée dans Daigle, sans être rattachée à l’intention de violer une ordonnance par le défendeur lui-même.
[119] À supposer que la mens rea plus exigeante liée à l’outrage criminel s’applique en l’espèce, sans toutefois décider ce point, la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l’intimé possédait cette mens rea.
[120] Dans United Nurses, la juge McLachlin, écrivant au nom de la majorité, a expliqué que le caractère public de l’action à l’origine de l’outrage reproché permet d’inférer l’insouciance :
Une transgression patente et publique d’une ordonnance de la cour tendra à miner l’autorité de celle‑ci. Par conséquent, lorsqu’il ressort de la preuve que l’accusé devait savoir que sa transgression serait publique, il peut être inféré qu’à tout le moins, il ne se souciait pas de savoir s’il y aurait outrage à l’autorité de la cour. [p. 933]
[121] Vu le contexte dans lequel l’intimé a prononcé ses paroles ― à savoir à l’occasion d’une entrevue télévisée largement diffusée au Québec ―, il savait que sa transgression serait publique et, conformément à l’arrêt United Nurses, il est permis d’inférer qu’à tout le moins il ne se souciait pas de savoir s’il y aurait atteinte à l’autorité de la cour. La preuve présentée en première instance satisfait aux exigences de la mens rea de l’infraction prévue à la dernière partie de l’art. 50 al. 1 C.p.c. : l’appelant a démontré hors de tout doute raisonnable que l’intimé a publiquement incité les étudiants à violer les conditions des ordonnances judiciaires dont il connaissait la teneur et la portée, y compris l’Ordonnance de sauvegarde, et qu’il était, au mieux, insouciant à l’égard de la possibilité que ses propos portent atteinte à l’autorité des tribunaux.
F. La liberté d’expression
[122] Avant d’aborder le volet de la peine, je crois opportun de commenter brièvement la question de la liberté d’expression. Les parties et les intervenants l’ont débattue avec vigueur, et la Cour d’appel y a consacré quelques paragraphes de son arrêt (par. 73-76). Puisque le droit d’une personne d’exprimer ses opinions en public est protégé par l’al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et également, au Québec, par l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, la Cour d’appel a souligné l’importance « d’être conscient de cette dimension dans l’évaluation des propos tenus pour pallier le risque de paralyser l’exercice de ce droit fondamental ou d’imposer indirectement une certaine forme de censure » (par. 76).
[123] L’importance de la liberté d’expression et de sa protection dans une société démocratique ne saurait jamais être exagérée, et je souscris entièrement au souci exprimé par la Cour d’appel sur le besoin de protéger le mieux possible la liberté d’expression sous toutes ses formes. Cela dit, l’idée de lier l’incitation à violer une ordonnance d’un tribunal à l’exercice légitime de la liberté d’expression peut surprendre. Le jugement contesté et les propos qui sont à l’origine de celui-ci n’ont rien à voir avec la protection de la liberté d’expression. On ne peut, sous prétexte d’exercer sa liberté d’expression, inciter des citoyens à violer une ordonnance de la cour. D’autres remèdes existent pour contester le bien-fondé des décisions d’une cour de justice.
[124] La primauté du droit est à la base de nos libertés et constitue le fondement même de la Charte canadienne (B.C.G.E.U. ), ainsi que le précise le préambule de cette dernière : « . . . le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent [. . .] la primauté du droit ». D’ailleurs, si nos libertés, dont la liberté d’expression, continuent de s’épanouir aujourd’hui, c’est grâce à la primauté du droit. Comme l’explique de manière éloquente le juge Wood, dans Bridges :
[traduction] Tout ce que nous avons aujourd’hui, et que nous chérissons dans ce pays libre et démocratique, nous l’avons grâce à la primauté du droit. C’est aussi grâce à elle que nous jouissons aujourd’hui de la liberté de religion et de la liberté d’expression. Votre droit d’avoir les croyances qui sont les vôtres et de les épouser avec la ferveur que vous souhaitez ainsi que celui de tenter de persuader les autres de votre point de vue existent uniquement grâce à la primauté du droit. Sans cette dernière, n’existerait que la loi du plus fort, et la Charte canadienne des droits et libertés , que certains d’entre vous ont invoquée, ne serait rien de plus qu’un autre morceau de parchemin à la dérive sur la route intemporelle de l’histoire de l’humanité. [p. 156]
[125] En conséquence, le fait d’assurer le respect des ordonnances prononcées par les tribunaux et, ainsi, de maintenir l’autorité et la crédibilité de ceux-ci, a pour effet d’appuyer le principe de la primauté du droit et, par ricochet, nos libertés fondamentales, dont la liberté d’expression :
[traduction] Au cours des siècles, nos régimes législatifs ont été conçus pour offrir une protection optimale à toutes les classes sociales et ce n’est que grâce à la liberté et à l’indépendance des tribunaux que ces privilèges sont protégés. Dès lors qu’on fait fi de nos lois et que nos tribunaux sont traités avec mépris, tout le tissu de nos libertés s’effile. Ne reste alors que le recours aux méthodes du Moyen Âge lorsque la seule règle de droit reconnue était la loi du plus fort. Qu’une loi soit violée et que cette violation soit ignorée ne constitue qu’une incitation à en bafouer d’autres et, de fils en aiguille, ne peut qu’entraîner la disparition de la liberté que garantit notre droit et que nous chérissons.
(Canadian Transport Co. c. Alsbury (1952), 6 W.W.R. (N.S.) 473 (C.S. C.-B.), p. 478, conf. par [1953] 1 D.L.R. 385 (C.A. C.-B.), conf. par l’arrêt Poje.)
[126] Selon le juge de première instance, en incitant à désobéir aux ordonnances rendues par les tribunaux, l’intimé prônait dans les faits l’anarchie et encourageait à la désobéissance civile (par. 95). À la lumière des enseignements susmentionnés, il nuisait donc aux libertés mêmes qu’il prétendait exercer, puisqu’il s’attaquait à la capacité des tribunaux de les faire respecter.
G. La peine
[127] L’intimé avance deux arguments au soutien de son appel sur la peine qui lui a été infligée. Premièrement, il prétend que, durant la dernière audience portant sur la peine, le juge de première instance a considéré une vidéo qui avait préalablement été déclarée inadmissible, étant donné qu’elle avait été tournée le 7 avril 2012, avant l’Ordonnance de sauvegarde rendue le 2 mai 2012. L’intimé demande que cet élément ne soit pas pris en compte. Deuxièmement, il plaide que l’adoption au même moment de la Loi 12 soit considérée comme un facteur atténuant, puisqu’au moment de l’infliction de la peine, il n’était plus nécessaire de dissuader les délinquants potentiels. En raison de ce contexte, il affirme que la peine qui lui a été imposée par le juge de première instance était déraisonnable et largement disproportionnée. À mon avis, il a tort.
[128] En ce qui concerne l’argument portant sur la vidéo, le juge de première instance a correctement souligné qu’il y a un assouplissement des règles relatives à l’admissibilité de la preuve à l’étape de la détermination de la peine (R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, p. 414). De plus, je suis d’avis qu’une lecture attentive des motifs du juge démontre que la vidéo ne l’a pas amené à infliger une peine déraisonnable.
[129] J’aborde maintenant le deuxième argument de l’intimé. L’article 32 al. 1 de la Loi 12 précise que les ordonnances visant à garantir aux étudiants les services d’enseignement auxquels ils ont droit cessaient de s’appliquer à partir du 18 mai 2012. Cependant, au moment où l’intimé a prononcé les paroles constituant l’outrage ― le 13 mai 2012 ― ces ordonnances, dont celle concernant l’appelant, étaient toujours en force. De plus, l’art. 32 al. 2 de la Loi 12 prescrit que les demandes de condamnation pour outrage au tribunal liées aux contraventions des ordonnances rendues avant le 18 mai 2012 peuvent être introduites ou continuées après le 18 mai 2012. Le juge de première instance en était conscient (jugement sur la peine, par. 42-44).
[130] L’intimé soutient que les raisons qui appuient l’infliction d’une peine pour outrage incluent l’assurance que les ordonnances prononcées par les tribunaux seront respectées. Il affirme donc que la peine de 120 heures de travaux communautaires était déraisonnable, parce qu’au moment où elle a été imposée, la nécessité d’empêcher la violation des ordonnances n’existait plus en vertu de la Loi 12. Cet argument fait abstraction d’un autre objectif de l’infliction d’une peine en cas d’outrage au tribunal, soit celui de dénoncer la violation des ordonnances des tribunaux et les comportements qui entravent le cours normal de l’administration de la justice ou qui portent atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal (Westfair Foods Ltd. c. Naherny (1990), 63 Man. R. (2d) 238 (C.A.)).
[131] Finalement, sur la proportionnalité de la peine, il convient de souligner que, comme en matière d’infractions criminelles, la peine imposée à la suite d’une condamnation pour outrage relève de la discrétion du juge de première instance (R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 39). Les cours d’appel n’interviendront pas, sauf s’il est démontré qu’il y a eu erreur de droit ou un abus de ce pouvoir discrétionnaire, ou encore que la peine s’appuie sur des motifs non juridiques. Les motifs du juge de première instance n’entrent dans aucune de ces catégories. La peine qui a été infligée n’est pas disproportionnée. Une peine de 120 heures de travaux communautaires ne s’écarte pas de manière déraisonnable des sanctions imposées en semblable matière, où l’outrage avait une connotation publique (voir, à titre d’exemple, Charbonneau; Agence nationale d’encadrement du secteur financier c. Coopérative de producteurs de bois précieux Québec Forestales, 2005 CanLII 11614 (C.S. Qc); Westfair Foods; et Peter Kiewit Sons Co. c. Perry, 2007 BCSC 305). Une personne qui se rend coupable d’outrage au tribunal en vertu de l’art. 50 C.p.c. est passible d’une amende n’excédant pas 5 000 $ ou d’un emprisonnement pour une période d’au plus un an (art. 51 al. 1 C.p.c.), et l’appelant a suggéré l’infliction d’une peine de prison de 30 jours. Après avoir considéré les différents critères pertinents, ainsi que les facteurs atténuants et aggravants, le juge de première instance a conclu qu’une peine de 120 heures de travaux communautaires répondait adéquatement aux besoins de la justice.
[132] Le respect des ordonnances des tribunaux et de la primauté du droit assure la pérennité de la démocratie. Selon le juge de première instance, l’intimé « a outrepassé une règle fondamentale de notre société fondée sur l’état de droit » (jugement sur la peine, par. 65). En conséquence, je suis d’avis que la peine infligée en l’espèce n’est pas excessive.
IV. Conclusion
[133] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, je rétablirais la déclaration de culpabilité prononcée contre l’intimé et j’infirmerais la déclaration de la Cour d’appel selon laquelle le jugement de la Cour supérieure sur la peine est sans effet.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Wagner, Côté et Brown sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Thibault, Roy, Avocats, Québec; Norton Rose Fulbright Canada, Québec.
Procureurs de l’intimé : Melançon Marceau Grenier et Sciortino, Montréal.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Grey, Casgrain, Montréal.
Procureurs de l’intervenant Alberta Public Interest Research Group : Bennett Jones, Toronto; Nanda & Company, Edmonton.
Procureurs de l’intervenante Amnistie internationale, Section Canada francophone : Juristes Power, Ottawa.
[1] Collèges d’enseignement général et professionnel, les établissements d’enseignement postsecondaires et préuniversitaires du Québec.
[2] Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1565.
[3] Morasse c. Université Laval, 2012 QCCS 1859.
[4] Lavoie c. Collège de Rosemont, 2012 QCCS 1685; Goudreault c. Collège de Rosemont, 2012 QCCS 2017.
[5] RLRQ, c. C-25 (abrogé) :
53. Nul ne peut être condamné pour outrage au tribunal commis hors la présence du juge, s’il n’a été assigné par ordonnance spéciale lui enjoignant de comparaître devant le tribunal, au jour et à l’heure indiqués, pour entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés et faire valoir les moyens de défense qu’il peut avoir.
Le juge peut émettre l’ordonnance d’office ou sur demande. Cette demande n’a pas à être signifiée et peut être présentée devant un juge du district où l’outrage a été commis.
L’ordonnance doit être signifiée à personne, à moins que pour raison valable le juge n’autorise un autre mode de signification.
[6] Morasse c. Nadeau-Dubois, 2012 QCCS 2141.
[7] [2012] R.J.Q. 2174.
[8] [2012] R.J.Q. 2279.
[9] 2015 QCCA 78.
[10] Le nouveau Code de procédure civile du Québec ne renferme qu’une seule disposition créant l’infraction d’outrage au tribunal, réunissant de fait les dispositions distinctes de l’ancien Code. L’article 58 du nouveau Code dispose :
58. Se rend coupable d’outrage au tribunal la personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.
En matière d’injonction, la personne qui n’y est pas désignée ne se rend coupable d’outrage au tribunal que si elle y contrevient sciemment.
[11] Le C.p.c. est remplacé le 1er janvier 2016 par le nouveau Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.