Association du Barreau canadien, Advocates’ Society et Barreau du Québec
Intervenants
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown
Motifs de jugement : Le juge Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Côté et Brown)
Répertorié : Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada
No du greffe : 36373.
2016 : 24 mars; 2016 : 25 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit des professions — Déontologie — Pouvoirs d’enquête du syndic — Production de documents — Privilège relatif au litige — Enquête du syndic de la Chambre de l’assurance de dommages sur la conduite d’un expert en sinistre — Une disposition législative prévoyant l’obligation de fournir « tout document » à la demande du syndic peut‑elle être interprétée comme écartant le privilège relatif au litige? — Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D‑9.2, art. 337.
Dans le cadre d’une enquête sur un expert en sinistre, la syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages (la « syndique ») demande à l’assureur A de lui communiquer une copie complète de son dossier de réclamation relatif à une de ses assurées. La syndique s’appuie à cette fin sur l’art. 337 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (« LDPSF »). En réponse, l’assureur transmet plusieurs documents, mais explique en avoir retranché certains au motif que ceux‑ci sont visés soit par le secret professionnel de l’avocat, soit par le privilège relatif au litige. Devant ce refus, la syndique présente une requête en jugement déclaratoire.
En première instance, la syndique concède que le secret professionnel de l’avocat lui est opposable, de sorte que la question à résoudre se limite au seul privilège relatif au litige. Elle soutient que l’art. 337 LDPSF suffit pour écarter ce privilège puisqu’il prévoit l’obligation de fournir « tout document » sur les activités d’un représentant soumis à la supervision déontologique de la Chambre de l’assurance de dommages. La Cour supérieure conclut que le privilège relatif au litige ne peut être abrogé que par une disposition expresse. La Cour d’appel confirme ce jugement. Elle statue que même si le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat, il s’agit d’une règle d’importance tout aussi fondamentale qui ne peut être écartée que par des termes exprès.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Le privilège relatif au litige est une règle de common law qui crée une immunité de divulgation pour les documents et communications dont l’objet principal est la préparation d’un litige. Ce privilège a parfois été confondu avec le secret professionnel de l’avocat, tant en common law qu’en droit québécois. Toutefois, depuis l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319, il est établi que le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige sont distincts : le secret professionnel de l’avocat vise à préserver une relation alors que le privilège relatif au litige vise à assurer l’efficacité du processus contradictoire; par ailleurs, le secret professionnel de l’avocat est permanent, tandis que le privilège relatif au litige est temporaire et s’éteint avec le litige; enfin, le privilège relatif au litige s’applique à des parties non représentées, couvre des documents non confidentiels et n’a pas pour cible les communications entre un avocat et son client en tant que telles.
Les distinctions posées dans l’arrêt Blank entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige ont été suivies en droit québécois. Ainsi, malgré certains traits communs, le privilège relatif au litige n’est pas absorbé dans l’institution du secret professionnel et n’en constitue pas une composante ou une sous‑catégorie.
S’il se distingue du secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige constitue néanmoins un privilège générique et il fait naître une présomption d’inadmissibilité pour une catégorie de communications, soit celles dont l’objet principal est la préparation d’un litige. Ainsi, à moins que l’on soit dans un cas visé par une des exceptions au privilège relatif au litige, tout document satisfaisant aux conditions de son application sera couvert par une immunité de divulgation.
Le privilège relatif au litige est sujet à des exceptions clairement définies, et non à une mise en balance au cas par cas. En matière de privilèges, la mise en balance des intérêts est le propre des privilèges reconnus au cas par cas, et non des privilèges génériques. Les exceptions au secret professionnel de l’avocat sont toutes applicables au privilège relatif au litige. Cela comprend les exceptions relatives à la sécurité publique, à l’innocence de l’accusé et aux communications de nature criminelle. S’y ajoute l’exception reconnue dans Blank pour la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui revendique le privilège relatif au litige. D’autres exceptions pourront être reconnues à l’avenir, mais toujours sur la base de catégories restreintes qui s’appliqueront dans des circonstances précises.
Finalement, le privilège relatif au litige est opposable aux tiers, y compris aux tiers enquêteurs ayant une obligation de confidentialité. Il n’est pas souhaitable d’exclure les tiers de son application ou de l’exposer aux aléas de procédures disciplinaires et judiciaires qui pourraient mener à la divulgation de documents qui seraient autrement protégés. Laisser planer quelque incertitude à ce chapitre risquerait d’avoir un effet paralysant sur les parties se préparant à un litige en raison de la crainte que soient rendus publics des documents autrement couverts par le privilège relatif au litige.
En l’espèce, le privilège relatif au litige invoqué par l’assureur est opposable à la syndique et aucune des exceptions à son application ne justifie d’y passer outre. De plus, ce privilège ne peut être mis à l’écart par l’application de l’art. 337 LDPSF. Il existe en effet un solide courant de jurisprudence établissant qu’une partie ne devrait pas être privée du droit de revendiquer le privilège relatif au litige sans qu’un texte législatif clair et explicite ne le prévoit. C’est l’importance fondamentale de ce privilège qui mène la Cour à exiger des termes explicites pour sa mise à l’écart. Il est indéniable que le privilège relatif au litige n’a pas le même statut que le secret professionnel de l’avocat, et il n’est pas aussi absolu que ce dernier. Il n’en reste pas moins que, comme le secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige est essentiel au bon fonctionnement du système de justice et il se situe au cœur du système accusatoire et contradictoire que le Québec partage avec les autres provinces. La capacité des parties d’élaborer leur stratégie en toute confiance et à l’abri d’une divulgation forcée est une condition sine qua non de l’efficacité du processus contradictoire. Ainsi, le privilège relatif au litige ne peut être supprimé par inférence et des termes clairs, explicites et non équivoques sont nécessaires pour l’écarter. Or, l’art. 337 LDPSF sur lequel s’appuie la syndique n’autorise que la demande de communication de « tout document », sans plus. Il s’agit d’une disposition générale relative à la production de documents qui ne précise pas clairement qu’elle s’applique aux documents à l’égard desquels est invoqué le privilège. Une disposition qui traite simplement de la communication de « tout document » ne contient pas de termes suffisamment clairs, explicites et non équivoques pour écarter le privilège relatif au litige. Il s’ensuit que l’assureur pouvait invoquer ici le privilège relatif au litige et refuser de fournir à la syndique les documents visés par celui‑ci.
Jurisprudence
Arrêts appliqués : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319; arrêts mentionnés : Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456; Lyell c. Kennedy (No. 2) (1883), 9 App. Cas. 81; Susan Hosiery Ltd. c. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C. de l’É. 27; Desjardins Assurances générales inc. c. Groupe Ledor inc., mutuelle d’assurances, 2014 QCCA 1501; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2014 QCCA 552; Informatique Côté, Coulombe inc. c. Groupe Son X Plus inc., 2012 QCCA 2262; Union canadienne (L’), compagnie d’assurance c. St‑Pierre, 2012 QCCA 433, [2012] R.J.Q. 340; Imperial Tobacco Canada ltée c. Létourneau, 2012 QCCA 2260; Société d’énergie de la Baie James c. Groupe Aecon ltée, 2011 QCCA 646; Fournier Avocats inc. c. Cinar Corp., 2010 QCCA 2278; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623; R. c. Basi, 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389; Compagnie d’assurances AIG du Canada c. Solmax International inc., 2016 QCCA 258; Axa Assurances inc. c. Pageau, 2009 QCCA 1494; Conceicao Farms Inc. c. Zeneca Corp. (2006), 83 O.R. (3d) 792; College of Physicians and Surgeons of British Columbia c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2002 BCCA 665, 23 C.P.R. (4th) 185; Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd. (1994), 95 Man. R. (2d) 186; Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776; Opron Construction Co. c. Alberta (1989), 100 A.R. 58; R. c. Lanthier, 2008 CanLII 13797; Kennedy c. McKenzie (2005), 17 C.P.C. (6th) 229; R. c. Soomel, 2003 BCSC 140; General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 45 O.R. (3d) 321; Brown c. Cape Breton (Regional Municipality), 2011 NSCA 32, 302 N.S.R. (2d) 84; Llewellyn c. Carter, 2008 PESCAD 12, 278 Nfld. & P.E.I.R. 96; Davies c. American Home Assurance Co. (2002), 60 O.R. (3d) 512; R. c. Barros, 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; R. c. Kea (2005), 27 M.V.R. (5th) 182; D’Anjou c. Lamontagne, 2014 QCCQ 11999; Rodriguez c. Woloszyn, 2013 ABQB 269, 554 A.R. 8; Aherne c. Chang, 2011 ONSC 3846, 337 D.L.R. (4th) 593; Guay c. Gesca ltée, 2013 QCCA 343, [2013] R.J.Q. 342; Hickman c. Taylor, 329 U.S. 495 (1947); Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; Peacock c. Bell (1667), 1 Wms. Saund. 73, 85 E.R. 84; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445; Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381; Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario, 2010 ONCA 197, 260 O.A.C. 125; Slocan Forest Products Ltd. c. Trapper Enterprises Ltd., 2010 BCSC 1494, 100 C.P.C. (6th) 70; TransAlta Corp. c. Market Surveillance Administrator, 2014 ABCA 196, 577 A.R. 32; Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Air Canada, 2010 CF 429; State Farm Mutual Automobile Insurance Co. c. Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, 2010 CF 736; Louch c. Decicco, 2007 BCSC 393, 39 C.P.C. (6th) 8; Ward c. Pasternak, 2015 BCSC 1190.
Lois et règlements cités
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 9.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 11.
Code des professions, RLRQ, c. C‑26, art. 14.3, 60.4, 142, 192.
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A‑1, art. 23 .
Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D‑9.2, art. 284, 289, 312, 329, 337, 352, 353, 376.
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5, art. 12 [rempl. 2010, c. 23, art. 83], 12.1.
Doctrine et autres documents cités
Billingsley, Barbara. « “Ingathered” Records and the Scope of Litigation Privilege in Canada : Does Litigation Privilege Apply to Copies or Collections of Otherwise Unprivileged Documents? » (2014), 43 Adv. Q. 280.
Cardinal, Alain. « Quelques aspects modernes du secret professionnel de l’avocat » (1984), 44 R. du B. 237.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Halsbury’s Laws of Canada : Evidence, 2014 Reissue, contributed by Hamish C. Stewart, Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.
Royer, Jean‑Claude, et Sophie Lavallée. La preuve civile, 4e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2008.
Sharpe, Robert J. « Claiming Privilege in the Discovery Process », in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 1984 — Law in Transition : Evidence, Don Mills (Ont.), Richard De Boo, 1984, 163.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.
Williams, Neil J. « Discovery of Civil Litigation Trial Preparation in Canada » (1980), 58 R. du B. can. 1.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, Gagnon et St‑Pierre), 2015 QCCA 152, [2015] AZ‑51145074, [2015] J.Q. no 383 (QL), 2015 CarswellQue 384 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision du juge Gagnon, 2013 QCCS 6397, [2013] AZ‑51031246, [2013] J.Q. no 14254 (QL), 2013 CarswellQue 13283 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
Claude G. Leduc et Olivier Charbonneau‑Saulnier, pour l’appelante.
Éric Azran et Patrick Girard, pour les intimées.
Mahmud Jamal, Alexandre Fallon et W. David Rankin, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Douglas C. Mitchell et Audrey Boctor, pour l’intervenante Advocates’ Society.
François LeBel, Jean‑Benoît Pouliot et Sylvie Champagne, pour l’intervenant le Barreau du Québec.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge Gascon —
I. Aperçu
[1] Le privilège relatif au litige protège contre la divulgation forcée de communications et de documents dont l’objet principal est la préparation d’un litige. S’il se distingue du secret professionnel de l’avocat à plusieurs égards, il en partage néanmoins certains traits communs. Depuis l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, il est acquis que toute disposition législative susceptible de porter atteinte au secret professionnel de l’avocat doit être interprétée restrictivement et qu’un législateur ne peut abroger ce secret par inférence, mais uniquement au moyen de termes clairs, explicites et non équivoques. Ce pourvoi soulève la question de savoir si cela s’étend également au privilège relatif au litige.
[2] Dans le cadre d’une enquête sur un expert en sinistre, l’appelante, la syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages (la « syndique »), a demandé à un assureur, l’intimée Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, de lui communiquer une copie complète de son dossier de réclamation relatif à une de ses assurées. Aviva a refusé au motif que certains des documents requis étaient protégés par le privilège relatif au litige. Devant ce refus, la syndique a présenté une requête en jugement déclaratoire et soutenu que l’article de loi pertinent prévoit l’obligation de fournir « tout document » sur les activités d’un représentant soumis à la supervision déontologique de la Chambre, ce qui suffit pour écarter ce privilège. Pour la syndique, le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat; il est moins important et moins absolu et il doit donc être appliqué de façon plus souple.
[3] La Cour supérieure a conclu que le privilège relatif au litige ne peut être abrogé que par une disposition expresse. La Cour d’appel a confirmé ce jugement. Elle a statué que même si le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat, il s’agit d’une règle d’importance tout aussi fondamentale qui ne peut être écartée que par des termes exprès.
[4] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Bien que des distinctions s’imposent entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige, ce dernier demeure une règle fondamentale pour l’administration de la justice qui se situe au cœur du système judiciaire, tant au Québec que dans les autres provinces. Il s’agit d’un privilège générique qui empêche la divulgation forcée des communications ou documents qu’il couvre, sauf si l’une des exceptions restreintes à leur non-divulgation s’applique.
[5] Les exigences posées dans l’arrêt Blood Tribe s’appliquent au privilège relatif au litige. Vu son importance, ce privilège ne peut être abrogé par inférence et ne peut être mis à l’écart que par une disposition claire, explicite et non équivoque à cet effet. Puisque la disposition en cause ne prévoit que la communication de « tout document » sans plus de précision, elle n’a pas pour effet d’écarter ce privilège. Il s’ensuit qu’Aviva pouvait invoquer ici le privilège relatif au litige et refuser de fournir à la syndique les documents visés par celui-ci.
II. Contexte
[6] La Chambre est un organisme d’autoréglementation institué par l’art. 284 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, RLRQ, c. D-9.2 (« LDPSF »). Elle est responsable de la supervision déontologique de plusieurs représentants œuvrant dans le domaine de l’assurance, dont les experts en sinistre, les agents en assurance de dommages et les courtiers en assurance de dommages (art. 289 et 312 LDPSF). Sous ce rapport, la Chambre remplit un rôle similaire à celui d’un ordre professionnel régi par le Code des professions, RLRQ, c. C-26, bien qu’elle n’en soit pas un. Elle « a pour mission d’assurer la protection du public en maintenant la discipline et en veillant à la formation et à la déontologie de ses membres » (art. 312 LDPSF). La syndique de la Chambre enquête à cette fin sur toute contravention à la LDPSF ou à ses règlements (art. 329 LDPSF). Elle peut déposer une plainte contre un représentant devant un comité de discipline de la Chambre, et cette plainte peut mener à une sanction (art. 352, 353 et 376 LDPSF).
[7] En juillet 2008, un incendie endommage la résidence d’une assurée d’Aviva. Cette dernière mandate alors un expert en sinistre à son emploi, M.B., pour enquêter sur le sinistre. Par la suite, la syndique de la Chambre reçoit une information reprochant certains manquements à M.B. dans sa gestion du dossier. Le 24 janvier 2011, la syndique ouvre une enquête sur M.B. Dans le cadre de cette enquête, un membre de l’équipe de la syndique transmet à Aviva une demande pour obtenir une « [c]opie complète de [son] dossier de réclamation, physique et informatique, pour ce sinistre », ainsi qu’une liste permettant « d’identifier les employés ayant traité ce dossier » (caractères gras omis). La syndique s’appuie à cette fin sur l’art. 337 LDPSF qui édicte :
337. Un assureur, un cabinet, une société autonome, ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d’études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1) doit, à la demande d’un syndic, lui transmettre tout document ou tout renseignement qu’il requiert sur les activités d’un représentant.
[8] En réponse, Aviva transmet plusieurs documents, mais explique en avoir retranché certains au motif que ceux-ci sont visés soit par le secret professionnel de l’avocat, soit par le privilège relatif au litige. La syndique insiste malgré tout et exige à plusieurs reprises la communication du dossier complet de réclamation, faute de quoi, dit-elle, elle ne peut poursuivre son enquête.
[9] Le 30 juin 2011, l’assurée concernée intente un recours judiciaire contre Aviva pour être indemnisée. Alors que ce recours est toujours pendant, la syndique entreprend en juin 2012 des procédures en jugement déclaratoire contre Aviva pour obtenir les documents recherchés. Le 26 juin 2013, un règlement hors cour intervient entre Aviva et son assurée, si bien que le 17 octobre 2013, Aviva transmet finalement à la syndique tout le dossier de réclamation concernant l’assurée.
[10] Même si cela règle le litige qui oppose les parties quant à la communication des documents requis, la syndique va néanmoins de l’avant avec sa requête en jugement déclaratoire. Du commun accord des parties, cette requête pose la question suivante :
Les parties admettent qu’au moment de la demande faite par la ChaD (Chambre de l’assurance de dommages) le 24 janvier 2011 auprès de la partie défenderesse que, parmi les documents composant le dossier de réclamation de l’assurée N.F., certains documents n’ont pas été communiqués par la partie défenderesse parce qu’ils sont visés soit par le privilège relatif au litige, soit par le secret professionnel (privilège avocat-client). Par conséquent, la partie défenderesse avait-elle le droit d’opposer ces privilèges à la ChaD et ainsi refuser de communiquer les documents couverts par ces privilèges?
[11] Le juge de la Cour supérieure saisi de l’affaire décide que la requête pose une « difficulté réelle », puisque d’autres assureurs et experts en sinistre ont soulevé la question en réponse à des demandes de documents de la part de syndics de la Chambre. À l’audience en première instance, la syndique concède que le secret professionnel de l’avocat lui est opposable, de sorte que la question à résoudre se limite au seul privilège relatif au litige. Pour sa part, Aviva renonce à plaider que certains documents demandés ne portent pas sur « les activités d’un représentant » au sens de l’art. 337 LDPSF. Le débat devant le premier juge est ainsi exempt de toute composante factuelle.
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure du Québec (2013 QCCS 6397)
[12] La Cour supérieure donne raison à Aviva. Le juge rappelle d’abord que le secret professionnel de l’avocat bénéficie d’une protection quasi constitutionnelle à l’art. 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (la « Charte québécoise »), et est étroitement associé aux « valeurs démocratiques » (par. 46 et 50-51 (CanLII)). Bien que l’expert en sinistre ne soit pas tenu par la loi au secret professionnel, l’avocat mandaté par un expert en sinistre ou un assureur lui l’est (par. 47-48). L’arrêt Blood Tribe prévoit que la loi doit contenir des termes exprès pour qu’une autorité puisse y passer outre. Comme la LDPSF (et son art. 337) ne contient aucune dérogation expresse au secret professionnel de l’avocat, celui-ci est opposable à la syndique (par. 53-56).
[13] Le juge considère ensuite l’argument de la syndique selon lequel le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat, notamment en ce qu’il n’est pas protégé par l’art. 9 de la Charte québécoise. Pour le juge, cet argument « déroge de la position énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Foster Wheeler » (par. 63). Dans cet arrêt, le juge LeBel écrit que le privilège relatif au litige « tend maintenant, en droit québécois, à être absorbé dans l’institution du secret professionnel » (Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, par. 44). Le juge souligne en outre que, dans deux cas provenant de provinces de common law, la Cour fédérale décide que les principes applicables au secret professionnel de l’avocat dans le cadre de la loi en cause dans Blood Tribe (soit la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (« LPRPDE »)) valent aussi pour le privilège relatif au litige (par. 64-67).
[14] Compte tenu de l’arrêt Foster Wheeler, le juge s’estime tenu d’appliquer ces principes en droit québécois et de conclure que, à défaut de termes exprès, la LDPSF ne déroge pas au privilège relatif au litige qui demeure opposable à la syndique (par. 68). Le juge déclare par conséquent que tant le secret professionnel de l’avocat que le privilège relatif au litige sont opposables à la syndique de la Chambre « par toute personne visée par une demande d’enquête » (par. 83).
B. Cour d’appel du Québec (2015 QCCA 152)
[15] La Cour d’appel confirme le jugement de première instance et conclut que le privilège relatif au litige peut être opposé à la syndique. Pour la cour, la syndique a raison de concéder que le secret professionnel de l’avocat lui est opposable, le législateur devant prévoir toute dérogation expressément, ce qui n’est pas le cas ici. La cour souligne d’ailleurs que, en comparaison, à ses art. 14.3, 60.4 et 192, le Code des professions (auquel les experts en sinistre ne sont pas assujettis) le fait expressément en ce qui concerne les enquêtes de nature disciplinaire (par. 23 et 30 (CanLII)).
[16] Bien qu’il faille distinguer conceptuellement le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige, la Cour d’appel retient que dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319, notre Cour écrit que ces deux règles « servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit » (par. 25, citant Blank, par. 31). La Cour fédérale, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de l’Alberta concluent aussi que le privilège relatif au litige et/ou le privilège relatif au règlement ne peuvent être écartés en l’absence d’un texte clair et explicite (par. 31-32). De l’avis de la Cour d’appel, ce raisonnement s’applique tout autant en l’espèce.
[17] La Cour d’appel ajoute que, dans Blank, notre Cour a de plus énoncé que la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, c. A‑1 , a été adoptée dans un contexte où les termes « secret professionnel » étaient perçus comme incluant également le privilège relatif au litige (par. 29). Or, ce contexte prévalait aussi lors de l’adoption de la LDPSF en 1998, et le législateur est intervenu pour modifier cette dernière après l’arrêt Blank sans rien y ajouter pour écarter le secret professionnel de l’avocat ou le privilège relatif au litige, ce qu’il a pourtant fait dans le Code des professions en ce qui a trait au secret professionnel (par. 30). La Cour d’appel en conclut que le privilège relatif au litige est opposable à la syndique. Elle accueille l’appel à la seule fin de modifier la conclusion du premier juge pour qu’elle porte sur « les défenderesses » et non sur « toute personne » (par. 37).
IV. Question en litige
[18] Devant nous, la syndique reconnaît à juste titre que le secret professionnel de l’avocat lui est opposable dans le contexte d’une demande de communication des documents se rapportant à un dossier d’indemnisation. La question au cœur du pourvoi est donc celle de savoir si Aviva pouvait tout autant opposer à la syndique le privilège relatif au litige dans ce même contexte. Pour y répondre, il faut déterminer si le privilège relatif au litige peut être abrogé par des termes d’acception générale plutôt que clairs, explicites et non équivoques et, en conséquence, si l’art. 337 LDPSF peut être interprété comme abrogeant valablement ce privilège. Avant de m’attarder à cette question, il importe que je cerne d’abord les caractéristiques du privilège relatif au litige.
V. Analyse
A. Les caractéristiques du privilège relatif au litige
[19] Le privilège relatif au litige crée une immunité de divulgation pour les documents et communications dont l’objet principal est la préparation d’un litige. Les exemples classiques d’éléments couverts par ce privilège sont le dossier de l’avocat et les communications verbales ou écrites entre un avocat et des tiers, par exemple des témoins ou des experts : J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile (4e éd. 2008), p. 1009-1010.
[20] Le privilège relatif au litige est une règle de common law d’origine anglaise : Lyell c. Kennedy (No. 2) (1883), 9 App. Cas. 81 (H.L.). Au cours du 20e siècle, cette règle a été introduite au Canada, y compris au Québec, comme un privilège lié au secret professionnel de l’avocat, alors considéré comme une règle de preuve nécessaire pour la bonne marche des procès : A. Cardinal, « Quelques aspects modernes du secret professionnel de l’avocat » (1984), 44 R. du B. 237, p. 266-267. Dans une décision souvent reprise, le Président Jackett, de l’ancienne Cour de l’Échiquier du Canada, a décrit ainsi l’objet du privilège relatif au litige, connu à une certaine époque comme le principe applicable au dossier de l’avocat (« lawyer’s brief rule ») :
[traduction] Pour en venir au principe applicable au « dossier de l’avocat », sa raison d’être tient évidemment à ce que, dans notre système judiciaire accusatoire, l’avocat ne doit pas être gêné dans la préparation de la cause de son client par la possibilité que les documents qu’il prépare soient retirés de son dossier et déposés devant le tribunal d’une manière autre que celle qu’il envisage. Les documents qui aideraient à mettre à jour la vérité s’ils étaient présentés de la façon prévue par l’avocat qui en a dirigé la préparation pourraient fort bien servir à déformer la vérité au préjudice de son client s’ils étaient soumis par une partie aux intérêts opposés qui ne comprend pas ce qui a donné lieu à leur préparation. Si les avocats pouvaient fouiller dans les dossiers les uns des autres au moyen du processus de la communication préalable, la simple préparation des dossiers pour l’instruction se transformerait en une regrettable parodie de notre système actuel. [Je souligne.]
(Susan Hosiery Ltd. c. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C. de l’É. 27, p. 33‑34)
[21] En raison de ces origines, le privilège relatif au litige a parfois été confondu avec le secret professionnel de l’avocat, tant en common law qu’en droit québécois : Royer et Lavallée, p. 1003-1004; N. J. Williams, « Discovery of Civil Litigation Trial Preparation in Canada » (1980), 58 R. du B. can. 1, p. 37-38.
[22] Toutefois, depuis l’arrêt Blank rendu en 2006, il est établi que le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige se distinguent. Dans Blank, la Cour indique que « [c]es privilèges coexistent souvent et [qu’]on utilise parfois à tort le nom de l’un pour désigner l’autre, mais [que] leur portée, leur durée et leur signification ne coïncident pas » (par. 1). La Cour identifie les distinctions suivantes qui existent entre les deux :
• Le secret professionnel de l’avocat vise à préserver une relation alors que le privilège relatif au litige vise à assurer l’efficacité du processus contradictoire (par. 27);
• Le secret professionnel est permanent, alors que le privilège relatif au litige est temporaire et s’éteint avec le litige (par. 34 et 36);
• Le privilège relatif au litige s’applique à des parties non représentées, alors même qu’il n’y a aucun besoin de protéger l’accès à des services juridiques (par. 32);
• Le privilège relatif au litige couvre des documents non confidentiels (par. 28, citant R. J. Sharpe, « Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (1984), 163, p. 164-165);
• Le privilège relatif au litige n’a pas pour cible les communications entre un avocat et son client en tant que telles (par. 27).
[23] La Cour précise également que le privilège relatif au litige, « contrairement au secret professionnel de l’avocat, n’est ni absolu quant à sa portée, ni illimité quant à sa durée » (Blank, par. 37). La Cour confirme en outre que seuls les documents dont « l’objet principal » (et non tous les documents dont un « objet important ») est la préparation du litige sont couverts par le privilège (par. 60). Elle note que la notion de « litige connexe », qui concerne un autre litige survenu après celui ayant donné lieu au privilège, peut prolonger l’application de celui-ci (par. 38-41).
[24] S’il est vrai que l’arrêt Blank établit ainsi des distinctions claires entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat, il leur reconnaît par contre certains traits communs. La Cour rappelle en effet que les deux privilèges « servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit » (par. 31). Plus particulièrement, le privilège relatif au litige sert cette cause en « assur[ant] l’efficacité du processus contradictoire » (par. 27) et en maintenant une « zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire » (par. 40, citant Sharpe, p. 165).
[25] Les distinctions posées dans l’arrêt Blank entre le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige ont été suivies en droit québécois : Desjardins Assurances générales inc. c. Groupe Ledor inc., mutuelle d’assurances, 2014 QCCA 1501, par. 8 (CanLII); Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2014 QCCA 552, par. 47 (CanLII); Informatique Côté, Coulombe inc. c. Groupe Son X Plus inc., 2012 QCCA 2262, par. 15 (CanLII); Union canadienne (L’), compagnie d’assurance c. St-Pierre, 2012 QCCA 433, [2012] R.J.Q. 340, par. 23-24; Imperial Tobacco Canada ltée c. Létourneau, 2012 QCCA 2260, par. 7-8 (CanLII); Société d’énergie de la Baie James c. Groupe Aecon ltée, 2011 QCCA 646, par. 14 (CanLII); Fournier Avocats inc. c. Cinar Corp., 2010 QCCA 2278, par. 21 (CanLII). Aussi, compte tenu de l’arrêt Blank et de la jurisprudence qui l’a suivi, l’obiter antérieur du juge LeBel dans l’arrêt Foster Wheeler sur lequel s’est appuyé ici le premier juge (par. 63) doit être replacé dans son contexte. Dans cet arrêt, le juge LeBel écrivait que le privilège relatif au litige « tend maintenant, en droit québécois, à être absorbé dans l’institution du secret professionnel » (Foster Wheeler, par. 44). Or, ce constat renvoie à une tendance qui ne représente plus l’état du droit au Québec. D’ailleurs, puisque le privilège relatif au litige s’applique par exemple à une partie non représentée sans qu’un professionnel n’intervienne (Blank, par. 27), on ne peut, malgré certains traits communs, soutenir qu’il soit absorbé dans l’institution du secret professionnel ou qu’il en constitue une composante ou une sous-catégorie.
[26] Cela dit, en l’espèce, la syndique s’appuie sur l’arrêt Blank et les distinctions qu’il pose pour en tirer trois arguments sur la portée limitée qui, à ses yeux, devrait être accordée au privilège relatif au litige.
[27] Elle prétend d’abord que le privilège relatif au litige n’est pas un privilège générique. Il se distinguerait en cela du secret professionnel de l’avocat, car il ne viserait pas à protéger une relation, mais uniquement à faciliter un processus. Tout en se gardant d’affirmer que le privilège relatif au litige s’assimile à un « privilège reconnu au cas par cas », elle avance qu’il s’agit tout de même d’un « privilège limité qui doit céder le pas lorsque les fins de la justice le requièrent ou lorsqu’un intérêt public prépondérant le justifie ».
[28] La syndique plaide ensuite que le privilège relatif au litige doit être assujetti à un test de mise en balance (« balancing test »). Selon la syndique, les tribunaux devraient mesurer dans chaque cas le préjudice causé par l’application du privilège et considérer les intérêts s’y opposant afin de décider si ce dernier devrait s’appliquer. L’existence même du privilège dépendrait ainsi d’une analyse qui serait propre à chaque situation, et non de l’application de certaines exceptions circonscrites comme cela prévaut pour le secret professionnel de l’avocat. Pour la syndique, le privilège relatif au litige ne correspond plus aux réalités juridiques contemporaines qui requièrent une coopération accrue en matière judiciaire. Partant, on devrait lui reconnaître une portée très restreinte.
[29] Enfin, la syndique soutient que ce privilège ne devrait pas pouvoir être invoqué contre des tiers qui ne sont pas parties au litige concerné. La Cour devrait même adopter une « exception d’inopposabilité à un tiers enquêteur ». Pour la syndique, une telle exception devrait bénéficier à toute personne qui :
. . . (i) n’est pas partie au litige ayant donné lieu au privilège et est donc un « tiers » à ce litige n’y ayant aucun intérêt (ii) dispose de pouvoirs d’enquêtes confiés par le législateur dans le cadre d’une mission d’intérêt public (iii) demande communication de documents directement pertinents à l’accomplissement de cette mission d’intérêt public (iv) a une obligation de confidentialité ayant pour effet de l’empêcher de divulguer les documents demandés, directement ou indirectement, à la partie adverse dans le litige ayant donné lieu au privilège (v) n’est autorisée à produire les documents que devant une instance ayant elle-même le devoir et les moyens de préserver la confidentialité des documents, et ce, au moins aussi longtemps que durera le litige ayant donné lieu au privilège (et les litiges connexes). [m.a., par. 136]
[30] Je note que ce dernier argument va bien au-delà de la simple question de l’abrogation législative du privilège que pose ce pourvoi. L’exception proposée, qui se base sur un test de mise en balance, pourrait rendre le privilège inapplicable avant même que ne se pose la question de sa mise à l’écart par la loi. Pour l’appuyer, la syndique fait valoir que son serment de discrétion et l’obligation de confidentialité qui lui incombe limitent considérablement, voire éliminent tout risque de préjudice. En somme, dans une situation comme celle qui prévaut en l’espèce, la portée très limitée du privilège relatif au litige devrait céder le pas devant l’importance de la mission de protection du public confiée à la syndique.
[31] J’estime ces trois arguments mal fondés. S’il se distingue du secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige demeure (1) un privilège générique, (2) sujet à des exceptions clairement définies, et non à une mise en balance au cas par cas, et (3) opposable aux tiers, y compris aux tiers enquêteurs ayant une obligation de confidentialité.
(1) Le privilège relatif au litige est un privilège générique
[32] Notre droit reconnaît deux types de privilèges : les privilèges génériques et les privilèges reconnus au cas par cas. Un privilège générique comporte une présomption de non-divulgation une fois que ses conditions d’application sont établies. Il se veut « plus rigide qu’un privilège reconnu au cas par cas », de sorte qu’il « n’est pas possible de le redéfinir aussi librement pour l’adapter aux circonstances » : R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, par. 46. À l’opposé, un « privilège reconnu au cas par cas », comme son nom l’indique, « peut être absolu ou partiel et sa portée dépend, comme son existence même, d’une analyse effectuée au cas par cas » (National Post, par. 52). On y applique le « test de Wigmore », composé de quatre volets, dont le dernier est un test de mise en balance des intérêts en cause :
Le test ou « critère de Wigmore » comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe. Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment », adverbe qui évoque l’application constante et la persévérance [. . .] Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l’affaire qui lui est soumise, l’intérêt public que l’on sert en soustrayant l’identité à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité. . .
. . .
C’est donc le quatrième volet du test de Wigmore qui sera le plus déterminant. Une fois établie l’importance pour le public des rapports en question, le tribunal doit mettre en balance la protection de ces rapports et tout autre intérêt public opposé, comme la tenue d’une enquête sur un crime précis (ou la sécurité nationale, la sécurité publique ou une autre considération intéressant le bien collectif). [par. 53 et 58]
[33] À mon avis, le privilège relatif au litige se qualifie de privilège générique. Une fois établies les conditions de son application, c’est-à-dire une fois que l’on est en présence d’un document dont « l’objet principal [. . .] est la préparation du litige » (Blank, par. 59) et que ce litige ou un litige connexe est encore en cours « ou peut être raisonnablement appréhendé » (par. 38), il y a une « présomption à première vue d’inadmissibilité » au sens où l’entendait le juge en chef Lamer dans R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263 :
Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories : un privilège prima facie « général » de common law ou un privilège « générique », d’une part, et un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », d’autre part. Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d’inadmissibilité (lorsqu’il a été établi que les rapports s’inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l’admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.‑à‑d., pour quelles raisons elles devraient être admises en preuve à titre d’exception à la règle générale). [Soulignement omis; p. 286]
[34] De ce point de vue, le privilège relatif au litige s’apparente au privilège relatif au règlement et au privilège de l’indicateur de police, que la Cour a déjà qualifié de privilèges génériques : Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 R.C.S. 623, par. 12; R. c. Basi, 2009 CSC 52, [2009] 3 R.C.S. 389, par. 22. Comme ces derniers, il est reconnu par les tribunaux depuis longtemps et a été considéré comme comportant une présomption d’immunité de divulgation une fois qu’il est satisfait à ses conditions d’application : Blank, par. 59-60; Compagnie d’assurances AIG du Canada c. Solmax International inc., 2016 QCCA 258, par. 4-8 (CanLII); Groupe Ledor inc., par. 8-9; St-Pierre, par. 41; Axa Assurances inc. c. Pageau, 2009 QCCA 1494, par. 2 (CanLII); Conceicao Farms Inc. c. Zeneca Corp. (2006), 83 O.R. (3d) 792 (C.A.), par. 20-21; College of Physicians and Surgeons of British Columbia c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2002 BCCA 665, 23 C.P.R. (4th) 185, par. 31-33 et 72; Apotex Fermentation Inc. c. Novopharm Ltd. (1994), 95 Man. R. (2d) 186 (C.A.), par. 18-20; Brouillette c. R., [1992] R.J.Q. 2776 (C.A.), p. 2789; Opron Construction Co. c. Alberta (1989), 100 A.R. 58 (C.A.), par. 5.
[35] Plusieurs tribunaux et auteurs, bien que d’avis parfois divergents sur ses fondements ou le test qui lui est applicable, ont d’ailleurs explicitement conclu que le privilège relatif au litige constitue bel et bien un privilège générique : R. c. Lanthier, 2008 CanLII 13797 (C.S.J. Ont.), par. 6; Kennedy c. McKenzie (2005), 17 C.P.C. (6th) 229 (C.S.J. Ont.), par. 22; R. c. Soomel, 2003 BCSC 140, par. 76 (CanLII); H. C. Stewart, Halsbury’s Laws of Canada : Evidence (2014 réédition), par. HEV-183; B. Billingsley, « “Ingathered” Records and the Scope of Litigation Privilege in Canada : Does Litigation Privilege Apply to Copies or Collections of Otherwise Unprivileged Documents? » (2014), 43 Adv. Q. 280, p. 283-285.
[36] Ainsi, bien que le privilège relatif au litige se distingue du secret professionnel de l’avocat puisqu’il vise à faciliter un processus, celui du procès contradictoire (Blank, par. 28, citant Sharpe, p. 164-165), et non à protéger une relation, il constitue néanmoins un privilège générique. Il est reconnu par la common law et il fait naître une présomption d’inadmissibilité pour une catégorie de communications, soit celles dont l’objet principal est la préparation d’un litige (Blank, par. 60).
[37] C’est donc dire que, à moins que l’on soit dans un cas visé par une des exceptions au privilège relatif au litige, tout document satisfaisant aux conditions de son application sera couvert par une immunité de divulgation. Cela étant, il ne revient pas à une partie revendiquant le privilège relatif au litige d’établir au cas par cas que celui-ci devrait s’appliquer compte tenu des faits de l’espèce et des « intérêts publics » en cause (National Post, par. 58).
(2) Le privilège relatif au litige est sujet à des exceptions clairement définies et non à une mise en balance au cas par cas
[38] Bien que le privilège relatif au litige soit un privilège générique, la syndique propose à la Cour d’adopter le test de mise en balance élaboré par le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario, dissident, dans l’arrêt General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 45 O.R. (3d) 321 :
[traduction] Pour trancher une revendication de privilège relatif au litige, il faut d’abord se demander si les documents visés satisfont au critère de l’objet principal [. . .] Dans l’affirmative, il faut ensuite déterminer si, dans les circonstances, le préjudice découlant de la non‑divulgation l’emporte clairement sur l’avantage conféré par la reconnaissance du droit à la vie privée de la partie qui s’oppose à la production. [Je souligne; p. 365.]
[39] Je ne suis pas d’accord. En matière de privilèges, la mise en balance des intérêts est le propre des privilèges reconnus au cas par cas (National Post, par. 58), et non des privilèges génériques. Le juge Rosenberg, concordant avec le juge Carthy pour la majorité dans Chrusz, refuse quant à lui d’appliquer un tel test, invoquant l’incertitude que crée une approche au cas par cas de mise en balance des avantages et inconvénients causés par l’application du privilège. Je fais miens ses propos sur ce point :
[traduction] Le privilège relatif au litige est bien établi, même si certaines des nuances applicables ne le sont pas. À mon avis, l’approche des intérêts opposés ou de mise en balance proposée par le juge Doherty convient davantage lorsqu’il s’agit de se prononcer sur de nouvelles revendications de privilège [. . .] Je crains qu’un critère de mise en balance ne mène à une incertitude inutile et à une prolifération des requêtes préliminaires en matière civile.
Cela ne veut pas dire que le privilège relatif au litige est absolu. La Cour suprême du Canada a clairement affirmé que tous les privilèges établis sont assortis d’exceptions. . .
À mon avis, avec des privilèges établis comme le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige, il est préférable que la règle générale soit énoncée le plus clairement possible. Les dérogations à cette règle devraient faire l’objet d’exceptions clairement définies et ne pas être assujetties à un nouvel exercice de mise en balance chaque fois qu’une revendication de privilège est faite . . . [Je souligne; p. 369.]
[40] D’autres tribunaux ont d’ailleurs repris, en l’approuvant, l’analyse du juge Rosenberg : Brown c. Cape Breton (Regional Municipality), 2011 NSCA 32, 302 N.S.R. (2d) 84, par. 57-58; Llewellyn c. Carter, 2008 PESCAD 12, 278 Nfld. & P.E.I.R. 96, par. 52; Kennedy, par. 39; Davies c. American Home Assurance Co. (2002), 60 O.R. (3d) 512 (C.S.J.), par. 43-46. De la même manière, dans R. c. Barros, 2011 CSC 51, [2011] 3 R.C.S. 368, la Cour a fait état de la nécessaire certitude que commandait l’application d’un autre privilège fondamental, celui de l’indicateur de police. Elle expliquait en ces termes pourquoi une détermination au cas par cas du caractère privilégié des informations pertinentes minerait la confiance des bénéficiaires de ce privilège :
La police compte énormément sur ses indicateurs. Compte tenu de sa nature quasi absolue, le privilège incite d’éventuels indicateurs à se manifester, sachant qu’ils bénéficieront d’une certaine garantie contre les représailles. Or, l’adoption d’une règle plus souple qui accorderait aux juges du procès le pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient ou non de divulguer l’identité des indicateurs de police priverait ces derniers de cette garantie et minerait leur volonté de collaborer. [Je souligne; par. 30.]
Les mêmes considérations s’appliquent au privilège relatif au litige.
[41] Il convient donc de s’en tenir à identifier, le cas échéant, les exceptions précises au privilège relatif au litige plutôt que de procéder à une mise en balance pour chaque cas. À ce chapitre, dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, la Cour a statué que les exceptions au secret professionnel sont toutes applicables au privilège relatif au litige, car le secret professionnel de l’avocat est le « plus important privilège reconnu par les tribunaux » (par. 44). Cela comprend les exceptions relatives à la sécurité publique, à l’innocence de l’accusé et aux communications de nature criminelle (par. 52-59 et 74-86). S’y ajoute l’exception au privilège relatif au litige reconnue dans Blank pour la « divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui [. . .] revendique [le privilège relatif au litige] » (par. 44).
[42] D’autres exceptions pourront être reconnues à l’avenir, mais toujours sur la base de catégories restreintes qui s’appliqueront dans des circonstances précises. Dans cette optique, Aviva propose de reconnaître une nouvelle exception plus restreinte que le test de mise en balance sur lequel insiste la syndique, exception qui ne s’appliquerait qu’aux cas d’urgence et de nécessité. Sans surprise, la syndique se dit d’accord avec la teneur de cette exception.
[43] Certes, l’idée d’une exception fondée sur l’urgence et sur la nécessité est intéressante. Elle permettrait de pallier le fait que, même si le privilège relatif au litige est temporaire, il peut parfois retarder l’accès à certains documents dont une autre partie a urgemment besoin pour éviter un préjudice grave. Une telle exception serait basée sur des critères tels que la nécessité d’obtenir la preuve pour éviter un préjudice grave, l’impossibilité de l’obtenir par d’autres moyens, et l’urgence de l’obtenir avant l’extinction « naturelle » des effets du privilège relatif au litige.
[44] Une telle exception serait bien sûr nettement plus restreinte que la trop vaste mise en balance proposée par la syndique. Il ne s’agirait pas de se demander à chaque fois si le privilège relatif au litige doit protéger un document dont l’objet principal est la préparation du litige, mais bien d’écarter ce privilège dans les rares cas où une partie réussirait à se décharger de son lourd fardeau en vertu de cette exception. Ainsi, dans une situation similaire à celle qui nous concerne ici, il ne suffirait pas qu’un syndic invoque simplement la nécessité de sanctionner des fautes disciplinaires alléguées pour écarter le privilège. Si c’était le cas, toute demande du genre satisferait toujours à une exception d’urgence et celle-ci deviendrait alors la règle, ce qui serait à mon avis inopportun. Pour satisfaire à cette exception en contexte disciplinaire, il faudrait plutôt que l’on soit en présence d’une enquête urgente où l’on appréhende un préjudice extraordinaire pendant la durée de vie du privilège relatif au litige.
[45] Le présent pourvoi, logé à l’encontre d’un jugement déclaratoire, ne révèle cependant pas de faits permettant de donner des exemples concrets de cas qui pourraient donner ouverture à une telle exception. Puisque la nature de l’urgence requise varie en fonction du contexte juridique en cause et de la nature de la relation entre les parties, il me semble préférable de remettre à plus tard l’adoption définitive d’une telle exception et l’analyse détaillée de ses conditions d’application. Pour l’heure, il est prudent de s’en tenir aux exceptions circonscrites déjà énumérées, sans plus.
(3) Le privilège relatif au litige est opposable aux tiers, y compris aux tiers enquêteurs ayant une obligation de confidentialité
[46] À l’audience, la syndique avance enfin que, à tous égards, le privilège relatif au litige ne devrait pas être opposable aux tiers : il ne devrait s’appliquer qu’entre les parties au litige concerné. En l’espèce, puisque la syndique n’est pas partie à un litige connexe à celui qui oppose l’assureur et son assurée, le privilège relatif au litige ne lui serait pas opposable. Il en serait ainsi en raison de l’objet limité du privilège qui vise à faciliter le processus contradictoire dans lequel seules les parties sont impliquées. De façon subsidiaire, la syndique propose l’adoption d’une exception d’inopposabilité à un tiers enquêteur ayant une obligation de confidentialité.
[47] Ces arguments sont peu convaincants. Je partage plutôt l’avis des tribunaux qui ont conclu que le privilège relatif au litige est opposable à tous, y compris à des enquêteurs administratifs ou criminels, et non simplement à l’autre partie au litige : R. c. Kea (2005), 27 M.V.R. (5th) 182 (C.S.J. Ont.), par. 43-44; D’Anjou c. Lamontagne, 2014 QCCQ 11999, par. 92-93 (CanLII).
[48] Plusieurs raisons justifient de conclure de la sorte. D’abord, la divulgation de documents autrement protégés à des tiers non assujettis à une obligation de confidentialité présente un risque considérable pour la partie bénéficiant du privilège relatif au litige. Rien n’empêche en effet ces tiers de divulguer les documents protégés au public ou à l’autre partie, ce qui pourrait grandement nuire à la conduite du litige concerné. Les documents pourraient alors être présentés au tribunal d’une façon autre que celle voulue par la partie bénéficiant du privilège. C’est le genre de préjudice que le privilège relatif au litige vise justement à éviter : Susan Hosiery Ltd., p. 33-34. D’ailleurs, dans Blank, où c’est la Loi sur l’accès à l’information qui était en cause, la Cour a conclu qu’une disposition autorisant l’État à invoquer le secret professionnel de l’avocat lui permettait également d’invoquer le privilège relatif au litige pour refuser une demande d’accès à l’information par un tiers au litige (par exemple, les médias ou un membre du public) (par. 4).
[49] Les tribunaux ont également parfois jugé que la divulgation à un tiers d’un document couvert par le privilège relatif au litige pourrait emporter renonciation au privilège à l’égard de tous : Rodriguez c. Woloszyn, 2013 ABQB 269, 554 A.R. 8, par. 44; Aherne c. Chang, 2011 ONSC 3846, 337 D.L.R. (4th) 593, par. 12-13. Cette jurisprudence repose sur le postulat que le privilège relatif au litige est opposable aux tiers. En effet, reconnaître des conséquences à la divulgation aux tiers suppose que la confidentialité à leur endroit correspond à une application normale du privilège.
[50] Par ailleurs, envisager, comme le propose la syndique, une exception pour les tiers enquêteurs ayant une obligation de confidentialité ne se justifie guère davantage. Même en présence d’une obligation de confidentialité, le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique aux procédures susceptibles d’être initiées par un syndic (art. 376 LDPSF et art. 142 du Code des professions; art. 11 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01). Si, en l’espèce, la syndique avait décidé de déposer une plainte devant le comité de discipline de la Chambre, ou encore de s’adresser aux tribunaux de droit commun (par exemple, pour obtenir une injonction contre la personne sous enquête comme le syndic du Barreau du Québec l’avait fait dans l’arrêt Guay c. Gesca ltée, 2013 QCCA 343, [2013] R.J.Q. 342), il est loin d’être acquis que, en raison du principe de la publicité des débats judiciaires, les documents autrement protégés par le privilège relatif au litige n’auraient pas dû être divulgués au cours des procédures.
[51] Dans Basi, la Cour a conclu que le privilège de l’indicateur de police ne pouvait être écarté au bénéfice des seuls avocats de la défense du simple fait qu’ils étaient liés par des ordonnances et engagements de confidentialité. De l’avis de la Cour, « [n]ul en dehors du cercle du privilège ne peut accéder aux renseignements à l’égard desquels le privilège est revendiqué tant qu’un juge n’a pas déterminé que le privilège n’existe pas ou qu’une exception s’applique » (par. 44). Dans cette affaire, les obligations de confidentialité des tiers et le risque atténué de préjudice n’ont pas empêché l’opposabilité du privilège de l’indicateur de police à leurs égards.
[52] Ce raisonnement vaut tout autant pour le privilège relatif au litige. Il n’est pas souhaitable d’exclure les tiers de son application ou de l’exposer aux aléas de procédures disciplinaires et judiciaires qui pourraient mener à la divulgation de documents qui seraient autrement protégés. D’ailleurs, même en tenant pour acquis qu’il n’existe aucun risque que l’enquête d’un syndic mène à une divulgation de documents privilégiés, la possibilité que le travail d’une partie soit utilisé par le syndic pendant la préparation du litige pourrait décourager la mise par écrit des efforts de cette partie. Cela démontre bien pourquoi le privilège relatif au litige doit être opposable à tous, y compris au tiers enquêteur ayant une obligation de confidentialité et de discrétion. À moins qu’un tel enquêteur puisse satisfaire à une exception reconnue au privilège, je suis donc d’avis que celui-ci doit pouvoir lui être opposé.
[53] J’ajouterai que laisser planer quelque incertitude à ce chapitre risquerait d’avoir un effet paralysant sur les parties se préparant à un litige en raison de la crainte que soient rendus publics des documents autrement couverts par le privilège relatif au litige. La Cour suprême des États-Unis décrivait bien cet effet paralysant que le privilège relatif au litige (appelé doctrine relative au produit du travail de l’avocat (« work product doctrine »)) cherche justement à éviter :
[traduction] Traditionnellement, un avocat est un officier de justice appelé à travailler à l’avancement de la justice tout en protégeant fidèlement les intérêts légitimes de ses clients. Cependant, il est essentiel que, dans l’accomplissement de ses différentes fonctions, celui‑ci puisse bénéficier d’un certain degré de confidentialité à l’égard de ses travaux, sans ingérence inutile des parties adverses et de leur avocat. Pour bien préparer la cause de son client, l’avocat doit rassembler des renseignements, dégager ce qu’il estime pertinent parmi les faits non pertinents, préparer ses théories juridiques et planifier sa stratégie sans ingérence indue et inutile. C’est la façon d’agir traditionnelle, et nécessaire, des avocats dans le cadre de notre système de jurisprudence en vue de promouvoir la justice et de protéger les intérêts de leurs clients. Ce travail s’exprime bien sûr par des entrevues, des déclarations, des notes de service, des lettres, des mémoires, des impressions, des croyances personnelles, et d’innombrables autres manières tangibles et intangibles, lesquels sont appelés, avec justesse, mais en termes approximatifs, par la Circuit Court of Appeals en l’espèce le « produit du travail de l’avocat ». Si l’avocat de la partie adverse pouvait consulter ces documents sur simple demande, une grande partie de ce qui est aujourd’hui consigné par écrit demeurerait non écrit. Les pensées d’un avocat, jusqu’alors inviolées, ne lui appartiendraient plus. Les conseils juridiques et la préparation des dossiers pour l’instruction seraient inévitablement marqués au coin de l’inefficacité, de la déloyauté et de la malhonnêteté. Cela serait démoralisant pour la profession juridique. De plus, les intérêts des clients et la cause de la justice seraient mal servis. [Je souligne.]
(Hickman c. Taylor, 329 U.S. 495 (1947), p. 510-511)
[54] Somme toute, en l’espèce, les instances inférieures ont jugé à bon droit que le privilège relatif au litige invoqué par Aviva est opposable à la syndique. Aucune des exceptions à son application ne justifie d’y passer outre ici. Il ne reste donc plus qu’à déterminer si ce privilège peut, comme le plaide la syndique, être mis à l’écart par l’application de la disposition législative au cœur du débat, soit l’art. 337 LDPSF.
B. Aviva pouvait-elle opposer à la syndique le privilège relatif au litige pour refuser de produire les documents demandés?
[55] La syndique plaide que la règle dégagée dans Blood Tribe pour la mise à l’écart du secret professionnel de l’avocat ne doit pas s’appliquer au privilège relatif au litige. Elle avance que ce privilège peut être supprimé par une loi qui n’emploie pas des termes exprès. Il faudrait selon elle interpréter les mots « tout document » de l’art. 337 LDPSF à la lumière de l’objet de la loi, soit la protection du public, et conclure que le privilège relatif au litige ne saurait être invoqué contre la syndique, car cela « entraverait » son travail en retardant l’accès aux documents visés.
[56] Comme le privilège relatif au litige est une règle de common law, il convient de rappeler le principe général pour la mise à l’écart législative de telles règles. La jurisprudence veut que l’on doive présumer qu’un législateur n’a pas l’intention de modifier les règles de common law existantes à moins d’une disposition claire à cet effet : Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077; voir aussi R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 504-505. La professeure Sullivan rappelle à ce sujet que [traduction] « [l]a stabilité du droit est accrue par le rejet des modifications vagues ou effectuées par inadvertance alors que la certitude et le principe de l’avertissement raisonnable se trouvent renforcés du fait qu’on oblige les législateurs à s’exprimer en termes clairs et explicites sur les modifications proposées » (p. 504).
[57] La Cour a ainsi imposé des exigences rigoureuses pour la modification ou l’abrogation de certaines règles de common law d’une importance fondamentale. Par exemple, dans Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, la Cour souligne la nécessité de termes clairs et explicites pour écarter la compétence générale inhérente des cours supérieures provinciales (par. 46). L’exigence de ces termes dans ce contexte, issue du droit anglais (Peacock c. Bell (1667), 1 Wms. Saund. 73, 85 E.R. 84, p. 87-88), s’appuie sur le rôle fondamental que joue la compétence inhérente des cours supérieures dans le système de common law dont a hérité le Canada.
[58] De même, dans Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, la Cour refuse de considérer le privilège de l’indicateur de police comme écarté par une disposition du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, puisque celle-ci n’est pas assez « explicite » (p. 103). Ce faisant, la Cour insiste sur le caractère « d’ordre public » et « [d]’intérêt public » du privilège de l’indicateur de police (p. 93). C’est l’importance fondamentale de ce privilège qui mène la Cour à exiger des termes explicites pour sa mise à l’écart.
[59] L’arrêt Blood Tribe, sur lequel a porté une grande partie des débats dans le cadre de ce pourvoi, s’inscrit dans le même sens. Dans cette affaire, la question à résoudre était celle de savoir si le secret professionnel de l’avocat était levé ou atténué par une disposition législative permettant à un enquêteur administratif d’obliger une personne à produire les documents jugés nécessaires pour l’examen d’une plainte, « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives », et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements [. . .] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux » (art. 12 LPRPDE , maintenant art. 12.1 (L.C. 2010, c. 23, art. 83 )). La Cour conclut que la disposition en cause n’est pas suffisante pour écarter le secret professionnel de l’avocat : « . . . une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat » (par. 11 (italique omis)). Il faut plutôt des « dispositions claires et explicites » pour que le législateur puisse écarter ce secret (par. 2). La Cour indique que le secret professionnel de l’avocat « ne peut être supprimé par inférence » et précise que toute disposition pouvant porter atteinte à ce secret doit être interprétée restrictivement (par. 11).
[60] Pour justifier ces exigences, la Cour s’appuie sur l’importance unique et fondamentale du secret professionnel de l’avocat, qui est « essentiel au bon fonctionnement du système de justice » (Blood Tribe, par. 9). La Cour renvoie à une abondante jurisprudence voulant que ce secret est un « principe de droit fondamental » (par. 11) qui doit être « aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (par. 10, citant R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 35). La Cour note également que le secret professionnel de l’avocat est capital en ce qu’il favorise « l’accès à la justice », la « qualité de la justice » et « la libre circulation des conseils juridiques » (par. 9). Je retiens que l’arrêt Blood Tribe reconnaît ainsi une exigence qui s’apparente à celle qui s’impose en la matière au Québec en raison de l’art. 9 de la Charte québécoise, qui exige une dérogation législative « expresse » pour écarter le secret professionnel.
[61] Cela dit, Blood Tribe ne représente pas un retour à la « règle du sens ordinaire » (« plain meaning rule ») ni une renonciation au recours à la méthode moderne d’interprétation des lois, qui privilégie non pas uniquement ce que le texte révèle précisément, mais plutôt le [traduction] « contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » : E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; Blood Tribe, par. 26. D’abord, le législateur ne doit pas forcément utiliser l’expression « secret professionnel » de l’avocat pour le mettre à l’écart. Dans le cadre d’une mise à l’écart qui reste claire, explicite et non équivoque, il pourrait employer une autre expression qui puisse s’interpréter comme référant sans ambiguïté à ce secret. Ensuite, même lorsque l’on constate la présence d’une référence précise au secret professionnel de l’avocat, encore faut-il interpréter les termes choisis pour décider si abrogation il y a et, le cas échéant, en mesurer la portée. Dans Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381, par. 22-34, la Cour a récemment appliqué cette approche moderne à une loi abrogeant expressément le secret professionnel de l’avocat afin d’en cerner le sens et la portée. Par contre, conformément à Blood Tribe, en l’absence de termes clairs, explicites et non équivoques prévoyant une mise à l’écart du secret professionnel de l’avocat, on doit conclure qu’il n’est pas levé.
[62] De l’avis de la syndique, ces exigences pour mettre à l’écart certaines règles d’importance fondamentale ne devraient pas s’appliquer au privilège relatif au litige. La syndique se base sur le caractère limité de ce privilège, qui n’est pas absolu et qui serait sujet à une mise en balance des préjudices et intérêts qui s’y opposent.
[63] Je suis en désaccord. Les exigences dont fait état l’arrêt Blood Tribe s’appliquent tout autant au privilège relatif au litige. Non seulement ce dernier est-il un privilège générique, mais il sert un « intérêt public » prépondérant au sens de l’arrêt Bisaillon. Cet intérêt public, l’arrêt Blank en fait état, est « l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit » (par. 31). Le privilège relatif au litige vise à « assurer l’efficacité du processus contradictoire » (Blank, par. 27) en maintenant une « zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire » (par. 40, citant Sharpe, p. 165). En maintenant une zone protégée aux fins de la préparation des litiges, le privilège relatif au litige favorise à sa manière « l’accès à la justice » et la « qualité de la justice » (Blood Tribe, par. 9).
[64] Il est bien sûr indéniable que le privilège relatif au litige n’a pas le même statut que le secret professionnel de l’avocat, et qu’il n’est pas aussi absolu que ce dernier. Il est aussi évident que ces deux privilèges, s’ils peuvent parfois viser les mêmes documents, sont conceptuellement distincts. Il n’en reste pas moins que, comme le secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige est « essentiel au bon fonctionnement du système de justice » (Blood Tribe, par. 9). Il se situe au cœur du système accusatoire et contradictoire que le Québec partage avec les autres provinces. Comme l’ont déjà noté plusieurs tribunaux, le système de justice canadien favorise la recherche de la vérité en permettant aux parties de présenter les meilleurs arguments au tribunal, mettant ce dernier en position de trancher de la manière la plus éclairée possible : Penetanguishene Mental Health Centre c. Ontario, 2010 ONCA 197, 260 O.A.C. 125, par. 39; Slocan Forest Products Ltd. c. Trapper Enterprises Ltd., 2010 BCSC 1494, 100 C.P.C. (6th) 70, par. 15. La capacité des parties d’élaborer leur stratégie en toute confiance et à l’abri d’une divulgation forcée est une condition sine qua non de l’efficacité de ce processus. Au Québec comme ailleurs au pays, le privilège relatif au litige est donc inextricablement lié à des valeurs fondatrices et revêt une importance fondamentale. Cela suffit pour conclure que, comme le secret professionnel de l’avocat, il ne peut être supprimé par inférence et que des termes clairs, explicites et non équivoques sont nécessaires pour l’écarter.
[65] Cette conclusion est conforme à un solide courant de jurisprudence. En plus de la Cour d’appel du Québec en l’espèce, la Cour d’appel de l’Alberta a elle aussi conclu qu’une partie ne devrait pas être privée du droit de revendiquer le privilège relatif au litige sans [traduction] « qu’un texte législatif clair et explicite ne le prévoit » : TransAlta Corp. c. Market Surveillance Administrator, 2014 ABCA 196, 577 A.R. 32, par. 36. Dans deux décisions, la Cour fédérale a également appliqué les principes issus de l’arrêt Blood Tribe au privilège relatif au litige : Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Air Canada, 2010 CF 429, par. 14 et 30-37 (CanLII); State Farm Mutual Automobile Insurance Co. c. Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, 2010 CF 736, par. 115 (CanLII).
[66] En l’espèce, l’art. 337 LDPSF sur lequel s’appuie la syndique n’autorise que la demande de communication de « tout document », sans plus. Il s’agit de ce que la Cour a qualifié dans Blood Tribe de « disposition générale relative à la production de documents qui ne précise pas clairement qu’elle s’applique aux documents à l’égard desquels est invoqué le privilège » (par. 21). En fait, l’art. 337 LDPSF est encore moins précis que les dispositions en cause dans Blood Tribe, qui permettaient à l’enquêteur d’obtenir tous les documents voulus « indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux » et « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » (art. 12 LPRPDE , maintenant art. 12.1 ).
[67] Une disposition qui traite simplement de la communication de « tout document » ne contient pas de termes suffisamment clairs, explicites et non équivoques pour écarter le privilège relatif au litige. Plusieurs lois prévoient la communication ou la production de « tout document » sans plus de précision. Comme l’indique l’intervenante Advocates’ Society, le Code de procédure civile du Québec le fait, tout comme les règles de procédure civile de plusieurs autres provinces. Certains tribunaux ont déjà conclu que des règles de procédure civile prévoyant la communication de documents en des termes très généraux ne contiennent pas le langage requis pour mettre à l’écart le privilège relatif au litige : Louch c. Decicco, 2007 BCSC 393, 39 C.P.C. (6th) 8, par. 63; Ward c. Pasternak, 2015 BCSC 1190, par. 37-38 (CanLII). Cette conclusion s’impose en l’espèce.
C. Une question incidente : le Code des professions et le privilège relatif au litige
[68] Je dois aborder un dernier point. À la suite de certains propos contenus dans l’arrêt de la Cour d’appel, le Barreau du Québec est intervenu devant nous pour soulever une question incidente sur la portée de l’art. 192 du Code des professions, dont la modification remonte à 1994. Cette disposition écarte nommément le secret professionnel lors d’une enquête disciplinaire, mais ne mentionne pas le privilège relatif au litige que pourrait invoquer le professionnel sous enquête. Dans ses motifs, la Cour d’appel réfère à cet article à deux endroits (par. 23 et 30) pour illustrer une situation où le législateur écarte expressément le secret professionnel de l’avocat, ce que ne fait pas l’art. 337 LDPSF.
[69] Soucieux de dissiper toute ambiguïté quant à la portée de ces propos, le Barreau soutient que l’art. 192 devrait être lu comme écartant non seulement le secret professionnel, mais également le privilège relatif au litige, et ce, bien que cette disposition n’en fasse pas mention. Le Barreau invoque à l’appui l’arrêt Blank, où la Cour a considéré que la protection offerte au secret professionnel de l’avocat par l’art. 23 de la Loi sur l’accès à l’information , disposition par ailleurs muette sur le privilège relatif au litige, s’étendait à ce dernier privilège.
[70] Bien que je sois conscient des préoccupations exprimées par le Barreau, j’estime que la Cour n’a pas à trancher définitivement cette question ici en l’absence de débat contradictoire complet impliquant toutes les parties potentiellement intéressées sur le sujet.
VI. Dispositif
[71] Le privilège relatif au litige est un privilège générique, distinct du secret professionnel de l’avocat, et sujet à quelques exceptions circonscrites qui ne s’appliquent pas ici. En l’absence de termes clairs, explicites et non équivoques dans le libellé de la LDPSF prévoyant sa mise à l’écart, ce privilège est opposable à la syndique, et la Cour supérieure ainsi que la Cour d’appel ont eu raison de conclure en ce sens. Je suis par conséquent d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens en faveur d’Aviva.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Mercier Leduc, Montréal.
Procureurs des intimées : Stikeman Elliott, Montréal.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Osler, Hoskin & Harcourt, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Advocates’ Society : Irving Mitchell Kalichman, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Barreau du Québec : Langlois avocats, Québec.