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23/11/2017 | CANADA | N°2017CSC57

Canada | Canada, Cour suprême, 23 novembre 2017, 2017CSC57


Traduction française officielle

Coram : Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Rowe

Motifs de jugement (par. 1 à 45) : Le juge Moldaver (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe)

Motifs dissidents (par. 46 à 76) : La juge Côté

Procureur général de la Colombie-Britannique, Intervenant

Répertorié : R. c. Sciascia

2017 CSC 57

No du greffe : 37155.

2017 : 24 avril; 2017 : 23 novembre.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Arrêt (la juge Côté est dissid

ente) : L’appel est rejeté.

Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe : Le juge du ...

Traduction française officielle

Coram : Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Rowe

Motifs de jugement (par. 1 à 45) : Le juge Moldaver (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe)

Motifs dissidents (par. 46 à 76) : La juge Côté

Procureur général de la Colombie-Britannique, Intervenant

Répertorié : R. c. Sciascia

2017 CSC 57

No du greffe : 37155.

2017 : 24 avril; 2017 : 23 novembre.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Arrêt (la juge Côté est dissidente) : L’appel est rejeté.

Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe : Le juge du procès avait compétence pour mener un procès conjoint relativement à des accusations provinciales et à des accusations criminelles relatives à des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et il n’a pas commis d’erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’en tenir un dans les circonstances.

La loi confère compétence aux juges de la Cour de justice de l’Ontario pour instruire tant les accusations relatives à des infractions provinciales que celles, criminelles, punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. En outre, aucune disposition du Code criminel ou de la LIP n’interdit expressément la tenue d’un procès conjoint pour juger de telles accusations. En l’absence d’une telle disposition, la compétence d’un juge de la Cour de justice de l’Ontario d’instruire conjointement ces deux types d’accusations procède du respect de l’intention du législateur et des principes de common law applicables.

L’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est conforme à l’esprit tant du Code criminel que de la LIP. Cette dernière a été conçue pour favoriser la mise en œuvre de procédures plus efficaces visant à donner suite au grand nombre d’accusations relatives à des infractions provinciales qui engorgeaient les tribunaux ontariens. Bien que la séparation des poursuites fondées sur la LIP du processus d’instruction en matière criminelle — qui est plus rigoureux et qui comporte de plus longs délais — ait été conçue principalement pour accroître l’efficacité du système judiciaire et en réduire les retards, lorsque la tenue d’un procès conjoint permet de mieux réaliser l’objectif d’efficacité que la tenue de procès distincts, l’application servile de la règle de la séparation des procès dénuerait la LIP de son esprit véritable et la détournerait de ses objectifs.

Le test de common law à deux volets relatif à la réunion d’accusations énoncé dans R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595, s’applique à la réunion d’accusations relatives à une infraction provinciale et à une infraction criminelle. Il peut être satisfait au premier volet — soit la question de savoir si les accusations auraient pu être portées conjointement à l’origine — même si une infraction provinciale et une infraction criminelle ne peuvent pas être réunies dans un même document, comme c’est le cas en Ontario. Suivant l’approche fonctionnelle de ce volet, il ne s’agit pas de savoir si l’utilisation d’une même formule prescrite est possible sur le plan technique, mais plutôt de savoir s’il existe un lien factuel suffisant entre les accusations relatives à des infractions provinciales et celles relatives à des infractions criminelles. Selon le second volet du test, le procès conjoint doit servir les intérêts de la justice. Pour analyser cette question, les tribunaux doivent mettre en balance les avantages et les inconvénients d’un procès conjoint. Le consentement de l’accusé est un facteur pertinent, mais la décision de tenir ou non un tel procès appartient au tribunal.

En l’espèce, il est permis et souhaitable de tenir un procès conjoint, qui sert les intérêts de la justice : aucune disposition des lois applicables n’interdit au juge du procès de tenir un procès conjoint; permettre la tenue d’un tel procès est compatible avec l’objectif d’accroissement de l’efficacité; les accusations reposent sur les mêmes événements, ce qui établit l’existence d’un lien factuel évident; et l’accusé n’a subi aucun préjudice.

La juge Côté (dissidente) : Un juge de la Cour de justice de l’Ontario n’a pas la compétence nécessaire pour procéder à l’instruction conjointe d’infractions provinciales et d’infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Lorsqu’une province a établi un régime procédural applicable aux infractions provinciales et conçu pour fonctionner de manière indépendante et distincte du système de justice pénale canadien, comme le régime décrit dans la LIP, les tribunaux doivent respecter le choix du législateur. La tenue d’un procès conjoint relativement à une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue au Code criminel et à une infraction provinciale serait donc incompatible avec l’intention du législateur sous-tendant la LIP.

Tant le libellé que le contexte de cette loi signalent l’intention qu’avait la législature en l’adoptant : mettre en place un régime procédural s’appliquant exclusivement aux infractions provinciales. La tenue de procès conjoints serait incompatible avec une telle intention, faisant ainsi fi de la distinction importante entre les infractions provinciales et les crimes réels — une distinction qui est au cœur de la LIP — et entre la procédure distincte qui s’applique aux unes et aux autres. Ni le consentement de l’accusé ni l’absence de préjudice subi n’a d’importance, puisque ces faits ne peuvent suffire à conférer une compétence qui n’existait pas dès le départ.

Les règles de common law applicables à la réunion d’accusations énoncées dans Clunas ne s’appliquent pas à la réunion des accusations criminelles et provinciales en l’espèce. Premièrement, le fait de réunir ces accusations pour les instruire dans le cadre d’un même procès est incompatible avec le régime législatif créé par la LIP. L’intention du législateur relativement à la question de compétence l’emporte sur les règles de common law, puisque cette dernière ne saurait permettre la tenue d’un procès conjoint là où l’intention du législateur était de maintenir deux systèmes de justice distincts. Deuxièmement, Clunas a été rendu uniquement dans le contexte du Code criminel , et avait trait à des accusations portées en vertu des dispositions de la même loi, prescrites par le même palier de gouvernement, et donc assujetties aux mêmes règles en matière de preuve et de procédure. En l’espèce, il est plutôt question de dispositions législatives édictées par deux paliers de gouvernement différents, qui se sont tous les deux dotés de leurs propres procédures et de règles de preuve distinctes.

Il ne peut être remédié à l’erreur commise par le juge de la cour provinciale de tenir un procès conjoint par les dispositions réparatrices du Code criminel ou de la LIP. Bien que la perte de compétence résultant d’une irrégularité de procédure puisse être réparée au moyen du sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel , cette disposition ne saurait permettre de pallier l’absence de compétence dès le départ. En l’espèce, l’erreur n’était pas une irrégularité de procédure, mais constituait un vice de procédure fondamental — il y avait absence totale de compétence pour tenir le procès conjoint. En outre, cette disposition réparatrice ne devrait pas servir de remède à la mise en échec systématique de l’intention de la législature. Le sous-alinéa 120(1)b)(iii) de la LIP ne trouve pas application en l’espèce puisqu’aucune erreur de droit n’a été commise et qu’il y avait plutôt absence totale de compétence pour tenir un procès conjoint.

Jurisprudence

Citée par le juge Moldaver

Arrêt appliqué : R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595; arrêt examiné : R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426; arrêts mentionnés : Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; In re Clayton, [1983] 2 W.L.R. 555; R. c. Massick (1985), 21 C.C.C. (3d) 128; R. c. Jamieson (1981), 64 C.C.C. (2d) 550, conf. par (1982), 66 C.C.C. (2d) 576; London (City) c. Young, 2008 ONCA 429, 91 O.R. (3d) 215; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858; R. c. Chow, 2005 CSC 24, [2005] 1 R.C.S. 384; R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146.

Citée par la juge Côté (dissidente)

R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760; R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595; Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31; R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823; R. c. Cloutier (1988), 43 C.C.C. (3d) 35.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 249 , 270.01 , 486.3 , 591(3) , 599(1) , 669.2(1) , 686(1) b)(iv), 785 « procédures », 788(1).

Code de la route, L.R.O. 1990, c. H.8, art. 201, 216.

Loi sur la preuve, L.R.O. 1990, c. E.23, art. 12, 18.1, 18.6, 23, 33, 35(1).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5, art. 7 , 9(2) , 16.1 , 29 , 30 .

Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, c. P.33, art. 1(1) « infraction », 2(1), 23, 29(4), 30(2), (3), 47(1), 120(1)b)(iii).

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43.

Rules of the Ontario Court (Provincial Division) in Provincial Offences Proceedings, R.R.O. 1990, Reg. 200, r. 32(5).

Summary Convictions Act, R.S.O. 1970, c. 450, art. 3.

Doctrine et autres documents cités

Doherty, David H. « Phillips : An Unwarranted Return to the “Punctilio of an Earlier Age” » (1983), 35 C.R. (3d) 203.

Ontario. Ministère du Procureur général. Provincial Offences Procedure : An Analysis and Explanation of Legislative Proposals — The Provincial Offences Act, 1978 and The Provincial Courts Amendment Act, 1978, Toronto, 1978.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges MacPherson, Watt et Miller), 2016 ONCA 411, 131 O.R. (3d) 375, 336 C.C.C. (3d) 419, 350 O.A.C. 86, [2016] O.J. No. 2789 (QL), 2016 CarswellOnt 8328 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Morissette, 2015 ONSC 1885, [2015] O.J. No. 1427 (QL), 2015 CarswellOnt 3948 (WL Can.), qui avait confirmé les déclarations de culpabilité de l’accusé pour conduite dangereuse d’un véhicule à moteur et pour défaut de s’arrêter à la demande d’un agent de police. Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

Owen Wigderson, Owen M. Rees et Benjamin Grant, pour l’appelant.
Lorna Bolton, pour l’intimée.
John R. W. Caldwell, pour l’intervenant.


Version française du jugement des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Rowe rendu par Le juge Moldaver —

I. Aperçu

[1] Le présent pourvoi porte sur la compétence d’un juge de la Cour de justice de l’Ontario (« juge de la CJO ») pour juger dans une même instance des accusations relatives à la fois à des infractions provinciales et à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire[1]. Ainsi que je l’expliquerai plus loin, j’estime qu’il est à la fois permis et souhaitable de tenir un procès conjoint lorsqu’il existe un lien factuel suffisant entre les accusations relatives à des infractions provinciales et celles relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et que les juger ensemble sert les intérêts de la justice.

[2] L’appelant, Joseph Sciascia, a été jugé par un juge de la CJO dans le cadre d’une instance unique relativement aux quatre infractions suivantes : (1) conduite dangereuse d’un véhicule à moteur (une infraction criminelle suivant l’art. 249 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 ); (2) voies de fait armées contre un agent de la paix (une infraction criminelle visée à l’art. 270.01 du Code criminel ); (3) omission d’arrêter à la demande d’un agent de police (une infraction à la réglementation provinciale prévue à l’art. 216 du Code de la route, L.R.O. 1990, c. H.8); et (4) omission d’avoir rapporté un dommage qu’il a causé en conduisant un véhicule automobile (ce qui contrevient à l’art. 201 du Code de la route[2]). Les accusations ont été portées à la suite d’un épisode de conduite erratique survenu très tôt le matin du 17 mars 2012 et impliquant M. Sciascia. Au moment où les policiers tentaient de mettre un terme à plusieurs fêtes de la Saint-Patrick dans une rue résidentielle de London, en Ontario, M. Sciascia y a conduit son véhicule. Un policier lui a fait signe de s’arrêter en bordure de la route. Monsieur Sciascia a commencé à s’exécuter, mais il a soudainement accéléré et, filant à toute vitesse dans la rue, il a failli frapper le policier. Quelques instants plus tard, M. Sciascia s’est enfui à pied après avoir fait éclater un pneu du véhicule qui avait heurté le trottoir. Deux passagers qui prenaient place dans le véhicule ont indiqué aux policiers que M. Sciascia était le conducteur du véhicule. Celui-ci a été arrêté chez lui le lendemain.

[3] Le procès de M. Sciascia s’est déroulé sur une période de deux jours, soit le 2 novembre 2012 et le 5 avril 2013. Le ministère public a choisi de procéder par procédure sommaire relativement aux deux infractions criminelles. Au tout début, après avoir signalé au tribunal que M. Sciascia était visé par deux dénonciations ― la première concernant des infractions prévues au Code criminel et l’autre concernant des infractions visées par la partie III de la Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, c. P.33 (« LIP ») ―, dont les instructions avaient été fixées devant le même juge et au même moment, le ministère public a proposé que M. Sciascia inscrive des plaidoyers relativement aux deux dénonciations. Ce dernier a consenti à cette procédure et plaidé non coupable. Il n’a pas mis en doute la compétence du juge de la CJO présidant l’audience pour juger ensemble les infractions criminelles et provinciales, dans une même instance. Le 7 juin 2013, le juge du procès a déclaré M. Sciascia coupable des infractions de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur et d’omission d’arrêter à la demande d’un policier : motifs de première instance, reproduits dans le d.a., p. 14-22.

[4] Monsieur Sciascia a changé d’avocat et a interjeté appel des déclarations de culpabilité. En appel, il a soutenu pour la première fois que le juge de la CJO n’avait pas compétence pour juger à la fois les infractions criminelles et les infractions provinciales dans le cadre d’un procès conjoint et que, en conséquence, son procès était frappé de nullité. Appliquant le test de common law à deux volets relatif à la réunion d’accusations énoncé par la Cour dans l’arrêt R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595, p. 610, la juge d’appel en matière de poursuites sommaires a rejeté l’argument de M. Sciascia : 2015 ONSC 1885. Après avoir conclu à l’existence d’un lien factuel suffisant entre les infractions, elle a jugé, vu le consentement de M. Sciascia à la tenue d’un procès conjoint et l’absence de préjudice, que juger les infractions ensemble dans une même instance servait les intérêts de la justice.

[5] Monsieur Sciascia a obtenu l’autorisation d’interjeter appel des déclarations de culpabilité devant la Cour d’appel de l’Ontario en invoquant l’absence de compétence du juge de la CJO pour statuer sur les accusations de natures criminelle et provinciale dans le cadre d’un procès conjoint. S’exprimant au nom de la cour unanime, le juge Watt a rejeté les appels : 2016 ONCA 411, 131 O.R. (3d) 375. Il ne s’est cependant pas rallié à l’opinion de la juge d’appel en matière de poursuites sommaires et a conclu que le juge de la CJO n’avait pas compétence pour tenir un procès conjoint dans le présent contexte. Plus particulièrement, il a conclu qu’il n’avait pas été satisfait au test énoncé dans Clunas parce que les infractions criminelles et provinciales n’auraient pas pu être réunies dans le même document d’inculpation. Citant l’arrêt R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426, il a ajouté que permettre la tenue d’un procès conjoint serait contraire à la volonté de la législature de l’Ontario (« Législature ») d’instaurer, sous le régime de la LIP, un système de justice distinct. Il a néanmoins rejeté les appels, retenant l’argument subsidiaire du ministère public selon lequel une telle erreur peut être remédiée en appliquant l’exception d’ordre procédural prévue au sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel ainsi que l’exception prévue au sous-al. 120(1)b)(iii) de la LIP.

[6] Monsieur Sciascia se pourvoit maintenant devant la Cour. Il affirme que ces dispositions réparatrices ne peuvent servir à remédier à une absence de compétence. Le ministère public conteste ce point de vue et soutient que la Cour d’appel a eu tort de conclure à l’absence de compétence du juge de la CJO pour tenir un procès conjoint.

[7] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le pourvoi. Contrairement à la Cour d’appel cependant, j’estime, soit dit en tout respect, que le juge de la CJO avait compétence pour mener un procès conjoint et qu’il n’a pas commis d’erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’en tenir un dans les circonstances. Par conséquent, je considère qu’il est inutile de répondre à la question concernant les dispositions réparatrices.

II. Analyse

[8] Le présent pourvoi soulève une question de droit précise : un juge de la CJO a-t-il compétence pour juger ensemble des accusations relatives d’une part à des infractions provinciales et d’autre part à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire? À mon avis, la réponse est affirmative[3]. En common law, les tribunaux jouissent du vaste pouvoir discrétionnaire de tenir un procès conjoint lorsque cela sert les intérêts de la justice : Clunas, p. 610; S.J.L., par. 60. Des raisons de principe militent en faveur de cette approche pragmatique. En l’absence d’une interdiction expressément prévue par la loi, ou d’une intention clairement exprimée par le législateur à l’effet contraire, rien ne justifie d’écarter ce pouvoir discrétionnaire : voir, p. ex., Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 29-30.

[9] En l’espèce, quatre facteurs m’amènent à conclure qu’il était permis de tenir un procès conjoint. Premièrement, aucune disposition des lois applicables n’interdit à un juge de la CJO de tenir un procès conjoint pour juger des accusations relatives à des infractions criminelles et provinciales. Deuxièmement, permettre la tenue d’un procès conjoint est compatible avec l’objectif d’accroissement de l’efficacité, soit le principal objectif sous-jacent à l’adoption de la LIP. Troisièmement, en l’espèce, les accusations en cause reposent sur les mêmes événements, ce qui établit l’existence d’un lien factuel évident. Enfin, l’accusé n’a subi aucun préjudice — il a d’ailleurs expressément consenti à la tenue d’un procès conjoint. Dans de telles circonstances, il était permis et souhaitable de tenir un procès conjoint, qui servait les intérêts de la justice.

A. Compétence d’origine législative

[10] Les parties reconnaissent que la loi confère compétence aux juges de la CJO pour instruire tant les accusations relatives à des infractions provinciales que celles, criminelles, punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. De même, il est reconnu qu’aucune disposition des lois applicables n’interdit expressément la tenue d’un procès conjoint pour juger de telles accusations. Par conséquent, la question en litige est celle de savoir si un juge de la CJO peut exercer simultanément des compétences que lui confèrent deux sources législatives indépendantes dans le contexte d’un procès conjoint — en d’autres termes, un juge de la CJO peut-il porter ces « deux chapeaux » à la fois?

[11] Selon M. Sciascia, l’absence d’une disposition législative autorisant expressément la tenue d’un procès conjoint est déterminante en l’espèce. Bien qu’il ne soulève pas de question de nature constitutionnelle, M. Sciascia affirme en effet que l’exercice simultané de ces deux compétences de sources distinctes constitue une forme unique de compétence « mixte » qui requiert une autorisation expresse de nature législative de la part des gouvernements provincial et fédéral.

[12] Soit dit en tout respect, j’estime qu’une telle approche est trop formaliste. Une autre, moins restrictive et plus souple quant à la procédure, concorde avec celle qu’a adoptée la Cour dans l’arrêt Clunas, où le juge en chef Lamer a fait sienne, à la p. 599, l’observation suivante formulée par le lord Roskill dans l’affaire In re Clayton, [1983] 2 W.L.R. 555 (H.L.), p. 562-563 :

[traduction] De nos jours, les cours de magistrat entendent la forte majorité des causes pénales dans ce pays et un bon nombre d’affaires civiles. Toute règle de pratique ou de procédure qui leur rend la tâche plus difficile ou qui les assujettit aux exigences du formalisme est donc à éviter et Vos Seigneuries estimeront peut-être que notre Chambre devrait maintenant encourager l’adoption de règles de procédure et de pratique qui favorisent mieux l’atteinte de la justice, notamment en ce qui concerne les intérêts tant de la poursuite que des défendeurs, pourvu que soient maintenues les mesures protectrices nécessaires pour parer à tout risque d’injustice pour ces derniers. [Je souligne.]

[13] Cette observation va dans le même sens que le point de vue exprimé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt R. c. Massick (1985), 21 C.C.C. (3d) 128, p. 134 :

[traduction] . . . la cour peut, sous réserve des limites qu’impose la common law ou d’un précédent qui la lie, autoriser une pratique ou une procédure qui favorise l’administration de la justice, de manière juste et expéditive. Comme je l’ai fait remarquer, la common law n’interdit pas qu’une même dénonciation énonce plus d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La cour n’est liée par aucune décision qui l’oblige à conclure qu’une dénonciation ne peut énoncer des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévues à la fois dans le Code criminel et dans une loi provinciale. Qui plus est, lorsque les accusations découlent d’un même ensemble de circonstances, une telle approche semble raisonnable et logique. [Je souligne.]

[14] Hormis son formalisme, l’argument de M. Sciascia — selon qui la tenue d’un procès conjoint devrait être expressément autorisée par la loi — n’est pas étayé par la jurisprudence de la Cour. Dans l’arrêt S.J.L., la juge Deschamps, s’exprimant au nom des juges majoritaires, précise que le fait pour un juge d’exercer simultanément des compétences provenant de sources indépendantes sans y être expressément autorisé par une loi ne pose pas en soi un problème (par. 59-60) :

. . . il n’est pas impossible qu’un juge et un tribunal portent deux chapeaux à la fois. En effet, il existe plusieurs situations où la compétence d’un juge s’étend à plus d’une matière. On peut penser, par exemple, aux juges municipaux et aux juges de la Cour du Québec et de la Cour supérieure qui, en plus de leur compétence respective, sont aussi juges de paix . . .

L’exercice simultané de plusieurs compétences n’est donc pas une situation inédite et a même été examiné par les tribunaux dans le passé. [. . .] Par conséquent, lorsqu’un juge est habilité à exercer deux compétences différentes, rien ne s’oppose de façon générale à ce qu’il les exerce simultanément. [Je souligne.]

[15] L’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique, fait valoir que le silence de la loi — qui n’autorise ni n’interdit la tenue d’un procès conjoint — devrait, dans les circonstances de l’espèce, être considéré une valeur neutre dans l’analyse. Je suis d’accord. En l’absence d’une disposition qui autorise expressément l’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et d’autres relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la compétence d’un juge de la CJO procède de l’intention du législateur et des principes de common law applicables, que j’examinerai maintenant.

B. Respect de l’intention du législateur

[16] Dans le présent contexte, l’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et d’accusations relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est conforme à l’esprit tant de la LIP que du Code criminel . Lorsqu’un incident ou des faits précis donnent lieu à la fois à des accusations de ces deux types, la souplesse qui permet de les juger ensemble ne peut que contribuer à l’atteinte des objectifs des lois fédérales et provinciales pertinentes.

(1) Le paragraphe 2(1) de la LIP

[17] Monsieur Sciascia ne conteste pas le fait que le pouvoir discrétionnaire de juger ensemble des accusations relatives à des infractions provinciales et d’autres relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire respecte l’esprit du Code criminel voulu par le législateur fédéral. Il fait toutefois valoir que, lorsqu’elle a édicté la LIP, la Législature entendait créer un système judiciaire distinct. Il s’appuie sur le par. 2(1) de la LIP, lequel dispose :

2 (1) La présente loi a pour objet de remplacer la procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les poursuites à l’égard d’infractions provinciales, y compris les dispositions adoptées par renvoi au Code criminel (Canada), par une procédure qui reflète la distinction existant entre les infractions provinciales et les infractions criminelles.

Selon M. Sciascia, permettre l’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et d’accusations relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire compromettrait la réalisation de l’objectif du par. 2(1) et ferait fi de la volonté expressément énoncée par la Législature. Sur ce point, il s’appuie sur l’arrêt S.J.L., dans lequel la Cour a jugé qu’un procès réunissant un adolescent et un adulte serait contraire à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 , laquelle vise essentiellement la création d’un système de justice distinct pour juger les crimes dont sont accusés les adolescents.

[18] Soit dit en tout respect, je ne puis souscrire à ce raisonnement. Le paragraphe 2(1) de la LIP ne fait pas de la séparation du système de justice provinciale et du système de justice pénale une fin en soi. Il préconise plutôt une telle séparation dans le but sous-jacent de gagner en efficacité. Comme l’a fait observer le juge en chef adjoint MacKinnon dans l’arrêt R. c. Jamieson (1981), 64 C.C.C. (2d) 550 (C.A. Ont.), p. 551-552, conf. par (1982), 66 C.C.C. (2d) 576 (C.A. Ont.) :

[traduction] La Loi sur les infractions provinciales vise à établir un moyen rapide, efficace et pratique de donner suite aux infractions visées par les lois provinciales et les règlements pris en vertu de ces lois. Les tribunaux qui instruisent ces affaires jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire quant au déroulement de l’instruction.

(Voir également London (City) c. Young, 2008 ONCA 429, 91 O.R. (3d) 215, par. 34.)

[19] À mon avis, l’analyse devrait reposer sur cet objectif principal, et non sur [traduction] « l’obligation d’appliquer une règle simplement parce qu’elle existe » : D. H. Doherty, « Phillips : An Unwarranted Return to the “Punctilio of an Earlier Age” » (1983), 35 C.R. (3d) 203, p. 205. La LIP a été conçue pour favoriser la mise en œuvre de procédures plus efficaces visant à donner suite au grand nombre d’accusations relatives à des infractions provinciales qui engorgeaient les tribunaux ontariens : voir Ontario, ministère du Procureur général, Provincial Offences Procedure : An Analysis and Explanation of Legislative Proposals — The Provincial Offences Act, 1978 and The Provincial Courts Amendment Act, 1978 (1978), p. 1-5. Afin de réduire les retards, la LIP a mis en place des régimes procéduraux qui ont permis que les poursuites relatives aux infractions provinciales soient moins complexes et plus efficaces.

[20] Ma collègue la juge Côté exprime l’opinion qu’il n’est pas permis de tenir des procès conjoints parce que le législateur a souhaité que les poursuites intentées en vertu de lois provinciales « n’exige[nt] pas — et ne devrai[ent] pas comporter — le même degré de complexité » que les procès en matière criminelle : par. 56. Or, le présent litige examine le pouvoir d’un juge de la CJO de réunir des accusations relatives à des infractions provinciales fondées sur la partie III de la LIP et des accusations relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. La partie III de la LIP est normalement réservée aux infractions plus graves, comme celles auxquelles M. Sciascia doit répondre en l’espèce. Contrairement aux parties I et II, qui simplifient sensiblement la procédure applicable aux accusations provinciales mineures, la partie III prévoit des protections supplémentaires qui s’apparentent davantage à celles que prévoit le Code criminel . Soit dit en tout respect, ma collègue ne fait état d’aucune procédure applicable aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qui rendrait une poursuite provinciale fondée sur la partie III plus complexe. Cela dit, même en supposant qu’un tel degré de complexité puisse exister dans une affaire donnée, le juge présidant l’audience peut certainement choisir de tenir des procès distincts.

[21] La séparation des poursuites fondées sur la LIP et du processus d’instruction en matière criminelle — qui est plus rigoureux et qui comporte de plus longs délais — a été conçue principalement pour accroître l’efficacité du système judiciaire et en réduire les retards. À mon avis, lorsque la tenue d’un procès conjoint permet de mieux réaliser l’objectif d’efficacité que la tenue de procès distincts, l’application servile de la règle de la séparation des procès dénuerait la LIP de son esprit véritable et la détournerait de ses objectifs. C’est en ce sens que l’arrêt S.J.L. se distingue de l’espèce.

[22] En effet, dans cet arrêt, la Cour a bien rappelé que le législateur souhaitait séparer le système de justice pour adolescent de celui pour adultes pour des raisons de principe impérieuses, notamment la « culpabilité morale moindre des adolescents », leur « plus grande vulnérabilité face au système judiciaire », ainsi que les différents objectifs du processus d’instruction : par. 64, voir aussi par. 72 et 75. La stricte séparation des systèmes préconisée dans ce contexte visait en réalité à protéger les adolescents des adultes inculpés dans le régime pour adultes, et du tort qui peut en découler. Bien que les infractions provinciales puissent également supposer une culpabilité morale moins élevée, le fait que des adultes inculpés d’une infraction provinciale visée par la partie III soient assujettis à la procédure sommaire prévue pour les infractions criminelles ne donne pas lieu à des préoccupations semblables. En ce sens, j’estime que l’arrêt S.J.L. ne constitue pas un obstacle à l’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et d’accusations relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans ce contexte.

(2) Le paragraphe 47(1) de la LIP

[23] Monsieur Sciascia se fonde également sur le par. 47(1) de la LIP pour démontrer la volonté du législateur :

47 (1) Avec le consentement des parties, le tribunal peut recevoir et étudier les témoignages recueillis devant le même juge à l’égard d’une accusation différente portée contre le même défendeur.

Selon lui, cette disposition démontre que le législateur a expressément choisi de tenir compte de la présence d’un certain recoupement dans les faits à l’origine des accusations provinciales et criminelles en permettant que des éléments de preuve versés dans un procès soient admis dans un autre. Ce choix exprès, affirme-t-il, exclut le recours à d’autres moyens d’atteindre le même objectif d’économie des ressources judiciaires. Ma collègue retient l’interprétation du par. 47(1) proposée par M. Sciascia.

[24] Soit dit en tout respect, je ne puis admettre cette interprétation. D’après moi, le par. 47(1) démontre que le législateur voulait favoriser la prise de mesures procédurales aptes à accroître l’efficacité, en harmonie avec l’esprit de la réforme de la LIP. Certes, le par. 47(1) traite d’une façon de tenir compte des recoupements qui peuvent survenir dans le cadre de l’instruction de procès relatifs à des infractions provinciales d’une part et à des infractions criminelles punissables par déclaration de culpabilité par procédure sommaire d’autre part, mais cet énoncé n’exclut pas le recours à d’autres outils procéduraux. Rien dans la LIP n’interdit expressément la tenue d’un procès conjoint relativement à des accusations de ces deux types. J’estime que cette disposition ne l’interdit pas implicitement non plus, puisqu’une exclusion implicite contrarierait l’esprit sous-jacent de la LIP qui vise à accroître l’efficacité : voir Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360, par. 37.

[25] Selon mon interprétation, le par. 47(1) et le pouvoir discrétionnaire des juges de la CJO de tenir un procès conjoint ne s’excluent pas mutuellement. L’application du par. 47(1) est assujettie au consentement des parties, ce qui en restreint l’efficacité. L’exigence du consentement prévue par cette disposition donne en réalité tant au ministère public qu’à la défense un pouvoir de refus, laissant ainsi le tribunal dépourvu des moyens de défendre les intérêts de la justice dans les cas où l’affaire s’y prête, et ce, malgré les avantages évidents que présente la tenue d’un procès conjoint.

[26] Parallèlement, il peut être indiqué de refuser la tenue d’un procès conjoint lorsque celui-ci causerait un préjudice grave et, en conséquence, nuirait aux intérêts de la justice. Dans un tel cas, il serait néanmoins possible d’invoquer le par. 47(1) de la LIP afin d’autoriser que certains témoignages recueillis devant le même juge à l’occasion du premier procès soient admis au dossier de l’autre affaire, pourvu que les parties y consentent.

[27] Bref, le par. 47(1) n’est pas un obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge de la CJO de tenir un procès conjoint. Au contraire, ces outils procéduraux peuvent être harmonisés afin de réaliser les objectifs de la LIP.

(3) L’utilité concrète des procès conjoints

[28] Enfin, M. Sciascia fait valoir que même si la LIP est censée mettre en place des procédures permettant d’accroître l’efficacité, le recours à des procès conjoints ne contribue pas à la réalisation de cet objectif. Il doute que les accusés qui agissent pour leur propre compte puissent savoir quoi faire, dans le cadre d’un procès conjoint, en cas de divergences entre les procédures prévues par les lois fédérales ― en l’occurrence, le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5 (« LPC ») ― et les lois provinciales ― en l’occurrence, la LIP et la Loi sur la preuve, L.R.O. 1990, c. E.23. Ma collègue fait preuve d’autant de scepticisme, expliquant que la réunion de procès pour des raisons de commodité de nature procédurale risque « d’encourager la multiplicité des accusations » : par. 62.

[29] J’estime que ces préoccupations ne sont pas convaincantes. Monsieur Sciascia relève neuf différences procédurales, dont la plupart sont de nature relativement mineure, par exemple : la procédure applicable au contre-interrogatoire d’un témoin par la partie qui le présente (LPC, par. 9(2) ; Loi sur la preuve, art. 23); la possibilité ou non de contre-interroger personnellement un témoin âgé de moins de 18 ans (Code criminel, art. 486.3 ; Loi sur la preuve, art. 18.6); et le nombre de témoins experts qui peuvent être appelés à témoigner sans la permission du tribunal (LPC, art. 7 ; Loi sur la preuve, art. 12). De nombreuses autres différences ne seront que rarement soulevées, par exemple : l’admissibilité en preuve de registres des banques ou des documents d’une entreprise (LPC, art. 29 et 30 ; Loi sur la preuve, art. 33 et par. 35(1)); l’habilité à témoigner d’un enfant (LPC, art. 16.1 ; Loi sur la preuve, art. 18.1); les demandes de changement de lieu (Code criminel, par. 599(1) ; LIP, par. 29(4)); et les règles applicables en cas de décès du juge du procès (Code criminel, par. 669.2(1) ; LIP, par. 30(2) et (3)).

[30] Ces éventuels obstacles sont loin d’être insurmontables et ne sauraient justifier l’interdiction absolue de tenir un procès conjoint que préconise M. Sciascia. Il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider de la manière exacte de concilier des divergences précises de nature procédurale. Les tribunaux de première instance devraient bénéficier d’une grande latitude pour résoudre ces difficultés lorsqu’elles surviennent. L’application de la procédure sommaire prévue pour les infractions criminelles, habituellement plus favorable aux accusés, pourrait constituer une solution en cas de conflit. Cette approche s’accorderait avec la directive que la Cour a donnée dans l’arrêt Clunas portant que, en cas de conflit entre la procédure sommaire et la procédure de mise en accusation directe, cette dernière est celle qui devrait être appliquée : voir p. 612-613. En outre, le tribunal peut toujours refuser de tenir un procès conjoint lorsqu’il est impossible de résoudre les conflits de procédure et lorsque le procès conjoint ne servirait pas les intérêts de la justice.

[31] Je ne crois pas non plus que le risque de multiplicité des accusations de la part du ministère public devrait empêcher les tribunaux d’ordonner la tenue de procès conjoints lorsque les intérêts de la justice le commandent. Le ministère public peut porter des accusations pour lesquelles il existe une perspective raisonnable de condamnation et qui sont dans l’intérêt public. Il doit néanmoins prendre soin de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de manière excessive. La Cour a d’ailleurs fait la mise en garde suivante dans l’arrêt R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 45 :

Lorsque les autres accusations ou les accusations plus sévères sont d’importance secondaire et que la poursuite relative à ces accusations nécessiterait un procès et des directives au jury beaucoup plus complexes, le ministère public devrait sérieusement se demander si l’intérêt public serait mieux servi en décidant dès le départ de ne pas intenter de poursuites relativement aux accusations d’importance secondaire, ou en décidant de ne pas y donner suite lorsque la preuve au procès est complète.

[32] Le filtrage des accusations d’importance secondaire qui ajoutent à la complexité de l’instance est une tâche particulièrement importante compte tenu des pressions que subit notre système de justice criminelle surchargé : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 79. Ainsi, rien dans les présents motifs ne devrait être interprété de manière à encourager le ministère public à porter des accusations inutiles.

[33] De plus, le scepticisme de M. Sciascia concernant l’utilité des procès conjoints détonne avec la jurisprudence abondante qui en relève les avantages. Des « solides raisons de principe » justifient le « fort courant jurisprudentiel au pays, qui favorise la tenue des procès conjoints » : R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858, par. 19 et 30; voir également R. c. Chow, 2005 CSC 24, [2005] 1 R.C.S. 384, par. 47. Parmi les avantages, signalons la saine économie des ressources judiciaires qu’entraîne l’élimination des redondances, le soutien apporté à la fonction de recherche de la vérité du procès, la réduction des inconvénients auxquels sont exposés les témoins, la simplification des discussions en vue d’un règlement et le renforcement de la confiance du public du fait d’éloigner le spectre des conclusions contradictoires découlant de mêmes faits. Ces avantages démontrent clairement que, en l’absence d’un préjudice, la tenue d’un procès conjoint en présence d’un lien factuel suffisant servira les intérêts de la justice : voir R. c. Last, 2009 CSC 45, [2009] 3 R.C.S. 146, par. 17; Massick, p. 135. Dans ces cas, tous ceux qui participent au processus, y compris les accusés, profitent de l’économie de temps et d’argent ainsi que de la réduction des inconvénients réalisées grâce à la tenue de procès conjoints. Le fait pour les accusés d’y consentir, comme l’a fait M. Sciascia en l’espèce, démontre la réciprocité de ces avantages. Soit dit en tout respect, les hypothèses émises sur les éventuelles difficultés que les accusés qui agissent pour leur propre compte risquent de connaître sont loin d’être suffisantes pour déloger la perspective que présentent ces avantages bien établis.

[34] Par conséquent, je conclus que la tenue de procès conjoints est conforme à l’esprit et à l’objet de la LIP. Il reste donc à décider si, dans les circonstances de l’espèce, la tenue d’un procès conjoint était conforme aux principes applicables de common law.

C. Règle issue de la common law

[35] Dans l’arrêt Clunas, la Cour a énoncé un test à deux volets reconnu en common law et applicable à la réunion d’infractions qui exige (1) que « les accusations [aient] pu être portées [. . .] conjointement à l’origine », et (2) que « cela ser[ve] les intérêts de la justice » : p. 610. La Cour a confirmé de nouveau ce test dans l’arrêt S.J.L., par. 60[4].

[36] Ma collègue conclut que le test énoncé dans l’arrêt Clunas ne s’applique qu’à la réunion d’accusations criminelles, qui sont assujetties « aux mêmes règles en matière de preuve et de procédure » : par. 67. Soit dit en tout respect pour l’opinion contraire, j’arrive à une conclusion différente. Certes, les arrêts Clunas et S.J.L. examinent tous deux la réunion de multiples accusations relatives à des infractions criminelles, mais rien ne nous permet de penser que le même test ne devrait pas s’appliquer à la réunion d’accusations relatives d’une part à des infractions provinciales et d’autre part à des infractions criminelles. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il se peut que les intérêts de la justice exigent des procès distincts en présence de divergences inconciliables dans les règles de preuve et de procédure. Cela dit, le fait que la procédure puisse être différente n’empêche pas l’application de l’arrêt Clunas. Cette possibilité permet plutôt de constater que l’application du test devrait tenir compte des différents facteurs qui peuvent faire pencher la balance en faveur de la réunion ou non, selon le cas. Or, c’est précisément ce que fait le test énoncé dans l’arrêt Clunas. J’examinerai ci-après ses deux volets à tour de rôle.

(1) Lien factuel

[37] La Cour d’appel a déterminé que le premier volet — soit la question de savoir si les accusations auraient pu être portées conjointement à l’origine — constituait [traduction] « le point sensible » qui empêche la réunion d’accusations relative d’une part à des infractions criminelles et d’autre part à des infractions provinciales pour un procès : par. 54. Parce que ces accusations ne peuvent pas, en Ontario, être portées dans un même document, la Cour d’appel a conclu qu’il ne serait jamais possible de satisfaire à ce volet en Ontario. En effet, pour elle, bien que, en substance, elles soient sensiblement les mêmes, la formule 105 prescrite par la partie III dans le cas d’une dénonciation déposée relativement à une infraction provinciale conformément à l’art. 23 de la LIP[5] se distingue de la formule 2 prescrite dans le cas d’une dénonciation déposée relativement à une infraction criminelle conformément au par. 788(1) du Code criminel .

[38] Je ne souscris pas à cette approche. Tenir cette différence de forme pour déterminante autorise la forme à l’emporter sur le fond, et privilégie une conception restrictive de la procédure que les tribunaux n’ont pas voulu adopter : voir Clayton, p. 562-563; Clunas, p. 598-599; Massick, p. 134. Fait plus important encore, ce point de vue ne tient pas compte de la difficulté que la Cour cherchait à résoudre en formulant le premier volet du test énoncé dans l’arrêt Clunas.

[39] Dans l’arrêt Clunas, la Cour ne s’intéresse pas au spectre des différentes formules prescrites. L’objet véritable du premier volet est plutôt de veiller à l’existence d’un lien factuel suffisant entre les accusations[6]. C’est ce qui se dégage clairement du fait que la Cour s’appuie sur l’arrêt Clayton, dans lequel l’énoncé du test applicable à la réunion d’accusations exigeait [traduction] « l’existence d’un lien factuel suffisamment étroit pour justifier cette application et l’absence du risque que les défendeurs soient victimes d’une injustice » : p. 565. C’est également ce que reflète le test applicable à la séparation des accusations prévue au par. 591(3) du Code criminel : voir Last, par. 18.

[40] En fin de compte, suivant l’approche fonctionnelle de ce volet, il ne s’agit pas de savoir si l’utilisation d’une même formule prescrite est possible sur le plan technique, mais plutôt de savoir s’il existe un lien factuel suffisant entre les accusations relatives à des infractions provinciales et celles relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Conclure autrement reviendrait à assujettir la possibilité de tenir des procès conjoints à la formule qu’une province donnée choisit d’appliquer aux infractions provinciales, entraînant ainsi un résultat arbitraire où la forme l’emporte manifestement sur le fond.

(2) Les intérêts de la justice

[41] Selon le second volet du test énoncé dans l’arrêt Clunas, le procès conjoint doit servir « les intérêts de la justice » : p. 610. Cette exigence reprend le libellé du par. 591(3) du Code criminel , lequel régit la séparation des accusations :

(3) Lorsqu’il est convaincu que les intérêts de la justice l’exigent, le tribunal peut ordonner :

a) que l’accusé ou le défendeur subisse son procès séparément sur un ou plusieurs chefs d’accusation;

b) s’il y a plusieurs accusés ou défendeurs, qu’ils subissent leur procès séparément sur un ou plusieurs chefs d’accusation.

[42] Lorsqu’ils se penchent sur l’opportunité de réunir ou de séparer des accusations, les tribunaux doivent mettre en balance les avantages et les inconvénients d’un procès conjoint. À mon avis, les éléments pris en compte relativement à la séparation s’appliquent tout autant à la réunion. Ainsi que l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Last, par. 18, ces éléments peuvent comprendre les facteurs qui figurent dans la liste non exhaustive que voici :

. . . la complexité de la preuve, la question de savoir si l’accusé entend témoigner à l’égard d’un chef d’accusation, mais pas à l’égard d’un autre, la possibilité de verdicts incompatibles, le désir d’éviter [la] multiplicité des instances, l’utilisation de la preuve de faits similaires au procès, la durée du procès compte tenu de la preuve à produire, le préjudice que l’accusé risque de subir quant au droit d’être jugé dans un délai raisonnable et l’existence de moyens de défense diamétralement opposés entre coaccusés . . .

[43] Le consentement de l’accusé est aussi un facteur pertinent dans l’évaluation des avantages et des inconvénients d’un procès conjoint, mais je tiens à préciser que la décision de tenir ou non un tel procès appartient au tribunal. Le consentement de l’accusé est certes un facteur dont le tribunal doit tenir compte pour arrêter sa décision, mais il n’est pas en soi déterminant. En dernière analyse, si le tribunal estime que le préjudice résultant de la tenue d’un procès conjoint l’emporte sur les avantages, il doit refuser d’en ordonner la tenue.

(3) Application

[44] À partir du moment où il est admis que le juge de la CJO avait compétence pour juger ensemble les accusations en l’espèce, la question du bien-fondé de sa décision de le faire n’a pas à être débattue dans les circonstances. Puisqu’elles découlent des mêmes faits, il existe clairement en l’espèce un lien factuel entre les accusations relatives à des infractions provinciales et celles relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Par ailleurs, en l’absence d’un préjudice et compte tenu du consentement exprès de M. Sciascia, le juge de la CJO pouvait manifestement conclure que la tenue d’un procès conjoint servait les intérêts de la justice.

III. Conclusion

[45] À la lumière de l’analyse qui précède, je conclus que le juge de la CJO n’a pas eu tort de juger conjointement les accusations relatives à des infractions provinciales et celles relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire portées contre M. Sciascia. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi et confirmerais les déclarations de culpabilité.

Version française des motifs rendus par

[46] La juge Côté (dissidente) — Lorsqu’une province a établi un régime procédural applicable aux infractions provinciales et conçu pour fonctionner de manière indépendante et distincte du système de justice pénale canadien, les tribunaux doivent respecter le choix du législateur. Le présent pourvoi soulève la question de savoir si, en l’absence d’une habilitation législative claire à cet effet, un juge de la cour provinciale de l’Ontario a compétence pour procéder à l’instruction conjointe d’infractions provinciales d’une part et d’infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire d’autre part.

[47] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi de M. Sciascia. La tenue d’un procès conjoint relativement à une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue au Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 , et à une infraction provinciale serait incompatible avec l’intention du législateur sous-tendant la Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, c. P.33 (« LIP »), laquelle, à mon sens, visait à créer un ensemble de procédures distinct applicables uniquement aux poursuites relatives aux infractions provinciales. Les complexités inhérentes à la procédure en matière criminelle ne devaient jouer aucun rôle dans ce nouveau cadre procédural. L’instruction conjointe d’infractions provinciales et d’infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire aurait donc pour effet de porter atteinte à cette intention du législateur. C’est pourquoi j’estime, avec égards, qu’un juge de la Cour de justice de l’Ontario n’a pas la compétence nécessaire pour procéder à une telle instruction.

[48] L’erreur en cause ne tient pas seulement d’une irrégularité de procédure; elle touche l’essence même de la compétence de la cour de tenir un procès conjoint. En conséquence, elle ne saurait être sauvegardée par les dispositions réparatrices prévues aux sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel et 120(1)b)(iii) de la LIP.

I. Analyse

[49] La première question qui se pose dans le présent pourvoi est celle de savoir si un juge de la cour provinciale de l’Ontario a la compétence pour juger conjointement une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire visée au Code criminel et une infraction provinciale. En l’absence d’une telle compétence, l’application des dispositions réparatrices contenues dans le Code criminel et la LIP doit alors être considérée.

A. La compétence de la cour relativement à la tenue d’un procès conjoint

[50] Le Parlement fédéral et la législature de l’Ontario (« Législature »), dans l’exercice de leurs pouvoirs législatifs distincts, ont adopté des régimes procéduraux différents pour la tenue de procès en application du Code criminel d’une part, et pour la tenue de procès en application de la LIP d’autre part. Si aucun de ces deux textes de loi n’autorise expressément un juge de la cour provinciale à juger simultanément des infractions provinciales et des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, ils n’interdisent pas non plus cette pratique. Certes, dans certaines circonstances, la common law peut autoriser la tenue d’une instruction conjointe. Les règles de common law régissant la réunion des chefs d’accusation ne trouvent toutefois pas application si le fait de réunir les accusations pour les instruire dans le cadre d’un même procès est incompatible avec le régime législatif applicable : R. c. S.J.L., 2009 CSC 14, [2009] 1 R.C.S. 426, par. 52. Par conséquent, la question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si, malgré l’absence de directives législatives claires à cet égard, le Parlement fédéral et la Législature entendaient permettre le recours à une instruction conjointe dans le cas d’une personne accusée d’avoir commis à la fois des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et des infractions provinciales.

[51] Dans l’arrêt S.J.L., la Cour s’est penchée sur une question connexe. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si une cour provinciale avait compétence pour juger conjointement des adolescents accusés sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1 , et des adultes accusés en application du Code criminel . Ni la common law ni le Code criminel n’interdisaient explicitement la tenue d’un procès conjoint en pareilles circonstances. La Cour devait donc déterminer si « la création d’un système de justice pénale distinct pour les adolescents » avait pour effet d’écarter l’application de la règle de common law, dans la mesure où un procès réunissant des jeunes contrevenants et des contrevenants adultes était incompatible avec les procédures propres au système de justice pénale pour les adolescents : par. 52. Tout en reconnaissant que, sur le plan pratique, cela ne donnerait pas lieu à des difficultés insurmontables, la Cour a conclu que la tenue d’un tel procès conjoint serait incompatible avec le principe directeur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents , à savoir maintenir, « pour les adolescents, un système de justice distinct de celui des adultes » : par. 56 (italique omis).

[52] À la lumière de l’objet et de l’esprit de la LIP, j’en arrive à une conclusion similaire. L’instruction conjointe d’accusations relatives à une infraction criminelle punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et à une infraction provinciale irait à l’encontre de l’intention du législateur à l’origine de la LIP.

(1) L’intention du législateur

[53] Avant 1979, les poursuites intentées relativement à des infractions provinciales étaient menées en grande partie conformément aux procédures prévues par le Code criminel : voir The Summary Convictions Act, R.S.O. 1970, c. 450, art. 3. En 1979, la Législature a choisi d’écarter l’application des procédures prévues par le Code criminel en ce qui a trait aux infractions non criminelles, afin de remédier aux coûts disproportionnés et à la complexité de ces procédures, et afin d’accroître l’efficacité du système judiciaire ontarien et de réduire les fardeaux administratifs pesant sur lui. Les efforts en ce sens ont résulté en l’adoption de la LIP. Reconnaissant la différence fondamentale entre les infractions provinciales et les infractions criminelles (tant du point de vue des aspects de la vie sociale qu’elles régissent que des conséquences pour l’accusé et pour la société en général), cette loi a instauré un nouvel ensemble simplifié de procédures destinées à s’appliquer exclusivement aux poursuites relatives à des infractions provinciales. Ainsi, les nouvelles procédures informelles et accessibles reflètent le fait que les formalités et règles techniques prévues au Code criminel ne convenaient pas aux poursuites intentées relativement à la plupart des infractions provinciales : Ontario, ministère du Procureur général, Provincial Offences Procedure : An Analysis and Explanation of Legislative Proposals — The Provincial Offences Act, 1978 and The Provincial Courts Amendment Act, 1978 (1978) (« Analysis and Explanation »), p. 1.

[54] La Législature a ainsi énoncé l’objet de la LIP à son par. 2(1) :

2 (1) La présente loi a pour objet de remplacer la procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les poursuites à l’égard d’infractions provinciales, y compris les dispositions adoptées par renvoi au Code criminel (Canada), par une procédure qui reflète la distinction existant entre les infractions provinciales et les infractions criminelles.

Au moment de l’adoption de la loi, le ministère du Procureur général de l’Ontario a fait la déclaration suivante au sujet des effets recherchés par cette disposition :

[traduction] [L]e paragraphe [2(1)] vise à aider les tribunaux à interpréter la Loi en attirant leur attention sur le principe fondamental de cette loi, à savoir qu’elle est censée remplacer entièrement la procédure existante en matière criminelle, plutôt que de simplement la modifier. Les procédures prescrites par la Loi traduisent une philosophie entièrement nouvelle, c’est-à-dire que les infractions provinciales doivent être traitées différemment des infractions criminelles, et ce, à chaque étape des procédures, cette différence de traitement tenant compte du fait que le formalisme rigide propre à la procédure pénale ne convient pas aux infractions provinciales.

. . .

La distinction qui sera établie entre les procès portant sur des infractions provinciales et ceux relatifs à des infractions criminelles devrait permettre de favoriser un environnement où les premières seront traitées de manière bien moins rigide et formelle que dans le cas d’instances ayant trait à des infractions criminelles. Il est à souhaiter que, au fil du temps, toutes les personnes prenant part à des poursuites pour des infractions à une loi provinciale [. . .] seront imprégnées de cette distinction, et que cela se reflétera dans leur façon d’aborder ce type d’infraction. [Je souligne.]

(Analysis and Explanation, p. 25 et 92)

[55] En adoptant la LIP, la Législature a agi à l’intérieur de son champ de compétence législative afin d’instaurer une nouvelle procédure simplifiée en vue d’assurer l’efficacité des poursuites visant des infractions provinciales. Par conséquent, les procédures prévues par la LIP ne s’appliquent qu’aux infractions créées par « une loi de la Législature ou [par] un règlement ou un règlement administratif pris en application d’une telle loi » : art. 1(1) « infraction ». De même, le Code criminel dispose que l’on ne peut recourir aux procédures relatives à des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qu’à l’égard d’« infractions qu’une loi fédérale, ou toute disposition établie sous son régime, déclare punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire » : art. 785 « procédures ». En somme, les deux textes de loi établissent leur propre code de procédure autonome qui doit s’appliquer uniquement aux poursuites relatives à des infractions prévues dans la loi par leur ordre de gouvernement respectif.

[56] La mention d’une « distinction existant entre les infractions provinciales et les infractions criminelles » faite au par. 2(1) de la LIP est également un élément important en l’espèce. Les infractions provinciales ne sont pas des crimes véritables, étant dépourvues de l’« objet valide de droit criminel » inhérent aux infractions créées par le Code criminel : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 27. Les infractions provinciales sont plutôt de nature réglementaire et, ainsi que l’a fait remarquer mon collègue le juge Moldaver au par. 22 de ses motifs, elles supposent habituellement « une culpabilité morale moins élevée » que les crimes proprement dits. Témoignant de cette différence importante, le libellé du par. 2(1) signale que l’instruction des infractions provinciales n’exige pas — et ne devrait pas comporter — le même degré de complexité et de formalité que celle des infractions criminelles. Cette interprétation est étayée par les remarques suivantes du ministère du Procureur général de l’Ontario tirées du document Analysis and Explanation :

[traduction] . . . puisqu’il existe des infractions provinciales très graves passibles de lourdes amendes et de peines d’emprisonnement prolongées, la Loi établit, pour ces infractions, un ensemble de procédures distinct, qui présente des ressemblances avec les règles de procédure prévues au Code criminel , mais qui est néanmoins considérablement moins rigide que ces dernières. [Je souligne; p. 1.]

[57] Ces objectifs législatifs sont assurément atteints lorsque les infractions provinciales et les infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sont instruites séparément. Dans de tels cas, toutefois, il n’est pas nécessaire de tenir deux procès complets, durant lesquels le ministère public aurait à présenter sa preuve à deux reprises. D’ailleurs, le par. 47(1) de la LIP prévoit ce qui suit :

47 (1) Avec le consentement des parties, le tribunal peut recevoir et étudier les témoignages recueillis devant le même juge à l’égard d’une accusation différente portée contre le même défendeur.

Ainsi, conformément à l’objectif de créer un système de poursuite efficace pour les infractions provinciales, le par. 47(1) permet au tribunal, après avoir obtenu le consentement des parties, de recevoir la preuve recueillie dans le cadre d’une autre instance — y compris une instance criminelle — devant le même juge et de prendre en compte cette preuve afin de juger l’accusation relative à l’infraction provinciale. En pratique, cette disposition libère les parties de l’obligation de produire deux fois les mêmes éléments de preuve, en plus de minimiser les inconvénients pour les témoins, qui, autrement, auraient à livrer les mêmes témoignages dans le cadre de deux auditions différentes.

[58] Comme l’a déclaré le ministère du Procureur général de l’Ontario, cette disposition vise à [traduction] « empêcher que des règles techniques ne fassent obstacle à une instruction rapide lorsque les deux parties sont prêtes à consentir à une procédure expéditive » : Analysis and Explanation, p. 51. Cette déclaration renvoie directement au tiraillement qui existe entre le choix de créer un régime procédural distinct applicable aux infractions provinciales et les impératifs d’économie et d’efficacité des ressources judiciaires lorsque le ministère public choisit d’instruire à la fois des infractions visées au Code criminel et des infractions provinciales. Consciente de cette difficulté, la Législature a tenté de parvenir à un point d’équilibre, non pas en autorisant les procès conjoints, mais en donnant effet au par. 47(1) de la LIP.

[59] Au paragraphe 25 de ses motifs, mon collègue souligne que l’exigence du consentement prévue au par. 47(1) de la LIP donne dans les faits tant au ministère public qu’à la défense un « pouvoir de refus » quant à l’application de cette disposition. Certes. J’estime cependant qu’il s’agit d’un choix de la Législature qui reflète la nécessité d’établir un équilibre adéquat entre la célérité et l’efficacité d’une part, et l’importance de mener un procès complet et équitable d’autre part. Dans les cas où l’une ou l’autre des parties considère qu’il est avantageux sur le plan pratique de tenir deux procès complets, durant lesquels la preuve est présentée à deux reprises, le par. 47(1) offre la possibilité de faire de la sorte. Par exemple, si les éléments des infractions criminelle et provinciale dont l’inculpé a été accusé sont différents, l’une ou l’autre des parties peut juger qu’il est utile que le juge du procès réentende et réexamine la preuve. Suivant le mécanisme prévu au par. 47(1), la mise en application de cette disposition relève des parties plutôt que du juge. Les tribunaux doivent respecter ce choix du législateur.

[60] En somme, tant le libellé que le contexte entourant l’application de la LIP signalent l’intention qu’avait la Législature en l’adoptant : mettre en place un régime procédural s’appliquant exclusivement aux infractions provinciales. La tenue de procès conjoints dans de telles circonstances serait incompatible avec une telle intention, faisant ainsi fi de la distinction importante entre les infractions provinciales et les crimes réels et entre la procédure distincte qui s’applique aux unes et aux autres. Cette distinction est au cœur de la LIP, comme l’indique le libellé du par. 2(1).

(2) Les aspects pratiques des procès conjoints

[61] Dans ses motifs, mon collègue rejette l’argument voulant que le recours à des procès conjoints ne contribue pas à la réalisation de l’objectif d’accroître l’efficacité du système judiciaire. Il souligne que la plupart des différences entre les procédures établies par le Code criminel et celles établies par la LIP pour la tenue de procès « sont de nature relativement mineure » ou « ne seront que rarement soulevées » : par. 29. Tel est peut-être le cas, mais cela n’a guère d’importance. Le procureur général de l’Ontario admet volontiers que la tenue de procès conjoints nécessiterait que les procédures et dispositions prévues au Code criminel et par la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5 , s’appliquent advenant leur incompatibilité avec les procédures et dispositions provinciales. Compte tenu de l’intention claire qu’avait la Législature de créer des régimes procéduraux distincts, une telle chose serait inacceptable. Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a observé au par. 56 de l’arrêt S.J.L., le fait qu’un procès conjoint puisse ne comporter aucune difficulté pratique insurmontable n’est pas déterminant. L’intention de la Législature a préséance, et il y a lieu de s’y plier.

[62] Respecter le choix de la Législature de créer un régime distinct pour les infractions provinciales est d’autant plus important compte tenu des défis auxquels est présentement confronté notre système de justice pénale. S’il est vrai que les procès conjoints peuvent présenter de nombreux avantages d’ordre pratique — dont ceux mentionnés par mon collègue au par. 33 de ses motifs —, ces avantages ne sont pas l’apanage de ce type de procès. L’application du par. 47(1) de la LIP, par exemple, est également susceptible d’améliorer l’efficacité judiciaire en réduisant l’engorgement des tribunaux et en minimisant les inconvénients subis par les témoins. Qui plus est, les procès conjoints peuvent, dans certains cas, avoir pour effet indésirable de compliquer inutilement les procédures relatives à une infraction provinciale et d’encourager la multiplicité des accusations. Par exemple, la possibilité de recourir à des procès conjoints pourrait inciter le ministère public à engager des poursuites fondées à la fois sur des infractions provinciales et sur des infractions criminelles, alors que, en réalité, il serait nécessaire ou approprié de porter des accusations seulement quant à l’une de ces infractions.

[63] Je reconnais que la Cour a mis récemment le ministère public en garde contre la poursuite d’« accusations d’importance secondaire » qui ne font qu’ajouter à la complexité des procès criminels : R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760, par. 45. À mon avis, interdire la tenue de procès conjoints relatifs à des infractions provinciales d’une part, et à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire d’autre part, aide à assurer que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre est exercé correctement, dans l’intérêt public.

[64] Comme je l’ai déjà mentionné, la Législature a reconnu la différence fondamentale qui existe entre les infractions provinciales et les infractions criminelles, et elle en a tenu compte en créant les procédures prévues par la LIP. Or, le procureur général de l’Ontario souhaite faire abstraction de cette différence, car il a réuni les infractions à la réglementation provinciale et les infractions criminelles dans un même procès, comme si cela allait de soi. Qu’à cela ne tienne, lorsqu’une législature s’est attachée à éliminer les complexités en créant des procédures simplifiées applicables aux infractions provinciales — allégeant ainsi le fardeau qui pèse sur le système de justice pénale dans les cas appropriés —, on doit donner pleinement effet à ces mesures.

(3) L’intention du législateur a préséance sur les règles de common law

[65] Dans ses motifs, mon collègue conclut que la tenue d’un procès conjoint dans les circonstances de l’espèce est autorisée par des règles de common law applicables à la réunion d’accusations en vue d’un procès. Ces règles ont été énoncées dans R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595, où la Cour a statué que les dénonciations ou les actes d’accusation multiples fondés sur le Code criminel pouvaient être réunis en vue de la tenue d’un seul procès, lorsque l’accusé y consent ou, en l’absence d’un tel consentement, lorsque la tenue d’un procès conjoint « sert les intérêts de la justice et lorsque les accusations auraient pu être portées, ou les accusés inculpés, conjointement à l’origine » : p. 610.

[66] À mon avis, et avec respect pour l’opinion de mon collègue, ce précédent ne s’applique pas à l’espèce, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, l’intention du législateur relativement à la question de compétence l’emporte sur les règles énoncées dans Clunas en matière de réunion des accusations. Autrement dit, la common law ne saurait permettre la tenue d’un procès conjoint là où l’intention du législateur était de maintenir deux systèmes de justice distincts. La juge Deschamps a énoncé ce point de vue de la manière suivante dans l’arrêt S.J.L. :

Il est donc important de noter que rien dans la common law ni dans le Code criminel n’interdit de réunir, dans un même acte d’accusation, des adolescents et des adultes ou encore de demander la tenue d’un procès conjoint. La question est donc de savoir si la création d’un système de justice pénale distinct pour les adolescents a eu pour effet d’écarter l’application de la règle de common law et de rendre cette pratique incompatible avec le traitement procédural qui doit être réservé aux adolescents.

. . .

La proposition [du ministère public quant à la tenue d’un procès réunissant des adultes et des adolescents] va à l’encontre de l’esprit et des objectifs poursuivis par la [Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ], en particulier depuis l’abolition de la procédure de renvoi. L’intention d’écarter l’application de la règle de common law régissant la tenue de procès conjoints ressort également de l’absence d’une procédure permettant de joindre un procès visant des adultes et un autre visant des adolescents. [Je souligne; par. 52 et 63.]

Il convient également de souligner que le raisonnement suivi dans l’arrêt S.J.L. s’appuie uniquement sur « l’esprit et [l]es objectifs » poursuivis par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents — et non sur le cadre juridique de common law — pour trancher la question faisant l’objet de l’appel. En suivant la même logique, l’intention poursuivie par la Législature en adoptant la LIP doit primer sur les règles de common law applicables à la réunion d’accusations.

[67] En deuxième lieu, l’arrêt Clunas a été rendu dans un cadre législatif complètement différent de celui en cause en l’espèce. En effet, cette affaire s’inscrivait uniquement dans le contexte du Code criminel , et avait trait à des accusations portées en vertu des dispositions de la même loi, prescrites par le même palier de gouvernement, et donc assujetties aux mêmes règles en matière de preuve et de procédure. En l’espèce, il est plutôt question de dispositions législatives édictées par deux paliers de gouvernement différents, qui se sont tous les deux dotés de leurs propres procédures et de règles de preuve distinctes. Fait plus important, la LIP a été adoptée pour que les crimes véritables et les infractions provinciales restent distincts à chaque étape des procédures. Ainsi, et en gardant à l’esprit la façon dont la Cour a traité du cadre applicable en common law dans S.J.L., j’estime que le critère en deux volets énoncé dans l’arrêt Clunas n’est pas d’un grand secours pour décider du présent pourvoi.

(4) Conclusion relative à la compétence pour tenir un procès conjoint

[68] Avant de conclure, j’aimerais apporter une dernière précision à cet égard : ni le consentement de l’accusé ni l’absence de préjudice subi n’a d’importance relativement à la question de la compétence. S’il est vrai que, en l’espèce, l’accusé a consenti à la tenue du procès conjoint et que cela ne lui a possiblement causé aucun préjudice, ces faits ne peuvent suffire à conférer une compétence qui n’existait pas dès le départ : Attorney General of Nova Scotia c. Attorney General of Canada, [1951] R.C.S. 31, p. 40; R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570, par. 34.

[69] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle un juge de la cour provinciale de l’Ontario n’a pas compétence pour instruire conjointement des infractions prévues au Code criminel et des infractions provinciales — puisqu’une telle compétence irait à l’encontre de l’objet de la LIP —, il est nécessaire d’examiner s’il y a tout de même lieu de rejeter le présent pourvoi compte tenu des dispositions réparatrices contenues dans les textes de loi fédéral et provincial.

B. Les dispositions réparatrices

[70] Bien que la Cour d’appel ait affirmé qu’une instruction conjointe n’était pas permise, elle a conclu qu’il s’agissait d’une simple [traduction] « irrégularité de procédure » à laquelle il pouvait être remédié en application des sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel et 120(1)b)(iii) de la LIP : 2016 ONCA 411, 131 O.R. (3d) 375, par. 88. Je ne suis pas de cet avis. Bien que la perte de compétence résultant d’une irrégularité de procédure puisse être réparée au moyen du sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel , cette disposition ne saurait permettre de pallier l’absence de compétence dès le départ. Le sous-al. 686(1) b)(iv) est ainsi libellé :

686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :

. . .

b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

. . .

(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, le tribunal de première instance était compétent à l’égard de la catégorie d’infractions dont fait partie celle dont l’appelant a été déclaré coupable et elle est d’avis qu’aucun préjudice n’a été causé à celui-ci par cette irrégularité;

[71] Le sous-alinéa 686(1) b)(iv), qui a été adopté en 1985, a « [mis] un terme à la jurisprudence voulant qu’on ne puisse remédier, même en appel, aux erreurs de procédure ayant causé la perte de compétence des tribunaux de première instance » : R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 12. À titre d’exemple, avant l’adoption de cette disposition, l’absence de l’accusé à son procès — même par inadvertance, et sans que cela porte à conséquence — se traduisait par une perte irrémédiable de compétence, peu importe la rapidité avec laquelle on remédiait à cette irrégularité : voir Khan, par. 12; R. c. Cloutier (1988), 43 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.).

[72] Cela dit, le sous-al. 686(1) b)(iv) ne peut remédier qu’à la perte de compétence, et non à l’absence de compétence. Comme l’a déclaré le juge Goodman de la Cour d’appel dans l’arrêt Cloutier, et ainsi que la Cour l’a confirmé dans Khan, cette disposition [traduction] « habilit[e] la Cour d’appel à rejeter l’appel si un tribunal de première instance était compétent, mais avait perdu sa compétence par suite d’une irrégularité de procédure » : p. 46 (je souligne).

[73] En l’espèce, la cour provinciale n’avait pas compétence pour juger simultanément les infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et les infractions provinciales. L’erreur n’était donc pas une irrégularité de procédure, mais constituait un vice de procédure fondamental. Il n’y a pas eu perte de compétence, mais il y avait absence totale de compétence pour tenir le procès conjoint. Le sous-alinéa 686(1) b)(iv) ne peut remédier à ce vice fondamental.

[74] De surcroît, la disposition réparatrice ne devrait pas servir de remède à la mise en échec systématique de l’intention de la Législature. Faire abstraction de cette intention ne constitue pas à une simple irrégularité de procédure; elle constitue un défaut de respecter le domaine de compétence de la Législature, compétence qu’elle a exercée en adoptant le régime applicable aux infractions provinciales.

[75] La LIP ne renferme pas de disposition réparatrice comparable à celle énoncée au sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel . De fait, le sous-al. 120(1)b)(iii) de la LIP permet au tribunal de rejeter un appel seulement dans le cas où, même si la décision est entachée d’une erreur de droit, « aucun préjudice grave ou aucune erreur judiciaire fondamentale ne s’est produit ». En l’espèce, aucune erreur de droit n’a été commise; il y avait plutôt absence totale de compétence pour tenir un procès conjoint. Conséquemment, le sous-al. 120(1)b)(iii) ne trouve pas application en l’espèce.

II. Dispositif

[76] J’accueillerais le pourvoi. J’annulerais les déclarations de culpabilité prononcées contre M. Sciascia en application de l’art. 249 du Code criminel et de l’art. 216 du Code de la route, L.R.O. 1990, c. H.8, et j’ordonnerais la tenue de nouveaux procès relativement aux accusations en cause.

Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

Procureurs de l’appelant : O. Wigderson, Barrister, Toronto; Conway Baxter Wilson, Ottawa.

Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant : Procureur général de la Colombie-Britannique, Vancouver.

[1] Dans les présents motifs, « procédure sommaire » renvoie tant à une simple infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qu’à une infraction mixte à l’égard de laquelle le ministère public choisit la procédure sommaire.

[2] Bien qu’il s’agisse d’infractions prévues au Code de la route, les procédures applicables sont régies par la Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, c. P.33.

[3] Je tiens à préciser que les présents motifs ne s’en tiennent qu’au procès conjoint tenu relativement à une accusation provinciale régie par la partie III de la LIP et à une accusation criminelle punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[4] Je suis conscient que, dans Clunas, la Cour a énoncé le test à deux volets dans l’ordre inverse. J’estime toutefois qu’il peut être plus commode, et le sera souvent, pour un juge de première instance d’examiner la question du lien factuel entre les infractions avant de passer à l’analyse de l’opportunité de tenir un procès conjoint dans l’intérêt de la justice.

[5] Voir les Rules of the Ontario Court (Provincial Division) in Provincial Offences Proceedings, R.R.O. 1990, Reg. 200, r. 32(5), prises sous le régime de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43.

[6] Devant la Cour, le ministère public a fait valoir que ce volet exigeait l’existence d’un [traduction] « lien factuel ou juridique » (m.i., par. 5 (je souligne)). Bien que je puisse difficilement imaginer de quelle manière, en l’absence d’un lien factuel, un lien juridique pourrait justifier l’instruction conjointe d’accusations relatives à des infractions provinciales et d’accusations relatives à des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, je laisse le soin à un autre tribunal de trancher cette question à une autre occasion, lorsqu’elle se posera.


Synthèse
Référence neutre : 2017CSC57 ?
Date de la décision : 23/11/2017
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Tribunaux — Compétence — Procès — Procédure — Réunion d’accusations — Accusé jugé lors d’un procès unique pour des infractions provinciales et des infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire découlant de mêmes événements — Le juge de la cour provinciale de l’Ontario avait-il compétence pour instruire un procès conjoint et, sinon, peut-il être remédié à cette erreur par l’application de dispositions réparatrices?

À la suite d’un épisode de conduite erratique, S a été accusé d’infractions prévues au Code criminel dans une dénonciation et d’infractions au Code de la route de l’Ontario dans une autre dénonciation. Le ministère public a choisi de procéder par procédure sommaire relativement aux infractions criminelles. Avec son consentement, S a subi devant la Cour de justice de l’Ontario un seul procès pour l’ensemble des accusations, et a été déclaré coupable d’une infraction criminelle et d’une infraction provinciale. Il a interjeté appel des déclarations de culpabilité, faisant valoir que le juge du procès n’avait pas compétence pour juger à la fois les infractions criminelles et les infractions provinciales dans le cadre d’un procès conjoint et que, en conséquence, son procès était frappé de nullité. La juge d’appel en matière de poursuites sommaires a rejeté les appels. La Cour d’appel a conclu que le juge du procès n’avait pas compétence pour tenir un procès conjoint, mais elle a rejeté les appels, estimant que l’erreur pouvait être remédiée en appliquant l’exception d’ordre procédural prévue au sous-al. 686(1) b)(iv) du Code criminel ainsi que l’exception prévue au sous-al. 120(1)b)(iii) de la Loi sur les infractions provinciales (« LIP »).


Parties
Demandeurs : Joseph Sciascia, Appelant
Défendeurs : Sa Majesté la Reine, Intimée
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 23 novembre 2017, 2017CSC57


Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2018
Fonds documentaire ?: Jugements de la Cour supreme
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2017-11-23;2017csc57 ?
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