Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Brown et Rowe
Motifs de jugement conjoints : (par. 1 à 40) Les juges Moldaver, Gascon et Brown (avec l’accord du juge Rowe)
Motifs dissidents : (par. 41 à 109) Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et de la juge Abella)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Procureur général de l’Ontario,
procureur général de l’Alberta,
directeur des poursuites criminelles et pénales,
Criminal Lawyers’ Association of Ontario,
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés,
Association des avocats de la défense de Montréal,
Chinese and Southeast Asian Legal Clinic,
South Asian Legal Clinic of Ontario,
Conseil canadien pour les réfugiés,
Association canadienne des libertés civiles et Bureau d’Aide Juridique Afro‑Canadien
Intervenants
Répertorié : R. c. Wong
No du greffe : 37367.
2017 : 10 novembre; 2018 : 25 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Brown et Rowe.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Abella et Wagner sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
Les juges Moldaver, Gascon, Brown et Rowe : Le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité est d’un grand intérêt pour la société et il est important de maintenir ce caractère définitif afin d’assurer la stabilité, l’intégrité et l’efficacité de l’administration de la justice. En revanche, le caractère définitif du plaidoyer de culpabilité exige également que celui‑ci soit libre, sans équivoque et éclairé. Et pour que le plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit être au courant de la nature des allégations faites contre lui, ainsi que des effets et des conséquences de son plaidoyer.
Les accusés qui souhaitent retirer leur plaidoyer de culpabilité au motif qu’ils n’étaient pas au courant de conséquences juridiquement pertinentes au moment d’enregistrer leur plaidoyer devraient être tenus de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif. À cette fin, ils doivent déposer un affidavit attestant l’existence d’une possibilité raisonnable qu’ils auraient soit (1) opté pour un procès et plaidé non coupable, soit (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. L’analyse est subjective vis‑à‑vis de l’accusé, mais permet d’évaluer objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par l’accusé. Au bout du compte, c’est la décision de l’accusé de plaider coupable ou de subir un procès qui importe et non le point de savoir si quelqu’un d’autre jugerait cette décision téméraire ou insensée. Ce cadre d’analyse repose sur l’avis que l’examen judiciaire doit porter sur la façon dont l’accusé, et personne d’autre, aurait procédé. Mais comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et chercher de la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Cette façon de faire atteint le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé. L’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural, et exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable.
L’approche objective modifiée à laquelle ont recours les juges dissidents pour décider si l’accusé a démontré avoir subi un préjudice ne tient pas compte de la nature fondamentalement subjective et éminemment personnelle de la décision de plaider coupable. La décision de plaider coupable appartient à l’accusé et non à un accusé raisonnable ou à une personne s’apparentant à l’accusé. Permettre aux tribunaux de révision de substituer leur propre appréciation de ce qu’aurait fait une personne se trouvant dans la situation de l’accusé revient à risquer sérieusement de commettre une injustice envers cet accusé. Un cadre d’analyse objectif modifié porte principalement sur ce qu’une personne hypothétique, fruit du raisonnement des tribunaux, aurait fait, et non sur la façon dont l’accusé en cause aurait agi. En outre, ce cadre risque de se révéler difficile à appliquer pour les tribunaux d’instance inférieure. Vu le caractère hautement contextuel et même idoine des facteurs qui influencent les décisions importantes, l’adoption d’une norme fondée sur ce qu’aurait fait une personne raisonnable hypothétique, dont on n’a pas à présumer le meilleur comportement ou le comportement le plus rationnel, confère dans les faits aux tribunaux de révision le pouvoir discrétionnaire illimité d’arriver à la conclusion qu’ils estiment juste. Le cadre d’analyse objectif modifié est aussi fonction d’une norme d’examen variable, qui se rapporte non pas à un accusé donné, mais à une personne raisonnable. Toutefois, différents accusés — même des accusés placés dans une situation semblable — n’accordent pas la même importance à différentes conséquences indirectes. Ainsi, une approche objective modifiée risque d’entraîner l’annulation de plaidoyers de culpabilité même lorsque rien ne prouve que l’accusé aurait lui‑même agi différemment. Ce n’est pas tout : l’accusé qui admet en contre‑interrogatoire qu’il aurait procédé de la même façon aurait toujours le droit de retirer son plaidoyer si un accusé raisonnable placé dans sa situation retirerait son plaidoyer. Cela imposerait des exigences inutiles et considérables à un système de justice pénale déjà surchargé.
En l’espèce, W n’était pas au courant des conséquences que sa déclaration de culpabilité et sa peine pouvaient avoir sur le plan de l’immigration et, comme de telles conséquences touchent des intérêts juridiques suffisamment sérieux pour constituer des conséquences juridiquement pertinentes, le plaidoyer de culpabilité de W n’était pas éclairé. W n’a toutefois pas prouvé l’existence d’une possibilité raisonnable que, s’il avait été informé des conséquences juridiquement pertinentes, il aurait enregistré un plaidoyer différent ou plaidé coupable à d’autres conditions. Même s’il a déposé un affidavit à la Cour d’appel, rien dans cet affidavit n’attestait ce que W aurait fait différemment à l’étape du plaidoyer s’il avait été informé des conséquences de son plaidoyer de culpabilité sur le plan de l’immigration. Il n’y a donc aucune raison de l’autoriser à retirer son plaidoyer.
La juge en chef McLachlin et les juges Abella et Wagner (dissidents) : Lorsqu’il s’agit de décider dans quels cas un plaidoyer de culpabilité peut être écarté au motif que l’accusé n’était pas au courant de la possibilité qu’il ait de graves conséquences indirectes, la réponse doit atteindre un équilibre entre certaines valeurs fondamentales du système de justice pénale en assurant un procès équitable sur le plan procédural et la protection des droits de l’accusé, tout en préservant le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires qui sont essentiels à l’intégrité du processus pénal. Un plaidoyer de culpabilité peut être retiré si l’accusé démontre : (1) qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente et (2) qu’il existe une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait été bien informé de cette conséquence. Une conséquence juridiquement pertinente s’entend d’une conséquence qui touche des intérêts suffisamment sérieux de l’accusé. Pour être juridiquement pertinente et susceptible d’étayer la décision que le plaidoyer de culpabilité est suffisamment éclairé, une conséquence indirecte est en règle générale imposée par l’État, découle assez directement de la déclaration de culpabilité ou de la peine et doit avoir une incidence sur des intérêts sérieux de l’accusé. Un plaidoyer de culpabilité n’est pas éclairé si l’accusé prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente. À cette première étape de l’analyse, il s’agit uniquement de savoir si la conséquence est suffisamment grave pour constituer une conséquence juridiquement pertinente.
Même si l’on démontre qu’un plaidoyer de culpabilité n’était pas éclairé parce que l’accusé n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente, ce plaidoyer ne peut être annulé pour cause d’erreur judiciaire que s’il a porté préjudice à l’accusé. À cette deuxième étape de l’analyse, le tribunal doit être convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence indirecte, soit en refusant d’admettre sa culpabilité et en inscrivant un plaidoyer de non‑culpabilité, soit en plaidant coupable, mais à d’autres conditions. Il faut l’établir en appliquant une norme objective qui soit modifiée de façon à permettre au tribunal de tenir compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé qui comparaît devant lui. La norme de preuve applicable est celle de la possibilité raisonnable, qui se situe quelque part entre une simple possibilité et une probabilité. Il ne s’agit pas de savoir si l’accusé qui comparaît devant le tribunal aurait effectivement refusé de plaider coupable. Le tribunal de révision doit évaluer objectivement l’incidence des renseignements manquants sur la situation particulière de l’accusé. On n’a pas à présumer qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’accusé aurait pris la meilleure démarche ou la démarche la plus logique compte tenu de la probabilité d’avoir gain de cause au procès. L’analyse ne vise pas à décider s’il aurait été raisonnable de plaider coupable. Il s’agit plutôt de savoir s’il est raisonnablement possible qu’une personne raisonnable placée dans la même situation aurait procédé différemment si elle avait été dûment informée, eu égard aux circonstances et à la gravité de la conséquence indirecte en cause.
Bien que la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité traduise le choix subjectif de l’accusé, la décision de radier ou non ce plaidoyer pour cause d’invalidité cesse d’appartenir exclusivement à l’accusé. La deuxième décision doit aussi tenir compte de l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité; l’intérêt du public dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité ne peut cependant l’emporter sur le préjudice que fait subir un plaidoyer non éclairé à un accusé. La norme objective modifiée atteint un juste équilibre entre les intérêts opposés lorsque l’accusé cherche à retirer un plaidoyer de culpabilité parce qu’il n’était pas au courant d’une conséquence juridiquement pertinente. Elle permet au tribunal de tenir compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé afin de décider comme il se doit si le plaidoyer non éclairé a eu un effet préjudiciable eu égard à la situation de l’accusé. Ce test vise également à empêcher l’accusé de faire annuler un plaidoyer au motif qu’il a été privé de renseignements peu susceptibles d’avoir une incidence sur la décision dans les circonstances. En outre, l’analyse objective modifiée atténue davantage qu’une évaluation subjective le caractère intrinsèquement hypothétique de l’évaluation du préjudice causé par un plaidoyer non éclairé. Il est factice d’obliger l’accusé à dire au juste comment il aurait procédé s’il avait été informé des conséquences de son plaidoyer. La meilleure façon d’évaluer le préjudice consiste à examiner objectivement l’importance qu’auraient eue les renseignements dans la situation particulière de l’accusé en fonction de la norme de la possibilité raisonnable, plutôt qu’à évaluer la mesure dans laquelle l’accusé peut décrire éloquemment un préjudice subjectif par voie d’affidavit et l’efficacité avec laquelle il sait résister à un contre‑interrogatoire. L’obligation pour l’accusé de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif par voie d’affidavit constitue un obstacle procédural et la capacité des juges de première instance d’évaluer le préjudice découlant d’un plaidoyer non éclairé sera entièrement tributaire de l’existence ou non de termes suffisamment précis dans un affidavit sur la manière dont l’accusé aurait procédé s’il avait été dûment informé. Pareille approche risque de privilégier la forme au détriment du contenu.
En l’espèce, la perte du statut de résident permanent et le risque d’être renvoyé du Canada sans aucun droit d’appel constituent des conséquences juridiquement pertinentes. W ne savait pas que son plaidoyer de culpabilité pouvait entraîner ces conséquences sur le plan de l’immigration, lesquelles découlaient directement de sa déclaration de culpabilité et de sa peine. Son plaidoyer n’était donc pas éclairé. Il est raisonnablement possible qu’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de W aurait procédé différemment si elle avait eu connaissance de ces conséquences. Son plaidoyer de culpabilité est donc à l’origine d’une erreur judiciaire et il doit être écarté.
Jurisprudence
Citée par les juges Moldaver, Gascon et Brown
Arrêt examiné : R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307; arrêts mentionnés : R. c. T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; Lee c. United States, 825 F.3d 311 (2016); Lee c. United States, 137 S. Ct. 1958 (2017); R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; Southwark London Borough Council c. Williams, [1971] Ch. 734; R. c. Rulli, 2011 ONCA 18; R. c. Henry, 2011 ONCA 289, 277 C.C.C. (3d) 293; R. c. Quick, 2016 ONCA 95, 129 O.R. (3d) 334.
Citée par le juge Wagner (dissident)
R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204; Adgey c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 426; R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307; R. c. T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514; R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739; R. c. Slobodan, 135 A.R. 181; R. c. Hunt, 2004 ABCA 88, 346 A.R. 45; R. c. Nersysyan, 2005 QCCA 606; R. c. Raymond, 2009 QCCA 808; R. c. Quick, 2016 ONCA 95, 129 O.R. (3d) 334; R. v. Aujla, 2015 ONCA 325; R. c. Shiwprashad, 2015 ONCA 577, 337 O.A.C. 57; R. c. Sangs, 2017 ONCA 683; R. c. Tyler, 2007 BCCA 142, 237 B.C.A.C. 312; R. c. Kitawine, 2016 BCCA 161, 386 B.C.A.C. 24; Padilla c. Kentucky, 559 U.S. 356 (2010); Fong Yue Ting c. United States, 149 U.S. 698 (1893); Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984); R. c. Joanisse (1995), 102 C.C.C. (3d) 35; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; Lee c. United States, 137 S. Ct. 1958 (2017).
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 606(1.1) , 686(1) a)(iii).
Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 5(1) , (3) .
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 36(1) , 44(2) , 45 , 46(1) c), 48 , 49(1) a), 63(3) , 64(1) , (2) , 67(1) .
Doctrine et autres documents cités
Aide juridique Ontario. Enquête judiciaire portant sur la compréhension par l’accusé de la signification du plaidoyer de culpabilité, Octobre 2017 (en ligne : http://legalaid.on.ca/fr/info/forms/plea-comprehension-inquiry-FR.pdf?t=1519402862452; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC25_4_fra.pdf).
Barreau du Québec. Détermination de la peine, mis à jour en décembre 2013 (en ligne : https://www.barreau.qc.ca/media/1328/penal-peine.pdf; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC25_1_fra.pdf).
Di Luca, Joseph. « Expedient McJustice or Principled Alternative Dispute Resolution? A Review of Plea Bargaining in Canada » (2005), 50 Crim. L.Q. 14.
Fitzgerald, Oonagh E. The Guilty Plea and Summary Justice : A Guide for Practitioners. Toronto, Carswell, 1990.
Law Society of British Columbia. Sentencing Procedure, updated September 1, 2017 (en ligne : https://www.lawsociety.bc.ca/Website/media/Shared/docs/practice/checklists/C-3.pdf; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC25_2_eng.pdf).
Law Society of Ontario. How to Prepare and Conduct a Sentencing Hearing, updated December 2016 (en ligne : https://www.lsuc.on.ca/For-Lawyers/Manage-Your-Practice/Practice-Area/Criminal-Law/How-to-Prepare-and-Conduct-a-Sentencing-Hearing/; version archivée : http://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC25_3_eng.pdf).
Verdun‑Jones, Simon N., et Adamira A. Tijerino, Centre de la politique concernant les victimes. Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d’une réforme éventuelle, Ottawa, Justice Canada, 2002.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Harris et Fitch), 2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435, 47 Imm. L.R. (4th) 171, [2016] B.C.J. No. 2215 (QL), 2016 CarswellBC 2949 (WL Can.), qui a confirmé la déclaration de culpabilité pour trafic de cocaïne prononcée contre l’accusé. Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Abella et Wagner sont dissidents.
Peter H. Edelmann et Erica Olmstead, pour l’appelant.
Ron Reimer et John Walker, pour l’intimée.
Karen G. Papadopoulos, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
David A. Labrenz, c.r., pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Ann Ellefsen‑Tremblay et Andrej Skoko, pour l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales.
Erika Chozik et Cate Martell, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.
Lobat Sadrehashemi et Lorne Waldman, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
Nicholas St‑Jacques, Lida Sara Nouraie et Philipe Knerr, pour l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal.
Avvy Yao Yao Go, Vincent Wan Shun Wong et Sukhpreet Sangha, pour les intervenantes Chinese and Southeast Asian Legal Clinic et South Asian Legal Clinic of Ontario.
Jared Will et Joshua Blum, pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.
Anil K. Kapoor et Ian B. Kasper, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Faisal Mirza et Dena Smith, pour l’intervenant le Bureau d’Aide Juridique Afro‑Canadien.
Version française du jugement des juges Moldaver, Gascon, Brown et Rowe rendu par
Les juges Moldaver, Gascon et Brown —
I. Aperçu
[1] La présente affaire porte sur la démarche qui s’impose pour examiner si un plaidoyer de culpabilité peut être retiré au motif que l’accusé n’était pas au courant d’une conséquence indirecte résultant du plaidoyer, de telle sorte que l’y assujettir constitue une erreur judiciaire aux termes du sous‑al. 686(1) a)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 .
[2] Pour un accusé, plaider coupable est manifestement une décision importante. En plaidant coupable, un accusé renonce à son droit constitutionnel à un procès, libérant ainsi le ministère public du fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette démarche est si importante qu’elle est l’une des rares décisions du processus pénal qui reviennent personnellement à l’accusé. En effet, les règles de déontologie obligent l’avocat de la défense à s’assurer que le choix ultime est bien celui de l’accusé.
[3] De plus, le règlement des poursuites par voie de plaidoyer est au cœur même du système de justice pénale dans son ensemble. La vaste majorité des poursuites criminelles se termine en plaidoyer de culpabilité et le caractère définitif de ces plaidoyers est d’un grand intérêt pour la société. Il est donc important de maintenir ce caractère définitif afin d’assurer la stabilité, l’intégrité et l’efficacité de l’administration de la justice. En revanche, le caractère définitif du plaidoyer de culpabilité exige également que celui‑ci soit libre, sans équivoque et éclairé. Et pour que le plaidoyer soit éclairé, l’accusé [traduction] « doit être au courant de la nature des allégations faites contre lui, ainsi que des effets et des conséquences de son plaidoyer » (R. c. T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 519).
[4] Nous convenons avec notre collègue le juge Wagner que, pour qu’un plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit avoir connaissance de ses conséquences pénales et de ses conséquences indirectes juridiquement pertinentes. Une conséquence indirecte juridiquement pertinente en est une qui touche des intérêts juridiques suffisamment sérieux de l’accusé. En l’espèce, M. Wong n’était pas au courant des conséquences que sa déclaration de culpabilité et sa peine pouvaient avoir sur le plan de l’immigration. De telles conséquences touchent des intérêts juridiques suffisamment sérieux pour constituer des conséquences juridiquement pertinentes. Par conséquent, le plaidoyer de culpabilité de M. Wong n’était pas éclairé.
[5] Toutefois, nous sommes en désaccord avec notre collègue quant au préjudice à démontrer pour établir qu’il y a eu erreur judiciaire et annuler un plaidoyer de culpabilité. Selon notre collègue, décider si l’accusé a démontré avoir subi un préjudice devrait se faire au moyen d’une analyse « objective modifiée ». Suivant cette approche, le préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire est établi lorsque le tribunal est convaincu qu’il est « raisonnablement possible qu’une personne raisonnable placée dans la même situation aurait procédé différemment si elle avait été dûment informée » (motifs du juge Wagner, par. 80). Comme nous l’expliquons ci‑après, cette démarche ne tient pas compte de la nature fondamentalement subjective et éminemment personnelle de la décision de plaider coupable. D’ailleurs, une telle démarche se révélera probablement difficile à appliquer pour les tribunaux.
[6] À notre avis, l’accusé devrait être tenu de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif. Ce qui signifie que les accusés qui souhaitent retirer leur plaidoyer de culpabilité au motif qu’ils n’étaient pas au courant de conséquences juridiquement pertinentes au moment d’enregistrer leur plaidoyer doivent déposer un affidavit attestant l’existence d’une possibilité raisonnable qu’ils auraient soit (1) opté pour un procès et plaidé non coupable, soit (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Pour évaluer la véracité de cette prétention, les cours peuvent examiner des éléments de preuve concomitants et objectifs. L’analyse est donc subjective vis‑à‑vis de l’accusé, mais permet d’évaluer objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par l’accusé.
II. Analyse
A. Le cadre d’analyse objectif modifié
[7] Selon la démarche objective modifiée énoncée par notre collègue, un plaidoyer de culpabilité pourrait être retiré si l’accusé démontre :
(1) qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente et (2) qu’il existe une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait été bien informé de cette conséquence.
(motifs du juge Wagner, par. 44).
[8] Bien que cet énoncé semble appeler une évaluation subjective (car il parle de ce que l’accusé aurait fait), notre collègue confirme clairement que son approche suppose l’application d’une norme objective modifiée qui oblige le tribunal de révision à se demander ce qu’une « personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé » aurait fait (par. 104). La norme de preuve requise qu’il évoque est celle de la « possibilité raisonnable » : plus précisément, existe‑t‑il une possibilité raisonnable que la connaissance de la conséquence juridiquement pertinente aurait « suffisamment influencé » la décision d’une personne se trouvant dans la situation de l’accusé ou qu’une personne raisonnable placée dans la même situation que l’accusé aurait « procédé différemment » (par. 81 (soulignement supprimé)).
[9] Nous reconnaissons que l’accusé doit tout d’abord établir qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente au moment de plaider coupable et nous souscrivons à une méthode générale d’évaluation de la pertinence d’une conséquence indirecte pour juger si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé. Nous convenons également qu’une conséquence indirecte juridiquement pertinente est habituellement imposée par l’État, découle de la déclaration de culpabilité ou de la peine et touche des intérêts sérieux de l’accusé. Et, tout comme notre collègue, nous n’estimons pas nécessaire de définir la portée exacte de ces conséquences ou leurs caractéristiques pour les besoins du présent pourvoi. Toutefois, à notre avis, la formulation du deuxième volet par notre collègue pose problème sous deux rapports.
[10] En premier lieu, un cadre d’analyse objectif modifié ne tient pas compte de la nature fondamentalement subjective du plaidoyer de culpabilité. Comme l’a fait remarquer devant nous le procureur général de l’Alberta :
[traduction]
. . . la décision de plaider coupable ou non est éminemment personnelle et, en première instance, l’accusé peut tout simplement lancer les dés, peu importe que son avocat lui dise ou non qu’il risque réellement d’être déclaré coupable ou que le fait d’aller en procès va avoir un effet préjudiciable sur la peine.
. . .
. . . parfois les gens sont très malavisés de subir un procès.
(Transcription, p. 122‑123).
[11] Nous sommes du même avis. La décision de plaider coupable témoigne de considérations éminemment personnelles, comme le niveau subjectif de tolérance au risque, les priorités, la situation familiale et la situation en matière d’emploi, ainsi que les particularités de chacun. C’est pourquoi cette décision est l’une des rares du processus pénal au sujet desquelles les avocats de la défense doivent, sur le plan déontologique, obtenir des instructions directement de leur client (R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 34).
[12] En termes simples, la décision de plaider coupable appartient à l’accusé et non à un accusé raisonnable ou à une personne s’apparentant à l’accusé. Permettre aux tribunaux de révision de substituer leur propre appréciation de ce qu’aurait fait une personne se trouvant dans la situation de l’accusé revient à risquer sérieusement de commettre une injustice envers cet accusé. Un exemple tiré de la jurisprudence des États‑Unis suffit pour illustrer ce point. Dans l’arrêt Lee c. United States, 825 F.3d 311 (6th Cir. 2016), l’accusé cherchait, tout comme M. Wong, à retirer son plaidoyer au motif qu’il n’avait pas connaissance des conséquences de celui‑ci sur son statut d’immigrant. La Sixth Circuit Court of Appeals a rejeté la requête de l’accusé. Même après avoir pris en compte la situation particulière de l’accusé, cette cour a écrit :
[traduction]
. . . aucun défendeur sensé qui est accusé d’une infraction le rendant passible d’expulsion et qui est confronté à une « preuve accablante » de culpabilité choisirait de subir un procès plutôt que de négocier un plaidoyer de culpabilité en échange d’une peine d’emprisonnement plus courte. [par. 2]
[13] Dans Lee, l’accusé avait déclaré qu’il aurait choisi de subir un procès dont la conséquence est une expulsion presque certaine plutôt que de négocier un plaidoyer dont la conséquence est une expulsion certaine, même s’il risquait une plus longue peine d’emprisonnement s’il était déclaré coupable à l’issue de son procès. Malgré ce que la Sixth Circuit Court considérait comme la seule décision logique à prendre, le droit de l’accusé de demeurer aux États‑Unis lui importait davantage qu’une éventuelle peine d’emprisonnement, peu importe la durée. Or, la décision de la Sixth Circuit Court a été infirmée par la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Lee c. United States, 137 S. Ct. 1958 (2017), qui a rejeté la démarche objective adoptée pour évaluer l’existence d’un préjudice.
[14] Notre collègue souligne très justement que la Cour a appliqué un critère objectif modifié dans d’autres contextes, comme lorsqu’il s’agit d’évaluer la possibilité d’invoquer les moyens de défense fondés sur la nécessité (R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 32) ou sur la contrainte (R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 61) (motifs du juge Wagner, par. 88). Mais il ne s’ensuit pas qu’un critère objectif modifié convient tout autant pour évaluer les facteurs entourant la décision de plaider coupable. Certes, le droit criminel repose lui‑même en grande partie sur des facteurs objectifs, en ce sens qu’il « [tient compte] des valeurs de la société [quant à] ce qui est approprié et ce qui constitue une transgression » (Latimer, par. 34; voir aussi Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, p. 248). La possibilité de recourir à un moyen de défense valable, comme celui fondé sur la nécessité ou celui fondé sur la contrainte, ne peut donc pas être abordée de façon purement subjective, au risque de [traduction] « devenir simplement le masque de l’anarchie » (Latimer, par. 27, citant Southwark London Borough Council c. Williams, [1971] Ch. 734 (C.A.), p. 746). Toutefois, il en va autrement pour la décision de l’accusé de plaider coupable. Cette décision ne se veut pas le reflet des valeurs de la société quant à ce qui est bien et ce qui est mal. Elle est plutôt le fruit du choix subjectif de l’accusé. Contrairement aux facteurs applicables à la question de savoir si un moyen de défense valable peut être invoqué, il n’y a aucun mal à laisser des facteurs propres à l’accusé dicter s’il aurait ou non, dans les circonstances, enregistré un plaidoyer de culpabilité éclairé. Au bout du compte, c’est la décision de l’accusé de plaider coupable ou de subir un procès qui importe et non le point de savoir si quelqu’un d’autre jugerait cette décision téméraire ou insensée.
[15] Nous convenons que notre collègue ne propose pas un cadre d’analyse purement objectif, mais bien un cadre d’analyse objectif modifié. Ce cadre permet de tenir compte « de la situation et des caractéristiques de l’accusé » en général dans la mesure où cette analyse se fait du point de vue d’une personne qui se trouve « dans la situation particulière de l’accusé » (voir motifs du juge Wagner, par. 80 et 87). Il souffre néanmoins des mêmes lacunes qu’une analyse purement objective : il porte principalement sur ce qu’une personne hypothétique, fruit du raisonnement des tribunaux, aurait fait, et non sur la façon dont l’accusé en cause aurait agi.
[16] Le deuxième problème que pose, à notre avis, le cadre d’analyse objectif modifié est qu’il risque de se révéler difficile à appliquer pour les tribunaux d’instance inférieure. Notre collègue parle de ce qu’aurait fait « une personne raisonnable placée dans la même situation » (par. 80). Mais la norme en question est mitigée par son affirmation selon laquelle on n’a pas à présumer que cette personne raisonnable « aurait pris la “meilleure” démarche ou la démarche la plus logique » (par. 82). Vu le caractère hautement contextuel et même idoine des facteurs qui influencent les décisions importantes (comme choisir de plaider coupable ou non), l’adoption d’une norme fondée sur ce qu’aurait fait une personne raisonnable hypothétique (qui n’a pas toujours un comportement des plus rationnels) confère dans les faits aux tribunaux de révision le pouvoir discrétionnaire illimité d’arriver à la conclusion qu’ils estiment juste et entraîne immanquablement l’injustice qui a mené à l’intervention de la Cour suprême des États‑Unis dans Lee.
[17] Le cadre d’analyse objectif modifié sera également difficile à appliquer parce qu’il est fonction d’une norme d’examen variable. Notre collègue soutient que, lorsque la conséquence indirecte d’un plaidoyer est « aussi grave que l’expulsion », le tribunal appliquerait une norme de raisonnabilité plus clémente, par laquelle les « conséquence[s] [. . .] moins manifestement grave[s] » font l’objet d’« une analyse plus poussée » (par. 100). Il va de soi que différents accusés — même des accusés placés dans une situation semblable — n’accordent pas la même importance à différentes conséquences indirectes en raison de leurs valeurs et préférences idoines. Partant, et avec égards, nous ne considérons pas l’importance d’une conséquence en particulier comme une « question de bon sens » (ibid.). Et, comme l’approche du juge Wagner se rapporte non pas à un accusé donné, mais à une personne raisonnable, la cour de révision peut être réduite à deviner quelle norme d’examen s’applique à la conséquence en question.
[18] En somme, l’approche objective modifiée de notre collègue risque, selon nous, d’entraîner l’annulation de plaidoyers de culpabilité même lorsque rien ne prouve que l’accusé aurait lui‑même agi différemment. Nous dirions même plus : l’accusé qui admet en contre‑interrogatoire qu’il aurait procédé de la même façon aurait toujours le droit de retirer son plaidoyer si un accusé raisonnable placé dans sa situation retirerait son plaidoyer. Cela imposerait des exigences inutiles et considérables à un système de justice pénale déjà surchargé, et ce, au détriment des autres acteurs de ce système, dont les accusés, les victimes ainsi que les membres du grand public qui souhaitent le règlement efficace et juste des plaintes au criminel.
B. Le cadre d’analyse du préjudice subjectif
(1) Types de préjudice
[19] À notre avis, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Cette façon de faire atteint ce que nous considérons être le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé.
[20] S’agissant du premier type de préjudice — lorsque l’accusé aurait opté pour un procès et plaidé non coupable — il se présentera évidemment des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et que choisir de subir son procès n’est pour lui qu’une tentative de dernier recours. Mais de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent. Pour certains accusés, comme celui dans l’affaire Lee, la conséquence certaine, quoiqu’auparavant inconnue, d’une déclaration de culpabilité rendait intéressantes même de faibles chances d’avoir gain de cause à l’issue d’un procès. Dans un tel cas, et si la cour reconnaît la véracité de ses propos, l’accusé aura su prouver l’existence d’un préjudice et devrait être autorisé à retirer son plaidoyer.
[21] Ce qui nous laisse le second type de préjudice — lorsque l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Le fait qu’un accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour arrive à la conclusion que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si celles‑ci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente. Nous n’avons pas la prétention d’énumérer toutes les conditions susceptibles de donner lieu à un préjudice si elles sont soulevées par l’accusé. Celles‑ci comprennent par contre à tout le moins le consentement à plaider coupable à une accusation réduite relativement à une infraction moindre et incluse, le retrait d’autres accusations, l’engagement du ministère public à ne pas donner suite à d’autres accusations ou la présentation d’une recommandation conjointe relative à la peine.
[22] Nous tenons à souligner que la simple possibilité qu’un plaidoyer soit assorti de conditions différentes n’est pas automatiquement suffisante. Un plaidoyer ne peut être retiré que si un accusé affirme de façon crédible qu’à l’étape de la négociation menant au plaidoyer, il aurait insisté pour que celui‑ci soit assorti d’autres conditions sans lesquelles il n’aurait pas plaidé coupable. Bref, l’accusé doit formuler une façon d’agir clairement différente de celle qu’il a suivie, afin de justifier l’annulation d’un plaidoyer, et il doit convaincre la cour de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’il aurait agi de cette façon.
[23] Nous notons incidemment que l’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural. [traduction] « [L]e préjudice réside dans le fait qu’en plaidant coupable, l’accusé a renoncé à son droit à un procès » (R. c. Rulli, 2011 ONCA 18, par. 2 (CanLII)). Exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable. L’accusé a parfaitement le droit de garder le silence, de ne présenter aucune défense et d’obliger le ministère public à s’acquitter de son fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il serait insensé de permettre à un accusé de subir un procès en première instance sans avoir à présenter une quelconque défense tout en insistant sur une telle défense dans le cas du retrait d’un plaidoyer non éclairé qui renverrait l’affaire à procès. Même si la décision de subir un procès pourrait s’avérer malavisée ou même téméraire, nous ne cherchons pas à protéger l’accusé contre lui‑même. Nous cherchons plutôt à protéger le droit de l’accusé d’enregistrer un plaidoyer éclairé.
[24] Pour cette même raison, nous sommes d’accord avec notre collègue que le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat n’est pas pertinent en l’espèce (motifs du juge Wagner, par. 60). Ce cadre d’analyse porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée elle‑même. La source d’une information erronée n’entre pas en ligne de compte lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice. Comme la juge Saunders l’a expliqué en Cour d’appel, l’erreur judiciaire survenue en l’espèce résulte de l’invalidité du plaidoyer de M. Wong (2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435, par. 24).
(2) Analyse subjective
[25] Notre cadre d’analyse repose sur l’avis que l’examen judiciaire doit porter sur la façon dont l’accusé, et personne d’autre, aurait procédé. Il faut se demander si l’accusé aurait agi différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.
[26] Même si son analyse porte principalement sur le choix subjectif de l’accusé, le tribunal n’a pas à accepter automatiquement la prétention de celui‑ci. Comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et se pencher sur la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Figurent au nombre de ces facteurs la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir. Le tribunal pourrait aussi évaluer la solidité du lien de causalité entre le plaidoyer de culpabilité et la conséquence indirecte, c’est‑à‑dire examiner si l’élément déclencheur de la conséquence indirecte est la déclaration de culpabilité comme telle et non la durée de la peine. Plus précisément, lorsque la conséquence indirecte dépend de la durée de la peine — sans oublier qu’un plaidoyer de culpabilité atténue généralement la peine imposée —, le tribunal pourrait avoir des raisons de douter de la véracité de la prétention avancée par l’accusé.
[27] Bien que notre collègue fasse état de facteurs similaires (par. 105), il en tiendrait compte pour décider si l’information en cause aurait influencé une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé quand elle a décidé de plaider coupable. Encore une fois, nous abordons l’analyse autrement. Rappelons que cette analyse fonctionne adéquatement si elle est conduite du point de vue de l’accusé et de ce que ce dernier aurait fait — ou n’aurait pas fait — s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente.
[28] Bien entendu, l’examen judiciaire de la prétention d’un accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer initial, puisque ces circonstances pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé. Par conséquent, le tribunal de révision doit en outre mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles. Un tribunal pourrait conclure à juste titre que les préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice en s’appuyant exclusivement sur le contenu de l’affidavit de l’accusé et sur le fait que ce dernier a résisté à son contre‑interrogatoire.
[29] Cependant, tout au long de la mise à l’épreuve de la prétention de l’accusé, il faut s’attacher à ce que l’accusé en cause — et seulement lui — aurait fait. Cette analyse subjective repose sur le caractère subjectif de la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé en annulant son plaidoyer uniquement s’il avait procédé différemment.
[30] Soulignons en passant qu’adopter un cadre d’analyse subjectif, qui exige de l’accusé qu’il signe un affidavit à l’appui, ne créera pas d’« obstacle procédural » à l’annulation d’un plaidoyer (motifs du juge Wagner, par. 93). Premièrement, la norme objective modifiée elle‑même adoptée par notre collègue obligera l’accusé à témoigner de sa « situation particulière » (par. 87) et du fait qu’il n’a pas été informé d’une conséquence juridiquement pertinente. Deuxièmement, toute préoccupation concernant l’accusé qui cherche à faire annuler son plaidoyer mais qui n’est pas représenté et qui n’est pas au courant de l’obligation d’affirmer qu’il aurait agi différemment s’il avait été dûment informé peut être prise en compte par le juge du procès, qui devrait faire ce qu’il faut pour que l’accusé soit représenté ou, à tout le moins, qu’il obtienne l’aide de l’avocat de garde (lorsque cela est possible). Et troisièmement, l’accusé n’a pas à conjecturer la manière dont les autres acteurs du système de justice auraient procédé (ibid.). Notre approche exige tout simplement de l’accusé qu’il explique en quoi il aurait agi différemment. Bien qu’une condition puisse dépendre de la réaction d’une autre partie — telle la volonté du ministère public d’accepter une proposition conjointe sur la peine — l’accusé n’a qu’à mentionner qu’il aurait insisté sur cette condition pour plaider coupable, à défaut de quoi il aurait décidé de subir son procès.
[31] Notre cadre d’analyse subjectif s’accorde avec la démarche prise par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts R. c. Henry, 2011 ONCA 289, 277 C.C.C. (3d) 293, et R. c. Quick, 2016 ONCA 95, 129 O.R. (3d) 334. Dans Henry, le juge d’appel Watt a conclu à l’existence d’un préjudice dans les cas où [traduction] « la probabilité que [l’accusé] aurait couru le risque de subir un procès était réaliste » (par. 37 (nous soulignons)). Dans Quick, le juge d’appel Laskin a également porté son attention sur la façon dont l’accusé se serait comporté s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente (par. 35). Et, comme nous l’avons aussi indiqué, cela fait à peine un an que la Cour suprême des États‑Unis a retenu dans Lee l’analyse subjective pour évaluer l’existence d’un préjudice.
[32] En réponse, notre collègue invoque les directives données par la Cour dans l’arrêt R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307, comme raison d’être centrale d’une démarche objective modifiée. Plus particulièrement, il affirme que la démarche de la Cour dans Taillefer « ressembl[e] » à son cadre d’analyse (par. 89). Soit dit en tout respect, l’arrêt Taillefer n’établit pas et ne devrait pas être interprété comme établissant que le préjudice découlant d’un plaidoyer non éclairé — ce qui est différent de ne pas être informé — est évalué à l’aune d’une norme objective.
[33] Rappelons que le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts : 1) l’accusé a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves; 2) ce manque de renseignements donne lieu à un préjudice (motifs du juge Wagner, par. 44). Bien que cette distinction entre les deux volets se confonde parfois dans les motifs du juge LeBel dans Taillefer, à notre avis, l’interprétation la plus juste de ses motifs devrait conserver cette distinction.
[34] La question de savoir si un accusé n’est pas informé — c’est‑à‑dire si les renseignements dont il n’est pas au courant font partie de ceux que l’accusé doit connaître pour inscrire un plaidoyer éclairé — est évaluée objectivement. En l’espèce, cette étape vise à apprécier objectivement la gravité de la conséquence juridique inconnue. Dans Taillefer, cela comprend l’évaluation de « la preuve non divulguée. . . avec l’ensemble de la preuve déjà connue » (par. 90). La question de savoir si la preuve non divulguée est suffisamment grave pour que l’accusé soit mal informé est indéniablement une question objective. Et c’est à cette analyse objective que se reporte le juge LeBel lorsqu’il énonce l’élément objectif du cadre d’analyse dans Taillefer pour l’annulation d’un plaidoyer. Il affirme que ce cadre d’analyse tient compte du « nombre, [de] l’importance et [de] la pertinence des éléments de preuve non divulgués et [d]es possibilités nouvelles qu’aurait offertes leur utilisation éventuelle » (par. 111). Dans Taillefer, à la suite de l’application de cet examen objectif, le juge LeBel conclut que la non‑divulgation « a porté une atteinte grave au droit de l’appelant à une défense pleine et entière » (par. 112). Précisons toutefois que cette atteinte découlait de la teneur objective de la preuve non divulguée, et non de la perception subjective par l’appelant dans cette affaire de l’importance de cette preuve pour son plaidoyer.
[35] En revanche, le préjudice — c’est‑à‑dire la question de savoir si le fait que l’accusé n’était pas informé a eu une incidence sur le plaidoyer — est évalué subjectivement; il faut se demander si l’accusé aurait adopté une façon d’agir clairement différente quand il a inscrit son plaidoyer. Cette démarche est conforme en tous points à Taillefer, où le préjudice a été évalué de la même façon, c’est‑à‑dire que le juge s’est demandé si l’accusé aurait présenté le même plaidoyer. Plus particulièrement, l’analyse subjective respecte la directive donnée dans Taillefer, selon laquelle « l’analyse de la violation doit se faire par rapport à la décision de l’accusé de présenter le plaidoyer de culpabilité », les tribunaux doivent apprécier « quelle aurait été la portée de la preuve inconnue sur la décision du prévenu d’admettre sa culpabilité » et le critère applicable consiste à évaluer « l’existence d’une possibilité réaliste que le prévenu aurait couru le risque d’un procès s’il avait été en possession de ces renseignements » (par. 90; nous soulignons). De plus, nous constatons que le juge Laskin, en appliquant la [traduction] « démarche générale de l’arrêt Taillefer », a préféré un critère subjectif à un critère objectif (Quick, par. 35). De même, les précédents auxquels souscrit le juge LeBel dans Taillefer lorsqu’il décrit la bonne méthode d’évaluation du préjudice adoptent également une approche subjective (par. 88‑90).
C. Application du cadre d’analyse
[36] À l’instar de notre collègue, nous reconnaissons que le plaidoyer de M. Wong n’était pas éclairé (voir les motifs du juge Wagner, par. 102). Toutefois, pour établir l’existence d’un préjudice, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver qu’il est raisonnablement possible que, s’il avait été informé de la conséquence juridiquement pertinente, il aurait enregistré un plaidoyer différent ou plaidé coupable à d’autres conditions. M. Wong ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
[37] Même s’il a déposé un affidavit à la Cour d’appel, rien dans cet affidavit n’attestait ce que M. Wong aurait fait différemment à l’étape du plaidoyer s’il avait été informé des conséquences de son plaidoyer de culpabilité sur le plan de l’immigration (affidavit de M. Wong, d.a., par. 67‑69; motifs de la Cour d’appel, par. 14; motifs du juge Wagner, par. 54 et 57‑58). Nous ne voyons donc aucune raison de l’autoriser à retirer son plaidoyer.
[38] Nous reconnaissons qu’au moment où M. Wong a cherché à retirer son plaidoyer, l’état du droit quant à ce qu’il devait inclure dans son affidavit n’était pas tout à fait clair. Et, à l’instar de notre collègue (par. 105), nous reconnaissons qu’une personne se trouvant dans la situation de M. Wong aurait peut‑être choisi d’aller en procès, même en présence d’une transaction relative au plaidoyer prévoyant une peine de moins de six mois d’emprisonnement, afin d’éviter l’interdiction de territoire au Canada. Nous constatons cependant que l’essentiel des arguments qu’il a avancés devant nous porte à croire que son premier souci (mais non le seul) était d’éviter l’expulsion. Ayant cela à l’esprit, nous soulignons que l’appel formé par M. Wong contre sa peine est en cours, et le ministère public a concédé qu’une peine de six mois moins un jour serait appropriée compte tenu du risque d’expulsion auquel s’expose M. Wong (voir m.i., par. 69). Il s’ensuit de ce qui précède que son droit de faire appel de la mesure de renvoi sera vraisemblablement préservé au terme de l’appel qu’il a formé contre sa peine.
[39] Cela dit, comme M. Wong n’a pas affirmé dans son affidavit qu’il aurait procédé différemment, nous estimons qu’il n’a pas établi l’existence d’un préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire.
III. Conclusion
[40] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Abella et Wagner rendus par
Le juge Wagner —
I. Vue d’ensemble
[41] Une condition essentielle de la validité de tout plaidoyer de culpabilité est que l’accusé soit mis au courant des conséquences de son plaidoyer. Parmi les conséquences pénales d’un plaidoyer, mentionnons la déclaration de culpabilité et l’imposition d’une peine. Toutefois, un plaidoyer de culpabilité peut également entraîner, parallèlement au processus pénal, de graves conséquences qui risquent de nuire grandement aux intérêts fondamentaux de l’accusé. Le présent pourvoi nous oblige à examiner la question de savoir si l’accusé doit être conscient de ces conséquences indirectes pour que son plaidoyer de culpabilité soit suffisamment éclairé.
[42] L’appelant, Wing Wha Wong, est un résident permanent du Canada. Il a immigré ici en provenance de la Chine il y a plus de 25 ans. Il vit au Canada avec sa femme et leur enfant née au Canada et il est le seul soutien financier de sa famille. Au printemps 2012, M. Wong a été accusé d’un chef de trafic de cocaïne auquel il a finalement plaidé coupable. Lorsqu’il a inscrit son plaidoyer, M. Wong ne savait pas que le fait d’être déclaré coupable et condamné à une peine pouvait entraîner la perte de son statut de résident permanent et la prise d’une mesure de renvoi du Canada sans droit d’appel. M. Wong cherche maintenant à retirer son plaidoyer au motif que celui‑ci n’était pas éclairé et qu’il est à l’origine par le fait même d’une erreur judiciaire.
[43] Un plaidoyer de culpabilité ne peut être accepté par le tribunal que s’il est libre, non équivoque et éclairé. Pour que ce plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit comprendre la nature des allégations, ainsi que l’effet et les conséquences de son plaidoyer. Outre ses effets sur le processus pénal lui‑même, un plaidoyer de culpabilité peut entraîner d’importantes conséquences non pénales, communément appelées conséquences indirectes. La question au cœur du présent pourvoi est de savoir dans quels cas un plaidoyer de culpabilité peut être écarté au motif que l’accusé n’était pas au courant de la possibilité qu’il ait de graves conséquences indirectes. La réponse doit atteindre un équilibre entre certaines valeurs fondamentales du système de justice pénale en assurant un procès équitable sur le plan procédural et la protection des droits de l’accusé, tout en préservant le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires qui sont essentiels à l’intégrité du processus pénal.
[44] À mon avis, un plaidoyer de culpabilité peut être retiré si l’accusé démontre : (1) qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente et (2) qu’il existe une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait été bien informé de cette conséquence. Une conséquence juridiquement pertinente s’entend d’une conséquence qui touche des intérêts suffisamment sérieux de l’accusé. Lorsqu’un accusé inscrit un plaidoyer sans être au courant de ses conséquences juridiquement pertinentes, il y a lieu de craindre pour l’équité procédurale. Toutefois, ce ne sont pas tous les plaidoyers de culpabilité enregistrés en pareilles circonstances qui causent un préjudice suffisamment grave pour constituer une erreur judiciaire. En conséquence, le tribunal doit également être convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence juridiquement pertinente en question, soit en refusant d’admettre sa culpabilité et en inscrivant un plaidoyer de non‑culpabilité, soit en plaidant coupable, mais à d’autres conditions. Il faut étudier cette question à l’aune d’une norme objective modifiée. Si le tribunal en est convaincu, le préjudice subi par l’accusé constitue alors une erreur judiciaire et le plaidoyer de culpabilité peut être retiré.
[45] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la déclaration de culpabilité de M. Wong et de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour la tenue d’un nouveau procès. Je suis convaincu que la perte du statut de résident permanent et le risque d’être renvoyé du Canada sans aucun droit d’appel constituent des conséquences juridiquement pertinentes. M. Wong ne savait pas que son plaidoyer de culpabilité pouvait entraîner ces conséquences sur le plan de l’immigration, lesquelles découlaient directement de sa déclaration de culpabilité et de sa peine. Je suis convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. Wong aurait procédé différemment si elle avait eu connaissance de ces conséquences. Son plaidoyer de culpabilité est donc à l’origine d’une erreur judiciaire et il doit être écarté.
II. Les faits
[46] M. Wong est un citoyen chinois et un résident permanent canadien. Il a immigré au Canada en 1990, ayant vraisemblablement quitté la Chine à la suite de la répression du mouvement prodémocratique dans ce pays à la fin des années 1980. M. Wong et sa femme ont une jeune fille et vivent actuellement à Kamloops (Colombie‑Britannique). Tel que je l’ai mentionné plus tôt, il est le seul soutien financier de sa famille.
[47] Le 3 avril 2012, M. Wong a été inculpé d’un chef de trafic de cocaïne en vertu du par. 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19 (« LRCDAS »). L’accusation faisait suite à ce qui semblait être une opération isolée effectuée dans le cadre d’un réseau de vente de drogues sur appel au cours de laquelle M. Wong aurait vendu une petite quantité de cocaïne à un agent d’infiltration. Au début de 2014, il a plaidé coupable. Le juge chargé de déterminer la peine a accepté le fait que M. Wong n’avait joué qu’un rôle mineur dans le trafic de cocaïne. Il a aussi constaté que M. Wong avait un casier judiciaire indiquant qu’il avait été reconnu coupable de recel en 1994. Il a déclaré M. Wong coupable et lui a infligé une peine de neuf mois d’emprisonnement.
[48] Personne ne conteste qu’avant d’inscrire son plaidoyer, M. Wong n’a pas été avisé qu’un plaidoyer de culpabilité pouvait avoir des conséquences sur le plan de l’immigration. M. Wong a expliqué qu’il ignorait que son statut d’immigrant pouvait être touché par le processus pénal et que son avocat ne l’avait ni interrogé sur son statut d’immigrant au Canada, ni expliqué que ce statut pouvait être touché par une déclaration de culpabilité ou une peine au criminel. M. Wong croyait que la pire sanction susceptible de découler de son plaidoyer de culpabilité était une peine d’emprisonnement.
[49] L’avocat qui représentait M. Wong au procès a expliqué qu’il avait reçu pour instruction de tout mettre en œuvre pour éviter une peine d’emprisonnement à son client. Il a confirmé qu’il n’avait pas été informé du statut d’immigrant de M. Wong, qu’il ne s’en était pas enquis et qu’il n’avait pas informé à fond M. Wong des conséquences possibles d’un plaidoyer de culpabilité sur le plan de l’immigration.
[50] Compte tenu du statut de résident permanent de M. Wong au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa peine ont effectivement entraîné deux graves conséquences sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (« LIPR »). Premièrement, M. Wong est devenu interdit du territoire canadien pour grande criminalité. Le paragraphe 36(1) de la LIPR prévoit en effet qu’« emport[e] interdiction de territoire pour grande criminalité l[e] fai[t] [pour un résident permanent] a) [d’]être déclaré coupable au Canada d’une infraction [. . .] punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction [. . .] pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé ». Une déclaration de culpabilité pour trafic de cocaïne est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité aux termes du par. 5(3) de la LRCDAS . M. Wong a été condamné à neuf mois d’emprisonnement, ce qui a par le fait même entraîné son interdiction de territoire pour cause de grande criminalité pour les deux motifs.
[51] Le résident permanent interdit de territoire au Canada peut être déféré à une enquête au cours de laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié décide de lui permettre de rester au Canada ou de prendre une mesure de renvoi l’obligeant à quitter le Canada (LIPR, par. 44(2) et art. 45 ). Lorsqu’une mesure de renvoi est prise et ne fait pas par la suite l’objet d’un sursis ou d’une annulation en appel, l’intéressé perd son statut de résident permanent et doit immédiatement quitter le Canada (LIPR, al. 46(1) c), art. 48 et al. 49(1) a)).
[52] Il est possible d’interjeter appel d’une mesure de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration, qui peut tenir compte des motifs d’ordre humanitaire militant en faveur de l’annulation de la mesure (LIPR, par. 63(3) et 67(1) ). Toutefois, aucun droit d’appel n’est reconnu au résident permanent interdit de territoire en raison d’une infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins six mois (LIPR, par. 64(1) et (2) ). Ainsi, la seconde conséquence en matière d’immigration de la peine d’emprisonnement de neuf mois infligée à M. Wong a été la perte de son droit d’interjeter appel de toute mesure de renvoi prise contre lui, et ce, peu importe la raison, y compris pour des motifs d’ordre humanitaire.
[53] M. Wong a eu vent pour la première fois des conséquences de son plaidoyer sur le plan de l’immigration alors qu’il purgeait sa peine d’emprisonnement, lorsqu’un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada a communiqué avec lui par téléphone. Environ un mois après sa libération, il a reçu une lettre de l’Agence l’informant qu’il y aurait une enquête pour décider s’il serait contraint de quitter le Canada. À ce moment‑là, alors qu’il avait déjà purgé sa peine, M. Wong a fait appel de sa déclaration de culpabilité et a demandé que son plaidoyer de culpabilité soit annulé au motif qu’il n’avait pas été avisé de toutes les conséquences en découlant.
III. Historique judiciaire
Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Harris et Fitch), 2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435
[54] M. Wong a formulé son appel à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique sous forme de contestation de la compétence de son avocat en faisant valoir que l’inefficacité de l’aide fournie par l’avocat qui le représentait à son procès avait entraîné une erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1) a)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 . Il a demandé le retrait de son plaidoyer pour cette raison. M. Wong a déclaré dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de son appel qu’il n’était pas au courant des conséquences possibles de sa déclaration de culpabilité et de sa peine en matière d’immigration. Il n’a cependant pas expressément affirmé qu’il aurait effectivement refusé de plaider coupable s’il avait été au fait des conséquences en question. M. Wong a également demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de sa peine, mais cet appel a été suspendu en attendant l’issue de l’appel formé contre sa déclaration de culpabilité.
[55] La Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté par M. Wong contre sa déclaration de culpabilité. Chacun des juges de la formation a rédigé des motifs concordants distincts. Tous les juges ont reconnu que M. Wong n’était pas au courant des conséquences indirectes de son plaidoyer sur le plan de l’immigration, mais ont conclu que son plaidoyer de culpabilité ne pouvait être retiré parce qu’il n’avait pas entraîné d’erreur judiciaire. Les juges étaient divisés sur le cadre d’analyse à appliquer pour trancher l’appel.
[56] La juge Saunders a appliqué le cadre d’analyse servant à décider si l’assistance inefficace de l’avocat de M. Wong avait entraîné une erreur judiciaire. Ce cadre d’analyse oblige l’accusé à démontrer que les services de l’avocat qui le représentait au procès ne satisfaisaient pas à une norme de raisonnabilité à laquelle on s’attend de professionnels et que les services insatisfaisants fournis par son avocat lui ont causé un préjudice qui constitue une erreur judiciaire. La juge Saunders a estimé que la validité du plaidoyer de culpabilité constituait une sous‑catégorie du cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat.
[57] La juge Saunders a conclu que M. Wong ne pouvait obtenir l’annulation de son plaidoyer de culpabilité pour cause d’erreur judiciaire, et ce, pour deux motifs. En premier lieu, elle a estimé que, pour démontrer qu’un plaidoyer de culpabilité invalide a entraîné une erreur judiciaire, l’accusé doit établir l’existence d’un [traduction] « moyen concret de parvenir à un acquittement »; en d’autres termes, il doit démontrer qu’il avait des chances d’obtenir gain de cause en ce qui concerne le verdict (par. 26). Or, M. Wong n’avait invoqué aucun motif lui permettant d’éviter une déclaration de culpabilité et il n’avait donc pas satisfait à cette exigence. En second lieu, la juge Saunders a conclu que M. Wong n’avait pas établi que la connaissance des conséquences possibles sur le plan de l’immigration aurait influé sur sa décision de plaider coupable.
[58] Le juge Fitch a souscrit au résultat, mais il aurait limité son analyse de l’affaire au point de savoir si le plaidoyer de culpabilité était valide, plutôt que d’appliquer le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat. Il a accepté la preuve selon laquelle le plaidoyer de M. Wong n’était pas éclairé, mais a estimé qu’on n’avait pas fait la démonstration du préjudice nécessaire pour établir qu’il y avait eu erreur judiciaire. M. Wong n’a pas expressément affirmé qu’il n’aurait pas plaidé coupable s’il avait été au courant des conséquences indirectes de son plaidoyer et son défaut de le dire a porté un coup fatal à son appel. Le juge Fitch a exprimé des réserves quant à la règle supplémentaire suivant laquelle l’appelant qui cherche à faire annuler un plaidoyer de culpabilité pour cause d’erreur judiciaire doit aussi prouver l’existence d’un moyen concret de parvenir à un acquittement.
[59] Dans ses brefs motifs concordants, le juge Harris a adopté le cadre d’analyse énoncé par la juge Saunders tout en reprenant à son compte les réserves de principe exprimées par le juge Fitch au sujet de l’obligation d’établir un moyen concret de parvenir à un acquittement pour qu’un plaidoyer de culpabilité puisse être retiré en raison d’une erreur judiciaire.
IV. Analyse
A. Les plaidoyers de culpabilité dans le système canadien de justice pénale
[60] La question primordiale dans le présent pourvoi est de savoir dans quels cas un plaidoyer de culpabilité entraîne une erreur judiciaire au motif qu’il n’est pas éclairé. Je n’examinerais pas cette question en recourant au cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat. La question au cœur de la présente affaire est de savoir si le plaidoyer de culpabilité de M. Wong était éclairé et constituait une renonciation valide à ses droits. En mettant l’accent sur le point de savoir si l’assistance inefficace de l’avocat était la source de la présumée invalidité du plaidoyer, on ne fait qu’embrouiller l’analyse.
[61] Les plaidoyers de culpabilité revêtent une importance capitale dans le système canadien de justice pénale. Depuis de nombreuses années, la grande majorité des déclarations de culpabilité au Canada sont prononcées à la suite de plaidoyers de culpabilité (O. E. Fitzgerald, The Guilty Plea and Summary Justice (1990), p. 1; J. Di Luca, « Expedient McJustice or Principled Alternative Dispute Resolution? A Review of Plea Bargaining in Canada » (2005), 50 Crim. L.Q. 14, p. 15; S. N. Verdun‑Jones et A. A. Tijerino, Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada (2002), p. 1. Le plaidoyer de culpabilité est un aspect du processus de négociation de plaidoyer au cours duquel les avocats du ministère public et de la défense négocient une recommandation conjointe sur la peine et l’accusé accepte en échange de plaider coupable. Comme notre Cour l’a récemment expliqué, ces ententes « sont monnaie courante, et [. . .] sont essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénale et de notre système de justice en général » (voir R. c. Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204, par. 25). Le processus de négociation de plaidoyer est fondamental pour l’administration de la justice : le règlement des dossiers par la négociation de plaidoyer profite à tous les acteurs du système de justice, préserve les ressources limitées et apporte une certitude au processus pénal (Anthony‑Cook, par. 35 à 40).
[62] Il est vrai que le processus de négociation de plaidoyer procure des avantages importants, mais il doit aussi être équitable. Notre Cour reconnaît depuis longtemps l’importance des droits auxquels renonce l’accusé qui plaide coupable (Adgey c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 426, p. 440). Un plaidoyer de culpabilité constitue un aveu exprès de culpabilité au crime reproché à l’accusé. Il décharge le ministère public de son fardeau d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable et il emporte renonciation à des garanties procédurales essentielles. L’accusé qui plaide coupable renonce à ces protections garanties par la Constitution comme le droit à une défense pleine et entière, le droit au silence, le droit de ne pas s’incriminer et la présomption d’innocence.
[63] Vu l’importance de ces droits, notre droit a imposé certaines exigences auxquelles il doit être satisfait pour qu’un plaidoyer de culpabilité soit reconnu comme valide : le plaidoyer doit être libre, sans équivoque et éclairé. Un plaidoyer est éclairé si l’accusé est au courant de la nature des allégations faites contre lui, ainsi que des effets et des conséquences de son plaidoyer (R. c. Taillefer, 2003 CSC 70, [2003] 3 R.C.S. 307, par. 85, citant R. c. T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 519 (le juge d’appel Doherty); Code criminel, par. 606(1.1) ).
[64] La personne reconnue coupable à la suite d’un plaidoyer de culpabilité peut interjeter appel de sa déclaration de culpabilité et demander le retrait de son plaidoyer. Dans l’arrêt Adgey, à la p. 431, notre Cour a jugé que l’accusé peut modifier ainsi un plaidoyer si le tribunal est convaincu qu’il existe des « motifs valables » de le faire. La Cour a expressément refusé de circonscrire la portée de cette expression, mais a laissé entendre qu’une preuve indiquant que l’accusé ne voulait pas admettre un fait constituant un des éléments essentiels de l’infraction, qu’il s’est mépris sur l’effet d’un plaidoyer de culpabilité ou qu’il n’avait tout simplement pas l’intention de s’avouer coupable pourrait constituer un motif valable (p. 430). La liste n’est pas exhaustive. Ces exemples illustrent simplement la possibilité de retirer un plaidoyer de culpabilité qui ne satisfait pas aux critères de validité susmentionnés.
[65] Il incombe à la personne qui interjette appel d’une déclaration de culpabilité en raison d’un plaidoyer invalide de démontrer que celui‑ci était effectivement invalide (T. (R.), p. 519). L’intégrité du processus de négociation de plaidoyer, ainsi que la certitude et le déroulement ordonné des procédures qui sont essentiels au processus pénal, dépendent du caractère définitif des plaidoyers de culpabilité. Les avantages que comportent les plaidoyers de culpabilité disparaissent et le fonctionnement même du système de justice pénale est compromis si les tribunaux annulent ces plaidoyers à la légère. En conséquence, il est impératif, dans l’intérêt du public, de préserver le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et il incombe à l’accusé de démontrer que son plaidoyer de culpabilité était invalide.
[66] En plaidant coupable, M. Wong a renoncé aux droits importants mentionnés précédemment. Il soutient qu’il a agi ainsi sans avoir été bien informé des conséquences de son plaidoyer, de sorte que celui‑ci ne satisfaisait pas à l’une des conditions de validité susmentionnées, qui ont été élaborées pour protéger les droits de l’accusé à un processus équitable. Il interjette donc appel de sa déclaration de culpabilité au motif qu’il y a eu erreur judiciaire au sens du sous‑al. 686(1) a)(iii) du Code criminel . En conséquence, l’appel de M. Wong oblige notre Cour à se pencher sur une question d’équité procédurale. Était‑il suffisamment informé des pleines conséquences de son plaidoyer de sorte que le processus au cours duquel il a renoncé à ses droits était équitable? Pour répondre à cette question, la Cour doit déterminer : (1) les cas dans lesquels un plaidoyer de culpabilité n’est pas considéré comme éclairé au motif que l’accusé n’était pas au courant des conséquences indirectes que pouvait avoir son plaidoyer; (2) les circonstances dans lesquelles le préjudice causé est tel que le plaidoyer de culpabilité non éclairé a entraîné une erreur judiciaire et devrait être annulé en appel.
B. Dans quels cas un plaidoyer de culpabilité non éclairé entraîne‑t‑il une erreur judiciaire?
(1) L’accusé n’était pas au courant d’une conséquence juridiquement pertinente
[67] Il est de jurisprudence constante que, pour qu’un plaidoyer soit éclairé, l’accusé doit en connaître les conséquences (Taillefer, par. 85). L’accusé doit être conscient à tout le moins des conséquences pénales d’un plaidoyer de culpabilité, notamment du risque d’être déclaré coupable et de se voir infliger une peine (T. (R.), p. 523). Il s’agit de savoir si l’accusé doit être aussi au fait des conséquences indirectes pour que son plaidoyer soit éclairé.
[68] Par conséquences indirectes, on entend les conséquences qui sont secondaires ou parallèles au processus pénal et qui ont un effet sur le délinquant (voir R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739, par. 11). Notre Cour a déjà décidé que les conséquences indirectes en matière d’immigration peuvent être prises en compte lors de la détermination de la peine (Pham, par. 13). Comme je l’ai écrit dans cet arrêt, bien que la peine doive toujours être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant, les conséquences indirectes telles que l’expulsion peuvent constituer des facteurs pertinents lorsqu’il s’agit de décider de la justesse de la peine (par. 24). Toutefois, le simple fait qu’une conséquence indirecte est pertinente au stade de la détermination de la peine ne signifie pas qu’elle a nécessairement une incidence sur la validité d’un plaidoyer de culpabilité. Pour décider si une peine est juste, le tribunal doit tenir compte de tous les facteurs pertinents, lesquels peuvent comprendre les conséquences indirectes de la peine. La validité d’un plaidoyer de culpabilité suffisamment éclairé fait intervenir diverses considérations. Dans ce dernier cas, la question ultime est de savoir si l’accusé a renoncé à ses droits en plaidant coupable dans le cadre d’un processus fondamentalement équitable.
[69] Les cours d’appel provinciales ont exprimé des opinions divergentes sur la question de savoir si, pour qu’un plaidoyer de culpabilité soit éclairé, l’accusé doit être conscient de ses conséquences indirectes. Les tribunaux de l’Alberta et du Québec ont adopté une conception étroite en estimant que la connaissance des conséquences indirectes n’est pas pertinente et qu’elle n’influe pas sur la validité d’un consentement par ailleurs éclairé. Selon cette conception, pour décider si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé et, donc, valide, on s’intéresse seulement à la question de savoir si l’accusé a compris les conséquences de son plaidoyer de culpabilité sur les procédures pénales elles‑mêmes (R. c. Slobodan (1993), 135 A.R. 181 (C.A.); R. c. Hunt, 2004 ABCA 88, 346 A.R. 45; R. c. Nersysyan, 2005 QCCA 606; R. c. Raymond, 2009 QCCA 808.
[70] Dans d’autres provinces, les tribunaux ont adopté une conception plus globale de la pertinence des conséquences indirectes pour décider si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé. Les tribunaux de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario ont accepté la possibilité qu’un plaidoyer de culpabilité soit annulé au motif que l’accusé n’était pas au courant de ses conséquences indirectes (R. c. Quick, 2016 ONCA 95, 129 O.R. (3d) 334; R. c. Aujla, 2015 ONCA 325; R. c. Shiwprashad, 2015 ONCA 577, 337 O.A.C. 57; R. c. Sangs, 2017 ONCA 683; R. c. Tyler, 2007 BCCA 142, 237 B.C.A.C. 312; R. c. Kitawine, 2016 BCCA 161, 386 B.C.A.C. 24). Bien que, selon cette conception plus globale, la connaissance des conséquences indirectes peut être pertinente pour juger de la validité d’un plaidoyer de culpabilité, il n’existe pas de consensus au sujet de la portée ou de la nature précise des conséquences indirectes dont l’accusé doit avoir connaissance pour que son plaidoyer de culpabilité soit éclairé.
[71] Je refuse de faire mienne la conception étroite suivant laquelle les conséquences indirectes ne sont pas pertinentes pour décider si un plaidoyer de culpabilité est suffisamment éclairé. L’exigence voulant que le plaidoyer de culpabilité soit éclairé vise à garantir que l’accusé renonçant à ses droits procéduraux le fait d’une manière qui préserve l’intégrité et l’équité du processus pénal. La conception étroite est axée uniquement sur le point de savoir si l’accusé était conscient des conséquences de son plaidoyer de culpabilité sur les procédures criminelles et ne tient pas compte de conséquences indirectes susceptibles d’avoir une incidence sur ses intérêts fondamentaux. Le fait d’avaliser la conception étroite aurait pour effet de compromettre la faculté de l’accusé de prendre une décision éclairée. Une telle conception ne cadrerait pas avec les raisons de principe qui sous‑tendent l’exigence d’un plaidoyer éclairé qui vise à garantir l’équité procédurale.
[72] Les conséquences indirectes qui touchent les intérêts fondamentaux de l’accusé sont susceptibles d’avoir un impact plus important sur l’accusé que la sanction pénale imposée en soi. En conséquence, il peut être essentiel que l’accusé soit au courant de ces conséquences pour pouvoir inscrire un plaidoyer de culpabilité éclairé. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte de l’immigration, où l’accusé peut être exposé à une conséquence indirecte aussi grave que l’expulsion. Les personnes qui doivent être expulsées risquent de subir plusieurs conséquences graves qui changeront leur vie. Elles peuvent être contraintes de quitter un pays qui est le leur depuis des décennies et de retourner dans un pays où elles n’ont plus de liens personnels ou dont elles ne parlent peut‑être même plus la langue si elles l’ont quitté alors qu’elles étaient encore enfants. Si elles ont de la famille au Canada, ces personnes et leurs parents s’exposent à une rupture des liens qui les unissent ou à une séparation permanente.
[73] La gravité de ces conséquences a amené les tribunaux canadiens à adopter la démarche plus globale et à reconnaître que la connaissance, par l’accusé, des conséquences de ces faits sur le plan de l’immigration est pertinente pour décider si son plaidoyer est suffisamment éclairé. En pratique, il est également bien établi au Canada que les avocats de la défense devraient s’enquérir du statut d’immigrant de leur client, informer ce dernier des conséquences d’un plaidoyer de culpabilité en matière d’immigration et le mettre au courant des répercussions sur le plan de l’immigration d’une déclaration de culpabilité ou d’une peine particulière qui pourrait être imposée à l’audience de détermination de la peine. Cette façon de faire trouve écho dans les formulaires de procédures pénales, listes de contrôle et lignes directrices suivants qui ont été rédigés par Aide juridique Ontario et plusieurs barreaux pour s’assurer que les accusés enregistrent des plaidoyers de culpabilité éclairés : Aide juridique Ontario, Enquête judiciaire portant sur la compréhension par l’accusé de la signification du plaidoyer de culpabilité, octobre 2017 (en ligne), p. 2 et 3; Law Society of British Columbia, Sentencing Procedure, mise à jour le 1er septembre 2017 (en ligne), p. C‑3‑4; Barreau du Québec, Détermination de la peine, mis à jour en décembre 2013 (en ligne), p. 1; Barreau de l’Ontario, How to Prepare and Conduct a Sentencing Hearing, mis à jour en décembre 2016 (en ligne), voir Step 9 : Prepare the client for the sentencing hearing. La fourniture de documents d’information comme ceux qui précèdent par des institutions de la profession juridique montrent que l’on accepte de plus en plus que la connaissance des conséquences indirectes sur le plan de l’immigration est un facteur très pertinent dans le contexte criminel et qu’elle fait partie de la définition d’un plaidoyer de culpabilité éclairé. En guise de comparaison, la Cour suprême des États‑Unis a elle aussi reconnu la gravité des conséquences de l’expulsion en tant que [traduction] « “peine” particulièrement sévère » et a imposé aux avocats de la défense l’obligation d’aviser les clients étrangers du risque d’expulsion que peut présenter un plaidoyer de culpabilité (Padilla c. Kentucky, 559 U.S. 356 (2010), p. 365, citant Fong Yue Ting c. United States, 149 U.S. 698 (1893), p. 740).
[74] À mon avis, les craintes d’iniquité procédurale auxquelles devait répondre au départ l’exigence du plaidoyer de culpabilité éclairé signifient que, pour que le plaidoyer de culpabilité soit éclairé, l’accusé doit avoir connaissance de conséquences indirectes graves comme celles énoncées précédemment. J’adopterais donc une conception plus globale suivant laquelle la réponse à la question de savoir si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé peut dépendre de la connaissance ou non par l’accusé de telles conséquences indirectes et du fait de savoir si, en inscrivant un plaidoyer de culpabilité, l’accusé a renoncé à ses droits dans le cadre d’un processus foncièrement équitable.
[75] Les tribunaux qui ont adopté une conception plus globale ont utilisé l’expression « juridiquement pertinente » pour qualifier la conséquence indirecte dont l’accusé doit être au fait pour que son plaidoyer soit éclairé (voir T. (R.), p. 524; Quick, par. 28 à 30). Cette expression me paraît décrire avec justesse les types de conséquences qui sont suffisamment graves pour influer sur la validité d’un plaidoyer de culpabilité. Pour être juridiquement pertinente et susceptible d’étayer la décision que le plaidoyer de culpabilité est suffisamment éclairé, une conséquence indirecte est en règle générale imposée par l’État, découle assez directement de la déclaration de culpabilité ou de la peine et doit avoir une incidence sur des intérêts sérieux de l’accusé.
[76] Un plaidoyer de culpabilité n’est donc pas éclairé si l’accusé prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente. Les conséquences indirectes juridiquement pertinentes débordent le contexte de l’immigration. Les éventuelles conséquences indirectes sont tellement variées que la pertinence juridique ne peut faire l’objet d’une simple classification. Les caractéristiques énumérées ci‑dessus ne sont pas censées être des conditions préalables de pertinence juridique; il s’agit simplement de facteurs que doit prendre en considération le tribunal lorsque l’accusé cherche à faire annuler un plaidoyer de culpabilité au motif qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte.
[77] Je tiens également à souligner que l’accusé n’a pas à être informé de toutes les conséquences possibles d’un plaidoyer pour que celui‑ci soit éclairé. Bien qu’un plaidoyer de culpabilité puisse entraîner une foule de conséquences indirectes qui se matérialisent dans diverses situations, seules celles qui sont juridiquement pertinentes jouent dans cette analyse. Certaines conséquences sont trop éloignées ou anodines pour constituer des renseignements dont l’accusé doit avoir connaissance pour que son plaidoyer de culpabilité soit éclairé. À mon avis, il ne serait ni nécessaire ni sage en l’espèce de circonscrire de façon exhaustive la portée des conséquences juridiquement pertinentes. La teneur de cette notion doit évoluer progressivement au fil de la jurisprudence.
[78] Je signale que l’évaluation de la pertinence juridique ne nécessite pas que l’on mène une analyse axée sur les faits de l’importance d’une conséquence indirecte pour l’accusé qui comparaît devant le tribunal. À cette étape de l’analyse, il s’agit plutôt uniquement de savoir si la conséquence est suffisamment grave pour constituer une conséquence juridiquement pertinente. Je suis convaincu qu’une conséquence imposée par l’État tel un risque d’expulsion sans droit d’appel, laquelle découle directement d’une déclaration de culpabilité et d’une condamnation au pénal, touche des intérêts sérieux et constitue une conséquence indirecte juridiquement pertinente.
(2) Il existe une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence indirecte
[79] Même si l’on démontre qu’un plaidoyer de culpabilité n’était pas éclairé parce que l’accusé n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente, cela ne suffit pas en soi à établir qu’il y a eu erreur judiciaire. Un plaidoyer de culpabilité non éclairé peut faire naître la possibilité qu’il y ait atteinte à l’équité procédurale, mais le tribunal doit aller plus loin et se pencher également sur l’effet de ce manque de connaissance. Un plaidoyer de culpabilité non éclairé ne peut être annulé pour cause d’erreur judiciaire que s’il a porté préjudice à l’accusé.
[80] En conséquence, à la deuxième étape de l’analyse, le tribunal doit être convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable que l’accusé aurait procédé différemment s’il avait eu connaissance de la conséquence indirecte, soit en refusant d’admettre sa culpabilité et en inscrivant un plaidoyer de non‑culpabilité, soit en plaidant coupable, mais à d’autres conditions. Il faut l’établir en appliquant une norme objective qui soit modifiée de façon à permettre au tribunal de tenir compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé qui comparaît devant lui. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si l’accusé qui comparaît devant le tribunal aurait effectivement refusé de plaider coupable. Le tribunal de révision doit évaluer objectivement l’incidence des renseignements manquants sur la situation particulière de l’accusé. Il faut donc décider s’il est raisonnablement possible qu’une personne raisonnable placée dans la même situation aurait procédé différemment si elle avait été dûment informée.
[81] La norme de preuve applicable est celle de la possibilité raisonnable, qui se situe quelque part entre une simple possibilité et une probabilité (Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), p. 693‑694, la juge O’Connor, cité dans R. c. Joanisse (1995), 102 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.), p. 64). En conséquence, le tribunal n’a qu’à être convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’accusé aurait procédé différemment si elle avait eu connaissance de la conséquence indirecte. Le tribunal n’a pas à être convaincu de la probabilité qu’un prévenu placé dans la même situation aurait en fait décidé de plaider non coupable (voir p. ex. Taillefer, par. 111). L’analyse s’attache fondamentalement à l’effet de la conséquence indirecte inconnue sur la faculté de l’accusé de prendre une décision éclairée. En d’autres termes, cette analyse vise à prévenir le préjudice qui survient lorsque la connaissance du renseignement aurait suffisamment influencé la décision de plaider coupable ou non, dans la mesure où il est raisonnablement possible qu’un accusé se trouvant dans une situation semblable aurait procédé différemment, et non à décider si cet accusé aurait effectivement refusé de plaider coupable.
[82] En outre, on n’a pas à présumer qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’accusé aurait pris la « meilleure » démarche ou la démarche la plus logique compte tenu de la probabilité d’avoir gain de cause au procès. L’analyse ne vise pas à décider s’il aurait été raisonnable de plaider coupable. Il s’agit plutôt de savoir s’il est raisonnablement possible qu’une personne raisonnable placée dans la même situation aurait procédé différemment, eu égard aux circonstances et à la gravité de la conséquence indirecte en cause. Cette évaluation ne confère pas un « pouvoir discrétionnaire illimité » au tribunal de révision (motifs de la majorité, par. 16). L’analyse de la raisonnabilité se fait dans les limites du cadre précis exposé ci‑dessus.
[83] Cette analyse traduit le fait que la connaissance de la possibilité qu’il y ait des conséquences indirectes juridiquement pertinentes touche non seulement les décisions de l’accusé, mais aussi celles d’autres acteurs du système de justice pénale. Par exemple, si le procureur du ministère public savait qu’un plaidoyer de culpabilité à une accusation donnée risque d’exposer l’accusé à une conséquence indirecte juridiquement pertinente, cela pourrait influer sur la décision que le procureur prendra dans le cadre de la négociation du plaidoyer. La connaissance de cette possibilité pourrait influencer le procureur du ministère public quand il décide de porter ou non certaines accusations, d’accepter ou non un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre et incluse, ou encore la peine à laquelle il devrait convenir dans les observations conjointes. Tous ces aspects sont, à leur tour, pertinents quant à la stratégie et à la tactique de l’accusé. Lorsque le procureur du ministère public offre d’accepter un plaidoyer de culpabilité à l’égard d’une infraction moindre et incluse ou consent à recommander une réduction de peine, l’accusé doit évaluer ces faits nouveaux et décider s’il plaidera coupable, courra le risque de subir un procès ou poursuivra les négociations. Toutes ces considérations réciproques influent sur la décision finale de plaider coupable ou non.
[84] Bref, la décision de plaider coupable ou non fait partie d’un long processus dans le cadre duquel de nombreux acteurs sont appelés à prendre d’autres décisions. Certaines de ces décisions sont tout simplement indépendantes de la volonté de l’accusé. Il y a préjudice lorsqu’une personne bien informée aurait peut‑être procédé différemment — soit en refusant d’admettre sa culpabilité et en inscrivant un plaidoyer de non‑culpabilité, par exemple, soit en plaidant coupable, mais seulement après avoir demandé d’autres conditions, ou en plaidant coupable à une autre accusation. Une analyse objective axée sur le préjudice découlant d’une possibilité raisonnable qu’un accusé se trouvant dans une situation semblable aurait procédé différemment, plutôt que sur une évaluation d’une affirmation subjective quant au résultat concluant, rend compte de façon plus réaliste de la nature du processus de négociation de plaidoyer et de l’effet cumulatif des nombreuses décisions prises pendant ce processus. En définitive, elle est compatible avec l’intégrité du processus de négociation de plaidoyer dans son ensemble.
[85] Je reconnais volontiers que la décision initiale de plaider coupable ou non est fondamentalement subjective pour l’accusé et est le fruit de considérations éminemment personnelles. Mais il ne s’ensuit pas forcément que, quand l’accusé cherche plus tard à faire annuler un plaidoyer de culpabilité pour cause d’invalidité, le préjudice découlant de ce plaidoyer ne peut faire l’objet que d’une évaluation subjective. Tel que l’acceptent mes collègues, toute conception du retrait d’un plaidoyer de culpabilité doit atteindre un équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé (motifs de la majorité, par. 19). Donc, bien que la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité traduise le choix subjectif de l’accusé, la décision de radier ou non ce plaidoyer pour cause d’invalidité cesse d’appartenir exclusivement à l’accusé. Cette décision doit aussi tenir compte de l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité. Mais cela ne veut pas dire que l’intérêt du public dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité peut l’emporter sur le préjudice que fait subir un plaidoyer non éclairé à un accusé. Je conviens avec mes collègues qu’on doit annuler le plaidoyer non éclairé qui a causé un préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire. Nos approches divergent quant à la manière dont il faut évaluer ce préjudice.
[86] La norme objective modifiée atteint un juste équilibre entre les intérêts opposés lorsque l’accusé cherche à retirer un plaidoyer de culpabilité parce qu’il n’était pas au courant d’une conséquence juridiquement pertinente. Ce critère permet au tribunal de tenir compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé afin de décider comme il se doit si le plaidoyer non éclairé a eu un effet préjudiciable eu égard à la situation de l’accusé. Par ailleurs, la nature objective du critère témoigne de l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif du plaidoyer de culpabilité et milite contre la tentative de l’accusé de faire annuler un plaidoyer pour des raisons arbitraires ou banales qui n’ont peut‑être en fait rien à voir avec son ignorance d’une conséquence donnée. Elle vise également à empêcher l’accusé de faire annuler un plaidoyer au motif qu’il a été privé de renseignements peu susceptibles d’avoir une incidence sur la décision dans les circonstances.
[87] À mon avis, l’analyse objective modifiée atténue en outre davantage qu’une évaluation subjective le caractère intrinsèquement hypothétique de l’évaluation du préjudice causé par un plaidoyer non éclairé. Comme je l’ai expliqué plus haut, la négociation d’un plaidoyer fait intervenir des considérations nuancées et interdépendantes. La règle voulant qu’un plaidoyer de culpabilité soit suffisamment éclairé vise à protéger le droit de l’accusé de prendre des décisions éclairées dans le cadre de ce processus. Il est factice d’obliger l’accusé à dire au juste comment il aurait procédé s’il avait été informé des conséquences de son plaidoyer. Autrement dit, c’est une chose de demander à un juge de décider s’il est raisonnablement possible qu’un accusé se trouvant dans une situation semblable aurait procédé différemment. Mais ça en est une autre d’obliger l’accusé à « formuler [en termes exprès] une façon d’agir clairement différente » et à défendre ensuite cette affirmation conjecturale suffisamment pour résister à une évaluation rigoureuse de sa crédibilité (motifs de la majorité, par. 22). Il est souvent difficile pour l’accusé d’expliquer précisément en quoi il aurait agi différemment — encore moins comment d’autres acteurs du système de justice auraient procédé — s’ils avaient eu connaissance des conséquences du plaidoyer. On peut présumer que l’accusé qui choisit d’interjeter appel de la déclaration de culpabilité à la lumière des nouveaux renseignements croit généralement de manière subjective qu’il aurait procédé différemment s’il avait été suffisamment informé à ce moment‑là. J’estime toutefois que la meilleure façon d’évaluer le préjudice consiste à examiner objectivement l’importance qu’auraient eue les renseignements dans la situation particulière de l’accusé en fonction de la norme de la possibilité raisonnable, plutôt qu’à évaluer la mesure dans laquelle l’accusé peut décrire éloquemment un préjudice subjectif par voie d’affidavit et l’efficacité avec laquelle il sait résister à un contre‑interrogatoire.
[88] Comme je l’ai indiqué précédemment, il y a lieu de modifier l’analyse objective pour qu’elle tienne compte de la situation particulière de l’accusé. Notre Cour a appliqué une norme objective modifiée dans plusieurs contextes. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, au par. 32, elle a appliqué un critère objectif modifié aux éléments du moyen de défense fondé sur la nécessité et souligné que le critère « comporte une évaluation objective, mais [. . .] tient compte de la situation et des caractéristiques de l’accusé en question » (par. 32). Une norme semblable a été appliquée au moyen de défense fondé sur la contrainte. Dans l’arrêt R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, au par. 61, notre Cour s’est inspirée de l’arrêt Latimer pour appliquer une « norme à la fois objective et subjective » afin de déterminer la gravité des menaces dans le contexte de ce moyen de défense. Elle a expliqué que, pour appliquer cette norme, « [l]es tribunaux prendront en considération la situation particulière dans laquelle se trouvait le prévenu et la capacité de celui‑ci de discerner une solution raisonnable autre que celle de commettre un crime, compte tenu de ses antécédents et de ses caractéristiques essentielles » (par. 61).
[89] Dans Taillefer, bien qu’elle n’ait pas utilisé explicitement l’expression « norme objective modifiée », la Cour a adopté une approche qui ressemblait à cette norme. Dans cet arrêt, la Cour s’est penchée en effet sur les circonstances dans lesquelles l’accusé peut retirer un plaidoyer de culpabilité par suite de la découverte de nouveaux éléments de preuve que la poursuite n’avait pas divulgués. S’exprimant au nom de la Cour, le juge LeBel a rejeté un critère subjectif qui aurait obligé le tribunal à se demander si l’accusé qui comparaissait devant lui aurait refusé de plaider coupable si le ministère public n’avait pas manqué à son obligation de divulgation. Le juge LeBel a plutôt opté pour un critère objectif, qui consiste à déterminer s’il y avait une possibilité raisonnable que le nouvel élément de preuve, s’il avait été divulgué, aurait influencé la décision de plaider coupable ou non d’une personne raisonnable et dûment informée. Cependant, le juge LeBel n’a pas proposé une démarche purement objective. Il a plutôt appliqué un critère qui consistait à se demander s’il était raisonnablement possible qu’une personne, placée « dans la même situation, aurait couru le risque de subir un procès » (Taillefer, par. 90, je souligne).
[90] Selon mes collègues, il ne faut pas considérer que l’arrêt Taillefer avalise une norme objective modifiée. Avec égards, je ne peux souscrire à cette opinion. Il est révélateur que dans Taillefer, l’appelant a déposé un affidavit attestant qu’il n’aurait pas plaidé coupable s’il avait connu l’existence de la preuve non communiquée. En outre, ses avocats ont également fait des déclarations à cet effet (par. 110). Néanmoins, le juge LeBel a statué que la cour d’appel avait appliqué à tort un critère subjectif pour déterminer l’incidence de la non‑communication sur la décision de l’appelant de plaider coupable. Comme l’a conclu le juge LeBel sur ce point, « il ne s’agit du test applicable. Le critère est celui de la personne raisonnable placée dans la même situation » (par. 111). Dans les circonstances, le juge LeBel a décidé qu’il n’était pas déraisonnable de croire qu’un accusé se trouvant dans la même situation aurait hésité à admettre sa culpabilité. Pour cette raison, il a évalué le préjudice découlant de l’omission de communiquer la preuve en appliquant un critère objectif modifié, comme nous l’avons vu plus haut, plutôt que d’évaluer les affirmations subjectives qu’a faites l’appelant par voie d’affidavit.
[91] À mon sens, le raisonnement exposé dans Taillefer indique sans ambiguïté qu’il y a lieu d’appliquer un cadre d’analyse objectif au moment d’évaluer l’incidence d’une preuve non communiquée — ou, par analogie avec la présente affaire, des conséquences indirectes ignorées — sur la décision de l’accusé d’admettre sa culpabilité. Mes collègues mentionnent que « le préjudice — c’est‑à‑dire la question de savoir si le fait que l’accusé n’était pas informé a eu une incidence sur le plaidoyer — est évalué subjectivement », ce qui, d’après eux, est « conforme en tous points » à l’arrêt Taillefer (par. 35 (souligné dans l’original)). Soit dit en tout respect, cette proposition néglige la règle précise établie dans Taillefer selon laquelle « l’impact de la non‑divulgation sur la décision de l’appelant de plaider coupable » — autrement dit, le préjudice — est évalué non pas en appliquant un test subjectif, mais en examinant ce qu’aurait fait une « personne raisonnable placée dans la même situation » (Taillefer, par. 111). Le recours par le tribunal à ce cadre objectif pour évaluer le préjudice dans le cas de l’accusé qui comparaît devant lui n’a pas pour effet de rendre l’analyse subjective.
[92] En terminant, je signale que le fait d’exiger que le préjudice subjectif soit l’objet de la démonstration suggérée par mes collègues pourrait constituer un obstacle procédural pour l’accusé qui n’a pas compris le — ou n’a pas été avisé du — besoin d’affirmer expressément qu’il aurait refusé de plaider coupable ou plaidé coupable uniquement à certaines conditions s’il avait été suffisamment informé. Un tel obstacle procédural se dresserait malgré la présence évidente d’un grave préjudice causé à l’accusé par le plaidoyer de culpabilité non éclairé. Mes collègues insistent pour dire que l’adoption d’un cadre subjectif ne créera pas un tel obstacle procédural (par. 30). Ils reconnaissent toutefois implicitement que cet obstacle procédural peut se dresser en indiquant que ses effets seront, espérons‑le, atténués par des juges de première instance attentifs (par. 30).
[93] Il ressort de la manière dont mes collègues tranchent le présent pourvoi que l’obligation pour l’accusé de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif par voie d’affidavit constitue un obstacle procédural. En l’espèce, M. Wong a affirmé ignorer que sa déclaration de culpabilité entraînait des conséquences en matière d’immigration. Il n’a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité qu’après avoir déjà purgé sa peine. Il risque maintenant d’être expulsé sans aucun droit d’appel, des conséquences qui découlent directement de son plaidoyer non éclairé. S’il est expulsé, M. Wong devra quitter le pays où il se sent chez lui depuis plus de 25 ans et il sera séparé en permanence de sa famille, y compris de son enfant née au Canada, ou sa famille devra s’établir avec lui en permanence à l’étranger. Mes collègues acceptent que M. Wong n’était pas au courant de ces graves conséquences et que son plaidoyer n’était pas éclairé (par. 4). Ils reconnaissent qu’une personne se trouvant dans la situation de M. Wong aurait peut‑être choisi de subir son procès même si on lui avait proposé une transaction relative au plaidoyer qui prévoit une peine de moins de six mois d’emprisonnement, afin d’éviter l’interdiction de territoire au Canada (par. 38). En effet, ils acceptent, sur la foi des observations de M. Wong, que ce dernier voulait d’abord et avant tout éviter d’être expulsé (par. 38). En dépit de ces constatations, mes collègues estiment que M. Wong n’a pas établi l’existence d’un préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire à l’aune de leur cadre d’analyse subjectif.
[94] Mes collègues parviennent à la conclusion précitée car, même si M. Wong a déposé un affidavit en Cour d’appel, il n’a pas déclaré qu’il aurait inscrit un autre plaidoyer ou insisté pour obtenir des conditions différentes s’il avait été informé des conséquences de son plaidoyer. Faute de cette formule expresse, mes collègues concluent qu’il n’y a aucune raison de permettre à M. Wong de retirer son plaidoyer (par. 37 et 39). Ils n’examinent pas plus à fond le point de savoir si ce manque de renseignements a effectivement causé un préjudice subjectif à M. Wong. Suivant cette approche, la capacité des juges de première instance d’évaluer le préjudice découlant d’un plaidoyer non éclairé sera entièrement tributaire de l’existence ou non de termes suffisamment précis dans un affidavit sur la manière dont l’accusé aurait procédé s’il avait été dûment informé. Il en sera ainsi malgré la conclusion, tirée inévitablement de la situation de l’accusé et de la gravité de la conséquence, qu’une injustice évidente découle du plaidoyer non éclairé. À mon avis, on risque de privilégier la forme au détriment du contenu en souscrivant à pareille approche.
C. La présence d’un moyen concret de parvenir à un acquittement n’est pas requise
[95] Je rejetterais l’approche de certaines cours d’appel provinciales selon laquelle l’accusé doit établir un moyen concret de parvenir à un acquittement avant que son plaidoyer de culpabilité ne puisse être annulé : voir p. ex. Hunt; Nersysyan.
[96] À mon avis, le rôle fonctionnel du plaidoyer de culpabilité dans le contexte du système de justice pénale permet de comprendre pourquoi l’existence d’un moyen concret de parvenir à un acquittement ne devrait pas faire partie de l’analyse. On reconnaît une « double fonction » au plaidoyer de culpabilité : celle de mécanisme procédural et celle de moyen de preuve (Fitzgerald, p. 103). Le plaidoyer de culpabilité sert de moyen de preuve dans la mesure où il remplace la preuve hors de tout doute raisonnable. Il constitue un mécanisme procédural en ce qu’il élimine la nécessité d’un procès sur le fond et emporte renonciation par l’accusé à ses droits (Fitzgerald, p. 103). La validité du plaidoyer de culpabilité doit être appréciée en fonction de ce double rôle. La question de savoir si le plaidoyer de culpabilité est valide comme moyen de preuve dépend de celle de savoir s’il constitue un aveu quant aux éléments essentiels de l’infraction. La validité du plaidoyer comme mécanisme procédural dépend de son caractère libre, sans équivoque et suffisamment éclairé de telle sorte que l’accusé renonce à ses droits dans le cadre d’un processus équitable qui pallie l’absence d’autres mesures de protection procédurales inhérentes au processus pénal.
[97] Ainsi, la possibilité que le plaidoyer de culpabilité soit invalide parce qu’il y a eu confusion quant à son fondement factuel et que l’accusé n’avait pas l’intention, par exemple, d’admettre les éléments essentiels de l’infraction concerne le rôle du plaidoyer de culpabilité comme moyen de preuve. En d’autres termes, le plaidoyer ne pourra peut‑être pas remplacer la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction en cause. En revanche, une crainte comme celle de M. Wong — que le plaidoyer de culpabilité n’était pas suffisamment éclairé — a trait au plaidoyer en tant que mécanisme procédural. La validité de ce plaidoyer de culpabilité doit être appréciée eu égard à la question de savoir si l’accusé a renoncé à ses droits fondamentaux dans le cadre d’un processus équitable, et non à celle de savoir si ce plaidoyer constitue essentiellement une preuve hors de tout doute raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction.
[98] À mon avis, la démarche qui requiert l’existence d’un moyen concret de parvenir à un acquittement est erronée en principe parce qu’elle a pour effet de confondre le rôle que joue le plaidoyer de culpabilité sur le plan de la preuve avec ses fonctions procédurales. Si l’accusé cherche à retirer un plaidoyer de culpabilité au motif qu’il en ignorait les conséquences indirectes, la plainte concerne l’équité procédurale. En d’autres termes, la principale lacune d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé est un vice de procédure qui a entraîné une erreur judiciaire. En revanche, la nécessité d’établir un moyen de défense concret a trait au rôle du plaidoyer de culpabilité sur le plan de la preuve, c’est‑à‑dire la question de savoir s’il peut être substitué à la preuve hors de tout doute raisonnable. Le présent pourvoi ne porte pas sur le rôle du plaidoyer de culpabilité au chapitre de la preuve. Il n’est pas nécessaire de disposer d’un moyen concret de parvenir à un acquittement pour que le plaidoyer puisse être annulé au motif qu’il n’était pas éclairé.
[99] La solidité de la preuve du ministère public et la viabilité de celle de la défense peuvent être des facteurs à prendre en compte pour décider si l’accusé a été lésé du fait qu’il ignorait que son plaidoyer pouvait entraîner des conséquences indirectes. Lorsque l’accusé cherche à retirer un plaidoyer de culpabilité en raison de son caractère non éclairé et qu’il a une défense solide, ou que la preuve du ministère public est plus faible, il est plus probable que la connaissance du renseignement ait influencé la décision de plaider coupable ou non d’un accusé placé dans une situation semblable. À l’inverse, si l’accusé n’a aucun moyen de défense tangible à faire valoir, il sera peut‑être plus difficile d’établir qu’il aurait néanmoins procédé différemment s’il avait eu connaissance d’une conséquence juridiquement pertinente.
[100] Il y a cependant des cas où la preuve du ministère public n’a rien à voir avec l’évaluation du préjudice. Autrement dit, la somme de travail accomplie à la deuxième étape du test décrit ci‑dessus qui sert à évaluer le préjudice causé par le plaidoyer non éclairé peut varier selon la conséquence juridiquement pertinente en question. Par exemple, en toute logique, la solidité de la preuve du ministère public et la viabilité de celle de la défense sont moins pertinentes comparativement à une conséquence indirecte aussi grave que l’expulsion. Quand un accusé s’expose à une conséquence aux répercussions aussi graves, il sera sans doute facile de prouver le préjudice découlant du fait de ne pas être informé de cette conséquence. Toutefois, lorsqu’une autre conséquence, peut‑être moins manifestement grave, est en cause, il peut être nécessaire d’effectuer une analyse plus poussée du préjudice à la deuxième étape du test. Cela n’engendre pas une « norme d’examen variable » (motifs de la majorité, par. 17). Avec égards, c’est tout simplement une question de bon sens; plus grave est la conséquence, plus il sera vraisemblablement facile d’établir le préjudice. De toute évidence, cela dépend toujours de la pertinence de la conséquence dans la situation particulière de l’accusé. De même, la solidité de la preuve du ministère public peut elle aussi perdre beaucoup de sa pertinence dans des cas où le seul moyen pour l’accusé d’éviter la conséquence indirecte en question consiste à plaider non coupable et à subir un procès, aussi improbable l’acquittement soit‑il : voir p. ex. Lee c. United States, 137 S. Ct. 1958 (2017).
[101] En terminant, je ferais remarquer que tous les acteurs du système de justice se soucient de l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité suffisamment éclairé. J’écarte d’emblée l’avis que le fait d’exiger que l’accusé soit informé des conséquences juridiquement pertinentes découlant d’un plaidoyer de culpabilité risque d’imposer un fardeau trop lourd au système de justice. Il est admis au Canada que les avocats de la défense devraient vérifier le statut d’immigrant de leurs clients et les conséquences pouvant découler d’un plaidoyer de culpabilité sur le plan de l’immigration, et il serait sage que les juges de première instance soulèvent la question de ces conséquences indirectes chaque fois qu’un accusé plaide coupable.
V. Application
[102] M. Wong a cherché à retirer son plaidoyer de culpabilité au motif qu’il ignorait qu’une déclaration de culpabilité et une peine découlant de ce plaidoyer pouvaient l’exposer à de graves conséquences sur le plan de l’immigration. Par suite de son plaidoyer de culpabilité, M. Wong est devenu interdit de territoire au Canada. Son dossier a été déféré pour enquête en matière d’immigration et il risque d’être expulsé. Il a également perdu le droit d’interjeter appel de toute mesure de renvoi prise contre lui et d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire pour éviter d’être expulsé. Ces conséquences imposées par l’État sur le plan de l’immigration découlent directement de la déclaration de culpabilité de M. Wong et touchent clairement ses intérêts sérieux. Je suis convaincu que ces conséquences sur le statut d’immigrant de M. Wong constituent des conséquences juridiquement pertinentes. Tous reconnaissent que M. Wong ignorait que la déclaration de culpabilité et la peine découlant de son plaidoyer de culpabilité pouvaient toucher son statut d’immigrant. Je suis donc convaincu que son plaidoyer n’était pas éclairé.
[103] Je suis également convaincu de l’existence d’une possibilité raisonnable que M. Wong aurait procédé différemment s’il avait été bien informé de ces conséquences. J’en arrive à cette conclusion après avoir examiné si une personne raisonnable se trouvant dans la situation de M. Wong aurait procédé différemment si elle avait été au courant des conséquences indirectes. Voici la situation particulière de M. Wong : il est un résident permanent du Canada qui vit ici depuis plus de 25 ans, il a une épouse et une jeune enfant née au Canada, et il risque aujourd’hui de perdre son statut de résident permanent et d’être expulsé du Canada. Je conviens que ces conséquences sur le plan de l’immigration revêtiraient une grande importance pour une personne placée dans une situation analogue lorsqu’elle décide de plaider coupable ou non. En effet, ces conséquences auraient fort bien pu avoir plus d’importance que toute sanction pénale sous forme de peine d’emprisonnement.
[104] À mon avis, la Cour d’appel a commis une erreur en rejetant l’appel de M. Wong au motif que ce dernier n’avait pas déclaré explicitement dans son affidavit qu’il aurait inscrit un autre plaidoyer s’il avait été informé des conséquences indirectes d’un plaidoyer de culpabilité. Tout d’abord, comme je l’ai déjà expliqué, le critère applicable n’est pas subjectif. Ensuite, il ne s’agit pas de savoir si le tribunal peut être fermement convaincu que l’accusé aurait inscrit un autre plaidoyer s’il avait été informé des conséquences indirectes pertinentes. La question est plutôt de savoir s’il existe une possibilité raisonnable qu’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusé aurait procédé différemment si elle avait été au courant de ces conséquences. La réponse à cette question doit se fonder sur des considérations relatives à l’ensemble du processus de négociation de plaidoyer.
[105] En l’espèce, la connaissance de ces renseignements aurait pu influencer de maintes façons la décision d’une personne raisonnable placée dans la situation de M. Wong et l’inciter peut‑être à procéder différemment, soit en refusant d’admettre sa culpabilité et en inscrivant un plaidoyer de non‑culpabilité, soit en plaidant coupable mais à d’autres conditions. Je suis convaincu que, si un accusé placé dans une situation semblable était au courant du risque que se matérialisent de telles conséquences sur le plan de l’immigration, cette connaissance aurait influé sur le déroulement des négociations du plaidoyer. Elle aurait pu modifier la conduite du ministère public en l’espèce, ce qui aurait altéré les décisions subséquentes d’un accusé placé dans une situation semblable. Par exemple, un accusé placé dans la même situation que M. Wong aurait peut‑être tenté de négocier une recommandation conjointe prévoyant une peine d’emprisonnement de moins de six mois afin d’éviter de perdre le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi. Il se peut que cet accusé ait plaidé coupable uniquement à cette condition, et qu’il aurait refusé d’admettre sa culpabilité et décider de subir son procès en cas contraire. De plus, il est tout à fait possible qu’un accusé placé dans la situation de M. Wong aurait décidé de subir son procès même si le ministère public a proposé une peine de moins de six mois d’emprisonnement. Il en est ainsi parce qu’une personne reconnue coupable de l’infraction dont a été inculpé M. Wong deviendrait interdite de territoire au Canada, peu importe la durée de la peine qui lui est infligée. Une peine de moins de six mois d’emprisonnement ne ferait que préserver le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi. L’accusé en question peut donc être allé en procès même si on lui a offert une transaction relative au plaidoyer qui prévoit une peine de six mois ou moins d’emprisonnement dans l’espoir d’éviter une mesure d’expulsion. On peut donc conclure à la possibilité raisonnable que M. Wong aurait procédé différemment s’il avait été bien informé des conséquences de son plaidoyer sur le plan de l’immigration.
[106] M. Wong a été privé de la possibilité de prendre des décisions éclairées sur ces aspects lors des négociations entourant le plaidoyer. Il a en fin de compte été privé d’un processus équitable. Je m’arrête pour souligner que, bien que l’on évalue objectivement le préjudice découlant du plaidoyer de culpabilité enregistré par M. Wong, cette analyse ne saurait être réduite à une évaluation mécanique de la probabilité d’obtenir une déclaration de culpabilité au procès. Je n’accepte pas qu’une personne raisonnable plaiderait nécessairement coupable quand elle risque fort d’être déclarée coupable au procès, même à la lumière de la possibilité qu’un plaidoyer de culpabilité constitue un facteur atténuant à la détermination de la peine. Il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la gravité des conséquences indirectes en cause. Ainsi, comme je l’ai déjà mentionné, même si la solidité de la preuve du ministère public peut jouer dans l’analyse, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. Ce facteur revêt une moindre importance comparativement à des conséquences en matière d’immigration aussi graves que celles auxquelles s’est exposé M. Wong après avoir inscrit son plaidoyer de culpabilité. Je suis convaincu qu’une personne raisonnable peut décider de courir le risque d’un procès même si elle risque fort probablement d’être déclarée coupable, au lieu de plaider coupable et d’être menacée d’une expulsion quasi certaine.
[107] La Cour d’appel a également commis une erreur en exigeant de M. Wong qu’il établisse un moyen concret de parvenir à un acquittement comme condition d’annulation de son plaidoyer. Comme je l’ai expliqué plus tôt, cette exigence est erronée en principe et l’accusé qui cherche à retirer un plaidoyer au motif qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte n’a pas à démontrer l’existence d’un moyen concret de parvenir à un acquittement.
[108] En terminant, je prends note de la remarque de mes collègues que l’appel formé par M. Wong contre sa peine est en cours. Selon eux, comme le ministère public a concédé devant nous qu’une peine de six mois d’emprisonnement moins un jour serait indiquée, M. Wong aura probablement gain de cause à l’issue de cet appel et il préservera par le fait même son droit d’interjeter appel de toute mesure de renvoi prise contre lui (par. 38). Je ferais tout simplement observer que, même si M. Wong a gain de cause au terme de l’appel concernant sa peine, il sera probablement l’objet d’une mesure de renvoi par suite de sa déclaration de culpabilité. Quoi qu’il en soit, la probabilité d’avoir gain de cause lors d’un appel visant une peine n’a aucune incidence sur le bien‑fondé de l’appel d’une déclaration de culpabilité.
VI. Dispositif
[109] Le plaidoyer de M. Wong n’était pas éclairé et il est à l’origine d’une erreur judiciaire. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’accorder l’autorisation de retirer le plaidoyer de culpabilité, d’annuler la déclaration de culpabilité et de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour la tenue d’un nouveau procès.
Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Abella et Wagner sont dissidents.
Procureurs de l’appelant : Edelmann & Company Law Offices, Vancouver.
Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Edmonton.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Calgary.
Procureur de l’intervenant le directeur des poursuites criminelles et pénales : Directeur des poursuites criminelles et pénales, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Chozik Law, Toronto; Cate Martell, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Embarkation Law Corporation, Vancouver; Waldman Barrister and Solicitor, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association des avocats de la défense de Montréal : Desrosiers, Joncas, Nouraie, Massicotte, Montréal; Schurman Greneir, Montréal.
Procureurs des intervenantes Chinese and Southeast Asian Legal Clinic et South Asian Legal Clinic of Ontario : Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, Toronto; South Asian Legal Clinic of Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés : Jared Will & Associates, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Kapoor Barristers, Toronto.
Procureurs de l’intervenant le Bureau d’Aide Juridique Afro‑Canadien : Mirza Kwok Defence Lawyers, Mississauga; Bureau d’Aide Juridique Afro‑Canadien, Toronto.