Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe
Motifs de jugement conjoints (par. 1 à 43): Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon
Motifs concordants (par. 44 à 47) : La juge en chef McLachlin
Motifs concordants quant au résultat (par. 48 à 55) : Le juge Rowe
Motifs conjoints dissidents (par. 56 à 82) : Les juges Côté et Brown
Procureur général de l’Ontario, Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada, Association canadienne des libertés civiles, Société des plaideurs, International Coalition of Professors of Law, National Coalition of Catholic School Trustees’ Associations, Lawyers’ Rights Watch Canada, Association du Barreau canadien, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Alliance des chrétiens en droit, Association canadienne des professeures et professeurs d’université, Fier départ, OUTlaws, Canadian Council of Christian Charities, Église unie du Canada, Société des étudiants et étudiantes en droit de l’Ontario, Conférence des évêques catholiques du Canada, Église adventiste du septième jour au Canada, Alliance évangélique du Canada, Christian Higher Education Canada, Lesbians, Gays, Bisexuals and Trans People of the University of Toronto (LGBTOUT), British Columbia Humanist Association, Canadian Secular Alliance, Égale Canada Human Rights Trust, Faith, Fealty & Creed Society, Roman Catholic Archdiocese of Vancouver, Ligue catholique pour les droits de l’homme, Faith and Freedom Alliance et World Sikh Organization of Canada ; Intervenants
Répertorié : Trinity Western University c. Barreau du Haut‑Canada
No du greffe : 37209.
en appel de la cour d’appel de l’Ontario
Arrêt (les juges Côté et Brown sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon : La décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU représente une mise en balance proportionnée de la restriction imposée à la liberté de religion garantie par l’al. 2a) la Charte et des objectifs prévus par la loi que cherchait à poursuivre le Barreau du Haut‑Canada. La décision du Barreau du Haut‑Canada était donc raisonnable.
Il est manifeste que le Barreau du Haut‑Canada pouvait prendre en considération la politique d’admission de TWU pour décider s’il convenait d’agréer la faculté de droit proposée. La loi habilitante du Barreau du Haut‑Canada exige que les conseillers tiennent compte de l’objectif primordial de protéger l’intérêt public lorsqu’ils décident s’il y a lieu d’agréer une faculté de droit en particulier. Le Barreau du Haut‑Canada pouvait conclure que l’égalité d’accès à la profession juridique, la diversité au sein du barreau et la prévention d’un préjudice à l’endroit des étudiants en droit LGBTQ relevaient de son obligation de protéger l’intérêt public. Le Barreau du Haut‑Canada a un intérêt primordial à protéger les valeurs d’égalité et des droits de la personne dans l’exercice de ses fonctions.
Les décisions administratives qui font intervenir la Charte sont examinées selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, et École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613. Pour les motifs énoncés dans le pourvoi connexe, Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 (« Law Society of B.C. »), la décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU a mis en cause la liberté de religion des membres de la communauté de TWU. Les membres évangéliques de cette communauté croient sincèrement que le fait d’étudier au sein d’une communauté définie par des croyances religieuses contribue à leur développement spirituel. Cette croyance est appuyée par l’adoption universelle du Covenant, lequel contribue à créer un milieu dans lequel les étudiants de TWU peuvent croître spirituellement. En interprétant l’intérêt public de manière à empêcher la reconnaissance de la faculté de droit de TWU régie par le Covenant obligatoire, le Barreau du Haut‑Canada a limité d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité des membres de la communauté de TWU de se conformer à leurs croyances et pratiques. Il s’ensuit que la décision du Barreau du Haut‑Canada a restreint, et donc mis en cause, leurs droits religieux.
Selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola, la décision administrative qui fait intervenir un droit garanti par la Charte sera raisonnable si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par la Charte et du mandat confié par la loi. La cour de révision doit se demander s’il existait d’autres possibilités raisonnables qui donneraient davantage effet aux protections conférées par la Charte eu égard aux objectifs applicables. Elle doit aussi se pencher sur l’importance de la restriction de la protection conférée par la Charte par rapport aux avantages qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs de la loi dans ce contexte.
En l’espèce, seules deux possibilités s’offraient au Barreau du Haut‑Canada — agréer ou ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU. Compte tenu du mandat du Barreau du Haut‑Canada, reconnaître la faculté de droit proposée par TWU n’aurait pas favorisé la réalisation des objectifs de la loi pertinents et ne constituait donc pas une possibilité raisonnable qui donnerait davantage effet aux protections conférées par la Charte eu égard aux objectifs prévus par la loi.
La décision du Barreau du Haut‑Canada a également mis en balance de façon raisonnable la gravité de l’atteinte et les avantages qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs visés par la loi. Cette décision ne fait que limiter la capacité de TWU d’exploiter une faculté de droit régie par le Covenant obligatoire. Cette restriction est d’importance mineure parce que, d’une part, il n’est pas absolument nécessaire d’adhérer à un covenant obligatoire pour étudier le droit dans un milieu chrétien où les gens suivent certaines règles de conduite à caractère religieux, et parce que, d’autre part, le fait d’étudier le droit dans un milieu imprégné des croyances religieuses de la communauté constitue une préférence — et non une nécessité — pour les éventuels étudiants en droit de TWU.
Sur l’autre plateau de la balance, la décision a nettement favorisé la réalisation des objectifs visés par la loi en assurant un accès égal à la profession juridique et une diversité au sein de celle‑ci tout en prévenant le risque qu’un préjudice important soit causé aux personnes LGBTQ. La décision du Barreau du Haut‑Canada signifie que les membres de la communauté de TWU ne peuvent imposer leurs croyances religieuses à leurs condisciples étudiant le droit, car elles ont des conséquences inéquitables et peuvent causer un préjudice important. Le Barreau du Haut‑Canada a retenu une interprétation de l’intérêt public qui prescrit un accès aux facultés de droit fondé sur le mérite et la diversité, et non sur des pratiques religieuses d’exclusion.
Compte tenu des avantages importants qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs visés par la loi et de l’importance mineure de la restriction aux droits garantis par la Charte qui sont en cause, et compte tenu de l’absence de solution de rechange raisonnable susceptible de réduire l’incidence sur les protections conférées par la Charte tout en favorisant suffisamment la réalisation de ces objectifs, la décision du Barreau du Haut‑Canada représentait une mise en balance proportionnée. Elle était donc raisonnable.
La juge en chef McLachlin : Il y accord avec la conclusion des juges majoritaires portant que le Barreau du Haut‑Canada avait compétence, en vertu de sa loi habilitante, pour refuser d’agréer la faculté de droit proposée par TWU. Il y a toutefois désaccord avec la majorité, pour les motifs exposés dans le pourvoi connexe Law Society of B.C., relativement au cadre d’analyse applicable au contrôle des décisions administratives portant atteinte à la Charte , à la gravité de l’atteinte en l’espèce et aux raisons pour lesquelles la décision du Barreau du Haut‑Canada est justifiée.
Le juge Rowe : Il y a accord avec la conclusion des juges majoritaires portant que le Barreau du Haut‑Canada avait compétence pour prendre en compte les effets du Covenant obligatoire lorsqu’il a décidé de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU. Toutefois, pour les motifs énoncés dans le pourvoi connexe Law Society of B.C., cette décision n’a pas porté atteinte aux droits garantis par la Charte invoqués par TWU. La décision doit donc être examinée selon les principes habituels du contrôle judiciaire. La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable, car la décision examinée fait partie de celles où il y a présomption de déférence envers le décideur qui interprète et applique sa loi habilitante. La décision du Barreau du Haut‑Canada commandera la déférence si elle satisfait aux critères énoncés dans Dunsmuir. Le décideur n’est pas toujours tenu de motiver formellement sa décision pour que celle‑ci soit raisonnable. Dans la présente affaire, la Cour doit consulter le dossier afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision.
Pour ce qui est du processus décisionnel, la transcription des délibérations des conseillers du Barreau du Haut‑Canada fait état de la manière dont la décision a été prise et des raisons pour lesquelles les conseillers ont refusé d’agréer la faculté de droit proposée. En ce qui concerne le fond de la décision, le Barreau du Haut‑Canada ne pouvait choisir qu’entre deux possibilités : agréer la faculté de droit proposée par TWU ou ne pas l’agréer. La décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas agréer cette faculté fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la décision du Barreau du Haut‑Canada de refuser l’agrément demandé était raisonnable.
Les juges Côté et Brown (dissidents) : Une lecture attentive de la Loi sur le Barreau et des règlements administratifs pertinents du Barreau du Haut‑Canada mène inévitablement à la conclusion que la décision du Barreau relative à la reconnaissance d’une faculté de droit a pour seule fin légitime de veiller à ce que les requérants soient individuellement aptes à accéder à la profession. Vu l’absence de préoccupation à l’égard de la compétence ou de la conduite des éventuels diplômés de TWU, le seul exercice justifiable du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau en l’espèce aurait été pour ce dernier d’agréer la faculté de droit proposée par TWU. Il s’ensuit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau consistant à refuser d’agréer TWU visait une fin illégitime et qu’il est donc invalide.
La Loi sur le Barreau limite la portée du mandat du Barreau à la réglementation de la pratique du droit, à partir du processus de délivrance de permis, mais non avant. Les fonctions, obligations et pouvoirs énoncés dans la Loi sur le Barreau ne se rapportent qu’à la régie du Barreau lui‑même, à la prestation de services juridiques par les avocats, les cabinets d’avocats et les avocats d’autres ressorts, et à la réglementation des stagiaires en droit et des requérants ayant fait demande pour la délivrance d’un permis. Le Règlement administratif no 4, adopté en application de la disp. 62(0.1)4.1 de la Loi sur le Barreau, qui prévoit l’adoption de règlements administratifs pour « régir les permis dont doivent être titulaires les personnes qui pratiquent le droit en Ontario », établit des exigences relatives à la délivrance de permis individuels, l’une d’elles étant que les requérants obtiennent un diplôme d’une faculté de droit agréée. La portée du règlement administratif ne peut être étendue au‑delà des limites du mandat du Barreau. La délivrance de permis individuels est au cœur du Règlement administratif no 4; la reconnaissance des facultés de droit n’est qu’accessoire à cet objet. La reconnaissance des facultés de droit sert uniquement d’indicateur pour déterminer si les diplômés de cette faculté sont présumés aptes à accéder à la profession. De plus, bien que la disp. 62(0.1)23 de la Loi sur le Barreau confère au Barreau le pouvoir d’adopter des règlements administratifs pour « traiter de la formation juridique, y compris les programmes d’enseignement ou de formation préalable à l’obtention d’un permis », elle ne lui confère pas le pouvoir de réglementer les facultés de droit, y compris leurs politiques d’admission. L’objectif d’assurer l’égalité d’accès à la profession juridique et la diversité au sein de celle‑ci ne fait pas partie du mandat du Barreau d’assurer la compétence dans la profession juridique. Le Barreau est chargé de fixer des normes minimales; cet objectif statutaire a trait à la compétence plutôt qu’au mérite.
De surcroît, la décision de ne pas agréer cette faculté constitue une atteinte profonde à la liberté de religion des membres de la communauté de TWU. Elle entrave l’expression, par cette communauté, de sa croyance religieuse au moyen d’une pratique consistant à créer et à respecter un covenant d’inspiration biblique. Même si l’intérêt public devait être interprété largement, la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU ne serait pas incompatible avec le mandat statutaire du Barreau. Dans une société libérale et pluraliste, l’intérêt public est servi, et non miné, par le respect de la différence. L’inégalité d’accès que cause le Covenant découle non pas de l’approbation d’actes discriminatoires, mais du respect de la liberté de religion. Seule une décision reconnaissant la faculté de droit proposée par TWU représenterait une mise en balance proportionnée des droits garantis par la Charte et des objectifs statutaires que le Barreau tentait d’atteindre.
Jurisprudence
Citée par les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon
Arrêts appliqués : Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613; arrêts mentionnés : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551; Ktunaxa Nation c. Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256.
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêt appliqué : Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32.
Citée par le juge Rowe
Arrêts appliqués : Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; arrêts mentionnés : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3.
Citée par les juges Côté et Brown (dissidents)
Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 2a) , 15 , 32(1) .
Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19.
Degree Authorization Act, S.B.C. 2002, c. 24.
Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, art. 4.1, 4.2, 13(1), 26, 26.1(1), 27(1), 35(1)6, 44(1)6, 60(1), (2), 62.
Règlement administratif no 4 — Octroi de permis, pris en vertu de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, art. 7, 9(1).
Trinity Western University Act, S.B.C. 1969, c. 44, art. 3(2).
Doctrine et autres documents cités
Smith, Charles C. « L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada », Commission ontarienne des droits de la personne, 2004 (en ligne : http://www.ohrc.on.ca/fr/book/export/html/8988) (version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC33_1_fra.pdf).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges MacPherson, Cronk et Pardu), 2016 ONCA 518, 131 O.R. (3d) 113, 349 O.A.C. 163, 398 D.L.R. (4th) 489, 359 C.R.R. (2d) 41, 4 Admin. L.R. (6th) 73, 35 C.C.E.L. (4th) 26, [2016] O.J. No. 3472 (QL), 2016 CarswellOnt 10465 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la Cour divisionnaire (le juge en chef adjoint Marrocco et les juges Then et Nordheimer), 2015 ONSC 4250, 126 O.R. (3d) 1, 336 O.A.C. 265, 387 D.L.R. (4th) 149, 337 C.R.R. (2d) 295, 89 Admin L.R. (5th) 101, [2015] O.J. No. 3492 (QL), 2015 CarswellOnt 10273 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Côté et Brown sont dissidents.
Robert W. Staley, Kevin L. Boonstra, Jonathan B. Maryniuk, Kevin G. Sawatsky, Ranjan K. Agarwal et Jessica M. Starck, pour les appelants.
Guy J. Pratte, Nadia Effendi et Duncan A. W. Ault, pour l’intimé.
S. Zachary Green et Josh Hunter, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
André Schutten et John Sikkema, pour l’intervenante Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada.
Alan D’Silva et Alexandra Urbanski, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Chris Paliare, Joanna Radbord et Monique Pongracic‑Speier, pour l’intervenante la Société des plaideurs.
Eugene Meehan, c.r., et Marie‑France Major, pour l’intervenante International Coalition of Professors of Law.
Eugene Meehan, c.r., et Daniel C. Santoro, pour l’intervenante National Coalition of Catholic School Trustees’ Associations.
Julius H. Grey, Gail Davidson et Audrey Boissonneault, pour l’intervenante Lawyers’ Rights Watch Canada.
Susan Ursel, David Grossman et Olga Redko, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
John Norris et Breese Davies, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Derek Ross et Deina Warren, pour l’intervenante l’Alliance des chrétiens en droit.
Peter J. Barnacle et Immanuel Lanzaderas, pour l’intervenante l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université.
Frances Mahon, Marlys Edwardh et Paul Jonathan Saguil, pour les intervenantes Fier départ et OUTlaws.
Barry W. Bussey et Philip A. S. Milley, pour l’intervenant Canadian Council of Christian Charities.
Tim Gleason et Sean Dewart, pour l’intervenante l’Église unie du Canada.
Kristine Spence, pour l’intervenante la Société des étudiants et étudiantes en droit de l’Ontario.
William J. Sammon et Amanda M. Estabrooks, pour l’intervenante la Conférence des évêques catholiques du Canada.
Gerald Chipeur, c.r., Jonathan Martin et Grace Mackintosh, pour l’intervenante l’Église adventiste du septième jour au Canada.
Albertos Polizogopoulos et Kristin Debs, pour les intervenantes l’Alliance évangélique du Canada et Christian Higher Education Canada.
Angela Chaisson et Marcus McCann, pour l’intervenante Lesbians, Gays, Bisexuals and Trans People of the University of Toronto (LGBTOUT).
Wesley J. McMillan et Kaitlyn Meyer, pour l’intervenante British Columbia Humanist Association.
Tim Dickson et Catherine George, pour l’intervenante Canadian Secular Alliance.
Adriel Weaver, pour l’intervenante Égale Canada Human Rights Trust.
Michael Sobkin et E. Blake Bromley, pour l’intervenante Faith, Fealty & Creed Society.
Gwendoline Allison et Philip Horgan, pour les intervenants Roman Catholic Archdiocese of Vancouver, la Ligue catholique pour les droits de l’homme et Faith and Freedom Alliance.
Avnish Nanda et Balpreet Singh Boparai, pour l’intervenante World Sikh Organization of Canada.
Version française du jugement rendu par
Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon —
I. Aperçu
[1] Trinity Western University (TWU), un établissement d’enseignement postsecondaire chrétien évangélique, souhaite ouvrir une faculté de droit exigeant que ses étudiants et les membres de son corps professoral adhèrent à un code de conduite fondé sur des croyances religieuses qui interdit toute [traduction] « intimité sexuelle qui viole le caractère sacré du mariage entre un homme et une femme ».
[2] Ce pourvoi porte sur la décision du Barreau du Haut‑Canada, prise par résolution de ses conseillers, de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU. TWU et Brayden Volkenant, un diplômé du programme de premier cycle de cette université qui aurait choisi de fréquenter la faculté de droit proposée, ont sollicité le contrôle judiciaire de cette décision au motif qu’elle a porté atteinte aux droits religieux protégés par l’al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés . TWU et Brayden Volkenant n’ont pas eu gain de cause dans leur demande de contrôle judiciaire devant la Cour divisionnaire de l’Ontario et dans leur appel subséquent devant la Cour d’appel de l’Ontario. Ils se pourvoient maintenant devant la Cour.
[3] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi. Selon nous, la décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU représente une mise en balance proportionnée de la restriction imposée au droit en cause garanti par la Charte et des objectifs prévus par la loi que cherchait à poursuivre le Barreau du Haut‑Canada. La décision du Barreau du Haut‑Canada était donc raisonnable.
II. Contexte
[4] Ce pourvoi et le pourvoi connexe, Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 (Law Society of B.C.), découlent en partie des mêmes faits. Le contexte factuel commun aux deux pourvois — qui concerne TWU, sa faculté de droit proposée, son engagement intitulé Community Covenant Agreement (Covenant) et M. Volkenant — est exposé aux par. 4 à 9 et 11 à 12 du pourvoi connexe, Law Society of B.C.
[5] Le Barreau du Haut‑Canada[1] est l’organisme chargé de réglementer la profession juridique en Ontario. La Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, lui confère le pouvoir de déterminer qui peut être titulaire d’un permis autorisant la pratique du droit en Ontario et celui de fixer les conditions dont sont assortis de tels permis (par. 26.1(1) et 27(1)). Conformément à cette loi, le Barreau du Haut‑Canada a établi certaines exigences de formation auxquelles une personne doit satisfaire pour être autorisée à pratiquer le droit en Ontario. Cette personne doit notamment détenir soit un baccalauréat en droit ou un diplôme J.D. conféré par une faculté de droit canadienne agréée par le Barreau du Haut‑Canada, soit un certificat de qualification professionnelle délivré par le Comité national sur les équivalences des diplômes (Règlement administratif no 4 du Barreau du Haut‑Canada — Octroi de permis, art. 7 et par. 9(1)).
[6] En janvier 2014, TWU a présenté au Barreau du Haut‑Canada une demande de reconnaissance de sa faculté de droit proposée. La question a soulevé la controverse au sein de la communauté juridique en raison de l’obligation impérative prévue dans le Covenant, laquelle consiste à s’abstenir de toute intimité sexuelle hors du mariage et de toute intimité sexuelle entre personnes de même sexe, même mariées.
[7] Le Barreau du Haut‑Canada a reçu et examiné les observations écrites de TWU, des membres de la profession et du public sur la question, en plus de rapports de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et de nombreux avis juridiques formulés au sujet de la Loi sur le Barreau, de la Charte et du Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19. La question de la reconnaissance a été discutée et débattue longuement lors de la réunion du Conseil du 10 avril 2014, à laquelle des représentants de TWU ont participé à titre d’observateurs, et à celle du 24 avril 2014, où un représentant de TWU a présenté des observations oralement. Au terme de cette seconde réunion, les conseillers ont voté contre la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU par 28 voix contre 21, et une abstention.
III. Décisions antérieures
A. Contrôle judiciaire — 2015 ONSC 4250, 126 O.R. (3d) 1 (le juge en chef adjoint Marrocco et les juges Then et Nordheimer)
[8] TWU et M. Volkenant ont saisi la Cour divisionnaire de l’Ontario d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du Barreau du Haut‑Canada. La cour a rejeté cette demande puisqu’à son avis la décision contestée faisait état d’une mise en balance proportionnée des droits en cause garantis par la Charte et ne justifiait pas une intervention judiciaire.
[9] La Cour divisionnaire a d’abord souligné qu’il était raisonnable pour le Barreau du Haut‑Canada de considérer que la notion d’égalité d’accès constituait un élément fondamental de son mandat de protection de l’intérêt public. Appliquant le cadre d’analyse prescrit par l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, la cour a conclu que la décision du Barreau du Haut‑Canada était le fruit d’une mise en balance proportionnée de la liberté de religion et des intérêts opposés en matière d’égalité, et qu’elle était donc raisonnable.
B. Cour d’appel — 2016 ONCA 518, 131 O.R. (3d) 113 (le juge MacPherson avec l’accord des juges Cronk et Pardu)
[10] La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de TWU et de M. Volkenant. Au nom d’une formation unanime, le juge MacPherson a reconnu que les droits religieux de M. Volkenant et de TWU étaient en jeu. Toutefois, compte tenu de l’obligation qui incombe au Barreau du Haut‑Canada de régir la profession juridique conformément à l’intérêt public et au mandat que lui confie la loi de promouvoir une profession diverse et exempte d’obstacles inéquitables, le juge MacPherson a conclu que la décision du Barreau du Haut‑Canada représentait une mise en balance proportionnée des objectifs qui lui incombent en vertu de la loi et des restrictions à la liberté de religion, comme l’exige le cadre d’analyse de l’arrêt Doré. Le juge MacPherson a souligné que la politique d’admission de TWU était [traduction] « profondément discriminatoire » (par. 119) envers la communauté LGBTQ et que les conseillers étaient en droit de se demander si les effets inéquitables de cette politique empêchaient la reconnaissance. Il a statué que les conseillers s’étaient livrés à un examen équitable des droits en conflit et que la décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU était raisonnable.
IV. Analyse
A. Les questions soulevées dans le pourvoi
[11] D’entrée de jeu, il importe de déterminer ce que le Barreau du Haut‑Canada a véritablement décidé lorsqu’il a refusé d’agréer la faculté de droit proposée par TWU. Le Barreau du Haut‑Canada n’a pas refusé l’admission en son sein à des diplômés de la faculté de droit proposée; il a plutôt refusé d’agréer la faculté de droit proposée par TWU, dont la fréquentation était assujettie à un covenant obligatoire.
[12] Dans l’examen de cette décision, nous devons trancher les questions suivantes : En vertu de sa loi habilitante, le Barreau du Haut‑Canada pouvait‑il examiner les politiques d’admission de TWU? La décision du Barreau du Haut‑Canada avait‑elle pour effet de restreindre une protection conférée par la Charte ? Dans l’affirmative, cette décision était‑elle le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par la Charte et des objectifs visés par la loi?
B. L’étendue du mandat confié par la loi au Barreau du Haut‑Canada
[13] Le Barreau du Haut‑Canada a, en vertu de la loi, le pouvoir de fixer les conditions de la délivrance d’un permis autorisant la pratique du droit en Ontario. C’est dans ce contexte qu’il s’est doté d’une procédure par laquelle il agrée des facultés de droit aux fins de la reconnaissance des diplômes qui satisferont à l’une de ces conditions. En l’espèce, il nous faut déterminer l’étendue du mandat que confie la loi au Barreau du Haut‑Canada. Ce pourvoi porte sur la décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas reconnaître la faculté de droit proposée par TWU comme voie d’entrée dans la profession juridique en Ontario — une décision qui est au cœur du rôle qu’exerce ce barreau en tant que gardien de la profession. Une question qui se pose est celle de savoir si le Barreau du Haut‑Canada était en droit de prendre en considération des facteurs autres que les titres universitaires et la compétence de diplômés individuels pour décider de refuser d’agréer la faculté de droit proposée par TWU.
[14] Selon nous, la Loi sur le Barreau exige que les conseillers tiennent compte de l’objectif primordial de protéger l’intérêt public lorsqu’ils déterminent les conditions d’admission dans la profession, et notamment lorsqu’ils décident s’il y a lieu d’agréer une faculté de droit en particulier.
[15] Une partie des fonctions du Barreau du Haut‑Canada et des principes qu’il doit appliquer dans l’exercice de ses fonctions figure aux art. 4.1 et 4.2 de la Loi sur le Barreau :
Fonction du Barreau
4.1 L’une des fonctions du Barreau est de veiller à ce que :
a) d’une part, toutes les personnes qui pratiquent le droit en Ontario ou fournissent des services juridiques en Ontario respectent les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie qui sont appropriées dans le cas des services juridiques qu’elles fournissent;
b) d’autre part, les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie relatives à la prestation d’un service juridique particulier dans un domaine particulier du droit s’appliquent également aux personnes qui pratiquent le droit en Ontario et à celles qui fournissent des services juridiques en Ontario.
Principes applicables au Barreau
4.2 Lorsqu’il exerce ses fonctions, obligations et pouvoirs en application de la présente loi, le Barreau tient compte des principes suivants :
1. Le Barreau a l’obligation de maintenir et de faire avancer la cause de la justice et la primauté du droit.
2. Le Barreau a l’obligation d’agir de façon à faciliter l’accès à la justice pour la population ontarienne.
3. Le Barreau a l’obligation de protéger l’intérêt public.
4. Le Barreau a l’obligation d’agir de façon opportune, ouverte et efficiente.
5. Les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie applicables aux titulaires de permis ainsi que les restrictions quant aux personnes qui peuvent fournir des services juridiques donnés devraient être fonction de l’importance des objectifs réglementaires visés.
[16] Le Barreau du Haut‑Canada est donc chargé, entre autres choses, de réglementer la profession juridique en Ontario, de veiller à ce que les avocats respectent certaines normes en matière de professionnalisme et de compétence, et de s’acquitter de ses différentes fonctions conformément à son devoir de protéger l’intérêt public.
[17] Selon l’art. 4.1 de la Loi sur le Barreau, veiller à la mise en place de normes de compétence professionnelle et à leur application aux avocats et aux parajuristes constitue une des fonctions du Barreau du Haut‑Canada. Cependant, le libellé même de cette disposition indique qu’il s’agit de « [l]’une des fonctions » du Barreau du Haut‑Canada, et non de « la fonction » ou de « l’unique fonction » de ce barreau. Le texte de l’art. 4.2 de cette même loi confirme que le mandat du Barreau du Haut‑Canada n’est pas limité à la fonction prévue à l’art. 4.1 puisqu’il y est question des « fonctions, obligations et pouvoirs » de ce barreau. L’étendue du mandat du Barreau du Haut‑Canada est confirmée en outre par la nature des principes énoncés à l’art. 4.2, qui charge cet organisme de faire avancer la cause de la justice et la primauté du droit, de faciliter l’accès à la justice et de protéger l’intérêt public.
[18] À la lecture de l’art. 4.2 de la Loi sur le Barreau, il est manifeste que, dans l’exercice de l’ensemble de ses « fonctions, obligations et pouvoirs » en application de cette loi, le Barreau du Haut‑Canada doit tenir compte des principes énoncés à cet article, notamment de son obligation de protéger l’intérêt public. Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision que prend le Barreau du Haut‑Canada, en tant qu’organisme chargé de réglementer la profession autonome que constitue la profession juridique, sur la meilleure façon de promouvoir ces principes dans le cadre d’une décision discrétionnaire donnée (voir Law Society of B.C., par. 32 et 34‑38).
[19] En l’espèce, le Barreau du Haut‑Canada a considéré que son obligation de défendre et de protéger l’intérêt public l’empêchait d’agréer la faculté de droit proposée par TWU parce que le Covenant obligatoire dresse effectivement des barrières inéquitables à l’entrée à la faculté. Le Barreau du Haut‑Canada était en droit de craindre que l’imposition de barrières inéquitables à l’entrée aux facultés de droit impose dans les faits des barrières inéquitables à l’entrée dans la profession juridique et risque ainsi de diminuer la diversité au sein du barreau. En fin de compte, le Barreau du Haut‑Canada a conclu que la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU aurait un effet défavorable sur l’accès équitable à la profession juridique et sur la diversité au sein de celle‑ci, et causerait un préjudice aux personnes LGBTQ, ce qui serait incompatible avec l’intérêt public.
[20] Selon nous, le Barreau du Haut‑Canada pouvait conclure que l’égalité d’accès à la profession juridique, la diversité au sein du barreau et la prévention d’un préjudice à l’endroit des étudiants en droit LGBTQ relevaient de son obligation de protéger l’intérêt public dans le contexte de la reconnaissance, obligation qui suppose nécessairement de préserver une perception publique positive de la profession juridique.
[21] D’abord, limiter l’accès à la profession juridique sur la base de caractéristiques personnelles va à l’encontre de l’intégrité de la profession. Cela est particulièrement vrai en raison de la confiance dont la profession juridique jouit au sein de la société. En tant qu’acteur public, le Barreau du Haut‑Canada a un intérêt primordial à protéger les valeurs d’égalité et des droits de la personne dans l’exercice de ses fonctions (voir École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613, par. 47).
[22] De plus, l’élimination des barrières inéquitables à l’accès à la formation juridique et à la profession de façon générale favorise la compétence du barreau dans son ensemble. Le Barreau du Haut‑Canada n’a pas uniquement à faire respecter certaines normes minimales de compétence à l’égard de chaque avocat à qui il délivre un permis; il est également en droit de se demander si la reconnaissance de facultés de droit dont les politiques d’admission sont inéquitables favorise la compétence du barreau dans son ensemble.
[23] Le Barreau du Haut‑Canada pouvait également considérer qu’il pouvait s’acquitter de son mandat de protection de l’intérêt public en favorisant la diversité au sein du barreau. Permettre aux clients qui souhaitent obtenir des services juridiques d’avoir accès à une profession juridique dont les membres sont le reflet d’une population diversifiée en plus d’être sensibles à leurs différents besoins facilite l’accès à la justice. En conséquence, veiller à la diversité au sein de la profession juridique — tâche facilitée par l’absence de barrières inéquitables pour ceux qui souhaitent avoir accès à une formation juridique — favorise l’accès à justice et l’intérêt public.
[24] La conclusion du Barreau du Haut‑Canada selon laquelle il était en droit de promouvoir l’égalité d’accès au barreau et la diversité au sein de celui‑ci est étayée par le fait qu’il a depuis toujours agi de manière à promouvoir cette égalité d’accès et cette diversité. Depuis sa création en 1797, le Barreau du Haut‑Canada est seul à contrôler l’accès à la profession juridique en Ontario. La Cour divisionnaire s’est penchée sur la longue histoire du Barreau du Haut‑Canada et s’est dite convaincue que, dans l’exercice de son mandat, celui‑ci a toujours [traduction] « agi de manière à éliminer les obstacles qui n’étaient pas fondés sur le mérite, comme l’appartenance religieuse, la race et l’identité sexuelle » (motifs de la C. div., par. 96). Le fait pour le Barreau du Haut‑Canada d’avoir depuis toujours cherché à défendre les principes de la diversité et de l’égalité d’accès à la profession juridique l’appuie dans sa décision de poursuivre des objectifs similaires en refusant d’agréer la faculté de droit proposée par TWU.
[25] Le Barreau du Haut‑Canada est également autorisé à tenir compte de la prévention d’un préjudice potentiel à la communauté LGBTQ lorsqu’il prend une décision qu’il est par ailleurs autorisé à prendre, notamment une décision sur la question de savoir s’il convient d’agréer une nouvelle faculté de droit aux fins de la délivrance de permis d’exercice de la profession d’avocat. Dans le cadre de sa décision sur l’opportunité de reconnaître la faculté de droit proposée par TWU, le fait que le Barreau du Haut‑Canada devait, en vertu de la Loi sur le Barreau, se préoccuper du maintien et de l’avancement de la cause de la justice lui permettait, à notre avis, de prendre en considération le facteur des préjudices que risquait de subir la communauté LGBTQ.
[26] Le fait pour le Barreau du Haut‑Canada d’avoir pris en considération la politique d’admission de TWU lorsqu’il a décidé s’il y avait lieu d’agréer la faculté de droit que cette université proposait n’équivaut pas à réglementer les facultés de droit. Dans l’exercice des pouvoirs qu’il possède en tant que gardien de la profession juridique en Ontario, le Barreau du Haut‑Canada a plutôt tenu compte de la politique en question dans le cadre de sa décision sur l’opportunité de reconnaître la faculté de droit proposée aux fins de la délivrance de permis d’exercice de la profession d’avocat dans cette province. Le Barreau du Haut‑Canada n’entendait prendre aucune autre décision relative à la faculté de droit proposée par TWU ou à la manière dont cette faculté devrait exercer ses activités.
[27] À notre avis, il est manifeste que le Barreau du Haut‑Canada pouvait prendre en considération la politique d’admission de TWU pour décider s’il convenait d’agréer la faculté de droit proposée. Afin de favoriser l’intérêt public et la confiance du public dans la profession juridique, le Barreau du Haut‑Canada devait tenir compte de l’existence d’une politique d’admission qui était susceptible d’imposer des barrières inéquitables à l’entrée dans la profession et de créer un milieu d’apprentissage nocif. Le fait d’approuver ou de faciliter les exigences de cette politique pouvait compromettre la confiance du public à l’égard de la capacité d’autoréglementation du Barreau du Haut‑Canada dans l’intérêt public. Cette question relevait donc du mandat confié à cet organisme par la Loi sur le Barreau.
C. Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable en l’absence de motifs écrits
[28] Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans l’arrêt Law Society of B.C., rien n’obligeait le Barreau du Haut‑Canada à expliquer par écrit les raisons pour lesquelles la décision de refuser d’agréer la faculté de droit proposée par TWU constituait une mise en balance proportionnée de la liberté de religion et des objectifs visés par la Loi sur le Barreau (par. 52‑54). Il ressort des discours qu’ont prononcés les conseillers du Barreau du Haut‑Canada lors des réunions des 10 et 24 avril 2014 que ceux‑ci étaient conscients de l’équilibre qu’il fallait établir entre la liberté de religion et leurs obligations prévues par la loi.
[29] L’examen du caractère raisonnable nécessite « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 48 (nous soulignons); voir également Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 11). La cour de révision « peut [. . .], si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 52, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, par. 15). À notre avis, les conseillers sont arrivés à une décision qui est le fruit d’une mise en balance proportionnée.
D. Le contrôle judiciaire de la décision du Barreau du Haut‑Canada selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola
[30] Les décisions administratives qui font intervenir la Charte sont examinées selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola. Ce cadre vise à faire en sorte que les protections conférées par la Charte soient respectées le plus possible compte tenu des objectifs visés par la loi dans un contexte administratif particulier. De cette manière, les droits garantis par la Charte ne sont pas moins vigoureusement protégés dans un cadre d’analyse de droit administratif.
[31] Suivant le précédent établi par la Cour dans Doré et Loyola, la question préliminaire qui se pose est de savoir si la décision administrative fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière — qu’il s’agisse de droits ou de valeurs (Loyola, par. 39). Si les protections de la Charte sont mises en cause, il faut se demander « si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, par. 57; Loyola, par. 39).
(1) Question de savoir si la liberté de religion est en cause
[32] Il s’agit d’abord de savoir si le Barreau du Haut‑Canada a mis en cause la liberté de religion des membres de la communauté de TWU lorsqu’il a tenu compte de son mandat de protection de l’intérêt public dans l’analyse de la reconnaissance de la faculté de droit proposée par TWU. Pour démontrer qu’il y a eu restriction au droit garanti par l’al. 2a) de la Charte , le demandeur doit établir, premièrement, qu’il a une croyance sincère ou une pratique sincère ayant un lien avec la religion et, deuxièmement, que la conduite qu’il reproche à l’État limite d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance (Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 65; Ktunaxa Nation c. Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, par. 68). Si, selon ce critère, l’al. 2a) n’est pas en cause, il n’y a rien à mettre en balance.
[33] Pour les motifs énoncés dans le pourvoi connexe, Law Society of B.C., nous concluons que la décision de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU restreint la liberté de religion des membres de la communauté religieuse de TWU. Les membres évangéliques de cette communauté croient sincèrement que le fait d’étudier au sein d’une communauté définie par des croyances religieuses où les membres suivent certaines règles de conduite à caractère religieux contribue à leur développement spirituel. Cette croyance est appuyée par l’adoption universelle du Covenant, lequel contribue à créer un milieu dans lequel les étudiants de TWU peuvent croître spirituellement. En interprétant l’intérêt public de manière à empêcher la reconnaissance de la faculté de droit de TWU régie par le Covenant obligatoire, le Barreau du Haut‑Canada a limité d’une manière plus que négligeable ou insignifiante la capacité des membres de la communauté de TWU de se conformer à leurs croyances et pratiques. Il s’ensuit que la décision du Barreau du Haut‑Canada a restreint, et donc mis en cause, leurs droits religieux.
[34] Bien que TWU ait également présenté des observations fondées sur la Charte en ce qui a trait à la liberté d’expression, à la liberté d’association et aux droits à l’égalité, nous sommes d’avis que les observations relatives à la liberté de religion suffisent pour permettre la prise en compte de ces protections dans l’analyse (voir Law Society of B.C., par. 76‑78).
(2) Mise en balance proportionnée
[35] Selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Doré et Loyola, la décision administrative qui fait intervenir un droit garanti par la Charte sera raisonnable si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée de la protection conférée par la Charte et du mandat confié par la loi (voir Doré, par. 7; Loyola, par. 32). La cour de révision doit être convaincue que la décision « donne effet autant que possible aux protections en cause conférées par la Charte compte tenu du mandat législatif particulier en cause » (Loyola, par. 39). Autrement dit, la protection conférée par la Charte doit être restreinte « aussi peu que cela est raisonnablement possible eu égard aux objectifs particuliers de l’État » (Loyola, par. 40). Lorsqu’une décision fait intervenir la Charte , les concepts de raisonnabilité et de proportionnalité deviennent synonymes. En clair, une décision qui a une incidence disproportionnée sur des droits garantis par la Charte n’est pas raisonnable.
[36] La cour de révision doit se demander s’il existait d’autres possibilités raisonnables qui donneraient davantage effet aux protections conférées par la Charte eu égard aux objectifs applicables, tout en se posant la question de savoir si la décision se situe à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables (Doré, par. 57; Loyola, par. 41, citant RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160). Si le décideur disposait raisonnablement d’une possibilité ou d’une solution susceptible de réduire l’incidence sur le droit protégé tout en lui permettant de favoriser suffisamment la réalisation des objectifs pertinents, la décision ne se situerait pas à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables. La cour de révision doit aussi se pencher sur l’importance de la restriction de la protection conférée par la Charte par rapport aux avantages qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs de la loi dans ce contexte (Doré, par. 56; Loyola, par. 68). Dans le cadre de la contestation d’une décision administrative où la constitutionnalité du mandat confié par la loi n’est pas en cause, la question à se poser est de savoir si le décideur administratif s’est acquitté de ce mandat d’une manière qui est proportionnée à la restriction au droit garanti par la Charte qui s’en est suivie.
[37] En l’espèce, seules deux possibilités s’offraient au Barreau du Haut‑Canada — agréer ou ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU. Compte tenu de l’interprétation par le Barreau du Haut‑Canada de ce qu’exige l’intérêt public, reconnaître la faculté de droit proposée par TWU n’aurait pas favorisé la réalisation des objectifs de la loi pertinents et ne constituait donc pas une possibilité raisonnable qui donnerait davantage effet aux protections conférées par la Charte eu égard aux objectifs de la loi.
[38] La décision du Barreau du Haut‑Canada a également mis en balance de façon raisonnable la gravité de l’atteinte et les avantages qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs visés par la loi. À notre avis, cette décision ne restreignait pas de manière importante la liberté de religion. Comme il est expliqué dans le pourvoi connexe, la décision du Barreau du Haut‑Canada ne fait que limiter la capacité de TWU d’exploiter une faculté de droit régie par le Covenant obligatoire. Cette restriction est d’importance mineure parce que, d’une part, il n’est pas absolument nécessaire d’adhérer à un covenant obligatoire pour étudier le droit dans un milieu chrétien où les gens suivent certaines règles de conduite à caractère religieux, et parce que, d’autre part, le fait de fréquenter une faculté de droit chrétienne constitue une préférence — et non une nécessité — pour les éventuels étudiants en droit de TWU.
[39] Sur l’autre plateau de la balance, il y a la mesure dans laquelle la décision du Barreau du Haut‑Canada a favorisé la réalisation des objectifs visés par la loi. Nous sommes d’avis que la décision a nettement favorisé la réalisation de ces objectifs en assurant un accès égal à la profession juridique et une diversité au sein de celle‑ci tout en prévenant le risque qu’un préjudice important soit causé aux personnes LGBTQ. En réalité, la plupart des personnes LGBTQ seront dissuadées de fréquenter la faculté de droit proposée par TWU et celles qui la fréquenteront s’exposeront à un risque de préjudice important.
[40] Les restrictions à la liberté de religion constituent souvent une réalité incontournable pour le décideur dans le cadre de l’exercice du mandat que lui confie la loi dans une société multiculturelle et démocratique. La liberté de religion peut être restreinte lorsque les croyances ou pratiques religieuses d’une personne causent préjudice aux droits d’autrui ou entravent l’exercice de ces droits (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 346‑347; Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 26).
[41] Exception faite de la restriction dégagée précédemment, aucun chrétien évangélique n’est privé de son droit de pratiquer sa religion comme et où il l’entend. La décision du Barreau du Haut‑Canada signifie que les membres de la communauté de TWU ne peuvent imposer leurs croyances religieuses à leurs condisciples étudiant le droit, car elles ont des conséquences inéquitables et peuvent causer un préjudice important. Le Barreau du Haut‑Canada a retenu une interprétation de l’intérêt public qui prescrit un accès aux facultés de droit fondé sur le mérite et la diversité, et non sur des pratiques religieuses d’exclusion. Cette décision empêche que des préjudices concrets, et non abstraits, soient causés aux personnes LGBTQ et aux membres du public en général.
[42] Compte tenu des avantages importants qu’il y a à favoriser la réalisation des objectifs visés par la loi et de l’importance mineure de la restriction aux droits garantis par la Charte qui sont en cause, et compte tenu de l’absence de solution de rechange raisonnable susceptible de réduire l’incidence sur les protections conférées par la Charte tout en favorisant suffisamment la réalisation de ces objectifs, la décision du Barreau du Haut‑Canada représentait à notre avis une mise en balance proportionnée. Cette décision « donne effet autant que possible aux protections en cause conférées par la Charte compte tenu du mandat législatif particulier en cause ». Elle était donc raisonnable.
V. Dispositif
[43] La décision du Barreau du Haut‑Canada de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU est confirmée. Le pourvoi interjeté à l’encontre de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario est donc rejeté, avec dépens.
Version française des motifs rendus par
La juge en chef —
[44] Tout comme dans le pourvoi connexe, Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, la principale question dont notre Cour est saisie consiste à décider si un barreau peut priver les étudiants d’une faculté de droit confessionnelle du droit de pratiquer le droit au motif que la faculté fait preuve de discrimination envers les couples de même sexe issus de la communauté LGBTQ en obligeant les étudiants à signer un engagement — le Community Covenant Agreement, l’accord constatant le Covenant communautaire — qui prohibe toute intimité sexuelle à l’extérieur des liens du mariage entre un homme et une femme.
[45] À l’instar des juges majoritaires, les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon, je reconnais que le Barreau du Haut‑Canada avait compétence pour prendre une telle décision en vertu du pouvoir délégué qui lui est conféré par les art. 4.1 et 4.2 de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, et que cette décision doit être confirmée.
[46] J’applique au présent pourvoi les motifs que j’ai exposés dans le pourvoi connexe relativement à mon désaccord avec les juges majoritaires quant à la méthode applicable au contrôle des décisions administratives portant atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés , à la gravité de l’atteinte et aux raisons pour lesquelles la décision était justifiée.
[47] Je rejetterais le pourvoi.
Version française des motifs rendus par
Le juge Rowe —
[48] Je souscris à la conclusion de mes collègues de la majorité, les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon, portant que le Barreau du Haut‑Canada avait compétence pour prendre en compte les effets du document obligatoire intitulé Community Covenant Agreement (« Covenant »), l’accord constatant le Covenant communautaire, lorsqu’il a refusé d’agréer la faculté de droit proposée par Trinity Western University (« TWU »). Tout comme la Law Society of British Columbia — le barreau de la Colombie‑Britannique — dans le pourvoi connexe Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, le Barreau du Haut‑Canada est investi par l’État d’un vaste mandat afin de régir la profession juridique dans l’intérêt public. Selon les art. 4.1 et 4.2 de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, le Barreau du Haut-Canada a notamment pour mandat « de veiller à ce que les avocats respectent certaines normes en matière de professionnalisme et de compétence, et de s’acquitter de ses fonctions conformément à son devoir de protéger l’intérêt public » : Motifs de la majorité (« M.M. »), par. 16. Je reconnais également que l’étendue de ce mandat est « confirmée en outre par la nature des principes énoncés à l’art. 4.2, qui charge le Barreau du Haut-Canada de faire avancer la cause de la justice et la primauté du droit, de faciliter l’accès à la justice et de protéger l’intérêt public » : M.M., par. 17.
[49] Le Barreau du Haut‑Canada a l’obligation de s’autoréglementer conformément à l’intérêt public. Comme l’a maintes fois réitéré notre Cour, les tribunaux doivent faire preuve de déférence lorsqu’ils contrôlent les décisions prises par les barreaux dans l’accomplissement de cette obligation : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 187‑188; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, p. 887; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360, par. 24‑25. Dans la présente affaire, le Barreau du Haut‑Canada a considéré que son mandat ne lui permettait pas d’accorder l’agrément demandé à l’égard de la faculté de droit proposée par TWU vu les effets du Covenant obligatoire sur d’éventuels étudiants en droit. Les conseillers du Barreau du Haut-Canada qui ont voté contre l’agrément estimaient que le Covenant imposait un obstacle de nature discriminatoire à l’obtention d’une formation juridique, car il avait pour effet d’empêcher concrètement les étudiants membres de la communauté LGBTQ d’étudier à TWU. Compte tenu de la déférence qu’il convient d’accorder à la décision du Barreau du Haut‑Canada, je suis d’avis, tout comme les juges majoritaires, que le Barreau du Haut-Canada n’a pas commis d’erreur en tenant compte des effets du Covenant de TWU lorsqu’il a décidé de refuser l’agrément demandé.
[50] Pour les motifs énoncés dans le pourvoi connexe, je conclus que la décision contestée du Barreau du Haut‑Canada n’a pas porté atteinte aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés qu’invoquent les appelants. Cette décision doit donc être examinée selon les principes habituels du contrôle judiciaire. La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable, car la décision examinée fait partie de celles où il y a présomption de déférence envers le décideur qui interprète et applique sa loi habilitante : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 34; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 46.
[51] Considérée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la décision du Barreau du Haut‑Canada commandera la déférence si elle satisfait aux critères énoncés dans Dunsmuir — c’est‑à‑dire les critères précisant que le caractère raisonnable de la décision tient « à la justification de [celle‑ci], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à l’appartenance de cette décision « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, par. 47.
[52] Comme l’expliquent les juges majoritaires (aux par. 28‑29), le décideur n’est pas toujours tenu de motiver formellement sa décision pour que celle‑ci soit raisonnable. La déférence requise par la norme de la décision raisonnable commande plutôt une « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : Dunsmuir, par. 48, citant D. Dyzenhaus, « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286. Tout comme c’est le cas dans le pourvoi connexe, la Cour doit également, dans la présente espèce, consulter le dossier afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision en cause.
[53] Pour ce qui est du processus décisionnel, la transcription des délibérations des conseillers du Barreau du Haut-Canada fait état de la manière dont la décision a été prise et des raisons pour lesquelles les conseillers ont refusé d’agréer la faculté de droit proposée.
[54] En ce qui concerne le fond de la décision, je suis d’accord avec les juges majoritaires pour dire que « le Barreau du Haut‑Canada ne pouvait choisir qu’entre deux possibilités : agréer la faculté de droit proposée par TWU ou ne pas l’agréer » : par. 37. Compte tenu de l’interprétation que le Barreau du Haut-Canada a donné du mandat que lui confie la loi, sa décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Pour les raisons qui précèdent, j’arrive à la conclusion que la décision de refuser l’agrément demandé était raisonnable.
[55] Je souscris au résultat auquel arrive la majorité, en ce que je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la décision du Barreau du Haut‑Canada refusant d’agréer la faculté de droit proposée par TWU.
Version française des motifs rendus par
Les juges Côté et Brown —
I. Introduction
[56] Pour trancher le présent pourvoi, ainsi que le pourvoi connexe, Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32 (« Law Society of B.C. »), il faut se demander qui contrôle la porte de la place publique. En d’autres termes, qui a l’obligation de respecter les différences dans la vie publique? À notre avis, cette obligation incombe aux décideurs publics, en l’espèce, un organisme de réglementation public dont les décisions sont susceptibles de contrôle. Par contre, Trinity Western University (« TWU »), un établissement d’enseignement privé confessionnel, qui n’est pas assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés , dont les décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire et qui est exempté de l’application de la législation provinciale relative aux droits de la personne, n’est pas soumise à une telle obligation.
[57] Par conséquent, nous ferions droit au pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2016 ONCA 518, 131 O.R. (3d) 113). La décision du Barreau du Haut‑Canada (le « Barreau ») relative à la reconnaissance d’une faculté de droit ne peut viser qu’une seule fin légitime : s’assurer que les requérants qui ont obtenu leur diplôme de l’établissement qui souhaite être agréé sont individuellement aptes à accéder à la profession. En conséquence, le seul exercice justifiable du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau aurait été pour ce dernier d’agréer la faculté de droit proposée par TWU. La décision de ne pas agréer cette faculté constitue, de surcroît, une atteinte profonde à la liberté de religion des membres de la communauté de TWU. De plus, même si l’« intérêt public » devait être interprété largement, comme le prétendent le Barreau et les juges majoritaires (les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon), la reconnaissance de la faculté de droit de TWU ne serait pas incompatible avec le mandat statutaire du Barreau. Dans une société libérale et pluraliste, l’intérêt public est servi, et non miné, par le respect de la différence. À notre avis, seule une décision reconnaissant la faculté de droit proposée par TWU représenterait une mise en balance proportionnée des droits garantis par la Charte et des objectifs statutaires que le Barreau tentait d’atteindre.
II. Analyse
A. Le Barreau a exercé son pouvoir discrétionnaire à une fin illégitime et s’est fondé sur des considérations non pertinentes
[58] Comme nous l’expliquons dans nos motifs dans Law Society of B.C., une décision discrétionnaire sera invalide si elle est prise à une fin illégitime ou sur le fondement de considérations non pertinentes : par. 274‑277. Une lecture attentive de la Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, c. L.8, et des règlements administratifs pertinents du Barreau nous mène inévitablement à la conclusion que la décision du Barreau relative à la reconnaissance d’une faculté de droit a pour seule fin légitime de veiller à ce que les requérants soient individuellement aptes à accéder à la profession. Il s’ensuit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau consistant à refuser d’agréer TWU visait une fin illégitime et qu’il est donc invalide.
(1) La fin visée par la décision du Barreau relative à la reconnaissance d’une faculté de droit est de veiller à ce que les requérants soient individuellement aptes à accéder à la profession
[59] En refusant d’agréer TWU, le Barreau a prétendument agi en vertu du Règlement administratif no 4 — Octroi de permis, qui énonce les exigences relatives à la délivrance des différentes catégories de permis autorisant l’exercice du droit en Ontario. Une des exigences relatives à la délivrance d’un permis de catégorie L1 est que le requérant détienne un diplôme délivré par une faculté de droit agréée par le Barreau. La décision d’agréer ou non une faculté de droit est discrétionnaire. La fin visée par une telle décision, et les considérations pertinentes pouvant être prises en compte en la rendant, doivent donc se retrouver dans les fonctions, obligations et pouvoirs pertinents du Barreau, tels qu’ils ont été établis par la Loi sur le Barreau : Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 275‑279. Elles doivent en outre être compatibles avec une interprétation contextuelle et téléologique du Règlement administratif no 4 : voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21.
[60] Les articles 4.1 et 4.2 de la Loi sur le Barreau énoncent la fonction première du Barreau et les principes qui s’appliquent aux fins d’exercice de son pouvoir. L’article 4.1 décrit « l’une des fonctions » du Barreau. Il s’agit du seul article de la Loi sur le Barreau qui énonce expressément les fonctions du Barreau. L’article décrit ainsi cette fonction :
• de veiller, d’une part, à ce que « toutes les personnes qui pratiquent le droit en Ontario ou fournissent des services juridiques en Ontario respectent les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie qui sont appropriées dans le cas des services juridiques qu’elles fournissent » (al. 4.1a));
• de veiller, d’autre part, à ce que « les normes de formation, de compétence professionnelle et de déontologie relatives à la prestation d’un service juridique particulier dans un domaine particulier du droit s’appliquent également aux personnes qui pratiquent le droit en Ontario et à celles qui fournissent des services juridiques en Ontario » (al. 4.1b)).
Par conséquent, l’établissement de normes relatives à la prestation de services juridiques en Ontario est la fonction première du Barreau.
[61] L’article 4.2 prévoit que, lorsqu’il exerce « ses fonctions, obligations et pouvoirs en application de la présente loi », le Barreau tient compte de divers principes directeurs, notamment son obligation « de maintenir et de faire avancer la cause de la justice et la primauté du droit » (par. 4.2(1)), « d’agir de façon à faciliter l’accès à la justice pour la population ontarienne » (par. 4.2(2)) et « de protéger l’intérêt public » (par. 4.2(3)). Les principes généraux énoncés à l’art. 4.2 ne sont pas des fins statutaires autonomes. Nous ne sommes pas en désaccord avec les juges majoritaires quant au fait que ces principes sont des facteurs pertinents que doit prendre en compte le Barreau dans l’exercice de « ses fonctions, obligations et pouvoirs » en application de la Loi sur le Barreau : motifs des juges majoritaires, par. 18. Toutefois, ces principes doivent être compris à la lumière de ces fonctions, obligations et pouvoirs.
[62] La Loi sur le Barreau limite la portée du mandat du Barreau à la réglementation de la pratique du droit. Nous le répétons : la fonction première du Barreau, décrite à l’art. 4.1, est l’établissement de normes relatives à la prestation de services juridiques en Ontario. Mais surtout, en lisant la Loi sur le Barreau dans son ensemble, il devient évident que les fonctions, obligations et pouvoirs qui y sont énoncés ne se rapportent qu’à la régie du Barreau lui‑même, à la prestation de services juridiques par les avocats, les cabinets d’avocats et les avocats d’autres ressorts, et à la réglementation des stagiaires en droit et des requérants ayant fait demande pour la délivrance d’un permis. Bref, les fonctions, obligations et pouvoirs du Barreau se limitent à la réglementation de la prestation de services juridiques, à partir du processus de délivrance de permis (mais non avant) — c’est‑à‑dire à partir de la porte d’entrée de la profession.
[63] Le pouvoir du Barreau d’adopter des règlements administratifs est pareillement limité. Chacune des questions énumérées à l’art. 62 (« Règlements administratifs »), et l’art. 62 lu dans son ensemble, confèrent au Barreau le pouvoir d’adopter des règlements administratifs uniquement pour traiter des affaires du Barreau et pour régir les titulaires de permis, la prestation des services juridiques, les cabinets d’avocats et les requérants.
[64] Ces limites imposées au mandat du Barreau sont confirmées par le par. 13(1) de la Loi sur le Barreau, une disposition qui restreint expressément la portée de « l’intérêt public » à la pratique du droit et à la prestation de services juridiques, ou à toute autre question visée par la Loi sur le Barreau :
13(1) Le procureur général de l’Ontario est le gardien de l’intérêt public pour toutes les affaires relevant de la présente loi ou ayant trait, sous un rapport quelconque, à la pratique du droit en Ontario ou à la prestation de services juridiques en Ontario; à cette fin, il peut exiger à tout moment la production de documents ou choses relatifs aux affaires du Barreau.
[65] Nous tenons à souligner que cette conception limitée du mandat du Barreau concorde avec l’objet qui lui est attribué dans son propre énoncé de mission — qui est censé [traduction] « définir la véritable mission du Barreau » — amplement cité dans un avis juridique obtenu par le Barreau : Avis juridique, sous la rubrique [traduction] « Pouvoir discrétionnaire et intérêt public », en date du 4 avril 2014, reproduit au d.a., vol. XIII, p. 2296‑2321, p. 2307. Cet avis a conclu, sur le fondement de déclarations faites dans l’énoncé de mission, que le Conseil interprétait sa mission comme étant celle [traduction] « de veiller à ce que les Ontariens soient servis par des avocats qui satisfont à des normes rigoureuses en matière de connaissances, de compétences et de déontologie » : ibid., p. 2310.
[66] À la lumière du mandat du Barreau, il est parfaitement clair que les dispositions du Règlement administratif no 4 relatives à la reconnaissance des facultés de droit visent uniquement à faire en sorte que les requérants soient individuellement aptes à accéder à la profession. L’avis juridique obtenu par le Barreau a interprété la reconnaissance de façon similaire : Avis juridique, sous la rubrique [traduction] « Pouvoir discrétionnaire et intérêt public », p. 2304. Le Règlement administratif no 4 est correctement compris comme étant adopté en application de la disp. 62(0.1)4.1 de la Loi sur le Barreau, qui prévoit l’adoption de règlements administratifs pour
régir les permis dont doivent être titulaires les personnes qui pratiquent le droit en Ontario en qualité d’avocat et les personnes qui fournissent des services juridiques en Ontario, y compris prescrire les qualités requises et autres exigences pour les diverses catégories de permis et régir les demandes de permis.
Il n’appartient pas à la Cour d’étendre la portée du Règlement administratif no 4 au‑delà des limites du mandat du Barreau, qui est de réglementer la prestation de services juridiques en Ontario.
[67] Cette interprétation concorde avec la simple lecture du Règlement administratif no 4, qui établit des exigences relatives à la délivrance de permis individuels, l’une d’elles étant que les requérants obtiennent un diplôme d’une faculté de droit agréée. La délivrance de permis individuels est au cœur du Règlement administratif no 4; la reconnaissance des facultés de droit n’est qu’accessoire à cet objet. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la reconnaissance des facultés de droit sert uniquement d’indicateur pour déterminer si les diplômés de cette faculté sont présumés aptes à accéder à la profession.
(2) La disposition 62(0.1)23 de la Loi sur le Barreau ne confère pas au Barreau le pouvoir de réglementer les facultés de droit
[68] Le Barreau insiste sur la disp. 62(0.1)23 de la Loi sur le Barreau et sur l’histoire du Barreau pour plaider qu’il a compétence à l’égard de la formation juridique préalable et que les facultés de droit n’exercent leurs activités que pour son compte. Comme nous l’expliquons aux par. 290‑291 de nos motifs dans la cause connexe, en autorisant le Barreau à utiliser ses règlements pour réglementer les politiques d’admission des facultés de droit et éviter aux étudiants en droit qu’ils subissent un préjudice, les juges majoritaires étendent similairement, sans justification juridique aucune, le mandat du Barreau au contexte de la formation juridique. Seule une lecture sélective de la Loi sur le Barreau permet d’appuyer la thèse du Barreau. La Loi sur le Barreau ne confère pas à ce dernier le pouvoir de réglementer les facultés de droit, y compris leurs politiques d’admission. Elle ne prévoit pas non plus que les facultés de droit dispensent la formation juridique pour le compte du Barreau. Encore une fois, les fonctions, obligations et pouvoirs du Barreau entrent en jeu à partir du processus de délivrance de permis — soit au seuil de la profession juridique, et non à celui de la faculté de droit. Il en est ainsi pour toutes les facultés de droit, qu’elles soient privées et confessionnelles, ou non.
[69] De fait, la disp. 62(0.1)23 confère au Barreau le pouvoir d’adopter des règlements administratifs pour « traiter de la formation juridique, y compris les programmes d’enseignement ou de formation préalable à l’obtention d’un permis ». Bien que la disposition soit rédigée de façon large, il faut examiner son libellé « dans [son] contexte global [d’une manière] qui s’harmonise avec l’esprit [et] l’objet de la [Loi sur le Barreau] » : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87.
[70] Premièrement, la disp. 62(0.1)23 doit être lue avec les par. 60(1) et (2) de la Loi sur le Barreau qui, sous le titre « Formation juridique; diplômes », prévoient respectivement que « [l]e Barreau peut organiser des programmes d’enseignement ou de formation préalable à l’obtention d’un permis et des programmes de formation professionnelle continue » et que « [l]e Barreau peut conférer les diplômes en droit ». Le paragraphe 60(1) renferme la seule autre mention de l’« enseignement préalable à l’obtention d’un permis » dans la Loi sur le Barreau, et il limite expressément les pouvoirs du Barreau aux programmes d’enseignement organisés par le Barreau. D’autres références à la « formation juridique », aux disp. 35(1)6 et 44(1)6, prévoient des ordonnances qui obligent les titulaires de permis qui n’ont pas respecté les normes de compétence professionnelle, ou qui se sont conduits d’une façon qui constitue un manquement professionnel, à participer à des programmes précis de formation juridique. Une telle lecture appuie également une interprétation de la disp. 62(0.1)23 qui est liée à la réglementation de la compétence individuelle.
[71] Deuxièmement, la disp. 62(0.1)23 doit être lue dans le contexte de la Loi sur le Barreau dans son ensemble et en fonction de son objet, qui se limite manifestement, rappelons‑le, à la réglementation de la pratique du droit, et qui ne va pas au‑delà de la délivrance de permis. La Loi sur le Barreau ne fait nullement mention des facultés de droit, sauf en ce qui concerne la question non reliée de la composition des réunions du conseil consultatif tenues en application de l’art. 26. On peut présumer que si le législateur avait eu l’intention d’investir le Barreau d’un pouvoir de surveillance à l’égard des facultés de droit, il aurait expressément prévu un pouvoir d’une telle importance.
[72] Troisièmement, l’interprétation de la disp. 62(0.1)23 proposée par le Barreau fait abstraction du fait que, dans l’affaire qui nous intéresse, c’est le ministre de l’Enseignement supérieur de la Colombie‑Britannique — et non le Barreau — qui accorde aux facultés de droit le pouvoir de conférer des diplômes en droit : Degree Authorization Act, S.B.C. 2002, c. 24. Nous soulignons ici que TWU a été constituée par l’Assemblée législative de la Colombie‑Britannique dans le but de fournir une formation universitaire [traduction] « reposant sur une philosophie et une perspective chrétiennes » (Trinity Western University Act, S.B.C. 1969, c. 44, par. 3(2)) et qu’elle a obtenu l’approbation du ministre de l’Enseignement supérieur pour la délivrance de diplômes en droit, après avoir obtenu l’approbation préalable du Comité d’agrément de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Cela se reflète dans la sous‑disp. 9(1)1(i) du Règlement administratif no 4, qui exige, en vue de la délivrance d’un permis de catégorie L1, que le requérant détienne un baccalauréat en droit ou un diplôme juris doctor (J.D.) « d’une faculté de droit au Canada » et pas nécessairement d’une faculté de droit en Ontario.
[73] Pour ces motifs, la disp. 62(0.1)23 ne peut être interprétée comme conférant au Barreau un pouvoir à l’égard des facultés de droit. Toutefois, même si le Barreau était investi d’un tel pouvoir, celui‑ci se limiterait à la formation juridique dispensée en Ontario. La compétence du Barreau ne s’étend pas à la Colombie‑Britannique, si bien que celui‑ci n’aurait pas le pouvoir de réglementer TWU.
(3) Le seul exercice justifiable du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au Barreau aurait été pour ce dernier d’agréer TWU
[74] Ayant conclu que la décision du Barreau sur la reconnaissance d’une faculté de droit a pour seule fin légitime de veiller à ce que les requérants soient individuellement aptes à accéder à la profession, le seul exercice justifiable du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau à une fin légitime aurait été pour ce dernier d’agréer TWU.
[75] Comme nous l’avons dit aux par. 336‑338 de nos motifs dans l’arrêt Law Society of B.C., « préserver une perception publique positive de la profession juridique » (motifs des juges majoritaires, par. 20 (en italique dans l’original)) ne constitue pas un motif valable pour la décision du Barreau. Assimiler la reconnaissance d’un acteur privé à une approbation de ses croyances fait du rempart qu’est la Charte une arme. Lorsqu’il s’agit de droits garantis par la Charte , une cour de justice ne doit pas se soucier de la perception du public — ces droits existent pour protéger leurs titulaires des valeurs de la majorité, et non pour contraindre quiconque à se conformer à ces valeurs.
[76] L’objectif d’assurer l’égalité d’accès à la profession juridique et la diversité au sein de celle‑ci ne fait pas non plus partie de l’obligation du Barreau d’assurer la compétence dans la profession juridique : voir le par. 289 de nos motifs dans Law Society of B.C. Le Barreau est chargé de fixer des normes minimales; cet objectif statutaire a trait à la compétence plutôt qu’au mérite. En effet, si l’obligation du Barreau d’assurer la compétence au sein de la pratique était interprétée comme lui permettant de croire que « l’imposition de barrières inéquitables à l’entrée aux facultés de droit impose dans les faits des barrières inéquitables à l’entrée dans la profession juridique et risque ainsi de diminuer la diversité au sein du barreau » (motifs des juges majoritaires, par. 19), il se pourrait fort bien que le Barreau ait non seulement le pouvoir, mais l’obligation de réglementer d’autres aspects des activités des facultés de droit, comme les admissions, ou de réglementer les frais de scolarité des facultés de droit, lesquels créent, sans doute, des barrières inéquitables à la pratique du droit (voir C. C. Smith, « L’augmentation des frais de scolarité et l’histoire de l’exclusion raciale de la formation en droit au Canada », Commission ontarienne des droits de la personne (2004) (en ligne)).
[77] Étant donné que les parties concèdent qu’il n’existe aucune préoccupation à l’égard de la compétence ou de la conduite des éventuels diplômés de TWU, le seul exercice justifiable du pouvoir discrétionnaire statutaire du Barreau à une fin légitime en l’espèce aurait donc été pour ce dernier d’agréer la faculté de droit proposée par TWU.
B. Décision de l’instance inférieure
[78] Comme le font remarquer les juges majoritaires dans leur résumé (par. 10), en rejetant l’appel de TWU et de M. Volkenant, la Cour d’appel de l’Ontario a considéré que la mise en balance effectuée dans son examen de la décision du Barreau portait sur des droits divergents ou incompatibles (décision de la C.A., par. 113). Toutefois, la conclusion du juge MacPherson selon laquelle [traduction] « la politique d’admission de TWU, examinée en corrélation avec le Covenant de la communauté, était discriminatoire envers la communauté LGBTQ sur le fondement de l’orientation sexuelle, ce qui est contraire à l’art. 15 de la Charte », révèle l’erreur grave et fondamentale qui entache la manière dont la Cour d’appel a conçu cette mise en balance : par. 115 (nous soulignons). TWU est un établissement privé. En outre, comme le veut la règle de droit bien établie, les acteurs privés ne sont pas assujettis à la Charte : Charte, par. 32(1) ; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 597. Comme la Cour l’a expliqué dans McKinney c. University of Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 262‑263 :
L’exclusion des activités privées de l’application de la Charte n’est pas le fruit du hasard. C’est un choix délibéré qu’il faut respecter. [. . .]
Dans ce domaine, l’arrêt Dolphin Delivery, précité, de notre Cour est évidemment l’arrêt de principe qui énonce de nombreuses autres considérations du même ordre. Dans cet arrêt, le juge McIntyre a expliqué clairement que l’art. 32 limitait l’application de la Charte au Parlement et aux législatures ainsi qu’aux branches exécutive et administrative du gouvernement.
Par conséquent, ni le Covenant ni aucun autre aspect des politiques d’admission de TWU ne peut être jugé [traduction] « contraire à l’art. 15 de la Charte », ou à tout autre article de la Charte . À notre avis, la conception manifestement erronée par la Cour d’appel d’une prémisse fondamentale, non seulement de notre ordre constitutionnel, mais de la mise en balance particulière qu’elle était appelée à effectuer en l’espèce, teinte toute son évaluation de la question.
[79] De la même manière, les juges majoritaires de la Cour ont tort d’affirmer que les « restrictions à la liberté de religion constituent souvent une réalité incontournable pour le décideur dans le cadre de l’exercice du mandat que lui confie la loi dans une société multiculturelle et démocratique » : par. 40. Cette déclaration catégorique et inexpliquée semble fondée sur une autre erreur tout aussi fondamentale, à savoir que, même lorsqu’il n’y a pas véritablement atteinte aux droits d’autrui parce que les acteurs privés n’ont pas l’obligation de s’abstenir d’y porter atteinte, il est « incontournable » que la liberté de religion d’un acteur privé sera limitée du seul fait que son exercice a un « effet défavorable » sur les intérêts d’autrui. Toutefois, la question est limpide. La Charte lie les acteurs étatiques, comme le Barreau, et seulement les acteurs étatiques. Elle ne lie pas les établissements privés, comme TWU.
C. La décision du Barreau limite de façon injustifiable les droits garantis à la communauté de TWU par l’al. 2a) de la Charte
[80] Comme nous l’expliquons dans nos motifs dans Law Society of B.C., la décision du Barreau de ne pas agréer la faculté de droit proposée par TWU porte atteinte à la liberté de religion des membres de la communauté de TWU. Cette décision relative à la reconnaissance de la faculté entrave l’expression, par cette communauté, de sa croyance religieuse au moyen d’une pratique consistant à créer et à respecter un covenant d’inspiration biblique. Contrairement à nos collègues, nous estimons que cette entrave n’a rien de mineur. Cette décision relative à la reconnaissance de la faculté de droit bouleverse l’essence même de la communauté de TWU en limitant sa capacité de déterminer le code de conduite d’inspiration biblique auquel les membres de la communauté se conformeront. Dans le même ordre d’idées, nous constatons la déclaration des juges majoritaires (au par. 11) selon laquelle « [l]e Barreau du Haut‑Canada n’a pas refusé l’admission en son sein à des diplômés de la faculté de droit proposée; il a plutôt refusé d’agréer la faculté de droit proposée, dont la fréquentation était assujettie à un covenant obligatoire ». Une description aussi nettement formaliste de la décision considérée dans le présent pourvoi contredit l’affirmation des juges majoritaires — sur laquelle s’appuient leurs motifs dans le présent pourvoi et ceux de l’arrêt Law Society of B.C. (par. 95) — selon laquelle ils appliquent « l’égalité réelle ». En réalité, TWU demande la reconnaissance de sa faculté de droit proposée à l’avantage de ses diplômés.
[81] Enfin, même si nous acceptions les objectifs statutaires de protection de l’« intérêt public », de portée par ailleurs excessive, qui ont été plaidés par le Barreau et adoptés par les juges majoritaires, il ne s’ensuivrait pas que la reconnaissance de TWU serait contraire à l’intérêt public, comme il faut l’entendre. Comme nous le disons dans nos motifs dans l’arrêt Law Society of B.C. (par. 324‑336), l’intérêt public en faveur d’une société libérale et pluraliste est servi par le respect de la liberté de religion. L’inégalité d’accès que cause le Covenant découle non pas de l’approbation d’actes discriminatoires, mais du respect de la liberté de religion, lequel permet aux communautés religieuses de s’épanouir et favorise par le fait même la diversité et le pluralisme dans la vie publique de nos communautés.
[82] Le pourvoi devrait être accueilli. Par conséquent, nous devons exprimer notre dissidence.
Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Côté et Brown sont dissidents.
Procureurs des appelants : Bennett Jones, Toronto; Kuhn, Abbotsford, Colombie‑Britannique.
Procureurs de l’intimé : Borden Ladner Gervais, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenante Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada : Association for Reformed Political Action (ARPA) Canada, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Stikeman Elliott, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Société des plaideurs : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto; Martha McCarthy & Company, Toronto; Ethos Law Group, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante International Coalition of Professors of Law : Supreme Advocacy, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante National Coalition of Catholic School Trustees’ Associations : Supreme Advocacy, Ottawa; Doucette Santoro Furgiuele, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Lawyers’ Rights Watch Canada : Grey, Casgrain, Montréal; Lawyers’ Rights Watch Canada, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Ursel Phillips Fellows Hopkinson, Toronto; IMK, Montréal.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : John Norris, Toronto; Breese Davies Law, Toronto.
Procureur de l’intervenante l’Alliance des chrétiens en droit : Alliance des chrétiens en droit, London.
Procureur de l’intervenante l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université : Association canadienne des professeures et professeurs d’université, Ottawa.
Procureurs des intervenantes Fier départ et OUTlaws : Frances Mahon Law, Vancouver; Goldblatt Partners, Toronto; Paul Jonathan Saguil, Toronto.
Procureur de l’intervenant Canadian Council of Christian Charities : Canadian Council of Christian Charities, Elmira, Ontario.
Procureurs de l’intervenante l’Église unie du Canada : Dewart Gleason, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Société des étudiants et étudiantes en droit de l’Ontario : Davies Ward Phillips & Vineberg, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Conférence des évêques catholiques du Canada : Barnes, Sammon, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante l’Église adventiste du septième jour au Canada : Miller Thomson, Calgary.
Procureurs des intervenantes l’Alliance évangélique du Canada et Christian Higher Education Canada : Vincent Dagenais Gibson, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante Lesbians, Gays, Bisexuals and Trans People of the University of Toronto (LGBTOUT) : Angela Chaisson Law, Toronto; Symes Street & Millard, Toronto.
Procureurs de l’intervenante British Columbia Humanist Association : Hakemi & Ridgedale, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante Canadian Secular Alliance : JFK Law Corporation, Vancouver; Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante Égale Canada Human Rights Trust : Goldblatt Partners, Toronto.
Procureurs de l’intervenante Faith, Fealty & Creed Society : Michael Sobkin, Ottawa; Benefic Law Corporation, Vancouver.
Procureurs des intervenants Roman Catholic Archdiocese of Vancouver, la Ligue catholique pour les droits de l’homme et Faith and Freedom Alliance : Foy Allison Law, West Vancouver; Philip H. Horgan Law Office, Toronto.
Procureurs de l’intervenante World Sikh Organization of Canada : Nanda & Company, Edmonton; World Sikh Organization of Canada, Newmarket, Ontario.
[1] Le 1er janvier 2018, le Barreau du Haut‑Canada a été renommé Barreau de l’Ontario.