Répertorié : Colombie‑Britannique c. Philip Morris International, Inc.
No du greffe : 37524.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique Traduction française officielle
Coram : Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Brown, Rowe et Martin
Motifs de jugement (par. 1 à 37) : Le juge Brown (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Rowe et Martin)
Procureur général de l’Ontario, Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson-Glushko et Information and Privacy Commissioner for British Columbia, Intervenants
Arrêt : Le pourvoi est accueilli. L’ordonnance du juge de première instance est annulée et la demande de P pour une ordonnance exigeant la production des bases de données relatives aux soins de santé est rejetée.
Les bases de données visées en l’espèce constituent des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier » ou des « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés ». Par conséquent, par l’effet de l’al. 2(5)(b) de la Loi, nul ne peut être contraint de les produire. Ni leur pertinence quant aux actes de procédure déposés dans le cadre de l’action intentée par la province ni leur anonymisation ne les soustraient au libellé de l’al. 2(5)(b), lorsque celui‑ci est lu dans son contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la Loi.
Les bases de données visées en l’espèce constituent à la fois des « dossiers » et des « documents » au sens de la Loi. On y conserve des renseignements médicaux qui concernent des assurés en particulier. De plus, même si ces renseignements sont conservés collectivement plutôt qu’individuellement, chaque entrée inscrite dans la base de données provient des dossiers cliniques de personnes en particulier. Le simple fait de modifier la façon de conserver les renseignements médicaux, c’est‑à‑dire le fait de compiler des dossiers cliniques individuels dans des bases de données collectives, ne change en rien la nature des renseignements eux‑mêmes. Même présentées sous une forme collective, dans la mesure où les bases de données contiennent des renseignements tirés des dossiers cliniques des patients, elles demeurent des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier ». De plus, même si, les bases de données ne constituaient pas intégralement des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier », l’al. 2(5)(b) protège une seconde catégorie de dossiers et de documents, à savoir les « documents relatifs aux soins de santé prodigués ». En retenant un libellé très large — relatifs aux — pour désigner cette seconde catégorie, le législateur a étendu la portée de la protection prévue à l’al. 2(5)(b) pour y inclure des documents qui ne sont pas eux‑mêmes des dossiers et documents médicaux, tels que des dossiers de facturation et des dossiers concernant les médicaments administrés à un patient. Une grande partie des renseignements conservés dans les bases de données constituent effectivement de tels documents.
L’alinéa 2(5)(b) de la Loi subordonne l’obligation de produire les dossiers et les documents qu’il décrit non pas à leur pertinence, mais à leur nature. La pertinence de ces dossiers et documents à l’égard d’une action en recouvrement global ne change en rien leur nature. Par conséquent, indépendamment de la pertinence des dossiers, nul ne peut être requis de produire les dossiers et les documents qui tombent sous le coup de l’al. 2(5)(b). Les juridictions inférieures ont commis une erreur en permettant à ce qu’elles ont estimé être la pertinence des bases de données regroupées de l’emporter sur le sens de l’al. 2(5)(b) et l’intention du législateur à l’égard de cet alinéa.
L’expression « des assurés en particulier » à l’al. 2(5)(b) n’est pas synonyme de l’expression « des assurés identifiables ». Le sens courant du mot anglais « particular » (« en particulier ») est « distinct » ou « specific » (« distinct » et « spécifique », respectivement). Selon cette définition, les bases de données sont visées par l’al. 2(5)(b), puisqu’elles font partie des « dossiers et documents médicaux » et des « documents relatifs aux soins de santé prodigués » relativement à chaque assuré distinct et spécifique de la Colombie‑Britannique, même si les renseignements contenus dans les bases de données, une fois anonymisés, ne permettent plus d’identifier l’assuré. En outre, le fait d’assimiler « en particulier » à « identifiables » serait incompatible avec l’esprit de la Loi et rendrait d’autres dispositions de la Loi redondantes ou dénuées de sens.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; New Brunswick c. Rothmans Inc., 2016 NBQB 106; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378.
Lois et règlements cités
Interpretation Act, R.S.B.C. 1996, c. 238, art. 2(1), 29 « record ».
Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, règle 1‑1(1).
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, c. 30, art. 1 « tobacco related disease », 2(1), (4), (5), 5.
Doctrine et autres documents cités
Oxford English Dictionary (en ligne : http://www.oed.com), « particular » (version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2018SCC-CSC36_1_eng.pdf).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Newbury, Willcock et Goepel), 2017 BCCA 69, 95 B.C.L.R. (5th) 116, 412 D.L.R. (4th) 310, [2017] 7 W.W.R. 451, [2017] B.C.J. No. 257 (QL), 2017 CarswellBC 369 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Smith, 2015 BCSC 844, [2015] B.C.J. No. 1026 (QL), 2015 CarswellBC 1361 (WL Can.). Pourvoi accueilli.
Jeffrey S. Leon, James D. Virtue, André I. G. Michael, James Duvall et Peter Lawless, pour l’appelante.
Michael A. Feder, Emily MacKinnon et Robyn Gifford, pour l’intimée.
Sunil S. Mathai, Farzin Yousefian et Antonin I. Pribetic, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
David Fewer, pour l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko.
Argumentation écrite seulement par Angela R. Westmacott, c.r., pour l’intervenant Information and Privacy Commissioner for British Columbia.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Brown —
I. Introduction
[1] En 2000, la législature de la Colombie‑Britannique a adopté la Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act, S.B.C. 2000, c. 30 (« Loi »). La Loi, dont la constitutionnalité a été confirmée par la Cour dans l’arrêt Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, crée un droit d’action qui permet à la province de poursuivre les fabricants de produits du tabac, comme elle l’a fait en l’espèce, [traduction] « pour le recouvrement du coût des services de soins de santé » liés à toute « maladie causée ou favorisée par l’exposition à un produit du tabac » : art. 1 [traduction] « maladie liée au tabac » et par. 2(1).
[2] La Loi énonce également des règles de procédure régissant cette action d’origine législative. En l’espèce, la Cour est appelée à interpréter l’une de ces dispositions d’ordre procédural, à savoir l’al. 2(5)(b), qui régit l’obligation de produire des documents médicaux lorsque la province intente une poursuite pour recouvrer le coût des services de soins de santé prodigués [traduction] « globalement » (c’est‑à‑dire relativement à une population d’assurés, plutôt qu’à certains assurés en particulier). L’alinéa 2(5)(b) indique que, de façon générale, [traduction] « nul ne peut être requis de produire les dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou les documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés ».
[3] Or, l’al. 2(5)(b) va‑t‑il jusqu’à empêcher d’exiger la production des diverses bases de données compilées par la province et renfermant des renseignements médicaux codés? Répondant à cette question par la négative, l’intimée Philip Morris International, Inc. a demandé une ordonnance exigeant la production des bases de données. L’appelante, Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie‑Britannique, a contesté cette demande en faisant valoir que ces bases de données contenaient des renseignements médicaux personnels concernant des résidents de la Colombie‑Britannique et qu’ainsi, par l’effet de l’al. 2(5)(b), nul ne pouvait être requis de les produire. Tant le juge de première instance que ceux de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont donné raison à Philip Morris, concluant que les bases de données, une fois anonymisées, échappaient à la portée de l’al. 2(5)(b) et qu’il était donc possible d’en exiger la production.
[4] Soit dit en tout respect, je ne suis pas de cet avis. Les bases de données constituent des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou [des] documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés », et nul ne peut donc être contraint de les produire. Ni leur pertinence quant aux actes de procédure déposés dans le cadre de l’action intentée par la province ni leur anonymisation ne les soustraient au libellé de l’al. 2(5)(b), lorsque celui‑ci est lu dans son contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la Loi. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.
II. Dispositions législatives applicables
[5] Le paragraphe 2(4) de la Loi reconnaît à la province deux droits d’action lui permettant de recouvrer le coût des soins de santé : (a) soit relativement [traduction] « à certains assurés en particulier »; (b) soit « globalement », c’est‑à‑dire relativement « à une population d’assurés ».
[6] Dans les cas où, comme en l’espèce, la province intente une action en vue de recouvrer globalement le coût des services de soins de santé, certaines règles de procédure, énoncées au par. 2(5), s’appliquent. L’alinéa 2(5)(a) précise que la province n’a pas à identifier les assurés en particulier, à prouver à l’égard d’un assuré en particulier la cause de la maladie liée au tabac ou à prouver le coût des services de soins de santé fournis à un assuré en particulier. De plus, dans le cadre d’une action en recouvrement global, [traduction] « nul ne peut être contraint de répondre à des questions relatives à la santé d’assurés en particulier ou aux soins de santé prodigués à ces assurés » : al. 2(5)(c). Et, comme je l’ai indiqué précédemment, l’al. 2(5)(b), soit la disposition dont l’interprétation est en cause dans le présent pourvoi, régit l’obligation de produire des documents. Cet alinéa est ainsi libellé :
[traduction]
(b) nul ne peut être requis de produire les dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou les documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés, sauf dans la mesure prévue par une règle de droit, de pratique ou de procédure exigeant la production des documents invoqués par un témoin expert;
Malgré les al. 2(5)(b) et (c), le tribunal saisi d’une demande en ce sens présentée par le défendeur dans le cadre d’une action en recouvrement global peut ordonner la communication préalable d’un [traduction] « échantillon statistiquement significatif » des documents protégés. Toutefois, lorsque le tribunal rend une telle ordonnance, « l’identité des assurés en particulier ne doit pas être divulguée, et tous les indices pouvant divulguer ou servir à divulguer le nom ou l’identité des assurés en particulier doivent être expurgés des documents avant leur communication » : al. 2(5)(d) et (e).
[7] De plus, et peu importe que la province cherche à recouvrer globalement ou individuellement le coût des services de soins de santé, l’art. 5 prévoit que certains renseignements statistiques, y compris ceux provenant d’échantillons, sont admissibles en preuve pour établir le lien de causalité et quantifier les dommages‑intérêts.
III. Historique des procédures
[8] Le 24 janvier 2001, la province a intenté une action en recouvrement global contre Philip Morris et d’autres fabricants de produits du tabac. D’entrée de jeu, certains des défendeurs, dont Philip Morris, ont contesté la constitutionnalité de la Loi, au motif qu’elle (1) excédait les limites territoriales de la compétence législative provinciale, (2) violait le principe de l’indépendance judiciaire et (3) portait atteinte à la primauté du droit. Comme il a déjà été expliqué, la Cour a rejeté ces arguments dans l’arrêt Imperial Tobacco et a confirmé la constitutionnalité de la Loi.
[9] Philip Morris a alors demandé la production d’une série de bases de données relatives aux soins de santé contenant des renseignements médicaux codés que la province affirme vouloir utiliser pour établir le lien de causalité et quantifier les dommages‑intérêts dans la présente action. Philip Morris a insisté sur le fait qu’il était essentiel pour elle de pouvoir consulter les bases de données en question pour pouvoir se défendre. La demande vise notamment la production des bases de données suivantes :
- La base de données sur les congés des patients, qui contient les données sur les congés, les transferts et les décès des patients hospitalisés et des patients en chirurgie d’un jour pour tout le territoire de la province, y compris des données cliniques, administratives et démographiques;
- La base de données du régime de services médicaux, qui contient les données sur tous les paiements effectués dans le cadre du régime de services médicaux de la province au titre de services médicaux professionnels, y compris les services de médecins, de laboratoire et de diagnostic;
- La base de données du régime d’assurance‑médicaments, qui contient les données sur les ordonnances délivrées aux assurés, y compris la date à laquelle chaque ordonnance a été exécutée, le numéro des médicaments délivrés et la quantité ainsi délivrée, le nombre de jours de traitement et l’identité du médecin prescripteur;
- Le registre des clients, qui est un répertoire administratif central pour les personnes ayant utilisé un des services fournis par le ministère de la Santé de la province et qui est le point de contrôle à partir duquel sont délivrés les nouveaux numéros personnels d’assurance‑maladie;
- Le registre d’inscription et de facturation des primes, qui contient les données sur l’admissibilité des personnes au régime de services médicaux.
La province a rétorqué que les données qui se trouvent dans les bases de données dont la production était demandée découlent ou font partie de « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier » et de « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés » aux termes de l’al. 2(5)(b) et qu’il était donc impossible d’en exiger la production.
[10] Comme autre option, la province a offert de donner à Philip Morris et aux autres défendeurs accès aux renseignements conservés dans ces bases de données par l’entremise d’une entente conclue avec Statistique Canada. Cette entente aurait permis aux experts de Philip Morris de consulter les bases de données sur place dans un Centre de données de recherche de Statistique Canada. Bien que d’autres défendeurs aient accepté cette offre, Philip Morris l’a refusée, parce qu’elle ne lui aurait pas accordé un accès illimité aux bases de données et qu’elle l’aurait également obligée à renoncer au privilège relatif au litige.
[11] Tout au long des procédures, Philip Morris a soutenu que la province devait produire les bases de données et que cette production n’était pas interdite par l’al. 2(5)(b).
IV. Décisions des juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2015 BCSC 844 — le juge Smith
[12] Le juge de première instance a statué qu’une fois les renseignements contenus dans les bases de données anonymisés, l’al. 2(5)(b) n’était pas applicable. Il a par conséquent conclu qu’il était possible d’en exiger la production.
[13] Pour interpréter l’al. 2(5)(b), le juge de première instance a comparé les deux types d’actions que la Loi permet à la province d’intenter — celles qui sont intentées individuellement et celles qui le sont globalement. Il a conclu que, lorsque la province intente une poursuite relativement à certains assurés en particulier, les documents [traduction] « créés par des professionnels de la santé pour y consigner leurs observations cliniques, des résultats de tests et d’autres renseignements alors consignés comme faisant partie intégrante du traitement médical » seraient pertinents et admissibles et qu’il serait possible d’en exiger la production au même titre que dans une action pour lésion corporelle : par. 49 (CanLII). Le juge de première instance a conclu que les dossiers cliniques en question étaient les mêmes « dossiers et documents médicaux » qui sont protégés par l’al. 2(5)(b) lorsque la province intente une action en recouvrement global. À son avis, il s’ensuivait que, si la province intente une telle action, l’al. 2(5)(b) rend ces dossiers cliniques non pertinents et empêche quiconque d’en exiger la production. Par conséquent, il a déclaré que l’al. 2(5)(b) vise, d’une part, à « établir une distinction » entre ce qui est admissible et pertinent et dont on peut exiger la production dans une action individuelle ou dans une action en recouvrement global (par. 45) et, d’autre part, à limiter l’obligation de production dans le cadre d’une action en recouvrement global aux seuls documents pertinents et admissibles à la lumière de l’al. 2(5)(b).
[14] Le juge de première instance s’est ensuite penché sur les bases de données. Il a constaté que celles‑ci renferment des renseignements tirés de dossiers cliniques des patients. Cependant, il a également conclu que les bases de données ont un [traduction] « caractère très différent » de ces dossiers cliniques, lesquels sont protégés par l’al. 2(5)(b), étant donné que les bases de données et les données statistiques qu’elles renferment seraient admissibles suivant l’art. 5 dans les cas où la province intente une action en recouvrement global : par. 50. Ainsi, bien que l’al. 2(5)(b) ait pour effet de protéger le droit à la vie privée des personnes et d’empêcher la communication préalable de leurs dossiers cliniques, on ne saurait l’interpréter de manière à refuser à Philip Morris l’accès aux « renseignements qui sont précisément nécessaires pour produire les preuves statistiques prévues à l’art. 5 » : par. 55. Dans la mesure où les noms et les autres renseignements permettant d’identifier des « personnes en particulier » étaient supprimés, les bases de données ne constituaient pas des « dossiers et documents médicaux » aux termes de l’al. 2(5)(b) (par. 55), et le juge de première instance a donc ordonné leur production.
B. Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2017 BCCA 69, 412 D.L.R. (4th) 310 — les juges Newbury, Willcock et Goepel
[15] La Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté par la province. Ce faisant, elle a explicitement refusé de suivre le jugement New Brunswick c. Rothmans Inc., 2016 NBQB 106, dans lequel il avait été jugé que nul ne pouvait être contraint de produire des bases de données similaires par l’application d’une disposition — identique à l’al. 2(5)(b) de la Loi — figurant dans la Loi sur le recouvrement de dommages‑intérêts et du coût des soins de santé imputables au tabac du Nouveau‑Brunswick, L.N.‑B. 2006, c. T‑7.5, al. 2(5)(b).
[16] La Cour d’appel a expliqué que l’un des principaux objectifs de la Loi était d’établir les [traduction] « règles du jeu » applicables aux litiges visant les fabricants de produits du tabac et que « le législateur ne pouvait pas avoir eu l’intention de formuler des règles favorisant injustement la province » : par. 39. À l’instar du juge de première instance, la Cour d’appel a conclu que, par l’effet de l’al. 2(5)(b), les dossiers cliniques des assurés en particulier ne sont pas pertinents lorsque la province exerce son droit d’action en recouvrement global. Même s’il est vrai que les renseignements contenus dans les bases de données peuvent provenir de dossiers cliniques, la Cour d’appel a reconnu que les bases de données ont un « caractère très différent » : par. 35. Contrairement aux dossiers cliniques individuels, les bases de données sont [traduction] « éminemment pertinentes » lorsque la province intente une action en recouvrement global, et limiter l’obligation de les produire serait par conséquent « intrinsèquement inéquitable » : par. 37. La Cour d’appel a estimé que l’interprétation retenue par la province, qui aurait pour effet de protéger les bases de données par l’application de l’al. 2(5)(b), revenait à interpréter cet alinéa comme si l’expression « en particulier » ne s’y trouvait pas, ce qui aurait concrètement pour effet d’empêcher « la communication préalable de toute donnée concernant les coûts des soins de santé dans le cadre de son action visant à recouvrer plusieurs milliards de dollars en coûts de soins de santé » : par. 37. La Cour d’appel a conclu que la production des bases de données, anonymisées conformément à l’ordonnance du juge de première instance, « ne pose aucune menace concrète à la vie privée » : par. 36. L’équité du procès exigeait donc que les bases de données soient produites.
V. Analyse
A. Interprétation de l’al. 2(5)(b) de la Loi
[17] L’interprétation des lois nécessite que l’on recherche l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de la loi : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21.
[18] Pour ce qui est de son objet, la Loi vise à accorder à la province une cause d’action civile qui lui permet de recouvrer le coût des services de soins de santé fournis par suite de maladies liées au tabac : voir également Imperial Tobacco, par. 32. Pour ce faire, la Loi établit diverses règles de procédure, y compris celles énoncées à l’al. 2(5)(b) régissant l’obligation de produire certains éléments de preuve lorsque la province exerce son droit de recours au moyen d’une action en recouvrement global.
[19] Suivant le libellé de l’al. 2(5)(b), nul ne peut être requis de produire « les dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou les documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés », sauf dans la mesure prévue par une règle de droit, de pratique ou de procédure exigeant la production des documents invoqués par un témoin expert. Rien n’indique que la présente affaire a atteint un point où la production des documents serait nécessaire parce que des experts les auraient invoqués. La question centrale à trancher en l’espèce est donc de savoir si les juridictions inférieures ont eu raison de conclure que les bases de données, une fois anonymisées, ne pouvaient pas être considérées comme des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier » ou des « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés », de sorte qu’il est possible d’en exiger la production.
[20] J’en arrive à ce qui représente essentiellement mon point de rupture avec les juridictions inférieures. Leur conclusion selon laquelle les bases de données ne sont pas protégées par l’al. 2(5)(b) est, à mon humble avis, entachée de trois erreurs. Premièrement, les tribunaux d’instances inférieures ont omis d’examiner la pleine portée des dossiers et des documents qui sont protégés par l’al. 2(5)(b). Deuxièmement, ils ont permis que, dans le cas où la province exerce son droit de recours au moyen d’une action en recouvrement global, la pertinence des bases de données l’emporte sur le libellé de l’al. 2(5)(b). Enfin, ils ont traité l’expression « assurés en particulier » comme synonyme de l’expression « assurés identifiables ».
a) Pleine portée des « dossiers » et des « documents » protégés par l’al. 2(5)(b)
[21] Bien que la Loi ne définisse pas les termes « records » et « documents » (« dossiers » et « documents », respectivement), l’Interpretation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 238, art. 29 — qui, par l’effet du par. 2(1) de cette loi, s’applique en l’espèce — précise que le mot « record » s’entend notamment de :
[traduction] [. . .] livres, documents, cartes, dessins, photographies, lettres, reçus, écrits ou toute autre chose sur laquelle des renseignements sont consignés ou conservés sous toute forme, notamment graphique, électronique ou mécanique;
Cette définition rejoint sensiblement celle du terme anglais « document » (« document ») qui figure à l’article général régissant la communication préalable des documents, le par. 1‑1(1) des Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009 :
[traduction] « document » s’entend au sens large et notamment de photographies, films, enregistrements sonores ainsi que de tout enregistrement à vocation permanente ou semi‑permanente et de tout renseignement consigné ou conservé au moyen d’un dispositif quelconque;
[22] Suivant cette interprétation, les notions de « dossiers » et de « documents » renvoient toutes deux à des dispositifs utilisés pour conserver des renseignements. En outre, d’après ces définitions, il est évident que les bases de données (y compris la base de données sur les congés des patients, la base de données du régime de services médicaux, la base de données du régime d’assurance‑médicaments, le registre des clients et le registre d’inscription et de facturation des primes) constituent à la fois des « dossiers » et des « documents » au sens de la Loi. Chacune de ces bases de données forme un ensemble de renseignements médicaux provenant de dossiers et documents originaux concernant des assurés en particulier. Ces renseignements sont conservés dans des bases de données, où ils sont présentés en rangées (correspondant chacune à une personne en particulier) et en colonnes (renfermant chacune des renseignements sur le champ ou la caractéristique consignée, par exemple, le type de service médical fourni).
[23] Par ailleurs, un examen attentif de l’al. 2(5)(b) confirme que les bases de données entrent dans la portée de cet alinéa, lequel protège deux types de dossiers et de documents. Tout d’abord, l’al. 2(5)(b) protège les « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier ». Il s’agit de la catégorie de dossiers et de documents qui, selon les juridictions inférieures, est constituée des dossiers cliniques individuels qui sont créés au moment où les soins sont prodigués. Je suis du même avis. Une grande partie des renseignements conservés dans les bases de données — par exemple, les types de services médicaux fournis, la quantité de soins prodigués aux patients lors de leur séjour à l’hôpital et la durée de leur hospitalisation — semblent avoir été extraits directement des dossiers cliniques des patients. Les bases de données forment donc, du moins en partie, des ensembles de renseignements médicaux qui proviennent des dossiers cliniques des patients et qui sont conservés collectivement avec des renseignements analogues tirés des dossiers d’autres patients.
[24] Toutefois, contrairement aux juridictions inférieures, je rejetterais l’argument de Philip Morris selon lequel les bases de données — du simple fait que leur caractère collectif puisse leur donner un « caractère très différent » de celui des dossiers cliniques originaux — ne peuvent bénéficier de la protection de l’al. 2(5)(b). Comme je l’ai expliqué précédemment, les bases de données constituent à la fois des « dossiers » et des « documents » au sens de la Loi. On y conserve des renseignements médicaux qui concernent des assurés en particulier. De plus, même si ces renseignements sont conservés collectivement plutôt qu’individuellement, chaque entrée inscrite dans la base de données provient des dossiers cliniques de personnes en particulier. Le simple fait de modifier la façon de conserver les renseignements médicaux, c’est‑à‑dire le fait de compiler des dossiers cliniques individuels dans des bases de données collectives, ne change en rien la nature des renseignements eux‑mêmes. Même présentées sous une forme collective, dans la mesure où les bases de données contiennent des renseignements tirés des dossiers cliniques des patients, elles demeurent des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier ».
[25] Qui plus est, même si, les bases de données ne constituaient pas intégralement des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier », la seconde catégorie de dossiers et documents protégés par l’al. 2(5)(b), à savoir les « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés », devrait être examinée. Ni le juge de première instance ni la Cour d’appel n’ont cherché à savoir si les bases de données entraient dans cette seconde catégorie, de sorte qu’ils ont omis d’examiner la pleine portée des protections prévues à l’al. 2(5)(b).
[26] Fait important à signaler, le législateur a retenu un libellé très large — « relating to » (« relatifs aux ») — pour désigner la seconde catégorie. Ce faisant, il a étendu la portée de la protection prévue à l’al. 2(5)(b) à bien davantage qu’aux seuls « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier ». En d’autres termes, l’al. 2(5)(b) protège des documents relatifs à la prestation de services de soins de santé, même si les documents en question ne sont pas eux‑mêmes des « dossiers et documents médicaux ». J’accepte l’argument que Philip Morris a formulé à l’audience du présent pourvoi et suivant lequel les « documents relatifs aux soins de santé prodigués » sont distincts des dossiers cliniques et qu’ils peuvent comprendre des documents tels que des [traduction] « dossiers de facturation » et des dossiers concernant les « médicaments administrés à un patient » : transcription, p. 50. Contrairement à l’argument de Philip Morris voulant que les bases de données soient distinctes de ces documents, il semble toutefois qu’une grande partie des renseignements conservés dans les bases de données constituent effectivement de tels documents. Par exemple, la base de données du régime de services médicaux documente tous les paiements effectués par la province aux professionnels de la santé, le nombre de paiements effectués, ainsi que le montant et la date de chaque paiement. De même, la base de données du régime d’assurance‑médicaments indique le montant total payé par le régime d’assurance‑médicaments à l’égard de chaque ordonnance admissible, réparti selon les sommes payées pour les médicaments et celles versées en honoraires professionnels, ainsi que le montant facturé par ordonnance à chaque assuré. Conservés séparément, c’est‑à‑dire non regroupés à l’intérieur d’une base de données, de tels renseignements correspondraient de toute évidence au sens de « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés ». Et, comme je l’ai déjà expliqué, le simple fait de transférer ces renseignements à partir des documents dans lesquels ils avaient à l’origine été conservés vers des bases de données — qui, après tout, ne sont rien de plus que des documents destinés à conserver les mêmes renseignements, mais collectivement — ne modifie en rien la nature de ces renseignements d’une manière qui justifierait de les soustraire et de soustraire les bases de données dans lesquelles ceux‑ci sont conservés à la protection prévue par l’al. 2(5)(b).
b) Pertinence des bases de données en tant que facteur à considérer à l’al. 2(5)(b)
[27] Les juridictions inférieures ont également conclu que, comme les bases de données étaient (pour reprendre les termes utilisés par la Cour d’appel) « éminemment pertinentes » dans le cadre d’une action en recouvrement global, il serait injuste d’interdire leur communication préalable. Elles ont expliqué que l’al. 2(5)(b) ne pouvait pas avoir pour but de protéger ces bases de données « éminemment pertinentes ». Toutefois, l’al. 2(5)(b) subordonne l’obligation de produire les dossiers et les documents qu’il décrit non pas à leur pertinence, mais à leur nature, c’est‑à‑dire à la question de savoir s’il s’agit de « dossiers et documents médicaux » ou de « documents relatifs aux soins de santé prodigués ». La pertinence de ces dossiers et documents à l’égard d’une action en recouvrement global ne change en rien leur nature. Le législateur aurait aisément pu subordonner l’impossibilité d’exiger la production des dossiers et des documents à leur pertinence, mais il ne l’a pas fait. Par conséquent, indépendamment de la pertinence des dossiers, nul ne peut être requis de produire les dossiers et les documents qui tombent sous le coup de l’al. 2(5)(b). Il s’ensuit, à mon humble avis, que les juridictions inférieures ont commis une erreur en permettant à ce qu’elles ont estimé être la pertinence des bases de données regroupées de l’emporter sur le sens de l’al. 2(5)(b) et l’intention du législateur à l’égard de cet alinéa.
c) « Assurés identifiables »
[28] Devant nous, Philip Morris a également fait valoir que, même si les bases de données constituent des « dossiers et documents médicaux » ou des « documents relatifs aux soins de santé prodigués », elles échappent néanmoins à la portée de l’al. 2(5)(b), car elles ne sont ni des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier », ni des « documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés ». On prétend que par [traduction] « assurés en particulier », il faut entendre « assurés identifiables » : transcription, p. 46. En outre, toujours selon cet argument, une fois que les renseignements contenus dans les bases de données sont anonymisés (conformément à l’ordonnance du juge de première instance), les bases de données ne sont plus visées par l’al. 2(5)(b), puisque les renseignements anonymisés ne permettent plus d’identifier l’assuré. C’est également la conclusion à laquelle sont parvenues les juridictions inférieures.
[29] Toutefois, une telle interprétation serait incompatible avec l’économie de la Loi. Par exemple, le fait d’assimiler « en particulier » à « identifiables » rendrait les al. 2(5)(d) et (e) redondants. L’alinéa 2(5)(d) permet au défendeur de demander au tribunal la communication préalable d’un échantillon statistiquement significatif de documents par ailleurs protégés par l’al. 2(5)(b). L’alinéa 2(5)(e) précise que, lorsqu’une ordonnance a été rendue en vertu de l’al. 2(5)(d), les échantillons de dossiers doivent être anonymisés. Mais s’il était possible, comme le prétend Philip Morris, d’exiger la production de dossiers et de documents qui seraient autrement visés par l’al. 2(5)(b) en les rendant simplement anonymes, personne n’aurait à recourir à une demande présentée en vertu des al. 2(5)(d) ou (e) pour obtenir la communication préalable d’un échantillon statistiquement significatif de tels dossiers ou documents. Compte tenu du fait que ces dispositions ne s’appliquent que lorsque la province intente une action pour recouvrer les coûts de soins de santé prodigués « globalement, à une population d’assurés » (al. 2(4)(b)), ces dispositions seraient dénuées de sens. Et pourtant, « suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire » : R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 28.
[30] De plus, l’interprétation proposée par Philip Morris est assujettie au « principe de base en matière d’interprétation des lois » suivant lequel on doit « donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi » : R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, p. 1387. Assimiler l’expression « en particulier » à l’al. 2(5)(b) au mot « identifiables » ferait en sorte que le sous‑al. 2(5)(a)(i) de la Loi, qui parle aussi d’« assurés en particulier » serait absurde. Plus précisément, le sous‑al. 2(5)(a)(i) prévoit que, lorsque la province intente une action en recouvrement global, elle n’a pas à identifier [traduction] « les assurés en particulier ». En appliquant l’interprétation de l’expression « en particulier » à l’al. 2(5)(b) que Philip Morris propose au même passage du sous‑al. 2(5)(a)(i), cette dernière disposition serait ainsi libellée : « il n’est pas nécessaire [. . .] d’identifier les assurés identifiables ». Il semble peu probable que telle ait été l’intention du législateur.
[31] Le sens courant du mot anglais « particular » (« en particulier ») est « distinct » ou « specific » (« distinct » et « spécifique », respectivement). Ce sens va de pair avec la définition de l’Oxford English Dictionary (en ligne), selon laquelle le mot « particular » s’entend de [traduction] « un parmi plusieurs [. . .] seul; distinct, individuel, spécifique » (je souligne). Cette définition permet d’affirmer que les bases de données — même anonymisées — sont visées par l’al. 2(5)(b), puisqu’elles font partie des « dossiers et documents médicaux » et des « documents relatifs aux soins de santé prodigués » relativement à chaque assuré distinct et spécifique de la Colombie‑Britannique.
B. Équité du procès
[32] Comme je l’ai expliqué, la Cour d’appel a ordonné la production des bases de données pour assurer [traduction] « l’équité du procès ». Devant nous, Philip Morris a en outre prétendu que, si les défendeurs [traduction] « n’obtiennent pas la communication préalable de ces données, le procès ne pourra pas être équitable » : transcription, p. 44. À mon avis, la Cour a répondu à ces préoccupations en 2005 dans l’arrêt Imperial Tobacco (c’est‑à‑dire lorsqu’elle a confirmé la constitutionnalité de la Loi) et, en tout état de cause, ces questions sont prématurées. Dans le litige constitutionnel, les fabricants de produits du tabac ont prétendu que les règles énoncées aux al. 2(5)(a), (b) et (c) « empêchent le tribunal de découvrir certains faits pertinents », « empiètent sur la fonction d’appréciation des faits par le tribunal et [. . .] garantissent pratiquement que le gouvernement aura gain de cause dans une action » : par. 48.
[33] La Cour a rejeté ces arguments. Elle a jugé que les règles et les mécanismes prévus par la Loi n’étaient « pas aussi injustes ou illogiques » que les défendeurs le prétendaient et qu’elles faisaient écho « à des préoccupations d’intérêt général légitimes de la législature de la Colombie‑Britannique à l’égard des avantages systémiques dont bénéficient les fabricants de produits du tabac lorsque des réclamations relatives aux méfaits du tabac sont soumises aux tribunaux par voie d’action de common law individuelle en responsabilité civile » : par. 49. Le législateur a le droit de mettre en place des « règles de procédure civile et de preuve novatrices » qui déplacent « certains fardeaux de la preuve, ou [qui] limite[nt] la contraignabilité à l’égard de renseignements [qu’une partie] estim[e] pertinents » : Imperial Tobacco, par. 55. Bien que, dans le litige constitutionnel, la Cour n’ait pas précisé davantage comment s’appliquait l’al. 2(5)(b), elle a affirmé que celui‑ci ne faisait pas obstacle à la fonction juridictionnelle du tribunal au point de porter atteinte à l’indépendance judiciaire : par. 55. À mon avis, l’argument de Philip Morris suivant lequel l’équité procédurale exige que l’al. 2(5)(b) soit interprété d’une manière qui est incompatible avec le libellé même de cette disposition n’est qu’une tentative pour remettre en cause la conclusion que la Cour a déjà tirée au sujet de la Loi, à savoir que le rôle des tribunaux n’est pas « d’appliquer seulement le droit qu’ils approuvent » ou « de rendre des décisions simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou pertinent » ni de « remettre en question la réforme du droit entreprise par le législateur, bien qu’elle introduise une nouvelle cause d’action ou des règles de procédure la régissant » : Imperial Tobacco, par. 52.
[34] Quoi qu’il en soit, la crainte exprimée quant à l’« équité du procès » est, au mieux, prématurée. Dans la Loi, le législateur a prévu plusieurs mécanismes permettant de préserver l’équité des procès. Plus précisément, l’al. 2(5)(b) lui‑même exige la production des documents invoqués par un témoin expert. Comme je l’ai déjà expliqué, le présent litige n’est pas encore parvenu à un point où la production de documents serait nécessaire en raison du fait qu’un expert de la province les aurait invoqués.
[35] De plus, et comme je l’ai aussi expliqué, l’al. 2(5)(d) permet au tribunal d’ordonner sur demande la communication préalable d’un « échantillon statistiquement significatif » de dossiers et de documents par ailleurs protégés par l’al. 2(5)(b). Or, aucun défendeur n’a encore formulé pareille demande et aucun tribunal n’a encore eu l’occasion de se pencher sur la question de savoir ce qui constituerait un « échantillon statistiquement significatif » des documents protégés.
VI. Dispositif
[36] Compte tenu de ce qui précède, je conviens avec la province que les bases de données constituent des « dossiers et documents médicaux concernant des assurés en particulier, ou [des] documents relatifs aux soins de santé prodigués à ces assurés ». Par conséquent, par l’effet de l’al. 2(5)(b), nul ne peut être contraint de les produire. Je tiens à préciser qu’il sera possible d’exiger la production des bases de données lorsqu’elles auront été « invoqué[e]s par un témoin expert » : al. 2(5)(b). Il sera également possible d’exiger la production d’un « échantillon statistiquement significatif » des bases de données, une fois ces dernières anonymisées, si une demande présentée conformément aux al. 2(5)(d) et (e) était accueillie.
[37] Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens devant la Cour et devant les juridictions inférieures, d’annuler l’ordonnance du juge de première instance et de rejeter la demande de Philip Morris pour une ordonnance exigeant la production des bases de données relatives aux soins de santé.
Pourvoi accueilli avec dépens dans toutes les cours.
Procureurs de l’appelante : Bennett Jones, Toronto; Siskinds, London; Duvall Law, Vancouver; procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria.
Procureurs de l’intimée : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intervenante la Clinique d’intérêt public et de politique d’internet du Canada Samuelson‑Glushko : Université d’Ottawa, Ottawa.
Procureurs de l’intervenant Information and Privacy Commissioner for British Columbia : Lovett Westmacott, Victoria.