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20/11/2020 | CANADA | N°2020CSC38

Canada | Canada, Cour suprême, 20 novembre 2020, Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38

Appel entendu : 20 février 2020
Jugement rendu : 20 novembre 2020
Dossier : 38585


 
Entre :
Procureur général de l’Ontario
Appelant
 
et
 
G
Intimé
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Association canadienne des libertés civiles, David Asper Centre for Constitutional Rights, Empowerment Council et Association canadienne pour la santé mentale, Ontario
Intervenants
 
Tr

aduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
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COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38

Appel entendu : 20 février 2020
Jugement rendu : 20 novembre 2020
Dossier : 38585

 
Entre :
Procureur général de l’Ontario
Appelant
 
et
 
G
Intimé
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Association canadienne des libertés civiles, David Asper Centre for Constitutional Rights, Empowerment Council et Association canadienne pour la santé mentale, Ontario
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 184)
 
Motifs concordants :
(par. 185 à 217)
 
Motifs conjoints
dissidents en partie:
(par. 218 à 294)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Martin et Kasirer)
 
Le juge Rowe
 
 
Les juges Côté et Brown
 

 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 

ontario (p.g.) c. g
Procureur général de l’Ontario                                                                     Appelant
c.
G                                                                                                                           Intimé
et
Procureur général du Canada,
Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Association canadienne des libertés civiles,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Empowerment Council et
Association canadienne pour la santé mentale, Ontario                        Intervenants
Répertorié : Ontario (Procureur général) c. G
2020 CSC 38
No du greffe : 38585.
2020 : 20 février; 2020 : 20 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l’égalité — Discrimination fondée sur une déficience mentale ou physique — Régime d’enregistrement des délinquants sexuels de l’Ontario exigeant que soient consignés au registre les renseignements personnels des personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles et que ces personnes se présentent au poste de police au moins une fois par année pour mettre leurs renseignements à jour — Possibilités d’être dispensé des exigences offertes aux personnes déclarées coupables d’infractions sexuelles, mais non aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont bénéficié d’une libération inconditionnelle — Le régime provincial d’enregistrement des délinquants sexuels porte‑t‑il atteinte au droit à l’égalité de ces personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux? — Dans l’affirmative, l’atteinte est‑elle justifiée? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 15(1) — Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2000, c. 1.
                    Droit constitutionnel — Réparation — Déclaration d’invalidité — Suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité — Exemption individuelle de la suspension — Demandeur sollicitant un jugement déclaratoire selon lequel le régime d’enregistrement des délinquants sexuels de l’Ontario porte atteinte au droit à l’égalité des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont bénéficié d’une libération inconditionnelle — Déclaration d’invalidité prononcée par la Cour d’appel, qui en a suspendu l’effet pour 12 mois et exempté le demandeur de la suspension — Démarche à adopter pour fixer la réparation en présence d’une loi inconstitutionnelle — Charte canadienne des droits et libertés, art. 24(1) — Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
                    En Ontario, la Loi Christopher exige des personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qu’elles se présentent en personne à un poste de police pour fournir leurs renseignements personnels afin que ceux‑ci soient consignés au registre des délinquants sexuels de la province. Les délinquants sont tenus de se présenter en personne devant les autorités au moins une fois par année et chaque fois que certains de leurs renseignements changent. Les délinquants sont tenus de se conformer à ces obligations pendant une période de 10 ans si la peine maximale prévue pour l’infraction sexuelle qu’ils ont commise ne dépasse pas 10 ans, ou pendant le reste de leur vie si la peine maximale prévue dépasse 10 ans ou s’ils ont commis plus d’une infraction sexuelle. Il existe certaines possibilités pour les personnes déclarées coupables d’infractions sexuelles, après une évaluation individuelle, d’être retirées du registre, d’en être exemptées ou d’être dispensées de leur obligation de se présenter devant les autorités. À l’inverse, aucune personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles ne peut, à quelque moment que ce soit, être retirée du registre ou dispensée de l’obligation de se présenter devant les autorités, et ce, même si elles ont obtenu une libération inconditionnelle d’une commission d’examen.
                    En juin 2002, G a été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard de deux infractions sexuelles. En août 2003, la Commission ontarienne d’examen l’a libéré inconditionnellement au motif qu’il ne représentait plus un risque important pour la sécurité du public. Malgré cette libération, G a été inscrit au registre provincial des délinquants sexuels en août 2004, comme l’exige la Loi Christopher. G a introduit une requête afin de contester l’applicabilité de la Loi Christopher aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles qui ont obtenu une libération inconditionnelle. Il a soutenu que l’impossibilité pour les personnes dans sa situation d’obtenir une exemption, d’être retirées du registre provincial ou d’être dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités, contrairement aux personnes reconnues coupables des mêmes infractions, viole l’art. 7 et le par. 15(1) de la Charte.
                    Le juge de première instance a rejeté la requête de G, mais la Cour d’appel a accueilli l’appel de G en s’appuyant sur sa demande concernant le par. 15(1), et a conclu que la violation du par. 15(1) n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Elle a déclaré que la Loi Christopher est inopérante à l’égard des personnes jugées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération inconditionnelle, suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité pendant une période de 12 mois, et exempté G de cette suspension en le dispensant de l’obligation de continuer de se conformer à la Loi et en ordonnant que ses renseignements soient supprimés du registre sur‑le‑champ. Le procureur général de l’Ontario s’est pourvu en appel devant la Cour.
                    Arrêt (les juges Côté et Brown sont dissidents en partie) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer : La Loi Christopher crée des distinctions discriminatoires entre les personnes déclarées coupables et les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles sur le fondement de leur déficience mentale, ce qui va à l’encontre du par. 15(1) de la Charte. Ces distinctions discriminatoires ne peuvent se justifier dans une société libre et démocratique. La réparation octroyée par la Cour d’appel était appropriée, et il y a lieu de confirmer ses ordonnances.
                    La première étape à suivre pour décider si une loi enfreint le par. 15(1) de la Charte consiste à se demander si la loi crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. En l’espèce, des distinctions claires ont été faites sur le fondement du motif énuméré qu’est la déficience mentale. Les personnes déclarées coupables d’infractions sexuelles peuvent être dispensées au départ de l’obligation de se présenter devant les autorités afin de s’inscrire au registre si elles obtiennent une absolution lors de leur audience de détermination de la peine. Les personnes déclarées coupables peuvent aussi être retirées du registre des délinquants sexuels si elles obtiennent un pardon absolu, et elles peuvent être dispensées de l’obligation de continuer de se présenter devant les autorités si elles obtiennent un pardon absolu ou une suspension de leur casier judiciaire. Cependant, les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard des mêmes infractions ne bénéficient pas de telles occasions même si elles ont bénéficié d’une libération inconditionnelle. Les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux font clairement l’objet d’une différence de traitement.
                    La deuxième étape consiste à se demander si la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage, y compris le désavantage historique subi. En refusant aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux la possibilité d’être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels, d’être retirées du registre ou d’être dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités, la Loi Christopher présume effectivement qu’elles sont en soi dangereuses et présenteront toujours un danger. Elle indique que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux sont considérées comme une menace perpétuelle pour le public. La Loi Christopher impose un fardeau aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’une manière qui viole le par. 15(1) de deux façons : d’une part, la loi elle‑même applique des préjugés et des stéréotypes envers les personnes souffrant de troubles mentaux; d’autre part, la loi place les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux dans une situation pire que celle des personnes déclarées coupables. Ces deux effets perpétuent le désavantage historique que continuent de subir les personnes souffrant de troubles mentaux. Les distinctions créées par la Loi Christopher sont par conséquent discriminatoires.
                    Le fardeau d’établir que la contravention au par. 15(1) est justifiée au regard de l’article premier de la Charte incombe au procureur général, selon la prépondérance des probabilités. Premièrement, l’objectif que vise la mesure attentatoire doit être urgent et réel. Deuxièmement, la mesure attentatoire ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée au droit que garantit le par. 15(1); elle doit avoir un lien rationnel avec l’objectif, les moyens choisis doivent porter le moins possible atteinte au droit que garantit le par. 15(1), et les avantages de la mesure attentatoire doivent l’emporter sur ses effets préjudiciables. Dans la présente affaire, les parties conviennent que l’objectif de la Loi Christopher est de faciliter les enquêtes sur des infractions sexuelles et la prévention de ces infractions, que cet objectif est urgent et réel, et que les limites que la Loi impose aux droits garantis par la Charte sont rationnellement liées à cet objectif. Cependant, la Loi Christopher ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits garantis par le par. 15(1) aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. L’inclusion de toute méthode permettant aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’être dispensées des obligations qui leur incombent et d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle serait moins attentatoire. Par conséquent, le procureur général n’a pas justifié la violation du par. 15(1).
                    Il faut utiliser une méthode fondée sur des principes pour déterminer les réparations qu’il convient d’accorder lorsque des textes législatifs violent la Charte. Selon les termes absolus édictés au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Une déclaration générale est le moyen par lequel les tribunaux donnent aux termes généraux du par. 52(1) leur plein effet. Le tribunal qui est appelé à statuer sur la contestation constitutionnelle d’une loi doit déterminer dans quelle mesure la loi contestée est inconstitutionnelle et la déclarer telle. Un degré de discrétion est inévitable pour décider comment répondre à l’incompatibilité entre des dispositions législatives et la Constitution. Même si le par. 52(1) reconnaît la primauté de la Constitution, de même que les droits et libertés fondamentaux des individus et des groupes qui sont garantis par la Charte, l’élaboration de mesures de réparation constitutionnelles commande inévitablement l’application d’autres principes constitutionnels qui sont parfois contradictoires. Les tribunaux doivent établir un juste équilibre entre ces principes lorsqu’ils sont appelés à déterminer comment donner effet au par. 52(1) d’une manière qui concorde le mieux avec l’ordre constitutionnel du Canada.
                    L’arrêt de principe de la Cour sur les réparations à accorder lorsque des lois violent la Charte, l’arrêt Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S 679, inspire l’approche que suivent les tribunaux pour concevoir une réparation adaptée et efficace lorsque des textes législatifs sont inconstitutionnels. Dans l’arrêt Schachter, la Cour a énoncé une façon générale d’accorder des réparations. Elle a approuvé l’octroi de réparations qui sont adaptées à la portée des violations des droits, ce qui permet de conserver les dispositions conformes sur le plan constitutionnel de lois inconstitutionnelles, et a reconnu qu’en de rares circonstances, l’effet d’une déclaration d’invalidité peut être suspendu pendant un certain temps pour protéger l’intérêt public. Dans Schachter, la Cour s’est également demandé s’il y a lieu d’accorder des réparations prévues par le par. 52(1) en même temps qu’une mesure de réparation individuelle pour des violations de la Charte, et elle s’est notamment posé la question de savoir si le demandeur devrait être dispensé individuellement d’une suspension, ce qui permet aux demandeurs ayant eu gain de cause de jouir de l’avantage que procure immédiatement une déclaration d’invalidité.
                    En s’inspirant de l’arrêt Schachter et en l’employant pour définir le type et la portée des déclarations d’invalidité, ainsi que pour suspendre l’effet de ces déclarations et exempter des personnes de ces suspensions, la jurisprudence de la Cour a intégré un groupe de principes fondamentaux en matière de réparation qui structurent l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation fondé sur des principes et jettent les bases de l’octroi de réparations utiles dans différents contextes. Premièrement, la protection des droits est un aspect fondamental de l’octroi de réparations sous le régime de la Charte, car la Charte vise à protéger les droits, les libertés et la dignité inhérente des personnes. Deuxièmement, il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution. Troisièmement, le public a droit au bénéfice de la loi, sur laquelle les individus s’appuient pour organiser leur vie et se protéger. Quatrièmement, les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents : la législature est souveraine en ce sens qu’elle jouit du pouvoir exclusif d’adopter, de modifier et d’abroger des lois comme elle l’entend, tandis que les tribunaux demeurent les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers. Ces principes guident les tribunaux et les encouragent à expliquer de façon transparente leurs décisions au chapitre des réparations.
                    Comme le prescrit le libellé du par. 52(1), la première étape de l’élaboration de la réparation qu’il convient d’accorder consiste à déterminer l’étendue de l’incompatibilité de la loi et de la Constitution. L’analyse de la réparation qu’il convient d’accorder est fondée sur la nature et l’étendue de la violation de la Charte, car la portée de la réparation qui est finalement accordée dépend notamment de l’étendue de la violation. Le choix du type de déclaration constitue la deuxième étape. Des réparations autres que des déclarations d’invalidité intégrales devraient être accordées lorsque la nature de la violation et l’intention du législateur le justifient. Cependant, si les circonstances ne se prêtent pas à l’octroi de réparations adaptées, il se peut que les réparations empiètent sur la sphère législative. Pour respecter les rôles différents des tribunaux et des législateurs, le choix d’annuler une loi dans sa totalité ou d’accorder une réparation adaptée en donnant à cette loi une interprétation large, une interprétation atténuée ou en retranchant une de ses dispositions dépend de la réponse à la question de savoir si l’intention du législateur était telle qu’il aurait adopté la loi telle que l’a modifiée la cour.
                    Lorsqu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat est susceptible de porter atteinte à un intérêt qui revêt une importance si grande que, tout bien considéré, les avantages qu’il y a à suspendre l’effet de cette déclaration l’emportent sur les inconvénients du maintien d’une loi inconstitutionnelle, le tribunal peut suspendre l’effet de la déclaration. Le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité découle de la prise en compte de considérations constitutionnelles générales, et ce pouvoir est compris dans celui de déclarer une loi invalide. L’effet de déclarations d’invalidité devrait être suspendu en de rares cas; l’effet d’une déclaration ne devrait pas être suspendu à moins que le gouvernement ne démontre qu’une déclaration avec effet immédiat menacerait un intérêt public impérieux qui l’emporte sur l’importance de se conformer immédiatement à la Constitution et sur une réparation qui s’appliquerait immédiatement aux personnes dont les droits garantis par la Charte seront violés. Lorsqu’une telle mesure est justifiée, la période de suspension devrait être suffisamment longue pour donner au législateur le temps dont il a besoin pour s’acquitter avec diligence et efficacité de l’obligation qui lui incombe, tout en reconnaissant que chaque jour additionnel pendant lequel les droits sont violés constitue un contrepoids important à l’octroi de temps supplémentaire au législateur.
                    Lorsque l’effet d’une déclaration d’invalidité est suspendu, il sera souvent convenable et juste d’accorder une réparation individuelle au demandeur en vertu du par. 24(1) de la Charte sous forme d’exemption individuelle de la suspension. Une réparation fondée sur le par. 24(1) devrait permettre de défendre utilement le droit du demandeur, respecter la séparation des pouvoirs, mettre à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal, être équitable pour la partie visée par la réparation et permettre au par. 24(1) d’évoluer de manière à relever les défis de chaque cas. La manière dont le tribunal aborde les réparations accordées sur le fondement du par. 24(1) doit rester souple et prendre en considération les besoins en cause. On sert bien le public en encourageant le recours aux tribunaux qui favorise l’intérêt public en mettant au jour l’inconstitutionnalité d’une loi, et les demandeurs consacrent du temps et des ressources pour intenter des actions dans l’intérêt public. Par conséquent, si, à tous autres égards, une exemption constitue une réparation convenable et juste, les demandeurs devraient être exemptés des suspensions s’il n’existe aucun motif impérieux de ne pas leur accorder une telle réparation.
                    Dans la présente affaire, la déclaration d’invalidité a, à juste titre, été limitée aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération inconditionnelle. Il convenait manifestement d’accorder une réparation adaptée en l’espèce, car l’octroi d’une telle réparation permet de mieux protéger l’intérêt qu’a le public dans des lois adoptées pour son bénéfice, comme la Loi Christopher, et de mieux respecter le rôle du législateur tout en protégeant aussi les droits garantis par la Charte et en défendant l’intérêt du public à ce que les lois soient conformes à la Constitution.
                    La déclaration d’invalidité a également été suspendue à juste titre pendant une période de 12 mois. Bien que le libellé du par. 52(1) et la nécessité de protéger les droits garantis par la Charte et de veiller à ce que toutes les lois soient conformes à la Constitution militent fortement en faveur d’une déclaration avec effet immédiat, ces éléments doivent être mis en balance avec la protection de l’intérêt qu’a le public dans des lois adoptées pour son bénéfice. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature et de la portée des violations continues des droits, ainsi que du fait qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat pourrait compromettre un intérêt public en particulier.
                    En l’espèce, la sécurité du public a été identifiée comme étant l’intérêt public qui justifie une suspension. Statistiquement parlant, les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux risquent davantage de contrevenir à la loi que la population générale. Une déclaration avec effet immédiat menacerait donc, dans une certaine mesure, l’intérêt qu’a le public d’être protégé. Le registre contribue à la sécurité du public en accroissant la capacité des corps de police de prévenir les infractions sexuelles et d’enquêter sur celles‑ci. Le fait de dispenser immédiatement les personnes qui risquent de commettre des infractions sexuelles de l’obligation de se présenter devant les autorités et de leur permettre de solliciter le retrait des renseignements les concernant du registre pourrait diminuer cette capacité accrue. La menace qui pèse sur le public est donc sérieuse. Toutefois, cette menace est limitée puisque des libérations inconditionnelles ne sont pas accordées aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui présentent manifestement le risque le plus élevé de récidive. L’autre intérêt public en jeu est le respect du législateur : une déclaration d’invalidité avec effet immédiat risque de compromettre la capacité du législateur de s’acquitter de son rôle et de limiter l’efficacité de toute nouvelle version de la Loi Christopher qui sera un jour adoptée. Ces considérations sont contrebalancées par l’importance de la violation des droits qui persisterait temporairement si l’effet de la déclaration d’invalidité était suspendu : les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux continuent de faire l’objet de stéréotypes méprisants qui leur sont imposés par la Loi Christopher, et ce, sans qu’il soit donné aux autorités l’occasion de déterminer si elles posent un risque suffisant. Tout bien considéré, la combinaison de ces deux intérêts justifie que l’on prive temporairement les personnes touchées de l’avantage que procure immédiatement la déclaration.
                    Enfin, l’exercice par la Cour d’appel de son pouvoir discrétionnaire afin d’accorder une exemption individuelle de la suspension à G commande une certaine retenue. Depuis sa remise en liberté il y a 17 ans, G n’a rien à se reprocher et rien n’indique qu’il présente un risque pour la sécurité du public. Une exemption fait en sorte que G bénéficie d’une réparation efficace et qu’il n’est pas privé de l’avantage d’avoir eu gain de cause sur le fond de ses contestations constitutionnelles.
                    Le juge Rowe : Le pourvoi doit être rejeté. Il y a accord avec les juges Côté et Brown en ce qui concerne le par. 15(1) de la Charte et la démarche générale qu’ils proposent lorsqu’il s’agit d’accorder, en vertu du par. 24(1), une exemption individuelle de la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité prononcée au titre du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, il y a désaccord en ce qui a trait à la méthode qu’il convient d’employer pour suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité en vertu du par. 52(1). L’approche suivie par la Cour dans l’arrêt Schachter est celle qui devrait être confirmée.
                    L’approche dite du pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes qu’ont adoptée les juges majoritaires quant à la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité est mal structurée sur le plan analytique, et les quatre principes qui en découlent sont tellement vagues et évidents qu’ils n’offrent aucune ligne directrice utile. Cette approche axée sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pourrait contribuer à maintenir la tendance actuelle, selon laquelle on suspend l’effet de déclarations d’invalidité de façon totalement arbitraire. Il n’y a aucune raison légitime d’intégrer, par voie d’interprétation, un pouvoir de réparation au par. 52(1). L’absence de pouvoir discrétionnaire en matière de réparation au par. 52(1) n’est pas attribuable à un oubli, et la compétence inhérente du tribunal ne constitue pas un fondement juridique valable ou suffisant pour écarter l’effet immédiat du par. 52(1). La seule condition à laquelle un tribunal peut ordonner l’application d’une loi inconstitutionnelle nonobstant son illégalité est que la déclarer telle sur‑le‑champ irait à l’encontre d’un autre principe constitutionnel.
                    L’arrêt Schachter repose sur l’idée que la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité est exceptionnelle et ne devrait être prononcée que dans l’un ou l’autre des cas suivants : (1) la déclaration d’invalidité avec effet immédiat serait susceptible de présenter un danger pour le public; (2) la déclaration menacerait d’une autre manière la primauté du droit; (3) la loi contestée a une portée trop limitative et le tribunal n’est pas en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause sur l’opportunité de l’annuler ou d’accorder des avantages à un groupe non visé par la loi. Ces catégories illustrent les circonstances dans lesquelles des principes constitutionnels faisant contrepoids constituent une raison valable de suspendre la déclaration d’invalidité avec effet immédiat. Bien qu’elles ne soient pas exhaustives, il n’y a lieu d’élargir les catégories établies dans l’arrêt Schachter que si une déclaration d’invalidité avec effet immédiat enfreignait un principe constitutionnel.
                    En l’espèce, l’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendu pour des raisons de sécurité publique. Toutefois, comme la suspension de 12 mois de la déclaration d’invalidité décrétée par la Cour d’appel est venue à expiration, la question est désormais théorique, tout comme celle de l’ordonnance d’exemption individuelle à l’égard de G. Par conséquent, il n’y a pas lieu de décider si l’effet de la déclaration a été suspendu à bon droit, ou si l’exemption individuelle a été accordée à bon droit en l’espèce.
                    Les juges Côté et Brown (dissidents en partie) : Il y a accord avec la conclusion des juges majoritaires suivant laquelle la Loi Christopher porte atteinte au droit à l’égalité de traitement que le par. 15(1) de la Charte reconnaît à G, et suivant laquelle l’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendu à bon droit pendant une période de 12 mois. Toutefois, la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité ne devrait être justifiée que s’il existe une menace à la primauté du droit qui se manifesterait autrement, en l’espèce, sous la forme d’un danger pour la sécurité publique. Compte tenu du rôle limité du pouvoir judiciaire vis‑à‑vis le pouvoir législatif, une exemption individuelle de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité ne devrait pas être accordée. Le pourvoi devrait donc être accueilli en partie.
                    Il est facile de trancher la question du par. 15(1). La Loi Christopher établit une distinction entre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et les personnes reconnues coupables. Cette distinction accentue un désavantage préexistant en perpétuant le stéréotype selon lequel les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses. Les personnes déclarées coupables d’infractions d’ordre sexuel disposent de plusieurs voies de sortie qui leur permettent d’être dispensées de l’obligation de se conformer à la Loi Christopher, mais les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux n’y ont pas accès, même lorsque la Commission ontarienne d’examen a jugé qu’elles ne représentaient plus un risque important pour la sécurité du public et qu’elle leur a accordé une libération inconditionnelle. Ceci constitue une différence de traitement fondée sur un motif énuméré : la déficience mentale. La réparation appropriée consiste à exiger de la législature qu’elle offre aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, qui ont été libérées inconditionnellement, la possibilité de bénéficier d’une exemption et d’être retirées du registre prévu par la Loi Christopher.
                    Il y a trois principales raisons pour lesquelles une suspension de l’effet de déclarations d’invalidité est justifiée uniquement lorsque la primauté du droit est menacée. Tout d’abord, c’est le scénario qu’envisageait la Cour lorsqu’elle a exercé pour la première fois le pouvoir de prononcer la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721. La Cour a, dans le Renvoi relatif au Manitoba, rigoureusement limité le recours à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité aux situations dans lesquelles il est nécessaire d’y recourir afin de préserver la primauté du droit en situation d’urgence, lorsqu’il est impossible d’observer les droits constitutionnels. Mais depuis le Renvoi relatif au Manitoba, la Cour s’est égarée et a eu recours à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité presque automatiquement, souvent sans justifier sa décision ni se soucier de la primauté du droit.
                    Deuxièmement, la Constitution prévoit que la règle est le prononcé d’une déclaration avec effet immédiat, sous réserve uniquement d’une préoccupation quant à la primauté du droit. Dès lors qu’une loi est jugée incompatible avec la Constitution, le par. 52(1) limite le rôle des tribunaux à déclarer une loi inopérante. Bien que la Constitution ne permette pas expressément aux tribunaux de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, elle offre effectivement au Parlement et aux législatures provinciales la possibilité de le faire dans certains cas prévus au par. 33(1). Ainsi, les tribunaux doivent faire preuve de discernement et de circonspection et se fonder sur des principes lorsqu’ils exercent le pouvoir d’origine prétorienne de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité. Les tribunaux ne sont autorisés à écarter temporairement les droits reconnus par la Charte par l’application de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité que lorsque cela est nécessaire afin de préserver la primauté du droit et pour en assurer le maintien. En pareil cas, les tribunaux n’exercent pas de façon illégitime un rôle législatif, comme ils le feraient autrement en suspendant l’effet d’une déclaration d’invalidité, mais bien un rôle judiciaire.
                    Troisièmement, les enseignements tirés des jugements qui ont été rendus dans la foulée de l’arrêt Schachter démontrent pourquoi il est essentiel de limiter le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Il est impératif que les tribunaux fassent preuve de retenue, parce qu’ils risquent d’outrepasser les limites de leurs compétence et capacité institutionnelles et d’empiéter sur la fonction du législateur en suspendant l’effet d’une déclaration. De plus, les tribunaux sont mal outillés pour déterminer le délai pendant lequel l’effet d’une déclaration d’invalidité devrait être suspendu. Qui plus est, en permettant à une loi inconstitutionnelle de rester en vigueur, on refuse non seulement au demandeur qui a obtenu gain de cause la réparation immédiate à laquelle il a expressément droit en vertu du par. 52(1), mais on permet à cette loi qui a été invalidée de continuer à causer un préjudice. Enfin, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est susceptible d’aggraver un désavantage préexistant et de dissuader dès le départ les titulaires de droits de présenter des demandes fondées sur la Charte.
                    Lorsqu’utilisée de manière inappropriée, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité risque de miner de deux façons la primauté du droit qu’elle était censée protéger : elle peut créer de l’incertitude dans le droit pendant la période de suspension; et est susceptible d’atténuer les conséquences auxquelles s’expose le législateur qui a édicté une loi qui viole la Charte, ce qui, à son tour, réduit les incitatifs à respecter les droits lorsqu’il légifère.
                    Prononcer une déclaration d’invalidité avec effet immédiat en l’espèce constituerait une menace à la sécurité publique et, par conséquent, à la primauté du droit, puisque cela signifierait que le registre des délinquants sexuels prévu par la Loi Christopher ne s’appliquerait pas à l’ensemble des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui se sont vu accorder une libération inconditionnelle par la Commission ontarienne d’examen. Quoique la Loi Christopher s’applique vraisemblablement aux personnes qui ne présentent pas un risque élevé de récidive, elle vise aussi de nombreuses personnes qui présentent un tel risque. Plus important encore, il faut se rappeler que le risque de récidive est celui de commettre des infractions d’ordre sexuel, des crimes violents qui causent un tort immense aux membres les plus vulnérables de la société. Étant donné qu’elle retirerait du registre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui sont potentiellement dangereuses, une déclaration d’invalidité avec effet immédiat créerait une faille dans le régime qui présenterait incontestablement un danger pour le public et, partant, une menace à la primauté du droit.
                    Si une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité doit rarement être accordée, une exemption individuelle de cette suspension ne doit l’être que dans des cas rarissimes. Il y a désaccord avec les juges majoritaires qui estiment que les juges sont bien placés pour effectuer une évaluation individualisée en vue de décider si une exemption compromettrait la sécurité du public. En réalité, pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une exemption individuelle, il est utile de se poser la question de savoir s’il est nécessaire d’accorder une exemption pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits que la Charte est censée protéger au cours de la suspension. Les arguments fondés sur l’existence d’un préjudice irréparable doivent être convaincants au point de surmonter l’importante nécessité de laisser au législateur le soin de décider comment il convient de redresser une violation de la Constitution.
                    Même si G a démontré qu’il a droit à la possibilité de bénéficier d’une exemption et d’être retiré du registre, il ne s’agit pas d’un de ces rares cas où une exemption individuelle est justifiée. G ne se verra pas refuser une réparation efficace parce qu’il doit attendre pour l’obtenir et il ne sera pas empêché de saisir la prochaine occasion pour se prévaloir d’une exemption, peu importe la forme qu’elle prendra. En outre, G devra tout au plus se présenter au poste de police une fois de plus pour satisfaire à son obligation de se présenter chaque année aux autorités, ce qui est loin d’un préjudice irréparable. Dans le cas de G, comme dans la plupart des autres, l’élaboration d’une exemption individuelle déborde le cadre de la compétence de la Cour et empiète sur ce qui est une question que doit résoudre le législateur, qui est bien mieux placé pour décider quel est le mécanisme qui convient le mieux pour offrir aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux la possibilité de bénéficier d’une exemption.
                    Accorder une exemption individuelle à G suscite également la crainte d’une iniquité horizontale, c’est‑à‑dire la crainte que G bénéficie d’un traitement plus favorable que celui réservé aux autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable. Dans une affaire constitutionnelle portant sur la validité d’une loi d’application générale, un plaideur ne devrait pas avoir droit à une réparation constitutionnelle meilleure ou plus immédiate que toute autre personne se trouvant dans une situation semblable du seul fait qu’il a intenté l’action.
Jurisprudence
Citée par la juge Karakatsanis
                    Arrêt analysé : Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679; arrêts examinés : R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; arrêts mentionnés : R. c. Dyck, 2008 ONCA 309, 90 O.R. (3d) 409; R. c. Long, 2018 ONCA 282, 45 C.R. (7th) 98; Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), 1999 CanLII 694 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 625; Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497; Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624; Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 522; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513; R. c. Campbell, 2013 BCCA 43, 334 B.C.A.C. 16; R. c. C.C., 2007 ABPC 337, 435 A.R. 215; R. c. Redhead, 2006 ABCA 84, 384 A.R. 206; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199; Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2010 CSC 21, [2010] 1 R.C.S. 722; R. c. Ndhlovu, 2020 ABCA 307, inf. 2016 ABQB 595, 44 Alta. L.R. (6th) 382; Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, 1997 CanLII 17020 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 157; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), 1991 CanLII 60 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 69; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 110; Harper c. Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, [2000] 2 R.C.S. 764; Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Marbury c. Madison, 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803); R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; R. c. Barabash, 2015 CSC 29, [2015] 2 R.C.S. 522; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754; R. c. Rajaratnam, 2019 BCCA 209, 376 C.C.C. (3d) 181; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Ramsden c. Peterborough (Ville), 1993 CanLII 60 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 1084; R. c. Généreux, 1992 CanLII 117 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 259; Attorney‑General c. Taylor, [2018] NZSC 104, [2019] 1 N.Z.L.R. 213; Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, 1947 CanLII 347 (UK JCPC), [1947] A.C. 503; R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1102; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 358; Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418; R. c. Laba, 1994 CanLII 41 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 965; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Morales, 1992 CanLII 53 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 711; R. c. Hess, 1990 CanLII 89 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 906; Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, 1984 CanLII 32 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 66; R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), 1998 CanLII 829 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 877; Libman c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 326 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 569; R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761; Sauvé c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 92 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 438; Kourtessis c. M.R.N., 1993 CanLII 137 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 53; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731; R. c. Bain, 1992 CanLII 111 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 91; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154; R. c. Sit, 1991 CanLII 34 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 124; R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577; Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1991 CanLII 12 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 22; Comité pour la République du Canada c. Canada, 1991 CanLII 119 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 139; R. c. Arkell, 1990 CanLII 82 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 695; R. c. Martineau, 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, 1990 CanLII 121 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 232; Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1326; Black c. Law Society of Alberta, 1989 CanLII 132 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 591; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712; Devine c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 20 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 790; Corporation professionnelle des médecins du Québec c. Thibault, 1988 CanLII 32 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1033; R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30; R. c. Smith (Edward Dewey), 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342; Koo Sze Yiu c. Chief Executive of the HKSAR, [2006] 3 H.K.L.R.D. 455; Air Canada c. Colombie‑Britannique, 1989 CanLII 95 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1161; R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207; Coetzee c. Government of the Republic of South Africa, [1995] ZACC 7, 1995 (4) S.A. 631; BVerfG, 2 BvC 62/14, Decision of January 29, 2019 (Germany); Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 14; Harper c. Virginia Department of Taxation, 509 U.S. 86 (1993); Reynoldsville Casket Co. c. Hyde, 514 U.S. 749 (1995); Thorson c. Procureur général du Canada, 1974 CanLII 6 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 138; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CanLII 116 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 236; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; R. c. Debidin, 2008 ONCA 868, 94 O.R. (3d) 421.
Citée par le juge Rowe
                    Arrêt appliqué : Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679; arrêt examiné : Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; arrêts mentionnés : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293; R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342; Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933; R. c. Morales, 1992 CanLII 53 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 711; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Ontario (Procureur général) c. G, 2019 CSC 36.
Citée par les juges Côté et Brown (dissidents en partie)
                    Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602; Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429; Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), 1998 CanLII 829 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 877; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624; Libman c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 326 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 569; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 358; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199; R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761; Sauvé c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 92 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 438; Ramsden c. Peterborough (Ville), 1993 CanLII 60 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 1084; Baron c. Canada, 1993 CanLII 154 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 416; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121; B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1988 CanLII 3 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 214; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; Attorney General of the Republic c. Mustafa Ibrahim, [1964] Cyprus Law Reports 195; Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1991 CanLII 12 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 22; Northern Pipeline Construction Co. c. Marathon Pipe Line Co., 458 U.S. 50 (1982); R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30; Saumur c. City of Quebec, 1953 CanLII 3 (SCC), [1953] 2 R.C.S. 299; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Renvoi relatif à la Loi anti‑inflation, 1976 CanLII 16 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 373; Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 13; Scott c. Scott, [1913] A.C. 417; R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933; Ferguson c. Regional Mental Health Care St. Thomas, 2010 ONCA 810, 271 O.A.C. 104; Kassa (Re), 2019 ONCA 313; R. c. Friesen, 2020 CSC 9; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; R. c. Peckham (1994), 1994 CanLII 3445 (ON CA), 93 C.C.C. (3d) 443; R. c. Redhead, 2006 ABCA 84, 384 A.R. 206; R. c. R.L., 2007 ONCA 347; R. c. Debidin, 2008 ONCA 868, 94 O.R. (3d) 421; Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, préambule, art. 1, 2, 3, 4, 7 à 15, 24(1), (2), 32(1), 33.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 16(1), 490.012(4) [aj. 2004, c. 10, s. 20], 490.016(1), 490.023(2), partie XX.1, 672.1(1) 672.34, 672.35, 672.47, 672.54, 672.55, 672.81, 730, 748.
Constitution de l’Afrique du Sud, art. 172(1)(a), (b).
Human Rights Act 1998 (R.‑U.), 1998, c. 42, art. 4(4), (6).
Loi constitutionnelle de 1867, préambule, art. 17, 40, 48, 55, 91 à 95.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 44, 45, 52(1).
Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2000, c. 1, art. 1(1) « délinquant », « réhabilitation », 2, 3, 4(2), 7(1)(a), (b), (c), (4), 8(1)(c), 9.1, 10(2), (3), 11.
Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, Règl. de l’Ont. 69/01, art. 1.2, 2.
Loi de 2011 modifiant la Loi Christopher sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2011, c. 8, art. 1(1), 6.
Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels, L.C. 2010, c. 17, art. 5.
Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, c. 10.
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, c. C‑47, art. 4, 4.1.
Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15, art. 41(1.1), (1.2).
Projet de loi C‑16, Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, 3e sess., 37e lég., 2004, art. 20.
Scotland Act, 1998 (U.K.), 1998, c. 46, art. 102(2), (3).
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Doherty, van Rensburg et Hourigan), 2019 ONCA 264, 432 C.R.R. (2d) 97, 145 O.R. (3d) 161, 374 C.C.C. (3d) 55, 54 C.R. (7th) 120, [2019] O.J. No. 1683 (QL), 2019 CarswellOnt 4915 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Lederer, 2017 ONSC 6713, 401 C.R.R. (2d) 297, [2017] O.J. No. 6355 (QL), 2017 CarswellOnt 19307 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Côté et Brown sont dissidents en partie.
                    S. Zachary Green, pour l’appelant.
                    Marshall A. Swadron, Joanna H. Weiss et Arooba Shakeel, pour l’intimé.
                    Marc Ribeiro et John Provart, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Jill R. Presser et Shakir Rahim, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                    Anita Szigeti, Andrew Menchynski, Ruby Dhand et Meaghan McMahon, pour l’intervenant Empowerment Council.
                    Erin Dann et Michelle Psutka, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
                    Cheryl Milne, pour l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights.
                    Adam Goldenberg et Ljiljana Stanić, pour l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale, Ontario.
 
Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer rendu par
 
                    La juge Karakatsanis —
I.               Introduction
[1]                              Les personnes souffrant de troubles mentaux font l’objet d’une stigmatisation continuelle et d’un traitement préjudiciable dans la société canadienne, de sorte qu’elles sont grandement et largement défavorisées sur les plans social, politique et juridique. Plus particulièrement, il subsiste à leur égard des perceptions discriminatoires suivant lesquelles elles sont en soi dangereuses et elles présenteront toujours un danger. Ces perceptions ont d’ailleurs servi à justifier certains des traitements les plus injustes que subissent ces personnes. Comme le démontre la présente affaire, de telles perceptions discriminatoires se manifestent encore à l’occasion dans les textes législatifs.
[2]                              L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés empêche que ce type de discrimination se voit conférer force de loi. Dans le présent pourvoi, notre Cour est appelée à appliquer la garantie d’égalité à la manière dont sont traitées les personnes qui sont déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles par le régime d’enregistrement des délinquants sexuels de l’Ontario. Le présent pourvoi donne également à notre Cour l’occasion d’établir un ensemble cohérent de principes qui s’appliqueront à l’octroi de réparations lorsque des textes législatifs violent la Charte.
[3]                              En Ontario, la Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2000, c. 1 (Loi Christopher), exige des personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qu’elles se présentent en personne à un poste de police pour fournir leurs renseignements personnels afin que ceux‑ci soient consignés au registre des délinquants sexuels de la province. Elles doivent continuer de se présenter en personne devant les autorités au moins une fois par année pour mettre leurs renseignements à jour. De plus, elles doivent se présenter devant les autorités chaque fois que certains de leurs renseignements changent. Même lorsqu’elles ne sont plus tenues de se présenter devant les autorités ou qu’elles décèdent, les renseignements qui ont été recueillis à leur sujet sont conservés dans le registre.
[4]                              Les personnes déclarées coupables d’une infraction d’ordre sexuel peuvent être dispensées au départ de l’obligation de se présenter devant les autorités si elles reçoivent une absolution en vertu de l’art. 730 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Elles peuvent également être retirées du registre lorsqu’elles reçoivent un pardon absolu et être dispensées de l’obligation de continuer de se présenter devant les autorités lorsqu’elles obtiennent un pardon absolu ou la suspension de leur casier judiciaire. Il existe donc certaines possibilités, après une évaluation individuelle, d’être exempté du registre des délinquants sexuels. À l’inverse, toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux doivent, sans exception, se présenter devant les autorités après avoir été libérées par une commission d’examen provinciale ou un tribunal. De plus, elles ne peuvent jamais être retirées du registre et ne peuvent jamais être dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités, et ce, même si elles ont obtenu une libération d’une commission d’examen.
[5]                              G, l’intimé, a été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard de deux infractions sexuelles et a par la suite été libéré inconditionnellement par la Commission ontarienne d’examen (Commission). Depuis la perpétration de ces infractions il y a 19 ans, G n’a rien à se reprocher. Toutefois, tel que la Loi Christopher est actuellement rédigée, G sera tenu de se présenter devant les autorités et sera un « délinquant sexuel » enregistré jusqu’à la fin de sa vie. De plus, ses renseignements seront conservés dans le registre même après son décès, et il n’a aucune possibilité de faire retirer son nom du registre.
[6]                              À mon avis, la Loi Christopher crée des distinctions discriminatoires entre les personnes déclarées coupables et les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles sur le fondement de leur déficience mentale, ce qui va à l’encontre du par. 15(1) de la Charte. Ces distinctions discriminatoires ne peuvent se justifier dans une société libre et démocratique. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer les ordonnances de la Cour d’appel portant que la Loi Christopher est inopérante à l’égard des personnes jugées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui obtiennent une libération inconditionnelle, que l’effet de la déclaration d’invalidité doit être suspendu pendant une période de 12 mois, et qu’il faut exempter G de cette suspension en le dispensant de l’obligation de continuer de se conformer à la Loi et en ordonnant que ses renseignements soient supprimés du registre sur‑le‑champ.
II.            Contexte
[7]                              En septembre 2001, G a eu son premier et seul épisode maniaque. Un mois plus tard, il a été accusé de deux chefs d’agression sexuelle sur son épouse de l’époque, d’un chef de séquestration de cette dernière et d’un chef de harcèlement. Les deux incidents à l’origine des accusations découlent de cet épisode maniaque.
[8]                              En juin 2002, G a été déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Lorsque G a comparu devant la Commission en juillet 2002, il a obtenu une libération conditionnelle. En août 2003, la Commission a ordonné qu’il soit libéré inconditionnellement au motif qu’il [traduction] « n’existe tout simplement pas de preuve permettant de conclure que [G] représente un risque important pour la sécurité du public » (2017 ONSC 6713, 401 C.R.R. (2d) 297, par. 17). G ne s’est livré à aucune activité criminelle depuis sa libération inconditionnelle il y a environ 17 ans. Il suit un traitement et ses symptômes ont complètement disparu. Il garde un emploi stable et a des relations de soutien solides avec les membres de sa famille.
[9]                              G a été inscrit au registre provincial des délinquants sexuels en août 2004 et au registre fédéral en janvier 2005. Depuis, G s’est toujours acquitté de ses obligations de se présenter devant les autorités. Il s’est présenté en personne devant les autorités chaque année comme l’exige la Loi Christopher et a respecté les autres obligations qui lui sont imposées, au niveau fédéral, par la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, c. 10 (LERDS).
[10]                          G a introduit une requête afin de contester l’applicabilité de la Loi Christopher (et du registre fédéral, qui n’est pas en litige en l’espèce) aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération inconditionnelle en vertu de la partie XX.1 du Code criminel à l’égard d’infractions qui ont donné lieu à leur inscription au registre. D’après lui, le fait que les personnes dans sa situation ne puissent pas obtenir d’exemption ou être retirées du registre viole l’art. 7 et le par. 15(1) de la Charte. La requête de G a été rejetée en première instance, mais son appel a été accueilli en partie.
A.           Cour supérieure de justice de l’Ontario (2017 ONSC 6713, 401 C.R.R. (2d) 297) (le juge Lederer)
[11]                          S’appuyant sur la déposition du témoin expert du gouvernement, le juge de première instance a statué que, bien qu’il soit impossible de prédire avec certitude le risque de récidive à l’aide de données actuarielles, le risque de récidive d’une personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux n’est pas moins élevé que celui d’une personne déclarée coupable. Il a conclu que, du point de vue de l’évaluation du risque, il importe peu qu’une déclaration de culpabilité ou un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux soit prononcé à l’égard d’une infraction sexuelle, car les taux de récidive criminelle des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux sont beaucoup plus élevés que les taux de perpétration d’une première infraction chez les individus n’ayant aucun antécédent judiciaire.
[12]                          En ce qui concerne la réclamation fondée sur l’art. 7, le juge de première instance a reconnu que le droit à la liberté de G est mis en jeu, mais il a rejeté son argument que c’était aussi le cas de son droit à la sécurité de sa personne. S’appuyant sur la conclusion tirée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Dyck, 2008 ONCA 309, 90 O.R. (3d) 409, au par. 106, voulant que les obligations de s’inscrire au registre et de se présenter devant les autorités soient [traduction] « assez minimes », le juge de première instance a conclu que toute privation de liberté est conforme aux principes de justice fondamentale.
[13]                          Le juge de première instance a également conclu à l’absence de violation du par. 15(1). Selon lui, la Loi Christopher ne crée pas, à première vue ou de par son effet, de distinction entre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et les personnes déclarées coupables d’une infraction. Il en est ainsi parce que la distinction entre les personnes déclarées coupables et les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux ne se trouve pas dans la Loi Christopher et parce que l’incidence de la loi est [traduction] « modeste ».
B.            Cour d’appel de l’Ontario (2019 ONCA 264, 145 O.R. (3d) 161) (les juges Doherty, van Rensburg et Hourigan)
[14]                          En appel, le juge Doherty, au nom d’une formation unanime de la Cour d’appel, a confirmé le rejet, par le juge de première instance, de l’argument de G concernant l’art. 7. Il a convenu avec le juge de première instance que la Loi Christopher met en jeu le droit à la liberté de G, mais pas son droit à la sécurité de sa personne. Il a également convenu que la privation de liberté est conforme aux principes de justice fondamentale en s’appuyant sur les décisions antérieures de la Cour d’appel dans Dyck et R. c. Long, 2018 ONCA 282, 45 C.R. (7th) 98.
[15]                          Cependant, le juge Doherty a accueilli l’appel en se fondant sur la demande de G concernant le par. 15(1). Il a statué que la Loi Christopher, de par ses effets, crée des distinctions entre les personnes déclarées coupables et les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux du fait de leur déficience. Le juge Doherty a expliqué que les personnes déclarées coupables ont accès à des mécanismes qui leur permettent d’éviter de s’inscrire initialement au registre, d’être dispensées des obligations de se présenter devant les autorités, ou d’être retirées du registre. Les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux n’ont pas accès à de telles [traduction] « voies de sortie », et ce, même après avoir obtenu une libération inconditionnelle. Le juge Doherty a conclu que ces distinctions sont discriminatoires, car elles alimentent le stéréotype selon lequel les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux sont en soi dangereuses et présenteront toujours un danger.
[16]                          Citant l’arrêt Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), 1999 CanLII 694 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 625, le juge Doherty a également conclu que la Loi porte atteinte au droit que confère le par. 15(1) aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui obtiennent une libération inconditionnelle parce qu’elle ne leur procure pas un traitement individuel. À son avis, l’égalité réelle commande que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui bénéficient d’une libération inconditionnelle aient l’occasion d’être soumises à une évaluation individuelle avant de devoir se conformer aux obligations concernant le registre.
[17]                          Puisque la Loi ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits à l’égalité, le juge Doherty a conclu que les violations du par. 15(1) ne sont pas justifiées au regard de l’article premier. Rien ne prouvait que l’objectif de sécurité publique visé par la Loi Christopher serait miné si des dispenses étaient également accordées aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération inconditionnelle. Le juge Doherty a en effet mentionné que des dispenses sont déjà accordées aux personnes déclarées coupables sans que cet objectif ne semble mis à mal.
[18]                          En ce qui a trait à la réparation, le juge Doherty a suspendu pour 12 mois l’effet de la déclaration d’invalidité afin de permettre à la législature d’arrêter les mesures qui s’imposent. Toutefois, il a exempté G de cette suspension en ordonnant qu’il soit immédiatement retiré du registre et qu’il soit dispensé des obligations qui lui incombent à l’égard de celui‑ci. Le juge Doherty est parvenu aux mêmes conclusions en ce qui a trait au régime fédéral régissant les délinquants sexuels créé par la LERDS; le procureur général du Canada n’a pas porté la décision en appel.
III.         Questions en litige
[19]                          Le procureur général de l’Ontario interjette appel de l’ordonnance déclarant la Loi Christopher inopérante à l’endroit des personnes jugées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération inconditionnelle, ainsi que de l’ordonnance selon laquelle G doit être immédiatement retiré du registre et dispensé des obligations qui lui incombent à l’égard de celui‑ci.
[20]                          La présente affaire soulève les questions suivantes, lesquelles visent à établir si le régime d’enregistrement des délinquants sexuels porte atteinte aux droits des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux :
A.      La Loi Christopher viole‑t‑elle le par. 15(1)?
B.        Dans l’affirmative, la Loi Christopher se justifie‑t‑elle en tant que limite raisonnable au regard de l’article premier de la Charte?
C.        La Loi Christopher viole‑t‑elle l’art. 7?
D.      Quelle est la réparation appropriée? L’effet de la déclaration d’invalidité a‑t‑il été suspendu à juste titre pendant une certaine période? Dans l’affirmative, G a‑t‑il obtenu à bon droit une exemption individuelle de cette suspension?
[21]                          Je commencerai par exposer les aspects pertinents de la Loi Christopher et de la partie XX.1 du Code criminel, puis j’examinerai les questions qui sont en litige dans le présent pourvoi.
IV.         Loi Christopher
[22]                          La Loi Christopher établit un registre où figurent notamment le nom, la date de naissance, l’adresse, les numéros de téléphone personnel et professionnel, le nom de l’employeur, la description et la photographie des résidents de l’Ontario qui ont été déclarés coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’une infraction sexuelle, ainsi que l’infraction sexuelle en cause (art. 2; Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, Règl. de l’Ont. 69/01 (Règlement de la Loi Christopher), art. 2).
[23]                          La Loi Christopher impose trois fardeaux distincts aux délinquants. Premièrement, les délinquants sont tenus de se présenter pour la première fois devant les autorités et cette obligation s’applique, de façon générale, dès qu’ils sont mis en liberté dans la société. Deuxièmement, les délinquants sont tenus de continuer de se présenter devant les autorités au moins une fois par année et dans les sept jours suivant un changement précis de leur situation, comme un changement d’adresse ou de nom. Troisièmement, les renseignements sur les délinquants sont conservés dans le registre et ne peuvent être supprimés que lorsque les personnes enregistrées obtiennent un pardon absolu (art. 9.1; Règlement de la Loi Christopher, par. 2(3)). Ces fardeaux sont expliqués plus en détail ci‑après.
[24]                          Les délinquants doivent se rendre en personne à un poste de police ou à un autre lieu désigné pour s’acquitter de leurs obligations de se présenter devant les autorités dans les sept jours suivants leur mise en liberté, leur mise en liberté conditionnelle ou leur libération inconditionnelle ou sous conditions après qu’ils ont été déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, et après qu’ils sont devenus des résidents de l’Ontario (par. 3(1); Règlement de la Loi Christopher, art. 1.2). La première fois qu’ils se présentent à un poste de police, il faut entre 45 et 60 minutes pour procéder à leur inscription au registre.
[25]                          Les délinquants doivent se présenter devant les autorités au moins une fois par année pour s’acquitter de leurs obligations continues (al. 3(1)f) et 3(1)g)). Ils sont tenus de fournir un grand nombre de renseignements énoncés dans le Règlement, tels que leur nom et leurs pseudonymes actuels et antérieurs, leur adresse, leurs numéros de téléphone personnel et professionnel, le nom de leur employeur, leur photographie, leur description physique, le numéro de leur permis de conduire, le numéro de leur plaque d’immatriculation, les caractéristiques du véhicule qu’ils utilisent régulièrement, et les établissements d’enseignement où ils sont inscrits (par. 3(2); Règlement de la Loi Christopher, art. 2). Il leur faut entre 30 et 60 minutes pour s’acquitter de ces obligations annuelles. Les délinquants doivent également se présenter devant les autorités chaque fois qu’ils changent d’adresse ou de nom et qu’ils deviennent ou cessent d’être des résidents de l’Ontario.
[26]                          Les délinquants sont tenus de se présenter devant les autorités pendant une période de 10 ans si la peine maximale prévue pour l’infraction sexuelle dont ils ont été déclarés coupables ou déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux ne dépasse pas 10 ans (al. 7(1)a)). Ils sont tenus de se présenter devant les autorités pendant le reste de leur vie si la peine maximale prévue dépasse 10 ans ou s’ils ont été déclarés coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux de plus d’une infraction sexuelle (al. 7(1)b) et c)).
[27]                          Les personnes qui obtiennent une absolution sous conditions ou une absolution inconditionnelle en vertu de l’art. 730 du Code criminel ne sont pas tenues de se présenter devant les autorités, car elles sont réputées ne pas avoir été condamnées à l’égard de l’infraction aux termes du par. 730(3), et seules les personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sont visées par l’art. 3 de la Loi Christopher.
[28]                          Selon le par. 7(4) de la Loi Christopher, le délinquant n’est plus tenu de se présenter devant les autorités lorsqu’il obtient un pardon absolu ou une suspension de son casier judiciaire. Lorsqu’un pardon absolu est accordé à une personne, celle‑ci est par la suite réputée n’avoir jamais commis l’infraction dont elle avait été déclarée coupable (Code criminel, par. 748(3)). Un pardon absolu peut être accordé en vertu de la prérogative royale de clémence ou de l’art. 748 du Code criminel. Historiquement, la prérogative de clémence et le pardon absolu — l’une des réparations que l’on peut octroyer au titre de cette prérogative — étaient exercés pour corriger des déclarations de culpabilité injustifiées et pour faire montre de compassion en améliorant les répercussions qu’ont les déclarations de culpabilité (Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621, par. 28; G. T. Trotter, « Justice, Politics and the Royal Prerogative of Mercy: Examining the Self‑Defence Review » (2001), 26 Queen’s L.J. 339). La Commission nationale des libérations conditionnelles accorde une suspension du casier aux personnes qui ont été déclarées coupables d’une infraction. La bonne conduite du délinquant depuis la fin de sa peine d’emprisonnement ou de sa période de probation fait partie des circonstances à prendre en compte au moment d’octroyer une suspension du casier judiciaire (Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, c. C‑47, art. 4 et 4.1).
[29]                          Selon l’art. 9.1 de la Loi Christopher, un délinquant est retiré du registre lorsqu’il obtient un pardon absolu. Lorsque G a été inscrit au registre, l’art. 9.1 prévoyait également que les délinquants étaient retirés du registre lorsqu’ils obtenaient ce qu’on appelle maintenant une suspension du casier judiciaire. Aujourd’hui, les personnes dont le casier judiciaire a été suspendu ne sont certes plus tenues de se présenter devant les autorités, mais elles ne sont pas retirées du registre (Loi de 2011 modifiant la Loi Christopher sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2011, c. 8, par. 1(1) et art. 6). Enfin, il n’existe aucun mécanisme permettant de supprimer les renseignements d’un délinquant du registre lorsqu’un appel est accueilli ou que le délinquant décède. La date de son décès est plutôt ajoutée au registre (Règlement de la Loi Christopher, par. 2(1) 10).
[30]                          Les renseignements contenus dans le registre peuvent être divulgués aux corps policiers du Canada ou d’ailleurs aux fins de prévention de la criminalité ou d’application de la loi, et ils peuvent être rendus publics par le chef de police ou la personne que celui‑ci désigne dans certaines circonstances (par. 10(2) et 10(3); Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15, par. 41(1.1) et (1.2)).
[31]                          Fait important, la Loi Christopher exige des corps de police qu’ils fassent des efforts raisonnables pour vérifier l’adresse d’un délinquant au moins une fois par année, notamment en se rendant à son domicile (par. 4(2)). La Loi ne limite pas le nombre de vérifications qui peuvent être effectuées et n’exige pas que les corps de police avertissent les délinquants qu’ils procéderont à une vérification.
[32]                          Les délinquants qui ne se conforment pas à la Loi Christopher sont passibles d’une amende maximale de 25 000 $ ou d’un emprisonnement maximal d’un an pour une première infraction et d’une amende maximale de 25 000 $ ou d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour pour toute infraction subséquente (art. 11).
V.           Partie XX.1 du Code criminel
[33]                          La partie XX.1 du Code criminel instaure le système permettant d’évaluer et de traiter les personnes non responsables criminellement qui ont obtenu un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux en application du par. 16(1) et de l’art. 672.34 (Winko, par. 16). La partie XX.1 prévoit aussi l’établissement de commissions d’examen provinciales, dont le mandat consiste à tenir des audiences afin de déterminer si une libération inconditionnelle ou conditionnelle doit être accordée aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux en vertu de l’art. 672.54[1].
[34]                          Dans l’arrêt Winko, au par. 20, notre Cour a décrit les objets de la partie XX.1, qui établit un régime fondé sur le « double objectif de traiter équitablement [les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux] et d’assurer la sécurité du public » :
                         . . . l’objet de la partie XX.1 vise à remplacer le système établi en common law pour le traitement des personnes qui commettent des infractions alors qu’elles sont atteintes de troubles mentaux par un nouveau régime qui met l’accent sur l’évaluation individuelle et fournit la possibilité de recevoir un traitement approprié. [. . .] [Le verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux] [. . .] entraîne l’évaluation pondérée du risque que peut représenter le contrevenant et la détermination des mesures thérapeutiques qui s’imposent à cet égard. Tout au long du processus, le contrevenant doit être traité avec dignité et jouir du maximum de liberté possible, compte tenu des objectifs de la partie XX.1, qui sont de protéger le public et de traiter équitablement l’accusé non responsable criminellement. [par. 43]
[35]                          Au terme d’une décision ou d’une audience de révision, une commission d’examen peut accorder une libération inconditionnelle ou une libération conditionnelle, ou ordonner la détention de l’accusé dans un hôpital (art. 672.54). Lorsqu’elle rend la décision qui est « nécessaire et indiquée dans les circonstances », la commission d’examen doit prendre en considération la sécurité du public, ainsi que l’état mental de la personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, sa réinsertion sociale et ses autres besoins (art. 672.54). Des conditions relatives à un traitement ne peuvent être incluses dans une décision que si l’accusé y consent (art. 672.55).
[36]                          En général, les audiences visant à arrêter la décision à rendre se tiennent dans les 45 jours suivant un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, et les audiences visant à procéder à la révision d’une décision se tiennent au plus tard 12 mois après la décision ou l’audience de révision la plus récente (art. 672.47 et 672.81).
[37]                          La commission d’examen doit absolument libérer toute personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, sauf si elle conclut, sur la foi de la preuve présentée à l’audience, qu’il y a un « risque important que l’accusé commette une infraction criminelle grave » (Winko, par. 57; voir aussi l’al. 672.54a)). Si la commission d’examen ne peut pas conclure positivement que l’accusé représente un risque important, elle perd alors la compétence dont elle est investie par la partie XX.1 — le droit criminel ne peut légitimement pas restreindre davantage la liberté de l’accusé (Winko, par. 33).
[38]                          Cet impératif constitutionnel, conjugué à l’évaluation individuelle que la commission d’examen doit effectuer au moins une fois par année dans tous les cas, montre que la partie XX.1 rejette le stéréotype « déplorable » selon lequel les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses (Winko, par. 35, 47 et 89). La commission d’examen ne peut supposer qu’il existe un risque; elle doit plutôt conclure positivement à l’existence d’un risque à partir de la preuve dont elle est saisie lorsqu’elle procède à une évaluation individuelle de la situation d’une personne.
VI.         Analyse
A.           La Loi Christopher porte‑t‑elle atteinte aux droits à l’égalité des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux?
(1)         Principes généraux
[39]                          La garantie d’égalité vise un puissant objet réparateur (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 3; voir aussi Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, p. 171). Comme l’a fait remarquer la juge Abella dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, « [à] la base, l’art. 15 résulte d’une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination » (par. 332) — même s’il n’est évidemment pas nécessaire que la discrimination historique soit établie pour que le tribunal conclue qu’une loi enfreint le par. 15(1). La garantie d’égalité vise à prévenir la discrimination envers les groupes victimes de désavantages sociaux, politiques et juridiques dans la société canadienne et à remédier à cette discrimination (R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933, p. 994; voir aussi Eldridge c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 54). Cette garantie exprime un engagement à reconnaître l’essentielle et inaliénable égalité de valeur des personnes par le truchement de la loi (Andrews, p. 171; Eldridge, par. 54). Dans l’arrêt Andrews, la première décision de notre Cour portant sur le droit à l’égalité que confère la Charte, le juge McIntyre a fait observer que la « pire forme d’oppression résulte de mesures discriminatoires ayant force de loi » (p. 172). La garantie d’égalité signifie que les lois discriminatoires n’auront aucune force.
[40]                          La Cour se pose deux questions lorsqu’elle est appelée à décider si une loi enfreint le par. 15(1). Premièrement, la loi contestée crée‑t‑elle, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? Une loi en apparence neutre peut créer indirectement une distinction si elle a un effet préjudiciable sur les membres d’un groupe protégé. Deuxièmement, dans l’affirmative, la loi contestée impose‑t‑elle « un fardeau ou [nie‑t‑elle] un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage », y compris le désavantage « historique » subi? (Voir Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 522, par. 22, citant Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, par. 19‑20, et Québec c. A, par. 323‑324 et 327; voir aussi Québec c. A, par. 332, Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464, par. 25‑28, et Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, par. 27 et 30, la juge Abella.)
[41]                          La première étape — que la loi crée ou non une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue — ne constitue ni une étape de filtrage initial sur le fond, ni « un lourd obstacle visant à écarter certaines demandes pour des motifs techniques » (Québec c. Alliance, par. 26). Son objectif consiste plutôt à faire en sorte que les personnes bénéficiant de la protection du par. 15(1) sont celles qu’il est censé protéger (Alliance, par. 26). Dans les cas où une loi crée une distinction de par son effet, il suffit que cette loi ait un effet disproportionné sur un groupe protégé — il n’est pas nécessaire que cet effet disproportionné ait été causé par le motif protégé (Fraser, par. 70).
[42]                          La deuxième étape consiste à se demander si la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière discriminatoire. Il est important de souligner que le fait que la loi contestée ait créé les désavantages sociaux, politiques et juridiques que subissent les groupes protégés ne change rien, que ce soit à la première ou à la deuxième étape de l’analyse (Centrale des syndicats, par. 32, citant Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493, par. 84 et 97; Fraser, par. 71). Si la loi renforce, perpétue ou accentue le désavantage subi, elle porte atteinte à la garantie d’égalité et donne donc force de loi à la discrimination.
[43]                          Dans les litiges mettant en cause le par. 15(1), la question ultime consiste à déterminer si la loi contestée transgresse la norme fondamentale d’égalité réelle applicable (Québec c. A, par. 325, citant Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, par. 2; Fraser, par. 42; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 14). Selon la norme d’égalité réelle, les deux étapes de l’analyse fondée sur le par. 15(1) doivent être axées sur les répercussions concrètes importantes qu’a la loi contestée sur le demandeur et le ou les groupes protégés auxquels il appartient dans leur situation réelle, ce qui comprend les désavantages sociaux, politiques et juridiques historiques ou actuels. Pour comprendre pourquoi bon nombre des arguments que le procureur général a invoqués devant notre Cour doivent être rejetés, il est nécessaire de reconnaître le rôle qu’a joué le principe de l’égalité réelle dans notre jurisprudence.
[44]                          La conception que se fait notre Cour de l’égalité réelle a évolué en opposition aux approches d’égalité formelle. L’égalité formelle se limite à l’égalité « devant la loi » et considère l’égalité comme un principe qui se réalise par « l’égalité de traitement des individus égaux » (Andrews, p. 165‑168 et 170; Centrale des syndicats, par. 27). Les approches formalistes relatives aux droits à l’égalité consistent à [traduction] « appliquer des règles et des définitions objectives sans égard au contexte » qui ne tiennent pas compte de conditions telles que l’inégalité importante, les effets concrets qu’ont les lois sur les individus et les groupes, et la manière dont les choix des individus sont ancrés dans le contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent (S. McIntyre, « Answering the Siren Call of Abstract Formalism with the Subjects and Verbs of Domination », dans F. Faraday, M. Denike et M. K. Stephenson, dir., Making Equality Rights Real: Securing Substantive Equality under the Charter (2e éd. 2009), 99, p. 105; Fraser, par. 89; Québec c. A, par. 342, citant M. Young, « Unequal to the Task: “Kapp”ing the Substantive Potential of Section 15 », dans S. Rodgers et S. McIntyre, dir., The Supreme Court of Canada and Social Justice: Commitment, Retrenchment or Retreat (2010), 183, p. 190‑191 et 196).
[45]                          Dans l’arrêt Andrews, notre Cour a interprété la garantie d’égalité formulée en termes larges dans la Charte comme un rejet clair du formalisme qui prévalait sous le régime de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44, dont la garantie d’égalité plus limitée avait été rendue inefficace en raison d’une interprétation restrictive (p. 170). Reconnaissant qu’un traitement identique peut engendrer des inégalités et qu’une différence de traitement ne produira pas forcément d’inégalité, notre Cour a souligné à juste titre que la principale considération doit être l’effet de la loi sur les demandeurs ou les groupes concernés (p. 164‑165).
[46]                          Depuis, notre Cour a fait preuve de prudence dans ses décisions en protégeant l’analyse fondée sur le par. 15(1) des incursions des approches d’égalité formelle (voir Centrale des syndicats, par. 25‑26; Withler, par. 43). À cette fin, elle a évité de procéder à une analyse formaliste fondée sur la « comparaison avec un groupe aux caractéristiques identiques » parce que la recherche du groupe de comparaison « approprié » éclipsait la nature oppressive de certaines lois (Withler, par. 2). Elle a rejeté l’intention discriminatoire comme condition nécessaire à l’existence d’une discrimination et a préféré s’attarder aux effets concrets d’une loi (Eldridge, par. 62; Andrews, p. 173). Elle s’est aussi tenue fermement à l’idée que les effets préjudiciables d’une loi apparemment neutre peuvent constituer de la discrimination interdite par le par. 15(1) (Eldridge, par. 77‑78; Andrews, p. 173).
[47]                          L’égalité réelle, laquelle ressort des fondements établis dans l’arrêt Andrews, s’intéresse aux conditions antérieures ou actuelles qui causent des désavantages et qui sont le résultat de la discrimination systémique qui continue d’opprimer des groupes (Fraser, par. 42). L’égalité réelle commande l’adoption d’une démarche « qui tienne compte du contexte dans son ensemble, y compris la situation du groupe de demandeurs et [l’effet de] la mesure législative contestée » sur le demandeur et les groupes auxquels il appartient, et qui reconnaisse également que l’appartenance à plusieurs groupes tend à accentuer les effets discriminatoires d’une mesure législative (Centrale des syndicats, par. 27, citant Withler, par. 40), ou peut créer des effets discriminatoires uniques qui ne sont ressentis par aucun groupe examiné de façon isolée. L’égalité réelle doit demeurer étroitement liée aux « véritables expériences que vivent les gens ordinaires » (Egan c. Canada, 1995 CanLII 98 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 513, par. 53, la juge L’Heureux‑Dubé) : elle ne doit donc pas être appliquée [traduction] « les yeux fermés » (McIntyre, p. 103). De plus, comme l’a expliqué la juge Wilson à la p. 153 de l’arrêt Andrews : « Il est conforme au statut constitutionnel de l’art. 15 qu’il soit interprété avec suffisamment de souplesse pour assurer la “protection constante” des droits à l’égalité dans les années à venir. »
(2)         Distinction fondée sur le motif énuméré de la déficience mentale
[48]                          La première étape consiste à établir l’existence d’une distinction qui a été créée à première vue par la loi ou de par son effet sur le fondement d’un motif énuméré ou analogue.
[49]                          Le procureur général fait valoir devant notre Cour que la Loi Christopher ne crée pas de distinction en empêchant les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’avoir accès à des voies de sortie. Le procureur général affirme que ce sont les distinctions établies par les lois fédérales, sur lesquelles le législateur ontarien n’a aucun contrôle, qui privent les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’un avantage.
[50]                          En l’espèce, des distinctions claires ont été faites sur le fondement du motif énuméré qu’est la déficience mentale. Les personnes déclarées coupables peuvent être dispensées au départ de l’obligation de se présenter devant les autorités afin de s’inscrire au registre si elles obtiennent une absolution lors de leur audience de détermination de la peine. Les personnes déclarées coupables peuvent être retirées du registre si elles obtiennent un pardon absolu, et elles peuvent être dispensées de l’obligation de continuer de se présenter devant les autorités si elles obtiennent un pardon absolu ou une suspension de leur casier judiciaire. L’absolution, qui est l’une des issues possibles lors de l’audience de détermination de la peine, est nécessairement adaptée à la situation personnelle de l’accusé (voir R. c. Campbell, 2013 BCCA 43, 334 B.C.A.C. 16, par. 27). Le pardon absolu et la suspension du casier sont accordés à la suite d’une évaluation de la situation personnelle du délinquant. Ces mécanismes existants, qui s’appliquent aux personnes déclarées coupables, permettent aux délinquants d’être dispensés de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels, d’être retirés du registre ou d’être dispensés de l’obligation de se présenter devant les autorités après avoir fait l’objet d’un certain niveau d’évaluation individuelle. Toutefois, les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux ne peuvent pas être dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités pour s’inscrire au registre, ne peuvent pas être retirées du registre après y avoir été inscrites et ne peuvent pas être dispensées de l’obligation de continuer de se présenter devant les autorités.
[51]                          Ces distinctions découlent de la manière dont la Loi Christopher interagit avec les lois fédérales, comme le Code criminel et la Loi sur le casier judiciaire. Cependant, les lois n’existent pas dans l’abstrait — la Loi Christopher impose un régime d’obligations aux personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles. Ces obligations s’ajoutent aux conséquences des conclusions qui sont tirées en application du Code criminel de par leur conception. Même si le législateur a créé ces distinctions par inadvertance, les distinctions qui ne sont pas intentionnelles ou qui découlent de l’interaction d’une loi avec d’autres lois ou circonstances sont prises en compte dans l’analyse de l’égalité réelle. Ce sont là des leçons de base que l’on peut tirer de la jurisprudence de notre Cour (Fraser, par. 31‑34, 41‑47 et 69; Andrews, p. 173; Eldridge, par. 62 et 77‑78). L’effet combiné de nombreuses lois est particulièrement important pour les personnes souffrant de troubles mentaux, car leur vie est souvent réglementée par ce que l’intervenante, l’Association canadienne pour la santé mentale, Ontario, appelle un [traduction] « ensemble complexe de lois et de règlements » (m.i., par. 7).
[52]                          En l’espèce, l’impossibilité pour les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre, d’être retirées du registre ou d’être dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités, alors que de telles possibilités sont offertes aux personnes déclarées coupables des mêmes infractions, est déterminante. Cette distinction est précisément imputable au régime de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux font clairement l’objet d’une différence de traitement fondée sur le motif énuméré de la déficience mentale.
[53]                          Le procureur général soutient qu’il est possible d’éliminer la distinction qui a été faite — soit l’absence de mécanismes de retrait ou de dispense — en supprimant complètement ces mécanismes pour tous les individus, pour que les personnes déclarées responsables criminellement soient traitées de la même manière que celles déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux.
[54]                          Une telle proposition soulève au moins deux autres questions constitutionnelles.
[55]                          En premier lieu, l’analyse fondée sur le par. 15(1) ne s’intéresse pas uniquement aux distinctions formelles qui ressortent du libellé d’une loi. Éliminer des distinctions évidentes ne permettra peut‑être pas d’éliminer toutes les distinctions pertinentes. Je ne peux donc pas accepter la prémisse sur laquelle semble reposer l’argument du procureur général selon lequel l’élimination des voies de sortie pour toutes les personnes qui sont assujetties à la Loi Christopher serait nécessairement conforme au par. 15(1). Le fait que toutes les personnes qui sont tenues de s’inscrire au registre des délinquants sexuels seraient traitées de la même façon au regard de la loi ne signifie pas inexorablement que la loi n’imposerait pas un fardeau plus lourd aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux.
[56]                          En deuxième lieu, l’élimination de tous les mécanismes de retrait et de dispense susciterait la crainte qu’une telle façon de faire échoue à l’examen fondé sur l’art. 7 relativement à tous les délinquants. Bien entendu, la Cour n’a pas à se pencher sur cette situation hypothétique, car la question de savoir si le régime qui s’applique actuellement aux personnes déclarées coupables est compatible avec l’art. 7 de la Charte déborde le cadre du présent pourvoi.
(3)         Discrimination
[57]                          À la deuxième étape de l’analyse fondée sur le par. 15(1), il s’agit de savoir si la distinction qui est créée est discriminatoire, c’est‑à‑dire « si elle impose un fardeau ou [. . .] nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage subi » (Centrale des syndicats, par. 30).
[58]                          Le procureur général soutient que la Loi Christopher oblige les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à s’inscrire au registre compte tenu des données actuarielles sur le risque qu’elles représentent et ne leur impose donc aucun stéréotype. Soulignant qu’il ne convient pas d’accorder un pardon ou une suspension du casier judiciaire aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, qui n’ont pas été déclarées coupables d’un crime, le procureur général fait valoir que le juge Doherty a conclu à tort que le par. 15(1) commande, sur le plan constitutionnel, un processus d’évaluation individuelle. Le procureur général soutient également que l’incidence relativement minime qu’a le registre sur les délinquants devrait permettre au gouvernement d’agir en s’appuyant sur des généralisations statistiques.
[59]                          G est d’accord avec l’analyse du juge Doherty. Il affirme que, en refusant des voies de sortie aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, la Loi Christopher présume effectivement que ces personnes n’ont aucune possibilité de réadaptation, et elle a donc pour effet de perpétuer le désavantage et les stéréotypes négatifs que subissent les personnes souffrant de troubles mentaux. Selon lui, puisque l’Ontario a décidé d’exiger que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles s’inscrivent au registre, elle doit prendre en compte les besoins et la situation de ce groupe.
[60]                          Je n’ai aucun mal à conclure que le refus d’accorder des voies de sortie aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération est discriminatoire.
[61]                          Dans notre société, les personnes handicapées [traduction] « font [malheureusement] l’objet de coercition récurrente, de marginalisation et d’exclusion sociale » (R. Devlin et D. Pothier, « Introduction: Toward a Critical Theory of Dis‑Citizenship », dans D. Pothier et R. Devlin, dir., Critical Disability Theory: Essays in Philosophy, Politics, Policy, and Law (2006), 1, p. 1). Comme notre Cour l’a reconnu, « [c]e désavantage historique a, dans une large mesure, été créé et perpétué par l’idée que la déficience est une anomalie ou un défaut » (Eldridge, par. 56). En réalité, les personnes handicapées ne sont pas anormales, et elles ne peuvent pas non plus être toutes considérées de la même façon. Bien que « [l]a stigmatisation, la discrimination et les insinuations suivant lesquelles ces personnes sont différentes et inférieures » soient tous des phénomènes que peuvent avoir vécus les personnes handicapées (D. Wasserman et autres, « Disability: Definitions, Models, Experience » dans E. N. Zalta et autres, dir., Stanford Encyclopedia of Philosophy (2016) (en ligne), §3.2), la diversité parmi les personnes dites handicapées ne constitue pas l’exception, mais bien la règle (voir, p. ex., E. Barnes, The Minority Body: A Theory of Disability (2016), p. 9). L’article 15 exprime une promesse de respect envers « l’égalité et la dignité de tous les êtres humains » (Eldridge, par. 54) qui exige que les personnes handicapées soient considérées et traitées comme des personnes dignes et qu’elles aient droit à la dignité dans leur pluralité. De plus, la garantie de l’art. 15 — à savoir que la discrimination ne se voie accorder force de loi — exige qu’une attention particulière soit accordée aux diverses répercussions qu’auront les actes de l’État sur les personnes handicapées.
[62]                          Tout comme les personnes handicapées, les personnes souffrant de troubles mentaux font l’objet de stéréotypes, sont exclues et sont marginalisées (P. Bracken et P. Thomas, Postpsychiatry (2005), p. 79‑100). L’idée préconçue selon laquelle les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses et présenteront toujours un danger, de même que les autres stigmates et préjugés à leur égard, ont eu pour effet d’imposer un désavantage considérable à ces personnes (Winko, par. 35‑37; Swain, p. 994; P. W. Corrigan et A. C. Watson, « Understanding the impact of stigma on people with mental illness » (2002), 1 World Psychiatry 16). Ce désavantage est d’ailleurs profondément enraciné dans l’histoire (H. Stuart, J. Arboleda‑Flórez et N. Sartorius, Paradigms Lost: Fighting Stigma and the Lessons Learned (2012), p. 103‑111) :
                    [traduction]
                        Les troubles mentaux se distinguent des autres maladies, car les personnes souffrant de troubles mentaux perdent régulièrement les droits et les libertés qui leur sont conférés d’une manière qui serait inimaginable si elles souffraient d’un autre problème de santé [. . .]
                        Par le passé, les soins fournis aux personnes souffrant de troubles mentaux étaient déplorables. Pendant l’internement de masse du début des années 1800, les autorités hospitalières européennes avaient le pouvoir de rassembler et d’emprisonner les personnes qui souffraient de troubles mentaux (et que l’on qualifiait alors de fous et d’idiots) avec les mendiants, les vagabonds, les criminels, les personnes sans emploi et d’autres indésirables. Le fait que les personnes souffrant de troubles mentaux étaient qualifiées de bêtes sauvages justifiait qu’elles soient placées en internement forcé et exclues de la société. [Soulignement supprimé; p. 103.]
[63]                          Même si les traitements les plus odieux dont les personnes atteintes de troubles mentaux ont fait l’objet au début du 19e siècle sont chose du passé, certaines attitudes stigmatisantes subsistent encore à ce jour au sein de la société canadienne (H. Stuart et al., « Stigma in Canada: Results from a Rapid Response Survey » (2014), 59 Rev. can. psychiatrie S27). Comme l’ont fait observer Stuart, Arboleda‑Flórez et Sartorius, les [traduction] « perceptions [. . .] à l’égard de la violence et le risque de violence jouent un rôle primordial dans [le] soutien des traitements coercitifs, des solutions législatives et des justifications des inégalités et des injustices sociales » (p. 108). Bien que des attitudes et des effets discriminatoires subsistent malheureusement à l’égard des personnes souffrant de troubles mentaux, ils ne doivent pas avoir force de loi (Andrews, p. 172).
[64]                          Le procureur général soutient que les distinctions créées par la Loi Christopher ne sont pas discriminatoires parce qu’elles reposent sur des généralisations statistiques et des [traduction] « faits empiriques » et qu’elles ont seulement des répercussions « minimes » sur les délinquants. Je ne puis être d’accord. La question pertinente est de savoir si la Loi Christopher impose des fardeaux ou nie des avantages d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage. Il n’y a aucune condition préliminaire de sévérité.
[65]                          Les distinctions créées par la Loi Christopher renforcent et accentuent l’idée stigmatisante selon laquelle les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses et présenteront toujours un danger et, ce faisant, ces distinctions perpétuent le désavantage que subissent ces personnes. Comme l’a reconnu le juge Doherty, ces distinctions [traduction] « laisse[nt] entendre que les personnes qui commettent des actes criminels alors qu’elles sont non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux ne changeront pas, mais continueront plutôt de présenter le même risque qu’elles posaient au moment de l’infraction, et ce, pendant une période indéterminée » (motifs de la C.A., par. 122).
[66]                          En plus de l’idée préconçue selon laquelle elles sont dangereuses, le fait d’exiger que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux s’acquittent de leurs obligations relatives au registre peut, comme l’a fait remarquer l’intervenant Empowerment Council, contribuer à leur [traduction] « double stigmatisation » parce qu’elles sont considérées à la fois comme des « personne[s] atteinte[s] de troubles mentaux » et des « délinquant[s] sexuel[s] » (R. c. C.C., 2007 ABPC 337, 435 A.R. 215, par. 18, 43, 59 et 84; R. c. Redhead, 2006 ABCA 84, 384 A.R. 206, par. 31).
[67]                          La loi impose donc un fardeau aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’une manière qui transgresse la norme d’égalité réelle de deux façons : d’une part, la loi elle‑même applique des préjugés et des stéréotypes envers les personnes souffrant de troubles mentaux, ce qui alimente la stigmatisation préjudiciable; d’autre part, la loi place les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux dans une situation pire que celle des personnes déclarées coupables. Ces deux effets perpétuent donc le désavantage historique que continuent de subir les personnes souffrant de troubles mentaux.
[68]                          Pour G, le fait qu’il n’a pas accès aux mécanismes de dispense et de retrait qui sont offerts aux délinquants à la suite d’une évaluation individuelle signifie qu’il sera un délinquant sexuel enregistré pour le reste de sa vie, qu’il peut faire l’objet de vérifications aléatoires des corps de police et qu’il devra se présenter devant les autorités au moins une fois par année pour le reste de sa vie, et que ses renseignements ne seront jamais retirés du registre, même après sa mort, peu importe ce qu’il fait. Son verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, sa libération inconditionnelle, le fait qu’il se soit toujours acquitté de ses obligations, qu’il ait un emploi stable et qu’il entretienne des liens solides avec les membres de sa famille n’ont aucune importance. En lui refusant des voies de sortie, la Loi Christopher indique que G est, aux yeux de la loi, une menace perpétuelle pour le public. Le fait que l’État continuera d’exercer une surveillance sur lui laisse entendre qu’il sera toujours dangereux du point de vue de la loi.
[69]                          L’argument du procureur général selon lequel l’intention du gouvernement de ne pas stéréotyper les gens est pertinente pour l’analyse fondée sur le par. 15(1) trahit une incompréhension profonde des droits à l’égalité — qui protègent l’égalité réelle. Comme notre Cour l’a dit à maintes reprises, « l’existence d’un but ou d’une intention discriminatoire n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’une atteinte au par. 15(1) » (Eldridge, par. 62; Québec c. A, par. 328‑329 et 331‑333). Ainsi que la juge Abella l’a expliqué dans l’arrêt Québec c. A, si la mesure législative contestée a « pour effet d’élargir [. . .] l’écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société » ou si elle renforce, perpétue ou accentue le désavantage historique subi, elle est alors discriminatoire (par. 332; Québec c. Alliance, par. 25). La question n’est pas de savoir s’il y a un motif légitime pour lequel la distinction existe ou a « pour effet d’élargir [. . .] l’écart » (Fraser, par. 79‑80 et 177). Cette question n’est pertinente que pour l’analyse de la proportionnalité au regard de l’article premier de la Charte. L’attention doit porter sur l’incidence réelle d’une mesure législative sur le demandeur et les groupes auxquels il appartient (Withler, par. 2).
[70]                          En somme, la Loi Christopher enfreint le par. 15(1) de la Charte en exigeant des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qu’elles s’inscrivent au registre des délinquants sexuels sans leur offrir la possibilité d’être dispensées des obligations qui leur incombent et d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle. Bien que les mécanismes de dispense et de retrait actuellement offerts aux personnes déclarées coupables prévoient la réalisation d’une évaluation individuelle, je n’ai pas à déterminer la nature ou la portée des mécanismes qui doivent être mis à la disposition des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Cette décision ne peut être prise dans l’abstrait puisque, tant qu’il se conforme à la Charte, le législateur peut choisir parmi une gamme d’options stratégiques.
B.            La Loi Christopher constitue‑t‑elle une limite raisonnable aux droits à l’égalité?
[71]                          Le procureur général doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la contravention au par. 15(1) est justifiée au regard de l’article premier. Premièrement, l’objectif que vise la mesure attentatoire doit être urgent et réel. Deuxièmement, dans la poursuite de cet objectif, la mesure attentatoire ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée aux droits que garantit le par. 15(1). La seconde partie du critère de l’arrêt Oakes comporte trois volets. L’État doit démontrer que l’atteinte a un lien rationnel avec l’objectif, que les moyens choisis pour réaliser l’objectif portent le moins possible atteinte aux droits que garantit le par. 15(1), et que les avantages de la mesure attentatoire l’emportent sur ses effets préjudiciables (voir R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 138‑140; Vriend, par. 109‑110; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 48, 53 et 76‑78).
[72]                          Il n’incombe pas au procureur général d’établir que le régime législatif dans son ensemble constitue une limite raisonnable au par. 15(1) dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique, mais plutôt de justifier la mesure attentatoire elle‑même. Comme l’a souligné notre Cour, « c’est cette dernière et rien d’autre que l’on cherche à justifier » (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 144; Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, 2010 CSC 21, [2010] 1 R.C.S. 722, par. 20). Il convient donc d’axer l’analyse sur l’objectif de la mesure attentatoire; cependant, il peut être nécessaire de situer la mesure attentatoire dans le contexte général du texte législatif pour comprendre le rôle que joue la limitation (Vriend, par. 111).
[73]                          Les parties conviennent que l’objectif de la Loi Christopher est de faciliter les enquêtes sur des infractions sexuelles et la prévention de ces infractions. G concède que cet objectif est urgent et réel, et que les limites que la Loi impose aux droits garantis par la Charte sont rationnellement liées à cet objectif. En effet, il reconnaît qu’obliger toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à se conformer à la Loi Christopher sans avoir la possibilité d’être dispensées de cette obligation ou d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle est rationnellement lié à l’objectif de la Loi, qui consiste à faciliter les enquêtes sur des infractions sexuelles et la prévention de ces infractions (motifs de la C.A., par. 141).
(1)         Atteinte minimale
[74]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la Loi Christopher ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits garantis par le par. 15(1) aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération. La Loi Christopher elle‑même prévoit des mécanismes qui, après une évaluation individuelle de la situation des délinquants, permettent aux délinquants qui n’ont pas reçu de verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux d’être retirés du registre (pardon absolu), d’être dispensés de l’obligation de se présenter devant les autorités (pardon absolu et suspension du casier judiciaire), ou d’être dispensés au départ de l’obligation de se présenter devant les autorités (absolution au sens du par. 730 du Code criminel). L’inclusion de toute méthode permettant aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux d’être dispensées des obligations qui leur incombent et d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle porterait moins atteinte aux droits que leur garantit le par. 15(1) et permettrait en fait d’améliorer l’efficacité du registre en restreignant son application aux personnes qui présentent un risque élevé pour la société.
[75]                          Je suis d’avis de rejeter l’argument du procureur général selon lequel les évaluations du risque ne peuvent jamais être certaines et que l’objectif de la Loi ne peut donc être réalisé qu’en imposant à toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux l’obligation de s’inscrire au registre et d’y être inscrites de façon permanente. Tout d’abord, on pourrait en dire autant de toutes les personnes déclarées coupables d’infractions sexuelles : les évaluations individuelles qui sont menées lorsqu’une absolution inconditionnelle, un pardon absolu ou une suspension du casier judiciaire est accordé ne peuvent également jamais être certaines. De plus, selon l’exigence de l’atteinte minimale, l’objectif doit être réalisé de façon substantielle (Hutterian Brethren, par. 53‑55). Les évaluations individuelles n’ont pas besoin de prédire le risque avec une exactitude parfaite — la certitude ne saurait servir de norme. Rien ne prouve que le fait d’offrir aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux la possibilité d’être dispensées des obligations qui leur incombent ou d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle de leur situation réduirait considérablement l’utilité du registre pour les forces de l’ordre. En effet, comme l’a fait remarquer le juge Doherty, [traduction] « rien ne prouve que même si l’objectif de la loi est conforme aux exceptions et aux dispenses qui s’appliquent aux personnes déclarées coupables, il est en quelque sorte compromis par les exceptions et les dispenses comparables qui s’appliquent aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux » (motifs de la C.A., par. 145).
[76]                          Par conséquent, je conclus que le procureur général ne s’est pas acquitté du fardeau que lui impose l’article premier de démontrer que la mesure attentatoire ne porte pas atteinte de façon minimale au droit et qu’il n’a donc pas justifié la violation du par. 15(1).
C.            La Loi Christopher porte‑t‑elle atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne?
[77]                          Comme j’ai conclu que la Loi Christopher viole le par. 15(1) du fait qu’elle s’applique aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et que la réclamation de G concernant l’art. 7 ne vaut que pour ces personnes, point n’est besoin d’examiner la question de savoir si la Loi Christopher viole également l’art. 7. Comme je vais l’expliquer, étant donné que les droits à la vie privée et à la liberté des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux sont précisément ceux qui sont touchés de façon inégale par la Loi Christopher, ils guident la réparation à accorder en cas de contravention au par. 15(1). Il n’est donc pas nécessaire de chercher à savoir s’il y a également violation de l’art. 7 pour déterminer la réparation appropriée. Qui plus est, l’analyse de certains des arguments concernant l’art. 7 aurait une incidence sur la question plus générale de la nature des effets qu’a le registre sur tous les délinquants inscrits et la question de savoir si le régime dans son ensemble est conforme à l’art. 7; il est préférable d’attendre une autre occasion pour trancher ces questions.
[78]                          Néanmoins, il ne faut pas tirer des présents motifs la conclusion que je suis d’accord avec la façon dont la Cour d’appel de l’Ontario a abordé l’art. 7 en l’espèce ou dans les arrêts Dick et Long. L’approche adoptée par la Cour d’appel dans ces affaires repose sur la conclusion selon laquelle la Loi porte atteinte au droit à la liberté de façon [traduction] « minime », laquelle conclusion a été contestée. Je ne ferai aucune autre observation sur ce point, car le registre fédéral des délinquants sexuels fait actuellement l’objet d’une contestation fondée sur l’art. 7 devant les tribunaux (voir R. c. Ndhlovu, 2020 ABCA 307, inf. 2016 ABQB 595, 44 Alta. L.R. (6th) 382).
D.           Quelle est la réparation appropriée?
[79]                          La Cour d’appel a déclaré que la Loi Christopher est inopérante dans la mesure où elle s’applique aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération inconditionnelle d’une commission d’examen provinciale. La Cour d’appel a suspendu pour un an l’effet de cette déclaration, mais elle a exempté G de cette suspension et ordonné que ses renseignements soient immédiatement retirés du registre.
[80]                          Les parties soutiennent que l’effet de toute déclaration d’inopérabilité de la Loi Christopher devrait être suspendu, mais elles ne s’entendent pas sur l’opportunité d’exempter immédiatement G de cette suspension. Le procureur général affirme que des exemptions individuelles d’une suspension ne devraient être accordées que dans des cas extrêmes où le demandeur ne pourra pas bénéficier des avantages de la déclaration s’il ne fait pas l’objet d’une exemption. L’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights fait valoir que pour accorder la réparation appropriée en l’espèce, il faudra clarifier la jurisprudence de notre Cour en matière de réparation en revenant aux principes qui sous‑tendent les réparations qu’elle a octroyées dans le passé.
[81]                          Au cours des dernières années, des auteurs de doctrine ont demandé instamment qu’une méthode plus cohérente et transparente, davantage fondée sur des principes, soit utilisée pour déterminer les réparations qu’il convient d’accorder lorsque des textes législatifs sont inconstitutionnels. Plus particulièrement, notre jurisprudence sur les suspensions de déclarations d’invalidité, et l’exemption de certains individus de ces suspensions, a été critiquée parce que notre Cour aurait compromis indûment la protection des droits en n’accordant pas des réparations valables (voir, p. ex., R. Leckey, « The harms of remedial discretion » (2016), 14 I CON 584, p. 591‑593), et aurait diminué la qualité du processus décisionnel en n’expliquant pas le motif de la suspension de façon transparente (voir, p. ex., G. R. Hoole, « Proportionality as a Remedial Principle: A Framework for Suspended Declarations of Invalidity in Canadian Constitutional Law » (2011), 49 Alta. L. Rev. 107, p. 118 et 123). J’accepte l’invitation du Asper Centre de définir une méthode fondée sur des principes pour l’octroi de réparations lorsque des textes législatifs violent la Charte.
[82]                          Comme je vais l’expliquer, l’arrêt de principe de notre Cour sur les réparations à accorder lorsque des lois violent la Charte, l’arrêt Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S 679, inspire depuis près de trois décennies l’approche que suivent les tribunaux pour concevoir une réparation adaptée et efficace lorsque des textes législatifs sont inconstitutionnels. Toutefois, à certains égards, la jurisprudence de notre Cour sur les réparations a dépassé l’arrêt Schachter. En s’inspirant de l’arrêt Schachter et en l’employant pour définir le type et la portée des déclarations d’invalidité, ainsi que pour suspendre l’effet de ces déclarations et exempter des personnes de ces suspensions, notre Cour a intégré un groupe de principes fondamentaux en matière de réparation dans la méthode qu’elle utilise pour accorder des réparations. La reconnaissance de ces principes et la définition explicite des méthodes servant à établir un juste équilibre entre ces principes favoriseront une plus grande cohérence et une plus grande transparence dans les décisions en matière de réparation.
[83]                          Pour les motifs que je vais exposer, je conclus que l’effet de déclarations d’invalidité devrait être suspendu en de rares cas, seulement lorsque le risque que représente une déclaration avec effet immédiat sur un intérêt public identifiable, fondé sur la Constitution, l’emporte sur les conséquences néfastes de la suspension de l’effet de cette déclaration. Qui plus est, lorsque l’effet de déclarations est suspendu, l’octroi d’exemptions individuelles conformément au par. 24(1) de la Charte permettra souvent de mettre en balance les intérêts du plaideur, du public en général et du législateur d’une manière qui est « convenable et juste ».
(1)         Pouvoir discrétionnaire de réparation fondé sur des principes
[84]                          Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 est ainsi rédigé :
                    52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
[85]                          Selon les termes absolus édictés au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Bien que le résultat juridique qui découle de l’incompatibilité entre des dispositions législatives et la Constitution soit énoncé au par. 52(1), cette disposition n’accorde pas explicitement aux tribunaux une compétence en matière de réparation[2]. Les tribunaux ont plutôt le pouvoir de prononcer une déclaration générale conformément à la compétence légale ou inhérente dont ils sont investis pour donner aux termes généraux du par. 52(1) leur plein effet.
[86]                          Par « rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit », on veut dire que le tribunal qui est appelé à statuer sur la contestation constitutionnelle d’une loi doit déterminer dans quelle mesure la loi contestée est inconstitutionnelle et la déclarer telle. Notre jurisprudence nous enseigne qu’un degré de discrétion est inévitable pour décider comment répondre à l’incompatibilité entre des dispositions législatives et la Constitution.
[87]                          Il existe d’ailleurs une théorie qui concorde avec la théorie déclaratoire du droit de Blackstone selon laquelle « les juges ne créent pas le droit mais ne font que le découvrir » (Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429, par. 79). Selon cette conception, lorsqu’une loi est inconstitutionnelle, les tribunaux et les autres décideurs ne jouissent d’aucun pouvoir discrétionnaire de réparation — le par. 52(1) rend inconstitutionnelles les lois inopérantes dès leur adoption (voir, p. ex., Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 28).
[88]                          Toutefois, même si le par. 52(1) est le fondement réel du pouvoir que possèdent les tribunaux de prononcer une déclaration d’invalidité constitutionnelle, le public et l’État sont souvent en désaccord quant à la question de savoir si une loi particulière est inconstitutionnelle et, le cas échéant, dans quelle mesure. L’ordre juridique canadien, qui est fondé sur les principes connexes de la suprématie de la Constitution et la primauté du droit, exige qu’une institution ait le pouvoir de se prononcer de façon définitive sur la constitutionnalité d’une loi; le par. 52(1) confirme « [l]’existence d’un arbitre judiciaire impartial [. . .] dont les décisions font autorité » sur le caractère inopérant de la loi en cause (Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433, par. 89). Même à défaut de déclaration formelle, le par. 52(1) a pour effet d’empêcher l’application de lois inconstitutionnelles. Par exemple, en raison des limites que comporte la compétence légale conférée aux tribunaux, la décision d’un tribunal ou d’une cour provinciale selon laquelle une loi est inconstitutionnelle est sans effet juridique en dehors du cadre de cette décision; toutefois, le tribunal ou la cour provinciale doit refuser de donner effet à une loi qu’il ou elle considère inconstitutionnelle (voir, p. ex., Martin, par. 31; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 15). Ainsi, la portée d’une décision judiciaire concernant l’inconstitutionnalité d’une loi sera limitée si le tribunal n’a pas la compétence inhérente ou légale nécessaire pour prononcer une déclaration générale d’invalidité.
[89]                          Comme je l’expliquerai, même si le par. 52(1) reconnaît la primauté de la Constitution, de même que les droits et libertés fondamentaux des individus et des groupes qui sont garantis par la Charte, l’élaboration de mesures de réparation constitutionnelles commande inévitablement l’application d’autres principes constitutionnels qui sont parfois contradictoires (K. Roach, « Principled Remedial Discretion Under the Charter » (2004), 25 S.C.L.R. (2d) 101, p. 112‑113). Les tribunaux doivent établir un juste équilibre entre ces principes lorsqu’ils sont appelés à déterminer comment donner effet au par. 52(1) d’une manière qui concorde le mieux avec l’ordre constitutionnel général du Canada.
[90]                          Kent Roach soutient, à l’instar de l’intervenant le Asper Centre, qu’il y a lieu d’exercer un [traduction] « pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes » lors de l’octroi de réparations sous le régime de la Charte, lequel pouvoir représente un juste milieu entre un pouvoir discrétionnaire « solide » ou « absolu », qui donnerait aux juges toute la latitude voulue pour élaborer des mesures de réparation comme ils l’entendent, et un pouvoir discrétionnaire « fondé sur des règles », qui restreindrait considérablement la latitude des juges en leur imposant des règles strictes (Roach (2004), p. 102 et 107‑113). Je suis d’accord.
[91]                          Un pouvoir discrétionnaire absolu a pour avantage que les possibilités de l’adapter à tout contexte factuel sont infinies, mais il a clairement pour inconvénient d’ouvrir la porte à des décisions fondées sur [traduction] « les volontés et les caprices d’une personne ou d’un groupe de personnes » (Roach (2004), p. 107, citant P. Birks, « Three Kinds of Objections to Discretionary Remedialism » (2000), 20 Uwa. L. Rev. 1, p. 15). Qui plus est, ce type de pouvoir ne favorise pas un raisonnement transparent; en effet, si le décideur peut faire ce qu’il veut, il est alors moins enclin à expliquer le fondement de sa décision. À l’inverse, l’avantage du pouvoir discrétionnaire fondé sur des règles est qu’il peut être exercé dans différents contextes de manière prévisible. Cependant, ce pouvoir n’encourage pas les tribunaux à prendre en compte les objectifs des règles et tend à entraîner leur application mécanique, de sorte que des décisions injustes peuvent être rendues dans certains cas (Roach (2004), p. 109‑110 et 140).
[92]                          Un examen de la jurisprudence de notre Cour révèle qu’elle favorise l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes, qui oblige les juges à prendre en compte de nombreux principes contradictoires en matière de réparation et à réconcilier ces principes tout en justifiant la priorité qu’ils accordent à certaines considérations par rapport à d’autres.
[93]                          En ce sens, les « principes en matière de réparation » sont plus généraux que les règles et, contrairement à celles‑ci, ils peuvent entrer en conflit et être soupesés différemment (Roach (2004), p. 111‑113, citant R. Dworkin, Taking Rights Seriously (1977)). La formulation des principes généraux fondamentaux qui structurent l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation fondé sur des principes permettra de favoriser l’adoption de méthodes transparentes et uniformes fondées sur des principes pour ce qui est de l’octroi de réparations en application du par. 52(1).
[94]                          Des principes en matière de réparation de ce genre ont été énoncés dans l’arrêt Schachter, qui établit des principes jumeaux — soit celui du respect des objets de la Charte et celui du respect du législateur — qui, depuis près de trois décennies, guident les tribunaux canadiens dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Cependant, en appliquant la méthode établie dans cet arrêt, notre Cour a parfois formulé d’autres principes pertinents ou analogues. Comme je l’expliquerai, lorsque des textes législatifs violent la Charte, les tribunaux se sont inspirés des principes fondamentaux suivants en matière de réparation, qui sont fondés sur la Constitution, pour déterminer la réparation qu’il convient d’accorder et ils ont appliqué ces principes à toutes les étapes de leur analyse :
A.   Les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces.
B.     Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution.
C.     Le public a droit au bénéfice de la loi.
D.   Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents.
[95]                          La protection des droits est un aspect fondamental de l’octroi de réparations sous le régime de la Charte, car la Charte vise à protéger les droits, les libertés et la dignité inhérente des personnes; cet objectif est d’ailleurs présent dans l’ensemble de la Charte (voir Vriend, par. 153; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, 1997 CanLII 17020 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 157, par. 57). La manière téléologique dont notre Cour aborde les réparations constitutionnelles permet de s’assurer que la défense et la protection efficaces des droits est au cœur des réparations qu’elle accorde lorsque des textes législatifs violent la Charte (Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), 1991 CanLII 60 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 69, p. 104).
[96]                          La primauté du droit est explicitement reconnue dans le préambule de la Charte, lequel dispose que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent [. . .] la primauté du droit ». Elle est aussi reconnue implicitement dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui précise que le Canada a « une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume‑Uni » (voir le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 750). La primauté du droit repose sur deux principes fondamentaux : les actes de l’État doivent être conformes à la loi et il doit exister des règles de droit positif pour préserver l’ordre dans la société. Notre Cour a reconnu qu’en raison du respect du principe de la primauté du droit, les effets des lois, même les lois inconstitutionnelles, s’étendent au‑delà des personnes dont les droits sont violés — il est désavantageux pour l’ensemble de la société que des lois inconstitutionnelles « demeure[nt] en vigueur indéfiniment » (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 51; voir aussi Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524 (SWUAV), par. 31). Or, l’intérêt public est une arme à double tranchant — le public a également droit au bénéfice de la loi, sur laquelle les individus s’appuient pour organiser leur vie et se protéger (Droits linguistiques au Manitoba, p. 748‑749 et 757). Les lois valablement adoptées par des législatures démocratiquement élues « visent généralement le bien commun » et suscitent donc un « intérêt public » qui « joue un grand rôle » dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitain Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 110, p. 135; voir également Harper c. Canada (Procureur général), 2000 CSC 57, [2000] 2 R.C.S. 764, par. 9).
[97]                          Les lois sont adoptées par une législature, qui est souveraine en ce sens que, conformément à la compétence constitutionnelle dont elle est investie, elle jouit du « pouvoir exclusif d’adopter, de modifier et d’abroger des lois comme elle l’entend » (Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, [2018] 3 R.C.S. 189, par. 54; Loi constitutionnelle de 1867, art. 91 à 95; Loi constitutionnelle de 1982, art. 44 et 45). Ce fait restreint l’exercice du pouvoir de réparation qu’ont les tribunaux. La souveraineté parlementaire est une expression de la démocratie, car elle confère un pouvoir législatif exclusif au Parlement et aux législatures provinciales, qui sont constitués d’une chambre élue qui doit donner son consentement pour qu’une loi soit adoptée (Loi constitutionnelle de 1867, art. 17, 40, 48, 55 et 91; Charte, art. 3 et 4; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 62‑65).
[98]                          Néanmoins, les tribunaux demeurent les « gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers » (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169) — « la déférence s’arrête là où commencent les droits constitutionnels que les tribunaux sont chargés de protéger » (Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 36). Il en est ainsi parce qu’il [traduction] « appartient nettement [aux tribunaux] de préciser l’état du droit » (Marbury c. Madison, 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803), p. 177).
[99]                          Ces principes en matière de réparation — des éléments fondamentaux de notre ordre constitutionnel ainsi que de la démocratie et de la primauté du droit — ont été pris en compte par notre Cour dans les décisions sur les réparations qu’elle a rendues depuis l’entrée en vigueur de la Charte.
(2)         L’arrêt Schachter
[100]                     Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a énoncé une façon générale d’accorder des réparations lorsque des lois violent la Charte. Elle a également approuvé l’octroi de réparations qui sont adaptées à la portée des violations des droits, ce qui permet de conserver les dispositions conformes sur le plan constitutionnel de lois inconstitutionnelles. Dans cet arrêt, notre Cour a également reconnu qu’en de rares circonstances, l’effet d’une déclaration d’invalidité peut être suspendu pendant un certain temps pour protéger l’intérêt public.
[101]                     La reconnaissance du fait qu’un tribunal doit jouir d’une certaine latitude pour déterminer la réparation qu’il estime convenable conformément à la loi et l’approbation d’une réparation autre qu’une déclaration d’invalidité intégrale étaient au cœur de l’arrêt Schachter. Le juge en chef Lamer a clairement indiqué que « [s]elon les circonstances, un tribunal peut simplement annuler une disposition, il peut l’annuler et suspendre temporairement l’effet de la déclaration d’invalidité ou il peut appliquer les techniques d’interprétation atténuée ou d’interprétation large » (p. 695).
[102]                     Différents types de réparations peuvent être accordées, car les circonstances peuvent faire intervenir de diverses façons les principes généraux en matière de réparation. Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a reconnu les « deux principes directeurs » du « respect du rôle du législateur et des objets de la Charte » (p. 715), qui jouent un rôle essentiel dans la détermination du type de réparation qui serait accordé.
[103]                     Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a statué que la première étape du choix de la réparation à accorder consiste à délimiter l’étendue de l’incompatibilité entre la loi et la Charte. La deuxième étape consiste à déterminer le type de déclaration. Notre Cour a également déclaré qu’en plus de l’étendue de l’incompatibilité, le type de réparation dépendra aussi du respect du rôle du législateur par les tribunaux. En règle générale, des réparations adaptées ne devraient être accordées que lorsqu’un tribunal peut équitablement conclure que le législateur aurait adopté les modifications que le tribunal apporterait à la loi (p. 697 et 700).
[104]                     Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a également ouvert la porte à des déclarations suspendues : des déclarations suivant lesquelles des dispositions législatives sont inconstitutionnelles, mais dont l’effet est suspendu pendant un certain temps. Le juge en chef Lamer a précisé, d’une part, qu’un report peut être justifié compte tenu de l’effet immédiat de cette déclaration sur le public et, d’autre part, que la question de savoir s’il y a lieu de suspendre l’effet d’une déclaration ne devrait pas dépendre du rôle des tribunaux et des législateurs (p. 717).
[105]                     Enfin, dans l’arrêt Schachter, notre Cour s’est demandé s’il y a lieu d’accorder des réparations prévues par le par. 52(1) en même temps qu’une mesure de réparation individuelle pour des violations de la Charte. Le juge en chef Lamer a conclu qu’« [i]l y aura rarement lieu à une réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte en même temps » qu’une mesure de réparation qui concerne la loi (p. 720).
[106]                     Trois décennies plus tard, une grande partie de l’arrêt Schachter fournit toujours des balises valables aux tribunaux. Toutefois, comme je l’expliquerai, la jurisprudence sur les réparations accordées sous le régime de la Charte a pris appui sur les fondements établis dans l’arrêt Schachter, mais l’a dépassé à certains égards. Il est certes vrai que, dans cet arrêt, notre Cour recommandait judicieusement aux tribunaux de s’appuyer sur les principes lorsqu’ils rendent des décisions en matière de réparation, mais ces principes ont été peaufinés depuis. En effet, les lignes directrices entérinées dans l’arrêt Schachter pour ce qui est de déterminer l’étendue des violations des droits étaient liées à une formulation du critère de l’arrêt Oakes qui a depuis été remplacée. De plus, certains aspects de l’analyse de la Cour concernant la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité n’ont pas été pris en compte par les tribunaux et ont été critiqués par des auteurs de doctrine parce qu’ils n’étaient pas fondés sur des principes cohérents et ne favorisaient pas une application transparente. Enfin, la mise en garde de la Cour contre l’octroi de réparations fondées sur le par. 52(1) en même temps que des réparations individuelles n’a souvent pas été suivie par les tribunaux.
[107]                     Depuis l’arrêt Schachter, notre Cour a accordé au moins 60 réparations fondées sur le par. 52(1) pour des violations de la Charte. À mon avis, les lignes directrices établies dans l’arrêt Schachter devraient être précisées et mises à jour compte tenu de ces décisions.
(3)         Le type et la portée des déclarations prononcées en vertu du par. 52(1)
[108]                     Comme le démontre la jurisprudence de notre Cour, et comme le prescrit le libellé du par. 52(1), la première étape de l’élaboration de la réparation qu’il convient d’accorder dans un cas donné consiste à déterminer l’étendue de l’incompatibilité de la loi et de la Constitution. Lorsqu’ils conçoivent des réparations adaptées, les tribunaux devraient garder à l’esprit « de quelle façon la loi en question viole la Charte et pourquoi cette violation ne peut être justifiée en vertu de l’article premier » (Schachter, p. 702). (Bien que cette ligne directrice générale demeure utile, les tribunaux devraient garder à l’esprit que le critère de l’arrêt Oakes a évolué depuis le prononcé de l’arrêt Schachter et qu’il met maintenant l’accent sur la justification de la mesure attentatoire plutôt que de la loi dans son ensemble (comparer l’arrêt Schachter, aux p. 703‑705, à l’arrêt RJR‑MacDonald, au par. 144.)) L’analyse de la réparation qu’il convient d’accorder repose sur la nature et l’étendue de la violation sous‑jacente de la Charte, car la portée de la réparation qui est finalement accordée dépend notamment de l’étendue de la violation.
[109]                     Définir l’étendue de l’inconstitutionnalité en fonction de la violation substantielle de la Charte permet de protéger les droits de toutes les personnes directement touchées en veillant à ce que tous les vices constitutionnels qu’elle renferme soient supprimés. Cela sert également l’intérêt général du public de veiller à ce que les actes de l’État soient conformes à la Constitution. Ce type de réparation va au‑delà du demandeur — et peut même être accordé lorsque le demandeur n’est pas directement touché par la loi — parce que « [n]ul ne doit être soumis à une loi inconstitutionnelle » (Nur, par. 51; voir aussi Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 313). Cette étape de l’analyse tient donc compte de l’objectif de protection des droits que vise la Charte, de l’intérêt qu’a le public à ce que les lois soient conformes à la Constitution, et du libellé du par. 52(1) — la loi est inopérante dans la pleine mesure de son incompatibilité avec la Constitution.
[110]                     Par exemple, lorsque les effets d’une infraction criminelle sur certains groupes de personnes ou dans certaines situations sont jugés inconstitutionnels, l’ensemble de ces personnes, quelle que soit la situation, ont été dégagées de toute responsabilité criminelle (voir, p. ex., Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, tel qu’interprété dans R. c. Barabash, 2015 CSC 29, [2015] 2 R.C.S. 522; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754, tel qu’interprété dans R. c. Rajaratnam, 2019 BCCA 209, 376 C.C.C. (3d) 181; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602). Il en va de même des dispositions qui prescrivent des peines minimales obligatoires, qui peuvent être invalidées même si le demandeur n’est pas directement touché (voir, p. ex., Nur; Lloyd).
[111]                     Par contre, il se dégage également du par. 52(1) que le public a droit au bénéfice des lois adoptées par le législateur dans la mesure où ces lois ne sont pas incompatibles avec la Constitution. En accordant des réparations adaptées pour corriger un vice constitutionnel en particulier, le tribunal peut préserver les droits constitutionnels de toutes les personnes touchées ainsi que les aspects constitutionnels de la loi en question. D’ailleurs, bon nombre des réparations adaptées qu’a accordées notre Cour tiennent compte de ces deux principes. Les dispositions relatives à des infractions criminelles qui ont été examinées dans les arrêts Carter, Sharpe, Smith et Appulonappa, par exemple, ont été déclarées inopérantes uniquement dans la mesure où elles violaient des droits, préservant ainsi leurs effets conformes sur le plan constitutionnel.
[112]                     Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a expliqué que lors du choix du type de déclaration, qui constitue la deuxième étape, des réparations autres que des déclarations d’invalidité intégrales devraient être accordées lorsque la nature de la violation et l’intention du législateur le justifient. Il est rare que des régimes législatifs exhaustifs ou des lois soient annulés dans leur totalité — à ma connaissance, notre Cour n’a procédé ainsi qu’à huit reprises[3]. Pour garantir au public le bénéfice des lois qui sont adoptées, l’interprétation atténuée, l’interprétation large et la dissociation, qui sont des réparations adaptées à l’étendue de la violation, devraient être utilisées dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois (Schachter, p. 700; Vriend, par. 149‑150). Fait essentiel, au Canada, la déclaration prononcée supprime les vices constitutionnels de la loi; la déclaration qui ne le fait pas, à l’instar du type de déclaration qu’ont proposé mes collègues les juges Côté et Brown au par. 248 de leurs motifs, s’apparente davantage à la déclaration de « non‑conformité » ou d’« incompatibilité » prononcée là où les tribunaux n’ont pas le pouvoir d’annuler une loi inconstitutionnelle (voir, p. ex., Attorney‑General c. Taylor, [2018] NZSC 104, [2019] 1 N.Z.L.R. 213; Human Rights Act 1998 (R.‑U.), 1998, c. 42, par. 4(4) et (6)).
[113]                     L’interprétation atténuée consiste pour un tribunal à limiter la portée d’une loi en la déclarant inopérante dans une mesure qu’il définit avec précision. L’interprétation atténuée est une réparation appropriée « [s]i la partie irrégulière d’une loi peut être isolée » (Schachter, p. 697). Inversement, l’interprétation large consiste pour un tribunal à étendre le champ d’application d’une loi en déclarant inopérante une limitation implicite de sa portée. L’interprétation large est une réparation appropriée lorsque l’incompatibilité avec la Constitution « découle de ce que la loi exclut à tort plutôt que de ce qu’elle inclut à tort » (Schachter, p. 698, souligné dans l’original). La dissociation consiste pour un tribunal à déclarer inopérants certains termes d’une loi. Cette technique a les mêmes effets que l’interprétation atténuée ou l’interprétation large dans la mesure où la partie retranchée sert à restreindre ou à élargir la portée de la loi. La dissociation est de mise lorsque la partie irrégulière de la loi est énoncée explicitement dans son libellé. Ces types de réparations démontrent la latitude dont dispose le tribunal lorsqu’il statue sur une violation constitutionnelle.
[114]                     Cependant, si les circonstances ne se prêtent pas à l’octroi de réparations adaptées, il se peut que les réparations empiètent sur la sphère législative. Dans l’arrêt Schachter, notre Cour a précisé que des réparations adaptées ne devraient être accordées que s’il est très plausible de présumer que « le législateur aurait adopté la partie constitutionnelle de la loi en question sans la partie inconstitutionnelle » et qu’il est possible de définir avec précision la partie inconstitutionnelle de la loi (p. 697, citant Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, 1947 CanLII 347 (UK JCPC), [1947] A.C. 503 (C.P.), p. 518). S’il semble peu probable que le législateur aurait édicté la version adaptée de la loi, l’adaptation de la réparation ne serait pas conforme à son choix de politique et porterait donc atteinte à la souveraineté parlementaire (Schachter, p. 705‑706; Hunter, p. 169). Le sens de la partie de la loi qui reste doit donc être examiné, et des réparations adaptées ne devraient pas être accordées lorsqu’elles risquent de nuire à l’objectif législatif de la loi dans son ensemble (Schachter, p. 705‑715). Par exemple, dans l’arrêt Vriend, le juge Iacobucci a conclu que l’Individual’s Rights Protection Act, R.S.A. 1980, c. I‑2, devrait être interprétée comme si les mots « orientation sexuelle » y figuraient parce que ces mots sont assez précis et que le législateur aurait choisi d’intégrer cette catégorie protégée plutôt que de sacrifier l’ensemble du régime (par. 155‑160 et 167‑169). Dans l’arrêt R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, la juge en chef McLachlin a retranché une partie du troisième motif de refuser d’accorder la mise en liberté sous caution parce que le reste de la disposition « demeure applicable en soi et ne compromet pas l’intention du législateur » (par. 44). Notre Cour a accordé une réparation autre qu’une déclaration d’invalidité intégrale d’une disposition législative au moins 24 fois[4]. Néanmoins, une réparation adaptée ne sera souvent pas appropriée. Notre Cour a décidé d’invalider complètement une disposition dans au moins 55 affaires[5], dont les affaires précitées portant sur des dispositions qui prescrivent des peines minimales obligatoires. En adoptant une disposition qui prescrit une peine minimale obligatoire, le législateur veut retirer aux juges leur pouvoir discrétionnaire en la matière. Ainsi, le fait d’adapter une déclaration de manière à rétablir ce pouvoir discrétionnaire dénaturerait la disposition en cause, qui ne serait alors plus conforme à son objectif législatif (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 50 et 53).
[115]                     Le juge en chef Lamer était également conscient de la limite du rôle judiciaire lorsqu’il a expliqué dans l’arrêt Schachter que des réparations adaptées ne devraient pas être accordées lorsqu’elles ne se « dégage[nt] pas avec suffisamment de précision des exigences de la Constitution », car même si les tribunaux sont en mesure de déterminer les exigences de la Constitution, ils ne sont pas aptes à faire « des choix particuliers entre diverses options » (p. 707).
[116]                     En somme, conformément au principe de la suprématie de la Constitution qui est incorporé dans le par. 52(1), et compte tenu de l’importance de protéger les droits, les tribunaux doivent définir toute l’étendue de l’inconstitutionnalité et corriger celle‑ci en examinant la nature et la portée précises de la violation de la Charte. Pour garantir le droit du public au bénéfice des lois qui sont adoptées conformément à notre système démocratique, l’interprétation atténuée, l’interprétation large et la dissociation, qui sont des réparations adaptées à l’étendue de la violation, devraient être utilisées dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois (Schachter, p. 700; Vriend, par. 149‑150). Pour respecter les rôles différents des tribunaux et des législateurs, un principe fondamental de notre architecture constitutionnelle, le choix d’annuler une loi dans sa totalité ou d’accorder une réparation adaptée en donnant à cette loi une interprétation large, une interprétation atténuée ou en retranchant une de ses dispositions dépend de la réponse à la question de savoir si l’intention du législateur était telle qu’une cour peut raisonnablement conclure qu’il aurait adopté la loi telle que l’a modifiée la cour. Pour ce faire, la cour doit déterminer si l’objet général de la loi peut être réalisé sans qu’il y ait violation des droits. Si une réparation adaptée peut être accordée sans que la cour empiète sur le rôle du législateur, une telle réparation permettra de préserver les effets conformes sur le plan constitutionnel d’une loi ainsi que le bénéfice que cette loi procure au public. La primauté du droit est donc respectée si l’on veille à la conformité des lois avec la Constitution et si l’on s’assure que le public bénéficie des lois dans la mesure du possible.
(4)         Suspendre l’effet de déclarations prononcées en vertu du par. 52(1)
[117]                     Il arrive parfois qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat soit susceptible de porter atteinte à un intérêt qui revêt une importance si grande que, tout bien considéré, les avantages qu’il y a à suspendre l’effet de cette déclaration l’emportent sur les inconvénients du maintien d’une loi inconstitutionnelle qui viole des droits garantis par la Charte.
[118]                     En tout, notre Cour a suspendu l’effet de déclarations d’invalidité dans 23 des quelque 90 arrêts où elle a déclaré inopérantes des dispositions législatives parce qu’elles violaient la Charte[6]. Au cours des 35 dernières années, la méthode utilisée pour suspendre des déclarations d’invalidité a varié. La possibilité de procéder à une suspension a initialement été reconnue lorsqu’une telle réparation était nécessaire pour se prémunir contre de graves menaces à la primauté du droit. Ensuite, dans l’arrêt Schachter, notre Cour a statué que pour déterminer s’il faut suspendre l’effet de déclarations, il faut se demander si la loi en cause s’inscrit dans une liste de catégories — la primauté du droit est menacée, il existe un danger pour le public ou la loi comporte des avantages limitatifs — en tenant compte de l’intérêt qu’a le public à ce que la loi soit appliquée de façon temporaire. Depuis cet arrêt, d’autres catégories que celles énumérées dans l’arrêt Schachter ont été prises en compte pour suspendre l’effet de déclarations pour d’autres motifs, dont l’existence de préoccupations quant aux rôles et à la compétence des tribunaux et des législateurs. Les 12 déclarations d’invalidité qui ont été prononcées après l’arrêt Schachter entre 1992 et 1997 par suite de violations de la Charte — de l’arrêt Zundel à l’arrêt Benner — ont pris effet immédiatement. Par contre, entre 2003 et 2015 — de l’arrêt Trociuk à l’arrêt Carter — l’effet de 13 déclarations sur 17 qui avaient été prononcées en vertu du par. 52(1) a été suspendu. La suspension de l’effet de déclarations dans ces arrêts plus récents a été critiquée parce que cette réparation a été utilisée trop souvent sans qu’une explication suffisante soit fournie. Dans la présente affaire, la Cour a l’occasion de réorienter les principes en matière de réparation qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’ont les tribunaux de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité.
[119]                     La suspension de l’effet de déclarations d’invalidité a suscité de grandes préoccupations même si elle en est venue à être utilisée un peu partout dans le monde, notamment au Canada, en Allemagne, en Afrique du Sud, à Hong Kong et en Indonésie (voir, p. ex., Leckey; S. Jhaveri, « Sunsetting suspension orders in Hong Kong » dans P. J. Yap, dir., Constitutional Remedies in Asia (2019), 49). Bien que la plupart des auteurs reconnaissent que la mise en œuvre immédiate des droits doit céder le pas à d’autres préoccupations constitutionnelles dans certaines circonstances, les opinions varient en ce qui a trait aux principes sous‑jacents applicables et au juste équilibre qui doit être établi entre ces principes. D’aucuns soutiennent que l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait être suspendu que dans les [traduction] « cas extrêmes » afin d’éviter le « chaos juridique » (B. Bird, « The Judicial Notwithstanding Clause: Suspended Declarations of Invalidity » (2019), 42 Man. L.J. 23, p. 39 et 46). D’autres suggèrent que l’effet de déclarations d’invalidité peut être suspendu pour [traduction] « renvoyer des questions complexes à des institutions législatives » (S. Choudhry et K. Roach, « Putting the Past Behind Us? Prospective Judicial and Legislative Constitutional Remedies » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 205, p. 232), ce qui leur donne l’occasion d’être les premières à répondre à un constat d’inconstitutionnalité. D’autres encore souscrivent à une méthode fondée sur la proportionnalité qui comporterait des facteurs tirés du critère de l’arrêt Oakes afin d’obliger le gouvernement à démontrer qu’une suspension est justifiée (Hoole, p. 136‑147; B. Ryder, « Suspending the Charter » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 267, p. 282‑283). Cependant, tous les auteurs reconnaissent un certain pouvoir discrétionnaire de suspendre l’effet de déclarations d’invalidité au Canada.
[120]                     Même si le par. 52(1) ne confère pas explicitement le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration[7], dans les décisions constitutionnelles, les tribunaux « peu[ven]t tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada » (Droits linguistiques au Manitoba, p. 752; voir aussi R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342, par. 52).
[121]                     Le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité devrait être perçu comme découlant de la prise en compte de considérations constitutionnelles générales et ce pouvoir est compris dans celui de déclarer une loi invalide (voir Koo Sze Yiu c. Chief Executive of the HKSAR, [2006] 3 H.K.L.R.D. 455, par. 35). Il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres de cas où le fait de donner immédiatement et rétroactivement effet aux droits et libertés fondamentaux garantis par la Charte doit, parfois, céder le pas à d’autres impératifs. Cela reflète la « différence manifeste entre le fait de déclarer une loi inconstitutionnelle et la détermination des conséquences d’ordre pratique et juridique qui découlent de cette déclaration » (Air Canada c. Colombie‑Britannique, 1989 CanLII 95 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1161, p. 1195). Par exemple, même dans les cas où une déclaration d’invalidité est prononcée, d’autres doctrines juridiques, telles que le principe de la validité de facto, l’autorité de la chose jugée ou les règles de prescription, peuvent restreindre la portée rétrospective de la déclaration (Hislop, par. 101).
[122]                     À l’origine, l’idée que l’effet d’une déclaration pouvait être suspendu avait pour but de se protéger contre une situation d’urgence potentielle. En 1985, dans l’arrêt Droits linguistiques au Manitoba, presque toutes les lois du Manitoba ont été déclarées inconstitutionnelles parce qu’elles avaient été adoptées en anglais seulement. La Cour a alors déclaré temporairement valides ces lois afin de permettre au législateur de les adopter de nouveau. Pour en arriver à cette décision, la Cour s’est appuyée sur le principe constitutionnel de la primauté du droit, qui est explicitement reconnu dans les préambules de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Charte et qui est implicite de par la « nature même d’une constitution » (Droits linguistiques au Manitoba, p. 750). La primauté du droit exige la création et le maintien d’un ordre réel de droit positif régissant la société; la création d’un vide juridique, de même que le chaos en la matière qui s’ensuivrait inévitablement seraient contraires à ce principe (p. 753). La période de validité temporaire a commencé à courir à compter de la date du jugement et a pris fin « à l’expiration du délai minimum requis pour traduire, adopter de nouveau, imprimer et publier ces lois » (p. 767).
[123]                     La Cour a suspendu l’effet d’une déclaration d’invalidité pour la première fois dans une affaire portant sur la Charte dans l’arrêt Swain, où elle a déclaré inconstitutionnelle la détention automatique d’une personne acquittée pour cause de ce qu’on appelait à l’époque l’« aliénation mentale ». Le juge en chef Lamer a suspendu l’effet de la déclaration de crainte que les juges soient obligés de libérer les personnes acquittées « qui pourraient fort bien présenter un danger pour le public » (p. 1021) si la disposition législative était immédiatement invalidée.
[124]                     Dans l’arrêt Schachter, le juge en chef Lamer a reconnu l’existence de trois catégories de cas où l’effet d’une déclaration d’invalidité peut être suspendu : lorsque la primauté du droit est menacée, lorsque la sécurité du public est en danger, et lorsque la loi est limitative (p. 715‑716). La première catégorie découle directement de l’arrêt Droits linguistiques au Manitoba, alors que la deuxième catégorie correspond à celle établie dans l’arrêt Swain, et la troisième catégorie représente les circonstances de l’arrêt Schachter lui‑même, dans lequel l’invalidation immédiate de la disposition législative aurait privé des personnes admissibles des avantages financiers auxquels elles avaient droit en vertu de la loi, sans offrir de réparation aux personnes directement privées des avantages en question. Les trois catégories tiennent toutes compte de considérations fondées sur la Constitution, y compris la reconnaissance de l’intérêt qu’a le public dans des lois adoptées pour son bénéfice. La suspension de l’effet d’une déclaration constitue donc pour les tribunaux un moyen de préserver les droits et privilèges que les régimes existants confèrent au public.
[125]                     L’approche fondée sur des catégories qui a été adoptée dans l’arrêt Schachter a causé de l’incertitude en ce qui concerne le moment où l’effet d’une déclaration d’invalidité sera suspendu. Dans certains arrêts, d’autres catégories que celles établies dans Schachter ont été énoncées. Par exemple, la suspension de l’effet d’une déclaration a été approuvée lorsque cette réparation favorisait la recherche de solutions communes dans le contexte des droits ancestraux (R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, par. 51), et cette réparation a été accordée lorsqu’elle s’inscrivait dans une catégorie analogue à l’une de celles établies dans l’arrêt Schachter (Trociuk, par. 43). Dans d’autres arrêts, le fait qu’un cas ne s’inscrivait pas dans l’une des catégories établies dans l’arrêt Schachter a été invoqué pour expliquer le refus de suspendre l’effet d’une déclaration (Boudreault, par. 98; Hislop, par. 121). Parfois, la Cour n’a fourni aucune explication pour justifier la suspension de l’effet de sa déclaration (Association de la police montée, par. 158; Saskatchewan Federation of Labour, par. 103). Certains auteurs de doctrine ont également souligné l’absence de raisonnement transparent dans certains des arrêts de notre Cour où l’effet d’une déclaration d’invalidité a été suspendu (Roach (2004); Hoole, p. 118‑123).
[126]                     Une méthode fondée sur des principes permet de concilier ces précédents sur la suspension de l’effet d’une déclaration en plus de favoriser l’uniformité et la transparence. Comme je vais l’expliquer, il incombe au gouvernement de démontrer qu’un intérêt public impérieux, semblable à ceux que vise l’arrêt Shachter, justifie de prononcer la suspension. Ces intérêts impérieux ne peuvent se limiter à une liste exhaustive de catégories, mais doivent être liés à un principe de réparation fondé sur la Constitution — habituellement le principe selon lequel le public a droit au bénéfice de la loi ou suivant lequel les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents. L’approche fondée sur des catégories qui a été adoptée dans l’arrêt Schachter a été remplacée par les principes sous‑jacents en matière de réparation sur lesquels reposaient les catégories établies, ce qui n’est pas surprenant, puisque, dans l’arrêt Schachter, la Cour s’est appuyée sur un petit nombre d’affaires pour établir son approche fondée sur les catégories.
[127]                     En outre, la pertinence de certains des principes sous‑jacents a évolué dans notre jurisprudence. Le juge en chef Lamer a expressément souligné dans l’arrêt Schachter que « [l]a question de savoir s’il y lieu de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas dépendre de considérations ayant trait au rôle des tribunaux et des législateurs, mais plutôt de considérations sur l’effet d’une déclaration d’invalidité sur le public » (p. 717, je souligne).
[128]                     Néanmoins, depuis la fin des années 1990, le principe général selon lequel les tribunaux et les législateurs ont des rôles et des compétences différents a guidé la manière dont la Cour exerce sa compétence pour suspendre l’effet de ses déclarations pendant une période donnée. Dans pas moins de 10 arrêts, notre Cour s’est appuyée sur les différents rôles et attributions des législateurs et des tribunaux pour suspendre les effets de déclarations[8]. Le professeur Roach a soutenu que les remarques incidentes de l’arrêt Schachter citées dans le paragraphe précédent devraient être rejetées ou nuancées compte tenu de ces jugements, et que les rôles institutionnels devraient être explicitement reconnus comme un motif légitime pour suspendre la prise d’effet de déclarations (Roach (2004), p. 144). Selon l’acception la plus large de cette conception, les suspensions permettent aux législateurs de décider de la réparation qu’il convient d’accorder pour corriger leur propre violation de la Constitution, [traduction] « élimin[ant] ou atténu[ant] [ainsi] l’objection contre‑majoritaire au contrôle judiciaire [des lois] » (Choudhry et Roach, p. 227). À mon avis, cette acception suppose une interprétation trop étroite du rôle des tribunaux. Le respect du rôle du législateur ne peut pas se faire au détriment des fonctions que la Constitution attribue aux tribunaux, soit celles de donner effet aux droits constitutionnels et de tirer des conclusions de droit.
[129]                     Bien que les rôles institutionnels puissent être pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation, les tribunaux n’ont pas expliqué de façon transparente comment ces rôles pouvaient être un motif légitime pour suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité lorsqu’ils se sont appuyés sur ceux‑ci pour rendre leur décision (Hoole, p. 118‑123). La pertinence des rôles institutionnels pour suspendre l’effet de déclarations d’invalidité ne peut être dissociée de la raison d’être première de la suspension de l’effet de déclarations, soit éviter les conséquences néfastes et indésirables d’une déclaration avec effet immédiat. À mon avis, la meilleure manière de concilier l’arrêt Schachter et les décisions qui ont été rendues par la suite serait de reconnaître que le fait de permettre au législateur de s’acquitter de son rôle d’adopter des lois est un facteur pertinent pour trancher la question de savoir si l’effet d’une déclaration d’invalidité doit être suspendu, mais seulement lorsque le gouvernement établit qu’une déclaration avec effet immédiat nuirait considérablement à la capacité du législateur de légiférer.
[130]                     Pour décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation pour suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, la Cour devrait se demander si et dans quelle mesure le gouvernement a établi qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat limite la capacité du législateur à mettre en place des politiques. Comme l’a reconnu Bruce Ryder, dans la grande majorité des cas, [traduction] « [u]ne déclaration dont l’effet a été suspendu n’augmente pas ni ne réduit la gamme de choix constitutionnels dont dispose un législateur » (p. 285). Par exemple, dans l’arrêt M. c. H., où la Cour a déclaré inconstitutionnelle la définition de « conjoint » qui prive d’un bénéfice les conjoints de même sexe, l’effet d’une déclaration d’invalidité a été suspendu parce que « si ces questions étaient laissées à l’appréciation des tribunaux, elles ne pourraient être tranchées que sur la base du cas par cas, à grands frais pour les plaideurs privés et pour le contribuable. Par conséquent, [. . .] il faut accorder au législateur une certaine latitude pour lui permettre d’aborder ces questions d’une façon plus globale » (par. 147). Cependant, une déclaration avec effet immédiat n’aurait pas empêché le législateur d’aborder ces questions d’une façon plus globale compte tenu de la décision de la Cour. Par contre, dans certains cas, une déclaration avec effet immédiat pourrait créer des droits juridiques qui limiteraient la gamme de choix de politiques constitutionnels dont dispose le gouvernement ou qui compromettraient l’efficacité de ses choix de politique. Comme je l’expliquerai, la présente affaire constitue un exemple de situation où les droits juridiques créés par une déclaration d’invalidité pourraient compromettre l’efficacité des choix de politique du législateur. Or, le fait d’éviter de restreindre ainsi la capacité du législateur de légiférer n’est qu’un facteur pertinent à prendre en considération et peut ne pas être suffisant pour justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité.
[131]                     L’avantage qui découle de la suspension (ou le préjudice que celle‑ci permet d’éviter) doit alors être soupesé de façon transparente avec les principes fondamentaux faisant contrepoids en matière de réparation, soit le principe selon lequel les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces et le principe selon lequel il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution. Pour ce faire, divers facteurs doivent être pris en considération, dont l’importance de l’atteinte aux droits (Bedford, par. 167) — ainsi, l’atteinte continue aux droits aura un très grand poids lorsqu’un risque de poursuite criminelle est en jeu — et le préjudice que pourrait causer la suspension, comme la création d’une incertitude juridique (Leckey, p. 594‑595). Bien que les contextes constitutionnels soient différents, les cours constitutionnelles de l’Afrique du Sud et de l’Allemagne ont également reconnu que le bien‑fondé d’une réparation constitutionnelle autre qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat repose sur l’équilibre qui peut être établi entre les préjudices qui sont causés lorsque les droits des individus ne sont pas protégés immédiatement et les préjudices qui découlent d’une déclaration avec effet immédiat (voir, p. ex., Coetzee c. Government of the Republic of South Africa, [1995] ZACC 7, 1995 (4) S.A. 631, par. 76; BVerfG, 2 BvC 62/14, décision du 29 janvier 2019 (Allemagne), par. 136‑137).
[132]                     Toutefois, l’établissement d’un équilibre ne signifie pas pour autant qu’il est plus facile de justifier la suspension. L’approche fondée sur des catégories avait peut‑être pour objectif de définir les circonstances limitées dans lesquelles une loi inconstitutionnelle peut continuer de s’appliquer de façon temporaire, mais elle n’a pas eu cet effet. L’établissement d’un équilibre permet aux tribunaux de faire intervenir les principes sous‑jacents applicables et de veiller à ce que la suspension de l’effet d’une déclaration ne soit pas ordonnée à moins que des raisons impérieuses le justifient. Lorsqu’un juste équilibre est établi, l’effet d’une déclaration n’est suspendu qu’en de rares circonstances. Compte tenu du libellé impératif du par. 52(1), et de l’importance des principes fondamentaux en matière de réparation que sont la conformité des lois avec la Constitution et l’octroi de réparations efficaces afin de protéger les droits des personnes directement touchées, les déclarations avec effet immédiat revêtent un grand intérêt. En effet, si des lois inconstitutionnelles demeurent en vigueur indéfiniment, une incertitude et une instabilité juridiques pourraient alors s’installer, surtout si ces lois établissent des interdictions criminelles qui obligent de nombreux acteurs (dont les corps de police, les procureurs de la Couronne et le public) à se comporter d’une certaine façon (Leckey, p. 594‑595). La confiance du public dans la Constitution, les lois et le système juridique est ébranlée lorsqu’une loi inconstitutionnelle continue d’avoir un effet juridique sans qu’une raison impérieuse ne le justifie. Évidemment, la violation de droits constitutionnels milite fortement en faveur d’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat. Dans la pratique, une méthode fondée sur des principes exige que ces facteurs opposés soient soupesés et ne permet pas la suspension de l’effet d’une déclaration simplement parce que l’affaire met en jeu la sécurité du public, par exemple. Une méthode fondée sur des principes est donc disciplinée en pratique et serait plus rigoureuse qu’une approche fondée sur des catégories, parce que toute suspension doit être justifiée de manière précise.
[133]                     Par conséquent, je suis d’accord avec les observations du Asper Centre selon lesquelles il incombe au gouvernement de démontrer que l’importance d’un autre intérêt impérieux fondé sur la Constitution l’emporte sur la violation continue de droits constitutionnels. Dans chaque cas, l’intérêt précis, ainsi que la manière dont une déclaration avec effet immédiat menacerait cet intérêt, doit être défini et, le cas échéant, étayé par une preuve. La suspension d’effet d’une déclaration d’invalidité est rare. Cette façon de faire cadre d’ailleurs avec la pratique récente de notre Cour. En effet, notre Cour n’a pas suspendu l’effet d’une déclaration d’invalidité depuis qu’elle a rendu sa décision dans l’arrêt Carter il y a plus de cinq ans. Au cours de la période qui s’est écoulée depuis cet arrêt, elle a prononcé 13 déclarations avec effet immédiat portant inopérabilité de dispositions législatives parce qu’elles violaient la Charte[9].
[134]                     Lorsqu’il décide si l’effet d’une déclaration d’invalidité doit être suspendu, le tribunal doit également fixer la durée de la suspension. À Hong Kong, la Cour de dernier ressort a affirmé que l’effet d’une déclaration ne devrait pas être suspendu plus longtemps qu’il n’est [traduction] « nécessaire » (Koo Sze Yiu, par. 41). En revanche, dans l’arrêt Corbiere, la suspension de la prise d’effet de la déclaration pour une période relativement longue a donné au législateur une plus grande marge de manœuvre pour mettre à profit sa capacité de consulter (par. 119 et 121, la juge L’Heureux‑Dubé). Dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 14, la prorogation de la suspension de la prise d’effet d’une déclaration était assortie d’un processus par lequel tout titulaire de droits pouvait demander une réparation en vertu du par. 24(1) pour atténuer l’effet préjudiciable de la disposition inconstitutionnelle.
[135]                     À mon avis, il incombe encore au gouvernement d’établir la durée que doit avoir la suspension de la prise d’effet d’une déclaration et il n’existe pas de durée « par défaut » de 12 mois. Dans Droits linguistiques au Manitoba, notre Cour, qui n’avait pas été saisie d’observations sur ce point, s’est estimée mal outillée pour fixer le délai approprié à accorder à la législature du Manitoba pour adopter de nouveau toutes ses lois tant en français qu’en anglais (p. 769). Il appartient au gouvernement de justifier le délai de la suspension qu’il sollicite.
[136]                     J’ajouterai ceci. Mes collègues affirment que l’art. 33 de la Charte est une source de pouvoir explicite et, de ce fait, plus légitime qui permet au législateur fédéral ou provincial de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité. Selon mes collègues, étant donné que la Constitution accorde ce pouvoir aux législateurs fédéral et provinciaux, la suspension serait une mesure de nature législative et en contradiction avec la fonction judiciaire.
[137]                     Cette proposition est insoutenable. L’article 33 permet au législateur fédéral ou provincial de soustraire temporairement une loi à l’application des droits et libertés garantis par les art. 2 et 7 à 15 de notre Charte, même pour des motifs purement politiques (Charte, par. 32(1) ainsi que 33(1) et (2); Québec Association of Protestant School Boards, p. 86). Lorsque le tribunal conclut qu’une loi viole la Charte d’une façon qui ne peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier, il doit accorder la réparation appropriée. Dans de rares cas, cette réparation prend la forme d’une suspension des effets d’une déclaration d’invalidité au vu d’un intérêt public impérieux. La suspension ordonnée par le tribunal laisse aux législateurs fédéral et provinciaux le loisir de répondre à la déclaration d’invalidité, notamment en recourant à l’art. 33 (voir Vriend, par. 139 et 178). Le tribunal ne peut se dérober à sa responsabilité d’accorder une réparation en cas de violation de la Constitution simplement parce que l’art. 33 permet au législateur fédéral ou provincial de passer outre, dans des cas exceptionnels, à certains droits et libertés garantis par la Charte.
[138]                     Le tribunal a le pouvoir — et l’obligation — de se prononcer sur l’opportunité de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité. Il n’appartient pas aux tribunaux d’ordonner aux législateurs fédéral et provinciaux d’exercer leur pouvoir exceptionnel pour passer outre à des droits et libertés protégés par la Charte, ou de les inciter à le faire.
[139]                     En somme, l’effet d’une déclaration ne devrait pas être suspendu à moins que le gouvernement ne démontre qu’une déclaration avec effet immédiat menacerait un intérêt public impérieux qui l’emporte sur l’importance de se conformer immédiatement à la Constitution et sur une réparation qui s’appliquerait immédiatement aux personnes dont les droits garantis par la Charte seront violés. Le tribunal doit se demander quelle sera l’incidence d’une telle suspension sur les titulaires de droits et le public, et doit établir si une déclaration d’invalidité avec effet immédiat nuirait considérablement au pouvoir démocratique qu’a le législateur de mettre en place des politiques au moyen de lois. Lorsqu’une telle mesure est justifiée, la période de suspension devrait être suffisamment longue pour donner au législateur le temps dont il a démontré qu’il avait besoin pour s’acquitter avec diligence et efficacité de l’obligation qui lui incombe, tout en reconnaissant que chaque jour additionnel pendant lequel les droits sont violés constitue un contrepoids important à l’octroi de temps supplémentaire au législateur.
(5)         Réparations individuelles — exemptions des suspensions
[140]                     La suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité soulève fréquemment la question de savoir si le demandeur devrait obtenir une réparation ou une exemption individuelle de cette suspension. Le procureur général affirme que des exemptions individuelles d’une suspension ne devraient être accordées que dans des cas extrêmes où le demandeur ne pourra pas bénéficier des avantages de la déclaration faute d’exemption. Il soutient que les exemptions individuelles créent de l’incertitude et sapent la primauté du droit en appliquant les lois à tout le monde, sauf aux demandeurs qui les ont contestées. Selon lui, l’octroi d’exemptions individuelles usurpe le rôle du législateur en imposant un pouvoir discrétionnaire lorsque la loi l’interdit.
[141]                     Le procureur général s’appuie également sur une « règle » qui a été approuvée dans l’arrêt Demers selon laquelle des réparations fondées sur le par. 24(1) ne peuvent pas être combinées à des réparations fondées sur le par. 52(1), ce qui empêche les tribunaux d’octroyer une réparation individuelle en vertu du par. 24(1) pendant la période de suspension (par. 62). Cependant, au par. 61 de Demers, les juges Iacobucci et Bastarache ont tiré cette conclusion d’un passage de l’arrêt Schachter où la Cour précisait que « si l’effet de la déclaration d’invalidité est temporairement suspendu, il n’y aura pas non plus souvent lieu à une réparation en vertu de l’art. 24 » (p. 720, je souligne) parce qu’une telle réparation saperait l’effet de la suspension. En ce qui concerne l’octroi d’une réparation individuelle pendant une période de suspension, le juge en chef Lamer a expliqué que cette mesure « équivaudrait » à donner un effet rétroactif à la déclaration d’invalidité.
[142]                     Dans la mesure où, dans l’arrêt Demers, la Cour affirme que l’arrêt Schachter énonce une règle rigide qui interdit de combiner des réparations fondées sur le par. 24(1) et des réparations fondées sur le par. 52(1), elle interprète erronément ce jugement. Comme je vais l’expliquer, le par. 24(1) a une application trop souple pour être restreint de cette manière. Comme le laissent entendre d’autres arrêts de notre Cour, l’exemption individuelle d’une suspension constituera souvent une réparation « convenable et juste » dans les cas où un demandeur a bravé la tempête d’un litige constitutionnel et a obtenu un jugement déclaratoire dont « toute la société [. . .] profite » (Demers, par. 99, le juge LeBel). Par contre, si une exemption mine la raison d’être d’une suspension, ce facteur important ira à l’encontre de l’octroi d’une exemption.
[143]                     Le paragraphe 24(1) de la Charte est ainsi libellé :
                    24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[144]                     Notre Cour a déclaré que pour être « convenable et juste », une réparation fondée sur le par. 24(1) devrait permettre de défendre utilement les droits du demandeur, respecter la séparation des pouvoirs, mettre à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal, être équitable pour la partie visée par la réparation et permettre au par. 24(1) d’évoluer de manière à relever les défis de chaque cas (Doucet‑Boudreau, par. 55‑59). Plus particulièrement, une réparation efficace qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur tiendra compte de la nature des droits violés et de la situation du demandeur, sera adaptée à l’expérience vécue par le demandeur et tiendra compte des circonstances de la violation des droits en cause, et ne sera pas « étouffé[e] » dans les délais et les difficultés de procédure (par. 55). De plus, la manière dont la Cour aborde les réparations accordées sur le fondement du par. 24(1) doit rester souple et prendre en considération les besoins en cause (par. 59).
[145]                     Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour qu’il peut être convenable et juste d’accorder des réparations individuelles pendant la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. Par exemple, notre Cour a accordé des prestations d’invalidité à une travailleuse souffrant de douleur chronique pendant la suspension de l’effet d’une déclaration qui invalidait des dispositions excluant la douleur chronique du champ d’application du régime d’indemnisation des accidentés du travail (Martin, par. 121‑122). La Cour a également acquitté des individus d’accusations criminelles ou quasi criminelles qui découlaient de lois inconstitutionnelles en dépit de la suspension des effets des déclarations d’invalidité (Guignard, par. 32; Bain, p. 105 et 165; voir aussi Corbiere, par. 22‑23).
[146]                     Une règle selon laquelle les demandeurs individuels ne peuvent pas être exemptés de la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité entraverait indûment l’exercice du large pouvoir discrétionnaire qui est conféré aux tribunaux par le par. 24(1) de la Charte, qui leur permet d’accorder les réparations qu’ils « estime[nt] convenable[s] et juste[s] eu égard aux circonstances ». Le pouvoir discrétionnaire de réparation est un élément fondamental de la Charte. Interdire aux demandeurs individuels d’être exemptés d’une suspension sera souvent injuste pour ces derniers, surtout compte tenu du fait que la nécessité de la réparation individuelle découle de la décision du tribunal de suspendre l’effet de la déclaration en cause. Il ne fait certes aucun doute que la raison pour laquelle l’effet d’une déclaration a été suspendu est un facteur important qui doit être pris en compte lors de l’octroi d’une réparation fondée sur le par. 24(1) — et, comme je l’explique plus loin, ce facteur devrait également être pris en considération lorsque le tribunal envisage d’accorder une exemption. Cependant, Brendan Brammall a décrit avec justesse une règle stricte selon laquelle la priorité doit être accordée à l’équité à laquelle le gouvernement a droit [traduction] « plutôt qu’à tous les motifs faisant contrepoids, comme l’octroi d’une réparation efficace » (« A Comment on Doucet‑Boudreau v. Nova Scotia (Minister of Education) and R. v. Demers » (2006), 64 U.T. Fac. L. Rev. 113, p. 117).
[147]                     À mon avis, lorsque l’effet d’une déclaration est suspendu, il sera souvent convenable et juste d’accorder une réparation individuelle au demandeur. En effet, l’importance de protéger les droits constitutionnels milite fortement en faveur de l’octroi d’une réparation individuelle. Le souci de défendre des droits individuels par l’octroi de réparations efficaces remonte à Blackstone et Dicey, et il reste d’actualité (voir K. Roach, « Dialogic remedies » (2019), 17 I CON 860, p. 862‑865).
[148]                     Exempter seulement le demandeur de l’application d’une suspension peut sembler injuste à première vue (voir, dans le contexte des réparations prospectives, Choudhry et Roach, p. 223, note de bas de page 65, citant Harper c. Virginia Department of Taxation, 509 U.S. 86 (1993); Reynoldsville Casket Co. c. Hyde, 514 U.S. 749 (1995)). Or, le demandeur ne se trouve pas dans la même situation que les autres personnes assujetties à la loi contestée sous un rapport clé : le demandeur qui a gain de cause dans sa contestation constitutionnelle a servi l’intérêt du public en faisant en sorte qu’une loi inconstitutionnelle soit invalidée. En effet, le demandeur a exercé le « droit des citoyens au respect de la constitution par le Parlement » (Thorson c. Procureur général du Canada, 1974 CanLII 6 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 138, p. 163). Comme l’a fait valoir le procureur général, il est dans l’intérêt du public que les lois s’appliquent à tous de façon uniforme, mais il est également dans l’intérêt du public que des réparations immédiates soient accordées aux demandeurs. Les réalités pratiques de la contestation de la constitutionnalité d’une loi peuvent cependant dissuader les demandeurs d’intenter une action qui comporte des avantages substantiels pour la société (Leckey, p. 594‑595; Brammall, p. 119, note de bas de page 44, citant Demers, par. 99, le juge LeBel; voir aussi ministère de la Justice, Division de la recherche et de la statistique, Les coûts des litiges fondés sur la Charte (2016)). Les exemptions individuelles peuvent également atténuer tous les autres facteurs de dissuasion attribuables à la suspension de l’effet de déclarations (Leckey, p. 607). Par conséquent, les tribunaux ne devraient pas seulement s’attarder à l’affaire ou à la loi dont ils sont saisis, mais ils devraient aussi favoriser la conformité à la Charte à long terme par le truchement des réparations qu’ils accordent en vertu du par. 24(1) (Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 29 et 38).
[149]                     Tout comme pour la décision de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité malgré la violation continue des droits, il doit y avoir une raison impérieuse de refuser au demandeur une réparation avec effet immédiat. Deux exemples sautent aux yeux.
[150]                     Premièrement, le tribunal doit se demander si l’octroi d’une exemption dans la situation particulière du demandeur mine l’intérêt de suspendre l’effet de la déclaration et, le cas échéant, dans quelle mesure. Par conséquent, la capacité du législateur à adapter ses réponses politiques à la déclaration et l’intérêt qu’a le public à ce que la loi soit appliquée de façon temporaire seront des éléments importants à prendre en compte pour déterminer si une exemption peut être accordée. Par exemple, lorsque l’effet d’une déclaration est suspendu afin de protéger la sécurité du public, il ne serait pas convenable et juste d’accorder une exemption individuelle si celle‑ci mettait en danger la sécurité du public. Une preuve de la situation du demandeur concerné, dont disposera vraisemblablement le tribunal, lui permettra de décider si tel est le cas.
[151]                     Deuxièmement, le tribunal peut aussi avoir une raison impérieuse de ne pas accorder d’exemption individuelle s’il est inopportun de le faire en raison de considérations pratiques comme l’économie des ressources judiciaires. Par exemple, si une catégorie ou un groupe important de demandeurs se pourvoit en justice, il ne sera peut‑être pas pratique — ni même possible — de procéder aux évaluations individuelles nécessaires pour accorder des exemptions à chacun d’eux.
[152]                     En fin de compte, on sert bien le public en encourageant le recours aux tribunaux qui favorise l’intérêt public en mettant au jour l’inconstitutionnalité d’une loi. Les demandeurs consacrent du temps et des ressources pour intenter des actions dans l’intérêt public, contrairement aux autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable — et le temps et les ressources qu’ils consacrent ainsi peuvent être profitables à d’autres personnes directement touchées, surtout celles qui n’ont pas les moyens de la contester elles‑mêmes. Par conséquent, si, à tous autres égards, une exemption constitue une réparation convenable et juste, les demandeurs devraient être exemptés des suspensions s’il n’existe aucun motif impérieux de ne pas leur accorder une telle réparation. Il sera d’ailleurs souvent nécessaire d’exempter un demandeur d’une suspension pour mettre en balance les intérêts de ce dernier, du public en général et du législateur.
(6)         Principes généraux en matière de réparation dans les cas où une loi viole la Charte
[153]                     Comme je l’ai expliqué, la détermination du type et de la portée des réparations qu’il convient d’accorder conformément à la loi, la suspension de l’effet de ces réparations et l’exemption des plaideurs de ces suspensions sont souvent les pierres de touche de la pratique de notre Cour en matière de réparation, lesquelles guident le pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes qu’elle exerce au moment d’accorder des réparations dans les cas où une loi viole la Charte.
[154]                     La protection des droits se trouve au cœur de cette approche en matière de réparation. Le paragraphe 52(1) exige des tribunaux qu’ils déclarent invalide toute disposition législative qui viole la Charte. L’objet de la Charte est de « veiller à ce que toute action gouvernementale soit conforme à certains droits et libertés individuels dont la protection est essentielle au maintien d’une société démocratique et fonctionnelle dans laquelle la dignité fondamentale de tous les individus est reconnue » (Richardson, par. 57). Le principe fondamental selon lequel les tribunaux devraient accorder des réparations lorsque des droits constitutionnels sont violés (Doucet‑Boudreau, par. 25) oriente la détermination du type et de la portée de la déclaration, constitue un contrepoids important à la suspension de l’effet de cette déclaration, et milite en faveur de l’octroi d’une réparation individuelle en même temps qu’une suspension.
[155]                     L’une des caractéristiques déterminantes de notre société, qui trouve son expression au par. 52(1) et que requiert la primauté du droit, est le principe suivant lequel les lois et mesures étatiques doivent être conformes à la Constitution (SWUAV, par. 31; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CanLII 116 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 236, p. 250; Renvoi relatif à la sécession, par. 72). Il ressort d’ailleurs des décisions de notre Cour en matière de réparation qu’il est dans l’intérêt du public que les lois qui le régissent soient conformes à la Constitution. Les tribunaux s’assurent qu’une réparation s’applique à la pleine portée des violations de la Charte; si cela joue un rôle important dans la protection des droits, cela sert également l’intérêt du public en veillant à ce que les actes de l’État soient conformes à la loi, puisque « [l]e respect des normes établies dans la Charte constitue un principe fondamental de bon gouvernement » (Ward, par. 38). L’importance de la conformité à la Constitution milite contre la suspension de l’effet d’une déclaration et en faveur d’une exemption individuelle de toute suspension.
[156]                     Un autre aspect de la primauté du droit exprimé au par. 52(1), qui dispose que la Constitution rend inopérantes les « dispositions incompatibles de toute autre règle de droit », est qu’il doit y avoir un ordre de droit positif qui régit la société et la protège. Il est dans l’intérêt du public de conserver des lois qui ont été dûment adoptées par les législatures démocratiquement élues du pays, pourvu que ces lois ne soient pas inconstitutionnelles. C’est pourquoi les tribunaux adaptent les réparations pour préserver, dans la mesure du possible, les aspects constitutionnels d’une loi inconstitutionnelle et pourquoi ils suspendent temporairement l’effet d’une déclaration lorsqu’une ordonnance avec effet immédiat risque de miner l’intérêt du public en le privant de lois qui ont été adoptées pour son bénéfice. Cependant, des préoccupations liées à l’instabilité juridique peuvent militer contre la suspension.
[157]                     Enfin, le respect du rôle du législateur conjugué à la compréhension des fonctions des tribunaux est le fil conducteur de la pratique de notre Cour en ce qui concerne les réparations qu’il convient d’accorder en présence de lois inconstitutionnelles. Lorsque les tribunaux déterminent le type et la portée des réparations, ils conservent le plus de dispositions possible de la loi en cause afin de respecter les choix de politique du législateur, respectant ainsi son intention évidente. Toutefois, les tribunaux ne se dérobent pas à leur obligation de protéger les droits au moyen de réparations fondées sur le par. 52(1), et ils n’hésitent pas à déterminer l’étendue complète des incompatibilités avec la Constitution et à déclarer inopérantes des dispositions législatives lorsque cela est nécessaire. Les tribunaux peuvent également suspendre l’effet d’une déclaration lorsque le rôle démocratique du législateur en matière d’élaboration de politiques serait ébranlé à un point tel par une déclaration avec effet immédiat que cela l’emporte sur d’importants principes qui font contrepoids. Dans un tel cas, si une exemption mine ce rôle, cela militera contre l’octroi d’une réparation individuelle.
[158]                     Comme je l’ai expliqué, ces considérations constitutionnelles, qui se dégagent de notre Constitution ainsi que de l’architecture générale de notre ordre constitutionnel et de la primauté du droit, ont maintes fois été soulevées dans la jurisprudence de notre Cour au sujet des réparations accordées en vertu du par. 52(1) pour des violations de la Charte et ont donné naissance à quatre principes fondamentaux :
A.   Les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces.
B.     Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution.
C.     Le public a droit au bénéfice de la loi.
D.   Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents.
[159]                     À mon avis, ces principes en matière de réparation jettent les bases de l’octroi de réparations utiles dans différents contextes. Ils guident les tribunaux et les encouragent à expliquer de façon transparente leurs décisions au chapitre des réparations. Ces principes ne débouchent pas toujours sur une entente quant à l’issue appropriée, mais leur valeur réside dans la transparence, ce qui aide les personnes en désaccord à exprimer clairement leurs points de vue.
(7)         Application en l’espèce
(a)           Quels devraient être le type et la portée de la réparation?
[160]                     La première étape à suivre pour déterminer le type et la portée d’une réparation fondée sur le par. 52(1) consiste à établir dans quelle mesure la loi est incompatible avec la Charte, ce qui dépend de la nature de la violation de fond des droits.
[161]                     En l’espèce, la Loi Christopher restreint l’application du par. 15(1) de la Charte en exigeant que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux s’acquittent de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels après avoir obtenu une libération, sans leur donner la possibilité d’être dispensées de cette obligation et d’être retirées du registre à la suite d’une évaluation individuelle. Cette loi crée des distinctions fondées sur le motif énuméré de la déficience mentale en offrant aux personnes déclarées coupables d’une infraction sexuelle la possibilité d’être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre et d’être retirées de celui‑ci, alors qu’une telle possibilité n’est pas offerte aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. Ces distinctions sont discriminatoires parce qu’elles perpétuent le désavantage historique que continuent de subir les personnes souffrant de troubles mentaux.
[162]                     Il a été conclu que la violation du par. 15(1) ne portait pas atteinte de façon minimale au droit que confère cette disposition parce que le fait d’offrir aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux la possibilité de se soumettre à une évaluation individuelle au terme de laquelle elles pourraient être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre et être retirées de celui‑ci porterait moins atteinte à ce droit.
[163]                     À la deuxième étape, le tribunal doit décider s’il convient d’accorder une réparation adaptée au lieu de déclarer invalide l’ensemble de la loi contestée.
[164]                     Compte tenu de la nature limitée et précise de la violation dans le contexte du régime général d’enregistrement des délinquants sexuels, il convenait manifestement d’accorder une réparation adaptée en réaction à l’inconstitutionnalité de la Loi. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que la législature aurait appliqué la Loi Christopher aux personnes déclarées coupables d’une infraction sexuelle même si elle ne pouvait pas inclure dans cette loi les personnes qui ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et qui ont obtenu une libération.
[165]                     Dans la présente affaire, une interprétation large de la Loi Christopher selon laquelle cette loi exige qu’une évaluation individuelle soit réalisée empiéterait sur le domaine législatif. En effet, il y a maintes façons de procéder à une telle évaluation et « [i]l appartient [. . .] aux législateurs et non aux tribunaux de combler les lacunes » (Schachter, p. 705).
[166]                     Par contre, une interprétation atténuée de la Loi Christopher selon laquelle cette loi est inopérante dans la mesure où elle s’applique à toutes les personnes touchées par ses effets inconstitutionnels permettrait de défendre efficacement les droits sans empiéter sur les aspects de l’application de cette loi qui ne sont pas visés par le constat d’inconstitutionnalité. En l’espèce, l’octroi d’une réparation adaptée permettra de mieux protéger l’intérêt qu’a le public dans des lois adoptées pour son bénéfice et de mieux respecter le rôle du législateur tout en protégeant aussi les droits garantis par la Charte et en défendant l’intérêt du public à ce que les lois soient conformes à la Constitution.
[167]                     Il reste à examiner une dernière question concernant la portée qu’il convient de donner à la déclaration dans la présente affaire. Certes, G a fait valoir que la Loi Christopher viole le par. 15(1) de la Charte qui, tel qu’en conviennent notre Cour et la Cour d’appel, s’applique à toutes les personnes qui ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles et qui ont obtenu une libération. Cependant, la contestation constitutionnelle de G ne visait que les personnes qui ont obtenu une libération inconditionnelle. L’ordonnance de la Cour d’appel et les questions constitutionnelles qui ont été soulevées par les parties devant notre Cour avaient également une portée limitée. La déclaration prononcée en vertu du par. 52(1) doit‑elle être limitée ainsi?
[168]                     À mon avis, les limites formelles dont est assortie la requête de G ne reflètent pas l’essence de la question constitutionnelle dont est saisie la Cour, comme le soutiennent les parties. Les arguments de G concernant le par. 15(1) visent toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui n’ont pas accès à des mécanismes de dispense et de retrait à la suite d’une évaluation individuelle, soit toutes les personnes qui ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et qui ont obtenu une libération. De plus, toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux sont également visées par le principal argument fondé sur l’article premier qui a été invoqué par le procureur général pour tenter de justifier la violation du par. 15(1) — à savoir que notre Cour devrait s’en remettre à la conclusion du législateur suivant laquelle toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle devraient être inscrites au registre parce qu’elles sont plus susceptibles de récidiver qu’un membre du grand public l’est de commettre une première infraction, et qu’il est impossible de prédire avec certitude leur risque de récidive. Bien entendu, les personnes libérées sous conditions ont la possibilité d’obtenir une libération inconditionnelle à l’issue de chaque audience de révision annuelle devant la commission d’examen.
[169]                     Toutefois, si la requête de G avait visé toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération, le procureur général aurait pu produire d’autres éléments de preuve pour étayer ses arguments fondés sur l’article premier et aurait également pu aborder la question des différents risques que présentent ces personnes — en particulier le risque de récidive que présentent les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération sous conditions.
[170]                     Comme je ne peux conclure que le procureur général a « vraiment [eu] l’occasion de soutenir la validité » de la Loi Christopher à l’endroit des personnes qui ont obtenu une libération sous conditions, je suis d’avis, à l’instar de la Cour d’appel, de limiter la déclaration aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération inconditionnelle (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 19 et 22).
(b)         L’effet de la déclaration a‑t‑il été suspendu à juste titre?
[171]                     Comme je l’ai déjà mentionné, le libellé du par. 52(1) ainsi que la nécessité de protéger les droits garantis par la Charte et de veiller à ce que toutes les lois soient conformes à la Constitution militent fortement en faveur d’une déclaration avec effet immédiat. Or, ces éléments doivent être mis en balance avec la protection de l’intérêt du public dans des lois adoptées pour son bénéfice. Pour ce faire, la Cour doit tenir compte de la nature et de la portée des violations continues des droits, de même que du fait qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat pourrait compromettre un intérêt public en particulier.
[172]                     Le procureur général soutient que la sécurité du public est l’intérêt public qui justifie une suspension. L’importance de cet intérêt, de même que le poids qu’il convient de lui accorder dans l’analyse, reposent sur le risque que présentent les personnes qui ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles et qui ont obtenu une libération inconditionnelle d’une commission d’examen provinciale.
[173]                     Le Code criminel exige que les commissions d’examen provinciales accordent une libération inconditionnelle à toute personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux s’il n’y a pas de risque important que cette personne commette une infraction criminelle grave (Winko, par. 57). Cependant, si un tel risque existe, la commission d’examen peut rendre une décision portant libération de cette personne sous réserve des modalités que la commission juge indiquées (Code criminel, al. 672.54b)). Quelle que soit la décision rendue, la commission d’examen prend en considération la sécurité du public, qui est le « facteur prépondérant ».
[174]                     Le juge de première instance a conclu que, statistiquement parlant, les personnes qui ont obtenu une libération après avoir été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux risquent davantage de contrevenir à la loi que la population générale. Les personnes qui ont obtenu une libération inconditionnelle sont donc quelque peu plus susceptibles de commettre des infractions criminelles. Une déclaration avec effet immédiat menacerait donc, dans une certaine mesure, l’intérêt qu’a le public d’être protégé des infractions sexuelles, car certaines personnes qui présentent encore un risque élevé de contrevenir à la loi seraient dispensées de l’obligation de se présenter devant les autorités. Ces personnes pourraient également présenter une demande en vue de faire retirer leurs renseignements personnels de la base de données conformément au par. 24(1) (voir, p. ex., Boudreault, par. 107‑109).
[175]                     Selon le juge de première instance, le registre contribue à la sécurité du public en accroissant la capacité des corps de police de prévenir les infractions sexuelles et d’enquêter sur celles‑ci. Dispenser immédiatement un groupe de personnes qui risquent de commettre des infractions sexuelles de l’obligation de se présenter devant les autorités et permettre à ces personnes de solliciter le retrait des renseignements les concernant du registre pourraient diminuer cette capacité accrue. La menace qui pèse sur la sécurité du public est donc sérieuse. Toutefois, cette menace est limitée puisque des libérations inconditionnelles ne sont pas accordées aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui présentent manifestement le risque le plus élevé de récidive.
[176]                     L’autre intérêt public en jeu est le respect de la capacité du législateur d’adopter le régime respectueux des droits qu’il préfère. Une déclaration d’invalidité avec effet immédiat risque de compromettre la capacité du législateur de s’acquitter de son rôle de décideur politique, car le fait de permettre à toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction sexuelle qui ont obtenu une libération inconditionnelle d’être retirées du registre des délinquants sexuels pourrait limiter l’efficacité de la nouvelle version de la Loi Christopher que le législateur ontarien adoptera un jour en réaction aux présents motifs. Qui plus est, il serait probablement impossible d’identifier ces personnes et de les obliger à s’inscrire au registre et à se présenter de nouveau devant les autorités — ou à se soumettre à une évaluation individuelle quelconque — parce que les renseignements à leur sujet ne seraient tout simplement pas conservés dans l’intervalle.
[177]                     Ces considérations sont contrebalancées par l’importance de la violation des droits qui persisterait temporairement si l’effet de la déclaration d’invalidité était suspendu. Les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une absolution continuent de faire l’objet de stéréotypes méprisants qui leur sont imposés par la Loi Christopher. Celle‑ci les contraint à se présenter en personne à un poste de police, les oblige à se soumettre à des vérifications policières aléatoires à leur domicile, et prévoit la conservation de leurs renseignements personnels, et ce, sans qu’il soit donné aux autorités l’occasion de déterminer si elles posent un risque suffisant pour justifier cette atteinte à leur liberté et à leur vie privée. Il importe de souligner que la suspension de l’effet de la déclaration va aussi à l’encontre de l’intérêt du public à ce que les lois soient conformes à la Constitution.
[178]                     En l’espèce, la sécurité du public continue d’être menacée, mais cette menace est limitée car le groupe d’individus dont les renseignements ne seraient plus compilés est formé entièrement de personnes qui, selon la Commission d’examen, ne présentent pas un risque important pour la sécurité du public. Toutefois, une déclaration avec effet immédiat restreindrait sensiblement la capacité du législateur de corriger cette lacune au chapitre de la sécurité du public. Il s’agit d’un cas difficile à trancher. Cependant, tout bien considéré, la combinaison de ces deux intérêts légitimes (la sécurité du public et la protection de la capacité du législateur de répondre au constat d’inconstitutionnalité) justifie que l’on prive temporairement les personnes touchées de l’avantage que procure immédiatement le présent jugement et que l’on laisse la violation perdurer.
[179]                     Les parties sont d’accord avec la suspension de 12 mois qui a été ordonnée par la Cour d’appel. Je ne vois aucune raison de modifier cette décision. Cependant, à l’avenir, les tribunaux s’attendront à ce que des observations plus détaillées soient formulées au sujet de la durée de la période pendant laquelle l’effet d’une déclaration doit être suspendu.
(c)           G aurait‑il dû être exempté de la suspension?
[180]                     La dernière question à trancher consiste à savoir s’il était convenable et juste d’exempter G de la suspension. Le procureur général soutient que cette réparation n’était pas convenable et juste vu l’absence d’une [traduction] « évaluation judiciaire du risque effectuée par un expert ».
[181]                     Les juges ne possèdent peut‑être pas l’expertise nécessaire pour effectuer eux‑mêmes des évaluations judiciaires de ce genre, mais ils sont bien placés pour rendre des décisions et sont souvent appelés à tirer des conclusions sur la sécurité du public et le risque dans d’autres contextes, notamment dans des contextes qui donnent lieu à la dispense de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels et au retrait de ce registre. Lorsque les juges doivent décider s’il y a lieu d’accorder une absolution inconditionnelle ou sous conditions à une personne déclarée coupable d’une infraction, ils doivent tenir compte de l’intérêt véritable de l’accusé et de l’intérêt public (Code criminel, art. 730). De plus, lorsqu’un juge est appelé à décider s’il convient de prononcer une révocation ou d’accorder une dispense à une personne qui est tenue de s’inscrire au registre fédéral des délinquants sexuels, il doit déterminer si le maintien de cette obligation aurait à l’égard du demandeur « un effet nettement démesuré par rapport à l’intérêt [qu’il] [. . .] présente pour la protection de la société contre les crimes de nature sexuelle au moyen d’enquêtes ou de mesures de prévention efficaces » (Code criminel, par. 490.016(1) et 490.023(2); projet de loi C‑16, Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, 37e lég., 3e sess., 2004, art. 20)[10]. Les décisions de ce genre n’exigent pas qu’un expert produise une preuve criminalistique. Qui plus est, il faut distinguer la fonction juridictionnelle que constitue l’évaluation d’un risque dans un cas donné afin d’accorder au demandeur une réparation convenable et juste, eu égard à sa situation, d’avec la tâche législative de créer un régime conçu pour évaluer ce risque.
[182]                     La Cour d’appel a accordé une exemption individuelle à G afin de le dispenser de l’application de la Loi Christopher. Le juge Doherty a conclu qu’une exemption ne minait pas l’effet de la suspension et qu’il était difficile d’imaginer un régime législatif conforme à la Constitution dans lequel G ne serait pas dispensé de l’obligation de s’inscrire au registre. L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour commande une certaine retenue. La Commission, un tribunal spécialisé, a établi il y a 17 ans qu’il n’y avait pas de risque important que G commette une infraction criminelle grave. Depuis sa remise en liberté, il n’a rien à se reprocher et rien n’indique qu’il présente un risque pour la sécurité du public. Une exemption ferait en sorte qu’il bénéficie d’une réparation efficace — près de six années se sont écoulées depuis qu’il a déposé son avis de demande et sa cause a été plaidée devant trois instances. Il ne devrait pas être privé de l’avantage d’avoir eu gain de cause sur le fond de ses contestations constitutionnelles.
[183]                     Par définition, la durée de l’exemption individuelle de la suspension correspond à la durée de la suspension. La réponse à la question de savoir si G sera visé par une nouvelle loi, quoique très peu probable, dépendra de son assujettissement aux modalités de cette loi. Les tribunaux ne peuvent pas dispenser des individus de l’application d’une loi qui n’a pas encore été adoptée, car ils ne peuvent pas prédire l’issue du processus législatif.
VII.      Conclusion
[184]                     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    Le juge Rowe —
[185]                     Je suis d’accord avec les juges Côté et Brown en ce qui concerne le par. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (par. 221‑224) et la démarche générale qu’ils proposent lorsqu’il s’agit d’accorder, en vertu du par. 24(1), une exemption individuelle de la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité prononcée au titre du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (renvois aux par. 273‑293).
[186]                     Toutefois, en ce qui a trait à la méthode qu’il convient d’employer pour suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité en vertu du par. 52(1), je suis d’avis de confirmer une fois de plus l’arrêt Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679. Comme notre Cour l’a déclaré dans cet arrêt, l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait être suspendu que dans l’un ou l’autre des cas suivants, à savoir : (1) la déclaration d’invalidité avec effet immédiat serait susceptible de présenter un danger pour le public; (2) la déclaration menacerait d’une autre manière la primauté du droit; (3) la loi a une portée trop limitative et le tribunal n’est pas en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause sur l’opportunité de l’annuler ou d’accorder des avantages à un groupe non visé par la loi, et devrait plutôt laisser au législateur le soin de trancher la question. À mon avis, ces catégories ne sont pas étanches. Je ne les délaisserais pas non plus au profit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire vague. Au contraire, il n’y a lieu de les élargir que si une déclaration d’invalidité avec effet immédiat enfreindrait un principe constitutionnel.
[187]                     La Cour ne devrait s’écarter de précédents comme l’arrêt Schachter que s’il existe des « circonstances convaincantes » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 18). Par exemple, la Cour peut revoir des précédents s’ils sont « non fondés en principe », s’ils sont « inapplicables et indûment complexes » ou s’ils se sont « attirés d’importantes critiques valables, notamment judiciaires et doctrinales » (Vavilov, par. 20).
[188]                     Ces dernières années, la Cour a, sans réflexion suffisante, rompu avec l’approche énoncée dans l’arrêt Schachter. Elle a suspendu l’effet de déclarations dans d’autres situations que celles prévues par les catégories de l’arrêt Schachter, et ce, sans tenir compte du raisonnement à la base de ces catégories. Dans certains cas, des suspensions ont été prononcées sans même renvoyer à l’arrêt Schachter. Ce fossé entre la théorie et la pratique — entre les précédents et leur application — est constaté tant par la juge Karakatsanis (par. 106 et 125) que par les juges Côté et Brown (par. 233‑235).
[189]                     Pareil fossé donne matière à réflexion. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faudrait abandonner le précédent en question, comme le préconisent mes collègues. Après y avoir réfléchi, je confirmerais l’approche suivie dans l’arrêt Schachter, pour les raisons que je vais expliquer.
I.               L’arrêt Schachter est bien fondé sur le plan des principes
[190]                     L’arrêt Schachter repose sur l’idée que la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité doit être réservée à des cas exceptionnels, vu que le par. 52(1) ne confère pas aux tribunaux de pouvoir discrétionnaire de réparation. Le point de départ de toute réflexion sur l’arrêt Schachter consiste à se demander si l’interprétation du par. 52(1) est bien fondée.
[191]                     Conformément à l’approche téléologique en matière d’interprétation de la Constitution, le libellé du par. 52(1) doit être interprété eu égard à la nature et aux objets plus généraux de la Loi constitutionnelle de 1982 (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, [2018] 2 R.C.S. 293, par. 178‑185, le juge Rowe; R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342, par. 39).
[192]                     Hormis la situation dans laquelle une preuve a été obtenue illégalement (par. 24(2)), la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit deux réparations en cas d’actes illégaux de l’État. Le contraste entre ces deux réparations est instructif :
a)      Le paragraphe 24(1) prévoit qu’en cas de violation de droits ou libertés, le tribunal peut accorder « la réparation [qu’il] estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». Il est « difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu » (Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, p. 965).
b)      Le justiciable qui se plaint, non pas d’une violation en particulier, mais de l’existence d’une loi inconstitutionnelle, peut demander réparation en vertu du par. 52(1). Contrairement au par. 24(1), le par. 52(1) ne parle ni du processus judiciaire ni de pouvoir discrétionnaire. Il prévoit plutôt que la Constitution « rend inopérantes les dispositions incompatibles » de toute autre loi.
[193]                     Ainsi, alors qu’en vertu du par. 24(1), les tribunaux disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui leur permet d’élaborer des réparations pour des violations spécifiques, aucun pouvoir discrétionnaire semblable ne leur est conféré par le par. 52(1) en ce qui concerne les lois inconstitutionnelles. Le libellé de l’article premier illustre la raison d’être de cette dichotomie : « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. » Le pouvoir de limiter des droits constitutionnels a été confié au législateur et non aux tribunaux.
[194]                     Selon une interprétation téléologique, l’absence de pouvoir discrétionnaire en matière de réparation au par. 52(1) n’est pas attribuable à un oubli. La Loi constitutionnelle de 1982 ne donne pas aux tribunaux le choix de donner ou non effet au droit des Canadiens d’être à l’abri des lois inconstitutionnelles. La Constitution n’est pas une réparation en equity ou un bref de complaisance que les tribunaux peuvent accorder selon leur bon plaisir. La Constitution confère des droits pour lesquels les Canadiens peuvent exiger une protection immédiate. Mais la Constitution ne se résume pas à la Loi constitutionnelle de 1982.
[195]                     Les dix premières années de la Loi constitutionnelle de 1982 ont fait ressortir des situations dans lesquelles une application sans nuance et immédiate du par. 52(1) créerait des conflits avec d’autres principes constitutionnels. Ainsi, dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, le prononcé d’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat aurait compromis la primauté du droit. De même, dans l’affaire R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933, le prononcé d’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat aurait constitué un danger potentiel pour le public, privant ainsi les Canadiens de la protection de la loi, ce qui constitue un des aspects de la primauté du droit. Dans ces affaires, la résolution du conflit entre des principes constitutionnels divergents exigeait que le tribunal suspende l’effet de la déclaration d’invalidité.
[196]                     L’arrêt Schachter portait lui aussi sur une ambiguïté latente dans le par. 52(1). Lorsqu’une loi accorde des avantages dont la portée est trop limitative, il se peut qu’elle ne comporte pas de « dispositions incompatibles » à invalider. Il pourrait être possible de rendre le régime constitutionnel en dissociant des termes de la loi (R. c. Morales, 1992 CanLII 53 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 711), en procédant à une interprétation large par insertion de mots (Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493), en donnant une interprétation atténuée au régime (Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401), ou en invalidant purement et simplement le régime.
[197]                     Puisque le tribunal n’est pas toujours en mesure de discerner la réparation appropriée lorsqu’une loi accorde des avantages trop limitatifs, le principe constitutionnel de la suprématie du législateur entre légitimement en jeu; la suspension de l’effet de de la déclaration d’invalidité offre une occasion de donner effet à ce principe. Par exemple, l’affaire Schachter concernait une prestation financière à laquelle avaient droit les parents adoptifs, mais non les parents biologiques. Introduire par interprétation large les parents biologiques dans le champ d’application de la disposition contestée aurait considérablement élargi la portée de cette prestation et l’aurait complètement transformée, ce qui aurait amené notre Cour (comme le juge en chef Lamer l’a fait observer) à déborder le cadre de son rôle institutionnel. En revanche, l’annulation complète de la prestation aurait causé du tort à de nombreux parents adoptifs sans pour autant bénéficier aux demandeurs. En suspendant l’effet de la déclaration d’invalidité, la Cour s’est assurée que la loi puisse être rendue constitutionnelle tout en laissant au législateur le soin de décider des moyens à mettre en œuvre pour ce faire.
[198]                     Pour bien comprendre l’observation formulée dans l’arrêt Schachter selon laquelle la décision de suspendre une réparation accordée en vertu du par. 52(1) dépend de « l’effet d’une déclaration d'invalidité sur le public » et non de « considérations ayant trait au rôle des tribunaux et des législateurs » (p. 717), il faut situer ce passage dans ce contexte. Les considérations relatives au rôle institutionnel ne sont pas des assises constitutionnelles qui permettent à elles seules de prononcer une suspension. Ce n’est que dans une situation de portée trop limitative où la réparation convenable à accorder en vertu du par. 52(1) est incertaine que de telles considérations institutionnelles peuvent avoir une incidence sur l’opportunité de prononcer une suspension, comme ce fut effectivement le cas dans Schachter (p. 721‑724).
[199]                     Dans cette optique, les catégories établies dans l’arrêt Schachter illustrent les circonstances dans lesquelles des principes constitutionnels faisant contrepoids constituent une raison valable de suspendre la déclaration d’invalidité avec effet immédiat qui serait sinon prononcée en vertu du par. 52(1). Bien qu’à mon avis, ces trois catégories ne soient pas exhaustives, le tribunal ne devrait suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité que si un motif constitutionnel lui permet de le faire. Il en découle nécessairement que la compétence inhérente du tribunal ne constitue pas un fondement juridique valable ou suffisant pour écarter l’effet immédiat du par. 52(1).
II.            L’arrêt Schachter est applicable
[200]                     Même si notre Cour s’est écartée de l’arrêt Schachter, il ne faut pas pour autant en conclure que l’approche suggérée dans l’arrêt Schachter est entachée de lacunes sur le plan conceptuel. Cela dit, je n’oublie pas les arrêts comme Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, dans lequel notre Cour a invalidé des infractions relatives au travail du sexe. Expliquant qu’« [i]l peut y avoir controverse quant à savoir si l’invalidité avec effet immédiat présenterait un danger pour le public ou compromettrait la primauté du droit », la juge en chef McLachlin a néanmoins suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité parce que « passer carrément de la situation où la prostitution est réglementée à la situation où elle ne le serait pas du tout susciterait de vives inquiétudes chez de nombreux Canadiens » (par. 167). La suspension était‑elle légalement justifiée dans l’affaire Bedford? Je ne suis pas certain que les inquiétudes relevées par la juge en chef constituent un fondement juridique valable pour continuer d’assujettir des Canadiens à des dispositions législatives rendues inconstitutionnelles par application du par. 52(1).
[201]                     Les catégories établies dans l’arrêt Schachter ne se sont pas non plus avérées difficiles ou impossibles à appliquer en pratique. Les auteurs n’ont pas eu de difficulté à relever les décisions dans lesquelles notre Cour s’est écartée de l’arrêt Schachter : B. Ryder, « Suspending the Charter » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 267; C. Mouland, « Remedying the Remedy: Bedford’s Suspended Declaration of Invalidity » (2018), 41 Man. L.J. 281, p. 289-290; L. Weinrib, Suspended invalidity orders out of sync with Constitution, 21 août 2006 (en ligne); R. Leckey, « The harms of remedial discretion » (2016), 14 I CON 584; S. Burningham, « A Comment on the Court’s Decision to Suspend the Declaration of Invalidity in Carter v. Canada » (2015), 78 Sask. L. Rev. 201; G. R. Hoole, « Proportionality as a Remedial Principle: A Framework for Suspended Declarations of Invalidity in Canadian Constitutional Law » (2011), 49 Alta. L. Rev. 107.
[202]                     Au cours des six années qui ont suivi le prononcé de l’arrêt Schachter, les catégories établies dans ce dernier ont été appliquées sans problème. Selon les calculs de Ryder, seulement deux des seize réparations accordées en vertu du par. 52(1) ont été suspendues (Ryder, p. 294‑297). L’arrêt Schachter ne s’est pas avéré inapplicable en pratique; le problème vient du fait qu’on a trop souvent refusé de l’appliquer. Il a été mis à l’épreuve, il a donné de bons résultats et il peut continuer à en donner.
III.         Les autres approches proposées ne sont pas préférables
[203]                     La juge Karakatsanis suggère de remplacer les catégories de l’arrêt Schachter par ce qu’elle appelle un « pouvoir discrétionnaire fondé sur des principes », lequel se distingue de ce qu’elle appelle un « pouvoir discrétionnaire absolu » en raison des quatre principes suivants :
A.   Les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces.
B.     Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution.
C.     Le public a droit au bénéfice de la loi.
D.   Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents. [par. 94]
[204]                     Je n’ai rien à redire sur ces quatre affirmations. Mais elles sont mal structurées sur le plan analytique. Elles sont en fait tellement vagues et évidentes qu’elles ne nous offrent aucune ligne directrice utile. Bien qu’elles soient conciliables avec la jurisprudence inconstante de notre Cour, elles sont tout aussi compatibles avec les options les plus différentes qui soient. Elles ne servent pas tant à limiter l’exercice, par les tribunaux, de leur pouvoir discrétionnaire qu’à proposer un vocabulaire pour justifier des décisions ponctuelles.
[205]                     Ma collègue affirme qu’une méthode « fondée sur des principes » est préférable car elle exige une justification. Cette thèse n’est pas convaincante. Toute décision doit être justifiée. Que le cadre d’analyse soit formulé au moyen de principes ou de catégories, ce qui est en jeu, c’est de savoir s’il restreint le pouvoir discrétionnaire — comme le fait le cadre énoncé dans Schachter — ou s’il ouvre en réalité la porte à l’arbitraire des tribunaux. Je crains que l’approche axée sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui est préconisée par la juge Karakatsanis ne contribue qu’à maintenir la tendance actuelle, selon laquelle on suspend l’effet de déclarations d’invalidité de façon totalement arbitraire.
[206]                     Plus fondamentalement, je ne vois aucune raison légitime d’intégrer, par voie d’interprétation, un pouvoir discrétionnaire de réparation au par. 52(1). La disposition n’admet pas l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire. Au contraire, ce n’est qu’en raison de l’existence de principes constitutionnels opposés ou de l’ambiguïté du par. 52(1) lui‑même que l’on peut justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. Les lois incompatibles avec la Constitution sont inopérantes. Rien ne peut les faire revivre. La seule condition à laquelle on peut en ordonner l’application nonobstant leur illégalité est que les déclarer telles sur‑le‑champ irait à l’encontre d’un autre principe constitutionnel. Les tribunaux n’ont pas compétence inhérente pour rendre légal ce qui ne l’est pas. À cet égard, je diffère fondamentalement d’opinion avec ma collègue.
[207]                     Ma collègue écrit, aux par. 120 et 121 :
                        Même si le par. 52(1) ne confère pas explicitement le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration, dans les décisions constitutionnelles, les tribunaux « peu[ven]t tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada » (Droits linguistiques au Manitoba, p. 752; voir aussi R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342, par. 52) ». [Note de bas de page omise.]
                        Le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité devrait être perçu comme découlant de la prise en compte de considérations constitutionnelles générales et ce pouvoir est compris dans celui de déclarer une loi invalide. . .
Elle écrit aussi, au par. 85, que « [l]es tribunaux ont plutôt le pouvoir de prononcer une déclaration générale conformément à la compétence légale ou inhérente dont ils sont investis pour donner aux termes généraux du par. 52(1) leur plein effet ».
[208]                     En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Cela donne à penser que les cours supérieures jouissent d’une forme de compétence inhérente suffisante pour écarter des dispositions expresses de la Constitution. Les tribunaux ont parfois été appelés à répondre à des questions sur la relation entre des institutions étatiques, des questions auxquelles on ne trouve pas de réponse dans la Constitution écrite, p. ex. dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 S.C.R. 217. Lors d’occasions aussi rares et exceptionnelles, les tribunaux « peu[ven]t tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada », ce que l’on pourrait appeler une analyse structurelle. Mais en pareil cas, les tribunaux donnent une réponse au sujet du pouvoir du législateur ou de l’exécutif lorsque la Constitution écrite est muette sur ce point. Si la Constitution est explicite, comme au par. 52(1), il en faut davantage. Le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité n’est pas « compris » dans le par. 52(1); il contredit plutôt cette disposition. Par conséquent, il faut s’appuyer sur un principe constitutionnel faisant contrepoids pour justifier une suspension.
[209]                     Quant à l’approche des juges Côté et Brown, la primauté du droit n’est pas le seul principe constitutionnel susceptible de justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. Notamment, selon une interprétation téléologique, l’existence d’avantages trop limitatifs exige que le tribunal ordonne la suspension afin de donner au législateur la place qui lui revient dans l’élaboration d’une réparation.
IV.         Application de l’arrêt Schachter
[210]                     En l’espèce, l’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendu pour des raisons de sécurité publique.
[211]                     L’analyse qui précède suggère que les tribunaux ne peuvent suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité simplement parce qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat pourrait créer un certain risque pour la sécurité publique. Le risque pour la sécurité publique doit être suffisamment élevé pour transgresser le principe constitutionnel de la primauté du droit, de sorte que le tribunal est forcé de concilier deux principes constitutionnels opposés.
[212]                     On peut illustrer en quoi consiste le critère minimal à satisfaire pour pouvoir suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité en se reportant aux décisions dans lesquelles notre Cour a invoqué la sécurité publique pour justifier une telle mesure. Dans l’arrêt Swain, notre Cour a invalidé le pouvoir de détenir les prévenus acquittés « pour cause d’aliénation mentale », pour reprendre l’expression employée à l’époque. Dans l’arrêt R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, la Cour a invalidé le régime permettant de détenir des accusés inaptes à subir leur procès. Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, la Cour a invalidé un régime permettant de détenir des étrangers ou des résidents permanents pour raison de sécurité.
[213]                     Dans ces trois affaires, le prononcé d’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat aurait donné lieu à la libération de personnes qui étaient détenues au motif qu’elles présentaient un danger pour la sécurité publique. Le risque pour la sécurité publique était élevé, comme il se devait de l’être afin de justifier que l’on introduise par interprétation large dans la Constitution un pouvoir discrétionnaire permettant de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité.
[214]                     Dans le cas qui nous occupe, aucune des parties n’a axé son argumentation sur la suspension. De plus, notre Cour a refusé de surseoir au jugement décrétant une suspension de 12 mois (Ontario (Procureur général) c. G, 2019 CSC 36), qui est donc venue à expiration le 4 avril 2020, rendant théorique la question. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de décider si l’effet de la déclaration a été suspendu à bon droit.
[215]                     La question de l’ordonnance d’exemption est également sans objet. L’intimé n’a pas besoin d’être exempté d’une loi qui est déjà inopérante. Par conséquent, bien que je souscrive pour l’essentiel à l’approche proposée par les juges Côté et Brown en matière d’exemptions individuelles, j’estime qu’il n’y a pas lieu de décider si l’exemption individuelle a été accordée à bon droit en l’espèce.
V.           Dispositif
[216]                     Plutôt que de s’écarter de l’arrêt Schachter et de le remplacer par une autre approche, je suis d’avis de le confirmer pour les motifs que j’ai exposés précédemment.
[217]                     En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    Les juges Côté et Brown —
I.               Vue d’ensemble
[218]                     Bien que nous souscrivions à la conclusion de notre collègue la juge Karakatsanis suivant laquelle la Loi Christopher porte atteinte au droit à l’égalité de traitement devant la loi que la Charte reconnaît à M. G, nous rédigeons des motifs distincts pour asseoir constitutionnellement le recours à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité d’une façon différente de notre collègue. À notre avis, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité — qui permet à une atteinte aux droits garantis par la Charte de perdurer — ne devrait être accordée qu’en dernier ressort, et uniquement pour protéger la primauté du droit. Dans le même ordre d’idées, nous ne partageons pas l’avis de notre collègue suivant lequel la jurisprudence de notre Cour en matière de réparation a, depuis l’arrêt Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679, « intégré un groupe de principes fondamentaux en matière de réparation » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 82). Nous estimons, au contraire, que la jurisprudence de notre Cour ne révèle l’existence d’aucun des principes invoqués par notre collègue. Sans aucun lien avec la primauté du droit, cette jurisprudence a plutôt donné lieu à des décisions incohérentes et non fondées sur des principes. Un retour aux principes premiers est nécessaire.
[219]                     Notre collègue accorderait également à M. G une exemption individuelle de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité. Avec égards, si notre Cour accordait une telle exemption en l’espèce, elle excéderait sa compétence institutionnelle et empiéterait sur le domaine législatif.
[220]                     Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis de confirmer la suspension, pour 12 mois, de l’effet de la déclaration d’invalidité. Nous n’accorderions cependant pas d’exemption individuelle à l’intimé.
II.            Paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés
[221]                     Avant d’entamer notre analyse des réparations, nous tenons à formuler les observations suivantes au sujet de la façon dont notre collègue aborde le par. 15(1) de la Charte.
[222]                     À notre avis, il est facile de trancher la question du par. 15(1). La Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels, L.O. 2000, c. 1 (« Loi Christopher »), établit une distinction entre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et les personnes reconnues coupables. Et cette distinction accentue un désavantage préexistant en perpétuant le stéréotype selon lequel les personnes souffrant de troubles mentaux sont en soi dangereuses (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, par. 19‑20). Les personnes déclarées coupables disposent de plusieurs « voies de sortie » qui leur permettent d’être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels instauré par la Loi Christopher : si elles reçoivent une absolution conditionnelle ou une absolution inconditionnelle en vertu de l’art. 730 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, ou si elles obtiennent un pardon ou une suspension de leur casier judiciaire (Loi Christopher, par. 1(1) « délinquant » et « pardon », 7(4) et 9.1). En revanche, les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux n’ont pas accès à ces mécanismes, même lorsque la Commission ontarienne d’examen juge qu’elles ne représentent plus un risque important pour la sécurité du public et qu’elle leur accorde une libération inconditionnelle. Par conséquent, les personnes déclarées non responsables criminellement, pour cause de troubles mentaux, de plusieurs infractions sexuelles ou d’une infraction sexuelle pour laquelle la peine maximale prévue dépasse dix ans doivent — systématiquement et sans exception — se conformer à la Loi Christopher pour le reste de leur vie (al. 7(1)b) et c)). Ceci constitue une différence de traitement fondée sur un motif énuméré : la déficience mentale. La réparation appropriée consiste à exiger de la législature qu’elle offre aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux, qui ont été libérées inconditionnellement, la possibilité de bénéficier d’une exemption et d’être retirées du registre prévu par la Loi Christopher.
[223]                     Voilà qui tranche le fond de la question relative au par. 15(1). Notre collègue va toutefois plus loin et, dans une longue opinion en obiter, parle de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable et de « l’égalité réelle » (par. 41‑69). Ses affirmations doctrinales n’ont pas le moindre rapport avec les questions soulevées par le présent pourvoi, d’autant plus que la présente affaire n’en est pas une de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. La distinction en l’espèce est à première vue évidente : la Loi Christopher prévoit explicitement que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux — des personnes qui sont atteintes d’une déficience mentale — et celles qui ont été « déclarées coupables » doivent se conformer à l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels (par. 1(1) « délinquant », art. 2 et al. 8(1)c)). Elle dispense ensuite expressément de cette obligation les personnes qui ont reçu un pardon et celles qui ont obtenu une suspension de leur casier judiciaire ou qui ont été absoutes inconditionnellement ou sous conditions en vertu de l’art. 730 du Code. Toutefois, la personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux n’est pas admissible à un pardon, à une suspension de son casier judiciaire ou à une absolution en vertu de l’art. 730 parce qu’elle est réputée, en application du Code, n’avoir commis aucun crime (par. 16(1) et 672.1(1), art. 672.34 et 672.35). Cette situation discriminatoire, qui résulte de l’interprétation conjointe de deux ou de plusieurs lois, ne constitue pas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans le cas d’une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, la loi discriminatoire semble à première vue neutre et la question centrale est celle du lien de causalité : il s’agit de savoir si, en dépit de son apparente neutralité, la loi contestée accentue, de par son effet, un désavantage préexistant (Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493, par. 75‑76). En pareil cas, le demandeur a alors « une tâche plus lourde » (Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, par. 64). En l’espèce, il n’y a tout simplement aucune tâche à accomplir ni lien de causalité à établir : considérées ensemble, les lois en question établissent à première vue une distinction fondée sur la déficience mentale.
[224]                     Par conséquent, notre silence au sujet des paragraphes 41 à 69 des motifs de notre collègue ne doit pas être interprété comme une approbation tacite de leur contenu. Nous estimons simplement qu’ils ne constituent pas de véritables motifs à l’appui de son jugement, mais qu’il s’agit plutôt de « commentaires [. . .] ou d’exposés » (R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, par. 57).
III.         Suspension de l’effet des déclarations d’invalidité
[225]                     À notre avis, il y a trois principales raisons pour lesquelles une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est justifiée uniquement lorsque la primauté du droit est menacée. Tout d’abord, c’est le scénario qu’envisageait la Cour lorsqu’elle a exercé pour la première fois le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721 (« Renvoi relatif au Manitoba »). Deuxièmement, la Constitution commande un tel résultat : son texte prévoit que la règle est le prononcé d’une déclaration avec effet immédiat, sous réserve uniquement d’une préoccupation quant à la primauté du droit. Troisièmement, les leçons tirées dans la foulée de l’arrêt Schachter au sujet des répercussions pratiques de la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité nous aident à comprendre pourquoi une approche discrétionnaire axée sur les « principes en matière de réparation » n’est pas souhaitable et pourquoi un lien entre la Constitution et la primauté du droit est si essentiel. Nous examinerons à tour de rôle chacun de ces aspects.
A.           Genèse et évolution de la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité
[226]                     Pour bien saisir le caractère forcément exceptionnel de la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité, il est utile de rappeler le contexte sans précédent du Renvoi relatif au Manitoba. Comme le Manitoba n’avait pas promulgué ses lois en français et en anglais, pratiquement toutes les lois qui avaient été adoptées au cours des 90 années précédentes étaient sur le point d’être invalidées. Toutefois, le fait de déclarer sur‑le‑champ ces lois invalides aurait créé « un vide juridique suivi du chaos en la matière » d’une ampleur insupportable (p. 747). Tous les organismes manitobains créés par des lois, y compris les tribunaux administratifs ou judiciaires, les titulaires de charges publiques et les commissions scolaires auraient été dépouillés des pouvoirs conférés par ces lois. La composition de la législature du Manitoba aurait été mise en doute. L’ordre juridique qui règlementait les affaires des Manitobains « depuis 1890 [aurait été] détruit et [. . .] [leurs] droits, obligations et autres effets découlant de ces [lois unilingues seraient devenus] invalides et non exécutoires » (p. 749; voir aussi p. 747‑748). Une « situation d’urgence » sans précédent était imminente (p. 766).
[227]                     La Cour a alors créé le mécanisme de la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité, s’inspirant du principe de l’état de nécessité. Le principe de l’état de nécessité, qui ne s’applique que dans des situations exceptionnelles, comme une insurrection ou l’élaboration d’une nouvelle constitution, permet à un gouvernement d’être dispensé temporairement de respecter sa constitution pour répondre à une situation d’urgence publique et préserver la primauté du droit (Renvoi relatif au Manitoba, p. 761). En reconnaissant qu’elle avait le pouvoir de prendre de telles mesures d’urgence, la Cour a franchi un pas important, car les précédents sur l’état de nécessité cités par la Cour portaient sur des mesures d’urgence prises par l’organe exécutif ou l’organe législatif et non par les tribunaux (p. 763 et 765‑766). De plus, pour des raisons évidentes, le principe de l’état de nécessité est potentiellement dangereux et doit être [traduction] « rigoureusement circonscrit [et] strictement et soigneusement appliqué » pour constituer une confirmation de la primauté du droit plutôt qu’une atteinte à cette dernière (M. M. Stavsky, « The Doctrine of State Necessity in Pakistan » (1983), 16 Cornell Int’l L.J. 341, p. 344 et 342; voir aussi p. 354; Renvoi relatif au Manitoba, p. 758‑759). La distinction entre l’utilisation de ce principe pour dissimuler une usurpation de pouvoir et le fait de s’en servir pour protéger l’ordre constitutionnel de tout danger est subtile. Pour cette raison, au cœur de ce principe réside la prémisse suivant laquelle [traduction] « les tribunaux devraient hésiter à permettre que l’on déroge à des normes constitutionnelles » (Stavsky, p. 344).
[228]                     Reconnaissant l’ampleur de cette étape et la menace potentielle qu’elle représentait pour le partage des pouvoirs et la primauté du droit, la Cour a, dans le Renvoi relatif au Manitoba, rigoureusement limité le recours à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité. Elle a conclu que l’on ne devait prendre une telle mesure qu’« afin de préserver la primauté du droit [. . .] en situation d’urgence, lorsqu’il est impossible d’observer » les droits constitutionnels (p. 763 (nous soulignons)). La question essentielle est celle de savoir si « l’omission de [suspendre l’effet de la déclaration] entraînerait le chaos sur le plan juridique » (p. 766) ou, en d’autres termes, si la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité est nécessaire [traduction] « pour préserver la primauté du droit que la Constitution est censée incarner » (B. Ryder, « Suspending the Charter » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 267, p. 268). Bref, dans le Renvoi relatif au Manitoba, la Cour [traduction] « a clairement estimé que la suspension temporaire du respect des exigences constitutionnelles était une mesure exceptionnelle » (Ryder, p. 268) subordonnée à l’impératif « d’éviter une situation d’urgence » (Renvoi relatif au Manitoba, p. 763).
[229]                     Mais depuis le Renvoi relatif au Manitoba, notre Cour s’est égarée. Elle suspend désormais l’effet des déclarations d’invalidité presque automatiquement, souvent sans justifier sa décision ni se soucier de la primauté du droit[11]. Selon nous, la plupart des affaires dans lesquelles la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité a été prononcée depuis le Renvoi relatif au Manitoba sont loin de satisfaire au critère exigeant que la Cour y avait fixé. Les suspensions de l’effet de déclarations d’invalidité sont plutôt devenues la [traduction] « mesure de réparation de prédilection » de notre Cour, qui l’applique « de façon désinvolte » et « systématique » ou « pour des raisons de préférences personnelles », tout en ne prenant acte « que pour la forme [. . .] des risques que comporte le fait de permettre la violation continue des droits et libertés garantis par la Charte » (G. R. Hoole, « Proportionality as a Remedial Principle: A Framework for Suspended Declarations of Invalidity in Canadian Constitutional Law » (2011), 49 Alta. L. Rev. 107, p. 110‑111; Ryder, p. 271‑272 et 280; S. Choudhry et K. Roach, « Putting the Past Behind Us? Prospective Judicial and Legislative Constitutional Remedies » (2003), 21 S.C.L.R. (2d) 205, p. 228; S. Burningham, « A Comment on the Court’s Decision to Suspend the Declaration of Invalidity in Carter v. Canada » (2015), 78 Sask. L. Rev. 201, p. 202; R. Leckey, « Remedial Practice Beyond Constitutional Text » (2016), 64 Am. J. Comp. L. 1 (« Leckey, “Remedial” », p. 23).
[230]                     Autrement dit, notre Cour a prononcé des suspensions de l’effet de déclarations d’invalidité — allant même jusqu’à prolonger ces suspensions — sur la base de fondements constitutionnels ou jurisprudentiels ténus. Ainsi, dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, et Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, la Cour a avancé des raisons laconiques pour justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. Dans Bedford, la Cour a suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité en évoquant l’idée nébuleuse suivant laquelle le fait de ne pas encadrer la prostitution « susciterait de vives inquiétudes chez de nombreux Canadiens » tout en reconnaissant qu’« [i]l peut y avoir controverse » quant à savoir si une déclaration d’invalidité avec effet immédiat présenterait un danger pour le public ou compromettrait la primauté du droit (par. 167). Fait encore plus remarquable, dans l’arrêt Carter, la Cour n’a pas motivé sa décision de suspendre l’effet de sa déclaration d’invalidité (par. 128).
[231]                     En conséquence, le recours par la Cour à la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité n’est plus fondé sur les principes qui avaient été énoncés dans le Renvoi relatif au Manitoba et qui justifiaient l’existence d’un moyen qui n’était censé servir qu’en dernier ressort. De nos jours, cette réparation est devenue la règle plutôt que l’exception. Nous ne pensons pas que notre collègue soit en désaccord avec cette proposition. Mais sa solution présuppose que d’autres principes ont pu aussi jouer discrètement un rôle dans la jurisprudence. En toute déférence, nous ne sommes absolument pas convaincus que ce soit le cas.
[232]                     Nous ne sommes pas non plus d’accord avec notre collègue pour dire que l’arrêt Schachter est le vaccin. En fait, c’est plutôt le germe. Avant l’arrêt Schachter (mais après le Renvoi relatif au Manitoba), notre Cour tenait pour acquis [traduction] « que l’invalidité des lois déclarées incompatibles avec la nouvelle Charte devrait prendre effet sur‑le‑champ [et, ce faisant,] elle confirmait la primauté et l’inviolabilité des droits et libertés consacrés par la Charte » (Ryder, p. 268). Mais, depuis l’arrêt Schachter, notre Cour a changé son fusil d’épaule, comme le confirment les statistiques : d’après nos calculs, sur les 44 fois où elle a déclaré une loi invalide pour cause d’inconstitutionnalité depuis l’arrêt Schachter, notre Cour a suspendu l’effet de cette déclaration à 23 reprises (c’est‑à‑dire 52 p. 100 du temps)[12]. Et la tendance est à la hausse : entre 2003 et 2015, ce chiffre a augmenté à 74 p. 100 (voir également Ryder, p. 272; Hoole, p. 114; J. B. Kelly, Governing with the Charter: Legislative and Judicial Activism and Framers’ Intent (2005), p. 175). Le moindre inconvénient associé à une déclaration avec effet immédiat, ainsi que des circonstances qui n’ont rien en commun avec la grave situation à laquelle la Cour était confrontée dans le Renvoi relatif au Manitoba, conduisent désormais la Cour à suspendre temporairement l’application de la Charte.
[233]                     Ce dérapage est attribuable à l’abandon du principe énoncé dans le Renvoi sur le Manitoba. L’arrêt Schachter a délaissé les facteurs justifiant la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité qui étaient fondés sur la primauté du droit au profit de considérations relatives à « l’effet d’une déclaration d’invalidité sur le public » (p. 715; voir aussi p. 716‑717). Dans l’arrêt Schachter, la Cour a aussi expressément reconnu deux autres situations dans lesquelles on pouvait suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité : lorsque la sécurité du public est menacée ou qu’une loi a une portée trop limitative (p. 715). Elle a également bien précisé (comme notre collègue le fait dans ses motifs) que ces catégories ne sont pas exhaustives (p. 719). De plus, l’arrêt Schachter a explicitement obligé les tribunaux à se demander dans chaque cas s’il y a lieu de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité (p. 715 et 717).
[234]                     Il n’est pas étonnant qu’après l’arrêt Schachter, les tribunaux aient commencé à trouver d’autres raisons pour justifier la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité, dont l’une est devenue la principale justification invoquée par notre Cour pour en suspendre l’effet d’une déclaration : donner au législateur le temps dont il a besoin pour élaborer une réponse et choisir parmi des régimes conformes à la Charte (p. ex., Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 96; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, par. 66; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 79; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472, par. 32). Mais cette justification nous semble non pertinente. Le choix qui s’offre au juge entre une déclaration avec effet immédiat et une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité n’a aucune incidence sur la gamme d’options constitutionnelles dont dispose le législateur lorsqu’une disposition législative a été contestée avec succès sur le fondement de la Charte. Comme l’explique le professeur Ryder :
                    [traduction]
                    L’une des principales failles du raisonnement [de la Cour] réside dans le fait que la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité n’offre en réalité rien de plus au législateur que ce dont il dispose déjà. En insistant sur le rôle positif que joue la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité sur les choix qui s’offrent au législateur et sur le dialogue avec les groupes touchés, la Cour semble laisser entendre que la suspension a pour effet d’élargir l’éventail de choix dont dispose le législateur et d’offrir de plus grandes possibilités de consultation. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Peu importe que l’effet de la déclaration d’invalidité soit immédiat ou différé, le législateur dispose d’exactement la même gamme d’options sur le plan constitutionnel. Le législateur est libre de ne pas être d’accord avec le régime juridique qui s’applique lorsque le tribunal a choisi de prononcer une déclaration d’invalidité avec effet immédiat et il peut lui substituer une autre option constitutionnelle. Il lui est aussi loisible de mener les consultations aussi vastes qu’il le souhaite en vue de concevoir un nouveau régime juridique conforme à la Charte [p. 281]
                    (Voir également p. 285.)
[235]                     Avec égards, la réponse appropriée à la généralisation abusive de la mesure consistant à suspendre l’effet des déclarations d’invalidité n’est pas, comme notre collègue le propose, d’élargir la portée des catégories définies dans l’arrêt Schachter en s’appuyant sur des « principes en matière de réparation » et à des « pierres de touche » nouvellement imaginés (par. 82 et 153). En pratique, cette solution aurait pour effet d’accorder aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire d’une telle ampleur qu’il ne pourrait cadrer avec un régime juridique voué à la primauté du droit et à la protection des droits. Le pouvoir discrétionnaire proposé dans l’arrêt Schachter a favorisé le prononcé de décisions incohérentes et non fondées sur des principes, et nous ne voyons aucune raison de penser que le recours préconisé par notre collègue à une « architecture [constitutionnelle] générale » (par. 158) produirait des résultats différents. La réponse la plus appropriée consiste plutôt à recadrer notre attention sur la Constitution, et en particulier sur son principe de base, celui de la primauté du droit, pour s’assurer de bien défendre les droits consacrés par la Charte et de délimiter avec soin les situations dans lesquelles le tribunal peut suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité.
B.            La Constitution
(1)         Paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et paragraphe 33(1) de la Charte canadienne des droits et libertés
[236]                     Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit ce qui suit :
                        La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
[237]                     Le texte ne pourrait être plus clair : l’emploi du présent de l’indicatif « rend » démontre qu’il n’envisage, par définition, que les déclarations d’invalidité avec effet immédiat. D’ailleurs, [traduction] « il ressort du texte même de cette disposition que l’invalidation de toute disposition jugée constitutionnellement ultra vires doit être immédiate » (B. Bird, « The Judicial Notwithstanding Clause: Suspended Declarations of Invalidity » (2019), 42 Man. L.J. 23, p. 32, citant Hoole, p. 110; voir aussi p. 34‑36). En d’autres termes, les suspensions de l’effet de déclarations d’invalidité sont, de par leur nature, [traduction] « irréconciliables avec le libellé du par. 52(1), qui prévoit dans les termes les plus nets que les lois inconstitutionnelles sont inopérantes » (K. Roach, Constitutional Remedies in Canada (2e éd. (feuilles mobiles)), §14.1540).
[238]                     Certes, dès lors qu’une loi est jugée incompatible avec la Constitution, [traduction] « son sort dépend directement du fait que la Constitution est la loi suprême du Canada » (Leckey, « Remedial », p. 30). Les tribunaux ont « non seulement le pouvoir, mais encore l’obligation de considérer comme “inopérantes” les dispositions incompatibles de cette loi » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 353 (nous soulignons)). Même si on dit généralement que le tribunal « invalide » une loi, en réalité, le tribunal la déclare « inopérante par application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 » parce que le par. 52(1) « ne confère aucun pouvoir discrétionnaire aux juges » (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 35). Cette « disposition [. . .] semble indiquer que toute déclaration d’invalidité ne peut avoir qu’un effet immédiat » (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3, par. 99 (nous soulignons)).
[239]                     Contrairement aux constitutions d’autres pays, comme la Constitution of the Republic of South Africa, à l’al. 172(1)b)[13], rien dans le texte de notre Constitution n’habilite expressément les tribunaux canadiens à suspendre l’effet de déclarations d’invalidité. (Et, même en Afrique du Sud, la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité est rarement utilisée, étant donné que [traduction] « l’on part du principe général » que la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud prononcera une déclaration avec effet immédiat (Leckey, « Remedial », p. 20)). Les rédacteurs de notre Constitution auraient aisément pu envisager un tel pouvoir en indiquant que « les dispositions incompatibles seront inopérantes » (c’est d’ailleurs l’interprétation que notre Cour donne au par. 52(1) dans la foulée de l’arrêt Schachter). Au lieu de cela, la Constitution limite le rôle des tribunaux à déclarer que la Constitution « rend inopérantes » les dispositions incompatibles. Ainsi, lorsqu’elle exerce un tel pouvoir d’origine prétorienne pour suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, notre Cour doit faire preuve de discernement et de circonspection et se fonder sur des principes. Nous insistons sur les mots « d’origine prétorienne » pour une raison qui tient également à la nécessité de faire preuve de retenue : bien que notre Constitution ne permette pas expressément aux tribunaux de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, elle offre effectivement au Parlement et aux législatures provinciales la possibilité de le faire dans certains cas prévus au par. 33(1). En d’autres termes, en maintenant artificiellement en vie une loi qui a été invalidée pour cause d’inconstitutionnalité, le tribunal s’arroge en fait un rôle que la Constitution a confié au pouvoir législatif : en fait, en agissant de la sorte, le tribunal légifère. Ainsi que Bird l’explique de façon convaincante :
                    [traduction]
                    [L]e principe de l’exclusivité s’applique lorsque la Constitution d’un pays confère un pouvoir spécifique à un organe du gouvernement. Il va de soi que le pouvoir que la Constitution attribue à un organe du gouvernement ne doit pas être exercé par un autre organe. . .
                        C’est selon moi ce qui arrive avec la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité [. . .] Selon la Constitution canadienne, le seul organe du gouvernement qui est expressément habilité à valider une loi inconstitutionnelle est le législateur, par le biais de la « clause dérogatoire » [p. 43‑44]
[240]                     D’ailleurs, le par. 33(1) suggère que, dans les cas auxquels il s’applique, c’est le législateur, et non le tribunal, qui est le mieux placé pour savoir dans quels cas il est souhaitable de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité et, le cas échéant, pour combien de temps (voir D. Newman, « Canada’s Notwithstanding Clause, Dialogue and Constitutional Identities » dans G. Sigalet, G. Webber et R. Dixon, dir., Constitutional Dialogue: Rights, Democracy, Institutions (2019), 209, p. 230‑231). Il s’agit en fait d’un des principaux objectifs du par. 33(1) : permettre au législateur de tenir compte de l’incidence d’une décision du tribunal sur les facteurs [traduction] « à l’égard desquels seul le législateur a une capacité institutionnelle » (Newman, p. 218 (voir également p. 224); voir également l’hon. A. E. Blakeney, « The Notwithstanding Clause, the Charter, and Canada’s Patriated Constitution: What I Thought We Were Doing » (2010), 19 Constitutional Forum 1, p. 5; J. D. Whyte, « Sometimes Constitutions are Made in the Streets: The Future of the Charter’s Notwithstanding Clause » (2007), 16 Constitutional Forum 79, p. 83; P. H. Russell, « Standing Up for Notwithstanding » (1991), 29 Alta. L. Rev. 293, p. 308‑309; P. C. Weiler, « Rights and Judges in a Democracy: A New Canadian Version » (1984), 18 U. Mich. J. L. Reform 51, p. 86).
[241]                     Au fond, le par. 33(1) est [traduction] « un facteur qui devrait contribuer à limiter le recours à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité » (E. Macfarlane, « Dialogue, Remedies, and Positive Rights: Carter v. Canada as a Microcosm for Past and Future Issues Under the Charter of Rights and Freedoms » (2017), 49 Ottawa L. Rev. 107, p. 120). Notre collègue répond que « [l]e tribunal ne peut se dérober à sa responsabilité d’accorder une réparation en cas de violation de la Constitution simplement [à cause de] l’art. 33 » (par. 137). Avec égards, cette réponse ignore l’argument que nous soulevons. Nous sommes d’accord pour dire qu’un tribunal doit remédier aux atteintes portées à la Constitution. Ce que nous disons, c’est que le par. 33(1) milite contre l’argument de notre collègue suivant lequel les tribunaux disposent d’un large pouvoir discrétionnaire qui leur permet de différer l’effet de la réparation apportée à ces atteintes. Au lieu de cela, [traduction] « les tribunaux devraient respecter intégralement la structure constitutionnelle, y compris la possibilité de recourir à la disposition dérogatoire lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire de réparation » (Roach, Constitutional Remedies, § 14.1450 (nous soulignons)). Tout cela nous conforte dans notre idée que, pour éviter d’être engorgés ou surchargés, les tribunaux ne devraient suspendre l’effet des déclarations d’invalidité que lorsque la primauté du droit est compromise.
(2)         La primauté du droit
[242]                     Étant donné que le par. 52(1) n’autorise pas expressément les tribunaux à suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, il faut chercher ce pouvoir ailleurs dans la Constitution. En particulier, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité ne devrait pas reposer sur d’obscures « considérations constitutionnelles générales » ou sur un pouvoir accessoire, jamais encore découvert, à la « compétence [. . .] inhérente » des tribunaux pour déclarer une loi invalide (motifs de la juge Karakatsanis, par. 121 et 85), mais plutôt sur le principe constitutionnel de la primauté du droit. La primauté du droit est depuis longtemps reconnue comme [traduction] « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » (le juge Rand, Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121, p. 142), comme en témoigne le fait que ce principe est énoncé dans le préambule de la Charte, qui se résume à une seule phrase : « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent [. . .] la primauté du droit ». Notre constitution écrite déclare que la primauté du droit constitue le « fondement même » sur lequel reposent notre pays et sa Charte (B.C.G.E.U. c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1988 CanLII 3 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 214, p. 229). Elle constitue un principe consacré « à la base de notre système de gouvernement » et est l’une des « prémisses » sur lesquelles est fondée notre Constitution (Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217 (« Renvoi relatif à la sécession ») par. 70 et 49).
[243]                     Le rôle crucial que joue la primauté du droit dans notre ordre constitutionnel est précisément ce qui a motivé au départ l’instauration du mécanisme de la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité dans le Renvoi relatif au Manitoba. Les tribunaux ne sont autorisés à écarter temporairement les droits reconnus par la Charte que lorsque cela est nécessaire « afin de préserver la primauté du droit » (p. 763) et pour en assurer le « maintien » (p. 753). En invoquant la protection de la primauté du droit pour justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité, les tribunaux sont en mesure de « reconnaître à la fois l’inconstitutionnalité des [lois contestées] et le devoir de la Législature de se conformer à la “loi suprême” de notre pays » tout en faisant respecter la Constitution (Renvoi relatif au Manitoba, p. 753; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169). D’ailleurs, tout comme il lui appartient de protéger les droits garantis par la Charte (Hunter c. Southam, p. 169), il incombe également à la Cour de s’assurer que l’on ne « manqu[e] » pas au principe de la primauté du droit (Renvoi relatif au Manitoba, p. 753). Si une déclaration avec effet immédiat avait pour effet de manquer au principe de la primauté du droit, la Cour « renoncerait » à ses fonctions « de protectrice et de gardienne de la Constitution » (p. 753) en permettant à une telle situation de survenir. Ainsi donc, en pareil cas, la Cour n’exerce pas de façon illégitime un rôle législatif, comme elle le ferait autrement en suspendant l’effet d’une déclaration d’invalidité, mais bien un rôle judiciaire. Cette interprétation n’est pas nouvelle; elle ne fait que reprendre l’orientation prudente donnée par la Cour dans le Renvoi relatif au Manitoba lorsqu’elle a reconnu cette mesure judiciaire extraordinaire.
[244]                     Rien dans notre Constitution ne justifie notre Cour de s’écarter de cette orientation. Notre collègue ne peut citer aucune autre disposition de notre Constitution écrite qui pourrait justifier un tribunal d’ordonner la suspension temporaire de droits garantis par la Charte, et elle ne cite pas une seule décision qui démontrerait en quoi il est irréaliste de limiter la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité aux seules situations dans lesquelles la primauté du droit est compromise, tout comme les divers « principes » constitutionnels et « pierres de touche » « sous‑jacents », « contradictoires », « généraux », « faisant contrepoids » auxquels elle réfère sont irréalistes (par. 89, 92, 102, 126, 131‑132 et 153). À ce propos, nous trouvons pertinents les propos suivants du juge Scalia, tenus hors du prétoire :
                 [traduction]
                    [I]l convient de reconnaître que, dès lors qu’il affirme que la question restante doit être tranchée au vu de l’ensemble des faits ou en pondérant tous les facteurs en jeu, le juge d’appel commence à ressembler davantage à un juge des faits qu’à un juge du droit. Le fait d’en arriver là représente jusqu’à un certain point un regrettable aveu d’impuissance, un constat qu’une limite a été franchie au‑delà de laquelle le « droit », à proprement parler, ne trouve plus application. Il convient aussi de rappeler les conséquences pratiques malheureuses de cette démarche alors qu’il reste encore beaucoup de questions à trancher : il devient alors difficile de démontrer que le principe de l’égalité de traitement a été respecté et, dans un système judiciaire à plusieurs niveaux, impossible d’en assurer le respect; on réduit à néant la prévisibilité; on favorise l’arbitraire dans les décisions judiciaires et on freine l’audace chez les juges.
                        Je partage donc l’avis d’Aristote — qui est assez juste — selon qui « la règle personnelle, qu’elle soit exercée par une seule personne ou par un ensemble de personnes, ne devrait être souveraine que dans les matières sur lesquelles le droit est incapable, en raison de la difficulté d’élaborer des règles générales pour toutes les éventualités, de se prononcer de façon précise. » [Nous soulignons; note de bas de page omise.]
                    (A. Scalia, « The Rule of Law as a Law of Rules » (1989), 56 U. Chicago L. Rev. 1175, p. 1182)
Notre Constitution se prononce de façon précise sur la question de la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité : c’est une mesure exceptionnelle. Les déclarations avec effet immédiat doivent être la norme, sauf s’il y a lieu de s’inquiéter pour la primauté du droit. Il n’est pas nécessaire de pousser l’analyse plus loin.
[245]                     Il vaut la peine de citer quelques cas dans lesquels une menace imminente à la primauté du droit justifie la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. L’exemple classique de danger qui guette la primauté du droit est celui de la menace existentielle, comme dans le Renvoi relatif au Manitoba. Comme nous l’avons déjà signalé, craignant un « vide juridique », la Cour a déclaré dans cet arrêt que « la garantie constitutionnelle de la primauté du droit ne [saurait] tolére[r] [. . .] un tel chaos ou une telle anarchie » (p. 747, 753 et 758).
[246]                     Il existe cependant un autre type de menace à la primauté du droit qui peut justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité, en l’occurrence une menace à la sécurité publique. Comme la Cour l’a expliqué dans le Renvoi relatif au Manitoba, un précepte fondamental de la primauté du droit veut qu’on ne doive pas « laisse[r] périr l’État et le peuple par égard pour la constitution; au contraire, une constitution doit exister pour la préservation de l’État et le bien‑être du peuple » (p. 766, citant Attorney General of the Republic c. Mustafa Ibrahim, [1964] Cyprus Law Reports 195, p. 237 (soulignement supprimé)). En d’autres termes, la primauté du droit exige que notre Cour assure « un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l’ordre normatif » (p. 749). L’ordre normatif en vient à disparaître lorsque la sécurité publique est compromise. D’ailleurs, « [l]’ordre public est un élément essentiel de la vie civilisée » (p. 749) et la primauté du droit est depuis longtemps indissociable de [traduction] « l’existence de l’ordre public » (W. I. Jennings, The Law and the Constitution (5e éd. 1959), p. 43, cité dans le Renvoi relatif au Manitoba, p. 749). La primauté du droit « assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée » (Renvoi relatif à la sécession, par. 70). La préservation de la sécurité publique constitue donc, du moins en ce sens, un exemple de protection de la primauté du droit.
[247]                     S’inspirant de l’arrêt Schachter, notre collègue estime que les avantages ou la loi « trop limitatifs » font partie des catégories non exhaustives qui, selon elle, justifient une suspension (par. 118 et 124). Sans citer de source à l’appui, elle déclare que les catégories « tiennent [. . .] compte de considérations fondées sur la Constitution », lesquelles, affirme‑t‑on (là encore sans citer quelque source que ce soit), comprennent « la reconnaissance qu’il est dans l’intérêt du public que des lois soient adoptées pour son bénéfice » (par. 124). Il n’existe, à notre avis et respectueusement, aucune règle de droit et assurément aucun principe constitutionnel ni de « considérations fondées sur la Constitution » encore moins bien définies qui justifieraient la reconnaissance de la loi trop limitative comme catégorie emportant suspension.
[248]                     Avec égards, la création de cette catégorie dans l’arrêt Schachter était malavisée, dans la mesure où elle était incompatible avec les contraintes du Renvoi relatif au Manitoba. D’ailleurs, à sa face même, elle ne peut être confirmée. Selon l’arrêt Schachter, la reconnaissance d’avantages trop limitatifs en tant que catégorie justifiant la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est motivée par la crainte que « l’annulation immédiate de la loi priv[e] des personnes admissibles de bénéfices » (p. 715; voir aussi p. 716 et 721). Toutefois, dans la mesure où une loi est de portée trop restrictive, la solution ne consiste pas à invalider ces avantages pour tous. Cela tient au fait que, dans ces situations inusitées, la « mesure de l’incompatibilité » dont il est question au par. 52(1) concerne l’omission ou le défaut du législateur d’accorder des avantages à un certain groupe. Les autres aspects de la loi n’auront pas été déclarés inconstitutionnels et, comme notre collègue le fait observer à juste titre, « [i]l est dans l’intérêt du public de conserver des lois qui ont été dûment adoptées [. . .] pourvu que ces lois ne soient pas inconstitutionnelles » (par. 156). Autrement dit, il ne convient d’invalider des avantages que lorsque ceux‑ci sont interdits, et non lorsqu’ils sont trop limitatifs. La crainte exprimée dans Schachter de priver des personnes admissibles de bénéfices (sur laquelle se fonde la justification de la suspension) s’estompe. Il est préférable, en pareil cas, de ne pas suspendre l’effet de la déclaration d’invalidité, mais de recourir aux autres mesures de réparation qu’un tribunal peut accorder, telles que la dissociation ou l’interprétation large. Fait critique, le tribunal peut tout simplement prononcer une déclaration portant que la loi est inconstitutionnelle dans la mesure où elle refuse certains avantages à un groupe donné et ordonner que ces avantages soient accordés rétroactivement à ce groupe une fois que l’État aura décidé du meilleur moyen de les étendre (par ex. Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1991 CanLII 12 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 22, p. 46‑47). À l’évidence, il est possible de remédier aux avantages limitatifs sans « prive[r] des personnes admissibles de bénéfices », et il n’est donc pas nécessaire de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité afin d’éviter ce dénouement.
[249]                     Mais notre collègue va plus loin en proposant encore une autre catégorie, outre celles énumérées dans l’arrêt Schachter, qui pourrait selon elle justifier la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité. Une suspension devrait également être prononcée, nous dit‑on, lorsqu’« une déclaration avec effet immédiat limite la capacité du législateur à mettre en place des politiques » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 130 (nous soulignons)). Cette catégorie requiert des précisions. Il ne suffit certainement pas qu’une déclaration « limite » la capacité du législateur à mettre en place des politiques — quel que soit le sens de cette expression — pour justifier l’atteinte continue à des droits garantis par la Charte. À notre avis, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité n’est justifiée que lorsqu’on peut démontrer que la reconnaissance avec effet immédiat de droits — à laquelle se sont greffées de façon concomitante la confiance ou l’attente qui seraient ainsi reconnues par le nouveau régime juridique ou à la suite de l’élaboration de structures administratives complexes (Ryder, p. 281 et 285) — empêcherait l’État de créer et de maintenir « un ordre réel de droit positif » régissant la société (Renvoi relatif au Manitoba, p. 749, voir également Northern Pipeline Construction Co. c. Marathon Pipe Line Co., 458 U.S. 50 (1982), p. 88‑89). Ces situations sont rarissimes car, comme nous l’expliquerons plus loin, le législateur dispose des outils nécessaires pour réagir promptement aux déclarations d’invalidité avec effet immédiat et pour éviter que des droits soient acquis (en invoquant, par exemple, le par. 33(1), le cas échéant, ou en adoptant une nouvelle loi ou en modifiant une loi existante).
[250]                     Sans lien avec la primauté du droit, la nouvelle catégorie de notre collègue, conjuguée à son appel au « respect du rôle du législateur » (par. 157) permettra un retour en force graduel de la logique erronée de la déférence envers le bon plaisir du législateur — une des principales causes, sinon la cause, du recours arbitraire et de plus en plus généralisé à la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité. D’ailleurs, la nouvelle catégorie qu’elle crée est pratiquement indissociable de cette logique. Si l’évolution de la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité que nous avons relatée est un indicateur des tendances qui se dessinent, les gouvernements et les tribunaux risquent de se dérober fréquemment à l’impératif constitutionnel du par. 52(1) en affirmant qu’une déclaration avec effet immédiat « limite » (par. 130) ou « mine » (par. 157) la capacité du législateur d’adopter le régime « qu’il préfère » (par. 176) ou qu’elle « nuirait considérablement » (par. 129 et 139) à cette capacité (p. ex. Guignard, par. 23 et 29‑31, et Ryder, p. 271‑272, 286 et 288).
[251]                     Même si nous saluons les efforts déployés par notre collègue pour rendre plus cohérent et transparent le processus décisionnel relatif aux réparations à accorder, nous estimons que la façon dont elle formule les « principes » et « pierres de touches » « fondamentaux » qu’elle propose favorise plutôt l’incertitude et l’imprévisibilité. Pire encore, leur caractère douteux ne fait qu’exacerber la confusion. On ne sait pas avec certitude si ces principes sont de nature constitutionnelle ou non constitutionnelle, ou s’ils relèvent d’une nouvelle catégorie hybride. Dans l’ensemble, il est difficile de savoir comment on pourrait concilier l’affirmation de notre collègue selon laquelle « l’effet de déclarations d’invalidité devrait être suspendu en de rares cas » (par. 83) avec les vagues principes et catégories élargis qu’elle énonce pour justifier le recours à cette mesure. Il n’est tout simplement pas nécessaire d’élargir la portée des « rares circonstances » dans lesquelles la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité peut être prononcée (contra, motifs de la juge Karakatsanis, par. 132). En réalité, comme nous l’expliquons plus loin, il y a de bonnes raisons de ne pas le faire, étant donné que cela risque seulement de compromettre indûment l’exercice de droits.
[252]                     En résumé, à notre avis, le tribunal ne peut prononcer constitutionnellement la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité que pour contrer une menace au principe constitutionnel de la primauté du droit, ce qui englobe les menaces à la sécurité publique. Le tribunal doit en fait suspendre l’effet de la déclaration d’invalidité en pareil cas, parce que « [e]n permettant à une telle situation de survenir et en omettant d’y remédier, cette Cour renoncerait à ses fonctions de protectrice et de gardienne de la Constitution » (Renvoi relatif au Manitoba, p. 753).
C.            Leçons apprises après l’arrêt Schachter
[253]                     Avant d’appliquer ce qui précède aux faits de la présente affaire, nous tenons à ajouter quelques considérations supplémentaires qui justifient un retour aux principes premiers, c’est‑à‑dire aux principes qui permettent de réaffirmer que seule la protection de la primauté du droit justifie de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité. Ces considérations sont en réalité des enseignements tirés des jugements qui ont été rendus dans la foulée de l’arrêt Schachter et qui démontrent pourquoi il est essentiel de restreindre le pouvoir discrétionnaire des tribunaux.
[254]                     En premier lieu, il est impératif que les tribunaux fassent preuve de retenue, parce qu’ils risquent d’outrepasser les limites de leurs compétence et capacité institutionnelles en suspendant l’effet d’une déclaration. Il est arrivé à plusieurs reprises que le législateur choisisse de ne pas adopter une nouvelle loi après la suspension, par notre Cour, de l’effet d’une déclaration d’invalidité (Choudhry et Roach, tableau B, p. 257‑266). Ou, comme dans l’affaire Corbiere c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 331, [traduction] « le nouveau régime électoral instauré par le gouvernement était pratiquement identique à celui qui aurait résulté de l’invalidation avec effet immédiat de la loi contestée » (Hoole, p. 125; voir aussi p. 124 et 126). Une situation aussi regrettable devrait nous faire réfléchir, ne serait‑ce que brièvement, sur sa signification : croyant à tort qu’elle avait la compétence institutionnelle pour bien examiner l’opportunité de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité, notre Cour a permis trop longtemps que l’on continue ainsi à porter inutilement atteinte à des droits garantis aux Canadiens par la Charte. Il s’agit d’une parfaite illustration des dangers de l’activisme judiciaire — de législation judiciaire, en fait.
[255]                     En revanche, lorsque le tribunal prononce une déclaration d’invalidité avec effet immédiat, [traduction] « on ne peut parler d’activisme judiciaire [. . .] En réalité, même si c’est le tribunal qui prononce cette déclaration, elle repose en vérité sur [le par. 52(1) de] la constitution originale » (G. C. N. Webber, « Originalism’s Constitution » dans G. Huscroft et B. W. Miller, dir., The Challenge of Originalism: Theories of Constitutional Interpretation (2011), 147, p. 166‑167; voir également Ferguson, par. 35, et Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 28). La responsabilité de répondre à la déclaration d’invalidité revient alors, comme le prévoit notre Constitution, au législateur — l’organe disposant de la compétence et des moyens nécessaires pour élaborer une réponse appropriée. Non seulement le législateur est‑il en mesure de répondre dans certains cas à une déclaration d’invalidité avec effet immédiat en recourant au par. 33(1) (comme nous l’avons déjà vu), mais il peut aussi adopter une loi modifiée avant ou après le prononcé de la décision de la Cour (Hoole, p. 120‑121 et 134; voir, par ex., Schachter, p. 690 et 724‑725; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, par. 92). Comme l’explique Stavsky :
                    [traduction]
                    Une législature est une entité fonctionnelle, parfaitement capable de s’adapter aux situations les plus diverses. Il est faux de prétendre que les législatures tardent à agir dans les situations d’urgence [. . .] Le système législatif ne comporte aucun obstacle inhérent qui empêche d’intervenir rapidement lorsque cela est nécessaire. [p. 345]
Au final, il ne faut pas oublier qu’avant l’arrêt Schachter, les déclarations d’invalidité avec effet immédiat étaient la règle, et que certaines des décisions les plus frappantes de notre Cour ont été rendues en ce sens sans aucune conséquence fâcheuse (voir, p. ex., Big M Drug Mart; R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30; Saumur c. City of Québec, 1953 CanLII 3 (SCC), [1953] 2 R.C.S. 299; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103). À notre connaissance, personne n’a signalé que le Parlement ou les législatures provinciales avaient par le passé eu de la difficulté à répondre à des déclarations d’invalidité avec effet immédiat, et ce serait pure conjecture de la part de notre Cour de se demander s’ils en auraient maintenant.
[256]                     Deuxièmement, le retour à la norme de la déclaration avec effet immédiat aurait pour effet d’empêcher notre Cour de se livrer à l’exercice particulièrement arbitraire et malavisé consistant à établir la durée d’une suspension. Dans le Renvoi relatif au Manitoba, la Cour a reconnu ses limites à cet égard : « Compte tenu de la documentation dont elle dispose actuellement, la Cour est incapable de déterminer le délai pendant lequel » l’effet d’une déclaration d’invalidité devrait être suspendu (p. 769). Rien dans ce que nous avons vu depuis que cet arrêt a été rendu il y a 35 ans ne nous convainc que cette situation a fondamentalement changé.
[257]                      L’incapacité institutionnelle des tribunaux à estimer le délai nécessaire n’est que renforcée [traduction] « si le gouvernement n’est pas majoritaire, la discipline de parti est affaiblie ou la chambre haute non élue du Parlement fédéral exerce ses pouvoirs » (K. Roach, « The Separation and Interconnection of Powers in Canada: The Role of Courts, the Executive and the Legislature in Crafting Constitutional Remedies » (2018), J. Int’l Comp. L. 315, p. 335). Il n’est donc guère étonnant que, comme en l’espèce (voir les motifs de la juge Karakatsanis, par. 179), notre Cour semble souvent [traduction] « peu disposée à expliquer pourquoi ses longues périodes de suspension sont indiquées » (A. van Kralingen, « The Dialogic Saga of Same‑Sex Marriage: EGALE, Halpern, and the Relationship Between Suspended Declarations and Productive Political Discourse About Rights » (2004), 62 U.T. Fac. L. Rev. 149, p. 176; voir, par ex., Corbiere, par. 27) et qu’elle se contente de recourir à des durées types de six mois, un an ou 18 mois, avec peu de balises et sans grande cohérence (Hoole, p. 122).
[258]                     Les tribunaux risquent donc fort de dépasser les bornes et d’accorder au législateur plus de temps qu’il n’en a besoin. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Corbiere, où la suspension de 18 mois accordée a agi [traduction] « comme un sédatif, et non comme un stimulant », excusant ainsi le législateur d’intervenir rapidement (C. Mouland, « Remedying the Remedy: Bedford’s Suspended Declaration of Invalidity » (2018), 41 Man. L.J. 281, p. 331; voir également Macfarlane, p. 118). En fin de compte, le législateur a attendu au septième mois avant même de commencer à répondre (Mouland, p. 331). Laisser une situation inconstitutionnelle perdurer une seule journée de plus que nécessaire fait injure à notre ordre constitutionnel, tout comme le fait de maintenir ses [traduction] « effets [. . .] néfastes [notamment] l’aggravation des désavantages existants et de la marginalisation » (R. Leckey, Bills of Rights in the Common Law (2015) (« Leckey, Bills », p. 173‑174). Nous rejetons donc fermement toute idée selon laquelle accorder du « temps » au législateur est en soi une raison suffisante pour justifier au départ de permettre aux effets pervers de la loi de perdurer. Ce qui nous amène à notre troisième point.
 
[259]                     Il nous incombe aussi d’examiner le préjudice que le recours libéral et injustifié à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité cause aux personnes qui invoquent la Charte et aux autres titulaires de droits touchés. En permettant à une loi inconstitutionnelle de rester en vigueur, le tribunal refuse non seulement au demandeur qui a obtenu gain de cause la réparation immédiate à laquelle il a expressément droit en vertu du par. 52(1) de notre Constitution, mais il permet à cette loi de continuer à causer un préjudice, diluant ainsi l’importance du droit en cause. Pour cette raison, le recours abusif à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité constitue [traduction] « une menace au concept même de la primauté de la Constitution » (Choudhry et Roach, p. 230) précisément parce qu’on [traduction] « impose ainsi des frais considérables aux plaideurs » (Leckey, Bills, p. 170), qui sont les principales victimes du non‑respect de cette norme (voir R. Leckey, Suspended Declarations of Invalidity and the Rule of Law, 12 mars 2014 (en ligne); Burningham, p. 206; et Macfarlane, p. 120).
[260]                     De même, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est susceptible d’aggraver un désavantage préexistant. Le doyen Leckey explique comment [traduction] « la déclaration dont l’effet est différé risque d’entraîner des effets juridiques arbitraires et injustes en raison des différences factuelles qui existent entre les membres [de la même catégorie de plaideurs] » (R. Leckey « The harms of remedial discretion » (2016), 14 I CON 584, p. 592). Mouland reprend ces préoccupations à son compte lorsqu’elle qualifie d’[traduction] « iniquité horizontale » (p. 338) le préjudice causé par la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité. Si l’on prend l’exemple d’une loi pénale inconstitutionnelle, [traduction] « les individus arrêtés et accusés en vertu de dispositions inconstitutionnelles alors que le [délai de suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité] tire à sa fin seraient beaucoup moins susceptibles de faire l’objet d’une déclaration de culpabilité avant l’expiration de ce délai que ceux qui sont arrêtés et accusés plus tôt » (Leckey, p. 592). Le caractère arbitraire de cette situation n’est toutefois pas attribuable uniquement au facteur temps. En effet, l’accès de l’individu à des ressources, de même que sa situation socioéconomique, sont aussi des facteurs déterminants : « Les personnes qui ont été bien conseillées sur le plan juridique [. . .] savent qu’il est préférable de ne pas s’avouer coupables d’une infraction à la loi et de laisser leur dossier actif jusqu’à ce que le délai prévu pour la suspension expire », tandis que celles qui n’ont pas reçu ce conseil — souvent des personnes marginalisées et vulnérables — risquent de l’ignorer (p. 592). De plus, le ministère public est susceptible d’être influencé, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de poursuivre ou non, par le fait qu’il soit au courant que le gouvernement concerné a ou non l’intention de remplacer les dispositions législatives en question — et, dans l’affirmative, par quelles dispositions —, ce qui entraîne d’autres distinctions arbitraires entre les membres du groupe du demandeur (p. 595). En fin de compte, « l’incarcération de personnes reconnues coupables en vertu d’une interdiction dont on sait qu’elle viole des droits » engendre la marginalisation et « renforce la crainte que l’on porte atteinte à la primauté du droit et à la justice en général » (p. 593; voir aussi p. 595).
[261]                     Outre le danger qu’il comporte de causer un préjudice, le recours systématique à la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité risque de dissuader dès le départ les titulaires de droits de présenter des demandes fondées sur la Charte. Des auteurs de doctrine ont avancé l’idée que pareille suspension [traduction] « contribue à refroidir les ardeurs de ceux qui voudraient entreprendre des litiges constitutionnels au Canada [. . .] [I]l existe un risque bien réel que la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité s’ajoute aux facteurs de dissuasion déjà importants qui découragent les justiciables d’amorcer une contestation constitutionnelle » (Hoole, p. 131; voir également Ryder, p. 287). Nous trouvons, à titre de bel exemple, l’approche fondée sur « l’équilibre [. . .] entre les préjudices » que notre collègue propose (par. 131) et qui a pour objet d’ajouter une étape au cours de laquelle les demandeurs doivent revendiquer leurs droits en regard d’autres facteurs. Il ne peut être que décourageant pour l’éventuel auteur d’une demande fondée sur la Charte de savoir que, selon le test appliqué par notre collègue, même lorsque le gouvernement n’arrive pas à justifier en vertu de l’article premier l’atteinte aux droits que lui garantit la Charte, il doit être prêt à riposter à tout « intérêt public identifiable » (par. 83; voir aussi par. 117, 139 et 171) que le gouvernement peut lui opposer pour justifier la poursuite de cette atteinte.
[262]                     Lorsqu’on envisage un test en matière de suspension de l’effet de déclarations d’invalidité, on doit donc reconnaître que la mise en équilibre effectuée à l’étape de l’article premier a déjà été résolue en faveur de la protection du droit garanti par la Charte. Le fait qu’un tribunal vienne ensuite rompre cet équilibre au détriment de la protection de ce droit constitue un pas majeur regrettable, surtout lorsque le tribunal a déjà conclu qu’il n’existe pas de lien rationnel entre l’atteinte portée par une loi à la Charte et l’objectif que cette loi poursuit (contra, Figueroa, par. 86 et 92‑93). Si elle ne sert pas rationnellement les intérêts qu’elle est censée protéger en premier lieu, nous ne voyons pas pourquoi la loi contestée devrait demeurer temporairement en vigueur. Là encore, nous reviendrions aux principes premiers. Les tribunaux ne devraient légitimer toute rupture de l’équilibre initial atteint que lorsque la menace à la primauté du droit est plus importante que l’intérêt de taille à protéger au départ le droit en question.
[263]                     Une dernière question. Lorsqu’utilisée de manière inappropriée (comme nous constatons que notre Cour l’a fait), la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité risque en fait de miner d’au moins deux façons la primauté du droit qu’elle était censée protéger. En premier lieu, la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité peut créer de l’incertitude dans le droit. Par exemple, la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité prononcée par notre Cour dans l’arrêt Bedford a engendré une telle incertitude que [traduction] « les policiers et les services des poursuites de partout au pays ont adopté des approches différentes pour déposer des accusations en vertu des dispositions qui ont été maintenues temporairement en vigueur, ce qui a donné lieu à [un grand nombre] de litiges » et a suscité des craintes d’emprisonnement injuste (Leckey, Bills, p. 176; voir également Hoole, p. 125‑126). En second lieu, la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité est susceptible [traduction] « d’atténuer les conséquences auxquelles s’expose le législateur qui a édicté une loi qui viole la [Charte, ce qui,] à son tour, réduit les incitatifs à respecter les droits lorsqu’il légifère » (Leckey, Bills, p. 177; voir également Schachter, p. 728, le juge La Forest : « Les tribunaux ont le devoir de veiller à ce que les lois répondent aux normes constitutionnelles et de les déclarer inopérantes dans le cas contraire. Ils exercent ainsi une pression sur les corps législatifs qui doivent, dès le départ, s’en tenir aux limites de leurs pouvoirs constitutionnels. ») Le professeur Ryder explique :
                    [traduction]
                        L’une des conséquences de la suspension systématique de l’effet des déclarations d’invalidité lorsqu’une loi porte atteinte de manière injustifiée à des droits et libertés garantis par la Charte est que le prix que doit payer le législateur lorsqu’il risque de violer la Charte n’est peut‑être plus évident [. . .] On laisse ainsi entendre au législateur qu’il ne court pas un grand risque s’il adopte des lois sans tenir vraiment compte des droits et libertés consacrés par la Charte [. . .] Du point de vue du gouvernement, la pire conséquence de la rédaction de lois susceptibles de violer la Charte est la perspective d’un litige et la possibilité d’avoir une deuxième chance de rédiger quelques années plus tard une loi conforme à la Charte. [p. 288]
En d’autres termes, la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité a en réalité pour effet d’inviter en quelque sorte les gouvernements à être plus audacieux lorsqu’ils légifèrent, puisque les conséquences potentiellement négatives auxquelles ils s’exposent sont étroitement circonscrites et qu’elles ne se produiront pas nécessairement. Un recours qui était conçu à l’origine pour servir la primauté du droit risque maintenant, s’il n’est pas fondé sur la Constitution, de provoquer, voire de favoriser, sa violation (Ryder, p. 288). Nous préconisons donc un retour à la démarche bien connue axée sur la primauté du droit qui a été énoncée dans le Renvoi relatif au Manitoba et qui relève entièrement de la compétence des tribunaux. Et nous laisserions aux organes de l’État — le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif — le soin de se pencher sur les contraintes dont est assortie l’élaboration de politiques publiques, lesquelles sont des questions qu’ils connaissent.
D.           Conclusion
[264]                     L’utilisation, par notre Cour, de la suspension de l’effet des déclarations d’invalidité comme moyen de déléguer son pouvoir de réparation au législateur est non seulement [traduction] « incompatible avec les préceptes du modèle constitutionnel canadien [. . .] [mais] elle a [aussi] créé un problème d’incohérence analytique, en plus d’amplifier des hypothèses institutionnelles erronées qui font subir des coûts excessifs aux auteurs de demandes fondées sur la Charte et qui ont porté inutilement atteinte à des droits garantis par la Charte » (Hoole, p. 147). Mis à part le respect du principe constitutionnel de la primauté du droit, nous ne voyons aucune raison défendable — à tout le moins aucune justification reconnue par les tribunaux — pour laquelle un tribunal suspendrait l’application de droits constitutionnels. Si la Cour hésite à prononcer des déclarations avec effet immédiat à cause de la retenue dont elle doit faire preuve, nous estimons que la véritable retenue consiste à respecter la Constitution et non à [traduction] « exercer dans tous les cas son pouvoir discrétionnaire » (Leckey, Bills, p. 178; voir aussi p. 177).
[265]                     Il est tentant — et c’est d’ailleurs une méthode judiciaire fort respectable — de scruter la jurisprudence pour en dégager des principes qui nous permettent de concilier les décisions déjà rendues et de trouver la démarche à suivre pour trancher une affaire en cours. Mais il ne faut pas oublier ce qui est en jeu. Fondamentalement, « [i]l incombe aux tribunaux de faire observer la Constitution, non d’entériner sa suspension » (Renvoi : Loi anti‑inflation, 1976 CanLII 16 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 373, p. 463‑464). Ainsi, à moins qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat ne transgresse la primauté du droit — laquelle est la « base [même] de [notre] [C]onstitution » (Renvoi relatif au Manitoba, p. 766) — il ne faut pas abroger la Charte. Nous citons de nouveau le professeur Ryder, qui fait valoir ce point de manière convaincante :
                    [traduction]
                    . . . les suspensions de l’effet de déclarations d’invalidité semblent incompatibles avec [le par. 52(1)] et l’article premier de la Charte. Ces dispositions obligent les gouvernements à démontrer que les limites apportées aux droits et libertés sont justifiées, et elles imposent aux tribunaux la responsabilité de déclarer invalides les lois dont la justification n’a pas été démontrée [. . .] Les juges abdiquent en partie leurs obligations constitutionnelles s’ils font porter au législateur la responsabilité de rendre dès le début une loi invalide conforme aux normes constitutionnelles lorsqu’il existe plusieurs solutions pour rendre cette loi conforme à la Charte. Un dialogue sur les réparations qui peuvent être accordées devrait se tenir une fois que le pouvoir judiciaire s’est acquitté des responsabilités que lui impose l’article 52 : ce dialogue ne devrait pas servir de raison de se soustraire au départ temporairement à ces responsabilités. [Souligné dans l’original; p. 282.]
[266]                     Avec égards pour notre collègue, qui s’efforce de dégager des principes utiles d’une jurisprudence désordonnée, nous estimons que le temps est venu de rétablir la discipline et la retenue dans la démarche à suivre par notre Cour en matière de suspension de l’effet de déclarations d’invalidité, et d’imposer de nouveau des conditions strictes pour donner concrètement effet aux affirmations de notre Cour suivant lesquelles la suspension de la prise d’effet d’une déclaration d’invalidité est une « norme rigoureuse » et une « mesure extraordinaire » (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 98; Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 13, par. 2). À notre avis, on ne peut y parvenir qu’en revenant aux principes énoncés dans le Renvoi relatif au Manitoba et en reprenant son sage conseil suivant lequel la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité devrait être une mesure exceptionnelle qui doit être réservée exclusivement aux situations dans laquelle la primauté du droit est en péril. La solution ne consiste pas à se fonder sur des « principes » qui ne sont tout simplement pas discernables dans la jurisprudence. Comme le disait lord Shaw of Dunfermline il y a plus d’un siècle, [traduction] « [c]onfier la tâche de protéger des droits constitutionnels aux tribunaux dans le cadre de leur pouvoir discrétionnaire revient à faire reposer les fondements de la liberté sur du sable plutôt que sur le roc » (Scott c. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.), p. 477). Lorsqu’il s’agit de protéger des droits garantis par la Charte contre une suspension injustifiée, c’est la loi, en l’occurrence notre Constitution — et non un pouvoir discrétionnaire absolu (que notre collègue ne rejette que pour la forme) — qui doit prévaloir. En conséquence, notre Cour ne devrait pas hésiter à l’avenir à prononcer des déclarations d’invalidité avec effet immédiat. Dans la plupart des cas, il est nécessaire de prononcer une déclaration avec effet immédiat pour faire respecter des droits protégés, maintenir le constitutionnalisme et défendre la primauté du droit. Nous allons maintenant appliquer cette démarche au cas qui nous occupe.
E.            Application
[267]                     Selon nous, prononcer une déclaration d’invalidité avec effet immédiat en l’espèce constituerait une menace à la sécurité publique et, par conséquent, à la primauté du droit. Nous estimons que les inquiétudes soulevées dans la présente affaire sont de la même nature et de la même ampleur que celles qui avaient justifié une suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité dans l’affaire R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933, p. 1021 (où la Cour avait jugé que la détention de toutes les personnes déclarées non coupables pour cause d’aliénation mentale était arbitraire parce que certaines d’entre elles ne sont pas dangereuses au moment de la détermination de la peine) et dans l’affaire R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, par. 56‑57 (où la Cour avait jugé que les accusés inaptes de façon permanente qui ne représentent pas un risque important pour la sécurité de public devaient pouvoir bénéficier d’une libération inconditionnelle). Dans l’arrêt Swain, la Cour a estimé que, si une déclaration avec effet immédiat était prononcée, « les juges seront obligés de libérer dans la société toutes les personnes acquittées pour cause d’aliénation mentale, y compris celles qui pourraient fort bien présenter un danger pour le public » (p. 1021). En raison des éventuelles « conséquences graves » (p. 1021) pour la sécurité publique, la Cour a suspendu l’effet de la déclaration d’invalidité pour une période de six mois (p. 1022). De même, dans l’affaire Demers, la Cour a conclu que « l’annulation de la loi pourrait engendrer un risque pour la sécurité du public » (par. 57) étant donné que sa décision aurait nécessairement pour conséquence d’accorder la libération inconditionnelle à certains accusés inaptes qui constituent effectivement une menace pour la société.
[268]                     De même, en l’espèce, une déclaration avec effet immédiat signifierait que le registre des délinquants sexuels prévu par la Loi Christopher ne s’appliquerait pas à l’ensemble des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui se sont vu accorder une libération inconditionnelle par la Commission ontarienne d’examen. Quoique nous soyons certains que la Loi Christopher s’applique aux personnes qui ne présentent pas un risque élevé de récidive, nous sommes tout aussi certains qu’elle vise aussi de nombreuses personnes qui présentent un tel risque. Le juge de première instance a accepté le témoignage du docteur Hanson suivant lequel, en règle générale, les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux présentaient un risque élevé par rapport à la population générale de commettre une autre infraction sexuelle et que celles qui bénéficient d’une libération inconditionnelle risquaient davantage de récidiver (2017 ONSC 6713, 401 C.R.R. (2d) 297, par. 102, 103, 112 et 165). On ne peut assimiler une libération inconditionnelle à une absence de risque de récidive (Ferguson c. Regional Mental Health Care St. Thomas, 2010 ONCA 810, 271 O.A.C. 104, par. 1, 3 et 41‑45; Kassa (Re), 2019 ONCA 313, par. 33‑35 (CanLII)). D’ailleurs, dans certains cas, la commission d’examen n’aurait peut‑être pas accordé une libération inconditionnelle si elle avait su que la personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux ne serait pas assujettie à la Loi Christopher.
[269]                     Plus important, il faut se rappeler que le « risque de récidive » dont nous parlons en l’espèce est celui de commettre des infractions d’ordre sexuel, « des crimes violents qui [. . .] causent un tort immense » aux membres les plus vulnérables de notre société (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 5). Retirer du registre de la Loi Christopher toutes les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont bénéficié d’une libération inconditionnelle entraverait considérablement la prévention de ces infractions, de même que les enquêtes menées sur celles‑ci. Étant donné qu’elle retirerait du registre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui sont potentiellement dangereuses, une déclaration d’invalidité avec effet immédiat créerait, comme dans les affaires Swain et Demers, une faille dans le régime qui présenterait incontestablement un danger pour le public et, partant, une menace à la primauté du droit.
[270]                     Outre la menace à la sécurité publique, notre collègue ajoute ce qu’elle estime être une raison de plus de suspendre l’effet de la déclaration d’invalidité : elle en suspendrait l’effet pour protéger « la capacité du législateur de répondre au constat d’inconstitutionnalité » (par. 178). Avec égards, nous estimons qu’il n’y a aucune raison de supposer que la difficulté de réinscrire au registre les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux (voir par. 176) limiterait l’éventail de choix qui s’offrent au législateur pour accorder à ces personnes la possibilité de bénéficier d’une exemption ou qu’elle compromettrait par ailleurs l’efficacité de ce choix stratégique (par. 130). Le législateur pourrait tout simplement modifier la loi et, comme le prévoit la version actuelle de la Loi Christopher, obliger toute personne relevant de sa compétence à se présenter sans délai aux autorités, sous peine de sanctions (par. 3(1) et 11(1)).
[271]                     En tout état de cause, et pour les motifs que nous avons déjà exposés, les difficultés concrètes auxquelles un gouvernement peut être confronté lors de la mise en œuvre d’une loi qui est conforme à la Constitution ne peuvent justifier la suspension de droits garantis par la Charte. En effet, cela nous indique à quel point la nouvelle catégorie proposée par notre collègue se rapproche dangereusement du raisonnement inadmissible fondé sur la déférence à l’égard du législateur dont notre Cour devrait se dissocier. Au lieu de nous en remettre à de vagues concepts d’« intérêt qu’a le public à ce que des lois soient adoptées pour son bénéfice » et de « rôle du législateur » (par. 166), nous estimons plutôt que la suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité en l’espèce n’est justifiée que s’il existe une menace à la primauté du droit qui se manifesterait autrement sous la forme d’un danger pour la sécurité publique.
[272]                     Nous ne voyons pas non plus l’utilité pour notre collègue d’invoquer « l’importance de la violation des droits qui persisterait temporairement si l’effet de la déclaration d’invalidité était suspendu » en l’espèce (par. 177). Si la nouvelle approche proposée par notre collègue en matière de suspension de l’effet de déclarations d’invalidité était fondée sur le principe constitutionnel de la primauté du droit, ce commentaire serait superflu. En effet, il semble ne s’imposer qu’à cause de l’approche peu judicieuse axée sur l’atteinte d’un équilibre que préconise notre collègue, puisque, pour montrer que cette approche fonctionne concrètement, notre collègue est contrainte de trouver une préoccupation en faveur de l’intimé pour faire pencher la balance contre la suspension de l’effet de la déclaration (par. 177).
IV.         Exemptions individuelles
[273]                     Si une suspension de l’effet d’une déclaration d’invalidité doit rarement être accordée, une exemption individuelle de cette suspension ne doit l’être que dans des cas rarissimes. En effet, suivant la jurisprudence de notre Cour, pour respecter le rôle du législateur et les limites de la capacité institutionnelle du tribunal et pour éviter le risque d’iniquité horizontale, il ne convient d’accorder une exemption individuelle que dans « les cas [hautement] exceptionnels où la réparation additionnelle fondée sur le par. 24(1) est nécessaire pour accorder une réparation efficace au demandeur » (Ferguson, par. 63 (nous soulignons); voir également Schachter, p. 720; Demers, par. 62‑63). Nous ne voyons aucune raison de nous écarter de cette position.
[274]                     Pour déterminer s’il est nécessaire d’accorder une exemption individuelle en vue d’octroyer une réparation « efficace », il est utile de se poser la question que les intervenants le David Asper Centre for Constitutional Rights et le procureur général du Canada soulèvent en l’espèce : est‑il nécessaire d’accorder une exemption pour empêcher qu’un « préjudice irréparable » soit causé aux droits que la Charte est censée protéger au cours de la suspension (mémoire du Asper Centre, par. 2; mémoire du P.G.C., par. 55; Roach, Constitutional Remedies, §§ 14.60, 14.910, 14.930 et 14.1790). Les arguments fondés sur l’existence d’un préjudice irréparable doivent être convaincants au point de surmonter l’importante nécessité de laisser au législateur le soin de décider comment il convient de redresser une violation de la Constitution. Par exemple, une exemption peut être justifiée lorsque le plaideur a besoin d’un traitement médical urgent ou pour assurer sa mise en liberté. À notre avis, le critère de l’arrêt Ferguson débouche sur une interprétation souple des mots « convenable et juste » qui figurent au par. 24(1) et permet aux tribunaux de s’acquitter de leur rôle de défenseur des droits fondamentaux en minimisant toute injustice causée par la suspension tout en permettant aussi au législateur — en limitant les exemptions à des cas exceptionnels — de remplir le rôle unique qui lui incombe de formuler des lois complexes et multidimensionnelles.
[275]                     En l’espèce, il ne s’agit pas d’un de ces rares cas où une exemption individuelle est justifiée. La présente affaire n’a, à vrai dire, rien d’exceptionnel : M. G ne se verra pas refuser une réparation efficace parce qu’il doit attendre pour l’obtenir et il ne sera pas empêché de saisir la prochaine occasion que lui offrira le gouvernement pour se prévaloir d’une exemption, peu importe la forme qu’elle prendra. En outre, une suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité d’une durée de 12 mois signifie que M. G devra tout au plus se présenter au poste de police une fois de plus (pendant environ 30 à 60 minutes (motifs de la C.S., par. 58)) pour satisfaire à son obligation de se présenter chaque année aux autorités (voir la Loi Christopher, al. 3(1)f) et g)). On est loin d’un « préjudice irréparable ». Nous sommes donc respectueusement en désaccord avec la décision de notre collègue d’accorder une exemption individuelle à M. G.
[276]                     Ce qui est particulièrement troublant, toutefois, c’est le fait que, dans ses motifs, notre collègue semble créer une présomption en faveur d’exemptions individuelles dans tous les cas (« si, à tous autres égards, une exemption constitue une réparation convenable et juste, les demandeurs devraient être exemptés des suspensions s’il n’existe aucun motif impérieux de ne pas leur accorder une telle réparation » (par. 152)). Nous tenons par conséquent à mentionner deux raisons importantes pour lesquelles nous estimons qu’il ne convient pas d’accorder une exemption individuelle en l’espèce et, partant, pourquoi il est imprudent d’établir une telle présomption et de faire fi des sages enseignements des arrêts Schachter, Demers et Ferguson.
[277]                     Premièrement, dans la présente affaire, comme dans la plupart des autres, l’élaboration d’une exemption individuelle déborde le cadre de la compétence du tribunal et empiète sur ce qui est au fond une question que doit résoudre le législateur. Notre Cour a depuis longtemps bien précisé que c’est au législateur et non aux tribunaux qu’il appartient de combler les lacunes des lois inconstitutionnelles : Hunter c. Southam, p. 169; voir également Schachter, p. 705 et 707.
[278]                     Dans le cas qui nous occupe, le législateur est bien mieux placé que notre Cour — et c’est d’ailleurs son rôle — pour décider, après avoir effectué des recherches et étudié la question, quel est le mécanisme qui convient le mieux pour offrir aux personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux la possibilité de bénéficier d’une exemption. C’est lui qui possède l’expertise nécessaire pour accorder cette exemption et pour déterminer quels facteurs devraient guider cette analyse. En effet, le législateur dispose d’une vaste gamme d’options. Même notre collègue le reconnaît :
                    . . .une interprétation large de la Loi Christopher selon laquelle cette loi exige qu’une évaluation individuelle soit réalisée empiéterait sur le domaine législatif. En effet, il y a maintes façons de procéder à une telle évaluation et « [i]l appartient [. . .] aux législateurs et non aux tribunaux de combler les lacunes » (Schachter, p. 705). [Nous soulignons; par. 165.]
                    (Voir aussi par. 183.)
[279]                     La Cour d’appel fait elle aussi remarquer que, comme la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, L.C. 2004, c. 10 (« LERDS »), a été invalidée en Ontario, la législature ontarienne et le Parlement devront se consulter pour trouver la meilleure façon d’accorder des exemptions aux personnes touchées par les dispositions législatives inconstitutionnelles :
                    [traduction]
                        Le Parlement et la législature ontarienne disposent de plusieurs moyens pour rendre la loi sur le registre des délinquants sexuels conforme au par. 15(1) de la Charte. Ces options font intervenir diverses considérations de principe. Il est également nécessaire que les deux corps législatifs coordonnent leur réponse. Il est préférable de laisser au Parlement et à la législature le soin d’évaluer ces considérations de principe et d’arrêter les modalités de la mise en œuvre d’une stratégie coordonnée.
                    (2019 ONCA 264, 145 O.R. (3d) 161, par. 150)
[280]                     Cependant, même si elle reconnaît qu’« une interprétation large [exigeant] [. . .] une évaluation individuelle [. . .] empiéterait sur le domaine législatif » (par. 165), c’est précisément ce que fait notre collègue en accordant une exemption individuelle à M. G. Notre jurisprudence sur l’interprétation large nous enseigne que « [s]’il n’est pas clair que le législateur aurait édicté la disposition avec les modifications envisagées par le tribunal » (en l’espèce, en permettant aux tribunaux de décider qui devrait ou non figurer au registre de la Loi Christopher), « le tribunal empiéterait de façon injustifiée sur le domaine législatif en les introduisant » (Ferguson, par. 51 (voir également par. 50); voir également R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 74‑75). Autrement dit, lorsqu’il cherche à accorder une réparation efficace, le tribunal ne doit pas « se lance[r] dans des types de décisions ou de fonctions pour lesquelles il n’est manifestement pas conçu ou n’a pas l’expertise requise » (Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 57). Cette préoccupation — et la nécessité connexe d’éviter de dicter la teneur de la nouvelle loi — devrait guider nos décisions sur l’opportunité d’accorder une exemption individuelle (Roach, Constitutional Remedies, § 14.901).
[281]                     Le législateur peut, par exemple, conclure que seule la Commission ontarienne d’examen possède l’expertise nécessaire pour décider si une personne qui a bénéficié d’une libération inconditionnelle devrait être assujettie à la Loi Christopher, et il peut estimer que les tribunaux sont institutionnellement mal outillés pour évaluer comme il se doit les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. En effet, comme le font observer J. Barrett et R. Shandler, [traduction] « les tribunaux n’ont tout simplement pas les connaissances médicales et institutionnelles nécessaires » pour évaluer la dangerosité d’une personne déclarée non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux (Mental Disorder in Canadian Criminal Law (feuilles mobiles), §11.1(a)(i)(B), citant R. c. Peckham (1994), 1994 CanLII 3445 (ON CA), 93 C.C.C. (3d) 443 (C.A. Ont.), par. 39; voir également Ferguson (C.A. Ont.), par. 11). Cela est particulièrement vrai dans le cas des infractions d’ordre sexuel, compte tenu du fait que, selon le témoignage de l’expert de l’appelant, le Dr Hanson, il faut souvent beaucoup de temps avant qu’un délinquant sexuel ne récidive. Le Dr Hanson, dont le témoignage a été accepté par le juge de première instance, a expliqué que, bien que la plupart des récidivistes non sexuels se manifestent à nouveau dans les cinq ans, il faut attendre encore plus longtemps avant de découvrir qu’un délinquant sexuel a récidivé, ajoutant que des études démontrent que le taux de récidive augmente sensiblement après dix ans sans infraction. Ces conclusions concordent avec nos connaissances collectives suivant lesquelles, pour diverses raisons, les infractions d’ordre sexuel « peu[vent] être trop souvent invisible[s] à la société » et demeurer inconnues pendant des années (Friesen, par. 67).
[282]                     À la lumière de ces considérations, il nous semble profondément malavisé que notre Cour court‑circuite le processus législatif et s’arroge le pouvoir d’accorder des exemptions à l’obligation d’être inscrit au registre, même dans le cas de M. G, et ce, même temporairement.
[283]                     Pour être clairs, loin de nous l’idée de dire que M. G est susceptible de récidiver. Nous faisons simplement remarquer que le cas de M. G démontre que les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux qui ont obtenu une libération inconditionnelle ont le droit de se voir offrir « la possibilité d’être dispensées de l’obligation de s’inscrire au registre et d’être retirées de celui‑ci » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 161), et que notre Cour ne peut s’approprier la charge de décider de la façon dont cette possibilité devrait leur être offerte. En d’autres termes, « l’avantage [pour M. G] d’avoir eu gain de cause » (ibid., par. 182) réside dans le fait qu’à l’instar des personnes reconnues coupables d’une infraction d’ordre sexuel, il a droit à la possibilité de bénéficier d’une exemption et d’être retiré du registre, et non qu’il doit nécessairement en être retiré.
[284]                     En outre, nous sommes respectueusement en désaccord avec le raisonnement de notre collègue selon lequel les juges « sont bien placés pour rendre des décisions et sont souvent appelés à tirer des conclusions » comme celle à laquelle est parvenue notre collègue au sujet de M. G (par. 181). Elle cite expressément le cas des ordonnances de révocation ou de dispense prononcées à l’endroit des personnes assujetties à la LERDS en application des par. 490.016(1) et 490.023(2) du Code (par. 181). Sans trancher la question, nous tenons à signaler que des juridictions d’appel ont conclu que la norme [traduction] « très exigeante » (R. c. Redhead, 2006 ABCA 84, 384 A.R. 206, par. 43) que doit respecter le demandeur sollicitant une ordonnance de révocation ou de dispense en vertu de ces articles n’est pas axée sur le risque. Elle s’attache plutôt aux rares cas dans lesquels la situation unique du requérant fait en sorte que son inscription au registre a des conséquences particulièrement graves sur son droit à la liberté et au respect de sa vie privée et déborde [traduction] « les inconvénients normaux que les exigences de l’inscription au registre causent à [une personne] » (R. c. R.L., 2007 ONCA 347, par. 7 (CanLII); voir aussi par. 2‑6 et 8; voir aussi R. c. Debidin (2008), 2008 ONCA 868 (CanLII), 94 O.R. (3d) 421, par. 32, 68, 70 et 80; Redhead, par. 3, 21, 31 et 37‑43). Par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que [traduction] « [c]’est une erreur d’alourdir les répercussions que subit un délinquant ou de diluer l’intérêt du public à ce que le délinquant soit inscrit au registre compte tenu du risque moins élevé de récidive. On peut d’ailleurs se demander si [les tribunaux] sont en mesure de faire des prédictions justes en matière de probabilité de récidive » (Debidin, par. 70). En outre, nous trouvons particulièrement curieux le fait que notre collègue mentionne le pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux par la LERDS, vu que le Parlement a modifié le par. 490.012(4) du Code, éliminant par le fait même la possibilité pour le juge chargé de la détermination de la peine de refuser de rendre une ordonnance de se conformer au registre (voir la Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels, L.C. 2010, c. 17, art. 5).
[285]                     Les deux autres exemples que notre collègue propose, en l’occurrence l’absolution prévue à l’art. 730 et la suspension du casier judiciaire accordée par la Commission nationale des libérations conditionnelles (et non par les tribunaux) en vertu du par. 4.1(1) de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, c. C‑47, ne s’appliquent pas ou ne répondent pas — comme elle le reconnaît amplement dans ses motifs — à la situation unique des personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux. En tout état de cause, ce sont toutes là des méthodes d’évaluation qui ont été jugées adéquates par le Parlement et non par les tribunaux.
[286]                     En conclusion, et avec égards, le raisonnement de notre collègue est entaché de contradictions non résolues. Elle reconnaît que notre Cour n’a pas la compétence institutionnelle voulue pour élaborer un nouveau régime qui déterminerait qui devrait être inscrit au registre et qui ne devrait pas l’être, comme en témoigne sa décision de prononcer une déclaration d’invalidité au lieu de toute autre réparation. Pourtant, cette décision « contredirait » (Hislop, par. 92) en fin de compte sa conclusion suivant laquelle notre Cour, et par conséquent d’autres tribunaux, a la compétence institutionnelle voulue pour évaluer le risque que présentent les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux et pour accorder les exemptions qui en découlent.
[287]                     Il y a selon nous une deuxième raison de ne pas accorder d’exemption individuelle en l’espèce, et qui milite, de façon générale, contre l’établissement d’une présomption en faveur d’une telle exemption. Accorder une exemption individuelle dans le cas qui nous occupe suscite, comme dans la plupart des cas, la crainte d’une iniquité horizontale, c’est‑à‑dire la crainte que le plaideur bénéficie d’un traitement plus favorable que celui réservé aux autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable. À notre avis, il ne convient pas de récompenser (même temporairement) uniquement le plaideur qui a été en mesure de financer un litige constitutionnel de grande envergure. Il y a sans aucun doute d’autres personnes qui ont été déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux — et qui sont peut‑être plus vulnérables que M. G ou qui ont commis des infractions moins graves que lui — qui ont tout autant, sinon plus, besoin que lui d’une mesure de réparation.
[288]                     Notre collègue rétorque que « le demandeur ne se trouve pas dans la même situation que les autres personnes assujetties à la loi contestée sous un rapport clé : [il] [. . .] a servi l’intérêt du public en faisant en sorte qu’une loi inconstitutionnelle soit invalidée » (par. 148). Avec égards, nous ne sommes pas convaincus qu’il existe une raison de principe pour laquelle une réparation constitutionnelle individuelle devrait devenir un moyen de récompenser le plaideur qui a obtenu gain de cause pour avoir « bravé la tempête d’un litige constitutionnel » (par. 142). Le fait que le plaideur a triomphé lui donne droit à un jugement en sa faveur, et peut‑être aussi à une adjudication de dépens l’indemnisant des dépenses qu’il a engagées (voir Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, par. 21). Mais dans une affaire constitutionnelle portant sur la validité d’une loi d’application générale, un plaideur ne devrait pas avoir droit à une réparation constitutionnelle meilleure ou plus immédiate que toute autre personne se trouvant dans une situation semblable du seul fait qu’il a intenté l’action. Comme l’a reconnu notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524, un grand nombre de citoyens, en particulier ceux qui sont marginalisés, sont tout simplement « incapable[s] de participer à une contestation judiciaire » pour diverses raisons autres qu’une question de coûts, notamment en raison « des risques liés à une exposition publique [et à une atteinte à leur vie privée], de la crainte pour [leur] sécurité personnelle et de la perte éventuelle de services sociaux, d’aide au revenu, de clientèle et de possibilités [futures] d’emploi [ou d’études] » (par. 6 et 71). Plusieurs de ces facteurs, en plus des « stigmates et préjugés qui [. . .] ont eu pour effet d’imposer un désavantage considérable [aux personnes souffrant de troubles mentaux] » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 62), ont indéniablement empêché les personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux de contester la Loi Christopher. Envisagée sous cet angle, la justification invoquée par notre collègue pour accorder des exemptions individuelles ne tient plus.
[289]                     En outre, il convient de réfléchir sur ce qui arriverait si le législateur décidait au final de désavouer les exemptions ordonnées par un tribunal dans le régime qu’il instaurerait. Il existerait en pareil cas un risque élevé de provoquer une iniquité horizontale, laquelle est associée à la primauté du droit, et, ce faisant, de « créer de nouvelles inégalités » (Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418, par. 179), car toutes les autres personnes déclarées non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux se retrouveraient dans une position inférieure par rapport à celle de M. G, qui aurait bénéficié d’une exemption judiciaire spéciale qui leur est refusée (voir K. Roach, « Dialogic Judicial Review and its Critics » (2004), 23 S.C.L.R. (2d) 49, p. 84).
[290]                     De l’avis de notre collègue, on devrait refuser au demandeur une exemption individuelle uniquement pour une « raison impérieuse » (par. 149). Elle donne deux exemples. Dans le premier, une exemption individuelle ne devrait être refusée que si elle minerait l’intérêt qui motive d’emblée la suspension (par. 150). Selon elle, lorsque l’effet d’une déclaration est suspendu afin de protéger la sécurité du public, une exemption individuelle serait inopportune si elle met en danger la sécurité du public. Mais là encore, les juges sont mal placés pour effectuer une évaluation individualisée en vue de décider si une exemption compromettrait la sécurité du public dans des cas comme celui qui nous occupe, qu’ils disposent ou non d’une preuve au sujet de la situation du demandeur concerné.
[291]                     Dans le deuxième exemple, notre collègue affirme qu’il y a lieu de refuser une exemption individuelle s’il est inopportun d’en accorder une en raison de considérations pratiques telle l’« économie des ressources judiciaires » (par. 151). Elle donne l’exemple d’un groupe important de demandeurs où il ne serait pas pratique — ni même possible — de procéder aux évaluations individuelles nécessaires pour accorder des exemptions à chacun d’eux. Nous convenons que, dans les cas mettant en cause un nombre important de demandeurs, le tribunal sera peut‑être peu enclin à effectuer de multiples évaluations individuelles. D’ailleurs, pareille réticence pourrait fort bien être de mise dans les cas où il y a un seul demandeur lorsque — comme en l’espèce — la Cour n’a pas compétence pour effectuer ne serait‑ce qu’une seule évaluation. Cela dénote le péril inverse : le tribunal en présence de nombreux demandeurs pourrait — comme le fait notre collègue dans la présente affaire — esquiver simplement les évaluations et accorder des exemptions à l’ensemble des demandeurs. Cela dit, nous constatons que notre collègue ne fournit aucune orientation sur la manière dont ces considérations pratiques pourraient être pondérées dans un cas épineux avec les supposés impératifs constitutionnels dont elle parle.
[292]                     Avec égards, nous estimons que, dans l’ensemble, les motifs de notre collègue sur la question de l’exemption individuelle souffrent d’incohérences internes. Ils reconnaissent tout d’abord que « des réparations adaptées ne devraient être accordées que lorsqu’un tribunal peut équitablement conclure que le législateur aurait adopté les modifications que le tribunal apporterait à la loi » (par. 103), et que « même si les tribunaux sont en mesure de déterminer les exigences de la Constitution, ils ne sont pas aptes à faire “des choix particuliers entre diverses options” » (par. 115 (référence omise)). Puis, sans la moindre preuve quant à l’intention du législateur et sans aucune évaluation de M. G par un expert[14], ils accordent à ce dernier une exemption individuelle. L’affirmation de notre collègue suivant laquelle « le législateur peut choisir parmi une gamme d’options stratégiques » (par. 70) ou opter pour une « évaluation individuelle » (par. 162) est ébranlée par son hypothèse ultérieure selon laquelle il est « très peu probable » que M. G soit assujetti à la nouvelle loi (par. 183). Notre collègue usurpe ainsi le rôle du législateur et légifère non pas seulement par effet, mais dans les faits. En réalité, peu importe que la loi modifiée vise ou non M. G, il n’appartient pas aux tribunaux de conjecturer sur la suite que le législateur y donnera, le cas échéant.
[293]                     En fin de compte, la prolifération d’exemptions individuelles n’est que le résultat malheureux d’un mauvais encadrement du recours à la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité (voir les motifs de la juge Karakatsanis, par. 146 : « la nécessité de la réparation individuelle découle de la décision du tribunal de suspendre l’effet de la déclaration en cause »). Nous sommes d’avis de rejeter la solution proposée après coup par notre collègue selon laquelle « [l]es exemptions individuelles peuvent également atténuer tous les autres facteurs de dissuasion attribuables à la suspension de l’effet de déclarations » (par. 148). La solution la plus indiquée consiste plutôt à circonscrire étroitement le recours à la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité, comme l’exige la Constitution. Une fois qu’on a restreint à juste titre la suspension de l’effet de déclarations d’invalidité aux situations exceptionnelles dans lesquelles la primauté du droit est en péril, le souci d’accorder une réparation immédiate au demandeur s’estompe.
V.           Conclusion
[294]                     Pour tous ces motifs, il nous est impossible de souscrire aux motifs de notre collègue, qui représentent selon nous un élargissement débridé du pouvoir discrétionnaire des juges, tant en matière de suspension de l’effet de déclarations d’invalidité que d’octroi d’exemptions individuelles. Nous sommes d’avis, tout comme notre collègue, que la Loi Christopher porte atteinte au droit à l’égalité de traitement devant la loi conféré à M. G par la Charte, et que l’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendu à bon droit. Toutefois, la suspension devrait reposer constitutionnellement sur le principe de la primauté du droit et la menace à la sécurité publique qui se manifesterait faute de suspension. Conformément au Renvoi relatif au Manitoba, à la p. 769, nous aurions invité le procureur général de l’Ontario à nous faire part de ses observations quant à la période minimale nécessaire pour rendre la Loi Christopher conforme à la Constitution. À défaut de preuve en ce sens, nous sommes d’avis de simplement confirmer la suspension, pour 12 mois, de l’effet de la déclaration d’invalidité. Compte tenu du rôle limité du pouvoir judiciaire vis‑à‑vis le pouvoir législatif, nous sommes d’avis de ne pas accorder à l’intimé d’exemption individuelle de cette suspension. Nous accueillerons donc le pourvoi en partie.
 
                    Appel rejeté avec dépens, les juges Côté et Brown sont dissidents en partie.
                    Procureur de l’appelant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
                    Procureurs de l’intimé : Swadron Associates Barristers & Solicitors, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le Procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Montréal.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Presser Barristers, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant Empowerment Council : Anita Szigeti Advocates, Toronto; Morphew Symes Menchynski Barristers, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant Criminal Lawyers Association (Ontario) : Embry Dann, Toronto; Weisberg Law, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights : University of Toronto, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne pour la santé mentale, Ontario : McCarthy Tétrault, Toronto.

[1]  Bien que la partie XX.1 confère également aux tribunaux le pouvoir d’accorder de telles libérations dans certaines circonstances, les commissions d’examen statuent sur cette question dans la grande majorité des cas (ministère de la Justice, Division de la recherche et de la statistique, Les systèmes de commissions d’examen du Canada : survol des résultats de l’étude de la collecte de données sur les accusés atteints de troubles mentaux (2006), p. 2). C’est pourquoi je parle de commissions d’examen dans les présents motifs.
[2]  Contrairement, p. ex., à l’al. 172(1)a) de la Constitution de l’Afrique du Sud, qui prévoit expressément que la Cour doit [traduction] « déclarer invalide toute règle de droit ou conduite incompatible avec la Constitution ».
[3]  Voir Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 246, par. 97; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733, par. 40; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 118; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, par. 88; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 176‑177; Ramsden c. Peterborough (Ville), 1993 CanLII 60 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 1084, p. 1108; R. c. Généreux, 1992 CanLII 117 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 259, p. 309‑310; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 355‑356.
[4]  Voir Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, par. 83; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 96; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754, par. 83‑85; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602, par. 30‑31; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401, par. 67‑115; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 126‑127, 132 et 147; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1102, par. 164; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467, par. 164; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 142; R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, par. 22, 44, et 45; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016 par. 70; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 1, 55 et 101; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 128‑129; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, par. 105 et 159; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 23‑24 et 114‑118; Vriend c. Alberta, 1998 CanLII 816 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 493, par. 148‑179; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3, par. 276 et 294; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 358, par. 103‑105; Miron c. Trudel, 1995 CanLII 97 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 418, par. 176‑181; R. c. Laba, 1994 CanLII 41 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 965, p. 1011‑1016; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, p. 243‑245; R. c. Morales, 1992 CanLII 53 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 711, p. 741‑743; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), 1991 CanLII 60 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 69, p. 101‑106; R. c. Hess, 1990 CanLII 89 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 906, p. 933‑934; Procureur général du Québec c. Quebec Association of Protestant School Boards, 1984 CanLII 32 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 66, p. 88.
[5]  Veuillez noter que certains des arrêts énumérés ci‑dessous figurent aussi à la note en bas de page 4, supra, car la Cour y a invalidé intégralement certaines dispositions législatives et en a invalidé d’autres en partie seulement. Voir R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3, par. 73; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, par. 83; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 98; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464, par. 5, 23 et 58; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116, par. 103; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336, par. 4; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 74; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 56; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 119; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401, par. 67 et 115; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 154 et 158; Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392, par. 81‑89; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1102, par. 164; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 100‑103; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208, par. 46; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 89‑91; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 168; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 142; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, par. 56 et 58; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 118; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, par. 93; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2013] 1 R.C.S. 835, par. 43 et 46; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, par. 64; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 47‑48; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472, par. 32 et 34; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, par. 70; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 79‑80; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3, par. 136‑145; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), 1998 CanLII 829 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 131; Libman c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 326 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 569, par. 86; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3, par. 292; R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, p. 803‑804; Sauvé c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 92 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 438, p. 439‑440; Kourtessis c. M.R.N., 1993 CanLII 137 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 53, p. 89‑90 et 117; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731, p. 778; Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679, p. 725; R. c. Bain, 1992 CanLII 111 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 91, p. 104 et 164‑165; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154, p. 207‑208 et 255; R. c. Sit, 1991 CanLII 34 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 124, p. 130; R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, p. 630; Tétreault‑Gadoury c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 12 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 22, p. 38‑47; R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933, p. 1021; Comité pour la République du Canada c. Canada 1991 CanLII 119 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 139, p. 164‑166, 226‑227 et 251; R. c. Arkell, 1990 CanLII 82 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 695, p. 702; R. c. Martineau, 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes de l’Ontario, 1990 CanLII 121 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 232, p. 251‑253; Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 394‑396; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1351 et 1368; Black c. Law Society of Alberta, 1989 CanLII 132 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 591, p. 633‑634; Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 745; Devine c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 20 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 790, p. 812; Corporation professionnelle des médecins du Québec c. Thibault, 1988 CanLII 32 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 1033, p. 1045‑1046; R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30, p. 80 et 184; R. c. Smith (Edward Dewey), 1987 CanLII 64 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1081; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 142; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), 1985 CanLII 81 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 521; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169.
[6]  Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1102; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Charkaoui c. Canada (Citoyenneé et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489; Nouvelle‑Écosse (Worker’s Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; T.U.A.C., section locale 1518 c. Kmart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard), 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3; Schachter c. Canada, 1992 CanLII 74 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 679; R. c. Bain, 1992 CanLII 111 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 91; et R. c. Swain, 1991 CanLII 104 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 933.
[7]  Contrairement, p. ex., à l’al. 172(1)b) de la Constitution de l’Afrique du Sud qui accorde à la cour le pouvoir de [traduction] « rendre toute ordonnance qu’elle estime juste et équitable, dont [. . .] (ii) une ordonnance suspendant l’effet de la déclaration d’invalidité pour une période déterminée et, sous réserve des conditions que celle‑ci fixe, autorisant les autorités compétentes à suspendre le vice ».
[8]  Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 118‑119; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3, par. 147; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 79; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 140; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 168; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208, par. 46; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 102; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733, par. 41; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, par. 93; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, par. 66.
[9]  R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 98; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureure générale), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116; R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602, par. 32; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401.
[10] Sous le régime de la version du par. 490.012(4) du Code criminel qui était en vigueur jusqu’en 2011, les tribunaux ont tenu compte de plusieurs facteurs pertinents au moment de décider de rendre ou non une ordonnance initiale de conformité à la LERDS, tels que la nature de l’infraction, le risque de récidive du délinquant, le casier judiciaire du délinquant, l’effet sur les droits à la vie privée et à la liberté du délinquant, les effets stigmatisants que pourrait avoir l’enregistrement, ainsi que d’autres facteurs liés à la situation personnelle actuelle et future du délinquant (voir R. c. Debidin, 2008 ONCA 868, 94 O.R. (3d) 421, par. 65‑70; R. c. Redhead, 2006 ABCA 84, 384 A.R. 206, par. 30‑31). Bien que le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre une ordonnance de conformité à la la Loi qui était conféré aux tribunaux en vertu du par. 490.012(4) ait été supprimé, le libellé de cette disposition ressemble beaucoup à celui des par. 490.016(1) et 490.023(2) (Martin’s Annual Criminal Code, par M. Henein, M. Rosenberg et E. L. Greenspan (2019), p. 1018‑1019). La seule différence depuis 2011, c’est que les dispositions actuelles traitent de la prévention efficace des crimes de nature sexuelle en plus d’enquêtes efficaces sur ceux‑ci.
[11] Voir, p. ex., Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 158; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, par. 103; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 79‑80; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 168; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472, par. 32 et 34; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835, par. 43 et 46; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, par. 93; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 24; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 128.
[12] Le total de 44 a été atteint au début de cette année, et ce chiffre ne tient pas compte des cas portant sur des dispositions qui prescrivent des peines minimales obligatoires (lesquelles, de par leur nature, doivent être invalidées sur‑le‑champ : motifs de la juge Karakatsanis, par. 114) et des affaires dans lesquelles la Cour a corrigé le vice constitutionnel grâce à une réparation adaptée telle la dissociation ou l’interprétation large. Les décisions citées dans ces chiffres sont les suivantes (les arrêts dans lesquels la Cour a suspendu l’effet de sa déclaration d’invalidité sont en caractères gras) : R. c. Morrison, 2019 CSC 15, [2019] 2 R.C.S. 3, par. 73; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464, par. 3 et 5; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 98; Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureur général), 2016 CSC 39, [2016] 2 R.C.S. 116, par. 103; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, [2015] 1 R.C.S. 245, par. 103; R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 R.C.S. 602, par. 30‑32; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 154 et 158; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 128; Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392, par. 88‑89; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 166‑169; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733, par. 41; R. c. Tse, 2012 CSC 16, [2012] 1 R.C.S. 531, par. 100‑103; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208, par. 46; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 89‑91; R. c. D.B., 2008 CSC 25, [2008] 2 R.C.S. 3, par. 95; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 1 R.C.S. 391, par. 168; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, par. 140; Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429, par. 121; Chaoulli c. Québec (Procureur général, 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791; R. c. Demers, 2004 CSC 46, [2004] 2 R.C.S. 489, par. 56‑60; Figueroa c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 37, [2003] 1 R.C.S. 912, par. 93; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 119; Trociuk c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835, par. 43 et 46; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, par. 77; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 3 R.C.S. 472, par. 32 et 34; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, par. 64; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 47‑48; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, par. 66; R. c. Ruzic, 2001 CSC 24, [2001] 1 R.C.S. 687, par. 1, 55 et 101; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, par. 105 et 159; T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd., 1999 CanLII 650 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 1083, par. 79; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 1999 CanLII 687 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 24 et 118; M. c. H., 1999 CanLII 686 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 3, par. 136‑145; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), 1998 CanLII 829 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 131; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 1997 CanLII 327 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 96; Libman c. Québec (Procureur général), 1997 CanLII 326 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 569, par. 86; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 358, par. 103‑105; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3, par. 292; RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 176‑177; R. c. Heywood, 1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, p. 803‑804; Sauvé c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 92 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 438, p. 439‑440; Ramsden c. Peterborough (Ville), 1993 CanLII 60 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 1084, p. 1108; Baron c. Canada, 1993 CanLII 154 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 416, p. 453‑455; R. c. Zundel, 1992 CanLII 75 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 731, p. 778.
[13] Voir également la Scotland Act, 1998 (R.‑U.), 1998, c. 46, par. 102(2)‑102(3).
[14] Soulignons que M. G n’a jamais fait l’objet d’une évaluation médico‑légale des risques qu’il présentait. L’expert de l’intimé, le Dr Brink, n’a pas examiné l’intimé, pas plus que l’expert de l’appelant, le Dr Hanson. Le seul témoin qui a évalué l’intimé est son médecin traitant, qui n’avait aucune compétence spécialisée en matière d’évaluation médico‑légale et que les deux juridictions inférieures ont jugé peu fiable (mémoire du P.G.O., par. 96; motifs de la C.S., par. 64‑68; motifs de la C.A., par. 48‑49).


Synthèse
Référence neutre : 2020CSC38 ?
Date de la décision : 20/11/2020

Analyses

suspension ; tribunaux ; invalidité ; charte ; constitutionnellement ; responsables criminellement ; troubles mentaux ; personnes déclarées ; réparations ; Loi Christopher ; immédiates ; principes ; arrêt Schachter ; risques ; primauté du droit ; exemptions individuelles


Parties
Demandeurs : Ontario (Procureur général)
Défendeurs : G
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 20 novembre 2020, Ontario (Procureur général) c. G, 2020 CSC 38


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2020-11-20;2020csc38 ?

Source

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