Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51
Dossier : 39220
Procureur général de l’Ontario et Association des banquiers canadiens, Intervenants
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Martin et Kasirer
Motifs de jugement (par. 1 à 75) :
La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer)
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : Inland Revenue Commissioners c. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1; Canadian Pioneer Management Ltd. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan, [1980] 1 R.C.S. 433; Smith c. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247; Bennett & White Construction Co. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 287; CIT Group Securities (Canada) Inc. c. The Queen, 2016 TCC 163, [2016] 6 C.T.C. 2013; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Michel c. Graydon, 2020 CSC 24; Hypothèques Trusco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Tip Top Tailors Ltd. c. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 703; Montreal Coke and Manufacturing Co. c. Minister of National Revenue, [1944] A.C. 126; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. v. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Friesen, 2020 CSC 9.
Lois et règlements cités
International Financial Services Act, L.R.O. 2007, c. 325, art. 4(2) “international banking business”.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 91(1), (4), (5), 95(1) « entreprise de placement », « société étrangère affiliée contrôlée », « société étrangère affiliée », « revenu de biens », « revenu étranger accumulé, tiré de biens », « revenu provenant d’une entreprise exploitée activement », (2), (2.11), (2.4)b) (3), 248(1) « commerce ».
Off‑shore Banking Act, L.R.O. 1985, c. 325, art. 4.
Doctrine et autres documents cités
Agence du revenu du Canada. Foreign affiliates — Investment Business. Ruling no 9509775, 14 juillet 1995.
Agence du revenu du Canada. Foreign affiliates — Investment Business. Ruling no 2000‑0006565, Ottawa, 22 juin 2000.
Benson, E. J. Proposals for Tax Reform, Ottawa, Queen’s Printer, 1969.
Canada. Bureau du vérificateur général du Canada. Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes, 1992, Ottawa, 1992.
Canada. Ministère des Finances. Special Report: Revised Draft Legislation and Technical Notes : Foreign Affiliates, North York (Ont.), CCH Canadian, 1995.
Canada. Ministère des Finances. Mesures fiscales : renseignements supplémentaires, Ottawa, 1994.
Halsbury’s Laws of Canada: Income Tax (International), 2019 Reissue, contributed by Vern Krishna, Toronto, LexisNexis, 2019.
Holmes, Bill, and Ian Gamble. The Foreign Affiliate Rules, Toronto, Wolters Kluwer, 2020.
Krishna, Vern. Income Tax Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2012.
Panteleo, Nick, and Michael Smart. « International Considerations », in Heather Kerr, Ken McKenzie and Jack Mintz, eds., Tax Policy in Canada, Toronto, Fondation canadienne de fiscalité, 2012, 12:1.
Yeung, Jayme. « Trading or Dealing in Indebtedness Offshore : Paragraph 95(2)(l) Revisited » (2011), 59 Rev. fisc. can. 85.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Woods, Laskin and Mactavish), 2020 CAF 79, [2020] 3 R.C.F. 481, [2020] 4 C.T.C. 1, 2020 D.T.C. 5040, [2020] A.C.F. no 511 (QL), 2020 CarswellNat 5091 (WL Can.), qui a annulé une décision du juge Miller, 2018 CCI 182, [2019] 2 C.T.C. 2001, 2018 D.T.C. 1128, [2018] A.C.I. no 136 (QL), 2018 CarswellNat 11076 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
Eric A. Noble et Elizabeth Chasson, pour l’appelante.
Al Meghji et Pooja Mihailovich, pour l’intimée.
Baaba Forson, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Matthew G. Williams, pour l’intervenante l’Association des banquiers canadiens.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La juge Côté —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Introduction
1
II. Contexte
5
III. Décisions des juridictions inférieures
14
A. Cour canadienne de l’impôt, 2018 CCI 182 (le juge Miller)
14
B. Cour d’appel fédérale, 2020 CAF 79, [2020] 3 R.C.F. 481 (les juges Woods, Laskin et Mactavish)
21
IV. Question en litige
27
V. Analyse
28
A. Le régime du REATB
28
B. L’exigence relative à l’absence de lien de dépendance
40
(1) Introduction
40
(2) Réception de capitaux propres et de capitaux d’emprunt
44
(3) Surveillance de l’entreprise par la société mère
63
C. Application
65
VI. Conclusion
75
Annexe
I. Introduction
[1] La présente affaire concerne le régime du revenu étranger accumulé, tiré de biens (« REATB »), prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »)[1]. Ce régime dispose essentiellement que les contribuables canadiens, comme l’intimée Loblaw Financial Holdings Inc. (« Loblaw Financial »), doivent inclure dans leur déclaration de revenus annuelle canadienne, selon la méthode de la comptabilité d’exercice, le revenu gagné par les sociétés étrangères affiliées qu’ils contrôlent (« SEAC ») si ce revenu constitue un REATB. Toutefois, les institutions financières qui répondent à certaines exigences bénéficient d’une exception qui figure dans la définition du terme « entreprise de placement » au par. 95(1) de la LIR. La SEAC doit notamment satisfaire à l’obligation de mener son entreprise principalement avec des personnes avec lesquelles elle n’a pas de lien de dépendance, également appelée « exigence relative à l’absence de lien de dépendance ». Seule cette exigence est en cause dans le présent pourvoi.
[2] Le régime du REATB est l’un des régimes législatifs les plus complexes en droit canadien. Bien qu’elle nous soit soumise après plusieurs années de travail acharné de la part de vérificateurs et de conseillers juridiques chevronnés, la question qui se pose en l’espèce est remarquablement simple. Une société mère mène‑t‑elle une entreprise avec sa SEAC lorsqu’elle lui fournit des capitaux et exerce une surveillance sur cette entreprise? À mon humble avis, la réponse est tout aussi simple et elle est négative.
[3] Je tiens à souligner d’entrée de jeu que même si elle soutient essentiellement que Loblaw Financial a tenté d’éluder l’impôt, la Couronne n’a pas invoqué d’arguments fondés sur la règle générale anti‑évitement (« RGAE ») devant notre Cour. Nous sommes seulement appelés à interpréter, en conformité avec les règles ordinaires d’interprétation des lois, les termes précis de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance — « l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance » — que l’on trouve dans la disposition prévoyant une exception relative aux institutions financières. Ces mots doivent être interprétés en suivant leur sens ordinaire et grammatical et de manière à s’harmoniser avec leur contexte global et les objets de la LIR. Suivant une telle lecture, il est évident que ces mots n’englobent ni la prise en compte des apports en capital ni la surveillance de l’entreprise.
[4] Si les apports en capital et la surveillance de l’entreprise sont exclus de l’examen, l’immense majorité des activités commerciales ont été menées en l’espèce entre la société étrangère affiliée de Loblaw Financial et des personnes avec lesquelles elle n’avait pas de lien de dépendance. Loblaw Financial peut donc se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières. Compte tenu du texte, du contexte et de l’objet des dispositions en cause, il n’y a aucune raison pour laquelle un tribunal refuserait de permettre à Loblaw Financial de structurer ses opérations de manière à réduire au minimum l’impôt qu’elle doit payer. Pour reprendre les propos célèbres de Lord Tomlin :
[traduction] Chaque particulier est en droit, s’il en a les moyens, de régler ses affaires de manière telle que l’impôt qui en découle en vertu des lois en vigueur soit inférieur à ce qu’il aurait autrement versé. Si le particulier réussit à les régler de manière à obtenir un tel résultat, il ne peut être tenu de payer un impôt majoré quoiqu’il n’en déplaise aux commissaires du revenu de l’intérieur ou aux autres contribuables de l’ingéniosité dont fait preuve le particulier.
(Inland Revenue Commissioners c. Westminster (Duke of), [1936] A.C. 1 (H.L.), p. 19‑20).
II. Contexte
[5] Loblaw Financial est une société canadienne et une filiale en propriété exclusive indirecte des Compagnies Loblaw Ltée, une société publique canadienne contrôlée par George Weston Ltd. Les Compagnies Loblaw Ltée, George Weston Ltd. et leurs filiales ont un lien de dépendance entre elles (« Groupe Loblaw »).
[6] En 1992, Loblaw Financial a incorporé une filiale à la Barbade, Loblaw Inc. La Banque centrale de la Barbade a délivré à Loblaw Inc. une licence lui permettant d’exploiter une banque extraterritoriale en vertu de l’Off‑shore Banking Act, L.R.O. 1985, c. 325, de la Barbade (« OSBA de la Barbade »), qui a ultérieurement été remplacée par l’International Financial Services Act, L.R.O. 2007. c. 325 (« ISFA de la Barbade »). Loblaw Inc. est alors devenue Glenhuron Bank Limited (« Glenhuron ») et était soumise à la réglementation de la Banque centrale de la Barbade. Glenhuron devait limiter ses activités à celles qui répondaient à la définition des termes [traduction] « activités bancaires internationales » qui figurent au par. 4(2) de l’ISFA de la Barbade.
[7] Entre 1992 et 2000, le Groupe Loblaw a fait d’importants investissements de capitaux dans Glenhuron. Loblaw Financial a injecté près de 500 millions de dollars en souscrivant des actions, et une filiale néerlandaise a investi 142 millions de dollars en souscrivant des actions et 133 millions de dollars en accordant des prêts sans intérêt.
[8] Les activités de Glenhuron peuvent être réparties entre les secteurs d’activité suivants : (1) titres de créance à court terme; (2) gestion d’actifs moyennant honoraires; (3) prêts intersociétés; (4) prêts à des exploitants indépendants; (5) crédits croisés de devises et crédits croisés de taux d’intérêt; (6) contrats à terme d’actions. Chaque entité dont les fonds étaient détenus sous mandat de gestion par Glenhuron était liée à Glenhuron, à l’exception de Waterman Insurance Inc. Néanmoins, bon nombre des secteurs d’activité de Glenhuron comportaient des investissements auprès de tiers. Par exemple, Glenhuron a acquis la plupart de ses titres de créance à court terme auprès de Salomon Brothers, de Merrill Lynch et de Citibank. Elle a également conclu des accords de crédits croisés avec d’autres institutions financières (p. ex., UBS, JP Morgan, Gen Re et ABN AMRO). De plus, ces investissements dans des titres de créance à court terme et ces accords de crédits croisés concernant des tiers étaient de loin ses activités les plus lucratives — représentant au moins 86 p. 100 de son revenu total au cours des années en cause — et mobilisaient la plus grande partie de ses actifs.
[9] Grâce au succès de ses activités financières, Glenhuron a été en mesure d’accroître ses actifs, principalement au moyen de l’augmentation de ses bénéfices non distribués, qui sont passés d’environ 100 millions de dollars à la fin de l’année d’imposition 2000 à près de 700 millions de dollars à la fin de l’année d’imposition 2010. Son capital social est demeuré stable au cours de cette période, passant de 476 millions de dollars à 443 millions de dollars à la suite de remboursements de capital ainsi que d’apports de capitaux supplémentaires.
[10] En 2013, Glenhuron a été dissoute et ses actifs ont été liquidés afin de fournir à Loblaw Companies Ltd. les fonds nécessaires pour procéder à une acquisition majeure.
[11] Le différend entre Loblaw Financial et la Couronne concerne l’application du régime du REATB au revenu gagné par la filiale étrangère de Loblaw Financial, Glenhuron. Au cours des années en cause, Loblaw Financial n’a pas inclus le revenu gagné par Glenhuron dans ses déclarations de revenus canadiennes à titre de REATB. Elle a affirmé que les activités de Glenhuron étaient visées par l’exception d’application des règles du REATB accordée aux institutions financières. Ces règles sont établies dans la définition du terme « entreprise de placement » qui figure au par. 95(1) de la LIR, de sorte que le revenu de Glenhuron ne pouvait pas être qualifié de REATB. Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, il faut satisfaire à quatre conditions pour pouvoir bénéficier de cette exception : (1) la SEAC doit être une banque étrangère ou une autre institution financière énumérée dans la disposition d’exception; (2) les activités de la SEAC doivent être réglementées par les lois d’un pays étranger; (3) la SEAC doit employer plus de cinq personnes à temps plein à qui elle confie la conduite active de son entreprise; (4) elle doit mener son entreprise principalement avec des personnes avec lesquelles elle n’a pas de lien de dépendance.
[12] La ministre du Revenu national s’est dite en désaccord avec Loblaw Financial. En 2015, la ministre a par conséquent établi à l’égard de Loblaw Financial de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2008 et 2010 en partant du principe que le revenu gagné par Glenhuron était un REATB. Les montants suivants ont été ajoutés à titre de revenus réalisés par Loblaw Financial en raison des actions qu’elle détenait dans Glenhuron :
Année d’imposition de
Loblaw Financial
Établissement du REATB dans
la nouvelle cotisation
(dollars canadiens)
2001
84 145 457 $
2002
95 522 133 $
2003
63 898 088 $
2004
43 602 018 $
2005
43 468 016 $
2008
128 948 511 $
2010
13 838 390 $
(2018 CCI 182, par. 145)
[13] Peu de temps après, Loblaw Financial a déposé un avis d’opposition et a ensuite interjeté appel des nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt.
III. Décisions des juridictions inférieures
A. Cour canadienne de l’impôt, 2018 CCI 182 (le juge Miller)
[14] La première question que devait trancher la Cour de l’impôt était celle de savoir si l’exception relative aux institutions financières s’appliquait au cours des années en cause. Dans l’affirmative, Loblaw Financial n’avait pas à inclure le revenu de Glenhuron dans son revenu imposable à titre de REATB. La deuxième question était de savoir si la RGAE empêchait Loblaw Financial de se prévaloir de cette exception.
[15] Sur la première question, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’exception relative aux institutions financières ne s’appliquait pas. Même si Glenhuron était une banque étrangère réglementée qui employait plus de cinq personnes à temps plein, elle menait principalement son entreprise avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance. Par conséquent, seulement trois des quatre conditions étaient remplies.
[16] Pour pouvoir appliquer l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance, le juge de la Cour de l’impôt devait d’abord déterminer l’ampleur des activités pertinentes de Glenhuron. Pour ce faire, il s’est appuyé sur la définition de l’expression [traduction] « activités bancaires internationales » prévue par la loi barbadienne. À la lumière de cette définition, il a estimé que les activités exercées par Glenhuron en tant que banque internationale de la Barbade comportaient deux éléments fondamentaux : (1) la réception de fonds; (2) l’utilisation de fonds. Pour déterminer comment ces deux éléments s’inscrivaient dans le test de l’absence de lien de dépendance, le juge de la Cour de l’impôt s’est penché sur la raison d’être de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Il a conclu que cette exigence vise avant tout à promouvoir la concurrence entre les sociétés étrangères affiliées et d’autres entreprises sur leur marché étranger respectif. Compte tenu de cet objectif, le juge a conclu qu’il convenait de mettre davantage l’accent sur l’élément de réception de fonds dans cette analyse, étant donné qu’il s’agit de l’aspect de l’activité bancaire qui comporte le plus de concurrence.
[17] En ce qui concerne l’élément de réception de fonds, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que Glenhuron exploitait une entreprise presque exclusivement avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance. Dans son analyse, il a tenu compte de toutes les entrées de fonds sans distinction, traitant ainsi les capitaux injectés par les actionnaires et les prêteurs comme toute autre entrée de fonds. Il a donc comparé les fonds reçus de Waterman Insurance Inc. — la seule personne sans lien de dépendance en ce qui concernait la réception de fonds — avec la totalité des actifs sous mandat de gestion de Glenhuron, y compris les fonds reçus des actionnaires et des prêteurs, et les bénéfices non distribués réinvestis par Glenhuron. Il a conclu que les fonds reçus de personnes sans lien de dépendance ne représentaient qu’une goutte d’eau dans l’océan : ils ne dépassaient jamais 18 millions de dollars par an, comparativement aux fonds sous mandat de gestion, qui variaient de 175 millions à 1,2 milliard de dollars.
[18] En ce qui concerne l’utilisation des fonds, le juge de la Cour de l’impôt a également conclu que Glenhuron exploitait une entreprise principalement avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance. Premièrement, il a considéré que l’utilisation des fonds par Glenhuron constituait essentiellement la gestion d’un portefeuille de placements pour le compte du Groupe Loblaw, afin de gagner « autant d’argent que possible pour le compte de M. Weston » et de Loblaw (par. 242 et 246). En second lieu, il a estimé que l’influence de la direction centrale du Groupe Loblaw « impr[égnait] la conduite de l’entreprise » en raison de la surveillance étroite exercée par le Groupe Loblaw sur les activités de placement de Glenhuron par le biais de politiques relatives aux produits dérivés, d’exigences de présentation régulière de rapports et d’assistance régulière aux réunions du conseil d’administration (par. 247).
[19] Puisque Glenhuron exploitait une entreprise principalement avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance relativement aux deux catégories d’activités en question, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’exception relative aux institutions financières ne s’appliquait pas. Par conséquent, le revenu tiré par Glenhuron de son entreprise de placement devait être inclus dans le revenu imposable de Loblaw Financial à titre de REATB pour les années en cause, et le juge a confirmé pour ce motif la décision de la ministre.
[20] Le juge de la Cour de l’impôt a également analysé en obiter la seconde question litigieuse. Il a conclu que la RGAE ne s’appliquait pas parce que la constitution de Glenhuron en personne morale, son changement de nom et le renouvellement de ses licences ne constituaient pas une série d’opérations d’évitement de l’impôt.
B. Cour d’appel fédérale, 2020 CAF 79, [2020] 3 R.C.F. 481 (les juges Woods, Laskin et Mactavish)
[21] Loblaw Financial a interjeté appel de la décision du juge de la Cour de l’impôt concernant l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Pour sa part, la Couronne n’a pas formé d’appel incident à l’encontre des conclusions tirées par le juge sur les trois autres conditions de l’exception relative aux institutions financières. La Couronne n’a pas non plus contesté la décision du juge à propos de la RGAE. La seule question sur laquelle la Cour d’appel fédérale était appelée à se prononcer intéressait donc l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance.
[22] La Cour d’appel fédérale a rejeté l’interprétation de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance adoptée par le juge de la Cour de l’impôt. Selon la formation unanime de la Cour d’appel, le point de départ retenu par le juge de la Cour de l’impôt était erroné. La Cour d’appel fédérale s’est référée à l’arrêt Canadian Pioneer Management Ltd. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan, [1980] 1 R.C.S. 433, dans lequel notre Cour a refusé de définir le terme « entreprise bancaire » en s’appuyant sur des facteurs de fond et a affirmé que ce terme devait plutôt être abordé sous un angle formel et institutionnel. Selon cette approche formelle, ce qui importe, c’est de savoir si l’institution se présente comme une banque et est officiellement considérée comme telle, et non de savoir quelles activités précises sont exercées en pratique. La Cour d’appel fédérale a par conséquent conclu que le juge de la Cour de l’impôt n’aurait pas dû se fonder sur la définition que les lois de la Barbade donnaient des « activités bancaires internationales » selon laquelle l’entreprise d’une banque comporte deux aspects : la réception et l’utilisation de fonds.
[23] Au passage, la Cour d’appel fédérale a également reproché au juge de la Cour de l’impôt de s’être appuyé sur l’objectif de favoriser la concurrence internationale dans le but d’accorder plus d’importance à la réception de fonds, estimant que l’attribution au Parlement d’une « intention législative non exprimée » n’avait pas sa place dans l’interprétation d’un régime « élaboré minutieusement » (par. 58).
[24] La Cour d’appel a donc préféré s’en remettre à la définition traditionnelle du terme « entreprise » utilisée en matière fiscale. Selon cette définition, une « entreprise » signifie [traduction] « quelque chose qui occupe le temps, l’attention et le travail d’un homme dans le but de réaliser un profit » (par. 82, citant l’arrêt Smith c. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.), p. 258, et renvoyant à la définition du terme « entreprise » que l’on trouve au par. 248(1) de la LIR). Il s’ensuivait que seules les activités génératrices de revenus de Glenhuron devaient être prises en considération.
[25] La Cour d’appel fédérale a ajouté que le juge de la Cour de l’impôt n’aurait pas dû tenir compte des directives et du soutien fournis par la société mère ainsi que de la surveillance exercée par cette dernière, parce que ces interactions n’étaient pas des activités génératrices de revenus et n’équivalaient donc pas à « mener une entreprise avec » la SEAC. En outre, les investissements de capital du Groupe Loblaw ne faisaient pas partie de la conduite de l’entreprise de Glenhuron parce qu’ils n’occupaient pas le temps et l’attention de Glenhuron de manière significative. Leur exclusion était « conforme à une jurisprudence de longue date qui établit une distinction entre [traduction] “le capital destiné à permettre aux [personnes] de diriger leurs entreprises” et [traduction] “les activités par lesquelles elles gagnent leurs revenus” » (par. 85, citant l’arrêt Bennett & White Construction Co. c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 287, p. 298 (texte entre crochets dans l’original)).
[26] Après avoir circonscrit les activités dont il fallait tenir compte pour l’application de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance, la Cour d’appel fédérale a analysé les activités génératrices de revenus de Glenhuron et a conclu que cette dernière traitait principalement avec des personnes avec lesquelles elle n’avait pas de lien de dépendance. D’ailleurs, les titres de créance à court terme, les crédits croisés de devises et les crédits croisés de taux d’intérêt — toutes des activités menées avec des personnes sans lien de dépendance — étaient les activités les plus lucratives de Glenhuron et celles dans lesquelles elle avait investi la majorité de ses actifs. Loblaw Financial avait donc le droit de se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières, et n’avait pas à inclure le revenu de Glenhuron à titre de REATB. La seule exception concernait les honoraires tirés de la gestion des placements pour le compte de personnes avec lesquelles Glenhuron avait un lien de dépendance, et les parties ont admis qu’ils constituaient un REATB puisqu’ils étaient réputés par l’al. 95(2)b) être un revenu tiré d’une « entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement ». Pour ces motifs, la cour a accueilli l’appel et renvoyé les nouvelles cotisations à la ministre pour qu’elle les réexamine au motif que le REATB de Glenhuron ne consistait qu’en un revenu d’honoraires tirés de sa gestion des actifs du Groupe Loblaw.
IV. Question en litige
[27] Dans le présent pourvoi, la seule question à trancher est celle de savoir si Glenhuron menait une entreprise principalement avec des personnes avec lesquelles elle n’avait pas de lien de dépendance au cours des années d’imposition en cause. Dans l’affirmative, Loblaw Financial peut se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières, et la partie du revenu de Glenhuron qui n’est pas visée par le sous‑al. 95(2)b)(i) ne constitue pas un REATB. Comme les activités exercées par Glenhuron ne sont pas contestées, le pourvoi se résume à déterminer ce qu’il faut entendre par mener une entreprise, une question étroite d’interprétation législative.
V. Analyse
A. Le régime du REATB
[28] Le régime du REATB est considéré comme l’un des régimes fiscaux les plus complexes : il comporte des centaines de définitions, de règles et d’exceptions qui sont régulièrement modifiées. Vu cette complexité, je me contenterai de donner une description générale de ce régime, et certaines subtilités complexes seront omises dans mon analyse.
[29] Certains contribuables canadiens trouvent plus avantageux de placer leurs investissements passifs dans des États où les taux d’imposition sont peu élevés et d’y gagner un revenu par l’entremise de sociétés non résidentes, plutôt que de tirer des revenus de placement directement au Canada et d’être assujettis à des impôts plus élevés (N. Pantaleo et M. Smart, « International Considerations », dans H. Kerr, K. McKenzie et J. Mintz, dir., Tax Policy in Canada (2012), 12:1, p. 12:14). Le régime du REATB vise à supprimer cet avantage en obligeant les contribuables canadiens à inclure, à titre de revenu tiré de leurs actions, certains types de revenus gagnés par leurs SEAC[2] dans leurs déclarations de revenus annuelles canadiennes selon la méthode de la comptabilité d’exercice (par. 91(1) de la LIR; B. Holmes et I. Gamble, The Foreign Affiliate Rules (2020), p. 81). La LIR prévoit toutefois plusieurs mécanismes qui empêchent la double imposition (p. ex., les par. 91(4) et (5)).
[30] Puisque le REATB est calculé selon la méthode de la comptabilité d’exercice, le régime prévoit une exception à la méthode du report qui s’applique à l’imposition des actionnaires. Habituellement, les actionnaires ne paient pas d’impôt sur le revenu gagné par la société dont ils possèdent des actions tant que ce revenu n’est pas distribué sous forme de dividendes. Selon le régime du REATB, toutefois, les actionnaires sont imposés sur les bénéfices non distribués gagnés par leur SEAC au fur et à mesure qu’ils sont gagnés. Ils se voient ainsi refuser l’avantage du report d’impôt (V. Krishna, Halsbury’s Laws of Canada : Income Tax (International) (réédition de 2019), p. HTI‑15).
[31] Fait important à signaler, le régime du REATB ne s’applique pas à tous les types de revenus. De façon générale, la LIR considère le revenu passif (p. ex., les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital) comme un REATB et ne considère pas le revenu actif comme un REATB. Cette distinction s’explique par l’interaction entre le principe de la neutralité des exportations de capitaux et le maintien de la compétitivité des entreprises canadiennes actives à l’étranger (Bureau du vérificateur général, Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes, 1992 (1992), p. 56‑59). La neutralité des exportations de capitaux vise à faire en sorte que [traduction] « [l]es investisseurs [. . .] so[ie]nt assujettis au même taux d’imposition sur le revenu tiré d’investissements à l’étranger que sur le revenu tiré d’investissements dans le pays d’origine » (Pantaleo et Smart, p. 12:25). Par conséquent, les contribuables ne sont ni favorisés ni défavorisés, qu’ils investissent localement ou à l’étranger, car le résultat est le même sur le plan fiscal dans les deux cas. Toutefois, si l’on appliquait ce principe de façon absolue, on nuirait à la compétitivité des entreprises canadiennes et on affaiblirait la prospérité économique du Canada. En effet, alourdir le fardeau fiscal canadien des entreprises canadiennes qui font des affaires à l’étranger et qui doivent en plus payer des impôts étrangers risque de les placer dans une situation désavantageuse sur le plan de la concurrence par rapport aux autres sociétés étrangères qui ne paient que l’impôt étranger dans le pays d’origine (Ministère des Finances, Mesures fiscales : renseignements supplémentaires (1994), p. 36).
[32] Toutefois, cette distinction entre revenus actifs et revenus passifs n’est pas étanche : certains revenus actifs sont considérés comme des REATB et d’autres revenus passifs en sont exclus (Pantaleo et Smart, p. 12:11 et 12:13). De plus, la LIR contient des définitions détaillées de types de revenus dont la signification peut parfois différer de leur sens ordinaire (Holmes et Gamble, p. 187). Il est donc essentiel d’axer l’analyse sur les exigences précises qui s’appliquent aux définitions et exclusions en cause pour déterminer si un revenu constitue un REATB (CIT Group Securities (Canada) Inc. c. La Reine, 2016 CCI 163, par. 89).
[33] Le régime du REATB comprend quatre grandes catégories de revenus gagnés par les SEAC : (1) les revenus de biens; (2) les revenus tirés d’une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement; (3) les revenus provenant d’une entreprise non admissible; (4) les gains en capital imposables réalisés lors de la disposition de biens non exclus (par. 95(1) « revenu étranger accumulé, tiré de biens »). Les catégories qui nous intéressent en l’espèce sont les deux premières.
[34] La catégorie des « revenu[s] tiré[s] d’une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement » englobe toute entreprise qui est réputée, par application du par. 95(2), ne pas être exploitée activement (par. 95(1) « revenu provenant d’une entreprise exploitée activement »). La seule disposition déterminative qui nous intéresse en l’espèce est le sous‑al. 95(2)b)(i), selon lequel la fourniture de services à des entités liées en contrepartie d’honoraires est réputée constituer une entreprise distincte et le revenu tiré de cette entreprise est réputé être un REATB. La gestion des actifs d’entités liées en contrepartie d’honoraires serait visée par cette règle (par. 95(3)). L’objet de cette disposition déterminative est [traduction] « d’éliminer tout avantage fiscal qui pourrait autrement être obtenu : (i) soit en faisant en sorte qu’une société étrangère affiliée fournisse des services à une entreprise canadienne, transférant ainsi une partie des bénéfices de l’entreprise vers un autre État, (ii) soit en faisant en sorte qu’une société étrangère affiliée fournisse des services à une autre société étrangère affiliée qui gagne un REATB, réduisant d’autant le REATB » (Holmes et Gamble, p. 274).
[35] La principale catégorie en cause dans le présent pourvoi est celle du « revenu de biens », lequel comprend le revenu de la SEAC provenant d’une entreprise de placement (par. 95(1) « revenu de biens »). La définition d’« entreprise de placement » a été ajoutée lors des modifications apportées en 1995 au régime du REATB. Avant ces modifications, la distinction entre revenus actifs et revenus passifs était laissée à l’appréciation des tribunaux, une situation que le vérificateur général a déplorée dans un rapport de 1992 en faisant valoir que « nous n’avons pas l’assurance que les règles [relatives au REATB] s’appliqueront dans les circonstances voulues » (Bureau du vérificateur général, p. 61). Le Parlement a réagi en introduisant le concept d’« entreprise de placement » dont les revenus devaient être inclus dans les revenus de biens. La définition de l’« entreprise de placement » est large et englobe toute « [e]ntreprise exploitée par une société étrangère affiliée [. . .] dont le principal objet consiste à tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers, redevances et tous rendements semblables et montants de remplacement) » (par. 95(1), définition du terme « entreprise de placement »).
[36] Le Parlement a assorti cette large définition du terme « entreprise de placement » d’exonérations ou d’exceptions, en accordant notamment aux institutions financières l’exonération en cause en l’espèce. Toutefois, comme je l’explique plus loin, le Parlement devait être conscient que le fait de considérer comme des REATB tous les revenus tirés d’une entreprise de placement exploitée par une SEAC risquait de nuire à la compétitivité internationale des institutions financières canadiennes. Par conséquent, le Parlement a adopté l’exception relative aux institutions financières pour exclure du REATB les revenus de placement réalisés par des SEAC qui sont des institutions financières, pourvu que les conditions suivantes soient réunies :
1. Type d’institution financière : Il s’agit d’une entreprise que la SEAC exploite à titre de banque étrangère, de société de fiducie, de caisse de crédit, de compagnie d’assurance ou de négociateur ou courtier en valeurs mobilières ou en marchandises.
2. Surveillance d’un organisme de réglementation : Les activités de la SEAC sont réglementées par les lois d’un pays étranger.
3. Degré minimal d’activité : La SEAC emploie plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise.
4. Exigence relative à l’absence de lien de dépendance : L’entreprise exploitée par la SEAC n’est pas « menée principalement avec des personnes avec lesquelles la [SEAC] a un lien de dépendance ».
(par. 95(1), définition du terme « entreprise de placement »)
[37] Lorsque ces quatre conditions sont réunies, le revenu de l’entreprise de placement conserve son caractère de revenu tiré d’une entreprise exploitée activement et ne constitue donc pas un REATB. Il n’est cependant pas toujours suffisant de satisfaire à ces quatre exigences pour pouvoir se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières. Lorsque la SEAC est une institution financière réglementée et qu’elle exploite une entreprise dont le principal objet est de tirer un revenu du commerce de dettes, le revenu tiré de ces activités est réputé être un revenu de biens et donc un REATB, sauf si le contribuable canadien est une institution financière qui réside au Canada ou une société mère ou une filiale d’une telle institution financière canadienne (sous‑al. 95(2)(l)(iv); voir J. Yeung, « Trading or Dealing in Indebtedness Offshore : Paragraph 95(2)(l) Revisited » (2011), 59 Rev. fisc. can. 85, p. 89‑90). En réalité, seules les SEAC liées à des institutions financières canadiennes sont autorisées à faire le commerce de dettes sans être assujetties aux règles régissant le REATB.
[38] En 2014, le Parlement a réexaminé l’exception relative aux institutions financières et a préféré en resserrer les conditions plutôt que de l’abolir (par. 95(2.11); voir Holmes et Gamble, p. 1361‑1365). La condition que le contribuable soit une institution financière canadienne ou qu’il soit lié à une institution de ce genre, qui s’appliquait jusqu’alors uniquement lorsque la SEAC faisait le commerce de dettes, a été étendue à toutes les situations dans lesquelles le contribuable invoque cette exception. De plus, l’institution financière canadienne doit désormais satisfaire à l’une ou l’autre des deux exigences suivantes : (1) avoir au moins deux milliards de dollars en capitaux propres; (2) la moitié de son capital imposable doit être employé au Canada dans le cadre d’activités d’entreprise réglementées par une autorité des marchés financiers. Cette modification limite l’accès à cette exception aux contribuables dont les activités sont fortement axées sur des opérations financières, excluant ainsi ceux pour qui il s’agit surtout d’une activité secondaire. Toutefois, comme ces modifications n’étaient pas rétroactives, elles ne s’appliquent pas à la présente affaire.
[39] Il n’est pas contesté que l’al. 95(2)l) n’empêche pas Loblaw Financial de se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières, parce que Loblaw Financial est la société mère d’une banque canadienne, la Banque le Choix du Président. Les exigences relatives à l’institution financière, à la surveillance et au degré d’activité nécessaire pour se prévaloir de cette exception ne sont pas non plus contestées. En conséquence, le présent pourvoi ne porte que sur l’interprétation et l’application de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance prévue au par. 95(1).
B. L’exigence relative à l’absence de lien de dépendance
(1) Introduction
[40] En l’espèce, le différend se résume à la signification de l’expression « entreprise menée principalement avec » pour l’application de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance, et plus précisément à la question de savoir si la fourniture de capitaux et la surveillance de l’entreprise sont assimilables au fait de mener une entreprise avec une société étrangère affiliée. La question de savoir quel type d’activités le Parlement voulait qu’on prenne en considération pour décider si une entreprise est menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société a un lien de dépendance est une question de droit. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
[41] Cette question précise d’interprétation législative nous oblige à faire appel au cadre d’analyse bien établi selon lequel « l’interprétation des lois consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet de cette loi » (Michel c. Graydon, 2020 CSC 24, par. 21). Là où l’analyse se corse, c’est lorsqu’il s’agit de déterminer le poids relatif à accorder au texte, au contexte et à l’objet. Lorsque le libellé d’une loi est « précis et non équivoque », le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10). En matière fiscale, une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée » continue de s’appliquer (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, par. 22, citant Trustco Canada, par. 47). Toutefois, dans l’application de cette méthode unifiée, le caractère singulier et précis de nombreuses dispositions fiscales, de même que le principe énoncé dans l’arrêt Duke of Westminster (selon lequel les contribuables sont en droit d’organiser leurs affaires pour réduire au minimum l’impôt à payer) commandent de se concentrer attentivement sur le texte et le contexte de la loi pour cerner l’objectif général du régime (Placer Dome, par. 21; Trustco Canada, par. 11). Cette méthode est particulièrement pertinente dans le cas qui nous occupe, où la disposition en cause fait partie du régime très détaillé et précis du REATB. Je tiens à rappeler qu’il ne s’agit pas d’une affaire mettant en cause une règle générale anti‑évitement. La disposition en litige fait partie d’une exception à la définition du terme « entreprise de placement » dans le cadre du régime très complexe et défini du REATB. Pour que les contribuables sachent à quoi s’en tenir dans un tel régime, il faut donner leur plein effet aux mots précis et non équivoques employés par le Parlement.
[42] Il s’agit effectivement en l’espèce de déterminer si l’entreprise exploitée par Glenhuron (autre que son entreprise de gestion d’actifs pour des personnes avec lesquelles elle a un lien de dépendance) répond aux conditions de l’exception relative aux institutions financières. Comme je l’ai déjà mentionné, cette exception se trouve dans la définition du terme « entreprise de placement » au par. 95(1) de la LIR :
entreprise de placement Entreprise exploitée par une société étrangère affiliée d’un contribuable au cours d’une année d’imposition (à l’exception d’une entreprise qui est réputée par le paragraphe (2) être une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement de la société affiliée) dont le principal objet consiste à tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers, redevances et tous rendements semblables et montants de remplacement), un revenu de l’assurance ou de la réassurance de risques, un revenu provenant de l’affacturage de comptes clients ou des bénéfices de la disposition de biens de placement, sauf si le contribuable ou la société affiliée établissent que les conditions suivantes étaient réunies tout au long de la période de l’année pendant laquelle la société affiliée a exploité l’entreprise :
a) l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance, présente l’une des caractéristiques suivantes :
(i) il s’agit d’une entreprise que la société affiliée exploite à titre de banque étrangère [. . .] et dont les activités sont réglementées par les lois . . .
(B) [du] pays où l’entreprise est principalement exploitée,
. . .
c) l’exploitant emploie, selon le cas :
(i) plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise,
(ii) l’équivalent de plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise, compte tenu uniquement
. . .
[Je souligne.]
[43] Les parties s’entendent pour dire que les mots « l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance » obligent le tribunal à examiner avec qui la société affiliée a mené une entreprise et à déterminer si ces personnes avaient un lien de dépendance entre elles. La question centrale dans le présent pourvoi est de savoir s’il est pertinent, pour l’application du test de l’absence de lien de dépendance, que la société mère ait injecté des capitaux ou surveillé l’entreprise.
(2) Réception de capitaux propres et de capitaux d’emprunt
[44] La Couronne affirme qu’on peut comprendre le sens de l’expression « mener une entreprise » en se référant aux lois de la Barbade. Selon la définition que l’on trouve au par. 4(2) de l’ISFA de la Barbade et à l’art. 4 de l’OSBA de la Barbade, l’expression [traduction] « entreprise d’une banque internationale » englobe à la fois la réception de fonds étrangers et l’utilisation de ces fonds pour fournir des services financiers. Cependant, nous ne nous intéressons pas au droit de la Barbade en l’espèce. Notre tâche consiste à discerner ce que le législateur canadien entendait par les mots « l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance ». La Couronne n’a pas réussi à avancer de raison convaincante pour laquelle la conception que le Parlement de la Barbade se fait des activités bancaires internationales correspond de quelque façon à la conception que le Parlement canadien se fait de l’exploitation d’une entreprise. Comme je l’ai dit plus haut, pour discerner l’intention du Parlement canadien, nous devons examiner le texte de la LIR dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical parallèlement à l’économie et à l’objet de la loi.
[45] La Couronne soutient également qu’une interprétation large devrait être donnée à l’expression « mener une entreprise », compte tenu de l’art. 248 de la LIR, qui définit le mot « entreprise » en termes généraux en y assimilant « les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque sorte que ce soit » (m.a., par. 71). Je conviens que la définition du terme « entreprise » à l’art. 248 est large et qu’elle ne se limite pas aux activités génératrices de revenus. Nous ne nous intéressons toutefois pas seulement au mot « entreprise ». À mon avis, l’interprétation des mots « entreprise menée » selon leur sens ordinaire et grammatical véhicule une signification différente de celle du terme « entreprise » considéré seul. L’ajout du participe passé « menée » fait ressortir l’intention du Parlement de mettre l’accent sur l’exploitation active de l’entreprise, plutôt que sur l’établissement de conditions préalables permettant à une société étrangère affiliée d’exercer ses activités.
[46] Toute entreprise doit nécessairement se procurer des capitaux pour être en mesure d’exercer ses activités. Mais on ne qualifierait généralement pas la capitalisation elle‑même d’exploitation d’une entreprise. Notre Cour a affirmé à maintes reprises qu’il existe une distinction entre la capitalisation et l’exploitation d’une entreprise. Comme l’écrivait le juge Rand, [traduction] « [l]’outillage servant à l’exploitation de l’entreprise qui gagne le revenu est distinct de l’entreprise même » (Tip Top Tailors Ltd. c. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 703, p. 710; voir également Bennett & White Construction Co., p. 290‑292). Dans l’arrêt Montreal Coke and Manufacturing Co. c. Minister of National Revenue, [1944] A.C. 126 (C.P.), Lord Macmillan s’exprimait en des termes semblables : [traduction] « Bien sûr, à l’instar des autres gens d’affaires, elles doivent disposer d’un capital pour exploiter leur entreprise, mais leurs accords financiers sont tout à fait distincts des activités par lesquelles elles gagnent leur revenu » (p. 134). En fait, il serait aberrant de dire qu’une société mène une entreprise avec ses actionnaires ou ses prêteurs. La Direction des décisions de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a proposé une interprétation plus logique de ce concept en 2000 en affirmant ce qui suit :
[traduction] . . . nous considérons qu’une société mène généralement une entreprise avec ses clients, qui sont le plus souvent des personnes à qui elle rend des services ou vend des produits en échange d’une contrepartie monétaire. La personne qui investit des fonds dans les actions d’une société ou qui lui prête des fonds n’est généralement pas considérée comme une cliente de l’entreprise menée par la société. [Je souligne.]
(Foreign Affiliates — Investment Business, décision no 2000‑0006565, 22 juin 2000)
[47] La Couronne soutient également que le fait que Glenhuron est une banque change le sens de l’expression « mener une entreprise » dans ce contexte, parce que l’acceptation de dépôts fait partie des activités d’une banque. Je ne crois cependant pas que le contexte bancaire y change quoi que ce soit. Toute société a besoin de capitaux, pas seulement les banques. Et il existe sans aucun doute une distinction entre la réception de fonds de déposants et la réception de fonds d’actionnaires. Les déposants sont des clients de la banque à qui la banque fournit des services associés à la détention de leurs fonds. Ce n’est pas le cas des actionnaires.
[48] Le contexte du régime du REATB rend mon interprétation difficilement ébranlable, car le régime a pour fonction intégrale de classifier les revenus des sociétés étrangères affiliées. Dans le cas du revenu d’entreprise, le Parlement a choisi d’aller plus loin en scindant les activités des sociétés étrangères affiliées en « entreprises » distinctes selon le type de revenu qu’elles génèrent. Le revenu de certaines entreprises est inclus dans le REATB, alors que le revenu d’autres entreprises ne l’est pas. Toutefois, le fait que le Parlement a choisi de scinder les entreprises en fonction de leurs secteurs d’activité ne change rien au fait que le régime du REATB vise essentiellement à classifier les revenus. C’est pourquoi le Parlement a défini l’« entreprise de placement » comme toute entreprise dont le principal objet consiste à « tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers, redevances et tous rendements semblables et montants de remplacement), un revenu de l’assurance ou de la réassurance de risques, un revenu provenant de l’affacturage de comptes clients ou des bénéfices de la disposition de biens de placement ». L’exception relative aux institutions financières à la définition de l’« entreprise de placement » et l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance sont liées à cette même fonction : déterminer les revenus qui constituent un REATB. Il est donc parfaitement logique que le Parlement ait voulu que ces déterminations portent sur des activités plus directement liées à la production de revenus qu’à la capitalisation, la distinction entre revenu et capital étant bien établie en droit fiscal (V. Krishna, Income Tax Law (2e éd. 2012), p. 80‑84).
[49] Le régime du REATB révèle également les problèmes d’ordre pratique qui découleraient du fait de considérer la capitalisation comme faisant partie de l’exploitation d’une entreprise pour l’application de l’exception relative aux institutions financières. Le régime du REATB peut diviser une société étrangère affiliée en plusieurs entreprises — comme c’est le cas pour Glenhuron. Toutefois, le régime du REATB ne prévoit pas de méthode d’affectation du capital aux différentes entreprises d’une même société. Si nous devions interpréter l’expression « entreprise menée » en considérant qu’elle englobe la capitalisation de l’entreprise, il faudrait diviser d’une façon ou d’une autre la dette et les capitaux propres provenant de diverses sources (certaines avec lien de dépendance et d’autres, sans), pour ensuite attribuer le quotient qui en résulte aux diverses entreprises exploitées par une société étrangère affiliée. L’absence de toute méthode de distribution des capitaux indique que le Parlement ne songeait pas aux capitaux. En outre, ce n’est tout simplement pas la façon dont l’argent est normalement géré. L’argent étant fongible, il est peu probable que les capitaux reçus soient affectés à une fin particulière de façon à pouvoir rattacher un apport en capital à un secteur d’activité.
[50] Le fait de tenir compte de la réception de capitaux en lien avec des sociétés étrangères affiliées nouvellement créées est la source d’une autre difficulté d’ordre pratique. Le REATB ne s’applique en effet qu’à la SEAC. Par définition, la société mère canadienne aura fourni des capitaux propres pour créer la SEAC. Dans la plupart des cas, cela signifie que la SEAC ne satisfera pas au test applicable durant ses premières années d’existence, lorsqu’elle essaie de se constituer une clientèle, parce que la proportion de capital par rapport aux autres fonds reçus par l’entreprise sera vraisemblablement élevée.
[51] En ce qui concerne l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance, la Couronne soutient que le régime du REATB consiste principalement en une série de règles anti‑évitement qui visent à empêcher les contribuables d’éluder l’impôt canadien en se servant des SEAC qui résident dans des États à faibles taux d’imposition. Bien que la Couronne reconnaisse que l’exception relative aux institutions financières reflète la volonté du Parlement de ne pas étouffer la capacité des sociétés étrangères affiliées de faire concurrence à l’extérieur du Canada, elle estime que l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance demeure la lutte à l’évitement fiscal. Étant donné que rien dans les activités commerciales de Glenhuron ne l’obligeait à s’établir à la Barbade, le fait de lui permettre de bénéficier de l’exception relative aux institutions financières contrecarrerait l’objectif de lutter contre l’évitement et permettrait à Loblaw Financial d’éviter le REATB qui découlerait de la situation inverse.
[52] Le juge de la Cour de l’impôt a adopté une conception légèrement différente de l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Il a conclu que la raison d’être de cette exigence était la concurrence, c’est‑à‑dire de s’assurer que seules les sociétés étrangères affiliées qui se livrent concurrence sur leur marché étranger respectif puissent se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières (par. 238). L’importance ainsi mise sur la concurrence l’a amené à insister sur la capitalisation parce qu’il estimait que les activités bancaires étaient axées sur la réception de fonds (par. 238).
[53] La Cour d’appel fédérale a adopté une autre conception de l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Au lieu de tenter de dégager l’objet au cas par cas, la cour l’a considérée comme l’une des nombreuses exigences à satisfaire pour se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières. Elle a estimé que, considérées dans leur ensemble, les différentes exigences de l’exception relative aux institutions financières étaient conçues pour réaliser l’objectif fondamental du régime du REATB, qui était de ne s’appliquer qu’au revenu passif (par. 48).
[54] Comme on pouvait s’y attendre, il n’y a pas de preuve directe de l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Mais tous les éléments de preuve dont nous disposons indiquent que le Parlement a tenté d’établir un équilibre entre deux objectifs opposés en décidant de limiter l’application du régime du REATB au revenu passif. Dans le livre blanc publié en 1969 sous le titre Propositions de réforme fiscale, le ministre des Finances Benson a reconnu la nécessité d’aider les entreprises canadiennes à être concurrentielles à l’étranger en s’assurant que le Canada n’impose pas le revenu de leurs filiales étrangères en plus de l’impôt à payer dans le pays d’origine. Il a reconnu en même temps la nécessité de protéger l’assiette fiscale du Canada en empêchant les abus que pourrait entraîner la création de sociétés n’exerçant pas des activités commerciales légitimes (par. 6.9 et 6.20‑6.21).
[55] En 1992, le ministère des Finances a réaffirmé ces deux objectifs incompatibles en réponse à un rapport dans lequel le vérificateur général se disait préoccupé par la législation canadienne existante concernant les sociétés étrangères affiliées. Le ministère des Finances a déclaré ce qui suit :
. . . le Canada est aux prises avec deux objectifs incompatibles. L’objectif de l’efficacité économique nécessite un régime qui garantit la neutralité des exportations de capitaux. Cet objectif est atteint lorsque le revenu de source étrangère est soumis au même taux d’imposition réel que le revenu de source canadienne, ce qui laisse les contribuables indifférents, du moins sur le plan fiscal, quant à la destination — canadienne ou étrangère — de leurs investissements. Inversement, l’objectif du maintien de la compétitivité nécessite un régime qui assure la neutralité des entrées de capitaux. Pour ce faire, les Canadiens qui investissent à l’étranger doivent être imposés au même taux réel que les résidents du pays étranger en question. Sur le plan fiscal, un tel régime permet de maintenir l’équilibre entre les entreprises canadiennes et étrangères multinationales.
Dans un monde où les régimes fiscaux sont aussi différents que les pays qui les adoptent, il est impossible d’atteindre la neutralité des exportations et des entrées de capitaux. Aussi, le Canada a‑t‑il opté pour un régime qui garantit la neutralité des exportations de capitaux pour ce qui est de certains types de revenus, et la neutralité des entrées de capitaux pour ce qui est d’autres types de revenus. Plus précisément, dans le cas du revenu passif (c’est‑à‑dire le revenu de placements comme les intérêts, les dividendes et les loyers), la crainte du point de vue de la politique fiscale est que les contribuables tentent d’abriter leurs revenus dans des paradis fiscaux en vue de différer le paiement de l’impôt canadien. C’est pourquoi la Loi de l’impôt sur le revenu renferme des dispositions communément appelées les règles sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens. Ces règles ont pour objet de veiller à ce que le revenu passif gagné par certaines sociétés étrangères affiliées s’accumule et soit soumis à l’impôt canadien régulièrement (c’est‑à‑dire annuellement), ce qui élimine les risques de report et supprime, par le fait même, l’incitation fiscale à déplacer son revenu vers l’étranger.
Pour assurer le maintien de la compétitivité des entreprises canadiennes sur le plan international, le revenu d’une entreprise exploitée activement qui est gagné à l’étranger par une société étrangère affiliée n’a pas à être accumulé et n’est soumis à l’impôt que dans le pays étranger. [Je souligne.]
(Bureau du vérificateur général, p. 57‑58)
[56] De même, en annonçant les modifications de 1995 au par. 95(1) et l’introduction de la définition d’« entreprise de placement », le ministère des Finances a signalé que les règles concernant les sociétés étrangères affiliées visaient à « s’assurer que les sociétés canadiennes qui exploitent une entreprise à l’étranger par l’entremise de sociétés étrangères affiliées ne soient pas désavantagées par le régime fiscal canadien par rapport aux multinationales étrangères qu’elles doivent concurrencer », ajoutant toutefois que, « [p]ar ailleurs, le but des règles est également de s’assurer que les sociétés étrangères affiliées ne peuvent servir à soustraire de l’impôt canadien un revenu passif ou un revenu détourné du Canada » (Mesures fiscales : renseignements supplémentaires, p. 36‑37). Compte tenu de ces éléments, j’estime que les dispositions spécifiques relatives au REATB ont été adoptées pour permettre au Parlement de réaliser son objectif plus large d’établir un équilibre entre la neutralité des exportations de capitaux et la protection de la compétitivité des entreprises canadiennes actives à l’étranger en ciblant les revenus passifs. Je ne dispose d’aucune information indiquant que l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance vise un objectif spécifique de lutte contre l’évitement fiscal ou la promotion de la compétitivité internationale.
[57] Je partage donc l’avis de la Cour d’appel fédérale voulant que, dans la mesure où l’analyse du juge de la Cour de l’impôt exigeait que Glenhuron fasse concurrence à d’autres acteurs du marché bancaire de la Barbade, il s’agisse d’un exemple de déduction inopportune d’une intention législative non exprimée (par. 58).
[58] Si le Parlement avait souhaité mettre davantage l’accent sur la concurrence, il lui était loisible de le faire. Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale, le régime du REATB a été « élaboré minutieusement » (par. 58). Nous ne pouvons présumer que le Parlement souhaitait insérer une exigence de compétitivité, mais qu’il a simplement négligé de manifester explicitement son intention, d’autant plus qu’il l’a fait ailleurs dans le régime du REATB. En effet, en 1995, il a édicté l’al. 95(2)a.3), qui prévoit que le revenu tiré de dettes ou d’obligations découlant de baux au Canada constitue un REATB, sauf si plus de 90 p. 100 du revenu brut de la société affiliée tiré de dettes et d’obligations découlant de baux provient de sources étrangères avec lesquelles la société affiliée n’a aucun lien de dépendance. Le Parlement a également prévu au même moment une exception à l’al. 95(2)(a.3). Pour être admissible à cette exception, la société étrangère affiliée doit remplir plusieurs conditions énoncées à l’al. 95(2.4)b), dont une exigence relative à l’absence de lien de dépendance et une exigence de concurrence. La société étrangère affiliée doit avoir une « présence importante sur les marchés » d’un pays et « faire concurrence » à une personne qui réside et a elle aussi une « présence importante sur les marchés » du pays en question.
[59] Le libellé de l’al. 95(2.4)b) confirme qu’il n’y a aucune raison de croire que la concurrence pour attirer des clients constitue un indice nécessaire pour conclure à l’absence d’un lien de dépendance. Conformément à la maxime juridique expressio unius est exclusio alterius (« la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre »), on peut interpréter l’exigence de concurrence de l’al. 95(2.4)b) comme une exclusion implicite de cette exigence dans le cas de l’exception relative aux institutions financières prévue au par. 95(1) (R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, par. 42). Il faut nécessairement inférer du libellé explicite de l’al. 95(2.4)b) que le Parlement a choisi de ne pas insérer l’élément de la concurrence dans l’exception relative aux institutions financières.
[60] Quant à l’allégation de la Couronne suivant laquelle l’objectif de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance est de prévenir l’évitement fiscal, il s’agit là aussi d’une tentative d’établir une règle anti‑évitement spécifique en l’absence de toute intention législative exprimée en ce sens. Pour que cet argument soit retenu, il nous faudrait réécrire la loi. Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin et du juge Major, « [l]orsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent » (Trustco Canada, par. 11). Il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, de déterminer l’objet précis de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance. Par conséquent, je remets à une autre occasion l’examen de cette question.
[61] Je réitère que, pour veiller à ce que les contribuables sachent à quoi s’en tenir, il faut donner pleinement effet aux termes précis et sans équivoque employés par le Parlement. Compte tenu du contexte et de l’objet du régime du REATB, le sens ordinaire et grammatical des mots « mener une entreprise » démontre clairement que le Parlement ne souhaitait pas voir les rentrées de capital prises en considération. Encore une fois, il s’agit d’un point de vue que l’ARC a déjà exprimé elle‑même. Dans une décision remontant à 1995, l’ARC déclarait que les critères relatifs à l’exploitation d’une entreprise [traduction] « visent principalement à mesurer notamment les sources de revenus, les activités génératrices de revenus et les actifs utilisés dans chaque entreprise (c.‑à‑d. l’aspect revenu des opérations de la société) » (Foreign Affiliates — Investment Business, décision no 9509775, 14 juillet 1995). L’ARC a ajouté que « le fait qu’une société étrangère affiliée reçoit des fonds pour exercer ses activités génératrices de revenus par le biais des dettes ou des capitaux propres d’une entité liée n’est guère, voire aucunement, pertinent pour déterminer si cette société mène son entreprise avec des personnes avec lesquelles elle a un lien de dépendance » (je souligne). De même, en 2000, l’ARC a réitéré sa position, déclarant que les critères qui seraient pertinents ont [traduction] « pour objet de mesurer les sources de revenus, le temps et les efforts consacrés par les employés et les actifs utilisés dans chaque entreprise, et aucune indication n’est donnée quant à savoir si, ou comment, le montant de la dette ou des capitaux propres ou le temps consacré par les employés à administrer la dette ou les capitaux propres associés à une entreprise seraient pertinents » (décision no 2000‑0006565 (je souligne)). Elle a également signalé que la série de critères susmentionnée [traduction] « constitue, dans la plupart des cas, un ensemble exhaustif de critères pertinents servant à déterminer si une entreprise est menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance, et la provenance du financement d’une société par emprunt et par capitaux propres ne serait généralement pas importante pour cette détermination » (je souligne).
[62] Avant de passer à l’examen de la surveillance de l’entreprise, je fais ici une pause pour signaler que, même si j’acceptais l’argument de la Couronne suivant lequel on pourrait considérer que la capitalisation fait partie de l’exploitation de l’entreprise, un autre problème demeure. Le REATB est calculé sur une base annuelle. Dans le cas qui nous occupe, les fonds injectés dans Glenhuron sont antérieurs aux années d’imposition à l’examen. Même si la capitalisation faisait partie de l’exploitation de l’entreprise, il est impossible d’affirmer qu’une société étrangère affiliée mène une entreprise avec un prêteur ou un investisseur des dizaines d’années après avoir reçu de l’argent d’eux.
(3) Surveillance de l’entreprise par la société mère
[63] Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la surveillance de Glenhuron par sa société mère avait transformé les interactions de Glenhuron avec des tiers en activités avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance. Le juge a notamment estimé que le Groupe Loblaw exerçait une surveillance étroite des activités de placement de Glenhuron par le biais de politiques relatives aux produits dérivés, d’obligations en matière de présentation régulière de rapports et d’assistance régulière aux réunions du conseil d’administration de Glenhuron. À son avis, « l’influence de Loblaw imprègne la conduite de l’entreprise » (par. 247).
[64] Je ne trouve rien dans le texte, le contexte ou l’objet de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance qui appuie la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle la surveillance de l’entreprise faisait partie de l’exploitation de l’entreprise. Une société est une entité fondamentalement distincte de ses actionnaires. La société peut exploiter son entreprise en utilisant les fonds fournis par ses actionnaires ou en appliquant les politiques adoptées par le conseil d’administration au nom des actionnaires, mais cela ne change rien au fait que la société est l’entité qui mène l’entreprise. Considérer la surveillance par une société mère comme un transfert de la responsabilité de l’exploitation de l’entreprise est également incompatible avec le reste du régime du REATB. Comme nous l’avons vu plus haut, le régime du REATB s’applique uniquement en présence d’une société étrangère affiliée contrôlée. S’il y a une SEAC, elle fait nécessairement l’objet de surveillance de la part de sa société mère. Se demander si la surveillance de l’entreprise a été exercée sans lien de dépendance dans le cas d’une SEAC revient à poser une question dont on connaît déjà la réponse. La réponse est invariablement oui. Le Parlement ne parle pas pour ne rien dire; il n’aurait pas ajouté une exigence relative à l’absence de lien de dépendance si cette exigence ne pouvait jamais être respectée. L’intervenante l’Association des banquiers canadiens résume bien la situation :
[traduction] Il est illogique de postuler que le Parlement a toujours accordé des exonérations aux plus grandes entreprises financières multinationales canadiennes depuis 1995, tout en voulant restreindre la portée de ces exonérations si l’on constate l’existence de la surveillance, de la collaboration et de la coordination auxquelles on peut s’attendre dans le cas de ces entreprises.
(m.i., par. 37)
C. Application
[65] Puisque le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance, notre Cour peut appliquer de nouveau l’interprétation correcte de cette exigence aux conclusions de fait détaillées tirées par les juridictions inférieures, conclusions que les parties ne contestent pas (voir R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 82; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 67; R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 27).
[66] Notre Cour doit déterminer si les activités de l’entreprise de placement de Glenhuron ont été menées principalement avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance ou avec des personnes avec lesquelles elle n’avait pas de lien de dépendance. En 1995, le ministre des Finances a suggéré que cette analyse devait être faite [traduction] « une entreprise à la fois » afin « [d]e tenir compte des multiples activités des sociétés étrangères affiliées » (Ministère des Finances, Special Report —Revised Draft Legislation and Technical Notes: Foreign Affiliates (1995), p. vi). Toutefois, les deux parties estiment que l’on devrait faire porter l’analyse sur l’entreprise de placement de Glenhuron dans son ensemble plutôt que de segmenter l’analyse en fonction des divers secteurs d’activité de l’entreprise de placement exploitée par Glenhuron (p. ex., crédits croisés, prêts intersociétés, contrats à terme sur actions). Les parties conviennent également que cette détermination exige de mettre en balance toutes les activités relevant des deux catégories — celles exercées sans lien de dépendance et celles comportant un lien de dépendance — pour établir lesquelles sont les plus fréquentes. Par conséquent, même si une approche différente pourrait également être justifiée, je remets l’examen de cette question à une autre occasion où des arguments contradictoires pourront être entendus. Je vais donc appliquer l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance en me fondant sur l’approche proposée par les parties.
[67] Une fois la surveillance de l’entreprise et les apports de capitaux reçus par Glenhuron exclus, l’entreprise pertinente pour l’application de l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance ne comporte plus que les activités de placement de Glenhuron. Or, la vaste majorité de ces activités ont été menées avec des personnes avec lesquelles Glenhuron n’avait pas de lien de dépendance. En conséquence, je conclus que cette exigence a été respectée au cours des années en cause et que Loblaw Financial était donc en droit de se prévaloir de l’exception relative aux institutions financières. Le pourvoi devrait donc être rejeté.
[68] En ce qui concerne les activités exercées sans lien de dépendance, Glenhuron a investi dans des titres de créance à court terme, des crédits croisés de devises et des crédits croisés de taux d’intérêt. Ces activités étaient de loin les plus lucratives de Glenhuron, représentant au moins 86 p. 100 de ses revenus au cours des années en cause. En voici la ventilation année par année :
Année d’imposition
Titres de créance à court terme
Crédits croisés de devises et de taux d’intérêt
Total
2001
72%
21%
93%
2002
32%
54%
86%
2003
15%
73%
88%
2004
16%
70%
86%
2005
38%
55%
93%
2008
27%
66%
93%
2010
3%
92%
95%
(motifs de la C.A., annexe A)
[69] De plus, ces activités ont mobilisé la grande majorité des actifs de Glenhuron. Les placements dans des titres de créance à court terme variaient de 653 millions à 977 millions de dollars et les investissements dans les crédits croisés de 200 millions à 1,3 milliard de dollars.
[70] Glenhuron a également consenti des prêts à divers chauffeurs de camion. La Cour d’appel fédérale a conclu que ces prêts avaient essentiellement été conclus par Glenhuron tant avec des personnes avec lesquelles elle avait un lien de dépendance qu’avec des personnes avec lesquelles elle n’avait pas de lien de dépendance (par. 75‑76). Ces prêts constituaient davantage une activité secondaire de Glenhuron que son activité principale. En 2001, Glenhuron a acquis environ 1 875 prêts pour 86 millions de dollars. Ces prêts avaient été consentis à des chauffeurs qui avaient acheté les droits de distribuer des aliments produits par une société affiliée américaine, Best Foods Baking Co. Glenhuron a alors accordé entre 700 et 800 nouveaux prêts par année, dont la valeur moyenne se situait entre 40 000 et 50 000 dollars. Une autre société affiliée garantissait environ le tiers de la valeur des prêts et percevait les versements au nom de Glenhuron. Le rendement prévu de 8,5 p. 100 sur ces prêts était plus élevé que celui que lui procuraient ses autres activités. Toutefois, étant donné la faible valeur de ces prêts, le rendement ne dépassait pas 8 millions de dollars par année, alors que le revenu annuel de Glenhuron s’établissait entre 44,6 millions et 88,6 millions de dollars. En 2005, Glenhuron a vendu son portefeuille à une société affiliée irlandaise pour 106 millions de dollars, mais elle a continué à gérer le portefeuille pour le compte de cette société affiliée jusqu’en 2009. Pendant toute cette période, seulement deux employés géraient le portefeuille; ils ont été licenciés lorsque la gestion a pris fin en 2009.
[71] En ce qui concerne les activités exercées avec un lien de dépendance, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que Glenhuron participait à des activités concernant des contrats à terme sur actions en vue d’acheter des actions de Loblaw et des prêts intersociétés. Ensemble, ces activités sont toutefois négligeables par rapport à celles portant sur les titres de créance à court terme et les crédits croisés. Je ne vois pas comment ces activités pourraient renverser la tendance pour atteindre le seuil suivant lequel les activités commerciales ont été menées « principalement » avec des personnes ayant un lien de dépendance avec l’entreprise.
[72] Les prêts intersociétés consentis par Glenhuron étaient, comme les prêts aux chauffeurs de camion, une activité secondaire. En 2002, Glenhuron a prêté 325 millions de dollars pendant 38 jours à une société affiliée. Ce prêt lui a procuré 3,2 millions de dollars, ce qui ne représentait toutefois que 5,7 p. 100 de son revenu cette année‑là. En 2008, Glenhuron a prêté 300 millions de dollars à une autre société affiliée, un prêt qui lui a été remboursé la même année et lui a rapporté 1,2 million de dollars. Ce gain est également négligeable par rapport au revenu de 72,7 millions de dollars de Glenhuron en 2008.
[73] Glenhuron a conclu une série de contrats à terme sur actions avec une banque avec laquelle elle n’avait pas de lien de dépendance, CitiBank. Ces contrats étaient toutefois rattachés aux actions de Loblaw Companies Ltd., une société affiliée, de sorte que le juge de la Cour de l’impôt a conclu que ces opérations avaient été effectuées avec un lien de dépendance. En supposant, sans pour autant trancher la question, que ces contrats à terme sur actions sont à juste titre qualifiés d’opérations effectuées avec un lien de dépendance, ces contrats ne sont pas suffisamment importants pour faire pencher la balance. Entre 2003 et 2009, Glenhuron a perdu au total 108 millions de dollars sur ces contrats, parce que le cours de ses actions avait culminé en 2005 avant de décliner. Les juridictions inférieures n’ont pas ventilé les pertes par année. Au cours des 7 années en cause (2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2008 et 2010), Glenhuron a gagné 415,1 millions de dollars en revenu brut d’exploitation. Dans l’ensemble, cette perte de 108 millions de dollars représente 20 p. 100 de ses pertes et gains combinés. Contrairement aux prêts intersociétés et aux prêts consentis aux chauffeurs, cette somme n’est pas négligeable. Néanmoins, même en combinant les contrats à terme sur actions, les prêts intersociétés et les prêts consentis aux chauffeurs, le seuil suivant lequel l’entreprise doit avoir été menée « principalement » avec des personnes avec laquelle la société avait un lien de dépendance n’est pas atteint.
[74] En bref, l’exigence relative à l’absence de lien de dépendance a été respectée au cours des années en cause.
VI. Conclusion
[75] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Annexe
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)[3]
95 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente sous‑section.
. . .
entreprise de placement Entreprise exploitée par une société étrangère affiliée d’un contribuable au cours d’une année d’imposition (à l’exception d’une entreprise qui est réputée par le paragraphe (2) être une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement de la société affiliée) dont le principal objet consiste à tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers, redevances et tous rendements semblables et montants de remplacement), un revenu de l’assurance ou de la réassurance de risques, un revenu provenant de l’affacturage de comptes clients ou des bénéfices de la disposition de biens de placement, sauf si le contribuable ou la société affiliée établissent que les conditions suivantes étaient réunies tout au long de la période de l’année pendant laquelle la société affiliée a exploité l’entreprise :
a) l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance, présente l’une des caractéristiques suivantes :
(i) il s’agit d’une entreprise que la société affiliée exploite à titre de banque étrangère, de société de fiducie, de caisse de crédit, de compagnie d’assurance ou de négociateur ou courtier en valeurs mobilières ou en marchandises et dont les activités sont réglementées par les lois des pays suivants, selon le cas :
(A) chaque pays où l’entreprise est exploitée par l’intermédiaire d’un établissement stable, au sens du règlement, situé dans ce pays, et le pays sous le régime des lois duquel la société affiliée est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois,
(B) le pays où l’entreprise est principalement exploitée,
(C) si la société affiliée est liée à une société non-résidente, le pays sous le régime des lois duquel cette dernière est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois, si ces lois sont reconnues par les lois du pays où l’entreprise est principalement exploitée et si ces pays sont tous membres de l’Union européenne,
. . .
b) selon le cas :
(i) la société affiliée exploite l’entreprise autrement qu’à titre d’associé d’une société de personnes (la société affiliée étant appelée « exploitant » à l’alinéa c) pour ce qui est des moments, compris dans la période en cause, où elle exploite ainsi l’entreprise),
(ii) la société affiliée exploite l’entreprise à titre d’associé admissible d’une société de personnes (cette dernière étant appelée « exploitant » à l’alinéa c) pour ce qui est des moments, compris dans la période en cause, où la société affiliée exploite ainsi l’entreprise;
c) l’exploitant emploie, selon le cas :
(i) plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise,
(ii) l’équivalent de plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise, compte tenu uniquement des services suivants :
(A) les services fournis par ses employés,
(B) les services que lui fournissent à l’étranger une ou plusieurs personnes dont chacune est, pendant la période où elle a exécuté les services, l’employé d’une des entités suivantes :
(I) une société liée à la société affiliée autrement qu’à cause d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b),
(II) dans le cas où l’exploitant est la société affiliée :
1. une société (appelée « actionnaire fournisseur » au présent sous‑alinéa) qui est un actionnaire admissible de la société affiliée,
2. une société désignée relativement à la société affiliée,
3. une société de personnes désignée relativement à la société affiliée,
(III) dans le cas où l’exploitant est la société de personnes visée au sous‑alinéa b)(ii) :
1. une personne (appelée « associé fournisseur » au présent sous‑alinéa) qui est un associé admissible de la société de personnes,
2. une société désignée relativement à la société affiliée,
3. une société de personnes désignée relativement à la société affiliée,
à condition que les sociétés visées à la subdivision (B)(I) et les sociétés désignées, sociétés de personnes désignées, actionnaires fournisseurs ou associés fournisseurs visés aux subdivisions (B)(II) et (III) reçoivent de l’exploitant, en règlement des services qui lui sont fournis par ces employés, une rétribution d’une valeur au moins égale au coût, pour ces sociétés, sociétés de personnes, actionnaires ou associés, de la rétribution payée aux employés ayant exécuté les services, ou constituée pour leur compte, pendant l’exécution de ces services.
(2) Pour l’application de la présente sous‑section :
. . .
b) la fourniture, par une société étrangère affiliée d’un contribuable, de services ou d’un engagement de fournir des services est réputée constituer une entreprise distincte, autre qu’une entreprise exploitée activement, que la société affiliée exploite, et le revenu qui est tiré de cette entreprise, qui s’y rapporte ou qui y est accessoire est réputé être un revenu tiré d’une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement, dans la mesure où, à la fois :
(i) les sommes payées ou payables en contrepartie de ces services ou de cet engagement :
. . .
(B) soit sont déductibles dans le calcul du revenu étranger accumulé, tiré de biens d’une société étrangère affiliée d’un des contribuables ci‑après, ou peuvent raisonnablement être considérées comme se rapportant à des sommes qui sont déductibles dans ce calcul :
(I) un contribuable dont la société affiliée est une société étrangère affiliée,
(II) un autre contribuable qui a un lien de dépendance avec la société affiliée ou avec un contribuable dont celle‑ci est une société étrangère affiliée,
. . .
(l) est à inclure dans le calcul du revenu tiré de biens d’une société étrangère affiliée d’un contribuable pour une année d’imposition le revenu de la société affiliée pour l’année provenant d’une entreprise (sauf une entreprise de placement de la société affiliée) dont le principal objet consiste à tirer un revenu du commerce de dettes (lequel comprend, pour l’application du présent alinéa, le fait de tirer des intérêts de dettes) autres que les suivantes :
(i) les dettes dont sont débitrices les personnes avec lesquelles la société affiliée n’a aucun lien de dépendance qui résident dans le pays dans lequel celle‑ci a été constituée ou prorogée, existe et est régie et dans lequel l’entreprise est principalement exploitée,
(ii) les comptes clients dont sont débitrices les personnes avec lesquelles la société affiliée n’a aucun lien de dépendance,
toutefois aucun montant n’est à inclure en vertu du présent alinéa si, à la fois :
(iii) la société affiliée exploite l’entreprise à titre de banque étrangère, de société de fiducie, de caisse de crédit, de compagnie d’assurance ou de négociateur ou courtier en valeurs mobilières ou en marchandises, dont les activités sont réglementées par les lois des pays suivants, selon le cas
(A) chaque pays où l’entreprise est exploitée par l’intermédiaire d’un établissement stable, au sens du règlement, situé dans ce pays, et le pays sous le régime des lois duquel la société affiliée est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois,
(B) le pays où l’entreprise est principalement exploitée,
(C) si la société affiliée est liée à une société non‑résidente, le pays sous le régime des lois duquel la société non‑résidente est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois, si ces lois sont reconnues par les lois du pays où l’entreprise est principalement exploitée et si ces pays sont tous membres de l’Union européenne,
(iv) le contribuable est :
(A) soit une banque, une société de fiducie, une caisse de crédit, une compagnie d’assurance ou un négociateur ou courtier en valeurs mobilières ou en marchandises qui réside au Canada et dont les activités d’entreprise sont légalement sous la surveillance d’un organisme de réglementation, comme le surintendant des institutions financières ou un organisme provincial semblable,
(B) soit une filiale à cent pour cent d’une société visée à la division (A),
(C) soit une société dont une société visée à la division (A) est une filiale à cent pour cent;
[Je souligne.]
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelante : Procureur général du Canada, Toronto.
Procureurs de l’intimée : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Procureurs de l’intervenante l’Association des banquiers canadiens : Thorsteinssons, Toronto.
[1] Les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe aux présents motifs.
[2] Voir les définitions de « société étrangère affiliée contrôlée » et de « société étrangère affiliée » au par. 95(1) de la LIR.
[3] Libellé des dispositions dans leur version en vigueur durant toute la période pertinente (version en vigueur de 2000 à 2008).