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10/11/2023 | CANADA | N°2023CSC28

Canada | Canada, Cour suprême, 10 novembre 2023, R. c. Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28

 

 
Appel entendu : 12 octobre 2022
Jugement rendu : 10 novembre 2023
Dossier : 39754


 
Entre :
 
Ville du Grand Sudbury
Appelante
 
et
 
Ministère du Procureur général (Ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences)
Intimé
 
- et -
 
Conseil canadien du commerce de détail, Municipalité régionale de York, Municipalité régionale de Peel, Municipalité régi

onale de Durham, Municipalité régionale de Halton, Municipalité régionale de Waterloo, Municipalité régionale de Niagara et Workers’ Compensation Board of Britis...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28

 

 
Appel entendu : 12 octobre 2022
Jugement rendu : 10 novembre 2023
Dossier : 39754

 
Entre :
 
Ville du Grand Sudbury
Appelante
 
et
 
Ministère du Procureur général (Ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences)
Intimé
 
- et -
 
Conseil canadien du commerce de détail, Municipalité régionale de York, Municipalité régionale de Peel, Municipalité régionale de Durham, Municipalité régionale de Halton, Municipalité régionale de Waterloo, Municipalité régionale de Niagara et Workers’ Compensation Board of British Columbia
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs :
(par. 1 à 62)

La juge Martin (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Kasirer et Jamal)

 

 

Motifs conjoints dissidents :
(par. 63 à 162)

Les juges Rowe et O’Bonsawin (avec l’accord de la juge Karakatsanis)

 

 

Motifs dissidents :
(par. 163 à 201)

La juge Côté

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 
 
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.
 
 
 

 

 

 

 
Ville du Grand Sudbury                                                                              Appelante
c.
Ministère du Procureur général (Ministère du Travail, de l’Immigration,
de la Formation et du Développement des compétences)                                Intimé
et
Conseil canadien du commerce de détail,
Municipalité régionale de York,
Municipalité régionale de Peel,
Municipalité régionale de Durham,
Municipalité régionale de Halton,
Municipalité régionale de Waterloo,
Municipalité régionale de Niagara et
Workers’ Compensation Board of British Columbia                             Intervenants
Répertorié : R. c. Grand Sudbury (Ville)
2023 CSC 28
No du greffe : 39754.
2022 : 12 octobre; 2023 : 10 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Brown*, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Infractions provinciales — Santé et sécurité au travail — Devoirs des employeurs — Chantiers de construction — Contrôle des travailleurs et du lieu de travail — Contrat conclu par une ville avec un constructeur pour faire réparer une conduite d’eau principale — Piétonne frappée et tuée par une niveleuse durant les réparations — Ville accusée d’avoir manqué aux devoirs incombant aux employeurs en application de la législation provinciale sur la santé et la sécurité au travail — La ville est‑elle responsable à titre d’employeur pour cause de manquement à ces devoirs? — Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1, art. 1(1) « employeur », 25(1)c), 66(3)b) — Chantiers de construction, Règl. de l’Ont. 213/91.
                    La Ville de Sudbury a conclu un contrat avec Interpaving Limited pour que celle‑ci agisse en tant que constructeur pour la réparation d’une conduite d’eau principale au centre‑ville. Durant les réparations, un employé d’Interpaving a frappé et tué une piétonne alors qu’il conduisait une niveleuse en marche arrière à travers une intersection. Le Ministère a accusé la Ville en application de l’al. 25(1)(c) de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario (« Loi ») pour ne pas avoir veillé à ce que certaines exigences en matière de sécurité du règlement connexe intitulé Chantiers de construction (« Règlement ») soient respectées. La Ville a concédé avoir été propriétaire du chantier de construction et reconnu y avoir envoyé ses inspecteurs au contrôle de la qualité pour surveiller le respect par Interpaving du contrat, mais elle a nié avoir été un employeur, faisant valoir qu’elle n’avait pas de contrôle sur les travaux de réparation et qu’elle avait délégué ce contrôle à Interpaving.
                    La juge de première instance de la cour provinciale a acquitté la Ville parce qu’Interpaving, et non la Ville, avait le contrôle direct des travailleurs et de l’intersection, et que la Ville n’était donc pas un employeur au sens du par. 1(1) de la Loi. Subsidiairement, la juge de première instance a conclu que, même si la Ville était un employeur et avait manqué à ses obligations, elle a fait preuve de diligence raisonnable. La cour d’appel des infractions provinciales a confirmé la décision de la juge de première instance, mais elle n’a pas traité de la conclusion selon laquelle la Ville avait agi avec diligence raisonnable. La Cour d’appel a annulé la décision du juge de la cour d’appel des infractions provinciales, tenu la Ville responsable d’avoir contrevenu à l’al. 25(1)c) à titre d’employeur, et a renvoyé la question de sa diligence raisonnable à la cour d’appel des infractions provinciales.
                    Arrêt, la Cour est également partagée (les juges Karakatsanis, Côté, Rowe et O’Bonsawin sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Martin, Kasirer et Jamal : Il y a accord avec la Cour d’appel pour dire que la Ville était un employeur et qu’elle a manqué au devoir qui lui incombait en application de l’al. 25(1)c) de la Loi, et que la question de la diligence raisonnable de la Ville devrait être renvoyée à la cour d’appel des infractions provinciales. Même si le contrôle des travailleurs et du lieu de travail peut influer sur la défense de diligence raisonnable, rien dans le texte, le contexte ou l’objet de la Loi n’exige du Ministère qu’il fasse la preuve du contrôle des travailleurs ou du lieu de travail pour démontrer que la Ville a manqué aux obligations qui lui incombent à titre d’employeur en application de l’al. 25(1)c).
                    La Loi cherche à maintenir et à favoriser une protection raisonnable de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail et autour de celui‑ci, et elle remplit son objectif relatif au bien‑être public en répartissant divers devoirs en matière de santé et sécurité au travail entre diverses catégories d’acteurs sur le lieu de travail, y compris les constructeurs, les employeurs et les propriétaires. Ces devoirs sont concurrents et se chevauchent souvent : plusieurs acteurs différents peuvent être responsables des mêmes fonctions et mesures de protection — c’est ce qui s’appelle l’approche « de la ceinture et des bretelles » de la santé et sécurité au travail. Suivant cette approche, si plusieurs acteurs d’un lieu de travail manquent à leur devoir de protéger la santé et la sécurité, ils ne peuvent pas invoquer les manquements des autres comme excuse pour justifier les leurs; chaque acteur du lieu de travail doit s’assurer que celui‑ci est sécuritaire. L’alinéa 66(1)a) de la Loi prévoit que commet une infraction un acteur du lieu de travail qui manque à une des obligations prescrites par la Loi, y compris celles prévues à l’al. 25(1)c), soit une infraction de responsabilité stricte : le Ministère n’a qu’à prouver l’actus reus hors de tout doute raisonnable pour fonder une déclaration de culpabilité.
                    Lorsqu’un propriétaire qui loue les services d’un constructeur sur un chantier de construction est poursuivi pour une violation de l’al. 25(1)c), le tribunal doit d’abord se demander si le Ministère a prouvé hors de tout doute raisonnable que la Loi s’appliquait à l’accusé parce qu’il était un employeur au sens du par. 1(1) de la Loi. Un propriétaire est un employeur s’il a employé des travailleurs à un lieu de travail où aurait été commise une violation de l’al. 25(1)c), ou a loué les services d’un travailleur qui doivent être rendus à ce lieu de travail (y compris les services d’un constructeur). Le Ministère n’a pas à prouver que le propriétaire avait le contrôle du lieu de travail ou des travailleurs qui s’y trouvaient. Il ressort clairement du texte de la définition d’employeur que le contrôle n’est pas un élément que le Ministère doit prouver pour établir qu’un accusé doit s’acquitter des devoirs d’un employeur. Premièrement, il n’y a aucune mention du contrôle dans la définition. Une exigence de contrôle ne doit donc pas être intégrée dans la définition d’employeur lorsque la législature a délibérément choisi de ne pas le faire. Deuxièmement, en parlant de louer les services dans la définition d’employeur, la législature a signalé son intention qu’elle englobe les relations employeur‑entrepreneur indépendant et de retirer de la définition la condition traditionnelle de common law quant au contrôle qui distingue les relations d’emploi et celles d’entrepreneur indépendant.
                    Le tribunal doit ensuite décider si le Ministère a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé a enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi. Il y a violation de cet alinéa si les mesures de sécurité prescrites par le Règlement ne sont pas mises en place sur le lieu de travail pour lequel le propriétaire/employeur est lié par contrat aux employés ou à un entrepreneur indépendant. Là encore, le Ministère n’a pas à prouver que le propriétaire avait le contrôle du lieu de travail ou des travailleurs qui s’y trouvaient. L’examen du texte, du contexte et de l’objet de l’al. 25(1)c) révèle que le contrôle par l’accusé n’est pas un élément du devoir qui y est décrit. Le texte clair de l’al. 25(1)c) ne limite pas ce devoir aux travailleurs sur lesquels l’employeur exerce un contrôle. Le devoir visé à l’al. 25(1)c) doit aussi être interprété en fonction du régime de la Loi, de la définition large d’employeur et de l’existence de la défense de diligence raisonnable prévue à l’al. 66(3)b) de la Loi. L’alinéa 25(1)c) a été rédigé délibérément en termes larges de manière à mettre l’accent sur le lien de l’employeur avec le lieu de travail plutôt qu’avec un travailleur en particulier. L’étendue des devoirs de l’employeur et la large portée de la définition d’« employeur » se renforcent mutuellement. Bien que l’interprétation du par. 1(1) et de l’al. 25(1)c) soulève des questions distinctes, ces dispositions doivent être interprétées harmonieusement puisqu’elles sont tout de même liées. Ajouter par interprétation large une exigence de contrôle à l’al. 25(1)c) aurait pour effet de restreindre les devoirs de l’employeur et d’introduire une incohérence dans la Loi en jumelant une définition large d’« employeur » et une interprétation étroite de l’al. 25(1)c), plutôt que de trouver l’harmonie entre ces dispositions et de considérer qu’elles se renforcent mutuellement ainsi que l’a voulu la législature. De plus, l’existence de la défense de diligence raisonnable prévue à l’al. 66(3)b) est un élément contextuel pertinent puisqu’elle signifie que l’employeur qui contrevient à l’al. 25(1)c) n’est pas passible des peines prévues par la Loi s’il peut démontrer qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter la contravention. L’alinéa 66(3)b) sert de soupape de sécurité, dans le cadre de laquelle la présence du contrôle peut être un facteur à prendre en considération pour apprécier la diligence raisonnable. Ajouter par interprétation large une exigence de contrôle à l’al. 25(1)c) serait également incompatible avec l’objet de la Loi. Celle‑ci est une loi relative au bien‑être public. Elle vise à maintenir et à favoriser une protection raisonnable de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail et autour de celui‑ci. Une exigence de contrôle pourrait aller à l’encontre de l’objectif de bien‑être public de la Loi que vise la création de responsabilités qui se chevauchent et donnerait essentiellement aux acteurs d’un lieu de travail un outil pour contrecarrer les poursuites en matière réglementaire dès le départ, en faisant valoir qu’ils n’avaient aucun contrôle sur un danger parce que d’autres acteurs avaient un plus grand contrôle comparatif sur ce danger.
                    Enfin, le tribunal doit décider si l’accusé a démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il devrait échapper à toute responsabilité parce qu’il a fait preuve de diligence raisonnable au sens de l’al. 66(3)b) de la Loi. Le contrôle ne devrait être pris en compte qu’à cette étape‑ci de l’analyse. Il serait alors loisible à l’accusé de démontrer que son manque de contrôle indique qu’il a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances. Le déplacement sur les employeurs du fardeau d’établir l’existence d’une défense de diligence raisonnable les incite à prendre toutes les mesures relevant de leur contrôle afin d’assurer la sécurité au travail et éviter les préjudices futurs, de façon à pouvoir se prévaloir de la défense si un préjudice devait survenir. Le fait que le degré de contrôle d’un employeur sur les acteurs du lieu de travail est pertinent pour sa défense de diligence raisonnable répond également aux préoccupations quant à l’équité au sujet de l’imposition d’une responsabilité à un employeur pour une violation causée par un autre acteur. Les considérations pertinentes sur lesquelles le tribunal doit statuer à ce stade pourraient comprendre : le degré de contrôle de l’accusé sur le lieu de travail ou les travailleurs; la question de savoir si l’accusé a délégué le contrôle au constructeur pour pallier son propre manque de savoir‑faire, de connaissance ou d’expertise pour mener à bien le projet conformément au Règlement; la question de savoir si l’accusé a pris des mesures pour évaluer la capacité du constructeur d’assurer le respect du Règlement avant de décider de louer ses services; et la question de savoir si l’accusé a bel et bien surveillé et supervisé efficacement le travail du constructeur sur le chantier pour veiller à ce que les prescriptions du Règlement aient été observées dans le lieu de travail.
                    En l’espèce, la Ville était l’employeur des inspecteurs au contrôle de la qualité, qu’elle employait directement et qu’elle envoyait au chantier de construction. La Ville était aussi l’employeur d’Interpaving, avec qui elle avait conclu un contrat pour que celle‑ci entreprenne le chantier de construction. À titre d’employeur des inspecteurs et d’Interpaving, la Ville était tenue par l’al. 25(1)c) de la Loi de veiller à ce que les mesures et les méthodes prescrites aient été observées dans le lieu de travail. Le jour de l’accident, les mesures exigées par le Règlement — soit une clôture entre le chantier de construction et la voie publique ainsi que la présence de signaleurs — n’avaient pas été mises en place dans le lieu de travail. Donc, la Ville, à titre d’employeur, a commis l’infraction visée à l’al. 25(1)c).
                    La juge Karakatsanis et les juges Rowe et O’Bonsawin (dissidents) : Le pourvoi devrait être accueilli. La Ville est l’employeur de ses inspecteurs au contrôle de la qualité; il faut donc examiner l’étendue des devoirs que lui impose l’al. 25(1)c) de la Loi. Interprété correctement, l’al. 25(1)c) tient les employeurs responsables des manquements aux mesures réglementaires qui s’appliquent à eux. Lorsque certaines mesures du Règlement ne précisent pas à qui elles s’appliquent, ces mesures s’appliquent à un employeur lorsqu’elles ont un lien avec les travaux que celui‑ci a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Comme les juridictions inférieures n’ont pas dûment analysé la question de savoir si l’infraction avait été établie, il convient de renvoyer l’affaire à la cour provinciale pour réexamen afin que soit examinée l’applicabilité des mesures réglementaires.
                    La définition d’employeur au par. 1(1) de la Loi vise deux grandes relations. Le premier volet de la définition est respecté si la personne emploie un ou plusieurs travailleurs. Il est axé sur le contrat de travail et reflète la conception traditionnelle de la relation directe employeur‑employé. Cependant, le fait qu’un acteur donné soit un employeur ne signifie pas qu’il est l’employeur de tous les travailleurs dans un lieu de travail ou un chantier, ce qui peut avoir une incidence sur l’étendue de ses responsabilités. Le libellé de la définition d’« employeur » est expressément axé sur la relation d’un acteur avec des travailleurs et il ne convient pas de la restreindre en tenant compte du lien de cet acteur avec un lieu de travail. Ce lien ne devient pertinent qu’à l’étape de la détermination des devoirs de l’employeur. Par conséquent, le premier volet de la définition est respecté lorsqu’il existe une relation d’emploi traditionnelle.
                    Le second volet de la définition concerne la personne qui loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs. Il empêche des personnes de se soustraire à l’application de la Loi lorsqu’elles confient des travaux en sous‑traitance plutôt que d’engager directement des travailleurs par contrat de travail. Il garantit que la substance de la relation employeur‑travailleur n’est pas déterminée par la manière dont elle est décrite dans le contrat. Lorsqu’un propriétaire conclut un contrat avec un constructeur, il ne cherche pas à confier certaines tâches en particulier en sous‑traitance à un quelconque entrepreneur indépendant plutôt qu’à engager directement des travailleurs par contrat de travail; il demande plutôt à une entité d’assumer la surveillance et l’autorité absolues afin d’entreprendre l’ensemble du chantier. Cette relation reflète la réalité concrète de l’industrie de la construction, dans laquelle les propriétaires favorisent la sécurité en transférant la responsabilité aux constructeurs qui possèdent l’expertise pertinente. La relation propriétaire‑constructeur ne relève pas généralement du second volet de la définition d’employeur au par. 1(1). La Loi est conçue précisément de façon à ce qu’un propriétaire puisse adopter une approche non interventionniste en ce qui concerne la surveillance du chantier par rapport au constructeur. Ce dernier entreprend le chantier, ce qui indique que l’autorité globale à l’égard du chantier, y compris la coordination en matière de santé et de sécurité, incombe au constructeur. Considérer le propriétaire d’un chantier comme étant automatiquement l’employeur des travailleurs que le constructeur embauche, ou dont il loue les services, selon le second volet de la définition d’employeur, minerait l’architecture du régime. Cela voudrait dire qu’en engageant un constructeur pour surveiller le chantier, le propriétaire se verrait confier des responsabilités l’obligeant à jouer un rôle actif dans l’ensemble du chantier — un rôle que la Loi a d’ailleurs cherché à lui éviter en lui permettant de conclure un contrat avec un constructeur. Considérer la relation propriétaire‑constructeur comme une relation employeur‑travailleur nuit à l’efficacité de la loi parce que cela ne tient aucunement compte des différences entre ces deux relations sur le plan pratique et compromet les mécanismes distincts par lesquels elles favorisent la sécurité des travailleurs. En somme, le second volet de la définition d’employeur est large, mais il ne transforme pas le propriétaire en employeur des travailleurs qui sont embauchés par le constructeur ou dont celui‑ci loue les services.
                    Tenir pour acquis que, dès lors qu’un acteur répond à la définition d’employeur, il est, par l’effet de l’al. 25(1)c), strictement responsable de la violation de toute disposition réglementaire et il doit s’en remettre à la défense de diligence raisonnable amalgame la définition d’employeur avec la détermination de l’étendue des devoirs de l’employeur. Suivant une interprétation correcte du régime, il est essentiel d’examiner à la fois la définition des acteurs du lieu de travail et les devoirs qui leur sont effectivement applicables. Une infraction ne peut être fondée sur le manquement à un devoir qui ne s’applique pas à l’accusé. Une fois qu’il est établi qu’un acteur du lieu de travail répond à la définition pertinente énoncée au par. 1(1) de la Loi, il est nécessaire de déterminer ensuite quels devoirs s’appliquaient effectivement à lui au moment de l’infraction reprochée. La Loi énonce séparément les devoirs de chaque acteur d’un lieu de travail.
                    L’alinéa 25(1)c) exige de l’employeur qu’il veille au respect de toutes les mesures réglementaires applicables. Si le Règlement prévoit expressément à qui ses mesures s’appliquent, il n’y aura aucun doute quant à savoir si elles relèvent du devoir imposé à l’employeur par l’al. 25(1)c). Si, toutefois, une mesure particulière est silencieuse à ce sujet, elle s’applique lorsqu’elle est liée aux travaux que l’employeur a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Ce lien est établi lorsque l’employeur exerce une autorité sur l’exécution d’une tâche donnée, habituellement parce qu’il s’agit de la partie des travaux dans l’ensemble du chantier qu’il est chargé d’exécuter, soit seul ou avec d’autres acteurs, par l’entremise des travailleurs qu’il a embauchés ou dont il a loué les services. Plusieurs acteurs peuvent être conjointement chargés d’exécuter une tâche donnée, puisqu’il arrivera souvent que différents employeurs collaborent, de sorte que plusieurs employeurs peuvent avoir des responsabilités chevauchantes de respecter les mêmes mesures. Une mesure réglementaire peut s’appliquer aux travaux de plusieurs employeurs, pourvu qu’elle soit liée à chacun d’entre eux. La question fondamentale à examiner est la suivante : quels sont les travaux que l’employeur est chargé d’entreprendre sur le chantier de construction? Le Ministère devrait savoir si la mesure est réellement liée aux travaux de l’employeur avant de décider de porter des accusations contre celui‑ci. Par conséquent, les mesures réglementaires s’appliquent lorsqu’elles présentent un lien avec les travaux qui sont sous le contrôle de l’employeur et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Établir ce lien entre la mesure et l’employeur est une question préliminaire à caractère binaire : soit la mesure s’applique parce qu’elle est liée aux travaux que l’employeur a entrepris, soit la mesure ne s’applique pas en raison de l’absence d’un tel lien.
                    Il serait absurde de considérer que l’al. 25(1)c) et le Règlement obligent chaque employeur sur un chantier de construction à veiller au respect de toutes les mesures prévues dans le Règlement. Une telle interprétation signifierait en fait que quiconque emploie toute personne est responsable de tout ce que fait toute personne. Protéger la sécurité des travailleurs revêt une importance cruciale et il est loin d’être clair que le fait de rendre chaque employeur responsable des actes de tous les autres employeurs dans l’exécution de l’ensemble des obligations réglementaires améliore de façon significative la sécurité des travailleurs. Une approche mesurée et pratique donne effet au concept de chevauchement des responsabilités. Comme les activités des travailleurs sous le contrôle de chacun des employeurs se chevauchent souvent sur les chantiers de construction complexes, il en va de même pour les mesures qui s’appliquent aux employeurs en question en vertu de l’al. 25(1)c). Une approche mesurée et pratique met aussi pleinement en œuvre l’approche de la ceinture et des bretelles qui vise à créer une protection significative en pratique. Cependant, s’il n’existe aucun lien entre la mesure et les travaux de l’employeur, l’employeur ne peut tenir lieu de bretelles efficaces. Imposer des mesures prévues par le Règlement à des employeurs qui n’ont aucun lien avec les travaux en cause ajoute un nombre indéterminé de bretelles illusoires : ces bretelles donnent un faux sentiment de sécurité accrue, mais, en réalité, elles ne font qu’augmenter le risque juridique auquel sont exposés des acteurs du lieu de travail qui n’ont aucun lien avec ces mesures et qui n’étaient pas à même de veiller à leur respect. Tenir responsables des employeurs qui n’ont aucun contrôle ne contribue en rien à améliorer la sécurité des travailleurs — c’est précisément cette absence de contrôle qui les rend incapables d’observer les mesures réglementaires. En outre, des responsabilités illimitées entraînent la confusion et un manque de coordination sur un chantier de construction. Si chaque employeur est responsable de tout et a des devoirs envers des acteurs non liés, la sphère de responsabilité de chacun d’eux devient floue. Des problèmes de sécurité pourraient surgir si plusieurs employeurs n’ayant aucun lien avec le devoir ni aucune expertise dans le domaine cherchaient à imposer leur propre interprétation d’une procédure de sécurité particulière à l’égard d’autres travailleurs. Subsidiairement, des devoirs illimités peuvent conduire à de la négligence si chaque employeur tient pour acquis que les devoirs auxquels tous les employeurs sont tenus auront été remplis par quelqu’un d’autre.
                    Le pouvoir de poursuite discrétionnaire ne limitera pas les risques d’absurdité. Cela donne dans les faits aux poursuivants un pouvoir discrétionnaire illimité de définir la juste étendue des devoirs de chaque employeur en décidant qui accuser, ce qui rend la délimitation ultime des devoirs prévus par la Loi imprévisible et non uniforme du point de vue de l’accusé. Le fait de s’en remettre à une promesse selon laquelle les poursuivants ne porteront pas d’accusations contre des employeurs pour des manquements à des mesures réglementaires sur lesquelles ces derniers n’ont aucun contrôle fait ressortir cette absurdité. La possibilité d’invoquer la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3) se présente par ailleurs au départ comme une solution attrayante, mais adopter une approche qui reporte à l’étape relative à la diligence raisonnable la plus grande partie de l’analyse relative à la responsabilité de l’employeur comporte de multiples lacunes. D’un point de vue méthodologique, il ne faudrait pas amalgamer l’infraction avec le moyen de défense. Les juges ne devraient pas abdiquer leur responsabilité d’en arriver à une interprétation raisonnable d’un devoir simplement parce qu’il existe un moyen de défense ou parce que ce faire améliorerait l’efficacité administrative. Mettre l’accent sur la défense de diligence raisonnable renverse la structure des infractions : chaque employeur est visé par l’infraction dès qu’une mesure réglementaire n’est pas respectée, et c’est à l’accusé qu’incombe le fardeau d’échapper à la portée de l’infraction. Faire passer une grande partie de l’analyse sur le contenu du devoir et la nature des travaux de l’employeur à l’étape relative à la diligence raisonnable accroît l’incertitude en pratique et ne tient aucunement compte de la façon dont le régime fonctionne concrètement. Si la plupart des obligations de l’employeur échappent à son contrôle, celui‑ci ne peut pas même savoir si les mesures sont respectées ou de quoi il pourrait être accusé à tout moment. En revanche, exiger un lien entre une mesure et les travaux de l’employeur permet aux employeurs de comprendre davantage leurs responsabilités tout en les encourageant à prendre des initiatives pour protéger les travailleurs.
                    En l’espèce, comme la Ville avait embauché des inspecteurs au contrôle de la qualité par contrat de travail, elle répondait à la définition d’employeur selon le premier volet. La Ville a des devoirs en tant qu’employeur de ces travailleurs en vertu de la Loi. Cependant, en concluant un contrat avec un constructeur, elle n’est pas devenue l’employeur des travailleurs engagés par le constructeur. Le contrat entre un propriétaire et un constructeur reflète une relation distincte envisagée par la Loi, laquelle ne relève pas généralement du second volet de la définition d’employeur au par. 1(1). Par conséquent, la Ville est uniquement l’employeur de ses inspecteurs au contrôle de la qualité. À la lumière de la conclusion selon laquelle la Ville est un employeur des inspecteurs au contrôle de la qualité, l’applicabilité des mesures réglementaires dépend de la réponse à la question de savoir si elle contrôlait des travaux effectués à proximité de passages publics ou si elle contrôlait la conduite de véhicules, de machines ou d’appareils. La juge de première instance n’a toutefois pas examiné l’applicabilité des mesures réglementaires, pas plus que ne l’a fait la cour d’appel des infractions provinciales ou la Cour d’appel. Par conséquent, la démarche appropriée consiste à renvoyer l’affaire à la cour provinciale pour qu’elle décide si les dispositions pertinentes du Règlement avaient un lien avec la Ville et relevaient donc de son devoir prévu à l’al. 25(1)c) de la Loi.
                    La juge Côté (dissidente) : Il y a lieu d’accueillir le pourvoi et de rétablir les acquittements prononcés par la juge de première instance. Interprétées correctement, les obligations imposées par le Règlement incombaient au constructeur ou aux employeurs qui exécutaient les travaux de construction en cause, ou aux deux. La Ville n’a pas participé à ces travaux, ni n’a exercé de contrôle sur ceux‑ci, et elle n’était donc pas un employeur au chantier de construction.
                    Il y a accord avec les juges Rowe et O’Bonsawin pour dire que la définition d’employeur, au par. 1(1) de la Loi, ne vise pas la relation spécifique au domaine de la construction entre le propriétaire d’un chantier et son entrepreneur général. Le propriétaire d’un chantier qui embauche un constructeur n’est pas l’employeur du constructeur lui‑même ou de ses travailleurs. Un employeur ne peut pas échapper à ses responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail en embauchant un entrepreneur indépendant, plutôt qu’en nouant une relation de travail typique. Il ne s’ensuit toutefois pas qu’un employeur est responsable des employés et des entrepreneurs indépendants d’autres employeurs.
                    Il y a également accord substantiel avec l’interprétation qu’ont donnée les juges Rowe et O’Bonsawin aux devoirs des employeurs énoncés à l’al. 25(1)c) de la Loi, lequel doit être interprété dans son contexte et conjointement avec le Règlement applicable. Il serait absurde d’interpréter l’al. 25(1)c) au sens littéral pour exiger de chaque employeur sur un chantier de construction qu’il veille au respect de tous les règlements applicables. Sur un chantier de construction, bien que chaque employeur soit responsable de la santé et de la sécurité de ses propres travailleurs, il appartient au constructeur de veiller à la santé et à la sécurité partout sur le chantier.
                    L’approche de la ceinture et des bretelles à l’égard de la santé et la sécurité au travail comporte des limites raisonnables, et elle ne saurait recevoir une interprétation qui étend la portée de la Loi au‑delà de ce qu’entendait la législature. On ne contribue pas à l’atteinte du but et de l’objectif de la Loi, qui consistent à favoriser la sécurité des travailleurs, en imposant aux employeurs des devoirs dont ils ne peuvent pas s’acquitter. La position selon laquelle les lieux de travail seront plus sécuritaires si tous les employeurs sont responsables du respect de toutes les règles de sécurité imaginables a un attrait superficiel, mais il dissuaderait clairement le propriétaire d’un chantier municipal de prendre des mesures de contrôle de la qualité. Un propriétaire de chantier municipal qui ne fait qu’employer des inspecteurs au contrôle de la qualité n’est pas un employeur sur le chantier de construction. Faire peser sur chaque propriétaire de chantier une responsabilité stricte pour tous les risques liés à la sécurité qu’il découvrirait dans le cadre de ses mesures de contrôle de la qualité — et dont il n’est pas l’artisan — fait perdre tout son sens à l’exception relative au contrôle de la qualité. Il n’importerait plus que le propriétaire ne devienne pas un constructeur en engageant du personnel chargé du contrôle de la qualité. Il deviendrait tout simplement un employeur qui, en plus des constructeurs, assumerait une responsabilité stricte quant au respect des règles partout sur le chantier de construction.
                    La défense de diligence raisonnable n’entre en jeu qu’une fois établis les éléments de l’infraction créée par la loi. La capacité d’un employeur de faire valoir un moyen de défense potentiellement coûteux et pénible ne change rien au fait de bien déterminer qui est un employeur sur un chantier de construction, et de bien définir la portée des devoirs correspondants que lui impose la loi. L’imposition d’une responsabilité légale à des employeurs qui n’ont aucun lien avec l’obligation de sécurité en question, ni aucun contrôle sur cette obligation, ne prévient pas les préjudices dans le futur. S’il s’avère qu’un employeur sur le chantier de construction disposait effectivement d’un certain contrôle sur l’obligation de sécurité en cause, le fardeau de la preuve lui revient ensuite de démontrer qu’il a pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances.
                    Dans une analyse soignée et approfondie, la juge de première instance en l’espèce a rejeté à maintes reprises la position du Ministère selon laquelle la Ville ou ses inspecteurs avaient exercé un contrôle sur des travaux de construction au chantier. La juge de première instance a eu raison de conclure que le Ministère n’avait pas établi que la Ville avait agi à titre d’employeur sur le chantier de construction. Interpaving était à la fois le constructeur du chantier et l’employeur du conducteur de la niveleuse qui a happé mortellement une piétonne. L’apport de la Ville au chantier se limitait au contrôle de la qualité, et elle n’était pas chargée de compléter quelque travail de construction que ce soit. Les conclusions de la juge de première instance quant à l’absence de tout contrôle exercé par la Ville au chantier sont des conclusions de fait qui commandent la déférence. La juge de première instance a aussi estimé à juste titre que, même si elle avait eu tort de conclure que la Ville n’était pas un employeur sur le chantier de construction, elle a pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la sécurité au chantier. Dire qu’un propriétaire de chantier municipal devient l’employeur de toute personne présente sur un chantier dans le seul but d’assurer la qualité est une proposition extravagante. Imposer une responsabilité légale à la Ville dans ces circonstances revient malheureusement à s’écarter du régime établi par la Loi. La Ville n’était pas légalement tenue de veiller au respect du Règlement, lequel s’applique uniquement aux acteurs du lieu de travail qui prenaient véritablement part aux travaux de construction au chantier.
Jurisprudence
Citée par la juge Martin
                    Arrêt appliqué : R. c. Wyssen (1992), 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193; arrêt examiné : West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635; arrêts mentionnés : Ontario (Ministry of Labour) c. Hamilton (City) (2002), 2002 CanLII 16893 (ON CA), 58 O.R. (3d) 37; Ontario (Minister of Labour) c. Enbridge Gas Distribution Inc., 2010 ONSC 2013, 261 O.A.C. 27; R. c. J. Stoller Construction Ltd., 1986 CarswellOnt 3654 (WL); R. c. Stelco Inc. (1989), 1 C.O.H.S.C. 76; R. c. Structform International Ltd., [1992] O.J. No. 1711 (QL), 1992 CarswellOnt 2751 (WL); R. c. Thomas G. Fuller & Sons Ltd., 2008 CarswellOnt 9276 (WL); R. c. Cox Construction Ltd., 2008 CarswellOnt 9540 (WL); R. c. Saskatchewan Power Corp., 2016 SKPC 2; Ontario (Ministry of Labour) c. Dofasco Inc., 2007 ONCA 769, 87 O.R. (3d) 161; R. c. Campbell, [2004] O.J. No. 129 (QL), 2004 CarswellOnt 116 (WL); R. c. Timminco Ltée (2001), 2001 CanLII 3494 (ON CA), 54 O.R. (3d) 21; Ontario c. London Excavators & Trucking Ltd. (1998), 1998 CanLII 3479 (ON CA), 40 O.R. (3d) 32; Ontario (Ministry of Labour) c. Pioneer Construction Inc. (2006), 2006 CanLII 15621 (ON CA), 79 O.R. (3d) 641; Ontario (Ministry of Labour) c. United Independent Operators Ltd., 2011 ONCA 33, 104 O.R. (3d) 1; R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686; R. c. Hinchey, 1996 CanLII 157 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1128; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983; Ontario (Ministry of Labour) c. Reid & DeLeye Contractors Ltd., 2011 ONCJ 472; Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296; R. c. Marina Harbour Systems, 2008 CanLII 64002; R. c. EFCO Canada Co., 2010 ONCJ 421; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900; R. c. Sault Ste-Marie, 1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299; Director of Occupational Health and Safety c. Government of Yukon, William R. Cratty and P.S. Sidhu Trucking Ltd., 2012 YKSC 47; R. c. Dan Gamache Trucking Inc., 2005 BCSC 1487, 23 M.V.R. (5th) 305; R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL); R. c. Cancoil Thermal Corp. and Parkinson (1986), 1986 CanLII 154 (ON CA), 27 C.C.C. (3d) 295; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154; Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300; La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, [2013] 3 R.C.S. 756; R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149, inf. par 2003 CarswellOnt 6071 (WL); Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321; R. c. Gonder (1981), 1981 CanLII 3207 (YK TC), 62 C.C.C. (2d) 326; R. c. Inco Ltd., [2001] O.J. No. 4938 (QL), 2001 CarswellOnt 10933 (WL); Ontario (Ministry of Labour) c. Linamar Holdings Inc., 2012 ONCJ 295; Ontario (Ministry of Labour) c. Wal-Mart Canada Corp., 2016 ONCJ 267, 32 C.C.E.L. (4th) 313; R. c. Imperial Electric Ltd., 1998 CarswellBC 4085 (WL); R. c. Amherst Fabricators Ltd., [2003] N.S.J. No. 280 (QL); R. c. XI Technologies Inc., 2011 ABPC 313; R. c. Rio Algom Ltd. (1988), 1988 CanLII 4702 (ON CA), 66 O.R. (2d) 674; R. c. Brampton Brick Ltd. (2004), 2004 CanLII 2900 (ON CA), 189 O.A.C. 44.
Citée par les juges Rowe et O’Bonsawin (dissidents)
                    Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Cotton Felts Ltd. (1982), 1982 CanLII 3695 (ON CA), 2 C.C.C. (3d) 287; Ontario (Minister of Labour) c. Enbridge Gas Distribution Inc., 2010 ONSC 2013, 261 O.A.C. 27; Ontario (Ministry of Labour) c. United Independent Operators Ltd., 2011 ONCA 33, 104 O.R. (3d) 1; Ontario (Ministry of Labour) c. Hamilton (City) (2002), 2002 CanLII 16893 (ON CA), 58 O.R. (3d) 37; R. c. Timminco Ltée (2001), 2001 CanLII 3494 (ON CA), 54 O.R. (3d) 21; R. c. Bondfield Construction Co., 2022 ONCA 302; R. c. Wyssen (1992), 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193; Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296; R. c. EFCO Canada Co., 2010 ONCJ 421; Ontario (Ministry of Labour) c. Pioneer Construction Inc. (2006), 2006 CanLII 15621 (ON CA), 79 O.R. (3d) 641; R. c. Sunderland Co-Operative, [1993] O.J. No. 4429 (QL), 1993 CarswellOnt 5741 (WL); Tembec Forest Products (1990) Inc. (Re), [1994] O.O.H.S.A.D. No. 3 (QL); Abarquez c. Ontario, 2009 ONCA 374, 95 O.R. (3d) 414; R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149; Imperial Oil Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour) (1993), 10 C.O.H.S.C. 210; R. c. Campbell, [2004] O.J. No. 129 (QL), 2004 CarswellOnt 116 (WL), conf. par (2006), 2006 CanLII 5449 (ON SC), 140 C.R.R. (2d) 143; Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Acier AGF Inc., 2001 CanLII 12761; Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Poudrier et Boulet Ltée, [1982] AZ-83147017; Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321; Ontario (Ministry of Labour) c. Black & McDonald Ltd., 2011 ONCA 440, 106 O.R. (3d) 784; R. c. K.B. Home Insulation Ltd., [2008] O.J. No. 6019 (QL), 2008 CarswellOnt 10891 (WL); R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL); British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795; R. c. Structform International Ltd., [1992] O.J. No. 1711 (QL), 1992 CarswellOnt 2751 (WL); West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900; Ontario (Health and Long-Term Care, Land Ambulance Programs) c. Canadian Union of Public Employees, Local 2974.1, 2010 CanLII 11302; Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670; R. c. Brampton Brick Ltd. (2004), 2004 CanLII 2900 (ON CA), 189 O.A.C. 44; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, 1995 CanLII 112 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 1031; R. c. Halifax Port Authority, 2022 NSPC 13; Director of Occupational Health and Safety c. Government of Yukon, William R. Cratty and P.S. Sidhu Trucking Ltd., 2012 YKSC 47; R. c. Gonder (1981), 1981 CanLII 3207 (YK TC), 62 C.C.C. (2d) 326; R. c. Sault Ste-Marie, 1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299; Stelco Inc. c. Ontario (Ministry of Labour), 2006 CanLII 28110; Ontario c. London Excavators & Trucking Ltd. (1998), 1998 CanLII 3479 (ON CA), 40 O.R. (3d) 32.
Citée par la juge Côté (dissidente)
                    Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321; R. c. Bondfield Construction Co., 2022 ONCA 302; R. c. K.B. Home Insulation Ltd., [2008] O.J. No. 6019 (QL), 2008 CarswellOnt 10891 (WL); R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL); R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149; R. c. Wyssen (1992), 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900; Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296; R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154.
Lois et règlements cités
Chantiers de construction, Règl. de l’Ont. 213/91, art. 7.1, 15(1), 17(1), 21, 65, 67(4), 80, 104(3), 126 à 136.0.1, 140(1), 160(1), 207 à 210, 309 à 316.
Construction Safety Act, 1973, S.O. 1973, c. 47, art. 1(h).
Industrial Safety Act, 1964, S.O. 1964, c. 45.
Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, c. 21, ann. F, art. 64(1).
Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1, art. 1(1) « chantier », « constructeur », « employeur », « lieu de travail », « travailleur », (3), partie I, II, 9, partie III, 23, 25 à 26, 27(1), 28(1)b), d), 29 à 30, 32.0.1 à 32.0.8, parties IV à VII, 50, partie VIII, IX, 66(1), (2), (3).
Doctrine et autres documents cités
Ball, Stacey Reginald. Canadian Employment Law, Toronto, Thomson Reuters, 1996 (loose‑leaf updated September 2023, release 4).
Cliche, Bernard, et autres. Droit de la santé et de la sécurité au travail : La loi et la jurisprudence commentées, 3e éd., Montréal, Yvon Blais, 2018.
Edwards, Cheryl A., and Ryan J. Conlin. Employer Liability For Contractors Under The Ontario Occupational Health and Safety Act, 2nd ed., Toronto, Thomson Carswell, 2007.
Fidler, Richard. « The Occupational Health and Safety Act and the Internal Responsibility System » (1986), 24 Osgoode Hall L.J. 315.
Johnstone, Richard, Claire Mayhew and Michael Quinlan. « Outsourcing Risk? The Regulation of Occupational Health and Safety Where Subcontractors Are Employed » (2001), 22 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 351.
McKechnie, Dave. « Occupational Health and Safety in Construction Law », in Leonard Ricchetti and Timothy J. Murphy, Construction Law in Canada, Markham (Ont.), LexisNexis, 2010, 209.
Ontario. Report of the Royal Commission on the Health and Safety of Workers in Mines, Toronto, 1976.
Ontario. Assemblée législative. Legislature of Ontario Debates : Official Report (Hansard) — Daily Edition, No. 151, 2nd Sess., 31st Parl., December 14, 1978, p. 6187.
Ontario. Ministère des Transports. Ontario Traffic Manual : Book 7 — Temporary Conditions, St. Catharines (Ont.), 2022.
Ontario. Ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences. Lignes directrices : Sens à donner au terme « constructeur », 11 février 2022 (en ligne : https://www.ontario.ca/fr/page/lignes-directrices-sens-donner-au-terme-constructeur; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2023SCC-CSC28_1_fra.pdf).
Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3rd ed., Toronto, Irwin Law, 2016.
Sullivan, Ruth. The Construction of Statutes, 7th ed., Toronto, LexisNexis, 2022.
Swaigen, John, and Susan McRory. Regulatory Offences In Canada : Liability and Defences, 2nd ed., Toronto, Carswell, 2018.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (la juge en chef adjointe Fairburn et les juges Watt et Huscroft), 2021 ONCA 252, 15 M.P.L.R. (6th) 161, [2021] O.J. No. 2113 (QL), 2021 CarswellOnt 5697 (WL), qui a infirmé une décision du juge Poupore, 2019 ONSC 3285, 88 M.P.L.R. (5th) 158, [2019] O.J. No. 2957 (QL), 2019 CarswellOnt 8916 (WL), qui avait confirmé les acquittements prononcés par la juge Lische, et qui a renvoyé l’affaire à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Pourvoi rejeté, la Cour est également partagée, les juges Karakatsanis, Côté, Rowe et O’Bonsawin sont dissidents.
                    Ryan J. Conlin et Jeremy Schwartz, pour l’appelante.
                    David McCaskill, Giuseppe Ferraro et William Robinson, pour l’intimé.
                    Kevin MacNeill et Jean-Simon Schoenholz, pour l’intervenant le Conseil canadien du commerce de détail.
                    Jonathan C. Lisus, Zain Naqi et John Carlo Mastrangelo, pour les intervenantes la Municipalité régionale de York, la Municipalité régionale de Peel, la Municipalité régionale de Durham, la Municipalité régionale de Halton, la Municipalité régionale de Waterloo et la Municipalité régionale de Niagara.
                    Ben Parkin et Johanna Goosen, pour l’intervenante Workers’ Compensation Board of British Columbia.
                  Version française des motifs du juge en chef Wagner et des juges Martin, Kasirer et Jamal rendus par
                  La juge Martin —
I.               Introduction
[1]                             Le présent pourvoi découle d’un accident fatal et concerne l’interprétation appropriée de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1 (« Loi »), de l’Ontario. La Ville du Grand Sudbury a conclu un contrat avec Interpaving Limited pour que celle‑ci agisse en tant que constructeur pour la réparation d’une conduite d’eau principale au centre‑ville. Un employé d’Interpaving a frappé et tué une piétonne alors qu’il conduisait une niveleuse en marche arrière à travers une intersection. Contrairement aux dispositions du règlement connexe intitulé Chantiers de construction, Règl. de l’Ont. 213/91 (« Règlement »), aucune clôture n’avait été installée entre le chantier et l’intersection publique, et aucun signaleur n’aidait le travailleur d’Interpaving (voir l’art. 65 et le par. 104(3)). Dans une instance distincte, Interpaving a été jugée et reconnue coupable d’avoir manqué au devoir qui incombe à l’employeur en application de l’al. 25(1)c) de la Loi de « veille[r] à ce que [. . .] les mesures et les méthodes prescrites [par le Règlement] soient observées dans le lieu de travail ».
[2]                             La question de droit que pose le présent pourvoi concerne la responsabilité légale, le cas échéant, de la Ville à titre d’employeur pour avoir manqué à ce même devoir. En réponse à l’accusation portée par le ministère du Procureur général de l’Ontario (ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences) (« Ministère ») et à la poursuite qu’il a intentée en application de l’al. 25(1)c), la Ville a concédé avoir été propriétaire du chantier de construction et reconnu y avoir envoyé des inspecteurs au contrôle de la qualité. Elle a toutefois nié avoir été un employeur, faisant valoir qu’elle n’avait pas de contrôle sur les travaux de réparation et qu’elle avait délégué ce contrôle à Interpaving.
[3]                             La juge de première instance a acquitté la Ville parce qu’Interpaving, et non la Ville, avait le contrôle direct des travailleurs et de l’intersection, et que la Ville n’était donc pas un employeur au sens du par. 1(1) (par. 86‑88, reproduits au d.a., vol. I, p. 16‑17). Subsidiairement, même si la Ville avait manqué à ses obligations, elle a fait preuve de diligence raisonnable, car [traduction] « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances » ont été prises (par. 91). La cour d’appel des infractions provinciales a confirmé l’acquittement de la Ville au motif qu’elle n’était pas un employeur; elle n’a pas traité de l’appel formé par le Ministère contre la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la Ville avait agi avec diligence raisonnable (2019 ONSC 3285, 88 M.P.L.R. (5th) 158). Dans un jugement unanime, la Cour d’appel a accueilli l’appel et annulé la décision du juge de la cour d’appel des infractions provinciales. La cour a confirmé et appliqué la définition du terme « employeur » établie dans sa décision de 1992 qui fait autorité, R. c. Wyssen, 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193, elle a tenu la Ville responsable d’avoir contrevenu à l’al. 25(1)c) à titre d’employeur, et a renvoyé la question de sa diligence raisonnable à la cour d’appel des infractions provinciales (2021 ONCA 252, 15 M.P.L.R. (6th) 161). La Ville interjette appel devant la Cour et nous demande de préciser le rôle que joue le contrôle dans les poursuites réglementaires intentées contre un employeur en application de l’al. 25(1)c) de la Loi.
[4]                             La réponse courte à cette question est que, même si le contrôle des travailleurs et du lieu de travail peut influer sur la défense de diligence raisonnable, rien dans le texte, le contexte ou l’objet de la Loi n’exige du Ministère qu’il fasse la preuve du contrôle des travailleurs ou du lieu de travail pour démontrer que la Ville a manqué aux obligations qui lui incombent à titre d’employeur en application de l’al. 25(1)c).
[5]                             Au paragraphe 1(1), la Loi définit le terme « employeur » largement — sans aucune référence au contrôle — et intime à tous les employeurs de s’acquitter de plusieurs devoirs légaux. Il n’y a tout simplement aucune raison d’intégrer une exigence de contrôle dans la définition du terme « employeur » ou de greffer une exigence de contrôle à l’al. 25(1)c) alors que la législature a délibérément choisi de ne pas le faire. En effet, réduire les devoirs de l’employeur en ajoutant par interprétation large une exigence de contrôle à une des dispositions ou aux deux contrecarrerait l’objet de cette loi réparatrice relative au bien‑être public. La Loi est explicitement conçue pour accroître des mesures de protection historiquement limitées et vise à favoriser et à maintenir la santé et la sécurité au travail en imposant expressément à de multiples acteurs sur le lieu de travail des devoirs concurrents, se chevauchant, larges, stricts et qui ne peuvent être délégués, appliquant ce qu’on appelle la stratégie « de la ceinture et des bretelles ». L’interprétation proposée par la Ville aurait pour effet non seulement de faire obstacle à cette intention, mais elle créerait aussi une incertitude indésirable et inutile en plus de compromettre l’application efficace des dispositions de la Loi créant des infractions de responsabilité stricte. Il convient plutôt de tenir compte du contrôle au moment de décider si un employeur qui a violé la Loi peut malgré tout se défendre en invoquant qu’il a agi avec diligence raisonnable. Il serait alors loisible à l’accusé de démontrer que son manque de contrôle indique qu’il a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances.
[6]                             En conséquence, à l’instar de la Cour d’appel, j’estime que la Ville était un employeur et qu’elle a manqué au devoir qui lui incombait en application de l’al. 25(1)c). Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel qui renvoie la question de la diligence raisonnable à la cour d’appel des infractions provinciales.
II.            Analyse
[7]                             Mon analyse se divise en trois parties. Je vais d’abord donner un aperçu de la Loi. Ensuite, j’expliquerai pourquoi le Ministère n’a pas à prouver le contrôle dans une poursuite intentée contre un employeur en vertu de l’al. 25(1)c) de la Loi. Enfin, je formulerai des commentaires sur le rôle du contrôle relativement à la défense de diligence raisonnable prévue à l’al. 66(3)b).
A.           Aperçu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail
[8]                             La Loi cherche à maintenir et à favoriser une protection raisonnable de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail et autour de celui‑ci. Comme l’indique la décision Ontario (Ministry of Labour) c. Hamilton (City) (2002), 2002 CanLII 16893 (ON CA), 58 O.R. (3d) 37 (C.A.), par. 16 :
     [traduction] La [Loi] est une loi réparatrice relative au bien‑être public qui vise à garantir un niveau minimum de protection pour la santé et la sécurité des travailleurs. En interprétant une loi de cette nature, il importe de garder à l’esprit certains principes directeurs. La loi protectrice visant à promouvoir la santé et la sécurité publiques doit être interprétée généreusement, d’une manière compatible avec les buts et les objectifs du régime législatif. Les interprétations étroites ou techniques qui nuiraient à l’atteinte des objectifs de bien‑être public visés par la législature ou qui les contrecarreraient doivent être évitées.
[9]                             L’objet de la Loi relatif au bien‑être public est confirmé par son historique. Après la publication en 1976 du rapport intitulé Report of the Royal Commission on the Health and Safety of Workers in Mines (« Rapport de la Commission Ham »), le gouvernement de l’Ontario a entrepris une réforme législative substantielle. Il a abrogé diverses lois antérieures qui ne conféraient une protection au travail qu’aux employés. Lorsque la Loi a été introduite en 1978, elle a élargi la définition de l’« employeur » pour étendre la protection aux entrepreneurs indépendants, reflétant ainsi [traduction] « l’intention claire de la législature de responsabiliser les employeurs pour assurer la sécurité sur le lieu de travail » (voir Wyssen, p. 199).
[10]                        La Loi remplit son objectif relatif au bien‑être public en répartissant divers devoirs en matière de santé et sécurité au travail entre diverses catégories d’acteurs sur le lieu de travail, y compris les constructeurs, les employeurs et les propriétaires (voir, respectivement, les art. 23, 25 et 29). Ces devoirs sont concurrents et se chevauchent souvent : plusieurs acteurs différents peuvent être responsables des mêmes fonctions et mesures de protection. C’est ce qui s’appelle l’approche « de la ceinture et des bretelles » de la santé et sécurité au travail :
                    [traduction] . . . la loi et les règlements recourent à plus d’une méthode pour garantir que les travailleurs sont protégés. En conséquence, si la « ceinture » ne permet pas de protéger le travailleur, le système auxiliaire des « bretelles » pourrait y parvenir, ou vice versa. Si tous ceux qui œuvrent sur un lieu de travail sont tenus de faire preuve de diligence raisonnable, le défaut par l’un d’entre eux de satisfaire à cette exigence pourrait être compensé par la diligence d’un autre d’entre eux. L’objectif consiste à laisser peu de place au hasard et à faire de la protection des travailleurs une responsabilité incombant à plusieurs acteurs.
                    (Ontario (Minister of Labour) c. Enbridge Gas Distribution Inc., 2010 ONSC 2013, 261 O.A.C. 27, par. 24)
[11]                        Suivant l’approche « de la ceinture et des bretelles », si plusieurs acteurs d’un lieu de travail manquent à leur devoir de protéger la santé et la sécurité, ils ne peuvent pas invoquer les manquements des autres comme excuse pour justifier les leurs; chaque acteur du lieu de travail doit s’assurer que celui‑ci est sécuritaire (R. c. J. Stoller Construction Ltd., 1986 CarswellOnt 3654 (WL) (C. prov.), par. 22; R. c. Stelco Inc. (1989), 1 C.O.H.S.C. 76 (C. prov. Ont.), p. 83‑84; R. c. Structform International Ltd., [1992] O.J. No. 1711 (QL), 1992 CarswellOnt 2751 (WL) (C.J. (Div. gén.)), par. 17 (WL); R. c. Thomas G. Fuller & Sons Ltd., 2008 CarswellOnt 9276 (WL) (C.J.), par. 54; R. c. Cox Construction Ltd., 2008 CarswellOnt 9540 (WL) (C.J.), par. 189‑192; R. c. Saskatchewan Power Corp., 2016 SKPC 2, par. 35 (CanLII), citant Ontario (Ministry of Labour) c. Dofasco Inc., 2007 ONCA 769, 87 O.R. (3d) 161). Le Rapport de la Commission Ham préconisait un [traduction] « régime de responsabilité interne » grâce auquel tous les acteurs sur un lieu de travail partagent la responsabilité de la sécurité au travail, soulignait qu’un « lieu de travail sécuritaire suppose que tous les participants travaillent de concert dans le cadre du système de responsabilité partagée », et il reconnaissait « un devoir positif et proactif à tous les acteurs » (R. c. Campbell, [2004] O.J. No. 129 (QL), 2004 CarswellOnt 116 (WL) (C.J.), par. 28‑29 et 65).
B.            Le fardeau de la preuve du Ministère
[12]                        L’alinéa 66(1)a) de la Loi prévoit que commet une infraction un acteur du lieu de travail qui manque à une des obligations prescrites par la Loi, y compris celles prévues à l’al. 25(1)c), soit une infraction de responsabilité stricte (R. c. Timminco Ltée (2001), 2001 CanLII 3494 (ON CA), 54 O.R. (3d) 21 (C.A.), par. 23). Ainsi, lorsque l’al. 25(1)c) est l’objet de l’accusation, le Ministère n’a qu’à prouver l’actus reus hors de tout doute raisonnable pour fonder une déclaration de culpabilité; il n’a pas à prouver la mens rea. Pour prouver l’actus reus, le Ministère doit démontrer que l’acteur du lieu de travail était un employeur au sens du par. 1(1) et qu’il y a eu manquement parce que l’employeur ne s’est pas assuré que les mesures et les méthodes prescrites étaient observées sur le lieu de travail.
[13]                        Mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin et moi sommes d’accord pour dire que la définition du terme « employeur » est une question autonome et distincte de celle de la portée du devoir visé à l’al. 25(1)c) (voir le par. 75). Bien que l’interprétation du terme « employeur » au par. 1(1) et celle du devoir visé à l’al. 25(1)c) soient liées dans la mesure où ces dispositions fournissent un contexte l’une pour l’autre et soient régies par le même objectif légal, ces deux questions doivent rester distinctes sur le plan analytique. En outre, tout comme mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin, j’estime qu’il ne faut pas intégrer la notion de contrôle dans la définition du terme « employeur » (par. 93 et 97). Notre désaccord porte sur le rôle du contrôle relativement au devoir de l’employeur prévu à l’al. 25(1)c).
(1)         Pour prouver que la Ville est un « employeur » au sens du par. 1(1) de la Loi, le Ministère n’a pas à faire la preuve du contrôle
[14]                        La Loi définit un employeur en ces termes :
                    Personne qui emploie un ou plusieurs travailleurs ou loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs. S’entend en outre de l’entrepreneur ou du sous‑traitant qui exécute un travail ou fournit des services et de l’entrepreneur ou du sous‑traitant qui entreprend, avec le propriétaire, le constructeur, l’entrepreneur ou le sous‑traitant, d’exécuter un travail ou de fournir des services.
[15]                        Le sens du terme « employeur » a été examiné en profondeur et établi péremptoirement dans la décision Wyssen (voir Ontario c. London Excavators & Trucking Ltd. (1998), 1998 CanLII 3479 (ON CA), 40 O.R. (3d) 32 (C.A.), p. 40; Ontario (Ministry of Labour) c. Pioneer Construction Inc. (2006), 2006 CanLII 15621 (ON CA), 79 O.R. (3d) 641 (C.A.), par. 19; Dofasco Inc., par. 9; Ontario (Ministry of Labour) c. United Independent Operators Ltd., 2011 ONCA 33, 104 O.R. (3d) 1, par. 38).
[16]                        Dans cette décision de 1992, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté, et non intégré, une exigence de contrôle pour déterminer qui est un employeur. Ce faisant, la cour a adopté l’approche « de la ceinture et des bretelles » qui consiste à faire porter des responsabilités qui se chevauchent sur tous les acteurs d’un lieu de travail, sans égard à leur degré de contrôle, de manière à protéger le mieux possible la sécurité des travailleurs. Le juge Blair, au nom des juges majoritaires, a examiné le texte, le contexte et l’objet du par. 1(1) pour conclure que la définition d’« employeur » est large, étrangère au contrôle, et vise deux types de relation : 1) celle où une personne emploie des travailleurs; et 2) celle où une personne conclut un contrat pour obtenir les services de travailleurs (p. 196).
[17]                        Il ressort clairement du texte de la définition d’« employeur » que le contrôle n’est pas un élément que le Ministère doit prouver pour établir qu’un accusé doit s’acquitter des devoirs d’un employeur. Premièrement, il n’y a aucune mention du contrôle dans la définition. Il n’y en a tout simplement pas, même s’il aurait pu y en avoir une si cela avait été l’intention de la législature. La Cour doit donner effet à ce que la législature a inclus dans la définition d’« employeur ». Conjecturer et ensuite accorder la priorité à ce que la législature a choisi de ne pas inclure, en ajoutant un élément supplémentaire à la définition, « équivaudrait à modifier [la Loi], ce qui constitue une fonction législative et non judiciaire » (R. c. McIntosh, 1995 CanLII 124 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 686, par. 26 (soulignement omis); voir aussi R. c. Hinchey, 1996 CanLII 157 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1128, par. 8).
[18]                        Deuxièmement, en common law, la relation qu’entretient une personne avec un entrepreneur indépendant est typiquement caractérisée par une absence de contrôle de la part de cette personne sur l’entrepreneur (671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, par. 33‑48). L’expression « contract for services » en anglais (« contrat d’entreprise ») est utilisée, en common law, pour faire référence à de telles relations. Par comparaison, l’expression « contract of service » en anglais sert à désigner un contrat d’emploi. En disant « contracts for the services » (« loue les services ») dans la définition d’« employeur », la législature a signalé son intention de viser les relations employeur‑entrepreneur indépendant (Wyssen, p. 196‑198). Depuis que la décision Wyssen a conclu que de telles relations entrent dans la définition, une personne peut être un employeur au sens de la Loi même si elle n’a pas de contrôle sur les travailleurs ou sur le lieu de travail. L’interprétation donnée par la décision Wyssen s’applique à tous les employés et à tous les lieux de travail, y compris à ceux dans l’industrie de la construction.
[19]                        En outre, comme il est mentionné dans la décision Wyssen, avant l’adoption de la Loi, d’autres mesures législatives sur la sécurité des travailleurs définissaient l’« employeur » d’une manière qui excluait les relations d’entrepreneur indépendant (p. 199, citant la loi intitulée Industrial Safety Act, 1971, S.O. 1971, c. 43, al. 1(e); voir aussi, p. ex., la loi intitulée The Construction Safety Act, 1973, S.O. 1973, c. 47, al. 1(h)). Le changement de cap dans la Loi consistant à inclure expressément les relations employeur-entrepreneur indépendant dans la définition d’« employeur » signale l’intention de la législature de retirer de la définition la condition traditionnelle de common law quant au contrôle qui distingue les relations d’emploi et celles d’entrepreneur indépendant. Incorporer le contrôle dans la définition du par. 1(1) aurait donc pour effet de réintroduire une caractéristique de l’ancien régime, qui a été abolie parce qu’elle ne favorisait pas et ne protégeait pas suffisamment la sécurité au travail.
[20]                        Il importe également que, même si elle n’a pas inclus le contrôle dans la définition d’« employeur », la législature l’a inclus dans celle de « constructeur ». Au paragraphe 1(1), le « constructeur » est défini comme une « [p]ersonne qui entreprend un chantier pour le compte d’un propriétaire »; « entreprendre un chantier » comprend le fait de le contrôler (Ontario (Ministry of Labour) c. Reid & DeLeye Contractors Ltd., 2011 ONCJ 472, par. 42 (CanLII)). L’absence d’une exigence de contrôle pour les employeurs reflète donc un choix législatif intentionnel qui doit être respecté.
[21]                        Par conséquent, les décisions qui ont inclus une exigence de contrôle dans la définition d’« employeur » sont inconciliables avec la décision Wyssen, sont incompatibles avec le texte, le contexte et l’objet de la Loi, et ne devraient pas être suivies (voir, p. ex., Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296, par. 88 (CanLII); R. c. Marina Harbour Systems, 2008 CanLII 64002 (C.S.J. Ont.), par. 27‑30; R. c. EFCO Canada Co., 2010 ONCJ 421, par. 59‑60).
[22]                        Il découle de la simple application de Wyssen, de même que du texte, du contexte et de l’objet du par. 1(1), que la Ville était un employeur suivant les deux volets de la définition que donne la Loi. À l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis qu’elle était l’employeur des inspecteurs, qu’elle employait directement et qu’elle envoyait au chantier de construction. En outre, selon le deuxième volet, la Ville était l’employeur d’Interpaving, avec qui elle avait conclu un contrat pour que celle‑ci entreprenne le chantier de construction. Comme la définition d’« employeur » comprend les relations entre un employeur et un entrepreneur indépendant, un propriétaire qui conclut un contrat avec un constructeur est un employeur au sens du par. 1(1) de la Loi. Le texte de la définition d’« employeur » vise une personne qui loue les services de travailleurs, et la définition du terme « travailleur » inclut « [une] personne qui exécute un travail ou fournit des services contre rémunération en argent ». Cela comprend les constructeurs, qui exécutent le travail et qui fournissent des services contre rémunération en argent. Ainsi, la mention de la location des services de travailleurs dans la définition d’« employeur » comprend manifestement le fait de conclure des contrats avec des constructeurs.
(2)         Prouver que la Ville a enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi
[23]                        Les devoirs imposés par la Loi sont nombreux, variés et formulés de manière précise et téléologique. Dans certains cas, ils sont liés à un lieu de travail ou à un chantier en particulier (voir, p. ex., le par. 23(1) et l’al. 25(1)c)) ou aux travailleurs (voir, p. ex., les al. 23(1)c) et 25(2)a)). Dans d’autres cas, ils sont énoncés plus largement (voir, p. ex., l’al. 25(1)a)). L’obligation pertinente en l’espèce est liée au lieu de travail.
[24]                        Il est allégué que la Ville a enfreint l’al. 25(1)c), qui requiert que l’employeur « veille à ce que [. . .] les mesures et les méthodes prescrites soient observées dans le lieu de travail ». Cette obligation s’applique aux employeurs de tous les secteurs. Les mesures et les méthodes que les employeurs de l’industrie de la construction doivent veiller à faire observer sont prévues dans le Règlement. L’examen du texte, du contexte et de l’objet de l’al. 25(1)c) révèle que le contrôle par l’accusé n’est pas un élément du devoir qui y est décrit. Le Ministère n’a pas à prouver que la Ville exerçait un contrôle sur les travailleurs d’Interpaving ou le lieu de travail comme élément de l’actus reus de l’infraction visée à l’al. 25(1)c).
a)               Texte
[25]                        Le simple texte de l’al. 25(1)c) ne limite pas ce devoir aux travailleurs ou aux lieux de travail sur lesquels l’employeur exerce un contrôle. La législature aurait pu inclure une restriction interne semblable à une exigence de contrôle en lien avec ce devoir, mais elle a choisi de ne pas le faire. Cela est d’autant plus important étant donné que, contrairement à ce qu’elle a fait à l’al. 25(1)c), la législature a prévu précisément une telle restriction à l’al. 25(2)h), où le devoir de l’employeur de prendre des précautions se limite à celles qui sont « raisonnables dans les circonstances ». Le fait que la législature n’a pas prévu de restriction à l’al. 25(1)c), que ce soit en renvoyant à une exigence de contrôle ou autrement, reflète un choix intentionnel que la Cour doit laisser inchangé.
[26]                        À titre de comparaison, d’autres lois expriment un choix législatif différent. Par exemple, dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, le texte de la disposition prévoyant l’obligation en cause obligeait l’employeur à inspecter « tout lieu de travail placé sous son entière autorité » (par. 9, citant le par. 125(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2). Ainsi, le Parlement a explicitement décidé que le devoir de l’employeur devrait résulter du contrôle qu’il exerce sur le lieu de travail. De même, dans R. c. Sault Ste‑Marie, 1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299, l’arrêt fondateur qui a énoncé la structure des infractions réglementaires, l’infraction pertinente était celle de décharger ou de déposer ou faire décharger ou déposer ou permettre de décharger ou de déposer dans un cours d’eau des matières de quelque nature que ce soit. Selon l’interprétation de la Cour, l’actus reus de l’infraction de « faire » décharger des matières comprend un élément de contrôle (p. 1329). Aucune formulation de la sorte ne figure à l’al. 25(1)c). Cela indique que la législature ontarienne a fait un choix législatif différent.
[27]                        Le libellé qu’a choisi d’utiliser la législature à l’al. 25(1)c) — à savoir l’emploi du mot « veille » — témoigne également de la nature générale de cette obligation et l’étaye. Dans la décision Wyssen, le juge Blair a noté que la définition que donne le dictionnaire du verbe « ensure » en anglais (« veiller » en français), qui figure dans la version antérieure de l’al. 25(1)c), est « make certain » en anglais (p. 198) (« s’assurer » en français). Ce devoir [traduction] « place un “employeur” pratiquement dans la position d’un assureur qui doit s’assurer que les règlements en matière de sécurité au travail applicables sont respectés avant le début des travaux tant par les employés que par les entrepreneurs indépendants » (p. 198). Ce devoir [traduction] « général », « indéniablement strict » et « non susceptible d’être délégué » « ne peut être éludé en confiant l’exécution du travail à des entrepreneurs indépendants » (p. 198).
[28]                        Le caractère strict de ce devoir a aussi amené la Cour d’appel à rejeter l’interprétation qui aurait inclus une exigence de mens rea à l’al. 25(1)c) (Timminco, par. 22‑26). Il faudrait que cette disposition contienne des termes clairs, comme les mots [traduction] « volontairement », « dans l’intention », « en connaissance de cause » ou « intentionnellement » pour qu’elle soit interprétée comme créant une infraction de mens rea (Timminco, par. 26). Le fait que la législature a plutôt employé le mot « veille » [traduction] « suggère qu[’elle] a voulu qu’un devoir strict incombe à l’employeur de s’assurer que les normes de sécurité prescrites sont respectées à tout moment pertinent » (Timminco, par. 26). Pour les mêmes raisons qu’il serait inapproprié d’y inclure par interprétation large un élément de mens rea, il n’est pas possible d’ajouter par interprétation large une exigence de contrôle à l’al. 25(1)c).
[29]                        Cette conclusion relative au texte de l’al. 25(1)c) est en outre étayée par le raisonnement de la Cour dans l’arrêt West Fraser Mills Ltd. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635, qui portait sur l’interprétation du terme « employeur » qui figure au par. 196(1) de la loi intitulée Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, c. 492, de la Colombie‑Britannique. Le propriétaire du lieu de travail, West Fraser Mills, avait embauché un entrepreneur indépendant, dont un des employés est mort dans un accident de travail. La Workers’ Compensation Board de la Colombie‑Britannique (« Commission ») a jugé que West Fraser Mills avait manqué à son devoir prévu au par. 26.2(1) du règlement intitulé Occupational Health and Safety Regulation, B.C. Reg. 296/97, en omettant de faire en sorte que [traduction] « toutes les activités d’exploitation forestière soient planifiées et exercées conformément au présent règlement et aux pratiques de travail sécuritaires jugées acceptables par la Commission ». Elle a ensuite imposé une amende en application du par. 196(1) de la loi habilitante, qui permet à la Commission de sanctionner un employeur. West Fraser Mills était perçue comme un employeur, en plus d’être une propriétaire, parce qu’elle employait des individus chargés de s’acquitter de fonctions prescrites par le par. 26.2(1) du règlement en lien avec le lieu de travail en cause.
[30]                       En appel, notre Cour a jugé que la décision du Tribunal n’était pas manifestement déraisonnable (par. 32). Le Tribunal avait interprété largement les devoirs de West Fraser Mills à titre d’employeur au sens du par. 196(1), en considérant qu’ils se rapportaient au lieu de travail en cause. Il existait un « lien réel avec l’accident en cause » entre West Fraser Mills en tant qu’employeur et le « lieu de travail où [sont survenus] l’accident et le préjudice physique » même s’il n’y avait aucun « lien d’emploi avec la victime » (par. 39 (en italique dans l’original)). Cette interprétation était conforme au texte du par. 196(1), qui « mett[ait] l’accent non pas sur le lien spécifique entre l’employeur fautif et la victime d’un accident de travail, mais bien sur la relation entre l’employeur et le lieu de travail qui a mené à l’accident et au préjudice physique » (par. 45).
[31]                        Tout comme le par. 196(1) de la loi de la Colombie‑Britannique, le texte de l’al. 25(1)c) de la Loi ontarienne concerne les mesures de santé et de sécurité au travail mises en place dans un lieu de travail physique auquel un employeur est possiblement lié du fait qu’il y envoie des employés ou qu’il a conclu un contrat avec des entrepreneurs indépendants pour que ceux‑ci y exécutent des travaux. Il prévoit que les mesures prescrites par le Règlement doivent être respectées dans ce lieu. Il ne s’attache pas à la nature de la relation de l’employeur avec quelque individu en particulier que ce soit. Fait crucial, il ne s’attache pas à la question de savoir si cette relation est caractérisée par l’exercice d’un contrôle. Étant donné son libellé, l’al. 25(1)c) ne peut être interprété comme s’appliquant seulement lorsqu’un employeur exerce un certain contrôle sur quelqu’un.
b)            Contexte
[32]                        Le devoir visé à l’al. 25(1)c) doit être interprété en fonction du régime de la Loi, y compris les autres devoirs qui y figurent, la définition large d’« employeur » et l’existence de la défense de diligence raisonnable prévue à l’al. 66(3)b).
[33]                        Premièrement, il va sans dire que l’art. 25 impose divers devoirs, formulés différemment, à l’employeur. Certains sont énoncés étroitement. Par exemple, les al. 25(1)b) et d) créent pour l’employeur des devoirs concernant « le matériel, les matériaux et les appareils de protection qu’il fournit ». De même, le devoir décrit à l’al. 28(1)b) qui requiert de l’employé qu’il « emploie ou porte » le matériel et les appareils ou vêtements de protection se limite aux objets qui sont « exigés par l’employeur ». Cette juxtaposition de devoirs étroits et de l’al. 25(1)c) formulé plus largement ne suggère pas que le devoir visé à cet alinéa est implicitement étroit. Les dispositions plus restrictives démontrent plutôt que la législature a limité intentionnellement certains des devoirs (comme ceux visés aux al. 25(1)b) et d)) à la relation entre l’employeur et le travailleur, tandis que d’autres devoirs, y compris celui visé à l’al. 25(1)c), sont rédigés délibérément en termes larges de manière à mettre l’accent sur le lien de l’employeur avec le lieu de travail plutôt qu’avec un travailleur en particulier (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), p. 249‑252). Le choix de la législature doit être respecté, et point n’est besoin d’atténuer ou d’étendre le texte explicitement général de l’al. 25(1)c).
[34]                        Deuxièmement, la définition large d’« employeur » est pertinente lorsqu’il s’agit d’interpréter l’al. 25(1)c). L’étendue des devoirs de l’employeur et la large portée de cette définition se renforcent mutuellement. Réduire la portée de l’al. 25(1)c) en y introduisant une exigence de contrôle va à l’encontre de la décision Wyssen et de la méthode moderne d’interprétation législative.
[35]                        Bien que mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin et moi convenions que la Ville est un employeur au sens de la Loi et que le contrôle n’est pas pertinent pour la définition d’« employeur », nos interprétations de l’al. 25(1)c) divergent. Mes collègues introduiraient une exigence de contrôle dans ce devoir, de sorte qu’il n’incomberait à l’employeur que lorsqu’il existe un « lien fonctionnel entre la mesure et l’employeur » (par. 106), qu’ils décrivent comme « un lien avec les travaux qui sont sous le contrôle de l’employeur et exécutés par l’entremise de ses travailleurs » (par. 155). Incorporer la notion de contrôle en exigeant qu’il existe un « lien » entre un employeur et les activités qui sont sous son contrôle est incompatible avec le texte, le contexte et l’objet de la disposition ainsi qu’avec la décision Wyssen. Bien que l’interprétation du par. 1(1) et de l’al. 25(1)c) soulève des questions distinctes, ces dispositions doivent être interprétées harmonieusement puisqu’elles sont tout de même liées.
[36]                        Dans la décision Wyssen, le juge Blair a fait remarquer que l’étendue des devoirs de l’employeur en application de ce qui est désormais l’al. 25(1)c) corroborait l’étendue de la définition d’« employeur » (p. 198). Le caractère large de l’un va de pair avec le caractère large de l’autre. Or, bien que mes collègues prétendent suivre la décision Wyssen en conservant la définition large, en fait, ils s’en écartent en restreignant les devoirs de l’employeur. Ce faisant, ils introduisent une incohérence interne dans la Loi en jumelant une définition large d’« employeur » et une interprétation étroite de l’al. 25(1)c), plutôt que de trouver l’harmonie entre ces dispositions et de considérer qu’elles se renforcent mutuellement ainsi que l’a voulu la législature. La décision Wyssen relève que la législature a étendu la définition d’« employeur » pour qu’elle englobe les relations entre un employeur et un entrepreneur indépendant qui ne sont pas caractérisées par le contrôle; ajouter par interprétation large la notion de contrôle à l’al. 25(1)c) crée donc une discordance dans la Loi qui mine l’intention législative en réintroduisant un élément de contrôle, qui avait été écarté dans le passé, dans la nouvelle mesure législative sur le bien‑être public formulée en termes larges.
[37]                        Troisièmement, l’existence de la défense de diligence raisonnable prévue à l’al. 66(3)b) de la Loi est un élément contextuel pertinent puisqu’elle signifie que l’employeur qui contrevient à l’al. 25(1)c) n’est pas passible des peines prévues par la Loi s’il peut démontrer qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter la contravention. L’alinéa 66(3)b) sert donc de soupape de sécurité, dans le cadre de laquelle la présence du contrôle peut être un facteur à prendre en considération pour apprécier la diligence raisonnable. Ainsi, rien ne justifie de restreindre l’infraction visée à l’al. 25(1)c) en y superposant une exigence de contrôle. Ce sont la possibilité de recourir à ce moyen de défense et son contenu qui répondent aux préoccupations relatives à l’équité.
c)            Objet
[38]                        Ajouter par interprétation large une exigence de contrôle à l’al. 25(1)c) serait également incompatible avec l’objet de la Loi. Celle‑ci, je le répète, est une loi relative au bien‑être public. Elle vise à maintenir et à favoriser une protection raisonnable de la santé et de la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail et autour de celui‑ci. Cet objet est atteint par l’imposition de devoirs partagés qui se chevauchent : la stratégie réglementaire « de la ceinture et des bretelles ».
[39]                        Le chevauchement des devoirs du constructeur et de l’employeur est un exemple clair de cette approche. L’alinéa 23(1)a) exige du constructeur qu’il veille à ce que « les mesures et les méthodes prescrites par la présente loi et les règlements soient observées », un devoir qui est à l’image de celui qui incombe à l’employeur en application de l’al. 25(1)c). Ce chevauchement est explicite et intentionnel. En effet, l’al. 23(1)b) exige du constructeur qu’il veille à ce que « les employeurs [. . .] qui exécutent un travail se conforment à la présente loi et aux règlements ». Il est tout à fait conforme à la structure et à la stratégie réglementaires que la Loi déploie pour assurer la sécurité des travailleurs qu’un employeur ait des devoirs qui chevauchent réciproquement ceux d’un constructeur, quels que soient les degrés respectifs de contrôle de ces entités sur un lieu de travail ou un danger qu’on peut y courir. De même, l’interprétation large et libérale qu’il faut donner à la Loi signifie qu’il peut y avoir plus d’un employeur responsable de la sécurité du lieu de travail et des travailleurs.
[40]                        Il est injustifié de craindre que le chevauchement des devoirs crée de la confusion parce que différents acteurs pourraient ne pas se concerter et mettre en place des mesures de sécurité concurrentes ou incohérentes. La coopération et la communication entre les acteurs du lieu de travail sont intégrées au régime de la Loi (United Independent Operators, par. 55, citant le guide du Ministère intitulé Guide to The Occupational Health and Safety Act, 1978, p. 28; voir aussi West Fraser Mills, par. 43). La Loi les incite d’ailleurs à agir de la sorte : lorsque les acteurs ne collaborent ou ne communiquent pas, il est moins probable qu’ils parviennent à présenter avec succès une défense de diligence raisonnable. Par exemple, dans London Excavators, un sous‑traitant sur un chantier de construction a été incapable de faire la preuve de sa diligence raisonnable parce qu’il s’était déraisonnablement fié à la communication défaillante de l’entrepreneur général quant à l’emplacement d’un danger (p. 40).
[41]                        Or, ajouter par interprétation large une exigence de contrôle pourrait aller à l’encontre de l’objectif de bien‑être public de la Loi que vise la création de responsabilités qui se chevauchent. Souvent, les acteurs d’un lieu de travail n’y ont pas le même degré de contrôle. Certains ont plus de contrôle que d’autres sans avoir pour autant un contrôle exclusif (Director of Occupational Health and Safety c. Government of Yukon, William R. Cratty and P.S. Sidhu Trucking Ltd., 2012 YKSC 47, par. 69 (CanLII)). Cette pluralité compte. Incorporer un élément de contrôle à l’al. 25(1)c) donnerait essentiellement aux acteurs d’un lieu de travail un outil pour contrecarrer les poursuites en matière réglementaire dès le départ — avant même que le fardeau de preuve ne se déplace sur l’accusé et lui impose de démontrer, en application de l’al. 66(3)b), qu’il a fait preuve de diligence raisonnable — en faisant valoir qu’ils n’avaient aucun contrôle sur un danger parce que d’autres acteurs avaient un plus grand contrôle comparatif sur ce danger. Nous ne pouvons écarter cette réalité pratique du terrain qui, si elle devait prévaloir, ne contribuerait pas à la promotion de la sécurité au travail. Elle minerait plutôt l’approche « de la ceinture et des bretelles » en transformant les poursuites fondées sur la Loi en exercice de « pointage du doigt ». Comme l’a expliqué la juge Gotlib dans la décision Structform (par. 17) :
     [traduction] La jurisprudence est limpide : un employeur ne peut pas pointer du doigt un autre employeur qui pourrait être plus étroitement lié à la situation. Tout employeur a le devoir de s’assurer que le lieu de travail est sécuritaire. D’ailleurs, dans l’environnement complexe de la construction, il importe que chaque employeur se serve de ses connaissances, fasse preuve de diligence raisonnable, etc. pour assurer la sécurité du lieu de travail. Un employeur n’a pas le droit de prétendre que quelqu’un d’autre en est responsable.
[42]                        Le problème n’est pas qu’il soit rédhibitoire pour un tribunal de vérifier s’il y a contrôle ou même d’évaluer les degrés comparatifs de contrôle. Ce qui pose problème, c’est que le fait d’inclure l’évaluation du contrôle dans le fardeau qui incombe au Ministère d’établir l’infraction visée à l’al. 25(1)c) ne cadre pas avec les objectifs de bien‑être public de la Loi. À l’étape de la preuve de l’infraction, l’accent ne serait plus mis sur la sécurité, là où il doit être, mais sur la détermination de qui contrôlait quoi. En outre, créer une exigence de contrôle pour l’application de l’al. 25(1)c) n’est pas pratique, puisque c’est l’employeur, et non le Ministère, qui détient la meilleure connaissance et la meilleure preuve de son degré de contrôle (Sault Ste‑Marie, p. 1325). Cela n’est pas efficace non plus, puisque le fait d’obliger le Ministère à prouver le contrôle contrecarre l’objectif d’arriver à l’efficacité administrative grâce au recours à des infractions réglementaires de responsabilité stricte (Sault Ste‑Marie, p. 1311). Ces problèmes sont précisément ce qui a amené la Cour d’appel à rejeter une exigence de mens rea pour l’application de l’al. 25(1)c) (Timminco, par. 24‑26).
[43]                        Ce serait un dédoublement inutile que l’analyse du degré de contrôle de l’accusé fasse partie à la fois du fardeau du Ministère de prouver l’infraction et de celui de l’accusé d’établir sa diligence raisonnable. Même lorsque le libellé d’une infraction dans une loi relative au bien‑être public fait du contrôle une condition explicite, [traduction] « il est parfois difficile de conserver la distinction entre l’actus reus et la défense de diligence raisonnable » (R. c. Dan Gamache Trucking Inc., 2005 BCSC 1487, 23 M.V.R. (5th) 305, par. 13). Loin de clarifier le rôle du contrôle dans les poursuites intentées en vertu de la Loi, ajouter activement par interprétation large cette notion dans une infraction comme celle visée à l’al. 25(1)c), dont le texte ne la mentionne pas, créerait davantage de confusion quant à la place que devrait occuper le contrôle et quant aux différences analytiques qui existent entre le fardeau du Ministère de prouver le contrôle et celui qui repose sur l’accusé de prouver l’absence de contrôle. Introduire cette complexité supplémentaire dans les procédures prévues par la Loi nuirait à l’objectif d’efficacité administrative. En revanche, examiner le contrôle uniquement du point de vue de la diligence raisonnable, lorsque sa pertinence n’est absolument pas controversée, voire courante, offre une clarté et une prévisibilité fort nécessaires. Je reviendrai sur la défense de diligence raisonnable plus loin.
[44]                        En dernier lieu, imposer au propriétaire d’un chantier de construction les devoirs d’un employeur, même si ce propriétaire a cédé le contrôle du chantier à un constructeur, contribue à la réalisation de l’objet de la Loi. Mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin soutiennent que la Loi fait intentionnellement peser des responsabilités limitées sur le propriétaire qui a embauché un constructeur (par. 100‑102 et 119‑125). Or, bien que le par. 29(1) impose des devoirs au propriétaire d’un lieu de travail qui n’est pas un chantier, cette disposition ne permet pas de conclure que les propriétaires de chantiers sont déchargés de leurs devoirs légaux s’ils en confient le contrôle à un constructeur. Ces devoirs ne s’appliquent tout simplement pas aux propriétaires de chantiers; par contre, les devoirs qui incombent à ces derniers et qui sont énoncés à l’art. 30 s’appliquent au propriétaire de chantier peu importe qu’il ait ou non embauché un constructeur. De plus, un constructeur au sens du par. 1(1) s’entend entre autres du « propriétaire qui entreprend lui‑même la totalité ou une partie d’un chantier ». Ce n’est donc pas sur chaque chantier de construction qu’un entrepreneur indépendant est le constructeur qui assume la responsabilité globale de la sécurité; le constructeur peut tout simplement être le propriétaire, si le propriétaire entreprend un chantier seul.
[45]                        Fait plus important encore, même lorsque le propriétaire cède le contrôle à un constructeur, ce même propriétaire peut avoir en tant qu’employeur des devoirs qui, à l’occasion, peuvent chevaucher ceux du constructeur. Bien que le par. 1(3) empêche le propriétaire qui envoie des inspecteurs sur un lieu de travail de devenir un constructeur, il n’empêche pas le propriétaire de devenir un employeur. En outre, il existe « un lien entre, d’une part, des recours accrus contre le propriétaire qui a des obligations d’employeur à l’égard d’un lieu de travail et, d’autre part, une santé et une sécurité professionnelles accrues. L’économie générale de la Loi veut que, par le chevauchement de leurs fonctions et la collaboration qui s’impose alors, il incombe au propriétaire et à l’employeur d’assurer la sécurité du lieu de travail » (West Fraser Mills, par. 43). Cette conclusion n’enlève rien au fait que la Loi confère un pouvoir global à un constructeur. En effet, les lignes directrices publiées par le Ministère prévoient que, même si un constructeur est celui qui détient le plus grand contrôle sur un chantier de construction, « [l]a santé et la sécurité sur un chantier constituent une responsabilité partagée [de sorte] que chaque employeur sur un chantier assume des responsabilités importantes en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses travailleurs » (Lignes directrices : Sens à donner au terme « constructeur », 11 février 2022 (en ligne)). La législation sur la santé et la sécurité au travail ne crée pas de « catégories distinctes d’obligations » pour les différents acteurs, ou pour les différents secteurs ou différentes industries (West Fraser Mills, par. 15), et ce partage des responsabilités est tout simplement une manifestation supplémentaire de l’approche « de la ceinture et des bretelles ».
d)            La Ville a manqué à ses devoirs en tant qu’employeur
[46]                        À titre d’employeur des inspecteurs et d’Interpaving, la Ville était tenue par l’al. 25(1)c) de la Loi de veiller à ce que « les mesures et les méthodes prescrites soient observées dans le lieu de travail ». Cela comprenait le fait de veiller au respect de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement. Le jour du décès de la piétonne, les mesures exigées par ces dispositions — soit une clôture entre le chantier de construction et la voie publique ainsi que la présence de signaleurs — n’avaient pas été mises en place dans le lieu de travail. Donc, la Ville, à titre d’employeur, a commis l’infraction visée à l’al. 25(1)c), et son degré de contrôle sur le lieu de travail ou les travailleurs n’importe pas pour cette conclusion.
[47]                        Ayant décidé que la Ville a enfreint la Loi, je me penche sur la défense de diligence raisonnable.
C.            Le fardeau de la défense : prouver la diligence raisonnable
[48]                        Une fois que le Ministère a établi un manquement au devoir qui incombe à l’employeur en application de l’al. 25(1)c), l’accusé a alors le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, « que toutes les précautions raisonnables dans les circonstances ont été prises » conformément à l’al. 66(3)b) (voir Timminco, par. 22‑26; voir aussi Sault Ste‑Marie, p. 1324‑1325). Je remarque que la défense de diligence raisonnable en common law peut aussi être invoquée relativement aux infractions de responsabilité stricte prévues par la Loi qui ne sont pas énumérées au par. 66(3) (voir R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL) (C.J. (Div. prov.)), par. 16, citant R. c. Cancoil Thermal Corp. and Parkinson (1986), 1986 CanLII 154 (ON CA), 27 C.C.C. (3d) 295 (C.A. Ont.)). La Ville peut donc échapper à toute responsabilité en prouvant qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable. Je commence en expliquant pourquoi le contrôle ne devrait être pris en compte qu’à cette étape‑ci de l’analyse, avant d’exposer comment il doit l’être.
(1)         Le contrôle qu’exerce un employeur ne doit être pris en compte que dans le cadre de l’examen de la défense de diligence raisonnable
[49]                        Tenir compte du contrôle à l’étape de l’examen de la diligence raisonnable respecte le texte, le contexte et l’objet de la Loi, et protège le mieux l’objectif de promotion de la sécurité au travail. Bien qu’une personne déclarée coupable d’avoir enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi soit passible d’amendes ou d’un emprisonnement, ou des deux (par. 66(1) et (2)), une violation de l’al. 25(1)c) n’est pas une infraction criminelle, mais plutôt une infraction réglementaire de responsabilité stricte. Son objectif n’est pas de « condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi », mais de « prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence » (R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154, p. 219; voir aussi Wilson c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300, par. 33; La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, [2013] 3 R.C.S. 756, par. 90). Le choix de la législature de faire porter une responsabilité à un employeur, même en l’absence de lien avec une activité ou de contrôle à son égard, était motivé non pas par un désir d’exprimer son opprobre à l’égard d’un comportement intrinsèquement répréhensible, mais par un désir de modifier ce comportement et de réduire le risque de blessure au lieu de travail. La nature et l’objet des infractions de responsabilité stricte signifient que l’employeur tenu responsable d’avoir enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi ne sera pas stigmatisé. Au contraire, en faisant reposer sur l’employeur le fardeau d’établir l’existence d’une défense de diligence raisonnable, la Loi l’incite à prendre toutes les mesures dont il a le contrôle pour assurer la sécurité au travail et éviter les préjudices futurs pour qu’il puisse se prévaloir de la défense si un préjudice devait survenir.
[50]                        Le fait que le degré de contrôle d’un employeur sur d’autres acteurs du lieu de travail est pertinent pour sa défense de diligence raisonnable répond également aux préoccupations quant à l’équité au sujet de l’imposition d’une responsabilité à un employeur pour une violation causée par un autre acteur. Tenir compte du contrôle dans le cadre de l’examen de la diligence raisonnable signifie que l’employeur qui n’exerce pas de contrôle peut échapper à toute responsabilité. Il est logique et préférable de faire peser sur l’employeur le fardeau de prouver une absence de contrôle, puisqu’il est le mieux placé pour produire des éléments de preuve quant à ses degrés de contrôle, d’expertise, de connaissance et de savoir‑faire. Il n’est ni injuste ni absurde de faire peser sur un accusé le fardeau de prouver l’absence de contrôle ainsi que les coûts pour ce faire. Dans la décision Wyssen, le juge Finlayson, souscrivant uniquement au résultat, a fait état de préoccupations reprises par la Ville dans le présent pourvoi. Ces préoccupations ont été rejetées à juste titre par les juges majoritaires dans Wyssen et par la Cour d’appel à l’unanimité en l’espèce parce qu’ils ne les ont pas jugées persuasives. Elles n’étayent tout simplement pas l’ajout par interprétation d’une exigence de contrôle à des dispositions qui n’en contiennent pas, surtout lorsque le contrôle joue un rôle au stade de l’examen de la diligence raisonnable.
[51]                        En l’espèce, personne n’invoque l’inconstitutionnalité du par. 1(1) ou de l’al. 25(1)c). Bien que, dans la décision Wyssen, le juge Finlayson ait aussi suggéré que la définition d’« employeur » était trop large (aux p. 202‑203), la question a été plaidée et rejetée ultérieurement dans R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149 (C.J. Ont.), par. 55, inf. pour d’autres motifs par 2003 CarswellOnt 6071 (WL) (C.S.J.). Le tribunal a conclu que les préoccupations quant au caractère excessivement large de la définition étaient limitées, parce que la Loi est une mesure législative relative au bien‑être public qui crée des infractions réglementaires de responsabilité stricte, et non des infractions criminelles, et vu que les devoirs de l’employeur sont susceptibles de faire l’objet d’une défense de diligence raisonnable (par. 53 et 55). Comme l’a fait observer le juge Bélanger :
                    [traduction] Il ne fait aucun doute que la portée de la mesure législative est onéreuse et peut avoir des conséquences négatives sur le coût et la faisabilité économique d’un projet ou d’une entreprise. Elle ne prive toutefois pas injustement le propriétaire/entrepreneur des moyens de se défendre avec succès lorsqu’il s’est acquitté avec diligence de ses responsabilités. [par. 57]
Cette observation répond aux arguments de la Ville en l’espèce. La jurisprudence existante sur l’interprétation de la Loi ainsi que la nature des infractions de responsabilité stricte contiennent tout ce qui est nécessaire pour confirmer la conclusion de la Cour d’appel en l’espèce. Il est inutile de revenir sur cette jurisprudence ou de l’infirmer ici.
[52]                        En outre, même si mes collègues les juges Rowe et O’Bonsawin font état de situations hypothétiques qui, selon eux, démontrent l’absurdité de mener l’analyse du contrôle uniquement à l’étape de l’examen de la diligence raisonnable (aux par. 137‑139), un examen minutieux du régime légal dissipe toute absurdité de ce genre. Premièrement, la situation hypothétique qui concerne le traiteur ne tient pas compte du fait que les devoirs de l’employeur en application de l’al. 25(1)c) sont restreints au lieu de travail. Le « lieu de travail » ne correspond pas à un « chantier », deux réalités définies différemment (par. 1(1)); il désigne un lieu où il est attendu ou peut être raisonnablement attendu qu’un travailleur accomplisse son travail au moment où survient un incident (Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321, par. 57). Il semble peu probable que le lieu de travail d’un fournisseur couvre l’ensemble du chantier de construction, de sorte qu’il serait nécessairement accusé et déclaré responsable advenant une atteinte aux mesures de sécurité.
[53]                        Deuxièmement, les autres situations hypothétiques ne tiennent pas compte du fait que l’employeur en est un parce qu’il a retenu par contrat les services du constructeur présent sur le chantier. Lorsque l’on garde à l’esprit cette strate de la définition de l’« employeur », l’absurdité des situations hypothétique se dissipe. La responsabilité potentielle de l’employeur n’est pas liée au simple geste d’envoyer un inspecteur sur un chantier. Il est plutôt déjà peut‑être responsable parce qu’il est l’employeur qui a affecté un constructeur au chantier. De fait, l’employeur tire vraisemblablement des avantages du fait d’envoyer un inspecteur au chantier, car, comme nous le verrons, cette démarche peut fort bien démontrer qu’il a fait preuve de la diligence voulue en embauchant et en supervisant le constructeur. La préoccupation que le risque d’être tenu responsable dissuaderait l’employeur hypothétique d’envoyer des inspecteurs est donc injustifiée.
(2)         De quelle façon le contrôle exercé par un employeur influe‑t‑il sur l’analyse de la défense de diligence raisonnable?
[54]                        Bien que je renvoie la question de la diligence raisonnable de la Ville à la cour d’appel des infractions provinciales, j’en viens maintenant à la manière dont les tribunaux peuvent évaluer cette défense et à la manière dont le degré de contrôle de l’employeur influe sur l’analyse.
[55]                        La pertinence du degré de contrôle de l’employeur sur les travailleurs ou le lieu de travail pour la défense de diligence raisonnable est bien reconnue dans la jurisprudence. Comme l’indique la décision R. c. Gonder (1981), 1981 CanLII 3207 (YK TC), 62 C.C.C. (2d) 326 (C. terr. Y.), p. 332‑333 :
     [traduction] La prudence raisonnable suppose une échelle de prudence. Le caractère raisonnable de la prudence est inextricablement lié aux circonstances particulières de chaque cause. Il doit y avoir une norme de prudence variable afin de donner à l’analyse la souplesse requise pour élever ou abaisser les exigences de prudence en fonction des circonstances particulières de chaque situation de fait. Le degré de prudence requis est principalement fonction des circonstances suivantes :
a)      la gravité du préjudice potentiel;
b)      les solutions de rechange dont disposait l’accusé;
c)      la probabilité de préjudice;
d)      le degré de connaissance ou de savoir‑faire attendu de l’accusé;
e)      la mesure [dans laquelle] les causes sous‑jacentes de l’infraction sont indépendantes de la volonté de l’accusé.
La décision Gonder a été suivie par les tribunaux dans l’ensemble du Canada lorsqu’ils ont jugé du bien‑fondé de la défense de diligence raisonnable en application de la législation sur la santé et la sécurité au travail (voir, p. ex., London Excavators, p. 37; R. c. Inco Ltd., [2001] O.J. No. 4938 (QL), 2001 CarswellOnt 10933 (WL) (C.J.), par. 39 (QL); Ontario (Ministry of Labour) c. Linamar Holdings Inc., 2012 ONCJ 295, par. 112 (CanLII); Ontario (Ministry of Labour) c. Wal‑Mart Canada Corp., 2016 ONCJ 267, 32 C.C.E.L. (4th) 313, par. 123; R. c. Imperial Electric Ltd., 1998 CarswellBC 4085 (WL) (C. prov.), par. 37; R. c. Amherst Fabricators Ltd., [2003] N.S.J. No. 280 (QL) (C. prov.), par. 9; R. c. XI Technologies Inc., 2011 ABPC 313, par. 201 (CanLII)).
[56]                        Je suis d’accord pour dire que la « mesure [dans laquelle] les causes sous‑jacentes de l’infraction sont indépendantes de la volonté de l’accusé » est un facteur pertinent. Le juge des faits doit examiner si, en termes absolus ou comparatifs, un employeur contrôlait le travailleur et le lieu de travail. Le contrôle est également une considération implicite dans l’examen des solutions de rechange dont disposait l’accusé (J. Stoller, par. 22‑24; Campbell, par. 68; J. Swaigen et S. McRory, Regulatory Offences In Canada : Liability and Defences (2e éd. 2018), p. 123‑128). En effet, [traduction] « [l]e caractère raisonnable des mesures de prudence est souvent mieux mesuré en comparant ce qui a été fait à ce qui aurait pu être fait » (Gonder, p. 333 (je souligne)). « Ce qui aurait pu être fait » se limite forcément aux démarches ou aux mesures qui relèvent du contrôle de l’acteur sur le lieu de travail et qui peuvent donc être mises en place.
[57]                        Dans le contexte de la construction, un juge pourrait conclure que le propriétaire a pris toutes les précautions nécessaires parce qu’il a décidé de déléguer le contrôle du chantier et la responsabilité de la sécurité du lieu de travail à un constructeur plus expérimenté. Parmi les considérations susceptibles d’être pertinentes, mentionnons la question de savoir si le propriétaire a soumis le constructeur à un examen préalable avant de l’embaucher pour vérifier, par exemple, si ce dernier a une expertise supérieure, un dossier sans déclarations de culpabilité antérieures pour violation de la Loi et la capacité de faire respecter la Loi et le Règlement (Grant Forest Products, par. 54; D. McKechnie, « Occupational Health and Safety in Construction Law », dans L. Ricchetti et T. J. Murphy, Construction Law in Canada (2010), 209, p. 219‑220). Un propriétaire peut faire valoir que c’est sa relative inexpérience de la sécurité au travail qui l’a mené à déléguer le contrôle du chantier à un constructeur qui s’y connaît davantage.
[58]                        Le tribunal pourrait aussi examiner si, après avoir signé le contrat, le propriétaire a informé le constructeur de quelque danger que ce soit sur le lieu de travail et a vérifié la qualité du travail de ce dernier (d’ailleurs, la juge de première instance a accordé de l’importance au fait que la Ville supervisait le travail d’Interpaving) (McKechnie, p. 219‑220). De même, le tribunal pourrait juger qu’une municipalité, comme la Ville, a la faculté d’exiger de ses entrepreneurs qu’ils fassent respecter les exigences en matière de santé et de sécurité sur un chantier, puisqu’elle « est en mesure de contrôler ceux dont elle s’assure les services [. . .] et de surveiller leurs activités, par contrat ou par règlements municipaux » (Sault Ste‑Marie, p. 1331).
[59]                        Une fois de plus, ces directives ne sont pas nouvelles. La supervision et l’inspection sont perçues depuis longtemps comme des mesures sensées à prendre pour décider si une personne peut se prévaloir de la défense de diligence raisonnable. En clair, la Loi ne [traduction] « vise [pas] les propriétaires et les employeurs qui ont fait preuve de diligence raisonnable dans leur choix d’entrepreneurs et la supervision de ces derniers » (Grant Forest Products, par. 57). Ainsi, qualifier la Ville d’employeur qui a contrevenu à l’al. 25(1)c) de la Loi parce qu’elle a envoyé des inspecteurs au lieu de travail pour surveiller le travail d’Interpaving ne condamne pas la Ville pour avoir supervisé Interpaving, ni ne la dissuade autrement de le faire. Ces efforts pourraient fort bien aider la Ville à établir sa diligence raisonnable et à échapper à toute responsabilité.
[60]                        Outre le contrôle, le degré de connaissance, de savoir‑faire ou d’expérience de l’accusé ainsi que la gravité du préjudice et sa probabilité (c.‑à‑d. la « prévisibilité de l’accident ») sont toutes des considérations pertinentes pour déterminer si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances (R. c. Rio Algom Ltd. (1988), 1988 CanLII 4702 (ON CA), 66 O.R. (2d) 674 (C.A.), p. 682; R. c. Brampton Brick Ltd. (2004), 2004 CanLII 2900 (ON CA), 189 O.A.C. 44, par. 29). La relative inexpérience d’un accusé pourrait étayer la conclusion que l’accident était imprévisible, du moins de son point de vue.
D.           Résumé
[61]                        En résumé, le tribunal doit se pencher sur trois questions lorsqu’un propriétaire qui loue les services d’un constructeur sur un chantier de construction est poursuivi pour une violation de l’al. 25(1)c) :
1.                     Premièrement, le Ministère a‑t‑il prouvé hors de tout doute raisonnable que la Loi s’appliquait à l’accusé parce qu’il était un employeur au sens du par. 1(1) de la Loi? Un propriétaire est un employeur s’il : (i) a employé des travailleurs à un lieu de travail où aurait été commise une violation de l’al. 25(1)c); ou (ii) a loué les services d’un travailleur qui doivent être rendus à ce lieu de travail (y compris les services d’un constructeur). Le Ministère n’a pas à prouver que le propriétaire avait le contrôle du lieu de travail ou des travailleurs qui s’y trouvaient.
2.                     Deuxièmement, le Ministère a‑t‑il prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé a enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi? Il y a violation de cet alinéa si les mesures de sécurité prescrites par le Règlement ne sont pas mises en place sur le lieu de travail pour lequel le propriétaire/employeur est lié par contrat aux employés ou à un entrepreneur indépendant. De plus, le Ministère n’a pas à prouver que le propriétaire avait le contrôle du lieu de travail ou des travailleurs qui s’y trouvaient.
3.                     Troisièmement, si le Ministère prouve ce qui précède, l’accusé a‑t‑il démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il devrait échapper à toute responsabilité parce qu’il a fait preuve de diligence raisonnable au sens de l’al. 66(3)b) de la Loi? Les considérations pertinentes pourraient comprendre : (i) le degré de contrôle de l’accusé sur le lieu de travail ou les travailleurs qui s’y trouvaient; (ii) la question de savoir si l’accusé a délégué le contrôle au constructeur pour pallier son propre manque de savoir‑faire, de connaissance ou d’expertise pour mener à bien le projet conformément au Règlement; (iii) la question de savoir si l’accusé a pris des mesures pour évaluer la capacité du constructeur d’assurer le respect du Règlement avant de décider de louer ses services; et (iv) la question de savoir si l’accusé a bel et bien surveillé et supervisé efficacement le travail du constructeur sur le chantier pour veiller à ce que les prescriptions du Règlement aient été observées dans le lieu de travail.
III.         Conclusion
[62]                        Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Je confirme la décision de la Cour d’appel de renvoyer la question à la cour d’appel des infractions provinciales pour qu’un autre juge statue sur l’appel formé par le Ministère à l’égard de la défense de diligence raisonnable qu’invoque la Ville relativement aux chefs 8 et 9 de la dénonciation.
                  Version française des motifs des juges Karakatsanis, Rowe et O’Bonsawin rendus par
 
                  Les juges Rowe et O’Bonsawin —
I.               Aperçu
[63]                        L’appelante, la Ville du Grand Sudbury (« Ville »), a conclu un contrat avec Interpaving Limited (« Interpaving ») pour faire réparer une conduite d’eau principale et repaver les rues touchées. Elle a également envoyé sur le chantier de construction des inspecteurs au contrôle de la qualité, qui ont fait part à Interpaving de préoccupations en matière de sécurité. Plus tard, une piétonne a été tuée à une intersection à la suite du non‑respect de plusieurs dispositions réglementaires visant à protéger la sécurité publique. La Ville a été accusée à la fois comme constructeur et comme employeur; elle a fait valoir qu’elle ne répondait à aucune de ces deux définitions. En appel, la seule question à trancher est celle de savoir si la Ville pourrait être tenue responsable d’avoir manqué à ses devoirs en tant qu’employeur.
[64]                        Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de clarifier la définition et les devoirs d’un « employeur » prévus dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1 (« Loi »), de l’Ontario. Bien que nous soyons appelés à interpréter des dispositions en particulier qui figurent dans la Loi (à savoir le par. 1(1) et l’al. 25(1)c)) ainsi que dans le règlement qui l’accompagne, Chantiers de construction, Règl. de l’Ont. 213/91 (« Règlement ») (à savoir l’art. 65 et le par. 104(3)), nous ne devons pas perdre de vue la structure soigneusement établie du régime dans son ensemble. La Loi et le Règlement qui l’accompagne constituent un régime intégré comportant des protections pour les travailleurs qui sont efficaces en pratique et conformes à la réalité de la dynamique du lieu de travail moderne.
[65]                        Dans les motifs qui suivent, nous cherchons à favoriser la réalisation de ces objectifs en établissant le sens et la portée de la définition et des devoirs des employeurs dans le contexte de la construction. À notre avis, une compréhension claire de qui est un employeur et de quelles mesures réglementaires s’appliquent à lui est fondamentale pour préserver l’intégrité du régime global. Une telle compréhension est également fondamentale pour respecter l’objectif législatif qui consiste à favoriser la sécurité des travailleurs en pratique — tout en se prémunissant contre des résultats absurdes et, en particulier, contre un pouvoir ministériel débridé qui ferait en sorte que la question de l’étendue des responsabilités de l’employeur serait résolue après coup. 
[66]                        À la lumière de ce qui précède, nous concluons que la définition d’« employeur » au par. 1(1) de la Loi englobe la relation entre la Ville et ses inspecteurs au contrôle de la qualité. Comme la Ville est l’employeur des inspecteurs au contrôle de la qualité, il faut examiner l’étendue des devoirs que l’al. 25(1)c) de la Loi impose à celle‑ci. Interprété correctement, l’al. 25(1)c) tient les employeurs responsables des manquements aux mesures réglementaires qui s’appliquent à eux. Le présent pourvoi porte sur des mesures prévues par le Règlement. Ayant examiné le libellé des mesures réglementaires, la structure du Règlement, sa relation avec le partage des rôles établi par la Loi et les objectifs du régime dans son ensemble, nous concluons que lorsque certaines mesures du Règlement ne précisent pas à qui elles s’appliquent, ces mesures s’appliquent à un employeur lorsqu’elles ont un lien avec les travaux que celui‑ci a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Comme les juridictions inférieures n’ont pas dûment analysé la question de savoir si le manquement avait été établi, nous sommes d’avis de renvoyer l’affaire à la Cour de justice de l’Ontario pour qu’elle la réexamine à l’étape relative aux devoirs.
II.            Faits
[67]                        Les faits ne sont pas contestés. En février 2015, la Ville a conclu un contrat avec la société Interpaving pour qu’elle entreprenne un chantier de construction au centre‑ville du Grand Sudbury. Le contrat stipulait qu’Interpaving assumerait le contrôle de l’ensemble du chantier, y compris le rôle de « constructeur » au sens de la Loi ainsi que la responsabilité de veiller à ce que les exigences de la Loi et du Règlement soient respectées. En septembre 2015, une piétonne qui tentait de traverser une intersection dans la zone de construction a été happée mortellement par une niveleuse Caterpillar conduite en marche arrière par un employé d’Interpaving.
[68]                        L’intimé, le ministère du Procureur général (ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences) (« Ministère »), a accusé Interpaving et la Ville en vertu de la Loi de ne pas avoir veillé au respect de certaines exigences du Règlement. La Ville a été accusée en tant que « constructeur » et « employeur » au sens de la Loi pour des violations de l’art. 65 et des par. 67(4) et 104(3) du Règlement. L’article 65 prévoit que, « [s]i les travaux du chantier peuvent mettre en danger une personne qui emprunte un passage public, une clôture solide d’au moins 1,8 mètre de hauteur doit être aménagée entre le passage public et le chantier [de construction]. » Le paragraphe 67(4) dispose que « [l]’employeur doit décrire par écrit et mettre en œuvre un programme de protection des travailleurs d’un chantier contre la circulation de véhicules si celle‑ci risque de mettre le moindre travailleur en danger. » Enfin, le par. 104(3) prévoit qu’« [u]n signaleur doit aider » le conducteur d’un véhicule, d’une machine et d’un appareil si le conducteur n’a qu’une vue partielle ou si « [l]e véhicule, la machine ou l’appareil, ou sa charge, risque de mettre une personne en danger. »
[69]                        En appel, les seules accusations en cause ont trait au prétendu statut d’« employeur » de la Ville et à sa responsabilité en vertu de l’al. 25(1)c) de la Loi pour la violation de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement. Devant la Cour d’appel, le Ministère a concédé que la juge de première instance n’avait pas tiré les conclusions de fait nécessaires pour se prononcer sur la culpabilité quant à la prétendue violation du par. 67(4) concernant le programme de protection contre la circulation.
III.         Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour de justice de l’Ontario
[70]                        La juge de première instance a acquitté la Ville de toutes les accusations en concluant que celle‑ci n’était ni un « constructeur » ni un « employeur » au sens de la Loi. Subsidiairement, elle a estimé que, si elle était un employeur, la Ville avait établi la défense de diligence raisonnable. Sur la question de savoir si la Ville était responsable en tant qu’employeur, la juge de première instance a conclu que [traduction] « la Ville n’avait pas de contrôle sur la direction du lieu de travail de manière à être tenue aux obligations visées ou créées par la [Loi] pour les employeurs » (par. 87, reproduit au d.a., vol. I, p. 17). La Ville ne supervisait pas les travaux de construction et elle ne les dirigeait pas non plus. Elle avait plutôt loué les services d’Interpaving, qui possédait les connaissances et les ressources nécessaires pour exécuter les travaux. Même s’ils étaient présents de temps à autre sur le chantier de construction, les inspecteurs au contrôle de la qualité de la Ville étaient assujettis aux exigences du constructeur en matière de santé et de sécurité. Ils n’étaient pas des superviseurs sur le chantier, leur rôle se limitant plutôt à assurer le contrôle de la qualité — en veillant à ce que les travaux soient exécutés conformément aux arrangements contractuels pour que des paiements puissent être faits. La juge de première instance a fait observer que [traduction] « les articles punitifs de la [Loi] visent à tenir responsables ceux qui ne se conforment pas aux dispositions de la [Loi] et de son Règlement dans leur “sphère d’activités” » (par. 88). Par conséquent, le rôle joué par la Ville en tant que propriétaire cherchant à assurer le contrôle de la qualité ne relevait pas de cet objectif.
B.            Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2019 ONSC 3285, 88 M.P.L.R. (5th) 158
[71]                        Le Ministère a fait appel des acquittements à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Le juge de la cour d’appel des infractions provinciales a souscrit au raisonnement de la juge de première instance et n’a relevé aucune erreur dans la façon dont cette dernière avait appliqué les faits à la définition des mots « constructeur » et « employeur ». Il a donc rejeté l’appel et il a estimé lui aussi que la Ville n’exerçait pas sur le chantier un contrôle au point qu’elle devenait le constructeur. Quant à la question de savoir si la Ville était un employeur du fait qu’elle avait des inspecteurs au contrôle de la qualité sur le chantier, le juge de la cour d’appel des infractions provinciales a fait remarquer que cela n’avait pas été envisagé par les parties et que l’adoption de l’approche préconisée par le Ministère modifierait considérablement le régime de responsabilité en matière de santé et de sécurité au travail applicable aux chantiers de construction en Ontario. Il a conclu que le Ministère n’avait pas prouvé que la Ville exerçait un contrôle important sur les travailleurs se trouvant sur le site. La juge de première instance avait donc conclu à bon droit que la Ville n’était pas un employeur sur le chantier au sens de la Loi.
C.            Cour d’appel de l’Ontario, 2021 ONCA 252, 15 M.P.L.R. (6th) 161
[72]                        Le juge Brown de la Cour d’appel de l’Ontario a autorisé le Ministère à interjeter appel, mais uniquement sur les acquittements quant aux accusations portées contre la Ville en tant qu’« employeur » au sens de la Loi (2019 ONCA 854, 93 M.P.L.R. (5th) 179). Étant donné que les municipalités sous‑traitent souvent à des tiers certains travaux sur des chantiers de construction, le juge Brown s’est dit convaincu que la question de savoir si une municipalité est responsable en tant qu’employeur en raison du degré de contrôle qu’elle exerce soulève une question de droit d’intérêt pour le public en général.
[73]                        La Cour d’appel a accueilli l’appel du Ministère. Elle a conclu que, parce qu’elle employait des inspecteurs au contrôle de la qualité comme travailleurs sur le chantier au sens donné au terme « employeur » au par. 1(1) de la Loi, la Ville était responsable des violations du Règlement, sauf si elle pouvait établir une défense de diligence raisonnable. La Cour d’appel a reconnu que la définition d’« employeur » visait deux relations — premièrement, celle de la personne qui emploie un travailleur et, deuxièmement, celle de la personne qui loue les services d’un travailleur —, mais que l’appel pouvait être tranché en fonction de la première relation. Par conséquent, elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner l’élément de contrôle — même si le juge Brown avait accordé l’autorisation précisément sur ce point. Elle a souligné que, bien qu’il empêche un propriétaire de devenir constructeur en engageant un inspecteur au contrôle de la qualité, le par. 1(3) de la Loi n’empêche pas un propriétaire de devenir employeur. Enfin, la Cour d’appel a conclu que la réparation appropriée consistait à annuler la décision du juge de la cour d’appel des infractions provinciales et à renvoyer à la Cour supérieure de justice uniquement les questions relatives aux prétendues violations de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement afin qu’elle entende l’appel interjeté par la Ministère contre la défense de diligence raisonnable de la Ville.
IV.         Questions en litige
[74]                        La Cour doit décider si la Ville est responsable en tant qu’employeur de la violation de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement. Pour ce faire, il nous faut examiner les deux questions suivantes :
(1)                  La Ville est‑elle un « employeur » au sens du par. 1(1) de la Loi?
(2)                  L’article 65 et le par. 104(3) du Règlement s’appliquent‑ils à la Ville en tant qu’employeur par l’effet de l’al. 25(1)c) de la Loi?
[75]                        Les juridictions inférieures ont tenu pour acquis que, dès lors qu’un acteur répond à la définition d’« employeur », il est, par l’effet de l’al. 25(1)c), strictement responsable de la violation de toute disposition réglementaire et il doit s’en remettre à la défense de diligence raisonnable. Soit dit en tout respect, une telle approche amalgame la définition d’« employeur » avec la détermination de l’étendue des devoirs de l’employeur. Suivant une interprétation correcte du régime, il est essentiel d’examiner à la fois la définition des acteurs du lieu de travail et les devoirs qui leur sont effectivement applicables. Une infraction ne peut être fondée sur le manquement à un devoir qui ne s’applique pas à l’accusé.
V.           Analyse
[76]                        Avant de nous pencher sur les faits de la présente affaire, nous donnerons un bref aperçu de la Loi dans son ensemble. Ensuite, nous préciserons et expliquerons les trois étapes distinctes de l’enquête visant à établir un manquement aux devoirs que le régime impose à l’employeur. Premièrement, nous examinerons la définition d’« employeur » au par. 1(1), puisque les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la Ville est un employeur au sens de la Loi et, dans l’affirmative, en vertu de quel volet de la définition elle l’est (« étape relative à la définition »). Deuxièmement, nous établirons l’étendue des devoirs qui incombent à chaque employeur en application de l’al. 25(1)c) et du Règlement, car l’applicabilité à un employeur des mesures prescrites est essentielle pour déterminer les éléments d’une infraction prévue par la Loi (« étape relative aux devoirs »). Enfin, nous examinerons brièvement la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3) de la Loi de manière à différencier la nature de l’enquête aux étapes afférentes à l’infraction et à la défense (« étape relative à la diligence raisonnable »). Cette méthode d’analyse est conforme à la structure du régime et favorise une interprétation cohérente de la loi habilitante du régime et de ses règlements.
[77]                        Les principes habituels d’interprétation législative, tels qu’ils sont énoncés dans notre jurisprudence, servent de guide dans cette démarche : « . . . il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, cité dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). La Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, c. 21, ann. F, de l’Ontario, s’applique également à la Loi :
                    64 (1) La loi est censée apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de ses objets.
Avant d’analyser la définition et les devoirs des employeurs, il est utile de commencer par donner un aperçu de la Loi afin d’en comprendre le fonctionnement.
A.           Le régime de santé et de sécurité au travail
[78]                        Au cours des années 1970, l’Ontario a réformé sa législation sur la sécurité au travail à la suite de la publication du rapport intitulé Report of the Royal Commission on the Health and Safety of Workers in Mines (1976), mieux connu sous le nom de « rapport Ham ». Cette réforme a eu pour résultat de remplacer un ensemble de lois disparates, dont la loi intitulée The Industrial Safety Act, 1964, S.O. 1964, c. 45, par la loi intitulée Occupational Health and Safety Act, qui est entrée en vigueur en 1979 (S. R. Ball, Canadian Employment Law (feuilles mobiles), § 25:1; R. c. Cotton Felts Ltd. (1982), 1982 CanLII 3695 (ON CA), 2 C.C.C. (3d) 287 (C.A. Ont.), p. 294).
[79]                        La Loi énonce les droits et les devoirs de l’ensemble des acteurs du lieu de travail, ainsi que les procédures à suivre pour faire face aux dangers sur le lieu de travail et pour appliquer la loi lorsque des acteurs du lieu de travail ne s’y conforment pas volontairement. Depuis 1979, la Loi a été modifiée à plusieurs reprises pour s’adapter à l’évolution des normes en matière de santé et de sécurité au travail, tout en conservant un système de responsabilité interne dans lequel tous les acteurs du lieu de travail se voient conférer des responsabilités en matière de santé et de sécurité (voir Ontario (Minister of Labour) c. Enbridge Gas Distribution Inc., 2010 ONSC 2013, 261 O.A.C. 27, par. 24). Le système de responsabilité interne est conçu de manière à promouvoir des relations coordonnées et collaboratives entre les différents acteurs du lieu de travail (Ontario (Ministry of Labour) c. United Independent Operators Ltd., 2011 ONCA 33, 104 O.R. (3d) 1, par. 55). Bien qu’il ne soit pas expressément énoncé dans celle‑ci, l’objectif de la loi ontarienne a été examiné par les tribunaux dans le passé. Dans l’arrêt Ontario (Ministry of Labour) c. Hamilton (City) (2002), 2002 CanLII 16893 (ON CA), 58 O.R. (3d) 37 (C.A.), le juge Sharpe a expliqué que la Loi est [traduction] « une loi réparatrice relative au bien‑être public qui vise à garantir un niveau minimum de protection pour la santé et la sécurité des travailleurs » (par. 16). De même, dans l’arrêt R. c. Timminco Ltée (2001), 2001 CanLII 3494 (ON CA), 54 O.R. (3d) 21, le juge en chef adjoint Osborne a déclaré que [traduction] « [l]’objectif général du texte de loi est de maintenir et de favoriser un niveau raisonnable de protection pour la santé et la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail et relativement à celui‑ci » (par. 22). Cet objectif a récemment été confirmé par la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Bondfield Construction Co., 2022 ONCA 302, par. 59 (CanLII).
[80]                        En ce qui concerne sa structure, la Loi énonce des définitions au par. 1(1), et précise le champ d’application et les modalités d’application de la Loi dans les parties I et II, y compris la création de comités mixtes sur la santé et la sécurité au travail (art. 9). Dans la partie III, la Loi énumère les devoirs en matière de santé et de sécurité incombant aux employeurs et aux autres acteurs du lieu de travail. La Loi traite également, dans les parties IV à VII, de diverses questions liées au lieu de travail, allant du droit de refuser ou d’arrêter de travailler à l’interdiction faite à l’employeur d’user de représailles. Enfin, elle prévoit un système de mesures d’exécution et d’infractions et de peines dans les parties VIII et IX. En particulier, l’al. 66(1)a) dispose que commet une infraction quiconque enfreint la Loi ou les règlements. L’éventail des devoirs prévus dans le régime ontarien reflète l’approche [traduction] « de la ceinture et des bretelles » visant à assurer la santé et la sécurité au travail, où « la loi et les règlements recourent à plus d’une méthode pour garantir que les travailleurs sont protégés » (Enbridge, par. 24).
[81]                          La définition d’« employeur » que l’on trouve au par. 1(1), le devoir de l’employeur énoncé à l’al. 25(1)c) ainsi que l’applicabilité des mesures contenues dans le Règlement, et la fonction de la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3), sont particulièrement pertinents en l’espèce. L’interprétation de ces dispositions coïncide avec les trois étapes de l’enquête visant à établir qu’un employeur a manqué à ses devoirs. Elle commande aussi l’examen des définitions de « lieu de travail » et de « chantier » figurant au par. 1(1), des devoirs du constructeur énoncés au par. 23(1) et des devoirs du propriétaire prévus aux art. 29 à 30.
[82]                          Les définitions des divers acteurs du lieu de travail, comme les propriétaires, les employeurs, les superviseurs, les travailleurs et les constructeurs, sont énoncées au début de la Loi. Le paragraphe 1(1) définit le terme « employeur » comme suit :
                    Personne qui emploie un ou plusieurs travailleurs ou loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs. S’entend en outre de l’entrepreneur ou du sous‑traitant qui exécute un travail ou fournit des services et de l’entrepreneur ou du sous‑traitant qui entreprend, avec le propriétaire, le constructeur, l’entrepreneur ou le sous‑traitant, d’exécuter un travail ou de fournir des services.
Le « travailleur » est principalement défini comme « [l]a personne qui exécute un travail ou fournit des services contre rémunération en argent. »
[83]                        Dans l’industrie de la construction, la législature ontarienne a défini comme suit le rôle du « constructeur » :
                    Personne qui entreprend un chantier pour le compte d’un propriétaire. S’entend en outre du propriétaire qui entreprend lui‑même la totalité ou une partie d’un chantier, soit seul ou avec l’aide de plus d’un employeur. [par. 1(1)]
Il est donc important de faire la distinction entre un « lieu de travail » général et un « chantier » qui existe dans le contexte de la construction. Alors que le « lieu de travail » est défini largement comme tout « [b]ien‑fonds, local ou endroit où le travailleur est employé ou près duquel il travaille ou objet sur lequel ou près duquel il travaille », le « chantier » est défini en ce qui concerne la construction comme « tout travail ou toute entreprise, ou tout bien‑fonds ou toute dépendance dont l’usage se rapporte à la construction » (par. 1(1)). De plus, bien qu’il soit possible pour une même personne de répondre à la définition de divers acteurs du lieu de travail, la législature ontarienne a décrété que, dans l’industrie de la construction, « [n]e devient pas pour autant constructeur le propriétaire qui n’a engagé les services d’un architecte, d’un ingénieur ou d’une autre personne que pour surveiller le contrôle de la qualité sur un chantier » (par. 1(3)).
[84]                        Une fois qu’il est établi qu’un acteur du lieu de travail répond à la définition pertinente énoncée au par. 1(1) de la Loi, il est nécessaire de déterminer ensuite quels devoirs s’appliquaient effectivement à lui au moment de l’infraction reprochée. La Loi énonce séparément les devoirs de chaque acteur d’un lieu de travail. Les principaux devoirs du constructeur sont énumérés au par. 23(1) de la Loi. Ils sont au nombre de trois :
                    23 (1) Sur le chantier qu’il a entrepris, le constructeur veille à ce que :
a)   les mesures et les méthodes prescrites par la présente loi et les règlements soient observées;
b)   les employeurs et les travailleurs qui exécutent un travail se conforment à la présente loi et aux règlements;
c)   la santé et la sécurité des travailleurs soient protégées.
[85]                        Quant aux employeurs, ils sont assujettis à divers devoirs énoncés aux art. 25 à 26 de la Loi. Ces devoirs comprennent la fourniture, le maintien en bon état et l’utilisation de matériel, de matériaux et d’appareils de protection (al. 25(1)a), b) et d)), la nomination de superviseurs compétents (al. 25(2)c)), la collaboration avec les comités sur la santé et la sécurité au travail (al. 25(2)e)), et la prise de toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur (al. 25(2)h)), pour n’en nommer que quelques‑uns. De plus, les employeurs sont tenus de se conformer aux règlements :
                    25 (1) L’employeur veille à ce que :
                    . . .
c)      les mesures et les méthodes prescrites soient observées dans le lieu de travail;
[86]                        Les « mesures et les méthodes prescrites » se trouvent dans divers règlements. Le présent litige met en cause le Règlement, qui renferme environ 400 dispositions portant sur tous les aspects d’un chantier de construction — allant de la tenue des lieux, du chauffage, du contrôle de la poussière et de la protection des passages publics, aux plateformes et rampes, escaliers et paliers, soudage et découpage, et excavations.
[87]                        Enfin, la Loi prévoit, au par. 66(3), une défense de diligence raisonnable applicable à un nombre limité de devoirs (semblable à la défense qui existe en common law) :
(3) La preuve, par l’accusé, que toutes les précautions raisonnables dans les circonstances ont été prises constitue un moyen de défense valable contre l’accusation selon laquelle il n’a pas respecté, selon le cas :
a)      le paragraphe 23(1);
b)      l’alinéa 25(1)b), c) ou d);
c)      le paragraphe 27(1).
Par conséquent, la personne accusée de ne pas avoir respecté le par. 23(1), l’al. 25(1)b), c) ou d), ou encore le par. 27(1), peut se défendre contre les accusations en démontrant qu’elle a pris « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances ».
B.            La définition d’« employeur » au par. 1(1)
[88]                        Les parties ont axé leurs arguments sur la définition d’« employeur » au par. 1(1) de la Loi. Dans les sections qui suivent, nous traiterons de l’interprétation de cette définition. La définition d’« employeur » au par. 1(1) vise deux grandes relations. Selon le premier volet, une personne répond à la définition d’« employeur » si elle emploie un ou plusieurs travailleurs. Selon le second volet, une personne est un employeur si elle loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs (R. c. Wyssen (1992), 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193 (C.A.), p. 196).
[89]                        La Cour d’appel a estimé qu’elle n’avait pas à examiner le second volet de la définition (au par. 15) parce qu’elle avait établi que la Ville était l’employeur des inspecteurs au contrôle de la qualité suivant le premier volet. En tout respect, nous croyons que les deux volets de la définition méritent un examen. Le fait qu’un acteur donné soit un employeur ne signifie pas qu’il est l’employeur de tous les travailleurs dans un lieu de travail ou un chantier, ce qui peut avoir une incidence sur l’étendue de ses responsabilités. En effet, en appliquant la Loi au présent pourvoi sur la base de notre méthode d’analyse, nous convenons avec la Cour d’appel que la Ville est l’employeur de ses inspecteurs selon le premier volet de la définition d’« employeur ». Cependant, selon le second volet de cette définition, la Ville n’est pas l’employeur des travailleurs qui ont été embauchés par Interpaving ou dont les services ont été loués par cette société. La relation entre la Ville et Interpaving reflète une relation propriétaire‑constructeur, et non une relation employeur‑travailleur.
(1)         Le premier volet est axé sur les relations d’emploi traditionnelles
[90]                        Le premier volet de la définition est respecté si une personne « emploie un ou plusieurs travailleurs » (par. 1(1)). Il est axé sur le contrat de travail (Wyssen, p. 197) et reflète la conception traditionnelle de la relation directe employeur‑employé (D. McKechnie, « Occupational Health and Safety in Construction Law », dans L. Ricchetti et T. J. Murphy, Construction Law in Canada (2010), 209, p. 211). De cette manière, son étendue est relativement simple : dès qu’une personne embauche un travailleur par contrat de travail, elle répond à la définition d’« employeur » selon le premier volet de la définition.
[91]                        À l’appui de son pourvoi, la Ville a renvoyé notre Cour aux décisions Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296, et R. c. EFCO Canada Co., 2010 ONCJ 421. Dans l’affaire Nor Eng, des travaux de réfection étaient effectués sur un pont lorsque l’extrémité sud du pont d’étagement s’est effondrée. Dans l’une des accusations, il était allégué qu’une firme d’ingénierie n’avait pas veillé, en tant qu’employeur, à ce que la structure de soutènement provisoire qu’elle s’était engagée à concevoir puisse supporter toutes les charges et forces auxquelles elle était susceptible d’être soumise, ou y résister (al. 31(1)a) du Règlement; al. 25(1)c) de la Loi). Le juge Renaud a admis avoir eu de la difficulté à [traduction] « faire relever la défenderesse de la définition d’“employeur” prévue à cet article » (par. 88 (CanLII)), parce que la firme d’ingénierie n’était aucunement capable de veiller à ce que les mesures soient observées. Il a souligné que la firme d’ingénierie était [traduction] « éloignée sur les plans géographique, temporel et contractuel de la situation au lieu de travail » et qu’elle « n’avait ni un contrôle suffisant ni quelque contrôle que ce soit sur la direction du lieu de travail pour être tenue aux obligations visées et créées par ce texte législatif » (par. 88‑89).
[92]                        De même, dans l’affaire EFCO, un pont en construction s’est effondré, blessant plusieurs travailleurs. Parallèlement à d’autres chefs, EFCO Canada Co. a été accusée de ne pas avoir veillé, en tant qu’employeur, à ce que ses ouvrages provisoires — les soutiens et renforts utilisés pour supporter la structure — puissent résister à toutes les charges (par. 87(1) du Règlement; al. 25(1)c) de la Loi). Le juge Rabley a statué qu’EFCO Canada Co. n’était pas un employeur au sens de la Loi au moment de la construction du pont. Ayant conclu que EFCO Canada Co. n’avait [traduction] « aucun contrôle sur le chantier » et que ses ouvrages provisoires avaient été installés par d’autres acteurs, il a repris l’analyse du juge Renaud dans la décision Nor Eng. Cette entreprise n’était donc pas un [traduction] « employeur dans la “sphère d’activités”, mais un fournisseur d’ouvrages provisoires » (par. 60 (QL, WL)).
[93]                        Dans ces deux affaires, les juges ont suggéré qu’une personne n’est pas un « employeur » si elle n’a aucun contrôle sur le lieu de travail en question. Nous refusons d’adopter une telle approche, parce qu’elle amalgame la définition d’« employeur » avec l’étendue des devoirs de l’employeur suivant l’al. 25(1)c). Une définition étroite du terme « employeur » soustrairait un acteur à toutes les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi, et non seulement à celles liées au lieu de travail. Comme l’a souligné la Workers’ Compensation Board de la Colombie‑Britannique, cela comprend plusieurs devoirs importants, comme les dispositions qui interdisent aux employeurs d’user de représailles contre les employés (art. 50 de la Loi; m. interv., par. 14). La législature n’a pu vouloir qu’un acteur soit soustrait à toutes ses responsabilités à l’égard des personnes qu’il embauche directement simplement parce qu’il ne contrôle pas le lieu de travail.
[94]                        De plus, le libellé de la définition d’« employeur » est expressément axé sur la relation d’un acteur avec des travailleurs. Il ne convient pas de la restreindre en tenant compte du lien de cet acteur avec un lieu de travail. Ce lien ne devient pertinent qu’à l’étape de la détermination des devoirs de l’employeur. Par conséquent, le premier volet de la définition est respecté lorsqu’il existe une relation d’emploi traditionnelle.
(2)         Le second volet élargit la définition d’« employeur »
[95]                        Le second volet de la définition concerne la personne qui « loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs » (par. 1(1)). Cela reflète la [traduction] « définition élargie » de l’employeur adoptée par la législature (McKechnie, p. 211). Un acteur est un employeur non seulement s’il emploie directement un ou plusieurs travailleurs, mais aussi s’il conclut un contrat pour louer les services de travailleurs (Wyssen, p. 196; Ontario (Ministry of Labour) c. Pioneer Construction Inc. (2006), 2006 CanLII 15621 (ON CA), 79 O.R. (3d) 641 (C.A.), par. 19). Dans l’arrêt Wyssen, le juge Blair a conclu que l’acteur qui engage un entrepreneur indépendant pour exécuter des tâches devient un employeur selon le second volet de la définition (p. 197‑198).
[96]                        L’arrêt Wyssen enseigne qu’il faut faire en sorte qu’un employeur ne puisse échapper à sa responsabilité de veiller à ce que son lieu de travail soit sécuritaire en raison d’une dénomination contractuelle, et un tel enseignement demeure valable de nos jours. Le second volet empêche des personnes de se soustraire à l’application de la Loi lorsqu’elles confient des travaux en sous‑traitance plutôt que d’engager directement des travailleurs par contrat de travail (Wyssen; Pioneer Construction, par. 19; R. c. Sunderland Co‑Operative, [1993] O.J. No. 4429 (QL), 1993 CarswellOnt 5741 (WL) (C.J. (Div. prov.)); Tembec Forest Products (1990) Inc. (Re), [1994] O.O.H.S.A.D. No. 3 (QL)). Il garantit ainsi que la substance de la relation employeur‑travailleur n’est pas déterminée par la manière dont elle est décrite dans le contrat. Cela est particulièrement important dans le domaine de la construction, car les arrangements de sous‑traitance et de louage de main‑d’œuvre sont depuis longtemps une caractéristique de cette industrie (R. Johnstone, C. Mayhew et M. Quinlan, « Outsourcing Risk? The Regulation of Occupational Health and Safety Where Subcontractors Are Employed » (2001), 22 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 351, p. 391).
[97]                        En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner de façon exhaustive l’éventail des relations contractuelles qui relèveraient du second volet, notamment dans le cas de chantiers de construction complexes. Il n’est pas non plus nécessaire de déterminer s’il faut exercer un certain degré d’autorité sur un travailleur pour être un employeur (voir, p. ex., Abarquez c. Ontario, 2009 ONCA 374, 95 O.R. (3d) 414, par. 33; Pioneer Construction, par. 19). Bien que le second volet soit large, nous reconnaissons qu’il n’englobe pas toutes les relations contractuelles qui lient indirectement un employeur et un travailleur.
[98]                        Toutefois, le présent pourvoi soulève la question suivante : le propriétaire qui retient les services d’un constructeur pour entreprendre un chantier devient‑il automatiquement l’employeur des travailleurs que le constructeur embauche ou dont il loue les services? L’arrêt Wyssen n’a pas répondu à cette question; en effet, les faits en cause dans cette affaire concernaient un entrepreneur qui, au lieu d’embaucher directement des travailleurs, avait confié un travail de nettoyage de fenêtres en sous‑traitance à un entrepreneur indépendant. Le juge Blair n’était pas tenu d’interpréter la répartition des devoirs entre les divers acteurs du lieu de travail, et il n’a pas examiné la relation propriétaire‑constructeur non plus. Contrairement à l’approche préconisée par notre collègue la juge Martin, nous sommes donc d’avis de répondre à la question par la négative (par. 18 et 22).
[99]                        Le libellé du second volet de la définition d’« employeur » renvoie au fait de « loue[r] les services [. . .] de [. . .] travailleurs ». Lorsqu’un propriétaire conclut un contrat avec un constructeur, il ne cherche pas à confier certaines tâches en particulier en sous‑traitance à un quelconque entrepreneur indépendant plutôt qu’à engager directement des travailleurs par contrat de travail; il demande plutôt à une entité d’assumer la surveillance et l’autorité absolues afin d’entreprendre l’ensemble du chantier. Le propriétaire loue les services d’un constructeur, un acteur défini séparément au par. 1(1). La relation propriétaire‑constructeur est donc une relation contractuelle particulière prévue par la Loi (R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149 (C.J. Ont.), par. 32). Cette relation reflète la réalité concrète de l’industrie de la construction, dans laquelle les propriétaires favorisent la sécurité en transférant la responsabilité aux constructeurs qui possèdent l’expertise pertinente. Le fait qu’un constructeur qui « fournit des services » puisse répondre à la définition strictement littérale du terme « travailleur » prévue par la Loi contredit la nature du constructeur en tant qu’entité qui surveille les travailleurs; il doit également, à notre avis, être concilié avec le choix délibéré de la législature d’établir une relation propriétaire‑constructeur distincte. Contrairement au point de vue exprimé par notre collègue la juge Martin (au par. 22), cette relation ne relève pas généralement du second volet de la définition d’employeur au par. 1(1) conformément à une règle interprétative de base — celle de l’« exception implicite » (specialia generalibus non derogant) — selon laquelle une disposition législative particulière l’emporte sur une disposition législative générale dans la mesure où elles entrent en conflit (R. Sullivan, Statutory Interpretation (3e éd. 2016), p. 327‑328).
[100]                     Cette interprétation du libellé du par. 1(1) est confirmée par le contexte législatif. La Loi est conçue précisément de façon à ce qu’un propriétaire puisse adopter une approche non interventionniste en ce qui concerne la surveillance du chantier par rapport au constructeur. Ce dernier « entreprend » le chantier, ce qui indique que l’autorité globale à l’égard du chantier, y compris la coordination en matière de santé et de sécurité, incombe au constructeur. Les propriétaires de chantier ont beaucoup moins de responsabilités, même en comparaison avec les propriétaires d’autres lieux de travail. Par exemple, bien que les propriétaires d’autres lieux de travail doivent veiller à ce que les installations prescrites soient fournies et entretenues et que le lieu de travail soit conforme aux règlements, ces devoirs ne s’appliquent pas aux propriétaires de chantiers (voir le par. 29(1) et l’art. 30). Il en est ainsi parce qu’en louant les services d’un constructeur, le propriétaire est habilité à renoncer au contrôle, de sorte qu’un autre acteur du lieu de travail peut assumer la responsabilité de la santé et de la sécurité globales (McKechnie, p. 214; C. A. Edwards et R. J. Conlin, Employer Liability For Contractors Under The Ontario Occupational Health and Safety Act (2e éd. 2007), p. 59; Grant Forest Products, par. 32).
[101]                     En fait, s’il essayait de conserver un rôle actif dans les activités sur le chantier, le propriétaire risquerait de devenir le constructeur lui‑même (Imperial Oil Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour) (1993), 10 C.O.H.S.C. 210 (Ont.), par. 13‑17). La Loi prévoit même une restriction pour faire en sorte que le propriétaire qui envoie des personnes chargées de surveiller le contrôle de la qualité ne devienne pas de ce fait un constructeur sur le chantier (par. 1(3)). Bien entendu, le propriétaire qui emploie des personnes pour exécuter cette tâche est un employeur à l’égard de ces travailleurs. Pourtant, la législature a senti le besoin de faire en sorte qu’il ne devienne pas ainsi un constructeur, et ce, en créant une restriction particulière. La Loi veille à faire en sorte que le propriétaire du chantier puisse toujours surveiller le contrôle de la qualité, sans être assujetti à de lourds devoirs à l’égard du chantier.
[102]                     En revanche, considérer le propriétaire d’un chantier comme étant automatiquement l’employeur des travailleurs que le constructeur embauche, ou dont il loue les services, selon le second volet de la définition d’employeur, minerait l’architecture du régime. Cela voudrait dire qu’en engageant un constructeur pour surveiller le chantier, le propriétaire se verrait confier des responsabilités l’obligeant à jouer un rôle actif dans l’ensemble de ce chantier — un rôle que la Loi a d’ailleurs cherché à lui éviter en lui permettant de conclure un contrat avec un constructeur. Contrairement aux devoirs du propriétaire de chantier, les devoirs de l’employeur envers ses travailleurs sont lourds. Par exemple, il doit fournir aux travailleurs des renseignements, des directives et de la surveillance (al. 25(2)a)), accorder son aide et sa collaboration à un comité mixte sur la santé et la sécurité au travail (al. 25(2)e)), formuler par écrit sa politique en matière de santé et de sécurité au travail (al. 25(2)j)), et jouer un rôle actif dans la prévention de la violence et du harcèlement (art. 32.0.1 à 32.0.8). Fait à noter, aucun de ces devoirs stricts n’est visé par la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3). Considérer que la relation propriétaire‑constructeur fait naître une relation employeur‑travailleur irait à l’encontre de la structure du régime.
[103]                     Enfin, préserver l’intégrité de la relation propriétaire‑constructeur dans l’interprétation du second volet de la définition d’employeur est conforme à l’objectif législatif. Pour atteindre l’objectif consistant à protéger la sécurité des travailleurs, la législature a défini les divers rôles sur le chantier et elle a soigneusement structuré la relation entre le propriétaire et le constructeur. Considérer la relation propriétaire‑constructeur comme une relation employeur‑travailleur nuit à l’efficacité de la loi parce que cela ne tient aucunement compte des différences entre ces deux relations sur le plan pratique et compromet les mécanismes distincts par lesquels elles favorisent la sécurité des travailleurs. Par conséquent, pour protéger la sécurité des travailleurs, nous cherchons à donner fidèlement effet à l’attribution des rôles et responsabilités déterminée par la législature.
[104]                     En somme, le second volet de la définition d’employeur est large, mais il ne transforme pas le propriétaire en employeur des travailleurs qui sont embauchés par le constructeur ou dont celui‑ci loue les services. Ayant examiné les deux volets de la définition d’« employeur » figurant au par. 1(1), nous nous penchons maintenant sur l’étendue des devoirs de l’employeur. La question qui se pose est celle de l’interprétation de l’al. 25(1)c) et du Règlement qui l’accompagne.
C.      Les devoirs de l’employeur en vertu de l’al. 25(1)c) et du Règlement
[105]                     Le Ministère fait valoir que, dès lors qu’un travailleur est présent sur le lieu de travail, son employeur est responsable de respecter toutes les mesures réglementaires en vertu de l’al. 25(1)c). Cela semble avoir été l’hypothèse inexprimée des juridictions inférieures (motifs de la C.J. Ont., par. 74; motifs de la C.A. Ont. (2021), par. 6). Cette interprétation signifie en fait que quiconque emploie toute personne est responsable de tout ce que fait toute personne. Il serait absurde de considérer que l’al. 25(1)c) et le Règlement obligent chaque employeur sur un chantier de construction à veiller au respect de toutes les mesures prévues dans le Règlement. Une telle interprétation n’est pas conforme au texte du Règlement lui‑même, à la structure de la Loi et à l’objectif de celle‑ci de protéger les travailleurs. Elle impose aux employeurs des obligations qui s’appliquent expressément à d’autres acteurs du lieu de travail, et elle fait abstraction de la distinction que la législature a établie avec soin entre un « chantier » et un « lieu de travail », comme le confirment les définitions de ces termes au par. 1(1) de la Loi.
[106]                     Dans les sections qui suivent, nous expliquons premièrement que l’al. 25(1)c) oblige les employeurs à se conformer aux mesures qui s’appliquent à eux. Deuxièmement, nous énonçons le lien requis pour que des mesures particulières prévues par le Règlement s’appliquent à un employeur lorsque celles‑ci ne précisent pas par ailleurs à qui elles s’appliquent. Ce faisant, nous n’introduisons pas dans l’al. 25(1)c) une « exigence de contrôle », ainsi que le suggère notre collègue la juge Martin (par. 35). Notre interprétation de l’al. 25(1)c) reconnaît simplement que ce devoir n’oblige pas les employeurs à veiller au respect de mesures qui ne s’appliquent pas effectivement à eux. Nous portons une attention particulière au texte, au contexte et à l’objet du Règlement, et nous reconnaissons que lorsqu’une mesure ne précise pas qui est censé assurer son respect, il doit exister un lien fonctionnel entre la mesure et l’employeur : la mesure doit avoir un lien avec les travaux que l’employeur a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs.
(1)         L’alinéa 25(1)c) oblige les employeurs à se conformer aux mesures qui s’appliquent à eux
[107]                     L’alinéa 25(1)c) fait partie d’une liste de devoirs qui est introduite par les mots « veille à ce que ». Chaque alinéa complète ensuite la phrase. L’emploi du verbe « veiller », suivi des devoirs à accomplir, fait ressortir le principe de responsabilité stricte imposée aux employeurs (Legislature of Ontario Debates : Official Report (Hansard) — Daily Edition, no 151, 2e sess., 31e lég., 14 décembre 1978, p. 6187; voir aussi Timminco, par. 26). Parmi ces devoirs, il est prévu que l’employeur veille à ce que « les mesures et les méthodes prescrites soient observées dans le lieu de travail » (al. 25(1)c)).
[108]                     L’alinéa 25(1)c) impose le devoir de se conformer aux mesures et aux méthodes prescrites. Par conséquent, c’est en raison de l’al. 25(1)c) que les dispositions du Règlement qui s’appliquent à l’employeur deviennent obligatoires pour celui‑ci. Le mot prescrit est défini ainsi : « Prescrit par un règlement pris en application de la présente loi » (par. 1(1)). En ce sens, l’al. 25(1)c) reflète la fonction secondaire de la Loi, à titre de loi habilitante, en imposant un devoir de se conformer à d’autres dispositions des règlements visant des industries en particulier (R. c. Campbell, [2004] O.J. No. 129 (QL), 2004 CarswellOnt 116 (WL) (C.J.), par. 32‑34, conf. par (2006), 2006 CanLII 5449 (ON SC), 140 C.R.R. (2d) 143 (C.S.J.)).
[109]                     Bien que cela ne soit pas mentionné expressément, il est évident que l’expression « les mesures et les méthodes prescrites » ne saurait viser toutes les mesures prévues par le Règlement, puisque de nombreuses dispositions ne renvoient expressément qu’à des acteurs tels les constructeurs ou les travailleurs. Par exemple, les par. 21(2) et 67(4) du Règlement prévoient respectivement, de manière explicite, que « [l]’employeur des travailleurs doit exiger de ces derniers qu’ils se conforment au paragraphe (1) [concernant les appareils, vêtements et dispositifs de protection] », et que « [l]’employeur doit décrire par écrit et mettre en œuvre un programme de protection des travailleurs [. . .] contre la circulation ». Il serait absurde qu’une entreprise d’excavation ayant fourni l’équipement de sécurité nécessaire à ses propres travailleurs soit tenue responsable si une entreprise de soudure de l’autre côté du chantier omet de fournir des gants à ses travailleurs, ou qu’un employeur ait la responsabilité de veiller à ce que tous les autres employeurs aient établi leurs propres programmes de circulation. De nombreuses dispositions réglementaires précisent à qui elles s’appliquent, et l’al. 25(1)c) devrait être interprété de manière cohérente afin de coïncider avec cette méthode de rédaction (R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 8.04[3]). La législature n’avait clairement pas l’intention d’exiger de l’employeur qu’il « veille » au respect d’obligations qui concernent seulement d’autres acteurs du lieu de travail.
[110]                     Il s’ensuit simplement que l’al. 25(1)c) oblige l’employeur à se conformer aux mesures qui s’appliquent effectivement à lui. Cela peut sembler évident, mais il est nécessaire de l’affirmer parce que l’interprétation de la Loi par le Ministère ne fait en réalité aucune distinction entre les mesures prévues par le Règlement qui s’appliquent à un employeur en particulier et celles qui ne s’appliquent pas à lui. Nous allons maintenant examiner le Règlement, car, à la lumière de ce qui précède, il est important de déterminer dans quelles circonstances une mesure réglementaire particulière s’applique à un employeur.
(2)     Le Règlement s’applique aux travaux de l’employeur s’il existe un lien entre la mesure et l’employeur
a)            Le texte du Règlement
[111]                     Dans le contexte de la construction, des centaines de mesures figurent dans le vaste Règlement. Comme l’al. 25(1)c) rend responsable l’employeur qui omet de veiller au respect des mesures qui s’appliquent à lui, il est essentiel de déterminer quelles mesures dans le Règlement sont applicables, en gardant à l’esprit la relation de l’employeur avec ses travailleurs.
[112]                     Certaines mesures réglementaires indiquent expressément à qui elles s’appliquent. Par exemple, le par. 140(1) énumère certaines exigences applicables à l’« employeur qui utilise un[e] [. . .] plateform[e] de travail suspendu[e] ». De même, l’art. 21 prévoit que les travailleurs doivent porter des vêtements de protection et que l’« employeur des travailleurs » est chargé d’exiger de ces derniers qu’ils se conforment à cette exigence. En ce qui concerne ces mesures, le lien requis pour qu’elles s’appliquent est clair et aucune autre analyse n’est nécessaire.
[113]                     Cependant, la majorité des mesures n’indique pas qui en est responsable. Elles sont plutôt rédigées sous la forme de mesures de sécurité qui doivent être mises en œuvre, sans qu’il soit précisé qui doit les mettre en œuvre. Les mesures en litige dans la présente affaire appartiennent à cette catégorie :
                    65. Si les travaux du chantier peuvent mettre en danger une personne qui emprunte un passage public, une clôture solide d’au moins 1,8 mètre de hauteur doit être aménagée entre le passage public et le chantier.
                    104. . . .
                    (3) Un signaleur doit aider le conducteur d’un véhicule, d’une machine et d’un appareil dans l’un ou l’autre des cas suivants :
1.      Le conducteur n’a qu’une vue partielle de la trajectoire prévue.
2.      Le véhicule, la machine ou l’appareil, ou sa charge, risque de mettre une personne en danger.
[114]                     À ce stade, le problème suivant se pose : l’al. 25(1)c) impose à l’employeur le devoir d’observer les mesures qui s’appliquent à lui; toutefois, le libellé de nombreuses mesures prévues par le Règlement est ambigu quant à savoir à qui elles s’appliquent. Par exemple, l’art. 65 et le par. 104(3) pourraient paraître muets à première vue sur le lien qui doit exister entre la mesure et les travaux de l’employeur pour que ces dispositions s’appliquent à lui en vertu de l’al. 25(1)c). Cependant, ce problème s’atténue lorsqu’on interprète le Règlement à la lumière du contexte et de l’objet du régime global. En effet, interpréter une disposition législative dans son contexte signifie que les dispositions qui l’entourent ainsi que toute autre disposition pertinente doivent être prises en compte (United Independent Operators, par. 57).
[115]                     En clair, une mesure prévue par le Règlement s’applique à un employeur si elle a un lien avec les travaux que celui‑ci a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Autrement, les employeurs n’auraient aucun moyen de veiller à ce que la mesure en question soit respectée, et celle‑ci n’aurait aucun lien avec les tâches de leurs travailleurs. La structure du Règlement, le partage des rôles dans le contexte de la construction, le lien avec les autres devoirs de l’employeur, l’objectif de protection des travailleurs ainsi que la présomption contre l’absurdité commandent une telle approche.
b)            La structure du Règlement et de la Loi
[116]                     Le Règlement est organisé en rubriques liées à des activités de travail particulières. À titre d’exemple, les divisions du Règlement comprennent les « Échafaudages et plateformes de travail » (art. 126 à 136.0.1), les « Toitures » (art. 207 à 210) et le « Matériel utilisé dans un tunnel » (art. 309 à 316), ou encore, dans les exemples donnés précédemment, la « Protection des passages publics » et les « Dispositions générales relatives au matériel », respectivement. Cette division catégorise les centaines de mesures en fonction des activités et du matériel inhérents à un chantier de construction. La teneur des mesures individuelles reflète aussi un examen minutieux des situations dans lesquelles un risque pour la sécurité est susceptible de se présenter et impose des mesures de sécurité en conséquence afin de favoriser la sécurité des travailleurs en pratique. Dans la plupart des cas, les travaux de l’employeur ne seront liés qu’à certaines de ces mesures, contrairement à ce qu’il en est pour le constructeur, qui « entreprend » la totalité du chantier (par. 1(1) de la Loi) et qui veille à ce que « la santé et la sécurité des travailleurs soient protégées » (al. 23(1)c) de la Loi). Dans les exemples donnés plus haut, ce ne sont pas tous les aspects d’un chantier qui impliquent des travaux à proximité d’un passage public; toutefois, lorsqu’un certain nombre d’employeurs contrôlent des travaux qui sont exécutés par leurs travailleurs à proximité d’un passage public, ils partagent la responsabilité de veiller à ce qu’une clôture soit aménagée. De même, sur un chantier donné, ce ne sont pas tous les employeurs qui réalisent des travaux nécessitant l’utilisation de véhicules, de machines ou d’appareils, mais tous ceux à qui sont confiés de tels travaux sont visés par le par. 104(3) du Règlement. La formulation du Règlement reflète la réalité concrète des travaux sur un chantier ainsi que la manière de protéger la sécurité des travailleurs sur le terrain. Cette structure indique que les mesures prévues par le Règlement s’appliquent aux employeurs dont les travaux sont réellement liés à leur teneur.
[117]                     Cette interprétation n’est pas propre à l’Ontario. Au Québec, le code réglementaire correspondant en matière de santé et de sécurité au travail présente une méthode de rédaction semblable, et les tribunaux sont arrivés à une interprétation semblable : lorsqu’une mesure ne s’adresse pas un acteur particulier du lieu de travail, « on doit considérer qu’elle s’adresse à toutes les personnes présentes sur un chantier de construction qui sont susceptibles, d’après la nature ordinaire de leurs activités, de commettre l’infraction dont il s’agit, sur la base de leur relation fonctionnelle avec l’objet de la disposition » (Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec c. Acier AGF Inc., 2001 CanLII 12761 (T.T. Qc), par. 17, citant Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Poudrier et Boulet Ltée, [1982] AZ‑83147017 (T.T. Qc); voir aussi B. Cliche et autres, Droit de la santé et de la sécurité au travail : La loi et la jurisprudence commentées (3e éd. 2018)). Cette approche fonctionnelle reflète une interprétation appropriée de la rédaction réglementaire dans le contexte de la construction : lorsqu’une mesure a un lien avec les travaux contrôlés par un ou plusieurs employeurs et exécutés par l’entremise de leurs travailleurs, chacun de ces employeurs est à même de prendre des dispositions pour éviter des violations et répondre à tout risque pour la sécurité.
[118]                     La nécessité d’un lien entre une mesure et un employeur a aussi été reconnue dans d’autres contextes sous le régime de la Loi. Par exemple, dans l’arrêt Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321, la Cour d’appel a interprété l’obligation d’information prévue au par. 51(1) de la Loi, qui oblige l’employeur à aviser divers acteurs si « une personne est tuée ou gravement blessée de quelque façon que ce soit dans le lieu de travail ». Le juge Blair a reconnu qu’une interprétation purement textuelle de la disposition aurait imposé à l’employeur une obligation d’information à l’égard d’événements non liés à ses travaux. Il a adopté une approche fonctionnelle basée sur l’existence d’un [traduction] « lien raisonnable » afin de déterminer adéquatement quels employeurs seraient responsables de l’obligation d’information et il a conclu que « [d]’un point de vue “contextuel” et “téléologique” [. . .] le par. 51(1) n’entre en jeu que s’il existe un lien raisonnable entre le danger à l’origine de la blessure et un risque réaliste pour la sécurité des travailleurs » (par. 49 (nous soulignons)). Les arrêts Wyssen et Blue Mountain Resorts doivent être lus ensemble. Dans Wyssen, la définition d’« employeur » a été interprétée conformément à l’intention de la législature d’assujettir divers types d’employeurs à la Loi dans son ensemble. Dans Blue Mountain Resorts, la cour a examiné dans quelles circonstances le devoir prévu au par. 51(1) s’appliquait à un employeur donné sur une base fonctionnelle, en mettant l’accent sur ce devoir en particulier et en donnant ainsi effet à l’intention de la législature. La même méthode d’interprétation découle du Règlement en l’espèce.
c)            Le partage des rôles établi par la Loi dans le contexte de la construction
[119]                     Comme son titre l’indique (Chantiers de construction), le Règlement est conçu pour le contexte de la construction. La Loi a établi la répartition particulière des devoirs entre les acteurs sur un chantier de construction, ce qui constitue un contexte important pour l’interprétation de l’applicabilité des dispositions réglementaires. En effet, pour respecter les sphères d’activités distinctes de l’employeur et du constructeur prévues par la Loi, il est nécessaire d’établir un lien entre une mesure et un employeur.
[120]                     Un chantier de construction est un type de lieu de travail unique faisant intervenir un partage des rôles particulier. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le constructeur entreprend le chantier et il joue donc un rôle unique de filet de sécurité pour les travailleurs en assumant une responsabilité globale à l’égard du chantier et de l’ensemble des travailleurs (Ontario (Ministry of Labour) c. Black & McDonald Ltd., 2011 ONCA 440, 106 O.R. (3d) 784, par. 12; R. c. K.B. Home Insulation Ltd., [2008] O.J. No. 6019 (QL), 2008 CarswellOnt 10891 (WL) (C.J.), par. 18; R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL) (C.J. (Div. prov.)), par. 33). Dans le cas d’un chantier de construction complexe où il y a de nombreux employeurs, la Loi confère au constructeur la responsabilité de coordonner les travaux dans l’ensemble du chantier. Comme le Ministère l’a lui‑même reconnu dans ses Lignes directrices : Sens à donner au terme « constructeur », « [l]’objectif de la [Loi] est de donner à une personne l’autorité globale concernant les questions de santé et de sécurité sur un chantier. Cette personne est le constructeur du chantier » (11 février 2022 (en ligne) (caractères gras omis)). En comparaison, l’employeur est investi d’une tâche particulière sur le chantier; il contribue de façon essentielle à la sécurité des travailleurs en s’assurant que leurs travaux respectent les mesures applicables. Suivant une interprétation correcte, les employeurs ont des obligations distinctes, mais qui se chevauchent, coordonnées par le constructeur chargé de surveiller tous les employeurs.
[121]                     Le constructeur est chargé de veiller à ce que tous les employeurs respectent leurs obligations :
                    23 (1) Sur le chantier qu’il a entrepris, le constructeur veille à ce que :
a)      les mesures et les méthodes prescrites par la présente loi et les règlements soient observées;
b)      les employeurs et les travailleurs qui exécutent un travail se conforment à la présente loi et aux règlements;
c)      la santé et la sécurité des travailleurs soient protégées.
[122]                     Le rôle de surveillance absolu du constructeur est clairement énoncé dans cette disposition; le constructeur est expressément tenu de veiller à ce que les employeurs se conforment à la Loi et au Règlement. De plus, ce devoir s’applique à l’ensemble du « chantier »; on emploie ainsi ici des termes propres au domaine de la construction, contrairement à la formulation générale qu’on utilise pour énoncer les devoirs de l’employeur dans le lieu de travail à l’art. 25. Le libellé de l’al. 23(1)b) diffère considérablement de celui employé pour les devoirs prévus aux al. 23(1)a) et 25(1)c), puisqu’il exige que les constructeurs veillent au respect de devoirs et de mesures réglementaires susceptibles de s’appliquer uniquement à d’autres acteurs du lieu de travail.
[123]                     L’alinéa 25(1)c) impose aux employeurs le devoir d’observer les dispositions réglementaires prescrites qui s’appliquent à eux; il n’y a pas de devoir de l’employeur qui correspond à l’al. 23(1)b). Considérer que des mesures particulières dans le Règlement s’appliquent toujours à tous les employeurs plutôt qu’uniquement à ceux ayant un lien avec celles‑ci minerait les distinctions entre l’al. 23(1)b) et l’al. 25(1)c). Une telle interprétation du Règlement rendrait chaque employeur responsable de tout en vertu de l’al. 25(1)c) et transformerait effectivement cette disposition en un devoir semblable à celui prévu à l’al. 23(1)b) malgré son libellé distinct. Les mesures prescrites dans le Règlement doivent être interprétées d’une façon qui tient compte de la distinction qui existe entre les employeurs et les constructeurs. Pour ce faire, il faut reconnaître qu’une mesure s’applique à un employeur lorsqu’il existe un lien entre celle‑ci et les travaux de l’employeur.
[124]                     En outre, il convient de rappeler que les obligations d’un employeur s’étendent au‑delà de l’al. 25(1)c) et des mesures réglementaires qui s’appliquent directement à lui. On ne peut interpréter la Loi et le Règlement en adoptant une vision étroite, car l’al. 25(1)c) et les mesures réglementaires qui s’y rattachent ne constituent qu’un des nombreux mécanismes destinés à protéger la sécurité des travailleurs. Entre autres devoirs, l’al. 28(1)d) oblige tout travailleur à « signale[r] à l’employeur ou au superviseur toute infraction à la présente loi ou aux règlements ou l’existence de tout risque dont il a connaissance ». Suivant l’al. 25(2)h), l’employeur a aussi le devoir de « prend[re] toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur ». Par conséquent, ces dispositions peuvent exiger de l’employeur qu’il prenne des moyens pour répondre, outre à des risques pour la sécurité qui ne sont pas mentionnés dans le Règlement, à des violations et à des dangers qui, normalement, ne seraient pas visés par l’al. 25(1)c), mais qui lui ont été signalés et qu’il pourrait porter à l’attention des employeurs qui en ont effectivement le contrôle en vertu de l’al. 25(1)c). Fait important, cependant, l’al. 25(2)h) constitue une obligation de moyens; c’est au regard de cette disposition, plutôt que par une interprétation décontextualisée et sans limites de l’al. 25(1)c), qu’il convient d’analyser de telles situations.
[125]                     Enfin, nous soulignons que ce n’est pas parce que la définition d’« employeur » est large que chaque mesure réglementaire s’applique nécessairement à tous. Comme nous l’avons expliqué, la définition d’« employeur » au par. 1(1) fait en sorte que des entités sont assujetties à divers devoirs substantiels et procéduraux prévus par la Loi — et l’al. 25(1)c) n’est qu’un d’entre eux. Chacun de ces devoirs remplit une fonction distincte dans la réalisation de l’objectif du régime législatif. Par conséquent, et contrairement à l’interprétation donnée au régime par notre collègue la juge Martin (au par. 36), il ne s’ensuit pas que chaque mesure réglementaire est tout aussi large et doit s’appliquer à tous les employeurs simplement parce que la définition d’« employeur » a une portée étendue; l’arrêt Blue Mountain Resorts étaye notre point de vue. Ces devoirs doivent plutôt être interprétés dans leur contexte de manière à favoriser la réalisation des objectifs de la législature en pratique. Notre interprétation fonctionnelle et contextuelle de l’al. 25(1)c) et du Règlement permet d’atteindre ce but.
d)            L’objectif du Règlement et de la Loi
[126]                     Les tribunaux devraient aborder le texte de la loi et du règlement « de la manière qui reflète le mieux les objets qui [. . .] sous‑tendent [la loi]. Ce raisonnement découle de l’obligation qui incombe aux tribunaux d’interpréter les mots d’une loi d’une façon qui s’harmonise avec son objet et avec l’intention du législateur » (British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795, par. 50). L’interprétation adoptée dans les présents motifs est celle qui favorise le mieux la réalisation des objectifs de la Loi. Protéger la sécurité des travailleurs revêt une importance cruciale; la question est de savoir comment la législature a choisi d’atteindre ce but. Le Ministère propose une interprétation débridée des devoirs de l’employeur et se contente d’affirmer que cela favorise les objectifs de bien‑être public de la Loi. Cependant, une simple affirmation de la sorte ne devrait pas être acceptée sans réserve. Il est loin d’être clair que le fait de rendre chaque employeur responsable des actes de tous les autres employeurs dans l’exécution de l’ensemble des obligations réglementaires améliore de façon significative la sécurité des travailleurs. Au contraire, notre interprétation reflète une approche mesurée et pratique qui est pleinement conforme aux objectifs de la législature et qui favorise le mieux la sécurité des travailleurs sur un chantier. Nous nous attachons ci‑après à la sécurité des travailleurs dans la perspective du chevauchement et de la coordination des devoirs dans l’ensemble d’un chantier, de l’approche « de la ceinture et des bretelles » et de l’administration du régime.
[127]                     Premièrement, notre interprétation de l’al. 25(1)c) de la Loi ainsi que du Règlement donne effet au concept de chevauchement des responsabilités. Comme les activités des travailleurs sous le contrôle de chacun des employeurs se chevauchent souvent sur les chantiers de construction complexes, il en va de même pour les mesures qui s’appliquent aux employeurs en question en vertu de l’al. 25(1)c). Par exemple, lorsque plusieurs entrepreneurs envoient leurs travailleurs respectifs sur un échafaudage, ils sont chacun responsables de la sécurité de celui‑ci en vertu des art. 126 à 136.0.1 du Règlement (voir, p. ex., R. c. Structform International Ltd., [1992] O.J. No. 1711 (QL), 1992 CarswellOnt 2751 (WL) (C.J. (Div. gén.)), par. 6). Fait important, d’autres employeurs peuvent également être assujettis à des devoirs en application d’autres dispositions de la Loi (voir, p. ex., l’al. 25(2)h)). La distinction cruciale est que le chevauchement a une base fonctionnelle, compatible avec les travaux que les employeurs ont contrôlés et exécutés par l’entremise de leurs travailleurs respectifs. Les employeurs dont les travaux n’ont aucun lien avec la mesure réglementaire en cause ne seront pas arbitrairement traduits devant les tribunaux pour qu’ils défendent leurs actes en cas d’accident ou d’événement. De façon similaire, même si l’autorité absolue du constructeur sur l’ensemble d’un chantier chevauchera les devoirs incombant aux employeurs dans leur sphère respective d’activité, l’étendue des devoirs respectifs des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail se fondera fonctionnellement sur les travaux que ces derniers ont contrôlés et exécutés par l’entremise de leurs travailleurs.
[128]                     Une telle conception du chevauchement des responsabilités s’accorde avec l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire West Fraser Mills Ltd. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635. En examinant la décision rendue par la Workers’ Compensation Board de la Colombie‑Britannique, la juge en chef McLachlin a écarté une méthode d’interprétation d’une disposition sur la santé et la sécurité au travail qui aurait eu pour effet de tenir un seul employeur responsable alors que plusieurs l’étaient dans un « faisceau complexe d’interactions » (par. 44). Suivant l’interprétation proposée de l’al. 25(1)c) et du Règlement, les employeurs engagés dans un faisceau d’interactions par l’entremise de leurs travailleurs seront responsables en application de l’al. 25(1)c), puisque les mesures réglementaires auront clairement un lien avec les travaux de chacun. Notre approche est donc semblable à l’interprétation dominante dans West Fraser Mills, laquelle reposait sur l’existence d’un « lien factuel entre, d’une part, [l]es activités [de West Fraser Mills] et ses choix en tant qu’employeur de personnes censées surveiller le lieu de travail et, d’autre part, l’accident survenu » (par. 38).
[129]                     Bien qu’il se dise en principe favorable au concept de chevauchement des obligations, le Ministère propose effectivement d’assujettir les employeurs à des obligations ayant la même portée, en ne tenant pas compte des activités sous leur contrôle dans l’ensemble du chantier. Cette approche préconise une interprétation qui [traduction] « va bien au‑delà du champ d’application légitime de la Loi et du rôle de contrôle que le ministère a raisonnablement besoin de jouer pour favoriser la réalisation de l’objectif certes important de protéger la santé et la sécurité des travailleurs dans le lieu de travail » (Blue Mountain Resorts, par. 4; voir aussi les par. 26‑27).
[130]                     Deuxièmement, l’interprétation du Règlement donnée dans les présents motifs met pleinement en œuvre l’approche « de la ceinture et des bretelles ». Le but d’un système « de la ceinture et de bretelles » est de créer une protection significative en pratique. Par conséquent, [traduction] « si la “ceinture” ne permet pas de protéger le travailleur, le système auxiliaire des “bretelles” pourrait y parvenir, ou vice versa » (Enbridge, par. 24). Cependant, s’il n’existe aucun lien entre la mesure et les travaux de l’employeur, l’employeur ne peut tenir lieu de bretelles efficaces. De plus, si tout le monde est responsable de tout, il est difficile pour un employeur donné de savoir lesquelles, parmi les centaines de mesures réglementaires, il est chargé de surveiller. L’applicabilité de chaque mesure est, essentiellement, déterminée après coup par l’utilisation que fait le Ministère du pouvoir de poursuite discrétionnaire. De toute évidence, le problème que pose cette approche est que, si les employeurs ne savent pas qui fait office de ceinture ou de bretelles, le système de sécurité ne peut pas fonctionner du tout et mène à la confusion. Imposer des mesures prévues par le Règlement à des employeurs qui n’ont aucun lien avec les travaux en cause ajoute un nombre indéterminé de bretelles illusoires : ces bretelles donnent un faux sentiment de sécurité accrue, mais, en réalité, elles ne font qu’augmenter le risque juridique auquel sont exposés des acteurs du lieu de travail qui n’ont aucun lien avec ces mesures et qui n’étaient pas à même de veiller à leur respect. L’approche « de la ceinture et des bretelles » est mise en œuvre de manière optimale lorsque les [traduction] « redondance[s] » — mot employé par la juge Bellamy dans la décision Enbridge — existent entre les employeurs ayant un lien réel avec la mesure en cause (par. 24). Ces devoirs de l’employeur coexistent avec les devoirs distincts, mais chevauchants, du constructeur et d’autres acteurs du lieu de travail.
[131]                     En clair, tenir responsables des employeurs qui n’ont aucun contrôle ne contribue en rien à améliorer la sécurité des travailleurs — c’est précisément cette absence de contrôle qui les rend incapables d’observer la mesure réglementaire. Bien que le contexte législatif et de droit administratif fût différent dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, notre Cour a fait référence à l’idée plus générale selon laquelle, en pratique, « [u]ne interprétation imposant à l’employeur une obligation dont il ne peut s’acquitter ne favoriserait aucunement la réalisation de l’objectif consistant à prévenir les accidents et les maladies » (par. 59).
[132]                     Troisièmement, des responsabilités illimitées entraînent la confusion et un manque de coordination sur un chantier de construction. Si chaque employeur est responsable de tout et a des devoirs envers des acteurs non liés, la sphère de responsabilité de chacun d’eux devient floue. En effet, il va sans dire que lorsqu’un trop grand nombre d’acteurs du lieu de travail partagent un trop grand nombre de responsabilités identiques, il y a forcément confusion quant aux cas dans lesquels ces acteurs doivent répondre à l’appel du devoir et à la manière dont ils doivent le faire. Cette situation peut occasionner des chevauchements et un risque de directives contradictoires (Ontario (Health and Long‑Term Care, Land Ambulance Programs) c. Canadian Union of Public Employees, Local 2974.1, 2010 CanLII 11302 (C.R.T. Ont.), par. 83). Par exemple, des problèmes de sécurité pourraient surgir si plusieurs employeurs n’ayant aucun lien avec le devoir ni aucune expertise dans le domaine cherchaient à imposer leur propre interprétation d’une procédure de sécurité particulière à l’égard d’autres travailleurs. Subsidiairement, des devoirs illimités peuvent conduire à de la négligence si chaque employeur tient pour acquis que les devoirs auxquels tous les employeurs sont tenus auront été remplis par quelqu’un d’autre. Espérer que la défense de diligence raisonnable incite les parties à remédier à ce problème va à l’encontre du fait qu’interprété correctement, l’al. 25(1)c) ne devrait pas créer ce problème. Notre méthode d’interprétation aide plutôt à éviter de tels problèmes en clarifiant le lien nécessaire pour qu’une mesure s’applique à un employeur.
[133]                     Comme nous l’avons expliqué, la Loi vise à protéger efficacement la santé et la sécurité des travailleurs (Hamilton (City), par. 16; Timminco, par. 22; Bondfield, par. 59). Obliger les employeurs à se concentrer sur le respect des mesures réglementaires liées aux travaux qu’ils contrôlent favorise la réalisation de cet objectif. Inversement, cet objectif est contrecarré lorsqu’on impose des devoirs illimités qui finissent par occulter les domaines dans lesquels un employeur peut changer concrètement les choses. Si l’on rend chaque employeur également responsable de tout, il devient plus difficile pour les travailleurs et d’autres acteurs du lieu de travail de savoir quels employeurs particuliers devraient prendre l’initiative, ou de solliciter une réponse uniforme chez les employeurs. Cela compromet l’efficacité du système de responsabilité interne, qui était au cœur de la réforme de la Loi (voir, p. ex., R. Fidler, « The Occupational Health and Safety Act and the Internal Responsibility System » (1986), 24 Osgoode Hall L.J. 315). Un tel résultat ne favorise pas la sécurité des travailleurs; il la met en péril. En revanche, l’interprétation proposée dans les présents motifs clarifie les devoirs de chaque employeur en ce qui concerne leurs activités de travail. Elle donne également une latitude significative au constructeur pour qu’il puisse coordonner les activités respectives des employeurs et ainsi maximiser la sécurité des travailleurs. Une interprétation pratique de la façon dont le Règlement est relié à l’al. 25(1)c) assure la meilleure protection de l’objectif du régime et reconnaît la façon dont celui‑ci « fonctionne concrètement » (West Fraser Mills, par. 41).
[134]                     Il est vrai que la législature a imposé des infractions de responsabilité stricte afin d’accroître l’efficacité administrative. Cependant, le fait que le Ministère n’est pas tenu de prouver la mens rea ne signifie pas qu’il peut porter des accusations contre quiconque relativement à toute disposition du Règlement; il s’agit là de deux questions distinctes. En outre, décider si une mesure prévue dans le Règlement s’applique à un employeur conformément à notre interprétation n’est pas une lourde tâche et a donc peu d’incidence sur l’efficacité du travail du Ministère. Comme nous l’expliquons plus loin, pour déterminer quelles mesures s’appliquent à quels employeurs, les tribunaux doivent simplement se demander ceci : quels sont les travaux que l’employeur est chargé d’entreprendre sur le chantier de construction? En ce sens, il s’agit d’examiner la répartition des tâches sur le chantier ainsi que les travaux effectivement exécutés par les travailleurs de l’employeur. C’est une question fondamentale qui devrait se poser lors de l’enquête menée par le Ministère sur un accident ou événement. Elle devrait servir de base pour déterminer contre qui le Ministère porte des accusations. Considérée globalement, notre interprétation favorise les objectifs du régime tout en protégeant l’intégrité de sa structure.
e)            Absurdité et intention législative
[135]                     Selon un principe bien établi, la législature ne peut vouloir de conséquences absurdes. C’est ce qui se produit si une interprétation « mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif » (Rizzo, par. 27).
[136]                     L’interprétation large préconisée par le Ministère en ce qui concerne les devoirs de l’employeur ne tient aucunement compte de ce principe et mène à une absurdité. Si l’on appliquait cette interprétation dans un contexte de construction, la vaste majorité des devoirs que l’al. 25(1)c) impose à l’employeur n’auraient aucun lien avec ses travaux et seraient impossibles à remplir pour l’employeur, mais pourraient tout de même donner lieu à des accusations contre celui‑ci. Trois exemples suffisent à démontrer les résultats absurdes auxquels aboutirait l’interprétation du Ministère.
[137]                     Examinons premièrement le cas de l’entreprise qui fournit des services de traiteur sur un grand chantier de construction et qui offre des services de mets et de boissons à divers lieux de repos. Bien que cette entreprise emploie des traiteurs sur le chantier et qu’elle ait un contrôle sur les tâches de restauration, elle est étrangère à la plupart des opérations sur le chantier de construction. Pourtant, selon l’approche du Ministère, si une grue à tour était montée près de l’endroit où le traiteur exerce ses activités et qu’elle ne comportait pas d’interrupteurs automatiques de fin de course (par. 160(1) du Règlement), des accusations pourraient être portées contre l’entreprise de restauration, l’actus reus serait établi et l’entreprise de restauration aurait le fardeau d’établir une défense. Il est absurde de soumettre un employeur comme l’entreprise de restauration à ce processus. Dans un grand chantier où il y a de nombreux employeurs, de telles absurdités se multiplieraient.
[138]                     Deuxièmement, le groupe d’intervenants, dont la municipalité régionale de York, cite l’exemple suivant. Une municipalité donne le feu vert à la construction d’un réseau ferroviaire et conclut un contrat avec un constructeur. Elle envoie sur place un inspecteur de l’assurance de la qualité pour qu’il vérifie si les feux ont été installés conformément au contrat. Si un problème électrique cause un accident de l’autre côté de la gare, la municipalité aura enfreint l’al. 25(1)c), selon l’interprétation du Ministère, simplement parce que son employé était présent sur les lieux. De plus, suivant l’interprétation de la Loi que propose le Ministère, la municipalité sera dissuadée d’envoyer des inspecteurs — qui pourraient par ailleurs améliorer le chantier — par crainte d’être tenue responsable de toutes les mesures réglementaires visées par la Loi, aussi faible que puisse être le lien entre les mesures et les activités des inspecteurs. Il est certain qu’un résultat aussi absurde ne favorise pas la réalisation de l’objectif législatif de protéger les travailleurs.
[139]                     Troisièmement, on peut facilement imaginer le cas du propriétaire d’une maison qui a conclu un contrat avec un constructeur pour faire réparer le grenier, mais qui engage une personne de l’extérieur pour qu’elle vérifie si le chantier se déroule conformément aux normes de conception architecturale. Si, le même jour, un des sous‑traitants du constructeur tombe d’une échelle qui n’était pas conforme aux prescriptions réglementaires (voir l’art. 80 du Règlement), le propriétaire devrait‑il être tenu responsable dès le moment où il a engagé la personne qui est entrée dans le grenier? De même, le petit détaillant qui envoie un employé de l’entreprise sur place pour confirmer l’exécution du contrat par le constructeur devient‑il responsable de toutes les mesures réglementaires dans l’ensemble du chantier simplement parce qu’il est un « employeur » dont un des travailleurs a accompli une tâche sur le chantier? Voilà quelques‑uns des résultats absurdes qu’entraîne l’interprétation littérale donnée par le Ministère à l’al. 25(1)c) de la Loi, interprétation selon laquelle chaque employeur serait tenu de veiller au respect de chaque mesure prévue par le Règlement. En outre, comme nous l’avons noté précédemment, ces entités ne seraient pas autrement forcées à se conformer à de telles mesures, puisque la relation propriétaire‑constructeur ne crée pas simultanément une relation employeur‑travailleur.
[140]                     À l’audience, les contre‑arguments du Ministère comportaient deux volets. Premièrement, le pouvoir de poursuite discrétionnaire limiterait les risques d’absurdité. Deuxièmement, même si des accusations étaient portées contre ces employeurs, la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3) leur permettrait d’éviter une déclaration de culpabilité. Ni l’une ni l’autre de ces réponses n’est satisfaisante.
[141]                     En ce qui concerne la question du pouvoir de poursuite discrétionnaire, l’approche du Ministère mine la primauté du droit. Elle donne dans les faits aux poursuivants un pouvoir discrétionnaire illimité de définir la juste étendue des devoirs de chaque employeur en décidant qui accuser, ce qui rend la délimitation ultime des devoirs prévus par la Loi imprévisible et non uniforme du point de vue de l’accusé. Telle ne peut avoir été l’intention de la législature lorsque celle‑ci a cherché à édicter des infractions de responsabilité stricte par souci d’efficacité administrative. La législature a élaboré un régime minutieux dans le but de créer des relations de travail coordonnées entre employeurs, sous la surveillance du constructeur. Il est inconcevable qu’elle ait voulu que la véritable portée de l’al. 25(1)c) soit déterminée au moyen du pouvoir de poursuite discrétionnaire. De plus, le fait que le Ministère s’en remette à une promesse selon laquelle les poursuivants ne porteront pas d’accusations contre des employeurs pour des manquements à des mesures réglementaires sur lesquelles ces derniers n’ont aucun contrôle fait ressortir l’absurdité de sa propre interprétation.
[142]                     Quant à la possibilité d’invoquer la défense prévue au par. 66(3), elle se présente au départ comme une solution attrayante : les tribunaux pourraient accepter d’emblée le libellé général de l’al. 25(1)c) et se contenter de résoudre les absurdités créées en appliquant une approche clémente à l’égard du moyen de défense invoqué par l’accusé. Cependant, adopter une approche qui reporte à l’étape relative à la diligence raisonnable la plus grande partie de l’analyse relative à la responsabilité de l’employeur comporte de multiples lacunes.
[143]                     Premièrement, d’un point de vue méthodologique, il ne faudrait pas amalgamer l’infraction avec le moyen de défense. L’existence du par. 66(3) confirme la nature de certains devoirs : le par. 23(1), les al. 25(1)b), c) ou d) et le par. 27(1) impliquent une responsabilité stricte plutôt qu’une responsabilité absolue. Cependant, le par. 66(3) ne détermine pas l’applicabilité de ces devoirs à un acteur, ni leur contenu. Il s’agit d’analyses distinctes et les juges ne devraient pas abdiquer leur responsabilité d’en arriver à une interprétation raisonnable d’un devoir simplement parce qu’il existe un moyen de défense ou parce que ce faire améliorerait l’efficacité administrative du Ministère.
[144]                     L’accent que le Ministère met sur la défense de diligence raisonnable renverse la structure des infractions : chaque employeur est visé par l’infraction dès qu’une mesure réglementaire n’est pas respectée, et c’est à l’accusé qu’incombe le fardeau d’échapper à la portée de l’infraction. Les propriétaires pourraient faire valoir qu’ils ont retenu les services d’un constructeur, mais pour la plupart des employeurs dans un chantier de construction, la défense consisterait à expliquer pourquoi la mesure était si peu liée à leurs travaux qu’aucune précaution n’était possible; autrement dit, les employeurs seraient effectivement forcés de soutenir à l’étape afférente à la défense que l’infraction ne devrait pas en fait s’appliquer à eux.
[145]                     Deuxièmement, l’analyse contextuelle effectuée dans nos motifs démontre que l’interprétation du Ministère est incompatible avec d’autres dispositions législatives et confond les rôles d’employeur et de constructeur. L’objectif de l’interprétation législative doit être d’« interpréter les dispositions législatives de façon à en harmoniser le plus possible les éléments et à éviter les incohérences internes » (Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670, p. 689). L’interprétation du Ministère fait l’inverse : elle mine la cohérence du régime global, tout en appelant l’accusé à assumer la charge de corriger la situation à l’étape relative à la diligence raisonnable. Souligner l’existence du par. 66(3) à titre de soupape de sûreté n’excuse pas le tort infligé au régime par une interprétation débridée de l’al. 25(1)c) et du Règlement. Même si le fait de reporter l’analyse à l’étape relative à la diligence raisonnable constituait une interprétation plausible, les tribunaux devraient favoriser une approche qui respecte la structure et la cohérence du régime législatif.
[146]                     Troisièmement, faire passer une grande partie de l’analyse sur le contenu du devoir et la nature des travaux de l’employeur à l’étape relative à la diligence raisonnable a un attrait superficiel en raison de sa simplicité apparente : suivant cette approche, chaque employeur est tenu de respecter toutes les mêmes mesures dans le Règlement, et on occulte commodément les problèmes concrets qu’une telle approche suscite en repoussant ceux‑ci à l’étape relative à la diligence raisonnable. Cependant, cela accroît l’incertitude en pratique et ne tient aucunement compte de la façon dont le régime fonctionne concrètement. Si la plupart des obligations de l’employeur échappent à son contrôle, celui‑ci ne peut pas même savoir si les mesures sont respectées ou de quoi il pourrait être accusé à tout moment. En revanche, exiger un lien entre une mesure et les travaux de l’employeur permet aux employeurs de comprendre davantage leurs responsabilités tout en les encourageant à prendre des initiatives pour protéger les travailleurs.
[147]                     Quatrièmement, il ne faut pas oublier que la Loi est de nature pénale (R. c. Brampton Brick Ltd. (2004), 2004 CanLII 2900 (ON CA), 189 O.A.C. 44, par. 22). Les personnes déclarées coupables d’une infraction sont passibles d’une amende d’au plus 500 000 $ et d’un emprisonnement d’un an au plus (par. 66(1)). Il s’agit là de peines sévères pour le traiteur, le propriétaire de maison ou le propriétaire de petite entreprise dans un chantier de construction. Il est inconcevable que la législature ait voulu permettre aux poursuivants de traîner devant les tribunaux tout employeur dans un chantier de grande envergure et forcer celui‑ci à démontrer que la mesure n’avait absolument rien à voir avec ses travaux pour éviter la prison ou la ruine financière. L’interprétation proposée dans les présents motifs reconnaît cette absurdité et offre une approche étayée qui préserve l’intention de la législature.
[148]                     Cinquièmement et finalement, le moyen de défense prévu au par. 66(3) est illusoire pour divers acteurs : plutôt que de payer des frais juridiques très élevés et de chercher à faire valoir avec succès la défense de diligence raisonnable, les petites entreprises, les propriétaires uniques, les entrepreneurs et les propriétaires de maison peuvent se résigner à plaider coupable. Dans la mesure où l’existence de la défense de diligence raisonnable constitue une soupape de sûreté à la base de l’interprétation large préconisée par le Ministère, il convient de reconnaître que certains acteurs plus vulnérables ne peuvent en pratique se prévaloir de cette défense, car l’accès à la justice reste hors de portée de bien des Canadiens et Canadiennes. Par conséquent, la disponibilité et le contenu de la défense de diligence raisonnable ne servent pas de soupape de sûreté adéquate pour un employeur accusé d’avoir omis de se conformer à des mesures qui n’ont aucun lien avec ses travaux et qui n’auraient d’ailleurs jamais dû s’appliquer à lui.
[149]                     En revanche, l’interprétation que nous adoptons dans les présents motifs donne utilement effet au régime législatif, tout en évitant des interprétations trop larges qui mèneraient à des résultats absurdes. Le libellé général d’une loi devrait recevoir une interprétation plus restrictive [traduction] « afin d’éviter d’arriver à une absurdité et de donner aux mots leur sens approprié, eu égard à leur contexte, à l’objet de la Loi et à l’intention de la législature » (Blue Mountain Resorts, par. 51; voir aussi Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, 1995 CanLII 112 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 1031, p. 1082). En effet, lorsqu’un tribunal interprète un texte législatif général sur la santé et la sécurité au travail, [traduction] « des garanties ou des éléments sont imposés à chaque étape pour permettre d’interpréter et de restreindre ce libellé général de manière à éviter une absurdité » (R. c. Halifax Port Authority, 2022 NSPC 13, par. 130 (CanLII)). C’est le cas en l’espèce en ce qui concerne l’al. 25(1)c) et les dispositions ambiguës du Règlement. Notre interprétation est le fruit d’un examen attentif du libellé de l’al. 25(1)c) et du Règlement, lu à la lumière de son contexte législatif, des objectifs poursuivis par la législature et de ses effets pratiques et concrets.
(3)         Résumé et directives
[150]                     En résumé, l’al. 25(1)c) exige de l’employeur qu’il veille au respect de toutes les mesures réglementaires applicables. Si le Règlement prévoit expressément à qui ses mesures s’appliquent, il n’y aura aucun doute quant à savoir si elles relèvent du devoir imposé à l’employeur par l’al. 25(1)c). Si, toutefois, une mesure particulière est silencieuse à ce sujet, elle s’applique lorsqu’elle est liée aux travaux que l’employeur a contrôlés et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Ce lien est établi lorsque l’employeur exerce une autorité sur l’exécution d’une tâche donnée, habituellement parce qu’il s’agit de la partie des travaux dans l’ensemble du chantier qu’il est chargé d’exécuter, soit seul ou avec d’autres acteurs, par l’entremise des travailleurs qu’il a embauchés ou dont il a loué les services. Précisons que plusieurs acteurs peuvent être conjointement chargés d’exécuter une tâche donnée, puisqu’il arrivera souvent que différents employeurs collaborent, de sorte que plusieurs employeurs peuvent avoir des responsabilités chevauchantes de respecter les mêmes mesures (Director of Occupational Health and Safety c. Government of Yukon, William R. Cratty and P.S. Sidhu Trucking Ltd., 2012 YKSC 47, par. 69 (CanLII)). Il n’est pas nécessaire que le Ministère attribue des degrés de contrôle respectifs à l’égard de l’activité en question. Une mesure réglementaire peut s’appliquer aux travaux de plusieurs employeurs, pourvu qu’elle soit liée à chacun d’entre eux. Comme nous l’avons expliqué, la question fondamentale à examiner est la suivante : quels sont les travaux que l’employeur est chargé d’entreprendre sur le chantier de construction? Il est clair que le Ministère devrait savoir si la mesure est réellement liée aux travaux de l’employeur avant de décider de porter des accusations contre celui‑ci.
[151]                     Une telle enquête ne requiert aucune conclusion factuelle concernant l’accident ou l’événement, ou encore les ressources, intentions ou degrés de contrôle respectifs des divers employeurs. Lorsqu’un employeur se voit confier la responsabilité d’exécuter une tâche (exclusive ou partagée), il est responsable de veiller au respect de toutes les mesures réglementaires liées à ces travaux. Il s’agit d’une détermination binaire qui ne dépend pas du contrôle respectif : lorsqu’un employeur entreprend d’exécuter une tâche par l’entremise de ses travailleurs, il doit répondre aux risques pour la sécurité liés à ces travaux.
[152]                     Il n’est pas difficile de déterminer quels devoirs sont en cause, car (comme nous l’avons souligné précédemment) ceux‑ci sont délibérément organisés en fonction des matériaux, des dispositifs et des activités du chantier. Par exemple, le par. 207(1) du Règlement se lit comme suit :
                    207. (1) Pendant la construction, la réparation ou la réfection d’un toit à étanchéité multicouche, une barrière doit être placée dans la zone de travail immédiate à au moins deux mètres du pourtour du toit.
[153]                     Si un ou plusieurs employeurs sont responsables de la construction d’un toit, ils doivent veiller à ce qu’une barrière ait été placée conformément au par. 207(1). À l’inverse, la mesure ne s’applique clairement pas à l’entreprise de peinture qui travaille sur les murs intérieurs. Cette conclusion ne ferait aucun doute dans la plupart des cas. Quoi qu’il en soit, il est raisonnable de demander au Ministère de démontrer qu’une mesure — dont l’inobservation emporte un risque d’emprisonnement — s’applique effectivement à la personne qu’il entend accuser, comme les poursuivants seraient tenus de le faire dans toute autre situation.
[154]                     Il convient d’insister sur le fait que la question de savoir si une mesure réglementaire s’applique à un acteur (et, donc, si ce dernier peut valablement être accusé) est différente de celle de savoir si cet acteur a fait preuve de diligence dans les circonstances (et, donc, s’il peut établir une défense s’il est accusé) ainsi que de celle de l’existence ou non de facteurs aggravants ou atténuants lors de la détermination de la peine (et, donc, de la sanction advenant une déclaration de culpabilité). Pour expliquer cette distinction, nous examinons brièvement le rôle distinct de la défense de diligence raisonnable prévue au par. 66(3).
D.           Le rôle du moyen de défense prévu au par. 66(3)
[155]                     Si une personne est un employeur au sens de la Loi, elle doit veiller à ce que les mesures qui lui sont applicables soient observées dans le lieu de travail conformément à l’al. 25(1)c). Comme nous l’avons expliqué, les mesures réglementaires s’appliquent lorsqu’elles présentent un lien avec les travaux qui sont sous le contrôle de l’employeur et exécutés par l’entremise de ses travailleurs. Établir ce lien entre la mesure et l’employeur est une question préliminaire à caractère binaire : soit la mesure s’applique parce qu’elle est liée aux travaux que l’employeur a entrepris, soit la mesure ne s’applique pas en raison de l’absence d’un tel lien.
[156]                     Si la violation d’une mesure applicable est prouvée, l’employeur doit établir une défense de diligence raisonnable conformément au par. 66(3). Comme la mesure est liée à ses travaux, l’employeur a le fardeau de démontrer les dispositions précises qu’il a prises pour empêcher le manquement dans les circonstances. Le rôle que le contrôle peut jouer à ce stade est fondamentalement différent. En effet, établir cette défense suppose une analyse axée sur les faits et la situation, susceptible de prendre en compte le degré et l’étendue du contrôle de l’employeur sur la cause sous‑jacente au manquement en question, la gravité et la probabilité du préjudice, les solutions de rechange s’offrant à l’employeur dans les circonstances et le degré de connaissance ou de savoir‑faire attendu de l’employeur — des considérations qui ne sont pas pertinentes en ce qui a trait à l’applicabilité du devoir (R. c. Gonder (1981), 1981 CanLII 3207 (YK TC), 62 C.C.C. (2d) 326 (C. terr. Y.), p. 332‑333; R. c. Sault Ste‑Marie, 1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299; Stelco Inc. c. Ontario (Ministry of Labour), 2006 CanLII 28110 (C.S.J. Ont.), par. 28‑32; Ontario c. London Excavators & Trucking Ltd. (1998), 1998 CanLII 3479 (ON CA), 40 O.R. (3d) 32 (C.A.)).
E.            Application
[157]                     Eu égard à notre analyse de la Loi, nous examinons maintenant si la Ville est responsable en tant qu’employeur de la violation de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement.
(1)         La Ville est‑elle un employeur au sens du par. 1(1)?
[158]                     La Cour d’appel a conclu que, comme la Ville avait embauché des inspecteurs au contrôle de la qualité par contrat de travail, elle répondait à la définition d’« employeur » selon le premier volet (par. 13‑14). Nous souscrivons à cette conclusion. D’ailleurs, à l’audience, la Ville a effectivement concédé qu’elle était l’employeur de ses inspecteurs. La Ville a engagé des inspecteurs au contrôle de la qualité et elle a des devoirs en tant qu’employeur de ces travailleurs en vertu de la Loi. Toutefois, cela ne signifie pas que la Ville est l’employeur de tous les travailleurs sur le chantier. En concluant un contrat avec un constructeur, elle n’est pas devenue l’employeur des travailleurs engagés par le constructeur. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le contrat entre un propriétaire et un constructeur reflète une relation distincte envisagée par la Loi, laquelle ne relève pas généralement du second volet de la définition d’employeur au par. 1(1). Par conséquent, la Ville est uniquement l’employeur de ses inspecteurs au contrôle de la qualité.
[159]                     Comme la Ville répond à la définition d’« employeur » au par. 1(1), nous nous penchons maintenant sur l’étendue de ses devoirs.
(2)         L’article 65 et le par. 104(3) du Règlement s’appliquent‑ils à la Ville en tant qu’employeur par l’effet de l’al. 25(1)c) de la Loi?
[160]                     À la lumière de notre conclusion selon laquelle la Ville est un « employeur » des inspecteurs au contrôle de la qualité, l’applicabilité des mesures réglementaires dépend de la réponse à la question de savoir si elle contrôlait des travaux effectués à proximité de passages publics (art. 65) ou si elle contrôlait la conduite de véhicules, de machines ou d’appareils (par. 104(3)). Comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour d’appel n’a pas examiné cette question après avoir conclu que la Ville était un « employeur ». Elle a plutôt déclaré : [traduction] « Nous concluons que la Ville était un employeur au sens de la Loi et que, par conséquent, elle était responsable des violations du Règlement constatées par la juge de première instance, sauf si elle pouvait établir une défense de diligence raisonnable » (par. 6 (nous soulignons)). Soit dit en tout respect, la Cour d’appel a eu tort de conclure que, parce que la Ville répondait à la définition d’« employeur », elle était responsable des violations du Règlement. Ce raisonnement repose sur une interprétation incorrecte de la Loi, comme nous l’avons expliqué précédemment.
[161]                     En raison de cette prémisse erronée, la juge de première instance n’a pas examiné l’applicabilité des mesures réglementaires, pas plus que ne l’a fait la Cour supérieure ou la Cour d’appel. Par conséquent, la démarche appropriée consiste à renvoyer l’affaire à la Cour de justice de l’Ontario pour qu’elle décide si, suivant l’approche exposée ci‑dessus, l’art. 65 et le par. 104(3) du Règlement avaient un lien avec la Ville et relevaient donc de son devoir prévu à l’al. 25(1)c) de la Loi.
VI.         Conclusion
[162]                     Pour les motifs qui précèdent, nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de renvoyer l’affaire à la Cour de justice de l’Ontario pour qu’elle évalue si l’art. 65 et le par. 104(3) du Règlement s’appliquent à la Ville en tant qu’employeur et, partant, si cette dernière a manqué à son devoir prévu à l’al. 25(1)c) de la Loi.
                  Version française des motifs rendus par
 
                  La juge Côté —
I.               Introduction
[163]                     Le chantier Elgin en son entier — y compris la responsabilité d’assurer la conformité à la Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1 (« LSST » ou « Loi ») — était sous le contrôle d’Interpaving Limited, l’entreprise que la Ville du Grand Sudbury avait embauchée à titre d’entrepreneur général. En tant que municipalité propriétaire du chantier, la Ville y a envoyé des inspecteurs au contrôle de la qualité afin de [traduction] « garantir la qualité des travaux et de veiller à la bonne utilisation des fonds publics » (motifs de la C.J. Ont., par. 23, reproduits au d.a., vol. I, p. 7). Elle n’a aucunement pris part aux travaux de construction du chantier Elgin. Ses inspecteurs ne [traduction] « donnaient aucune directive aux travailleurs », ne « supervisai[ent] pas le travail », ni n’« exerçai[ent] de contrôle sur [celui‑ci] » (par. 26 et 86).
[164]                     Dans ces circonstances, je suis d’accord avec la juge de première instance, la juge Lische, que la Ville n’était pas un « employeur » sur le chantier de construction tel que le définit et l’entend la Loi. Je conviens également avec le juge Poupore en appel, selon qui la juge de première instance [traduction] « a eu raison de conclure que le [ministère du Procureur général (ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences)] de l’Ontario n’avait pas établi que la Ville avait agi à titre d’employeur sur le chantier [de construction] » (2019 ONSC 3285, 88 M.P.L.R. (5th) 158, par. 35). Interpaving était à la fois le « constructeur » du chantier et l’employeur du conducteur de la niveleuse qui a happé mortellement une piétonne. Elle a été accusée d’avoir enfreint le par. 104(3) du règlement connexe intitulé Chantiers de construction, Règl. de l’Ont. 213/91 (« Règlement »), lequel exige qu’un signaleur aide le conducteur d’un véhicule, d’une machine ou d’un appareil si la vue de ce dernier est obstruée ou si une personne risque d’être en danger.
[165]                     Selon moi, la Ville ne devrait pas partager la responsabilité légale des manquements d’Interpaving sur le chantier. Conclure autrement [traduction] « modifierait substantiellement la pratique en vigueur en Ontario sur les chantiers de construction » (motifs de la C.S. Ont., par. 34). De plus, cela dissuaderait manifestement les propriétaires de chantiers municipaux de déployer des efforts louables en matière de contrôle de la qualité et tendrait donc à faire obstacle, au lieu de contribuer à, la réalisation de l’objectif de la loi de protéger les travailleurs. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les acquittements prononcés par le tribunal de première instance à l’égard de toutes les accusations.
II.            Analyse
[166]                     Mon analyse se divise en trois étapes. Premièrement, j’explique pourquoi je souscris en grande partie à l’interprétation qu’ont donnée les juges Rowe et O’Bonsawin aux devoirs des employeurs énoncés à l’al. 25(1)c) de la Loi, lequel doit être interprété dans son contexte et conjointement avec les règlements applicables. Je suis également d’accord avec eux que la définition d’« employeur », au par. 1(1) de la Loi, ne vise pas la relation spécifique au domaine de la construction entre le propriétaire d’un chantier et son entrepreneur général (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 99‑104). Avec égards, la juge Martin ne tient pas compte de la structure de la Loi et de la distinction que le législateur a pris soin d’établir entre les chantiers de construction et les autres lieux de travail.
[167]                     Deuxièmement, j’examine l’objet de la Loi et j’explique pourquoi l’approche « de la ceinture et des bretelles » à l’égard de la sécurité des travailleurs ne saurait recevoir une interprétation qui étend la portée de la Loi [traduction] « bien au‑delà de ce qu’entendait la législature » (Blue Mountain Resorts Ltd. c. Ontario (Ministry of Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321, par. 27; voir aussi R. c. Bondfield Construction Co., 2022 ONCA 302, par. 59 (CanLII)). Même une [traduction] « méthode libérale d’interprétation des lois touchant au bien‑être public ne saurait commander une interprétation sans limites de leurs dispositions » (Blue Mountain, par. 26). Bien que la diligence raisonnable puisse toujours être invoquée à titre de moyen de défense, elle ne devrait pas avoir d’incidence sur l’interprétation correcte du terme « employeur » ni changer la nature de l’infraction prévue à l’al. 25(1)c) de la Loi.
[168]                     Troisièmement, et là où je m’écarte du raisonnement des juges Rowe et O’Bonsawin, j’explique pourquoi un propriétaire de chantier municipal qui ne fait qu’employer des inspecteurs au contrôle de la qualité n’est pas un « employeur » sur le chantier de construction (voir les motifs de la C.J. Ont., par. 84‑90; motifs de la C.S. Ont., par. 33‑35). Les juges Rowe et O’Bonsawin concluent que « l’applicabilité des mesures réglementaires dépend de la réponse à la question de savoir si [la Ville] contrôlait des travaux effectués à proximité de passages publics (art. 65) ou si elle contrôlait la conduite de véhicules, de machines ou d’appareils (par. 104(3)) » (par. 160). Avec égards, le tribunal de première instance a répondu à ces questions. Au cours d’un procès qui a duré cinq jours, la juge de première instance a entendu 10 témoins et examiné 16 pièces au dossier. Dans son analyse soignée et approfondie, elle a rejeté à maintes reprises la position du Ministère selon laquelle la Ville ou ses inspecteurs avaient exercé un contrôle sur des travaux de construction au chantier (voir les par. 24‑26, 64‑67, 71, 81‑82 et 86‑89). De façon subsidiaire, la juge de première instance était convaincue que la Ville avait fait preuve de diligence raisonnable en prenant [traduction] « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances afin de prévenir la tragédie qui s’est produite » (par. 91; voir aussi les par. 92‑103).
[169]                     Par conséquent, je ne renverrais pas l’affaire en première instance. La Ville n’était pas légalement tenue de veiller au respect de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement, deux dispositions qui s’appliquent uniquement aux acteurs du lieu de travail qui prenaient véritablement part aux travaux de construction au chantier Elgin.
A.           Points d’accord avec les juges Rowe et O’Bonsawin
(1)         L’alinéa 25(1)c) de la Loi doit être interprété dans son contexte
[170]                     Je reconnais qu’il serait absurde d’interpréter l’al. 25(1)c) au sens littéral — c’est‑à‑dire d’exiger de chaque employeur sur un chantier de construction qu’il veille au respect de tous les règlements applicables (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 105). Ainsi que le concluent les juges Rowe et O’Bonsawin, l’al. 25(1)c) doit être interprété dans son contexte et eu égard au contenu des règlements propres au domaine de la construction. L’interprétation textuelle donnée à l’al. 25(1)c) par la juge Martin n’est pas conforme à une lecture textuelle des règlements connexes. Par exemple, d’après son interprétation, les employeurs seraient tenus d’assurer le respect d’obligations en matière de sécurité imposées explicitement à d’autres parties, comme le devoir d’un constructeur en vertu du par. 17(1) du Règlement d’établir des procédures d’urgence pour le chantier.
[171]                     La législature a clairement indiqué par le truchement de la Loi et du Règlement que les chantiers de construction se distinguent des autres lieux de travail réglementés. Sur un chantier de construction, bien que chaque employeur soit responsable de la santé et de la sécurité de ses propres travailleurs, il appartient au constructeur de veiller à la santé et à la sécurité partout sur le chantier (voir, p. ex., R. c. K.B. Home Insulation Ltd., [2008] O.J. No. 6019 (QL), 2008 CarswellOnt 10891 (WL) (C.J.), par. 18; R. c. Bradsil 1967 Ltd., [1994] O.J. No. 837 (QL), 1994 CarswellOnt 4450 (WL) (C.J. (Div. prov.)), par. 33; D. McKechnie, « Occupational Health and Safety in Construction Law », dans L. Ricchetti et T. J. Murphy, Construction Law in Canada (2010), 209, p. 213‑217; R. c. Grant Forest Products Inc. (2002), 98 C.R.R. (2d) 149 (C.J. Ont.), par. 55). Ceci est confirmé par l’interprétation que donne le Ministère de la Loi. En effet, les Lignes directrices : Sens à donner au terme « constructeur » du Ministère accessibles au public (11 février 2022 (en ligne)) énoncent ceci :
                    Définition de « constructeur »
                        L’objectif de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST ou la Loi) est de donner à une personne l’autorité globale concernant les questions de santé et de sécurité sur un chantier. Cette personne est le constructeur du chantier.
                    . . .
                        La santé et la sécurité sur un chantier constituent une responsabilité partagée. Bien que chaque employeur sur un chantier assume des responsabilités importantes en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses travailleurs, le constructeur est la partie qui exerce le plus haut degré de contrôle à l’égard de la santé et de la sécurité sur l’ensemble du chantier et qui est ultimement responsable de la santé et de la sécurité de tous les travailleurs. Le constructeur doit s’assurer que tous les employeurs et les travailleurs présents sur le chantier se conforment à la Loi et à ses règlements.
                    . . .
                    Relations entre le constructeur et les autres parties associées à un chantier
                           Le constructeur assume l’entière responsabilité sur le chantier en ce qui concerne la conformité à la Loi, au règlement régissant les chantiers de construction (Règl. de l’Ont. 213/91) et les autres règlements applicables. Le constructeur peut également assumer des fonctions en tant qu’employeur ou que propriétaire. [En caractères gras dans l’original.]
[172]                     Je ne suis donc pas d’accord avec la juge Martin quand elle se fonde sur la décision R. c. Wyssen (1992), 1992 CanLII 7598 (ON CA), 10 O.R. (3d) 193 (C.A.), pour justifier le principe selon lequel l’employeur agit en tant qu’« assureur » virtuel de la santé et de sécurité. Bien que cela puisse être vrai dans l’industrie du nettoyage de vitres, qui était en cause dans cette affaire, ce n’est pas le cas des chantiers de construction. Dans ce contexte précis et particulier, l’entrepreneur général ou le constructeur agit en tant qu’assureur de la santé et de la sécurité partout sur le chantier.
(2)         Le propriétaire d’un chantier n’est pas l’« employeur » du constructeur ou de ses travailleurs
[173]                     Tout comme dans le cas de l’al. 25(1)c) de la Loi, l’interprétation littérale donnée par la juge Martin au par. 1(1) ne tient pas compte du contexte de l’industrie. Je conviens avec les juges Rowe et O’Bonsawin que le propriétaire d’un chantier qui embauche un constructeur n’est pas l’employeur du constructeur lui‑même ou de ses travailleurs (par. 99‑104). L’arrêt Wyssen a établi qu’un employeur ne peut pas échapper à ses responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail en embauchant un entrepreneur indépendant, plutôt qu’en nouant une relation de travail typique (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 96). Il ne découle toutefois pas de l’arrêt Wyssen qu’un employeur est responsable des employés et des entrepreneurs indépendants d’autres employeurs. Dans l’arrêt Wyssen, la référence du juge Blair à l’employeur comme étant [traduction] « pratiquement dans la position de l’assureur » ne visait que l’entrepreneur indépendant de l’employeur lui‑même — soit, dans cette cause, le défunt laveur de vitres, avec qui l’employeur avait un lien contractuel direct (voir la p. 198). En l’espèce, la Ville n’était donc pas l’employeur des travailleurs embauchés par son entrepreneur général, Interpaving.
[174]                     Pour ce qui est de l’embauche d’Interpaving en soi par la Ville, cela témoigne d’une relation propriétaire‑constructeur, et non d’une relation employeur‑travailleur (motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 89). Avec égards, la conclusion de la juge Martin selon laquelle la Ville était l’employeur d’Interpaving anéantit la structure et l’objet de la Loi. Elle écarte le rôle confié par la loi au constructeur et fait perdre tout son sens à la distinction que fait expressément la législature entre les devoirs des propriétaires de chantiers et ceux des autres propriétaires aux art. 29 et 30. Il incomberait à tous les propriétaires de chantiers, sans exception, une responsabilité stricte pour le respect de tous les règlements applicables. Bien que la juge Martin déplore le risque de faire une lecture exagérée de la Loi, sa propre interprétation imposerait dans tous les cas aux propriétaires de chantiers des devoirs positifs qui vont bien‑delà de ceux énoncés par la législature à l’art. 30. La Loi est explicitement conçue pour permettre — et favoriser — la délégation de chantiers de construction, y compris la responsabilité de la santé et de la sécurité, à des constructeurs qualifiés.
B.            L’approche « de la ceinture et des bretelles » à l’égard de la sécurité des travailleurs n’est pas sans limites
(1)         Objet de la Loi
[175]                     Je n’accepte pas l’idée que l’approche « de la ceinture et des bretelles » à l’égard de la santé et la sécurité au travail sur laquelle s’appuient mes collègues ne comporte aucune limite raisonnable. Dans l’arrêt Bondfield, la juge van Rensburg a fait remarquer au nom de la Cour d’appel que la Loi vise l’atteinte d’un degré raisonnable de protection des travailleurs :
     [traduction] Toutefois, il ne faut pas confondre une interprétation libérale et une interprétation illimitée : Blue Mountain Resorts Ltd., par. 26. Bien que la LSST vise la protection des travailleurs contre les conduites tant délibérées qu’accidentelles, y compris les accidents qui découlent d’erreurs, de l’insouciance ou de l’imprudence des travailleurs, il importe de se souvenir qu’elle vise l’atteinte d’un degré raisonnable de protection des travailleurs, et non celle d’un environnement de travail totalement exempt de risques. [Je souligne; références omises; par. 59.]
[176]                     Bien que la juge Martin prétende accepter que la Loi vise à « favoriser une protection raisonnable de la santé et de la sécurité des travailleurs » (par. 38), son interprétation de la stratégie « de la ceinture et des bretelles » va bien au‑delà de ce que souhaitait la législature (voir Blue Mountain, par. 27). Personne ne conteste que la Loi vise à favoriser la sécurité des travailleurs. Je ne suis tout simplement pas d’accord pour dire qu’on contribue à l’atteinte de cet objectif en imposant aux employeurs des devoirs dont ils ne peuvent pas s’acquitter (Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 R.C.S. 900, par. 59). Il en est ainsi, que la notion de « contrôle » soit explicite ou non dans le libellé de la Loi.
[177]                     C’est ce qu’illustre la décision Ontario (Ministry of Labour) c. Nor Eng Construction & Engineering Inc., 2008 ONCJ 296, une des décisions que la juge Martin trouve « inconciliables » avec l’arrêt Wyssen (voir les motifs de la juge Martin, par. 21). Je suis profondément en désaccord. Dans l’affaire Nor Eng, la structure d’un pont s’est effondrée sur un chantier de construction à Sudbury. Le Ministère cherchait à faire tenir une société d’ingénierie (« Remisz ») responsable, en tant qu’employeur, d’avoir enfreint l’al. 31(1)a) du Règlement, lequel est rédigé ainsi :
                    31. (1) Chaque partie d’un chantier, y compris une structure provisoire :
a)   doit être conçue et construite de façon à supporter toutes les charges et forces auxquelles elle est susceptible d’être soumise ou à y résister, sans dépasser le taux de contrainte admissible pour chaque matériau utilisé;
[178]                     Établie à Ottawa, Remisz avait préparé un total de deux plans conformément à des critères de conception mis à sa disposition dans des dessins joints au contrat pour le pont. Elle l’a fait des mois avant l’accident. Une fois ces plans remis, Remisz n’a reçu aucune autre communication. La société d’ingénierie qui agissait à titre de constructeur sur place n’a pas révisé les plans et les a [traduction] « simplement classés » (par. 86 (CanLII)). La conception définitive du pont [traduction] « différait considérablement des plans fournis » par Remisz (par. 87). La cour a donc conclu que Remisz n’était pas un [traduction] « employeur dans [l]e lieu de travail le ou vers le [jour de l’effondrement] à même de garantir que les mesures et procédures prescrites à l’al. 31(1)a) du [R]èglement » avaient été appliquées (par. 88). Le juge de première instance a donné l’explication suivante :
                    [traduction] Remisz Engineers était éloignée sur les plans géographique, temporel et contractuel de la situation au lieu de travail.
     Comment pourrait‑on affirmer que, suivant le par. 25(1), la société défenderesse pouvait faire quoi que ce soit le ou vers le 7 mai 2004 pour garantir que les mesures et procédures prescrites étaient mises en œuvre. Il est manifeste, et la cour conclut en ce sens, qu’aucun élément de preuve ne suggère que, le 7 mai 2004, la défenderesse, si elle est réputée être un « employeur » au sens de la Loi, avait quelque contrôle que ce soit sur le lieu de travail en cause. En fait, la défenderesse n’a appris qu’après l’effondrement que le projet n’était toujours pas achevé. La cour conclut que la défenderesse n’avait ni un contrôle suffisant ni quelque contrôle que ce soit sur la direction du lieu de travail pour être tenue aux obligations visées et créées par ce texte législatif. [par. 88‑89]
[179]               Je suis d’accord. Selon moi, la décision Nor Eng n’est « inconciliable » qu’avec l’interprétation erronée que donne la juge Martin de l’arrêt Wyssen. En appliquant l’interprétation correcte de l’arrêt Wyssen aux faits en cause dans Nor Eng, il est évident que Remisz était responsable de la santé et de la sécurité de ses propres employés ou entrepreneurs indépendants, en l’occurrence ceux travaillant à Ottawa. Remisz n’était toutefois pas un employeur sur le chantier de construction, situé à des centaines de kilomètres de là, à Sudbury. Le juge de première instance a refusé à juste titre de la déclarer légalement tenue de prévenir des atteintes à la sécurité survenues des mois après la préparation des plans qui n’avaient rien à voir avec sa participation au chantier.
[180]                     Le cœur de la position de la juge Martin est que les lieux de travail seront plus sécuritaires si tous les employeurs sont responsables du respect de toutes les règles de sécurité imaginables. Bien que ce point de vue ait un attrait superficiel (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 146), il dissuaderait clairement le propriétaire d’un chantier municipal de prendre des mesures de contrôle de la qualité. Une municipalité ne peut pas contrôler la qualité ou assurer le respect du contrat sans exposer son personnel à des atteintes à la sécurité déjà présentes sur le chantier de construction. Malgré tout, la juge Martin ferait peser sur chaque propriétaire de chantier une responsabilité stricte pour tous les risques liés à la sécurité qu’il découvrirait dans le cadre de ses mesures de contrôle de la qualité — et dont il n’est pas l’artisan. Or, c’est précisément cette préoccupation que la législature a voulu écarter au par. 1(3) de la Loi.
[181]                     Comme l’a noté avec raison la juge de première instance, [traduction] « [l]a LSST prévoit que le propriétaire qui a signé un contrat avec un tiers constructeur exercera une fonction de contrôle de la qualité sur le chantier » (par. 102). L’interprétation de la juge Martin et celle de la Cour d’appel font perdre tout son sens à l’exception relative au contrôle de la qualité (2021 ONCA 252, 15 M.P.L.R. (6th) 161). Il n’importerait plus que le propriétaire ne devienne pas un constructeur en engageant du personnel chargé du contrôle de la qualité. Il deviendrait tout simplement un employeur qui, en plus des constructeurs, assumerait une responsabilité stricte quant au respect des règles partout sur le chantier de construction.
[182]                     La tentative de la juge Martin de minimiser l’effet des distinctions structurelles faites dans la Loi ne fonctionne pas. Elle se fonde sur une application illimitée de l’approche « de la ceinture et des bretelles », et elle revient sans cesse sur la notion de chevauchement des responsabilités. Interprétée comme il se doit, la Loi envisage bel et bien un degré significatif de chevauchement. Par exemple, l’employeur individuel partage la responsabilité de la santé et de la sécurité de ses employés avec le constructeur. Toutefois, il ressort clairement de la structure de la Loi que le constructeur, et non l’employeur, est responsable de la santé et de la sécurité de tous les travailleurs à l’œuvre sur un chantier.
[183]                     Je suis en outre d’accord avec l’observation des municipalités intervenantes selon laquelle les entrepreneurs généraux apportent une expertise nécessaire à la gestion des chantiers. En revanche, de nombreuses municipalités et d’autres propriétaires de chantiers ne disposent ni des ressources ni de la capacité institutionnelle voulue pour s’acquitter de cette tâche. La Loi reconnaît que, pour favoriser la santé et la sécurité des travailleurs, il y a lieu d’en déléguer la responsabilité aux experts du domaine de la construction.
(2)         Diligence raisonnable
[184]                     D’après la juge Martin, il faut aborder les préoccupations concernant l’« équité » à l’étape de l’examen de la diligence raisonnable (voir le par. 50). Avec égards, la défense de diligence raisonnable n’entre en jeu qu’une fois établis les éléments de l’infraction créée par la loi. La capacité d’un employeur de faire valoir un moyen de défense potentiellement coûteux et pénible ne change rien au fait de bien déterminer qui est un employeur sur un chantier de construction, et de bien définir la portée des devoirs correspondants que lui impose la loi. Cela n’a rien à voir avec de la « stigmatis[ation] » (par. 49), laquelle entre en jeu dans le contexte des infractions de responsabilité stricte. Ce qui m’inquiète, c’est plutôt que, du point de vue de l’objectif, l’imposition d’une responsabilité légale à des employeurs qui n’ont aucun lien avec l’obligation de sécurité en question, ni aucun contrôle sur cette obligation, ne prévienne pas les préjudices dans le futur (ibid., citant R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154, p. 219).
[185]               Plus fondamentalement, il sera tout simplement impossible de se prévaloir de la défense de diligence raisonnable dans de nombreuses circonstances. J’ai du mal à concevoir comment l’employeur typique pourrait faire preuve de diligence raisonnable, par exemple, à l’égard de l’obligation d’un constructeur de remplir un formulaire d’avis approuvé avant qu’un système de plateforme de travail suspendue soit utilisé (art. 7.1 du Règlement). De même, dans l’affaire Nor Eng, je ne vois pas comment la société d’ingénierie œuvrant à Ottawa aurait pu faire preuve de diligence raisonnable pour assurer l’intégrité de la structure d’un pont à laquelle elle n’avait pas pris part. 
[186]               Étrangement, la juge Martin conclut qu’un « examen minutieux du régime légal dissipe toute absurdité » dans des situations hypothétiques semblables (par. 52). Malgré sa conclusion selon laquelle tous les employeurs agissent à titre d’« assureur » virtuel de la santé et de la sécurité partout sur les chantiers de construction, elle semble suggérer, au par. 52, que les devoirs d’un employeur ne couvrent peut‑être pas « l’ensemble du chantier de construction ». Cette affirmation contredit sa propre interprétation des vastes devoirs imposés aux employeurs par l’al. 25(1)c) de la Loi.
[187]               Interprétée comme il se doit, la Loi envisage malgré tout de donner un rôle significatif à la défense de diligence raisonnable. J’adhère tout simplement à l’opinion des juges Rowe et O’Bonsawin selon laquelle ce moyen de défense ne s’applique qu’après qu’il eut été constaté qu’une obligation de sécurité donnée incombait à l’employeur en question (voir les par. 143‑144). S’il s’avère qu’un employeur sur le chantier de construction disposait effectivement d’un certain contrôle sur l’obligation de sécurité en cause, le fardeau de la preuve lui revient ensuite de démontrer qu’il a pris « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances » (par. 66(3)).
C.            Application
(1)         La Ville n’était pas un « employeur » sur le chantier de construction
[188]               La véritable question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si la Ville, en tant que propriétaire de chantier et employeur de ses inspecteurs au contrôle de la qualité, était légalement tenue de veiller au respect de l’art. 65 et du par. 104(3) du Règlement (voir les motifs des juges Rowe et O’Bonsawin, par. 160). Pour les motifs qui suivent, je conviens avec la juge de première instance que la Ville n’était pas un « employeur » sur le chantier de construction tel que le définit et l’entend la Loi (par. 90).
[189]               En l’espèce, le Ministère a soutenu au procès que la Ville était devenue le constructeur du chantier Elgin du fait de l’ampleur du contrôle qu’elle exerçait (voir les motifs de la C.S. Ont., par. 28). La juge de première instance a clairement rejeté cette position à maintes reprises :
                    [traduction] Le rôle de l’inspecteur était de veiller à ce que le travail exécuté par Interpaving soit conforme au contrat. Cela comprenait la qualité de la main d’œuvre, des matériaux, et le respect des clauses du contrat . . .
                        Les inspecteurs étaient chargés de veiller à ce que les demandes d’acomptes des entrepreneurs soient étayées par la nature et la qualité du travail accompli. Les inspecteurs traitaient aussi avec le public.
                        Les inspecteurs n’étaient pas responsables de l’achèvement de quelque travail de construction que ce soit. Ils ne dirigeaient aucun des travailleurs sur le chantier Elgin. Ils devaient respecter les politiques d’Interpaving, y compris celles en matière de santé et de sécurité et celles relatives au port d’équipement de protection. [Je souligne; par. 24‑26.]
[190]               Tout au long de ses motifs, la juge de première instance a insisté encore davantage sur le fait que la Ville n’exerçait aucun contrôle sur le chantier, ni n’avait participé aux travaux de construction :
                    [traduction] Il n’en demeure pas moins qu’en réalité, la Ville n’a pas pris le contrôle du chantier Elgin.
                        Interpaving avait le contrôle réel et factuel du chantier Elgin et elle en assurait la direction.
                    . . .
                        La Ville n’avait pas le contrôle du chantier Elgin. Interpaving, le constructeur, était responsable de la santé et de la sécurité. La Ville n’a exercé sur le chantier aucun contrôle qui en aurait fait le constructeur. Elle ne dirigeait pas les employés d’Interpaving. Les inspecteurs de la Ville se concentraient surtout sur la qualité du travail exécuté par Interpaving. Ils évaluaient la qualité des matériaux utilisés sur le chantier Elgin et s’assuraient que le travail était fait correctement avant qu’Interpaving ne reçoive des acomptes.
                    . . .
                        . . . la Ville n’exerçait pas de contrôle sur les travaux au chantier Elgin. La Ville était clairement une propriétaire. Les inspecteurs étaient assujettis aux exigences du constructeur en ce qui a trait à la santé et à la sécurité. L’inspecteur veillait avant tout à ce que les matériaux utilisés et le travail accompli reflètent la teneur du contrat, et donnait son avis à ces égards. La Ville n’était manifestement pas un employeur. Elle ne supervisait pas les travaux. Elle ne dirigeait pas les travaux. La Ville a engagé un tiers, Interpaving, parce que celle‑ci avait les connaissances et les ressources pour achever le travail.
                        Il n’existe en l’espèce aucune preuve crédible démontrant que la Ville avait le contrôle du lieu de travail. [Je souligne; par. 64‑87.]
[191]               En conséquence, l’apport de la Ville au chantier se limitait au contrôle de la qualité. Elle n’était pas chargée de compléter quelque travail de construction que ce soit. Elle ne dirigeait ni ne supervisait aucun travailleur de la construction. Elle a plutôt envoyé des inspecteurs chargés de veiller au respect des clauses de son contrat, et de protéger les fonds publics, avant qu’elle n’effectue des paiements progressifs. Cette approche est non seulement louable, mais il s’agit également de la pratique courante dans l’industrie. Les conclusions de la juge de première instance quant à l’absence de tout contrôle exercé par la Ville au chantier sont des conclusions de fait qui commandent la déférence.
[192]               Il est tout à fait concevable qu’un autre employeur au chantier Elgin puisse partager avec Interpaving, le constructeur, la responsabilité d’infractions à l’art. 65 ou au par. 104(3) du Règlement, ou aux deux. Par exemple, si Interpaving avait embauché une entreprise de pavage pour le travail de nivelage, ce paveur serait un employeur sur le chantier et strictement responsable de toute omission de garantir l’aide d’un signaleur. Cette responsabilité serait partagée avec Interpaving, qui demeurerait responsable (à titre de constructeur) de la santé et de la sécurité sur l’ensemble du chantier. La Loi est conçue pour permettre la délégation, et le chevauchement des responsabilités, de cette nature.
[193]               Toutefois, le rôle d’un propriétaire de chantier municipal qui embauche des inspecteurs de la qualité diffère nécessairement du ou des employeurs qui participent au travail de construction en tant que tel. La Ville avait, sans aucun doute, des obligations relatives à la santé et à la sécurité vis‑à‑vis ses propres employés. Par exemple, si elle avait embauché cinq inspecteurs ou plus, elle serait tenue de nommer un superviseur pour eux en conformité avec le par. 15(1) du Règlement. Cependant, les dispositions du Règlement en cause en l’espèce établissent des exigences en matière de sécurité — la nécessité de construire une clôture entre le chantier et le public, et celle d’avoir un signaleur pour aider les conducteurs de machinerie lourde — qui s’appliquent uniquement aux acteurs du chantier de construction qui accomplissent le travail de construction en soi. La juge de première instance a indiqué clairement que la Ville n’avait pas participé à ce travail et qu’elle n’avait aucun contrôle sur celui‑ci. Elle a statué à juste titre, selon moi, que la Ville n’était donc pas un employeur sur le chantier du simple fait qu’elle employait des inspecteurs au contrôle de la qualité.
(2)         Diligence raisonnable
[194]               Subsidiairement, la juge de première instance a conclu que si la Ville était un employeur, elle avait néanmoins fait preuve de diligence raisonnable (par. 91‑103). Pour bien comprendre sa conclusion, il faut se pencher sur son analyse minutieuse de la preuve. Au procès, une partie du litige portait sur l’exigence que des policiers soient présents aux intersections actives ou « éclairées » pendant que la construction se déroulait (« exigence policière »). Cette exigence fait l’objet d’une clause du contrat conclu entre Interpaving et la Ville (par. 18). Pour satisfaire à l’exigence policière, lorsque cela était nécessaire, Interpaving demandait, par l’entremise de la Ville, qui agissait comme intermédiaire, la présence de policiers du Service de police du Grand Sudbury (« SPGS »). Deux semaines avant l’accident, l’inspecteur au contrôle de qualité de la Ville a exprimé des préoccupations :
                        [traduction] . . . l’inspecteur [. . .] a constaté que les employés d’Interpaving utilisaient une excavatrice à l’intersection éclairée des rues Beech et Elm où circulaient aussi des piétons et des véhicules. Des signaleurs d’Interpaving tentaient de diriger la circulation. Interpaving n’avait pas demandé la présence d’un ou de plusieurs agents du SPGS, comme le prévoyait le contrat ou l’exigence policière. [par. 27]
[195]               En réponse à ces préoccupations, l’inspecteur a fait part de ses observations au superviseur d’Interpaving, [traduction] « qui n’a rien fait » (par. 28). Il a ensuite informé l’inspecteur en chef de la Ville, qui a communiqué avec un gestionnaire d’Interpaving. Ce dernier s’est rendu sur le chantier et [traduction] « a interrompu les travaux à l’intersection » (par. 29). Il a émis une directive selon laquelle aucun travail ne pourrait être exécuté à une intersection éclairée tant que des policiers n’y seraient pas (par. 29). Le jour de l’accident, Interpaving a tout de même travaillé de nouveau à une intersection éclairée sans demander la présence de policiers (par. 30).
[196]               D’après les stipulations expresses du contrat qui la liait à la Ville, Interpaving était responsable du respect de l’exigence policière, de même que de celles prévues par la Loi (motifs de la C.J. Ont., par. 10 et 18). La juge de première instance a conclu que, lorsque les inspecteurs de la Ville ont informé Interpaving de leur opinion selon laquelle elle ne se conformait pas à l’exigence policière, et donc aux clauses de son contrat, la Ville [traduction] « a agi comme il se doit en informant Interpaving de l’infraction » :
                    [Le gestionnaire] d’Interpaving a interrompu les travaux à l’intersection. Il s’agissait de la décision du constructeur, Interpaving. En outre, si, en prenant cette mesure, la Ville devait endosser le rôle de constructeur, elle pourrait être dissuadée de porter l’infraction à l’attention du constructeur, de crainte d’assumer le rôle de constructeur ainsi que tout ce que cela suppose. [par. 79]
[197]               Suivant l’interprétation de la juge Martin, la Ville partagerait les obligations légales du constructeur du simple fait qu’elle est employeur de son personnel du contrôle de la qualité. Non seulement serait‑elle « dissuadée » de signaler des situations qui enfreignent les modalités de son contrat avec Interpaving, mais elle serait même dissuadée de contrôler la qualité et le respect du contrat sur le chantier. Les faits de l’espèce confirment l’effet dissuasif de l’interprétation adoptée par la juge Martin — que le par. 1(3) de la Loi cherche à éviter.
[198]               Comme l’a conclu la juge de première instance, [traduction] « [i]l faudrait féliciter la Ville, et non la blâmer, pour son comportement », pour avoir fait part de préoccupations quant à l’absence de policiers à une intersection « éclairée » deux semaines avant l’accident (par. 80). Il s’agissait d’un [traduction] « enjeu de sécurité publique » (par. 80). Je suis d’accord. L’approche de la juge Martin, en revanche, pénaliserait la Ville parce qu’elle a choisi de contrôler la qualité du travail et le respect du contrat. Bien que l’exigence policière découle du Ontario Traffic Manual : Book 7 — Temporary Conditions (2022) ainsi que de la fonction de la Ville d’entretenir le réseau routier, le même enjeu dissuasif se présente en ce qui a trait aux obligations imposées à Interpaving par la Loi. La Ville [traduction] « a fait savoir à Interpaving que la signalisation était insuffisante, que les panneaux de signalisation utilisés posaient problème, et que l’accès aux passages piétonniers était insuffisant » (motifs de la C.J. Ont., par. 95). Elle a aussi [traduction] « informé Interpaving du fait que la clôture avait été abattue sur le chantier Elgin » (par. 96). Un tel comportement devrait être encouragé, et non condamné.
[199]               Pour ces motifs, la juge de première instance a estimé à juste titre que, même si elle avait eu tort de conclure que la Ville n’était pas un employeur sur le chantier de construction, elle a pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la sécurité au chantier (par. 91). Avec égards, mes collègues ignorent tant les conclusions de la juge de première instance quant à l’absence de contrôle exercé par la Ville que ses conclusions subsidiaires quant à la diligence raisonnable dont a fait preuve cette dernière en choisissant de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour qu’elle réexamine les mêmes questions. Je suis fortement en désaccord.
III.         Résumé et dispositif
[200]               En résumé, comme l’ont fait remarquer les municipalités intervenantes, dire qu’un propriétaire de chantier municipal [traduction] « devient l’employeur de toute personne présente sur un chantier » dans le seul but d’assurer la qualité est une « proposition extravagante » (transcription, p. 51). Interprétées correctement, les obligations imposées par l’art. 65 et le par. 104(3) du Règlement incombaient au constructeur ou aux employeurs qui exécutaient les travaux de construction en cause, ou aux deux. La Ville n’a pas participé à ces travaux, ni n’a exercé de contrôle sur ceux‑ci, et elle n’était donc pas un employeur au chantier de construction. Imposer une responsabilité légale à la Ville dans ces circonstances revient malheureusement à s’écarter du régime établi par la Loi. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les acquittements prononcés par le tribunal de première instance relativement à toutes les accusations.
[201]               Enfin, dans un souci de clarté, je suis d’avis de répondre comme suit aux trois questions posées par la juge Martin au par. 61 de ses motifs — dans le contexte particulier et distinct des chantiers de construction :
1.                       L’accusée était‑elle un « employeur » au sens du par. 1(1) de la Loi?
a.            Ce n’est pas parce qu’un propriétaire de chantier municipal est l’employeur d’inspecteurs au contrôle de la qualité que cela fait de lui un employeur sur le chantier de construction lui‑même ou un employeur de n’importe quel travailleur de la construction. La Loi permet expressément au propriétaire d’un chantier d’employer des inspecteurs au contrôle de la qualité sans assumer de responsabilité en matière de santé et sécurité pour le chantier (par. 1(3)). Dans le même ordre d’idée, le propriétaire d’un chantier n’est pas l’employeur de son constructeur, ce qui rendrait redondant le rôle confié par la loi au constructeur.
2.                       L’accusée a‑t‑elle enfreint l’al. 25(1)c) de la Loi?
a.      L’alinéa 25(1)c) de la Loi doit être interprété dans son contexte et eu égard au contenu des règlements propres à l’industrie qui l’accompagnent. Sur les chantiers de construction, les employeurs ne sont pas responsables des obligations imposées explicitement à d’autres acteurs du lieu de travail ou sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Comme le reconnaît le Ministère, le constructeur est la seule autorité responsable de la santé et de la sécurité pour l’ensemble des chantiers de construction. Chaque employeur est responsable de la santé et de la sécurité de ses propres travailleurs.
3.                     L’accusée devrait‑elle échapper à toute responsabilité parce qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable au sens du par. 66(3) de la Loi?
a.      La défense de diligence raisonnable n’entre en jeu qu’une fois établis les éléments de l’infraction. Elle n’influe pas sur la bonne interprétation du mot « employeur », ni ne modifie la nature de l’infraction. Seul un employeur sur un chantier de construction qui a un certain lien avec l’obligation de sécurité en question ou exerce un contrôle sur celle‑ci peut se prévaloir de la défense. Sinon, il est tout simplement impossible d’invoquer cette défense.
                    Pourvoi rejeté, la Cour est également partagée, les juges Karakatsanis, Côté, Rowe et O’Bonsawin sont dissidents.
                    Procureurs de l’appelante : Stringer, Toronto.
                    Procureur de l’intimé : Ministère du Procureur général de l’Ontario — Ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences, Direction des services juridiques, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien du commerce de détail : Norton Rose Fulbright Canada, Ottawa.
                    Procureurs des intervenantes la Municipalité régionale de York, la Municipalité régionale de Peel, la Municipalité régionale de Durham, la Municipalité régionale de Halton, la Municipalité régionale de Waterloo et la Municipalité régionale de Niagara : Lax O’Sullivan Lisus Gottlieb, Toronto.
                    Procureur de l’intervenante Workers’ Compensation Board of British Columbia : Workers’ Compensation Board of British Columbia, Richmond.

* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.

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Synthèse
Référence neutre : 2023CSC28 ?
Date de la décision : 10/11/2023

Analyses

employeurs — constructeurs — acteurs — devoirs — diligence raisonnable — interprétations — chantiers de construction — responsabilités — propriétaires — définitions — loi — règlements — application — inspecteurs — législature — ministère


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Grand Sudbury (Ville)
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 10 novembre 2023, R. c. Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2023-11-10;2023csc28 ?

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