COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16
Appel entendu : 11 octobre 2023
Jugement rendu : 3 mai 2024
Dossier : 40332
Entre :
Franck Yvan Tayo Tompouba
Appelant
et
Sa Majesté le Roi
Intimé
- et -
Directrice des poursuites pénales, Association du Barreau canadien, Commissaire aux langues officielles du Canada, Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. et Criminal Lawyers’ Association (Ontario)
Intervenants
Traduction française officielle : Motifs des juges Karakatsanis et Martin
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin
Motifs de jugement :
(par. 1 à 129)
Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Côté, Rowe, Kasirer et O’Bonsawin)
Motifs conjoints dissidents :
(par. 130 à 201)
Les juges Karakatsanis et Martin
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Franck Yvan Tayo Tompouba Appelant
c.
Sa Majesté le Roi Intimé
et
Directrice des poursuites pénales,
Association du Barreau canadien,
Commissaire aux langues officielles du Canada,
Fédération des associations de juristes d’expression
française de common law inc. et
Criminal Lawyers’ Association (Ontario) Intervenants
Répertorié : R. c. Tayo Tompouba
2024 CSC 16
No du greffe : 40332.
2023 : 11 octobre; 2024 : 3 mai.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
Droit criminel — Procès — Langue de l’accusé — Obligation imposée au juge devant lequel un accusé comparaît pour la première fois de veiller à ce que l’accusé soit avisé de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix — Accusé francophone déclaré coupable d’agression sexuelle au terme d’un procès s’étant déroulé en anglais — Manquement à l’obligation imposée au juge soulevé par l’accusé en appel — Appel rejeté par la Cour d’appel — Cadre d’analyse applicable lorsqu’un accusé fait appel de sa déclaration de culpabilité en soulevant un manquement à l’obligation du juge de veiller à ce qu’il soit avisé de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques — La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur révisable en refusant d’ordonner un nouveau procès? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 530(3), 686(1)a), b).
T est un francophone bilingue qui, au terme d’un procès qui s’est déroulé en anglais, a été déclaré coupable d’agression sexuelle. Dans le cadre du processus judiciaire ayant mené à la condamnation, le juge devant qui T a comparu pour la première fois n’a pas veillé à ce qu’il soit avisé de son droit de subir son procès en français, contrairement aux exigences du par. 530(3) du Code criminel. Devant la Cour d’appel, T a fait valoir qu’il aurait voulu subir son procès en français. Bien que d’avis que le manquement au par. 530(3) constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) du Code criminel, la Cour d’appel a estimé que la preuve était insuffisante pour conclure au caractère préjudiciable de cette erreur. Elle a en conséquence appliqué une des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b).
Arrêt (les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes) : Le pourvoi est accueilli, la condamnation est annulée et la tenue d’un nouveau procès en français est ordonnée.
Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Kasirer et O’Bonsawin : Un manquement à l’obligation d’information imposée au juge devant lequel un accusé comparaît pour la première fois, inscrite au par. 530(3) du Code criminel, constitue une erreur de droit permettant à une cour d’appel d’intervenir en vertu du sous-al. 686(1)a)(ii) du Code criminel. Une fois démontré, ce manquement entache le jugement du tribunal de première instance et fait naître une présomption de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, qui lui est garanti par l’art. 530. Cette présomption peut ensuite être réfutée par le ministère public dans le cadre de l’analyse liée à la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iv). En l’espèce, T a prouvé l’existence d’une erreur révisable et le ministère public a échoué à démontrer que le droit fondamental de T n’a pas dans les faits été violé malgré le manquement au par. 530(3).
Le bilinguisme judiciaire institutionnel assure aux membres des communautés linguistiques du Canada l’accès égal aux tribunaux via diverses garanties juridiques, dont celles prévues à l’art. 530 du Code criminel. L’article 530, une disposition adoptée dans le but de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais, va au-delà du droit constitutionnel de s’exprimer dans la langue officielle de son choix. Il assure en plus à tout accusé le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite s’exprimer et être compris par le juge ou le juge et le jury, et ce, sans que ces derniers aient recours à des services d’interprétation ou de traduction.
Les paragraphes 530(1) et (4) prévoient deux cadres régissant l’exercice d’un même droit fondamental, soit celui de tout accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Le paragraphe 530(1) garantit à tout accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix à la condition, d’une part, que la demande soit présentée à temps et, d’autre part, que l’accusé soit en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie. Lorsque l’accusé demande à subir son procès dans la langue officielle de son choix en dehors de la période prévue au par. 530(1), son droit est alors assujetti au pouvoir discrétionnaire du juge en vertu du par. 530(4). Toutefois, vu l’importance capitale des droits linguistiques au sein de la société canadienne, il existe en faveur de l’accusé une présomption selon laquelle il est dans les meilleurs intérêts de la justice d’accueillir sa demande. La violation de ce droit fondamental constitue un préjudice important pour lequel la réparation convenable est généralement la tenue d’un nouveau procès.
Pour faire en sorte que l’accusé puisse choisir de manière libre et éclairée la langue dans laquelle il sera jugé, le législateur impose à cette fin une obligation d’information au juge devant lequel l’accusé comparaît pour la première fois. Le paragraphe 530(3) consacre le droit de l’accusé d’être avisé de son droit fondamental et des délais dans lesquels il doit formuler une demande pour subir son procès devant un juge ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle de son choix. Le juge doit veiller à ce que l’accusé soit avisé de son droit fondamental et des délais en régissant l’exercice, et s’il constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé, ou encore s’il a le moindre doute à ce sujet, il doit prendre les moyens nécessaires pour que l’accusé en soit informé. Cette obligation à deux volets impose au juge de prendre les mesures nécessaires afin de ne pas avoir de doute que l’accusé est bien au fait de son droit et de ses modalités. Ultimement, le but visé par le par. 530(3) est d’assurer que soit communiquée en temps opportun à l’accusé l’information sur son droit fondamental et ses modalités afin de favoriser l’exercice par celui‑ci d’un choix libre et éclairé de langue officielle. La modification en 2008 par le législateur du par. 530(3) afin d’étendre l’application de l’obligation d’information du juge à tous les accusés, indépendamment du fait qu’ils se représentent seuls ou qu’ils sont représentés par avocat, constitue la reconnaissance législative d’un principe de prudence en vertu duquel il faut éviter de présumer, sans autre vérification diligente et proactive, qu’un accusé a été correctement informé de son droit et de ses modalités avant sa première comparution. En outre, cette modification reflète l’intention du législateur de faire du juge l’ultime gardien du droit fondamental de chaque accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, et de ce fait l’ultime gardien du caractère libre et éclairé du choix de la langue officielle par l’accusé. Le juge de la première comparution qui omet de s’assurer activement que l’accusé a été informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice, ou qui, lorsque les circonstances l’exigent, omet de faire en sorte que l’accusé en soit informé, contrevient à l’obligation lui incombant et porte atteinte au droit de l’accusé consacré au par. 530(3).
L’article 686 du Code criminel établit les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité. L’alinéa 686(1)a) permet à une cour d’appel d’intervenir seulement si l’appelant réussit à démontrer que le verdict est déraisonnable (sous‑al. 686(1)a)(i)), qu’une erreur de droit a été commise (sous‑al. 686(1)a)(ii)) ou qu’il y a eu erreur judiciaire (sous‑al. 686(1)a)(iii)). Une cour d’appel ne peut généralement intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Les verdicts déraisonnables et les erreurs judiciaires sont la plupart du temps, par nature, préjudiciables à l’accusé, alors que les erreurs de droit sont présumées l’être. En conséquence, l’intérêt principal de la distinction entre les erreurs de droit et les autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) réside avant tout dans l’attribution du fardeau de démontrer le caractère préjudiciable ou non de l’erreur. Lorsqu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’une telle erreur est présumée être préjudiciable à l’accusé, c’est alors au ministère public qu’il incombe, au stade de l’analyse fondée sur l’une des deux dispositions réparatrices, de démontrer l’absence de préjudice. Il est donc, en principe, moins lourd pour un accusé de faire la démonstration d’une erreur de droit, puisqu’il suffit de démontrer l’existence d’une telle erreur pour faire naître une présomption de préjudice et, de ce fait, pour permettre l’intervention d’une cour d’appel.
Une erreur de droit visée au sous‑al. 686(1)a)(ii) est toute erreur dans l’application d’une règle de droit, pour autant, d’une part, qu’elle soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité de sorte qu’elle contribue au verdict final et, d’autre part, qu’elle ait été commise par un juge, qui pourrait ne pas être celui du procès. Dans de telles circonstances, il est possible de conclure que l’erreur a entaché le jugement du tribunal de première instance, de telle sorte qu’il est permis de présumer l’existence d’un préjudice et d’annuler la condamnation. Une erreur dans l’application d’une règle de droit peut constituer tant une décision erronée en droit qu’une omission injustifiée de se conformer à une règle de droit. L’erreur peut avoir diverses origines, y compris une interprétation erronée de la règle de droit. Il n’est pas nécessaire que la règle de droit erronément appliquée soit de nature substantielle, puisqu’il est bien établi qu’une irrégularité procédurale, qu’elle soit anodine ou grave, peut constituer une erreur de droit visée au sous‑al. 686(1)a)(ii).
Par comparaison, les erreurs judiciaires visées au sous‑al. 686(1)a)(iii) constituent une catégorie résiduelle d’erreurs qui existe afin qu’une condamnation puisse être annulée lorsqu’il y a eu un procès inéquitable. La question à trancher à cet égard consiste à décider si l’irrégularité était grave au point de rendre le procès inéquitable ou de créer une apparence d’iniquité. Il s’agit d’une norme élevée.
Un manquement au par. 530(3) constitue une erreur de droit visée au sous‑al. 686(1)a)(ii), de telle sorte qu’un accusé n’a qu’à la dénoncer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel. L’omission du juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois de respecter l’obligation d’information qui lui incombe en vertu du par. 530(3) constitue une erreur dans l’application d’une règle de droit. En omettant erronément d’appliquer une règle de droit impérative d’application générale, le juge commet une omission fautive. Parce que cette irrégularité est liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et est commise par un juge, elle a pour effet d’entacher le jugement du tribunal de première instance d’une manière qui permet l’intervention d’une cour d’appel en vertu du sous‑al. 686(1)a)(ii). Conformément à la logique et à la structure de l’art. 686, cette erreur fait naître une présomption de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Cette présomption peut ensuite être réfutée par le ministère public à l’étape de l’analyse relative à la disposition réparatrice.
La disposition réparatrice énoncée au sous‑al. 686(1)b)(iii) permet à une cour d’appel de rejeter l’appel au motif qu’une erreur ou une irrégularité n’a entraîné aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave. Celle énoncée au sous‑al. 686(1)b)(iv) permet d’arriver au même résultat lorsqu’une erreur ou une irrégularité entraîne une perte de compétence, pourvu que l’accusé n’ait subi aucun préjudice et que le tribunal de première instance soit à tout le moins demeuré compétent pour trancher la catégorie d’infractions. Les deux dispositions réparatrices ont pour objectif commun de permettre le rejet d’un appel lorsque l’erreur ou l’irrégularité démontrée par l’accusé ne lui a pas pour autant été préjudiciable. Le manquement au par. 530(3) est une erreur qui fait perdre au tribunal sa compétence sur l’instance. Le ministère public peut donc s’appuyer sur la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iv), qu’il peut validement invoquer de manière implicite, et tenter de démontrer qu’aucun préjudice n’a été causé par cette erreur, c’est-à-dire que l’erreur n’a pas entraîné une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. La possibilité pour le ministère public de réfuter la présomption atténue significativement les risques d’instrumentalisation des droits linguistiques à des fins stratégiques. Le ministère public peut plaider que l’accusé ne possède pas une maîtrise suffisante de la langue qu’il n’a pas été en mesure de choisir, qu’il aurait de toute façon choisi de subir un procès dans la langue dans laquelle son procès s’est déroulé ou qu’il a choisi de manière libre et éclairée l’anglais ou le français. Si le ministère public échoue à faire cette démonstration selon la norme de la prépondérance des probabilités, il est alors présumé que le manquement au par. 530(3) a entraîné une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, causant alors un préjudice trop important à l’accusé pour maintenir la condamnation.
En l’espèce, le juge a commis une erreur de droit en ne veillant pas à ce que T soit avisé de son droit fondamental. La Cour d’appel a ensuite commis une erreur de droit en imposant à T le fardeau de démontrer, en plus du manquement au par. 530(3), que son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix a effectivement été violé en première instance. Enfin, le ministère public n’a pas réussi à démontrer que le manquement au par. 530(3) n’a malgré tout pas entraîné la violation du droit fondamental de T de subir un procès dans la langue officielle de son choix. La preuve ne permet pas de conclure selon la prépondérance des probabilités que T aurait de toute façon choisi l’anglais comme langue officielle de son procès s’il avait été dûment informé de son droit, ou encore que ce dernier a eu connaissance en temps opportun de son droit, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3), de sorte qu’il est possible de conclure qu’il a choisi de manière libre et éclairée de subir son procès en anglais. Puisque c’est au ministère public qu’incombe le fardeau de persuader la Cour selon la prépondérance des probabilités, l’incertitude et le doute qui demeurent doivent bénéficier à T et être retenus contre le ministère public.
Les juges Karakatsanis et Martin (dissidentes) : Le pourvoi devrait être rejeté. Un manquement à l’exigence procédurale imposée par le par. 530(3) du Code criminel, qui consiste à veiller à ce que l’accusé soit avisé de ses droits linguistiques substantiels, ne constitue pas un motif permettant d’écarter le jugement du tribunal de première instance en tant que « décision erronée sur une question de droit » comme le prévoit le sous‑al. 686(1)a)(ii) du Code criminel. Le défaut de donner l’avis prévu au par. 530(3) relève de la catégorie résiduelle visée au sous‑al. 686(1)a)(iii), ce qui signifie qu’un appelant doit établir qu’il y a eu une erreur judiciaire avant qu’une réparation puisse lui être accordée. Pour établir qu’il y a eu une erreur judiciaire, T devait démontrer que le fait qu’aucun avis requis par le par. 530(3) ne lui avait été donné a eu un certain effet sur l’exercice de son droit, c’est‑à‑dire qu’il n’était pas au courant de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Il ne s’est pas acquitté de son fardeau.
Une décision erronée sur une question de droit relative au jugement du tribunal de première instance comme le prévoit le sous‑al. 686(1)a)(ii) ne se produit que lorsqu’il y a une erreur sur une question de droit contenue dans une décision qui est attribuable au juge du procès. Premièrement, il doit y avoir une question de droit. Si l’irrégularité porte sur une question de fait ou sur une question mixte de fait et de droit, elle ne peut pas relever du sous‑al. 686(1)a)(ii). Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit lorsque la cour d’appel doit tirer de nouvelles conclusions de fait en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve pour déterminer si une erreur de droit a été commise. Deuxièmement, l’erreur alléguée en appel doit découler d’une décision qui, dans le contexte du procès et dans les circonstances où la décision a été rendue, constituait une interprétation ou une application erronée du droit. Lorsque l’irrégularité précise reprochée en appel n’a pas été soulevée au procès et n’a donc pas été tranchée par le juge du procès, on pourrait affirmer qu’aucune erreur de droit n’est soulevée. Troisièmement, cette décision juridique erronée doit être attribuable au juge du procès. Les irrégularités ne peuvent être survenues à l’insu du juge du procès, sans que ce dernier ait eu la possibilité d’y remédier. Les erreurs qui satisfont à ces trois critères rendent habituellement le verdict du tribunal de première instance imprudent et sont présumées entraîner une erreur judiciaire de sorte que le jugement devrait être écarté.
La qualification appropriée d’une irrégularité qui s’est produite au cours d’une instance criminelle régit ce que l’appelant doit prouver, ce que la cour d’appel peut faire une fois la preuve requise établie et la question de savoir si la cour peut rejeter l’appel malgré cette preuve. Si une erreur n’est pas considérée comme une décision erronée sur une question de droit aux termes du sous‑al. 686(1)a)(ii), laquelle est présumée entraîner une erreur judiciaire à moins que la Couronne puisse prouver que l’erreur était anodine ou que la preuve était à ce point accablante qu’une déclaration de culpabilité était inévitable, alors l’erreur doit relever de la catégorie résiduelle de l’erreur judiciaire prévue au sous‑al. 686(1)a)(iii) pour que la cour d’appel ait le pouvoir d’intervenir. L’appelant a le fardeau de prouver que cette erreur a rendu son procès inéquitable ou a créé une apparence d’iniquité de sorte qu’elle minerait la confiance du public dans l’administration de la justice. Par conséquent, lorsque la question dont la cour d’appel est saisie est une question mixte de fait et de droit, ou lorsque l’irrégularité n’a pas été portée à l’attention du juge du procès et que ce dernier n’a donc rendu aucune décision à cet égard, ou lorsque la décision juridique erronée ne peut être attribuée au juge du procès, il incombe à l’appelant non seulement de prouver l’existence de l’erreur, mais aussi de démontrer qu’elle a entraîné une erreur judiciaire suivant le moyen d’appel résiduel prévu au sous‑al. 686(1)a)(iii). Une fois que cela a été prouvé, la Couronne ne peut plus le réfuter et la cour d’appel doit annuler la déclaration de culpabilité et soit ordonner la tenue d’un nouveau procès ou prononcer un acquittement. Les erreurs qui privent l’accusé de la possibilité de faire un véritable choix dans l’exercice de ses droits, créant ainsi une apparence d’iniquité ou nuisant à la perception qu’a le public de l’administration de la justice, ont été jugées comme relevant du sous‑al. 686(1)a)(iii). Il n’existe pas de présomption voulant que de telles erreurs rendent le verdict du tribunal de première instance imprudent. Il incombe à l’appelant dans chaque affaire de prouver qu’une erreur judiciaire s’est produite.
Le manquement d’un officier de justice à l’exigence procédurale prévue au par. 530(3) de veiller à ce que l’accusé soit avisé de ses droits linguistiques substantiels ne satisfait donc pas aux critères qui caractérisent habituellement les erreurs de droit dont il est question au sous‑al. 686(1)a)(ii). Un manquement au par. 530(3) ne soulève pas uniquement une question de droit et ne concerne pas une décision d’un juge du procès. Une conclusion de manquement au par. 530(3) en appel nécessiterait normalement de nouveaux éléments de preuve et de nouvelles conclusions pour déterminer non seulement si, au vu du dossier, l’officier de justice a lui-même informé l’accusé de ses droits linguistiques, mais également s’il en a fait assez pour veiller à ce que l’accusé en ait été informé d’une autre manière. De plus, l’omission d’un officier de justice de donner l’avis requis par la loi à l’accusé lors de sa première comparution survient en dehors du procès sans que le juge du procès rende une quelconque décision à cet égard. À elle seule, cette omission n’est manifestement pas une erreur commise par le juge du procès.
Le paragraphe 530(3) vise à faire en sorte que l’accusé soit au courant de ses droits linguistiques et puisse demander de subir son procès dans la langue officielle de son choix dans les délais prescrits. Il ne confère pas en soi à l’accusé le droit à un procès dans la langue officielle de son choix. Il ne confère à l’accusé rien de plus que la connaissance de son droit de choisir. Si l’officier de justice omet lors de la première comparution de l’accusé de veiller à ce qu’il soit informé de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’accusé a été privé de son droit substantiel de choisir. L’accusé connaissait peut‑être déjà ce droit, ou peut en avoir pris connaissance d’une autre manière après sa première comparution mais dans les délais prescrits pour la présentation d’une demande, et il se peut que le manquement au par. 530(3) n’ait pas d’effet du tout sur le droit substantiel de l’accusé. Puisque le manquement à ce droit procédural n’entraîne pas nécessairement une violation du droit substantiel, en l’absence de tout autre élément de preuve présenté par l’accusé sur ce point, il ne donne pas lieu à une présomption selon laquelle cette erreur a entraîné une erreur judiciaire.
Pour que la cour d’appel ait le pouvoir d’intervenir, le manquement au par. 530(3) doit relever de la catégorie résiduelle visée au sous‑al. 686(1)a)(iii), auquel cas il incombe à l’appelant de prouver que l’erreur a réellement entraîné une erreur judiciaire. Pour justifier l’intervention de la cour d’appel, l’appelant doit fournir des éléments de preuve, notamment par voie d’affidavit, afin de prouver que ce manquement l’a privé des connaissances nécessaires à l’exercice de son droit à un procès dans la langue de son choix et que le choix d’un procès dans cette autre langue officielle était viable. Ce fardeau n’est pas lourd et est adapté à l’importance fondamentale des droits linguistiques et à l’erreur judiciaire qui se produit si l’appelant, qui ne connaît pas véritablement ses droits linguistiques, est privé de son droit substantiel de choisir de subir son procès dans l’autre langue officielle.
Toutefois, l’importance des droits linguistiques que protège l’art. 530 ne veut pas dire que tout manquement, même à une obligation en matière de procédure ou d’avis, devrait presque automatiquement donner lieu à un droit à un nouveau procès lorsque ce manquement est soulevé pour la première fois en appel. Les appelants ne devraient pas non plus être libérés de leur fardeau de démontrer que le fait de ne pas avoir été avisés de leur droit de subir leur procès dans la langue officielle de leur choix, comme l’exige le par. 530(3), a eu pour conséquence de les priver de la connaissance de ce droit. Sans imposer un certain fardeau de preuve à l’accusé à cet égard, il sera difficile, voire impossible dans certains cas, pour la Couronne de prouver l’inexistence de quelque chose — soit que l’accusé ne savait pas qu’il pouvait choisir de subir son procès dans l’une ou l’autre des langues officielles. Il serait tout autant difficile pour la Couronne de prouver que l’accusé connaissait effectivement ses droits linguistiques car il s’agit généralement d’une question auquel seul l’accusé peut répondre.
En l’espèce, le juge de paix ayant présidé la première comparution de T a manqué au par. 530(3). Suivant le moyen de l’« erreur judiciaire » prévu au sous‑al. 686(1)a)(iii), T devait établir qu’il n’avait pas par ailleurs connaissance de ses droits linguistiques afin de démontrer que cette omission avait eu des conséquences. T n’a produit aucun élément de preuve pour s’acquitter de ce fardeau minime. La preuve au dossier tend fortement à indiquer que l’appelant était au courant de ses droits linguistiques. Le juge du procès n’avait pas l’obligation, suivant le par. 530(4), de vérifier si le procès de T se tenait dans la langue officielle de son choix, et il n’a pas commis une erreur de droit en ne rendant pas, de sa propre initiative, une ordonnance visant à renvoyer T pour qu’il subisse son procès en français.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Wagner
Arrêt appliqué : R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, inf. (1997), 1997 CanLII 3579 (BC CA), 120 C.C.C. (3d) 16; arrêts mentionnés : Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839; Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261; Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678; Bessette c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535; Commission scolaire francophone des Territoires du Nord‑Ouest c. Territoires du Nord‑Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31; MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460; Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3; Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194; Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549; R. c. Mercure, 1988 CanLII 107 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 234; Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, 1974 CanLII 164 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 182; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1992 CanLII 115 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 212; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774; R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10, 181 C.C.C. (3d) 485; Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681; R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309, 126 O.R. (3d) 691; R. c. Deveaux (1999), 1999 CanLII 3182 (NS SC), 181 N.S.R. (2d) 81; R. c. Caesar, 2015 TNOCA 4; R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20; R. c. Brunelle, 2022 CSC 5; R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; R. c. Arradi, 2003 CSC 23, [2003] 1 R.C.S. 280; R. c. Chambers, 1990 CanLII 47 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1293; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19; R. c. Romeo, 1991 CanLII 113 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 86; R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951; R. c. Mitchell (1997), 1997 CanLII 6321 (ON CA), 36 O.R. (3d) 643; R. c. Sciascia, 2016 ONCA 411, 131 O.R. (3d) 375, conf. par 2017 CSC 57, [2017] 2 R.C.S. 539; R. c. G.F., 2021 CSC 20, [2021] 1 R.C.S. 801; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869; R. c. Bain, 1992 CanLII 111 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 91; R. c. Cloutier (1988), 1988 CanLII 199 (ON CA), 43 C.C.C. (3d) 35; R. c. Barrow, 1987 CanLII 11 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 694; R. c. D.Q., 2021 ONCA 827, 411 C.C.C. (3d) 292; R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. White, 2022 CSC 7; R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777; Fanjoy c. La Reine, 1985 CanLII 53 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 233; R. c. Curragh Inc., 1997 CanLII 381 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 537; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. Olusoga, 2019 ONCA 565, 377 C.C.C. (3d) 143; R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732; R. c. Pétel, 1994 CanLII 133 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 3; R. c. McMaster, 1996 CanLII 234 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 740; R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9, [2021] 1 R.C.S. 101; R. c. R.V., 2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237; R. c. Samaniego, 2022 CSC 9; R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485; R. c. Deutsch (2005), 2005 CanLII 47598 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 361; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694; Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759; R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423; R. c. J.A.A., 2011 CSC 17, [2011] 1 R.C.S. 628; R. c. Vaillancourt, 2019 ABQB 859; R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751; R. c. Cole, 2021 ONCA 759, 158 O.R. (3d) 680; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Schwartz, 1988 CanLII 11 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 443.
Citée par les juges Karakatsanis et Martin (dissidentes)
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10, 181 C.C.C. (3d) 485; R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309, 126 O.R. (3d) 691; Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681, 408 C.C.C. (3d) 466; Bessette c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535; R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26; R. c. W. (G.), 1999 CanLII 668 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 597; R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823; R. c. Arradi, 2003 CSC 23, [2003] 1 R.C.S. 280; R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193; R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19; Fanjoy c. La Reine, 1985 CanLII 53 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 233; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20; R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381; R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; Adgey c. La Reine, 1973 CanLII 37 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 426; R. c. Bamsey, 1960 CanLII 35 (SCC), [1960] R.C.S. 294; R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. White, 2022 CSC 7; R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333; R. c. R.V., 2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237; R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777; R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951; Wildman c. La Reine, 1984 CanLII 82 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 311; R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751; R. c. Cyr‑Langlois, 2018 CSC 54, [2018] 3 R.C.S. 456; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239; R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485; R. c. Khill, 2021 CSC 37; R. c. McKenna, 2015 CSC 63, [2015] 3 R.C.S. 1087; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760; R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3; R. c. Dorfer, 2011 CSC 50, [2011] 3 R.C.S. 366; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Ménard, 1998 CanLII 790 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 109; R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. G. (R.M.), 1996 CanLII 176 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 362; R. c. Hebert, 1996 CanLII 202 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 272; R. c. Brydon, 1995 CanLII 48 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 253; R. c. Bevan, 1993 CanLII 101 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 599; R. c. Romeo, 1991 CanLII 113 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 86; R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345; R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3; R. c. MacGillivray, 1995 CanLII 139 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 890; R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222; R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530; R. c. S. (R.D.), 1997 CanLII 324 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 484; R. c. Curragh Inc., 1997 CanLII 381 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 537; R. c. D.R.S., 2018 ABCA 342, 368 C.C.C. (3d) 383; R. c. Miller, 2011 NBCA 52, 374 R.N.-B. (2e) 302; R. c. Sunshine, 2016 SKCA 104, 484 Sask. R. 259; Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261; R. c. Chouhan, 2021 CSC 26, [2021] 2 R.C.S. 136; Sutt c. Sutt, 1968 CanLII 221 (ON CA), [1969] 1 O.R. 169; Angus c. Sun Alliance Compagnie d’assurance, 1988 CanLII 5 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 256; R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233; R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310; R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173; R. c. Lewis, 2007 ONCA 349, 86 O.R. (3d) 46; R. c. Luu, 2021 ONCA 311, 488 C.R.R. (2d) 225; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Lévesque c. Comeau, 1970 CanLII 4 (CSC), [1970] R.C.S. 1010; Parsons c. R., 2014 QCCA 2206.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b), 14, 16 à 20, 33.
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, partie XVII, art. 530, 536(2), 606(1.1), (1.2), 650, 683(1), 686.
Code de déontologie (Barreau de l’Ontario), règle 3.2-2A.
Code of Professional Conduct for British Columbia (Law Society of British Columbia), règle 3.2-2.1.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 133.
Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, L.C. 2019, c. 25, art. 237.
Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications), L.C. 2008, c. 18, art. 18.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), art. 16.
Doctrine et autres documents cités
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Témoignages, nº65, 1re sess., 39e lég., 2 mai 2007, p. 2‑3.
Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, no 33, 3e sess., 30e lég., 31 mai 1978, p. 5‑6.
Canada. Commissaire aux langues officielles. L’utilisation équitable du français et de l’anglais devant les tribunaux au Canada, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services, novembre 1995.
Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Témoignages, nº65, 1re sess., 39e lég., 2 mai 2007, p. 2‑3.
Canada. Sénat. Débats du Sénat, vol. 144, nº14, 2e sess., 39e lég., 21 novembre 2007, p. 274‑275.
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Coughlan, Steve, et Alex Gorlewski. The Anatomy of Criminal Procedure : A Visual Guide to the Law, Toronto, Irwin Law, 2019.
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Desjardins, Tristan. L’appel en droit criminel et pénal, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2012.
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Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Code type de déontologie professionnelle, octobre 2022 (en ligne : https://flsc-s3-storage-pub.s3.ca-central-1.amazonaws.com/Code%20type%20Octobre%202022.pdf; version archivée : https://www.scc-csc.ca/cso-dce/2024SCC-CSC16_1_fra.pdf).
Grand Robert & Collins (version électronique), « advise », « aviser ».
Grand Robert de la langue française (version électronique), « aviser », « veiller ».
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Roberts, Paul. Roberts & Zuckerman’s Criminal Evidence, 3e éd., Oxford, Oxford University Press, 2022.
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Stylios, Alexandre, Jacques Casgrain et Marc‑Étienne O’Brien. Procédure pénale, Montréal, LexisNexis, 2023.
Vauclair, Martin, Tristan Desjardins et Pauline Lachance. Traité général de preuve et de procédure pénales 2023, 30e éd., Montréal, Yvon Blais, 2023.
Watt, David. Watt’s Manual of Criminal Evidence, Toronto, Thomson Reuters, 2023.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Dickson, Griffin et Voith), 2022 BCCA 177, 414 C.C.C. (3d) 86, 509 C.R.R. (2d) 43, [2022] B.C.J. No. 909 (Lexis), 2022 CarswellBC 1321 (WL), qui a confirmé une décision du juge Marchand, 2019 BCSC 1529, [2019] B.C.J. No. 1705 (Lexis), 2019 CarswellBC 2623 (WL). Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes.
Jonathan Laxer, Caroline Magnan et Darius Bossé, pour l’appelant.
Liliane Bantourakis, Rodney Garson, c.r., et Jean‑Benoît Deschamps, pour l’intimé.
Ginette Gobeil et François Lacasse, pour l’intervenante la Directrice des poursuites pénales.
Connor Bildfell, Michael A. Feder, c.r., et Lindsay Frame, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.
Isabelle Hardy et Élie Ducharme, pour l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada.
Shannon Gunn Emery et Elsy Gagné, pour l’intervenante la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc.
Paul Le Vay et Alexandra Heine, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).
Le jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Kasirer et O’Bonsawin a été rendu par
Le juge en chef —
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphe
I. Survol
1
II. Historique procédural et judiciaire
9
A. Décisions de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (le juge Marchand)
11
(1) Décision sur le voir-dire, 2019 BCSC 2442
11
(2) Décision sur la culpabilité, 2019 BCSC 1529
13
B. Décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2022 BCCA 177, 414 C.C.C. (3d) 86 (les juges Dickson, Griffin et Voith)
15
III. Questions en litige
21
IV. Analyse
23
A. Les droits linguistiques : objet, nature et interprétation
24
(1) Objet et nature
24
(2) Interprétation
27
B. Le bilinguisme judiciaire institutionnel : une composante essentielle au maintien et à l’épanouissement des minorités linguistiques
28
C. Les droits linguistiques garantis par l’art. 530 C. cr.
36
(1) Le droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix
37
(2) Le droit d’être avisé de ce droit fondamental
43
D. Les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité
53
(1) Le principe sous-jacent à toute intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr.
54
(2) L’importance de distinguer les erreurs de droit des deux autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) C. cr.
57
a) L’erreur de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.)
60
(i) Une erreur dans l’application d’une règle de droit
61
(ii) Liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité
66
(iii) Commise par un juge
67
b) L’erreur judiciaire (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.)
72
(3) Les dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr.
74
E. Le cadre d’analyse applicable lorsqu’un manquement au par. 530(3) C. cr. est soulevé pour la première fois en appel
78
(1) Ce que l’accusé doit démontrer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel
79
(2) Ce que le ministère public peut démontrer pour permettre malgré tout le rejet de l’appel
88
(3) Ce cadre d’analyse permet de prévenir les risques d’instrumentalisation
94
F. Application à l’espèce
102
(1) La disposition réparatrice peut s’appliquer
103
(2) Le ministère public a échoué à démontrer que le droit fondamental de M. Tayo Tompouba a été respecté dans les faits
110
a) La stérilité de la preuve
113
(i) L’impact du manquement au par. 530(3) C. cr. sur le choix de la langue officielle
113
(ii) La connaissance en temps opportun, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr.
118
b) La stérilité de la preuve doit bénéficier à M. Tayo Tompouba
125
(3) Conclusion
128
V. Dispositif
129
I. Survol
[1] Au Canada, l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »), garantit à tout accusé le droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Il s’agit d’un droit fondamental d’une importance capitale. Il assure aux accusés qui parlent l’une des deux langues officielles un accès égal aux tribunaux et contribue de ce fait à la préservation de l’identité culturelle des minorités francophones et anglophones partout au pays.
[2] Pour faire en sorte que l’accusé puisse choisir de manière libre et éclairée la langue dans laquelle il sera jugé, le législateur impose à cette fin une obligation d’information au juge[1] devant lequel il comparaît pour la première fois. Inscrite au par. 530(3) C. cr., cette obligation très importante exige que le juge veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander à subir son procès devant un juge ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle de son choix, et des délais dans lesquels il doit formuler cette demande.
[3] Or, il peut arriver que des accusés ne soient pas dûment informés de ce droit linguistique fondamental et de ses modalités. Le présent pourvoi est un exemple d’une telle situation, qui rappelle que les minorités linguistiques du Canada rencontrent encore trop souvent des difficultés à accéder à la justice dans la langue officielle de leur choix.
[4] Ce pourvoi donne à notre Cour l’occasion d’établir le cadre d’analyse applicable lorsqu’un accusé porte en appel sa déclaration de culpabilité et soulève pour la première fois un manquement au par. 530(3) C. cr., alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques. À ce jour, les tribunaux inférieurs ne s’entendent pas sur le cadre d’analyse devant être appliqué. Alors que certaines juridictions d’appel considèrent qu’un tel manquement justifie à lui seul la tenue d’un nouveau procès, d’autres au contraire, y compris la Cour d’appel dans la présente affaire, estiment que la preuve au dossier doit permettre de conclure que ce manquement a effectivement entraîné la violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Notre Cour est en conséquence appelée à trancher ce débat.
[5] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’un manquement au par. 530(3) C. cr. représente une erreur de droit permettant à une cour d’appel d’intervenir en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. La jurisprudence enseigne que constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. toute erreur dans l’application d’une règle de droit par voie de décision ou d’omission fautive, pour autant que cette erreur soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge. Un manquement au par. 530(3) C. cr. correspond précisément à cette définition. En effet, il s’agit d’une omission de se conformer à une règle de droit, qui est liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qui a été commise par un juge. Une fois démontré, le manquement au par. 530(3) C. cr. a pour conséquence d’entacher le jugement du tribunal de première instance. Il fait naître une présomption de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix qui ouvre la porte à une intervention en appel. Cette présomption peut ensuite être réfutée par le ministère public dans le cadre de l’analyse liée à la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr.
[6] En plus de s’intégrer harmonieusement dans le régime d’appel d’une déclaration de culpabilité, ce cadre d’analyse établit un juste équilibre. D’une part, il prend en compte et donne effet à l’objet de l’art. 530 C. cr., c’est-à-dire favoriser le maintien et l’épanouissement des minorités linguistiques partout au Canada en assurant un accès égal aux tribunaux dans le cadre de procédures criminelles. D’autre part, il prévient le risque qu’un accusé qui a été reconnu coupable profite en appel, d’une manière indue et pour un motif oblique, d’un manquement au par. 530(3) C. cr. survenu en première instance. En effet, le cadre d’analyse énoncé donne au ministère public la possibilité de convaincre la cour d’appel que le droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix a été respecté, malgré le manquement au par. 530(3) C. cr. S’il réussit, l’appel peut alors être rejeté. Pour cette raison, le cadre d’analyse atténue de manière appréciable les risques d’instrumentalisation des droits linguistiques en appel — des manœuvres hautement condamnables qui doivent être sanctionnées, dans toute la mesure du possible.
[7] En l’espèce, je conclus que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en imposant à M. Tayo Tompouba le fardeau de démontrer, en plus du manquement au par. 530(3) C. cr., que son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix a effectivement été violé en première instance. Si elle avait appliqué le bon cadre juridique, la Cour d’appel aurait conclu que M. Tayo Tompouba avait prouvé l’existence d’une erreur révisable, et que le ministère public avait échoué à démontrer que le droit fondamental de l’appelant n’a pas dans les faits été violé malgré le manquement au par. 530(3) C. cr.
[8] Je propose donc d’accueillir l’appel, d’annuler la condamnation et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en français.
II. Historique procédural et judiciaire
[9] Monsieur Tayo Tompouba est un francophone bilingue qui, au terme d’un procès qui s’est déroulé en anglais devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a été déclaré coupable d’agression sexuelle. Il est admis que, dans le cadre du processus judiciaire ayant mené à sa condamnation, le juge n’a pas veillé à ce que M. Tayo Tompouba soit avisé de son droit de subir son procès en français, contrairement aux exigences du par. 530(3) C. cr. Les parties conviennent aussi que M. Tayo Tompouba n’a pas demandé à subir son procès en français et que le juge du procès n’a pas ordonné de sa propre initiative que celui-ci soit jugé en français, comme le par. 530(4) C. cr. l’autorise à le faire.
[10] Comme M. Tayo Tompouba n’a pas présenté de demande pour subir son procès en français ni soulevé le manquement à son droit d’être avisé du droit de présenter une telle demande consacré au par. 530(3) C. cr., ces questions n’ont pas été tranchées en première instance. Il importe toutefois de mentionner deux jugements rendus par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans lesquels des conclusions sur les capacités linguistiques de l’appelant ont été tirées.
A. Décisions de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (le juge Marchand)
(1) Décision sur le voir-dire, 2019 BCSC 2442
[11] Lors d’un voir-dire, M. Tayo Tompouba a soutenu qu’une déclaration incriminante faite aux policiers peu après son arrestation était inadmissible, puisque son droit à l’avocat lui avait été lu en anglais et avait été exercé dans cette langue. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté ses prétentions et admis en preuve la déclaration incriminante. Tenant compte de l’ensemble du dossier, le juge a conclu qu’aucune circonstance spéciale n’avait entraîné pour les policiers l’obligation de prendre des mesures additionnelles pour s’assurer que M. Tayo Tompouba comprenne son droit à l’avocat et l’exerce dans la langue officielle de son choix.
[12] Le juge a noté qu’il était manifeste que M. Tayo Tompouba n’était pas originaire du Canada et que l’anglais n’était pas sa première langue — celui-ci étant d’ailleurs parfois difficile à comprendre lorsqu’il s’exprimait en anglais. Le juge a conclu que, malgré tout, M. Tayo Tompouba démontrait de bonnes aptitudes de compréhension de l’anglais et disposait d’un vocabulaire avancé en anglais, ce qui concordait avec le fait qu’il vivait depuis plusieurs années en Colombie-Britannique au moment de son arrestation, y travaillait et y étudiait en anglais. Enfin, le juge a retenu que M. Tayo Tompouba s’était dit confiant dans sa capacité à interagir en anglais avec la police.
(2) Décision sur la culpabilité, 2019 BCSC 1529
[13] Dans les motifs du jugement sur la culpabilité, le juge a rejeté les prétentions de M. Tayo Tompouba, notamment que sa déclaration incriminante aux policiers était fausse et qu’il avait mal saisi la portée d’une telle déclaration puisqu’il ne comprenait pas bien l’anglais.
[14] De l’avis du juge, bien que l’anglais de M. Tayo Tompouba ne soit pas parfait — celui-ci ayant parfois éprouvé de la difficulté à trouver les mots justes pour s’exprimer et ayant à plusieurs reprises demandé des éclaircissements afin de comprendre les questions qui lui étaient posées — il disposait d’excellentes habiletés de compréhension et d’expression en anglais. Au fond, ses légères difficultés linguistiques n’étaient pas différentes de celles habituellement rencontrées par les témoins dont l’anglais est la langue maternelle.
B. Décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2022 BCCA 177, 414 C.C.C. (3d) 86 (les juges Dickson, Griffin et Voith)
[15] Ce n’est qu’une fois rendu devant la Cour d’appel que M. Tayo Tompouba a fait valoir qu’il aurait voulu subir son procès en français. Dans le cadre de l’appel interjeté à l’encontre de sa déclaration de culpabilité, M. Tayo Tompouba avançait deux motifs d’intervention fondés sur la violation de ses droits linguistiques : le manquement au par. 530(3) C. cr. et, subsidiairement, le défaut du juge du procès d’exercer de façon proactive les pouvoirs qui lui sont conférés par le par. 530(4) C. cr. afin de le renvoyer devant un juge qui parle le français. À son avis, ces erreurs empêchaient l’application de l’une ou l’autre des dispositions réparatrices et exigeaient la tenue d’une nouvelle instance au complet.
[16] Il importe de souligner que M. Tayo Tompouba n’a pas demandé à déposer de nouveaux éléments de preuve en appel. Il n’a pas cherché à faire la preuve qu’il n’avait pas connaissance en première instance de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix ni à expliquer les raisons pour lesquelles il avait tardé à invoquer ce droit. Selon lui, cela n’était pas nécessaire vu sa position sur les manquements des cours inférieures à l’égard de ses droits linguistiques. En conséquence, M. Tayo Tompouba s’est contenté d’alléguer qu’il n’avait pas été informé de son droit à cet égard en première instance, que ce soit par son avocat ou par les différents juges devant lesquels il avait comparu.
[17] Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel a rejeté son appel. Tout d’abord, elle a refusé de retenir le moyen d’appel fondé sur le manquement au par. 530(3) C. cr. Bien que d’avis que ce manquement constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., elle a estimé que la preuve était insuffisante pour conclure au caractère préjudiciable de cette erreur. Elle a en conséquence appliqué une des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr.
[18] La Cour d’appel a expliqué que le succès de ce moyen d’appel dépendait d’inférences factuelles permettant de conclure que le manquement à l’obligation prévue au par. 530(3) C. cr. avait entraîné la violation du droit fondamental de l’appelant de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Or, selon elle, de telles inférences ne pouvaient raisonnablement être tirées du dossier. Plus précisément, la preuve dont elle disposait ne permettait pas de conclure dans un sens ou dans l’autre sur diverses questions cruciales, notamment celles de savoir à quel moment M. Tayo Tompouba avait eu connaissance de son droit fondamental, s’il aurait effectivement choisi un procès en français s’il en avait eu l’occasion, et s’il n’avait pas choisi de manière libre et éclairée d’être jugé en anglais. Selon elle, puisque le fardeau de présenter une telle preuve et de la persuader de la violation de son droit fondamental incombait à M. Tayo Tompouba, la Cour d’appel a conclu que la stérilité de la preuve sur ces questions lui était fatale.
[19] La Cour d’appel a également rejeté le moyen d’appel subsidiaire de M. Tayo Tompouba selon lequel le juge du procès avait commis une erreur en ne le renvoyant pas subir son procès devant un juge parlant le français. En règle générale, le juge du procès n’est pas obligé d’enquêter sur la langue officielle choisie par l’accusé, à moins qu’il ne devienne évident qu’il peut s’agir d’une [traduction] « question véritablement litigieuse » (motifs de la C.A., par. 127). Or, en l’espèce, plusieurs conclusions de fait — lesquelles, selon la Cour d’appel, ne sont entachées d’aucune erreur manifeste — ont permis au premier juge de statuer que la langue du procès n’était pas une question litigieuse : l’appelant parlait couramment l’anglais, il était représenté par un avocat, il estimait pouvoir interagir en anglais avec la police, il démontrait une compréhension des nuances linguistiques et il témoignait en anglais sans difficulté apparente. Dans ce contexte, la Cour d’appel a estimé qu’on ne pouvait reprocher au premier juge de ne pas avoir vérifié s’il était dans les meilleurs intérêts de la justice de renvoyer l’appelant pour qu’il subisse un procès en français.
[20] Il ressort des motifs de la Cour d’appel qu’elle cherche à prévenir le risque que des accusés puissent tirer avantage de violations somme toute anodines à leurs droits linguistiques survenues en première instance. Elle souligne à grands traits l’importance d’adopter un cadre d’analyse qui n’a pas pour effet d’encourager les accusés à invoquer de façon purement stratégique le non-respect du par. 530(3) C. cr. aux fins d’appel d’un verdict de culpabilité. À son avis, il faut éviter que les accusés puissent profiter d’un nouveau procès en raison d’un manquement au par. 530(3) C. cr. qui n’a pas d’incidence réelle sur le droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Selon elle, aucun accusé ne devrait pouvoir bénéficier automatiquement d’un nouveau procès sur la seule base d’un manquement au par. 530(3) C. cr.
III. Questions en litige
[21] Les questions soulevées par le présent pourvoi sont les suivantes :
(1) Quel est le cadre d’analyse applicable lorsqu’un accusé fait appel de sa déclaration de culpabilité en soulevant un manquement au par. 530(3) C. cr., alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques?
(2) La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur révisable en refusant d’ordonner un nouveau procès?
[22] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le cadre d’analyse applicable doit, d’une part, se fonder sur les enseignements de l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, et, d’autre part, s’inscrire harmonieusement dans la logique et la structure de l’art. 686 C. cr. La simple démonstration d’un manquement au par. 530(3) C. cr. suffit pour permettre à une cour d’appel d’intervenir en vertu du sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. Un manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit et fait naître une présomption de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Cette présomption peut ensuite être réfutée par le ministère public à l’étape de l’analyse relative à la disposition réparatrice. Si elle avait appliqué le bon cadre d’analyse, la Cour d’appel aurait accueilli l’appel de M. Tayo Tompouba, annulé sa condamnation et ordonné la tenue d’un nouveau procès.
IV. Analyse
[23] Il convient de débuter l’analyse par un survol des droits linguistiques, du bilinguisme judiciaire institutionnel, des droits garantis par l’art. 530 C. cr., ainsi que des pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité.
A. Les droits linguistiques : objet, nature et interprétation
(1) Objet et nature
[24] Les droits linguistiques visent à « protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais » (Beaulac, par. 41). Ils constituent « un outil essentiel » au maintien et à l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada (Beaulac, par. 25, se référant au Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 850; voir aussi Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261, par. 32; Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 11 et 18). Ni « négatifs » ni « passifs », ce sont des droits substantiels qui requièrent des actions positives de la part de l’État afin d’assurer leur mise en œuvre (Beaulac, par. 20, 24 et 28; Mazraani, par. 20; Bessette c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535, par. 38; Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, par. 111).
[25] Dans le contexte judiciaire, les droits linguistiques doivent être distingués des garanties liées à l’équité procédurale. Comme l’a réitéré le juge Bastarache dans l’affaire Beaulac, il s’agit d’un « type particulier de droits, qui se distinguent des principes de justice fondamentale », en ce qu’ils ne cherchent pas à « imposer des conditions minimales en vertu desquelles un procès sera considéré équitable » (par. 25 et 47). Ces droits visent plutôt à assurer à toute personne l’obtention d’« un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle » (par. 45; voir aussi MacDonald c. Ville de Montréal, 1986 CanLII 65 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 460, p. 500-501; Mazraani, par. 20 et 46; Bessette, par. 38).
[26] Cette distinction est particulièrement importante dans les affaires de droit criminel. Elle signifie que le tort causé par une violation des droits linguistiques d’un accusé au cours d’une instance criminelle ne pourra en aucun cas être tempéré par le fait que ce dernier a néanmoins été en mesure de présenter une défense pleine et entière. Concrètement, cela signifie qu’en présence d’une violation des droits linguistiques de l’accusé, la réparation accordée ne sera pas influencée par l’absence d’incidence sur l’équité du procès (Beaulac, par. 41 et 47; Mazraani, par. 46).
(2) Interprétation
[27] Depuis l’arrêt Beaulac, il est de jurisprudence constante que les droits linguistiques, tant ceux de nature constitutionnelle que ceux de nature législative, doivent dans tous les cas être interprétés d’une manière libérale et téléologique, et ce, en harmonie avec leur objet, soit le maintien et l’épanouissement des deux communautés linguistiques officielles du Canada (par. 25; voir Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 27; Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563, par. 23; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194, par. 31; Mazraani, par. 20; P. W. Hogg et W. Wright, Constitutional Law of Canada (5e éd. supp.), § 56:12).
B. Le bilinguisme judiciaire institutionnel : une composante essentielle au maintien et à l’épanouissement des minorités linguistiques
[28] Le présent pourvoi concerne le bilinguisme judiciaire institutionnel, lequel assure aux membres des communautés linguistiques du Canada l’accès égal aux tribunaux (voir Beaulac, par. 28; Bessette, par. 20). Le lien inextricable entre le bilinguisme judiciaire institutionnel et la protection des minorités linguistiques, tout comme l’importance de ces deux concepts, se reflètent dans le tissu constitutionnel canadien (voir Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, par. 12, le juge en chef Wagner, et par. 188-189, les juges Brown et Rowe, dissidents; J. D. Richard, « Le bilinguisme judiciaire au Canada » (2001), 42 C. de D. 389, p. 395).
[29] D’abord, la Loi constitutionnelle de 1867 édicte des droits positifs limités protégeant l’utilisation des langues française et anglaise dans certaines institutions fédérales et québécoises, notamment les institutions judiciaires :
133 Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
[30] Ensuite, faisant écho à l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et renforçant la protection constitutionnelle offerte aux minorités linguistiques partout au pays, les art. 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés offrent une série de garanties juridiques qui assurent le bilinguisme institutionnel au niveau fédéral. Ces dernières ne sont pas assujetties à la clause dérogatoire prévue par l’art. 33 de la Charte (voir R. J. Sharpe et K. Roach, The Charter of Rights and Freedoms (7e éd. 2021), p. 433-434).
[31] En l’espèce, il convient de s’attarder tout particulièrement aux art. 16 et 19 de la Charte. Après avoir énoncé, au premier paragraphe, que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et que ces deux langues ont « un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada », l’art. 16 précise, au troisième paragraphe, que le Parlement et les législatures demeurent en tout temps libres « de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais ». Pour sa part, l’art. 19 garantit notamment, au premier paragraphe, le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux fédéraux et dans tous les actes de procédure qui en découlent (voir Sharpe et Roach, p. 433).
[32] L’effet conjugué de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et du par. 19(1) de la Charte garantit à toute personne le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix en matière judiciaire au niveau fédéral et au Québec (Société des Acadiens du Nouveau‑Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, 1986 CanLII 66 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 549, p. 574-575; R. c. Mercure, 1988 CanLII 107 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 234, p. 297-298, le juge Estey, dissident; Hogg et Wright, § 56:9; Sharpe et Roach, p. 433). Cette garantie constitue un « minimum constitutionnel » qui peut être complété par des lois fédérales et provinciales pour favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais en conférant des garanties linguistiques additionnelles (voir les par. 16(1) et 16(3) de la Charte; Jones c. Procureur général du Nouveau‑Brunswick, 1974 CanLII 164 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 182, p. 192-193; MacDonald, p. 496; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1992 CanLII 115 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 212, p. 222-223; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774, par. 56; Sharpe et Roach, p. 432).
[33] La Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.), est un exemple de législation fédérale adoptée à cette fin. En effet, cette loi élargit « les garanties juridiques accordées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, tant par sa portée géographique que par la gamme de services offerts » (Richard, p. 391; voir aussi Beaulac, par. 22; V. Gruben, « Le bilinguisme judiciaire », dans M. Bastarache et M. Doucet, dir., Les droits linguistiques au Canada (3e éd. 2013), 301, p. 350-369). Notamment en matière de bilinguisme judiciaire institutionnel, l’art. 16 impose aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que le juge qui entend une affaire comprenne, sans avoir recours aux services de traduction, la langue dans laquelle l’affaire se déroule.
[34] L’article 530 C. cr. constitue un autre exemple de disposition adoptée dans le but « de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais » (voir Beaulac, par. 22 et 34; Gruben, p. 350-351 et 370-371). Cet article complète le minimum constitutionnel garanti par le jeu de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et du par. 19(1) de la Charte. En effet, il va au-delà du droit constitutionnel de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, en assurant de plus à tout accusé le droit de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite s’exprimer et être compris par le juge ou le juge et le jury, et ce, sans que ces derniers aient recours à des services d’interprétation ou de traduction (voir Beaulac, par. 28; Bessette, par. 20).
[35] Il convient maintenant de se pencher sur les droits linguistiques garantis par l’art. 530 C. cr.
C. Les droits linguistiques garantis par l’art. 530 C. cr.
[36] L’article 530 C. cr. a pour objet de « donner un accès égal aux tribunaux aux accusés qui parlent l’une des langues officielles du Canada afin d’aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle » (Beaulac, par. 34; voir aussi le par. 56; Bessette, par. 38). Il garantit notamment à tout accusé le droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix (par. 530(1) et (4) C. cr.) et celui d’être avisé de ce droit (par. 530(3) C. cr.), comme le révèle son libellé à l’époque de la première comparution de M. Tayo Tompouba[2] :
530 (1) Sur demande d’un accusé dont la langue est l’une des langues officielles du Canada, faite au plus tard :
a) au moment où la date du procès est fixée :
(i) s’il est accusé d’une infraction mentionnée à l’article 553 ou punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,
(ii) si l’accusé doit être jugé sur un acte d’accusation présenté en vertu de l’article 577;
b) au moment de son choix, s’il choisit de subir son procès devant un juge de la cour provinciale en vertu de l’article 536 ou d’être jugé par un juge sans jury et sans enquête préliminaire en vertu de l’article 536.1;
c) au moment où il est renvoyé pour subir son procès :
(i) s’il est accusé d’une infraction mentionnée à l’article 469,
(ii) s’il a choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge seul ou d’un juge et d’un jury,
(iii) s’il est réputé avoir choisi d’être jugé par un tribunal composé d’un juge et d’un jury,
un juge de paix, un juge de la cour provinciale ou un juge de la Cour de justice du Nunavut ordonne que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.
(2) Sur demande d’un accusé dont la langue n’est pas l’une des langues officielles du Canada, faite au plus tard à celui des moments indiqués aux alinéas (1)a) à c) qui est applicable, un juge de paix ou un juge de la cour provinciale peut rendre une ordonnance à l’effet que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui, de l’avis du juge de paix ou du juge de la cour provinciale, permettra à l’accusé de témoigner le plus facilement ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.
(3) Le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaît pour la première fois veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance au titre des paragraphes (1) ou (2) et des délais dans lesquels il doit faire une telle demande.
(4) Lorsqu’un accusé ne présente aucune demande pour une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et que le juge de paix, le juge de la cour provinciale ou le juge devant qui l’accusé doit subir son procès — appelés « tribunal » dans la présente partie — est convaincu qu’il est dans les meilleurs intérêts de la justice que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si la langue de l’accusé n’est pas l’une des langues officielles du Canada, la langue officielle du Canada qui, de l’avis du tribunal, permettra à l’accusé de témoigner le plus facilement, le tribunal peut, par ordonnance, s’il ne parle pas cette langue, renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent cette langue ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.
(1) Le droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix
[37] Les paragraphes 530(1) et (4) prévoient deux cadres régissant l’exercice d’un même droit fondamental, soit le droit de tout accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Dans Beaulac, notre Cour a clarifié la nature et les modalités du droit garanti à tout accusé en vertu de ces deux paragraphes, qui étaient jusqu’alors interprétés de manière incohérente dans la jurisprudence (voir Gruben, p. 373, citant R. Soublière, « Les perpétuels tiraillements des tribunaux dans l’interprétation des droits linguistiques » (2001), 4 R.C.L.F. 1).
[38] Traitant du par. 530(1) C. cr., notre Cour a indiqué que cette disposition garantit à tout accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix à la condition, d’une part, que la demande soit présentée à temps et, d’autre part, que l’accusé soit en mesure de donner des directives à son avocat et de suivre le déroulement des procédures dans la langue choisie (Beaulac, par. 28, 31, 34 et 37). Pour se prévaloir de ce droit absolu, l’accusé n’a qu’à « affirmer » quelle langue officielle est la sienne. Le juge doit alors accéder à sa demande, à moins que le ministère public ne démontre que cette affirmation est sans fondement (par. 34). En cas de contestation par le ministère public de l’affirmation de l’accusé, le juge ne doit pas examiner de critères spécifiques pour déterminer une identité culturelle dominante, ni se pencher sur les préférences linguistiques personnelles de l’accusé. Il vérifie seulement que les conditions d’application du par. 530(1) C. cr. sont réunies (par. 34). Bref, s’il agit à temps et s’il n’y a pas de preuve établissant qu’il ne maîtrise pas suffisamment la langue choisie pour se prévaloir de son droit, l’accusé a le droit absolu, garanti par le par. 530(1) C. cr., de choisir la langue officielle que devront utiliser et comprendre le juge ou le juge et le jury devant lesquels il subira son procès (par. 56).
[39] En revanche, lorsque l’accusé demande tardivement — c’est-à-dire en dehors de la période prévue au par. 530(1) C. cr. — à subir un procès dans la langue officielle de son choix, son droit est alors assujetti au pouvoir discrétionnaire du juge. En effet, en vertu du par. 530(4) C. cr., le juge ne peut faire droit à la demande de l’accusé que s’il est convaincu que cela est dans les meilleurs intérêts de la justice. Dans Beaulac, notre Cour a précisé que ce pouvoir discrétionnaire du juge est toutefois assorti de balises importantes. De façon plus particulière, vu l’importance capitale des droits linguistiques au sein de la société canadienne, il existe en faveur de l’accusé une présomption selon laquelle il est dans les meilleurs intérêts de la justice d’accueillir sa demande. L’acceptation d’une demande fondée sur le par. 530(4) C. cr. devrait donc, en pratique, être la règle et, son rejet, l’exception (Beaulac, par. 42 et 56).
[40] Afin de justifier le rejet d’une telle demande, il incombe au ministère public de réfuter cette présomption. Il doit démontrer qu’il n’est pas dans les meilleurs intérêts de la justice d’accueillir la demande de l’accusé et, pour ce faire, présenter des arguments fondés, d’une part, sur les motifs du retard et, d’autre part, sur les difficultés causées par le caractère tardif de la demande (Beaulac, par. 37, 40, 42 et 44). En ce qui concerne les motifs du retard, notre Cour a indiqué que plus la demande est tardive, plus la raison de ce retard doit être valable pour que la demande soit accordée. Cela dit, l’accusé n’a aucun fardeau : même s’il ne fournit aucune explication pour son retard, cela ne lui sera pas nécessairement fatal. Tout au plus, cela ne fait que faciliter la tâche qu’a le ministère public de justifier le rejet de la demande tardive de l’accusé (par. 43 et 56). Pour ce qui est des difficultés causées par le caractère tardif de la demande, la Cour a précisé les facteurs pertinents liés au déroulement du procès, notamment
le fait que l’accusé est représenté ou non par un avocat, la langue dans laquelle les éléments de preuve sont disponibles, la langue des témoins, le fait que le jury a ou n’a pas été formé, que certains témoins peuvent avoir déjà témoigné, qu’ils soient encore disponibles ou non, que l’instance peut se poursuivre ou non dans une langue différente sans qu’il soit nécessaire de tenir un nouveau procès, la présence d’un coaccusé (et la nécessité de procès distincts), la nécessité pour l’accusé ou le ministère public de changer d’avocat, et la compétence linguistique du juge qui préside. [par. 38]
En revanche, de simples inconvénients administratifs ne sont aucunement pertinents (par. 39).
[41] Il en résulte un cadre d’analyse favorable à la protection des droits linguistiques de l’accusé. Même lorsque celui-ci décide d’exercer tardivement son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix, même aussi tardivement que lors du procès sur le fond, la présomption joue en sa faveur. Le fardeau de convaincre le tribunal que sa demande doit être rejetée incombe au ministère public (Beaulac, par. 42 et 56).
[42] Enfin, il importe de souligner qu’il est bien établi que la violation de ce droit fondamental constitue un préjudice important pour lequel la réparation convenable est généralement la tenue d’un nouveau procès. Dans Beaulac, notre Cour a affirmé que le rejet erroné d’une demande présentée en vertu des par. 530(1) ou (4) C. cr. viole le droit de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix et sera toujours préjudiciable à l’accusé. Il s’ensuit qu’en cas de violation de ce droit fondamental de l’accusé, le ministère public ne peut en aucun cas invoquer avec succès l’une ou l’autre des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr., et ce, même si la violation n’a eu aucune incidence sur l’équité du procès et la capacité de l’accusé de présenter une défense pleine et entière (Beaulac, par. 52-54; Bessette, par. 38). Ainsi, en présence d’une violation du droit fondamental d’un accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, un nouveau procès constituera généralement la réparation juste, convenable et proportionnelle (voir Beaulac; Mazraani, par. 47-48).
(2) Le droit d’être avisé de ce droit fondamental
[43] Le paragraphe 530(3) C. cr. consacre le droit de l’accusé d’être avisé de son droit de subir un procès dans la langue officielle de son choix et des délais dans lesquels il doit formuler une demande à cet effet. Le législateur a voulu confier ultimement la sauvegarde de ce droit fondamental au juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois. D’une part, il ressort explicitement du texte du par. 530(3) C. cr. que le juge doit veiller à ce que l’accusé soit avisé de son droit fondamental et des délais en régissant l’exercice. D’autre part, si le juge de la première comparution constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé, ou encore s’il a le moindre doute à ce sujet, il ressort implicitement du texte du par. 530(3) C. cr. qu’il doit prendre les moyens nécessaires pour que l’accusé soit informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice. Bien que ce dernier point ne ressorte pas clairement du texte du par. 530(3) C. cr., il s’agit néanmoins de l’interprétation qui s’impose à la lumière de l’intention du législateur. C’est cette obligation à deux volets — qui impose au juge de veiller à ce que l’accusé soit dûment informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice, et, lorsque les circonstances le requièrent, de prendre les moyens nécessaires pour l’en informer — que j’appelle « l’obligation d’information » du juge.
[44] Le texte du par. 530(3) C. cr. prévoit que le juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois « veille » (« shall ensure » dans la version anglaise) à ce que l’accusé soit « avisé » (« advised » dans la version anglaise) de son droit et des délais dans lesquels celui-ci doit être exercé. L’utilisation de ces termes dans chacune des versions indique que le législateur entend que le juge s’assure (« make certain ») que chaque accusé soit informé de son droit et des modalités de son exercice afin d’être en mesure de s’en prévaloir en temps opportun (Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004), à l’entrée « ensure »; The Dictionary of Canadian Law (5e éd. 2020), à l’entrée « ensure »; Le Grand Robert de la langue française (version électronique), à l’entrée « aviser »; Grand Robert & Collins (version électronique), aux entrées « advise » et « aviser »). En d’autres mots, le juge doit faire montre de « vigilance » et « [s’]occuper activement » à faire en sorte que l’accusé soit dûment informé de son droit et des modalités de son exercice (Le Grand Robert de la langue française (version électronique), à l’entrée « veiller »). Il ne peut présumer le choix de l’accusé ou tenir pour acquis que ce dernier a été avisé de son droit et de ses modalités ou le sera. Le juge doit s’assurer, de manière proactive et systématique, que l’accusé est correctement informé, et ce, indépendamment du fait que celui-ci semble appartenir à une minorité linguistique ou qu’il ait pu être informé de ce droit ou pourrait l’être par une autre personne, par exemple son avocat. Bref, il doit prendre les mesures nécessaires afin de ne « pas avoir de doute » que l’accusé est bien au fait de son droit et de ses modalités (Mazraani, par. 34; voir aussi les par. 25, 32, 38, 44 et 60; R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10, 181 C.C.C. (3d) 485, par. 12; Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681, par. 49 (CanLII)).
[45] Il convient ici de souligner que si le juge constate que l’accusé n’a pas été correctement informé, ou encore s’il subsiste encore un doute à cet effet dans son esprit, il doit faire en sorte que l’accusé soit informé de son droit et des modalités de son exercice. S’il est vrai que cela n’est pas énoncé explicitement dans le texte, il s’agit néanmoins de l’interprétation la plus harmonieuse avec l’intention du législateur, telle qu’elle ressort de l’objet de la disposition et de l’historique législatif. Commençons par examiner l’objet du par. 530(3) C. cr. Cette disposition vise avant tout à favoriser la protection du droit fondamental de l’accusé de choisir la langue officielle dans laquelle il souhaite subir son procès, en s’assurant qu’il dispose en temps opportun de l’information nécessaire à l’exercice de ce droit. Dans le contexte des droits linguistiques, la jurisprudence enseigne que, lorsqu’il est question de la protection du droit de choisir d’une langue officielle, il est primordial que l’exercice de ce choix personnel soit libre et éclairé (Mazraani, par. 42 et 44). Ultimement, le but visé par le par. 530(3) C. cr. est donc d’assurer que soit communiquée en temps opportun à l’accusé l’information sur son droit fondamental et ses modalités afin de favoriser l’exercice par celui-ci d’un choix libre et éclairé de langue officielle. Cela exige que le juge de la première comparution prenne les moyens nécessaires pour que l’accusé soit informé de son droit et de ses modalités, s’il constate que l’accusé n’en a pas été correctement informé ou doute qu’il l’a été.
[46] L’historique législatif du par. 530(3) C. cr. révèle aussi qu’un principe de prudence doit guider en tout temps le juge chargé de veiller au respect du droit de l’accusé d’être avisé de ses droits linguistiques protégés par l’art. 530 C. cr., de sorte que le moindre doute doit l’amener à prendre les moyens nécessaires pour s’assurer que l’accusé est dûment informé. La version antérieure du paragraphe limitait l’obligation d’information imposée au juge aux cas où l’accusé se représentait seul. Il était alors présumé que les avocats informeraient correctement leurs clients de leurs droits linguistiques (voir Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, no 33, 3e sess., 30e lég., 31 mai 1978, p. 5-6; Gruben, p. 379). En 2008, en réponse à des critiques formulées par les tribunaux et d’autres institutions et organismes concernés selon lesquelles cette présomption était mal fondée en pratique, le législateur a modifié le par. 530(3) C. cr. afin d’étendre l’application de l’obligation d’information du juge à tous les accusés, indépendamment du fait qu’ils se représentent seuls ou qu’ils sont représentés par avocat (voir Beaulac, par. 37; Loi modifiant le Code criminel (procédure pénale, langue de l’accusé, détermination de la peine et autres modifications), L.C. 2008, c. 18, art. 18; Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, nº 65, 1re sess., 39e lég., 2 mai 2007, p. 2-3; Commissaire aux langues officielles, L’utilisation équitable du français et de l’anglais devant les tribunaux au Canada (1995), p. 104-105).
[47] Cette modification est importante. Elle constitue la reconnaissance législative d’un principe de prudence en vertu duquel il faut éviter de présumer, sans autre vérification diligente et proactive, qu’un accusé a été dûment informé de son droit et de ses modalités avant sa première comparution. Si ce principe de prudence s’applique à l’égard des accusés qui sont représentés par des avocats, malgré le fait que ces derniers ont généralement l’obligation déontologique d’informer leurs clients de leur droit fondamental à un procès dans la langue de leur choix, il s’applique à plus forte raison, à mon avis, à l’égard des accusés qui ne sont pas représentés par avocat ainsi qu’à l’égard de ceux qui auraient censément été informés de leur droit par une autre personne ou d’une autre façon avant leur première comparution.
[48] En outre, cette modification reflète l’intention du législateur de faire du juge l’ultime gardien du droit fondamental de chaque accusé de subir un procès dans la langue officielle de son choix, et de ce fait l’ultime gardien du caractère libre et éclairé du choix de la langue officielle par l’accusé. En imposant au juge l’obligation de prendre part activement au respect de ce droit fondamental, cette modification législative consacre le principe de l’offre active en matière de droits linguistiques (voir Débats du Sénat, vol. 144, nº 14, 2e sess., 39e lég., 21 novembre 2007, p. 274-275). Elle reconnaît l’importance que dans un contexte aussi intimidant que celui d’un procès criminel, où la liberté de l’accusé est en jeu, ce soit la personne en situation d’autorité, en l’occurrence le juge, qui assure, avec vigilance, prudence et proactivité, la protection des droits linguistiques de l’accusé consacrés par l’art. 530 C. cr., afin particulièrement d’atténuer toute crainte liée à l’exercice de ces droits et de favoriser le caractère libre et éclairé du choix (voir R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309, 126 O.R. (3d) 691, par. 62; voir aussi Commissariat aux services en français de l’Ontario, L’offre active de services en français : la clé de voûte à l’atteinte des objectifs de la Loi sur les services en français de l’Ontario (2016), p. 11).
[49] Il découle de ce qui précède que le juge de la première comparution qui omet de s’assurer activement que l’accusé a été informé de son droit fondamental et des modalités de son exercice, ou qui, lorsque les circonstances l’exigent, omet de faire en sorte que l’accusé en soit informé, contrevient à l’obligation d’information lui incombant. Une telle omission de la part du juge constitue un manquement au par. 530(3) C. cr. et porte atteinte au droit de l’accusé.
[50] Enfin, je souligne qu’un manquement au par. 530(3) C. cr. engendre des conséquences différentes selon le moment où il est soulevé. Lorsqu’il est soulevé en première instance, en dehors des périodes prévues au par. 530(1) C. cr., l’accusé peut déposer une demande tardive fondée sur le par. 530(4) C. cr. L’omission du juge de se conformer au par. 530(3) C. cr. constitue alors un facteur pertinent favorable à l’accusé, dont doit tenir compte le juge saisi de la demande lorsqu’il évalue la diligence manifestée par l’accusé dans l’exercice de son droit fondamental. Comme a écrit le juge Mainville de la Cour d’appel du Québec : [traduction] « Si le devoir énoncé a[u] par. 530(3) [. . .] C.cr. n’a pas été respecté, il sera plus difficile de refuser une demande tardive » (Dhingra, par. 51).
[51] Lorsque le manquement au par. 530(3) C. cr. est soulevé pour la première fois en appel, comme c’est le cas en l’espèce, les tribunaux ne s’entendent pas sur les conséquences qu’il emporte, tant en ce qui concerne le cadre d’analyse applicable que la réparation convenable. Certaines juridictions d’appel jugent qu’un manquement au par. 530(3) C. cr. cause en soi à l’accusé un préjudice très important, qui nécessite la tenue d’un nouveau procès (voir MacKenzie, par. 3, 11, 69 et 82-83; R. c. Deveaux (1999), 1999 CanLII 3182 (NS SC), 181 N.S.R. (2d) 81 (C.S.)). D’autres, y compris la Cour d’appel dans la présente affaire, sont plutôt d’avis qu’un tel manquement ne peut, à lui seul, justifier la tenue d’un nouveau procès en l’absence de preuve au dossier permettant de conclure qu’il a entraîné une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix ou un autre préjudice important (par. 106 et 125-126; voir aussi R. c. Caesar, 2015 TNOCA 4, par. 8-10 (CanLII)).
[52] Je vais m’efforcer ci-après de clarifier le cadre d’analyse applicable et la réparation convenable lorsqu’un manquement au par. 530(3) C. cr. est soulevé pour la première fois en appel. Mais il convient d’abord de dire quelques mots sur les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 686 C. cr.
D. Les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité
[53] L’article 686 C. cr. établit les pouvoirs d’une cour d’appel saisie d’un appel d’une déclaration de culpabilité. Les extraits pertinents de cet article sont rédigés ainsi :
686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel :
a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :
(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,
(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,
(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;
b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :
(i) elle est d’avis que l’appelant, bien qu’il n’ait pas été régulièrement déclaré coupable sur un chef d’accusation ou une partie de l’acte d’accusation, a été régulièrement déclaré coupable sur un autre chef ou une autre partie de l’acte d’accusation,
(ii) l’appel n’est pas décidé en faveur de l’appelant pour l’un des motifs mentionnés à l’alinéa a),
(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous-alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit,
(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, le tribunal de première instance était compétent à l’égard de la catégorie d’infractions dont fait partie celle dont l’appelant a été déclaré coupable et elle est d’avis qu’aucun préjudice n’a été causé à celui-ci par cette irrégularité;
(1) Le principe sous-jacent à toute intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr.
[54] L’alinéa 686(1)a) C. cr. permet à une cour d’appel d’intervenir seulement si l’appelant réussit à démontrer que le verdict est déraisonnable, qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu erreur judiciaire. Ces trois motifs d’intervention ont en commun le même principe sous-jacent : une cour d’appel ne peut généralement intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Autrement, il s’agit d’une erreur sans conséquence juridique, sous réserve des cas où l’erreur, sans causer un préjudice direct à l’accusé, est grave au point d’ébranler la confiance de la population dans l’administration de la justice (voir R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 51, citant R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222, par. 89; R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 67-68).
[55] Le sous-alinéa 686(1)a)(i) C. cr. vise les situations intrinsèquement préjudiciables à l’accusé, soit celles où ce dernier fait l’objet d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, c’est-à-dire que le verdict de culpabilité ne peut raisonnablement s’appuyer sur la preuve ou est vicié par un raisonnement illogique ou irrationnel (R. c. Brunelle, 2022 CSC 5, par. 7, se référant à R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, et R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3; voir aussi Sinclair, par. 76, la juge Charron, motifs concordants, citant R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), p. 219). Le sous-alinéa 686(1)a)(ii), pour sa part, lorsqu’il est considéré de pair avec les dispositions réparatrices des sous-al. 686(1)b)(iii) et (iv), présume qu’une erreur de droit est préjudiciable à l’accusé, à moins que le ministère public ne puisse démontrer le contraire avec la certitude requise (voir R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 16; Sinclair, par. 76, citant Morrissey, p. 219; S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 566-567, 574, 578 et 581-582). Enfin, le sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr. permet à une cour d’appel d’intervenir dans toute autre situation causant un préjudice à l’origine d’une erreur judiciaire. Ce sera le cas lorsque l’accusé a été déclaré coupable au terme d’un procès qui, dans les faits ou en apparence, est inéquitable, par exemple lorsque ce dernier a plaidé coupable alors qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte de son plaidoyer qui, si elle avait été connue, l’aurait incité à agir différemment (Davey, par. 51, citant Wolkins, par. 89; Kahsai, par. 67, se référant à Khan, par. 69 et 73; R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696, par. 5, 25 et 39, les juges Moldaver, Gascon et Brown, et par. 44, 79 et 85, le juge Wagner, dissident).
[56] Bref, en règle générale, une cour d’appel ne peut intervenir que si l’erreur a été préjudiciable à l’accusé. Les verdicts déraisonnables (sous-al. 686(1)a)(i) C. cr.) et les erreurs judiciaires (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.) sont la plupart du temps, par nature, préjudiciables à l’accusé, alors que les erreurs de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.) sont présumées l’être (voir Khan, par. 16; Coughlan, pp. 574-575 et 582).
(2) L’importance de distinguer les erreurs de droit des deux autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) C. cr.
[57] En conséquence, l’intérêt principal de la distinction entre les erreurs de droit et les autres types d’erreurs énoncées à l’al. 686(1)a) C. cr. réside avant tout dans l’attribution du fardeau de démontrer le caractère préjudiciable ou non de l’erreur. Lorsqu’il s’agit d’une erreur de droit, puisqu’une telle erreur est présumée être préjudiciable à l’accusé, c’est alors au ministère public qu’il incombe, au stade de l’analyse fondée sur l’une des deux dispositions réparatrices, de démontrer l’absence de préjudice. Lorsqu’il s’agit d’un autre type d’erreur, le fardeau de démontrer le caractère préjudiciable de l’erreur revient à l’accusé qui interjette appel de sa déclaration de culpabilité (voir R. c. Arradi, 2003 CSC 23, [2003] 1 R.C.S. 280, par. 38; Morrissey, p. 219; Coughlan, p. 574).
[58] Cela signifie qu’il est en principe moins lourd pour un accusé de faire la démonstration d’une erreur de droit que de faire la démonstration des deux autres types d’erreurs visés par l’al. 686(1)a) C. cr. Dans le premier cas, il suffit de démontrer l’existence d’une erreur ou d’une irrégularité pour faire naître une présomption de préjudice et, de ce fait, pour permettre l’intervention d’une cour d’appel. Il revient ensuite au ministère public, s’il le souhaite, dans le cadre de l’analyse fondée sur l’une ou l’autre des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr., de réfuter cette présomption en démontrant que l’erreur de droit en cause n’a, dans les faits, causé aucun préjudice à l’accusé (voir Khan, par. 23; Coughlan, p. 574-575 et 582; M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2023 (30e éd. 2023), nº 51.238). Dans le second cas, le simple fait de démontrer l’existence d’une erreur ou d’une irrégularité est insuffisant. Il faut, en plus, que l’accusé démontre que celle-ci lui a été préjudiciable.
[59] En l’espèce, personne ne prétend que le manquement au par. 530(3) C. cr. qui est en cause a entraîné un verdict déraisonnable (sous-al. 686(1)a)(i) C. cr.). Au cœur du présent litige se trouve plutôt la distinction entre l’erreur de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.) et l’erreur judiciaire (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.). Il importe donc de concentrer l’analyse sur ces deux types d’erreurs, en commençant par l’erreur de droit.
a) L’erreur de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.)
[60] Le sous-alinéa 686(1)a)(ii) C. cr. a été interprété de manière très large dans la jurisprudence. L’examen de celle-ci permet de conclure que constitue une erreur de droit visée par ce sous-alinéa toute erreur dans l’application d’une règle de droit, pour autant qu’elle soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge. Dans de telles circonstances, le jugement du tribunal de première instance « constitue une décision erronée sur une question de droit » visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., ce qui permet de présumer l’existence d’un préjudice et peut justifier d’annuler la condamnation.
(i) Une erreur dans l’application d’une règle de droit
[61] Tout d’abord, une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. implique une erreur dans l’application d’une règle de droit. À ce sujet, trois précisions s’imposent.
[62] Premièrement, une erreur dans l’application d’une règle de droit peut avoir diverses origines, y compris une interprétation erronée de la règle de droit (Khan, par. 22; Arradi, par. 39; Coughlan, p. 574-575; T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal (2e éd. 2012), p. 147-149).
[63] Deuxièmement, l’erreur d’application peut survenir dans le cadre d’une décision ou par voie d’omission fautive, c’est-à-dire d’omission injustifiée d’appliquer une règle de droit. S’il est vrai que, conjuguée aux propos de la majorité dans l’affaire Khan (voir les par. 7, 17 et 22), l’expression « une décision erronée sur une question de droit » figurant au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. peut à première vue appuyer l’idée qu’une erreur de droit se limite à une décision erronée en droit, il est clair à la lumière de la jurisprudence de notre Cour qu’il peut aussi s’agir d’une omission fautive. Plus exactement, l’omission d’appliquer une règle de droit — par exemple en omettant de s’y conformer — peut constituer une erreur de droit. C’est le cas entre autres lorsqu’un juge omet de donner à un jury une directive qu’il était pourtant tenu de formuler (voir R. c. Chambers, 1990 CanLII 47 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1293, p. 1318; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716, par. 32-34; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 48-49; Coughlan, p. 575); de corriger les remarques préjudiciables prononcées par le procureur du ministère public à l’égard d’un témoin de la défense (R. c. Romeo, 1991 CanLII 113 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 86, p. 95); de désigner un interprète lorsqu’il est évident que l’accusé a, pour des raisons linguistiques, de la difficulté à s’exprimer ou à comprendre les procédures de telle sorte que cette omission viole son droit constitutionnel protégé par l’art. 14 de la Charte (R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, p. 980-981 et 1008-1009); de se conformer à une règle procédurale (voir R. c. Mitchell (1997), 1997 CanLII 6321 (ON CA), 36 O.R. (3d) 643 (C.A.); R. c. Sciascia, 2016 ONCA 411, 131 O.R. (3d) 375, par. 82-83 et 86, conf. pour d’autres motifs par 2017 CSC 57, [2017] 2 R.C.S. 539, par. 7 et 45; Coughlan, p. 566; Khan, par. 16); ou encore de fournir des motifs suffisants à l’appui d’une décision (R. c. G.F., 2021 CSC 20, [2021] 1 R.C.S. 801, par. 108, les juges Brown et Rowe, motifs concordants, se référant, entre autres, à R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, par. 25 et 28). Bref, il ressort de la jurisprudence qu’une erreur dans l’application d’une règle de droit peut constituer tant une décision erronée en droit qu’une omission injustifiée de se conformer à une règle de droit. D’ailleurs, cela explique sûrement pourquoi dans l’arrêt Khan la juge Arbour a indiqué que dans le cas d’une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., il « peut » — sans s’y limiter — « s’agir de toute décision » (par. 22).
[64] Troisièmement, pour que naisse une présomption de préjudice, il n’est pas nécessaire que la règle de droit erronément appliquée soit de nature substantielle. Cela tient au fait qu’il est bien établi qu’une irrégularité procédurale, qu’elle soit anodine ou grave, peut constituer une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. et entraîner l’application des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr. (Khan, par. 16; R. c. Bain, 1992 CanLII 111 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 91, p. 134-135, le juge Gonthier, dissident, citant R. c. Cloutier (1988), 1988 CanLII 199 (ON CA), 43 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.), p. 46 et 48). Bref, le préjudice présumé en raison de l’erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., lequel permet d’annuler la condamnation, peut découler d’un manquement à un droit de nature tant substantielle que procédurale (voir Coughlan, p. 576).
[65] Ensuite, pour constituer une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., l’application erronée d’une règle de droit doit être liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et avoir été commise par un juge. C’est seulement lorsque ces deux critères sont réunis qu’il est possible de conclure que l’erreur a entaché le jugement du tribunal de première instance, de telle sorte qu’il est permis de présumer l’existence d’un préjudice et d’annuler la condamnation.
(ii) Liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité
[66] Pour entacher le jugement de première instance de la sorte, l’erreur dans l’application de la règle de droit n’a pas besoin d’être « lié[e] au verdict final » ou encore d’être une erreur ou une irrégularité sur laquelle le verdict est « fondé ou aurait pu être fondé, portant ainsi préjudice à l’accusé » (Khan, par. 20 et 22). Elle doit néanmoins être liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité, de sorte qu’elle « contribu[e] au verdict final comme c’est toujours le cas » (Khan, par. 22; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.236).
(iii) Commise par un juge
[67] De plus, pour entacher ainsi le jugement de première instance, l’erreur dans l’application d’une règle de droit doit avoir été commise par un juge. Dans la majorité des situations, l’erreur ou l’irrégularité sera commise par le juge du procès. C’est le cas par exemple lorsque le juge du procès omet de donner une directive au jury qu’il est pourtant tenu de donner (voir Chambers, p. 1318; Van, par. 32-34; Abdullahi, par. 48-49; Coughlan, p. 575); condamne un accusé séance tenante pour outrage au tribunal alors qu’il n’est ni urgent ni impératif de le faire, le privant ainsi injustement des garanties procédurales auxquelles il a droit (voir Arradi, par. 36 et 40); contrevient, par voie de décision erronée ou d’omission fautive, à un droit protégé par la Charte, tel le droit à un interprète (voir Tran); décide erronément de rejeter la demande d’une partie d’ordonner un nouveau procès (voir Khan); exclut l’accusé de son procès en contravention avec l’art. 650 C. cr. (voir R. c. Barrow, 1987 CanLII 11 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 694; R. c. D.Q., 2021 ONCA 827, 411 C.C.C. (3d) 292); ou encore décide à tort de ne pas remédier à une ordonnance de division et de séparation des chefs d’accusation rendue par un juge qui n’est pas le juge du procès (voir R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333).
[68] Toutefois, ce ne sera pas toujours le cas. Il peut arriver que l’erreur dans l’application d’une règle de droit soit commise par un juge qui n’est pas celui du procès. C’est le cas par exemple lorsqu’un juge, qui n’est pas celui du procès, rend une décision erronée sur le droit fondamental d’un accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Cette décision erronée peut constituer une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., et ce, même si elle n’est pas portée à l’attention du juge du procès (Beaulac, par. 11 et 53-55, inf. (1997), 1997 CanLII 3579 (BC CA), 120 C.C.C. (3d) 16 (C.A. C.-B.), par. 1, 54 et 57-58). C’est aussi le cas lorsqu’une irrégularité, assimilable à une erreur de droit et pouvant donc être réparée par application du sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr., survient avant la tenue du procès (voir Khan, par. 16 et 18; Coughlan, p. 566-567). L’exemple du juge de paix qui omet de lire à un prévenu les accusations pesant contre lui ou ne « l’appelle » pas correctement à faire son choix de mode de procès, en contravention avec le par. 536(2) C. cr., illustre bien ce cas de figure (voir Mitchell).
[69] À la lumière de cette définition à trois volets, il est aisé de comprendre pourquoi le cadre d’analyse de l’erreur judiciaire visée au sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr. doit généralement être privilégié dans les cas où un accusé soulève, pour la première fois en appel, l’assistance ineffective de son avocat (Khan, par. 17; voir aussi R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520; R. c. White, 2022 CSC 7) ou l’invalidité de son plaidoyer de culpabilité dans les circonstances évoquées dans l’arrêt Wong. En effet, il est alors inapproprié d’analyser le moyen d’appel sous l’angle de l’erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., puisque dans les deux cas aucune erreur dans l’application d’une règle de droit commise par un juge ne sera généralement en cause. Il en va de même, par exemple, lorsque ce qui est allégué est une contravention à une règle de droit commise par une autre personne qu’un juge, comme le ministère public (voir R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777; Davey). Similairement, cela permet de comprendre pourquoi, dans les cas où ce qui est allégué est l’exercice erroné d’un pouvoir hautement discrétionnaire d’un juge, c’est le cadre de l’erreur judiciaire qui s’applique (Fanjoy c. La Reine, 1985 CanLII 53 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 233, p. 238‑239; Kahsai, par. 72 et 74). En effet, si l’exercice d’un pouvoir hautement discrétionnaire peut techniquement entrer dans la définition d’« application » erronée d’une règle de droit, il est à ce point tributaire « des faits et des circonstances de chaque affaire » que notre Cour a plutôt préféré préciser qu’il « ne sera pas déterminé par la simple application d’une règle de droit établie » (Fanjoy, p. 238-239).
[70] Je reconnais que, dans le passé, certaines erreurs ou irrégularités correspondant à la définition d’erreurs de droit visées au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. ont été analysées suivant le cadre de l’erreur judiciaire puis qualifiées comme telles. La question de la partialité du juge vient à l’esprit : l’erreur du juge qui rejette une requête en récusation ou qui omet de se récuser alors qu’il existe une crainte raisonnable de partialité a historiquement été analysée suivant le cadre de l’erreur judiciaire (J. Sopinka, M. A. Gelowitz et W. D. Rankin, Sopinka, Gelowitz and Rankin on the Conduct of an Appeal (5e éd. 2022), p. 295). Or, il s’agit d’un cas où la qualification de l’erreur visée à l’al. 686(1)a) C. cr. n’a aucune incidence sur le fardeau de preuve incombant à l’appelant ni sur le résultat, de sorte que [traduction] « la même conclusion serait tirée indépendamment de la voie suivie » (Coughlan, p. 577). En effet, peu importe qu’il s’agisse d’une erreur de droit ou d’une erreur judiciaire, l’appelant qui allègue la partialité du juge du procès comme motif justifiant l’annulation de son verdict de culpabilité doit établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, auquel cas la cour d’appel devra, « de façon inexorable », ordonner un nouveau procès (R. c. Curragh Inc., 1997 CanLII 381 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 537, par. 5). Qu’il s’agisse d’une erreur judiciaire ou encore d’une erreur de droit à laquelle il ne peut être remédié par application des dispositions réparatrices en raison du préjudice qu’elle cause, la distinction est théorique dans ce genre de situations (Coughlan, p. 574 et 577; voir aussi, p. ex., Beaulac, par. 53-54, et Tran, p. 1008-1009).
[71] Pour résumer, constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. toute erreur dans l’application d’une règle de droit, pour autant qu’elle soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge. En outre, cette erreur peut avoir été commise à l’occasion d’une décision ou d’une omission fautive. Elle peut aussi être liée à une règle de droit tant procédurale que substantielle. Cette définition est non seulement en harmonie avec le texte de l’art. 686 C. cr. et sa mécanique inhérente, mais également conforme à l’interprétation jurisprudentielle qui en a été faite au fil du temps. Elle a aussi l’avantage d’être accessible, intelligible, claire et prévisible (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 68). Il en résulte un large éventail d’erreurs pouvant être qualifiées d’erreurs de droit visées au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., ce qui explique d’ailleurs pourquoi [traduction] « [l]a plupart des erreurs qui ne pas basées sur le caractère déraisonnable du verdict vont se rapporter à une erreur de droit » (Coughlan, p. 574; voir aussi Khan, par. 25).
b) L’erreur judiciaire (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.)
[72] Par comparaison, les erreurs judiciaires visées au sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr. constituent une catégorie résiduelle d’erreurs qui existe afin qu’une condamnation « puisse être annulée lorsqu’il y a eu un procès inéquitable, peu importe que l’erreur soit de nature procédurale ou substantielle » (Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.250; voir aussi Khan, par. 18 et 27). La question à trancher à cet égard consiste à décider si l’irrégularité était grave au point de rendre le procès inéquitable ou de créer une apparence d’iniquité (Khan, par. 69, le juge LeBel, motifs concordants; voir aussi Fanjoy, p. 238-240; Davey, par. 50-51; Kahsai, par. 67-69). Il s’agit d’une norme « élevée », qui « l’est encore plus lorsqu’elle est invoquée sur le fondement d’une apparence d’iniquité plutôt que sur celui d’un préjudice réel » (Kahsai, par. 68).
[73] Les tribunaux ont conclu à l’existence d’une erreur judiciaire dans un large éventail de circonstances (voir A. Stylios, J. Casgrain et M.-É. O’Brien, Procédure pénale (2023), par. 18-76 à 18-81). Parmi les exemples d’erreur judiciaire, il y a l’assistance ineffective de l’avocat (voir White), la violation du secret professionnel de l’avocat par l’avocat de la défense (Kahsai, par. 69, se référant à R. c. Olusoga, 2019 ONCA 565, 377 C.C.C. (3d) 143), ou encore l’erreur dans l’appréciation de la preuve qui, bien que ne rendant pas le verdict déraisonnable, constitue néanmoins un déni de justice (R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732, par. 1; Coughlan, p. 576-577). Une iniquité causée par l’exercice d’un pouvoir « hautement discrétionnaire », liée à une instance ayant mené à un verdict de culpabilité et attribuable à un juge est aussi généralement analysée suivant le cadre de l’erreur judiciaire (Fanjoy, p. 238-239; Kahsai, par. 72 et 74).
(3) Les dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr.
[74] L’alinéa 686(1)b) C. cr. comporte deux dispositions réparatrices qui peuvent être invoquées par le ministère public (R. c. Pétel, 1994 CanLII 133 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 3, p. 17; R. c. McMaster, 1996 CanLII 234 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 740, par. 37). Celle énoncée au sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. permet à une cour d’appel de rejeter l’appel au motif qu’une erreur ou une irrégularité n’a entraîné aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave (Khan, par. 16 et 18). La seconde, énoncée au sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr., permet d’arriver au même résultat lorsqu’une erreur ou une irrégularité entraîne une perte de compétence, pourvu que l’accusé n’ait subi aucun préjudice et que le tribunal de première instance soit à tout le moins demeuré compétent pour trancher la catégorie d’infractions (Khan, par. 11, 16 et 18, citant avec approbation Cloutier; R. c. Esseghaier, 2021 CSC 9, [2021] 1 R.C.S. 101, par. 2; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.245).
[75] Les deux dispositions réparatrices ont pour objectif commun de permettre le rejet d’un appel lorsque l’erreur ou l’irrégularité démontrée par l’accusé ne lui a pas pour autant été préjudiciable (voir Khan, par. 23 et 30; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 31:1376.50; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.238; Coughlan, p. 574-575 et 582). Elles tentent en définitive « de mettre un frein à l’annulation des verdicts ou des procès en droit criminel pour des motifs liés essentiellement aux aspects techniques du droit, qui n’ont pas d’incidence réelle sur la légalité fondamentale ou l’équité du procès » (Khan, par. 98, le juge LeBel, motifs concordants).
[76] La disposition réparatrice énoncée au sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. s’applique généralement lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur. Cela survient dans deux cas : (1) si l’erreur ou l’irrégularité en question est négligeable ou inoffensive de sorte qu’elle n’a eu aucune incidence sur le verdict; ou (2) si l’erreur ou l’irrégularité, malgré sa gravité qui justifierait la tenue d’un nouveau procès, n’a causé aucun tort important ni erreur judiciaire grave, car la preuve contre l’appelant est à ce point accablante que le juge des faits rendrait inévitablement un verdict de culpabilité (voir Tran, p. 1008-1009; Khan, par. 28-31; Van, par. 34-36; R. c. R.V., 2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237, par. 85; R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, par. 65; Vauclair, Desjardins et Lachance, nos 51.237-51.238). Pour ce qui est de la disposition réparatrice prévue au sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr., à ce jour, l’analyse de la question du préjudice se fait conformément aux principes du sous‑al. 686(1)b)(iii) (voir Khan, par. 16 et 18; Esseghaier, par. 51-53; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.245). En conséquence, [traduction] « le sous‑alinéa 686(1)b)(iv) est dans une large mesure parallèle au sous‑alinéa 686(1)b)(iii), mais il ne s’applique qu’à une gamme étroite d’irrégularités procédurales entraînant une erreur de compétence qui ne pourrait être qualifiée de pure erreur de droit » (Coughlan, p. 582).
[77] Sur cette toile de fond, il convient maintenant de se pencher sur le cadre d’analyse applicable lorsqu’un accusé porte en appel sa déclaration de culpabilité et soulève pour la première fois un manquement au par. 530(3) C. cr., alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques.
E. Le cadre d’analyse applicable lorsqu’un manquement au par. 530(3) C. cr. est soulevé pour la première fois en appel
[78] Le bon cadre d’analyse doit, d’une part, se fonder sur les enseignements de l’arrêt Beaulac — lesquels, comme il a été expliqué précédemment, favorisent la protection des droits linguistiques des accusés — et, d’autre part, s’intégrer harmonieusement dans le régime d’appel d’une déclaration de culpabilité, notamment dans la logique et la structure de l’art. 686 C. cr.
(1) Ce que l’accusé doit démontrer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel
[79] La question de savoir ce qu’un accusé placé dans la même situation que M. Tayo Tompouba doit démontrer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. a un impact déterminant sur le sort du pourvoi. Or, la réponse à cette question dépend de la façon dont le manquement au par. 530(3) C. cr. est qualifié, c’est-à-dire soit comme une erreur de droit (sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.) soit comme une erreur judiciaire (sous-al. 686(1)a)(iii) C. cr.).
[80] S’il s’agit d’une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., comme le suggère M. Tayo Tompouba, la simple démonstration du manquement au par. 530(3) C. cr. suffit pour permettre l’intervention d’une cour d’appel. Cette démonstration fait naître une présomption que le manquement au par. 530(3) C. cr. a causé un préjudice, présomption qui peut ensuite être réfutée par le ministère public à l’étape de l’analyse relative à la disposition réparatrice (voir Khan, par. 23; Coughlan, p. 574-575 et 582; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.238). Dans le contexte des droits linguistiques protégés par l’art. 530 C. cr., le préjudice dont il est question n’a naturellement pas trait à l’équité du procès ni à la fiabilité du verdict, mais se rapporte plutôt à la violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix (Beaulac, par. 53).
[81] En revanche, si le manquement au par. 530(3) C. cr. ne peut être qualifié d’erreur de droit, c’est le cadre d’analyse de l’erreur judiciaire qui doit s’appliquer, comme l’affirment le ministère public et deux de mes collègues. Il revient alors à l’accusé de démontrer que le manquement au par. 530(3) C. cr. lui a causé un préjudice qui est à l’origine d’une erreur judiciaire (voir Wong, par. 5 et 39, les juges Moldaver, Gascon et Brown, et par. 44, 79 et 85, le juge Wagner, dissident; Coughlan, p. 574-577). Aucune présomption ne joue en faveur de l’accusé dans un tel cas. En d’autres termes, il doit non seulement faire la preuve du manquement au par. 530(3) C. cr., mais également de la violation de son droit fondamental de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
[82] À mon avis, un manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., de telle sorte qu’un accusé n’a qu’à la dénoncer pour permettre l’intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. La question de savoir si l’erreur de droit a été préjudiciable à l’accusé et, si oui, dans quelle mesure, est importante. Mais elle se pose dans le cadre de l’application de la disposition réparatrice et il incombe alors au ministère public de convaincre la cour d’appel que l’erreur n’a pas été préjudiciable à l’accusé (Khan, par. 23; Coughlan, p. 574-575; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.238). Avant d’aborder cet aspect de l’analyse, je vais expliquer pourquoi un manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. et non, comme le suggèrent le ministère public et deux de mes collègues, une erreur judiciaire.
[83] Comme je l’ai expliqué précédemment, la jurisprudence enseigne que constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. toute erreur dans l’application d’une règle de droit, pour autant qu’elle soit liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et qu’elle ait été commise par un juge — que ce soit le juge du procès ou un autre juge, incluant un juge de paix. En outre, cette erreur dans l’application d’une règle de droit peut découler tant d’une décision erronée en droit que d’une omission fautive. Elle peut aussi être liée à une règle de droit procédurale ou substantielle. Lorsque ces trois éléments sont réunis, le jugement du tribunal de première instance est entaché d’une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr., ce qui permet de présumer l’existence d’un préjudice et peut justifier l’annulation de la déclaration de culpabilité.
[84] L’omission du juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois de respecter l’obligation d’information qui lui incombe en vertu du par. 530(3) constitue une erreur dans l’application d’une règle de droit (Arradi, par. 39; Khan, par. 22; Coughlan, p. 574-575). En omettant erronément d’appliquer une règle de droit impérative d’application générale, le juge commet ce que j’ai désigné comme étant une « omission fautive ». De plus, parce que cette irrégularité est liée à l’instance ayant mené à la déclaration de culpabilité et commise par un juge, elle a pour effet d’entacher le jugement du tribunal de première instance d’une manière qui permet l’intervention d’une cour d’appel en vertu du sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr.
[85] Enfin, bien que ce ne soit pas déterminant, j’estime utile de souligner que ma conclusion trouve écho dans la jurisprudence sur les droits linguistiques, où notre Cour a affirmé que l’omission pour un juge de tenir compte des droits linguistiques d’un justiciable constitue une erreur de droit (voir Mazraani, par. 48).
[86] Cette conclusion est également appuyée par l’objet de l’art. 530, tel qu’il a été interprété et mis en œuvre dans l’affaire Beaulac. En effet, comme je l’ai mentionné plus tôt, dans cet arrêt notre Cour a réduit le fardeau d’un accusé qui souhaite exercer tardivement son droit fondamental de subir son procès dans la langue officielle de son choix en énonçant qu’une présomption joue en sa faveur, en plus de préciser qu’il revient au ministère public de réfuter cette présomption (par. 42 et 56). De même, le fait de qualifier le manquement au par. 530(3) C. cr. d’erreur de droit réduit le fardeau de l’appelant en faisant jouer une présomption en sa faveur une fois le manquement établi, tout en accordant au ministère public la possibilité de réfuter cette présomption en démontrant l’absence de violation du droit fondamental de l’appelant de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
[87] En conséquence, la Cour d’appel a eu raison de qualifier d’erreur de droit le manquement au par. 530(3) C. cr. Elle a toutefois fait erreur en affirmant qu’un accusé placé dans la même situation que M. Tayo Tompouba doit, pour pouvoir avoir gain de cause en appel, démontrer non seulement ce manquement, mais également la violation de son droit fondamental à un procès dans la langue officielle de son choix.
(2) Ce que le ministère public peut démontrer pour permettre malgré tout le rejet de l’appel
[88] Contrairement aux prétentions de M. Tayo Tompouba, rien n’empêche l’application de l’une des dispositions réparatrices prévues à l’al. 686(1)b) C. cr., pourvu que le ministère public démontre que le droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix n’a pas été violé.
[89] Le manquement au par. 530(3) C. cr. est une erreur qui fait perdre au tribunal sa compétence sur l’instance (Bessette, par. 27; Munkonda, par. 131-133). Le ministère public peut donc s’appuyer sur la disposition réparatrice du sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr. et tenter de démontrer qu’aucun préjudice n’a été causé par cette erreur (Khan, par. 16; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.246). Ainsi, une fois le manquement au par. 530(3) C. cr. établi, le ministère public peut plaider que, malgré cette erreur de droit, il y a néanmoins lieu de rejeter l’appel au motif que celle-ci n’a pas causé de préjudice à l’accusé dans les faits — c’est-à-dire que l’erreur n’a pas entraîné une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix. S’il réussit, la présomption selon laquelle l’erreur de droit a causé un préjudice à l’accusé est réfutée et la cour d’appel saisie de l’affaire peut appliquer la disposition réparatrice (voir Khan, par. 16; Coughlan, p. 574-575 et 582).
[90] Il convient de souligner trois avenues que peut emprunter le ministère public pour démontrer que le droit fondamental de l’accusé n’a pas été violé et qu’il est donc opportun de rejeter l’appel au motif que l’appelant n’a pas subi de préjudice du fait du manquement au par. 530(3) C. cr. En premier lieu, le ministère public peut plaider que l’appelant ne possède pas une maîtrise suffisante de la langue officielle qu’il n’a pas été en mesure de choisir en première instance — c’est-à-dire qu’il est incapable de donner des directives à un avocat et de suivre des procédures judiciaires dans cette langue — de sorte qu’il ne peut pas se prévaloir de son droit fondamental (Beaulac, par. 34). En deuxième lieu, le ministère public peut démontrer que, même s’il avait été dûment informé de son droit et qu’il possédait une maîtrise suffisante de la langue qu’il n’a pas été en mesure de choisir, l’appelant aurait de toute façon choisi de subir un procès dans la langue dans laquelle son procès s’est déroulé. Finalement, le ministère public peut démontrer que l’appelant a eu connaissance en temps opportun de son droit fondamental autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr., de telle sorte qu’il est possible de conclure qu’il a choisi de manière libre et éclairée l’anglais ou le français. Dans tous les cas, la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités (voir R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485, par. 34, le juge Binnie, dissident; Esseghaier, par. 54).
[91] Pour s’acquitter de son fardeau, le ministère public peut s’appuyer sur les éléments de preuve déjà au dossier ou formuler une demande afin d’être autorisé à produire de nouveaux éléments de preuve. À titre d’exemple, le ministère public pourrait demander à une cour d’appel l’autorisation de déposer en preuve des transcriptions sténographiques d’autres dossiers criminels d’un accusé anglophone qui a subi un procès en anglais, lesquelles indiquent que ce dernier n’a pas une maîtrise suffisante du français (voir R. c. Deutsch (2005), 2005 CanLII 47598 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 361 (C.A. Ont.), par. 45-47).
[92] À cet égard, je souligne que le principe cardinal qui guide l’admissibilité d’une preuve nouvelle est l’intérêt de la justice (voir l’art. 683(1) C. cr.; R. c. Hay, 2013 CSC 61, [2013] 3 R.C.S. 694, par. 63, citant Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775; R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, par. 28). Normalement, selon l’affaire Palmer, le pouvoir discrétionnaire d’admettre la production de nouveaux éléments de preuve est exercé en soupesant différents facteurs, soit la diligence raisonnable, la pertinence, la crédibilité et l’incidence sur le résultat (voir p. 775; Hay, par. 63; R. c. J.A.A., 2011 CSC 17, [2011] 1 R.C.S. 628, par. 7). Dans les rares cas où un accusé porte en appel sa déclaration de culpabilité et soulève pour la première fois un manquement au par. 530(3) C. cr., alors qu’aucune décision n’a été prise en première instance sur ses droits linguistiques, il va sans dire qu’il sera généralement dans l’intérêt de la justice d’admettre en preuve tout élément qui permet de déterminer si le droit fondamental de l’accusé a été effectivement violé.
[93] Si le ministère public échoue à démontrer que l’accusé ne possède pas une maîtrise suffisante de la langue qu’il n’a été en mesure de choisir, qu’il aurait de toute façon choisi de subir son procès dans la langue dans laquelle celui-ci s’est déroulé ou qu’il a choisi cette langue officielle de manière libre et éclairée, il est alors présumé que le manquement au par. 530(3) C. cr. a entraîné une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, causant alors un préjudice trop important à l’accusé pour maintenir la condamnation. Comme l’ont noté les auteurs Vauclair, Desjardins et Lachance, dans les cas où une erreur entraîne une violation du « droit fondamental [. . .] d’être jugé par un tribunal qui comprend la langue de l’accusé », le ministère public ne pourra réussir à y remédier « par l’application du sous-alinéa 686(1)b)(iv) du Code » (nº 51.246). En effet, dans l’arrêt Beaulac, notre Cour a établi qu’un verdict de culpabilité rendu au terme d’une audience où ce droit fondamental a été bafoué ne peut en aucun cas être sauvegardé par l’application d’une disposition réparatrice (voir les par. 53-54). En conséquence, la Cour d’appel a commis une erreur de droit en affirmant qu’il incombait à M. Tayo Tompouba de démontrer la violation de son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix au stade de l’analyse liée à la disposition réparatrice, plutôt qu’au ministère public de prouver le contraire.
(3) Ce cadre d’analyse permet de prévenir les risques d’instrumentalisation
[94] Il ressort des motifs de la Cour d’appel qu’elle était particulièrement préoccupée par les risques d’instrumentalisation pouvant découler d’un cadre d’analyse qui atténue le fardeau d’un appelant se trouvant dans la même situation que M. Tayo Tompouba. De même, le ministère public s’oppose à tout cadre d’analyse dans lequel il se verrait imposer le fardeau de démontrer que le droit fondamental de l’accusé n’a pas été violé, dans les cas où la question des droits linguistiques n’a pas été débattue en première instance. Le ministère public soutient que, dans de tels cas, les éléments de preuve au dossier relativement aux aptitudes linguistiques de l’appelant et aux raisons de la tardiveté de sa demande sont rares, voire inexistants. En conséquence, il risque d’éprouver de la difficulté à convaincre une cour d’appel qu’il serait opportun d’appliquer la disposition réparatrice. Le ministère public souligne qu’il est possible que plusieurs éléments susceptibles d’être pertinents pour démontrer l’absence de violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix ne soient connus que de ce dernier et qu’ils soient, de ce fait, hors de sa portée par le jeu notamment du privilège lié au secret professionnel. En somme, s’il est tenu de faire cette démonstration dans le cadre de l’analyse de la disposition réparatrice, le ministère public prétend que des accusés qui n’ont pas reçu l’avis prévu au par. 530(3) C. cr. bénéficieront d’un avantage stratégique indu en invoquant leur droit linguistique pour la première fois en appel.
[95] À cet égard, à l’instar de la Cour d’appel, je souligne l’importance de prévenir l’instrumentalisation en appel des violations des droits linguistiques. Comme l’a indiqué notre Cour dans Mazraani, il est tout à fait répréhensible pour une partie de tenter de tirer avantage d’une violation de ses droits linguistiques à des fins purement stratégiques (par. 38-39 et 52). De telles manœuvres sont condamnables et doivent, autant que possible, être sanctionnées. Cela dit, je suis d’avis que le cadre d’analyse applicable permet d’établir un juste équilibre entre, d’une part, l’importance constitutionnelle des droits linguistiques au Canada et, d’autre part, les risques d’instrumentalisation de ces droits en appel.
[96] D’abord, si un manquement au par. 530(3) n’implique pas, par le fait même, une violation du droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, le cadre d’analyse mis de l’avant permet néanmoins à un accusé de bénéficier d’une présomption de violation de son droit fondamental en cas de manquement au par. 530(3) C. cr. Comme l’a énoncé notre Cour dans Mazraani, le choix effectué par une personne eu égard à ses droits linguistiques doit être libre et éclairé (par. 42, 44 et 73). Lorsque le juge, l’ultime gardien des droits linguistiques, contrevient au mécanisme instauré par le législateur afin d’assurer le caractère libre et éclairé de ce choix — c’est-à-dire l’obligation d’information prévue au par. 530(3) C. cr. — il est tout à fait légitime et équitable de présumer, en l’absence d’une preuve à l’effet contraire, que cet objectif n’a pas été atteint.
[97] Ensuite, le cadre d’analyse énoncé permet au ministère public de réfuter, à l’étape de l’analyse liée à la disposition réparatrice, la présomption selon laquelle le droit fondamental de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix a été violé en raison du manquement au par. 530(3) C. cr. S’il parvient à le faire, l’appel peut alors être rejeté. Cela atténue significativement les risques d’instrumentalisation des droits linguistiques à des fins stratégiques. En effet, ce cadre d’analyse donne au ministère public la possibilité de faire obstacle aux accusés qui cherchent à faire un usage purement stratégique en appel d’un manquement au par. 530(3) C. cr. Il peut notamment s’opposer aux accusés qui ne possèdent pas une maîtrise suffisante de la langue officielle qu’ils n’ont pas été en mesure de choisir; aux accusés bilingues qui auraient de toute façon choisi de subir un procès dans la langue dans laquelle leur procès s’est déroulé; et aux accusés qui ont eu connaissance en temps opportun, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr., de leur droit de subir leur procès dans la langue officielle de leur choix, de sorte qu’il est possible de conclure qu’ils ont choisi de manière libre et éclairée la langue dans laquelle ils ont subi leur procès.
[98] Certes, il n’est pas possible de prévenir tous les risques d’abus. Même en tenant compte de la possibilité pour le ministère public de produire une preuve nouvelle, on ne saurait écarter complètement les appels dans lesquels le ministère public éprouvera de la difficulté à démontrer que le droit fondamental de l’accusé n’a pas été effectivement violé par le manquement au par. 530(3) C. cr. Dans de telles circonstances, il est possible que des accusés puissent tirer avantage en appel, à des fins purement stratégiques, d’une violation de leurs droits linguistiques survenue en première instance. Toutefois, à la réflexion, ces risques et difficultés sont tempérés par trois considérations.
[99] Premièrement, les difficultés rencontrées par le ministère public surviennent uniquement dans les cas où le juge ne s’est pas acquitté de l’obligation d’information qui lui incombe en vertu du par. 530(3) C. cr. Si le juge s’en est acquitté, l’accusé demeure libre de soulever pour la première fois en appel la violation de son droit de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Il lui revient alors de faire la preuve de cette violation afin de permettre l’intervention d’une cour d’appel au stade de l’analyse fondée sur l’al. 686(1)a) C. cr. Aucune présomption ne joue en sa faveur en l’absence d’un manquement au par. 530(3) C. cr.
[100] Deuxièmement, il est facile de prévenir ce genre de situations, notamment par l’implantation de pratiques systématiques pour assurer que l’obligation d’information du par. 530(3) C. cr. soit dans tous les cas respectée, comme l’ont déjà fait certaines provinces (voir R. c. Vaillancourt, 2019 ABQB 859, par. 6ee) (CanLII)). De même, le ministère public peut contribuer activement à prévenir ce genre de situations en rappelant au juge, lors de la première comparution de l’accusé, de s’acquitter de l’obligation imposée au par. 530(3) C. cr., comme l’a souligné avec justesse la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire MacKenzie, au par. 15(6).
[101] Enfin, le fardeau imposé au ministère public ainsi que les défis rencontrés par ce dernier pour s’en décharger ne sont pas différents de ceux qu’il assume en première instance suivant le cadre d’analyse imposé par l’arrêt Beaulac. En effet, lorsqu’un accusé dépose une demande tardive en première instance fondée sur le par. 530(4) C. cr., il existe en sa faveur une présomption que sa demande devrait être accueillie (Beaulac, par. 42 et 56). Il incombe au ministère public de réfuter cette présomption (par. 42, 44 et 56). Le ministère public fait alors face aux mêmes difficultés décrites précédemment, à savoir que plusieurs éléments de preuve susceptibles de lui être utiles sont hors de sa portée, notamment en raison du privilège lié au secret professionnel.
F. Application à l’espèce
[102] Il est admis que le juge n’a pas veillé à ce que M. Tayo Tompouba soit avisé de son droit de subir son procès en français, contrairement à l’obligation prévue au par. 530(3) C. cr. (m.a., par. 1 et 9; m.i., par. 1; motifs de la C.A., par. 13). Ceci constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. Le sort du pourvoi repose donc sur la capacité du ministère public à démontrer que le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a pas pour autant entraîné une violation du droit fondamental de M. Tayo Tompouba de subir son procès dans la langue officielle de son choix.
(1) La disposition réparatrice peut s’appliquer
[103] Monsieur Tayo Tompouba prétend que le ministère public se heurte à un obstacle insurmontable : il a expressément informé la Cour d’appel qu’il n’invoquait pas les dispositions réparatrices, de sorte qu’il n’est pas possible de les appliquer sans contrevenir à la règle proscrivant leur application proprio motu par une cour d’appel. Ce seul fait imposerait à la Cour d’accueillir son appel. Je ne suis pas d’accord.
[104] En règle générale, une disposition réparatrice n’est disponible en appel que si elle est invoquée par le ministère public. Une telle disposition ne peut en effet être appliquée par une cour d’appel de son propre chef (Pétel, p. 17). Il s’agit d’une règle jurisprudentielle qui vise, d’une part, à éviter que l’accusé subisse un préjudice en étant privé du droit de soumettre des observations sur l’applicabilité d’une telle disposition, et, d’autre part, à respecter l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public en matière de poursuites — pouvoir envers lequel les tribunaux font typiquement montre de déférence (voir R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, par. 46-47; Samaniego, par. 66; R. c. Cole, 2021 ONCA 759, 158 O.R. (3d) 680, par. 154-160).
[105] En ce qui concerne l’application de cette règle, il est désormais bien établi que le ministère public peut validement invoquer la disposition réparatrice de manière implicite. C’est le cas, par exemple, lorsque ses arguments reviennent essentiellement à plaider que l’erreur ou l’irrégularité constatée n’a dans les faits causé aucun préjudice à l’accusé, comme en témoignent les propos suivants de notre Cour sur le sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. :
. . . les cours d’appel peuvent l’appliquer si la Couronne l’a invoquée implicitement en plaidant essentiellement qu’il ne s’est produit aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ou encore que la preuve de la culpabilité est à ce point accablante que le verdict aurait été le même en l’absence de l’erreur (R. c. Ajise, 2018 CSC 51, [2018] 3 R.C.S. 301, par. 1, conf. 2018 ONCA 494, 361 C.C.C. (3d) 384, par. 32; R. c. Cole, 2021 ONCA 759, par. 155‑158 (CanLII); R. c. Hudson, 2020 ONCA 507, 391 C.C.C. (3d) 208, par. 49).
(Samaniego, par. 66)
[106] Or, c’est précisément le cas en l’espèce. Le ministère public a toujours plaidé que l’appelant n’a subi aucun préjudice découlant du manquement au par. 530(3) C. cr., car aucun élément au dossier ne permet de conclure que son droit fondamental de subir son procès dans la langue officielle de son choix a été violé. Il s’ensuit que la question du préjudice, qui est au cœur de l’analyse portant sur l’applicabilité de la disposition réparatrice, a toujours été une question centrale du pourvoi, que ce soit devant la Cour d’appel ou devant notre Cour (voir Cole, par. 156‑158, mentionné dans Samaniego, par. 66). Je souligne d’ailleurs que l’appelant a soumis à la Cour d’appel des observations écrites sur l’inapplicabilité des dispositions réparatrices en l’espèce (m.a. devant la C.A., par. 49 et 67, reproduit au d.i., p. 22 et 26).
[107] Il est vrai que le ministère public a expressément indiqué qu’il n’invoquait pas les dispositions réparatrices devant la Cour d’appel (d.a., vol. III, p. 155). Toutefois, cela ne fait pas obstacle à leur application. Les propos du ministère public doivent être replacés dans leur contexte. Ne pas invoquer les dispositions réparatrices devant la Cour d’appel est la conséquence logique des arguments qu’il a fait valoir en appel. Le ministère public a en effet prétendu que l’appelant avait le fardeau de prouver la violation de son droit fondamental de subir un procès dans la langue officielle de son choix — et non seulement le manquement au par. 530(3) C. cr. — afin d’établir l’existence d’une erreur permettant à une cour d’appel d’intervenir en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. Cette position a pour conséquence d’empêcher l’application des dispositions réparatrices de l’al. 686(1)b) C. cr., en vertu de l’arrêt Beaulac (par. 54).
[108] Dans ce contexte, aucune atteinte à l’équité procédurale ne découle de l’application de la disposition réparatrice. Le défaut de M. Tayo Tompouba d’introduire une nouvelle preuve en réponse aux arguments du ministère public sur l’absence de préjudice causé par le manquement au par. 530(3) C. cr. ne peut être interprété autrement que comme étant un choix stratégique et délibéré.
[109] Quoi qu’il en soit, le ministère public demande maintenant explicitement l’application de la disposition réparatrice dans ses prétentions écrites (voir, p. ex., m.i., par. 112). Il s’ensuit que tout préjudice subi par M. Tayo Tompouba — si préjudice il y a eu — est corrigé. D’ailleurs, ce dernier a présenté à notre Cour des observations écrites et orales portant que les dispositions réparatrices ne peuvent trouver application compte tenu de l’arrêt Beaulac ou que, même si elles trouvent application, le ministère public a échoué à démontrer l’absence de préjudice (m.a., par. 46-54 et 80-84).
(2) Le ministère public a échoué à démontrer que le droit fondamental de M. Tayo Tompouba a été respecté dans les faits
[110] Comme je conclus qu’il est possible d’appliquer la disposition réparatrice, il faut maintenant décider si le ministère public a réussi à démontrer que le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a malgré tout pas entraîné la violation du droit fondamental de M. Tayo Tompouba de subir un procès dans la langue officielle de son choix.
[111] Il est admis que la langue maternelle de M. Tayo Tompouba est le français et qu’il possède donc des capacités linguistiques suffisantes dans cette langue pour choisir de subir son procès dans celle-ci. Afin de permettre l’application de la disposition réparatrice et le rejet de l’appel, le ministère public ne peut donc pas plaider l’absence de maîtrise du français de l’accusé. Ce qu’il peut plutôt tenter de démontrer, c’est que M. Tayo Tompouba aurait de toute façon choisi l’anglais comme langue officielle de son procès s’il avait été dûment informé de son droit, ou encore que ce dernier a eu connaissance en temps opportun de son droit, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr., de sorte qu’il est possible de conclure qu’il a choisi de manière libre et éclairée de subir son procès en anglais.
[112] Or, au mieux, la preuve est stérile sur ces questions, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas de conclure dans un sens ou dans l’autre selon la prépondérance des probabilités. L’incertitude ou le doute qui demeurent doivent bénéficier à M. Tayo Tompouba et être retenus contre le ministère public.
a) La stérilité de la preuve
(i) L’impact du manquement au par. 530(3) C. cr. sur le choix de la langue officielle
[113] Il n’est pas possible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que même s’il avait été dûment informé de son droit fondamental, M. Tayo Tompouba aurait néanmoins choisi un procès en anglais. Certes, il a communiqué en anglais avec divers intervenants du système, dont un policier francophone bilingue et son avocat, et il possède des aptitudes avancées de compréhension et d’expression de la langue anglaise, qui ont fait en sorte qu’il n’a pas requis de services d’interprétation en première instance. Cela dit, on ne peut inférer de ces éléments qu’il aurait choisi de subir son procès en anglais, s’il avait été dûment informé de son droit d’obtenir un procès en français, sa langue maternelle.
[114] Tout d’abord, le fait qu’une personne bilingue s’exprime dans la langue de la majorité ne reflète pas nécessairement une préférence pour cette langue. Comme l’a expliqué notre Cour dans Mazraani, une « personne qui n’est pas au fait de ses droits linguistiques pourrait penser qu’elle doit s’exprimer dans l’autre langue officielle » (par. 44). Il convient de rappeler que c’était la première fois que M. Tayo Tompouba était arrêté, et il a affirmé qu’il ignorait être en position d’exiger quoi que ce soit des policiers (voir le d.a., vol. II, p. 109 et 122). Il est donc peu surprenant qu’il ait communiqué en anglais avec le policier francophone bilingue, considérant que ce dernier l’a, de son propre aveu, abordé exclusivement en anglais (p. ex., motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 12(2), reproduits au d.a., vol. I, p. 8; voir le d.a., vol. II, p. 74 et 80). De même, le fait que M. Tayo Tompouba se soit exprimé en anglais avec son avocat ne permet pas non plus d’inférer qu’il aurait choisi l’anglais s’il avait su qu’il était possible de subir son procès en français, particulièrement si l’on tient compte de son témoignage selon lequel il n’a pas été capable de parler avec ce dernier en français (voir le d.a., vol. II, p. 122).
[115] Ensuite, le fait que M. Tayo Tompouba soit bilingue n’est que d’une utilité limitée pour déterminer s’il aurait choisi un procès en anglais s’il avait été dûment informé de son droit. En effet, accorder un poids trop important à ce facteur contreviendrait aux enseignements de l’arrêt Beaulac selon lequel il faut se garder de toute analyse tendant à restreindre les droits linguistiques des Canadiens et Canadiennes bilingues, surtout lorsque l’on tient compte du fait que, dans la réalité, ce sont les minorités de langue officielle qui ont le taux le plus élevé de bilinguisme (par. 45-46; voir aussi Mazraani, par. 20).
[116] Enfin, je souligne que, lors du voir-dire, l’appelant a affirmé qu’il aurait préféré parler à un avocat francophone s’il en avait eu la possibilité (d.a., vol. II, p. 109 et 116), et qu’il a demandé d’être représenté par un avocat francophone, mais qu’il a été informé par un représentant de l’aide juridique qu’il serait difficile d’en trouver un à Kamloops (p. 109 et 116). Ces affirmations n’ont pas été contredites par les constatations de fait de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le juge de première instance s’est limité à conclure que, en raison du niveau de connaissance de l’anglais de M. Tayo Tompouba et de la confiance qu’il projetait dans cette langue lors de son arrestation, il n’existait pas de circonstances particulières entraînant un devoir additionnel pour les policiers de s’assurer qu’il ait la possibilité d’exercer ses droits en français (motifs exposés au terme du voir‑dire, par. 11 et 13).
[117] En conséquence, on ne peut écarter, selon la prépondérance des probabilités, la possibilité que M. Tayo Tompouba aurait choisi de subir un procès en français s’il avait été dûment informé de son droit fondamental de le faire.
(ii) La connaissance en temps opportun, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr.
[118] Il n’est pas non plus possible de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que M. Tayo Tompouba a eu connaissance en temps opportun de son droit fondamental, autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr., et qu’il a en conséquence choisi de manière libre et éclairée l’anglais comme langue officielle de son procès.
[119] À cet égard, le ministère public insiste sur le fait que, avant sa première comparution, M. Tayo Tompouba a signé un engagement et une promesse de comparaître contenant un avis écrit de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix. Or, tout comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, je suis d’avis que la signature de M. Tayo Tompouba sur ces documents ne permet pas d’inférer qu’il a pour autant eu connaissance en temps opportun de son droit fondamental, et qu’il a en conséquence choisi l’anglais de manière libre et éclairée (par. 9-10 et 125).
[120] Les circonstances dans lesquelles ces deux documents ont été signés ne permettent pas de conclure que M. Tayo Tompouba a eu le temps de prendre connaissance des avis relatifs aux droits linguistiques et qu’il était dans l’état d’esprit pour le faire. Ce constat s’appuie sur plusieurs éléments contextuels : ces documents ont été signés en présence d’au moins un policier alors qu’il était en état d’arrestation et comme condition préalable à sa remise en liberté; ses droits linguistiques ne lui ont pas été expliqués au moment de la signature des documents (d.i., p. 70-71); l’engagement ne contient qu’un avis exclusivement en anglais de petite taille sous la signature de l’appelant (p. 3); la promesse de comparaître ne contient aucun avis sur la page signée par l’appelant, l’avis bilingue en cause se trouvant au verso du document (p. 1-2); et sur ces deux documents, la signature de l’appelant est apposée non pas comme gage de sa compréhension de ses droits linguistiques garantis à l’art. 530 C. cr., mais plutôt comme gage, d’une part, de sa compréhension de ses engagements et des sanctions pouvant lui être imposées s’il y contrevient et, d’autre part, de sa compréhension que l’omission sans excuse légitime de comparaître constitue une infraction criminelle.
[121] Quoi qu’il en soit, même s’il fallait conclure que M. Tayo Tompouba a pris connaissance de ces avis au moment de signer l’engagement et la promesse de comparaître, ces mêmes circonstances font en sorte qu’il n’est pas possible d’inférer qu’il a alors acquis une compréhension suffisante de la nature et de la portée de son droit. En conséquence, notre Cour ne peut pas conclure que M. Tayo Tompouba a eu connaissance de son droit fondamental autrement que par l’avis prévu au par. 530(3) C. cr., et que son silence en première instance équivaut, au fond, à un choix libre et éclairé de subir son procès en anglais.
[122] En outre, le fait que M. Tayo Tompouba était représenté par un avocat ne permet pas non plus de conclure qu’il a eu connaissance en temps opportun de son droit fondamental. Tout d’abord, pour ce qui est des circonstances spécifiques du dossier, l’assurance qu’a donnée l’avocat de M. Tayo Tompouba au tribunal qu’il veillerait à ce que son client soit avisé que ses engagements demeuraient en vigueur (motifs de la C.A., par. 12), n’est d’aucune utilité. En effet, comme je l’ai mentionné précédemment, ces engagements, tout comme la signature de l’appelant dans le document les précisant, n’ont aucun lien avec ses droits linguistiques.
[123] Ensuite, et de manière générale, s’il est vrai que la présomption de compétence de l’avocat permet généralement de présumer, sauf preuve contraire, que ce dernier s’est conformé à ses obligations, l’intention du législateur s’oppose à l’application de cette présomption lorsqu’il est question des droits linguistiques prévus par l’art. 530 C. cr. D’une part, les modifications législatives de 2008 démontrent que le législateur entendait écarter la présomption de compétence de l’avocat. En effet, jusque-là, le juge était tenu d’informer les accusés de leurs droits linguistiques seulement s’ils n’étaient pas représentés par avocat. En 2008, le législateur a étendu en faveur de tous les accusés cette obligation d’information du juge. Si le manquement à cette obligation était remédié par la seule présence de l’avocat, l’obligation perdrait pratiquement son caractère obligatoire. D’autre part, le législateur a choisi de ne pas incorporer implicitement la présomption de compétence de l’avocat dans le régime de l’art. 530 C. cr., comme il l’a pourtant fait en matière de plaidoyer de culpabilité. Le paragraphe 606(1.2) C. cr. prévoit que l’omission du tribunal de « procéder à un examen approfondi » pour vérifier la réalisation de certaines conditions en matière de plaidoyer de culpabilité « ne porte pas atteinte à la validité du plaidoyer » de culpabilité. Si ce défaut n’a aucun effet sur la validité du plaidoyer de culpabilité, ce n’est pas parce que l’obligation du tribunal est sans importance, mais parce que le législateur considère que le tribunal peut légitimement s’en tenir à la présomption de compétence de l’avocat. L’article 530 C. cr. ne contient aucune disposition comparable au par. 606(1.2) C. cr., qui incorporerait implicitement la présomption de compétence de l’avocat. En conséquence, bien que le fait qu’un accusé n’était pas représenté par avocat soit un fait qui peut asseoir l’inférence selon laquelle un accusé n’a pas été informé des droits linguistiques prévus à l’art. 530 C. cr., l’inverse n’est pas vrai (voir Mazraani, par. 32 et 52). L’intention du législateur s’oppose ainsi à ce que le tribunal tire une inférence du fait que l’accusé était représenté par avocat.
[124] En somme, les éléments de preuve au dossier ne permettent pas de conclure selon la prépondérance des probabilités que le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a pas entraîné une violation du droit fondamental de M. Tayo Tompouba de subir un procès dans la langue officielle de son choix. Le silence de l’accusé ne peut d’ailleurs, à lui seul, permettre d’arriver à une conclusion contraire en l’espèce. Même si je doute sérieusement que ce soit le cas, la preuve au dossier ne permet pas non plus d’exclure complètement la possibilité que M. Tayo Tompouba fasse présentement un usage stratégique en appel du manquement au par. 530(3) C. cr. Il n’est tout simplement pas possible de conclure dans un sens ou dans l’autre sur cette question selon la prépondérance des probabilités. Il est donc nécessaire de déterminer à qui doit bénéficier l’incertitude et le doute qui persistent.
b) La stérilité de la preuve doit bénéficier à M. Tayo Tompouba
[125] À mon avis, la conclusion relative à la stérilité de la preuve doit être retenue contre le ministère public, puisque c’est à lui qu’incombe le fardeau de persuader la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a toutefois pas entraîné une violation du droit fondamental de M. Tayo Tompouba (voir O’Brien, par. 34; Esseghaier, par. 54; S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶5.66).
[126] Le fait que l’incertitude et le doute doivent bénéficier à M. Tayo Tompouba et être retenus à l’encontre du ministère public découle des principes généraux du droit de la preuve dans les cas où la « norme de persuasion » à laquelle doit satisfaire la partie ayant le fardeau de persuasion « n’est que celle applicable en matière civile, c’est‑à‑dire la prépondérance des probabilités » (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 277; voir aussi R. c. Schwartz, 1988 CanLII 11 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 443, p. 466-467; sur les deux normes de preuve possibles, voir D. Watt, Watt’s Manual of Criminal Evidence (2023), p. 214; Lederman, Fuerst et Stewart, ¶3.16 et 5.64). Comme l’affirme l’auteur P. Roberts dans son ouvrage Roberts & Zuckerman’s Criminal Evidence (3e éd. 2022) :
[traduction] Dans une instance accusatoire, le juge des faits est généralement invité à choisir entre les thèses ou narratifs opposés soumis par les parties. [. . .] Cependant, il est possible d’imaginer que le juge des faits puisse considérer qu’aucune des deux thèses n’est vraisemblable; peut-être que ni l’une ni l’autre des thèses n’est un tant soit peu plausible. Quand survient occasionnellement en pratique une situation où la conclusion est « Aucune de ces réponses », la partie qui supporte le fardeau [de persuasion] perd inévitablement sa cause. [p. 246, note 28]
[127] Le fait que, lorsque la preuve se révèle stérile sur une question devant être tranchée selon la norme de la prépondérance des probabilités, l’incertitude et le doute subsistants doivent être retenus à l’encontre de la partie qui a le fardeau de persuasion ressort également du traité sur la preuve de Lederman, Fuerst et Stewart :
[traduction] . . . le fardeau de persuasion ne joue pas dans le processus décisionnel si le juge des faits peut, à la lumière de la preuve, arriver à une conclusion déterminée. Si, toutefois, la preuve le laisse dans l’incertitude, le fardeau de persuasion s’applique et détermine l’issue de l’affaire. [¶3.16; note en bas de page omise.]
(Voir aussi R. P. Mosteller, McCormick on Evidence (8e éd. 2020), § 336.)
(3) Conclusion
[128] Je suis d’avis que le manquement au par. 530(3) C. cr. constitue une erreur de droit visée au sous-al. 686(1)a)(ii) C. cr. Monsieur Tayo Tompouba a donc réussi à démontrer un motif permettant l’intervention d’une cour d’appel en vertu de l’al. 686(1)a) C. cr. Conformément à la logique et à la structure de l’art. 686 C. cr., il existe une présomption selon laquelle ce manquement a entraîné une violation de son droit fondamental de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Il incombait au ministère public de réfuter cette présomption en démontrant que, dans les faits, le manquement au par. 530(3) C. cr. n’a pas causé un tel préjudice à M. Tayo Tompouba. Cependant, le ministère public a échoué à cet égard : les éléments de preuve sur la question sont, au mieux, stériles. Face à l’incertitude et au doute qui subsistent, notre Cour n’a d’autre choix que de conclure que le manquement au par. 530(3) C. cr. est une erreur de droit qui a causé un préjudice important à M. Tayo Tompouba. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de trancher le moyen d’appel subsidiaire fondé sur un manquement au par. 530(4) C. cr.
V. Dispositif
[129] Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli, la condamnation est annulée et la tenue d’un nouveau procès en français est ordonnée.
Version française des motifs rendus par
Les juges Karakatsanis et Martin —
I. Aperçu
[130] Les droits linguistiques revêtent une importance capitale pour la société canadienne et occupent une place particulière dans les instances criminelles. Ensemble, les diverses dispositions de l’art. 530 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, garantissent à l’accusé le droit substantiel à un procès dans la langue officielle de son choix — un droit qui, s’il est demandé avant le procès, est absolu (par. 530(1)). Le paragraphe 530(3) oblige les juges, les juges de la cour provinciale, les juges de la Cour de justice du Nunavut ou les juges de paix (« officiers de justice ») à veiller à ce que les personnes accusées soient avisées de leur droit à un procès en français ou en anglais lorsqu’elles comparaissent pour la première fois devant le tribunal. Cette obligation d’information vise à ce que l’accusé dispose des renseignements nécessaires en temps opportun pour faciliter son choix quant à la langue officielle dans laquelle il subira son procès. L’appelant en l’espèce n’a pas reçu un tel avis, et la principale question dont nous sommes saisis est de savoir quelles conséquences juridiques découlent du manquement au par. 530(3) lorsqu’un tel manquement est soulevé pour la première fois en appel.
[131] Nous convenons que chaque personne accusée devrait avoir la pleine possibilité d’exercer son droit substantiel à un procès dans la langue officielle de son choix. Nous souscrivons également à l’analyse que fait le juge en chef de l’importance fondamentale des droits linguistiques, et nous sommes d’accord avec lui que ces droits créent des obligations positives, qu’il n’est pas difficile d’éviter un manquement au par. 530(3) et que les tribunaux devraient mettre en place des pratiques qui font en sorte que les personnes accusées sont adéquatement informées de leurs droits linguistiques. Nous divergeons toutefois d’opinion sur la façon de qualifier l’irrégularité qui a lieu lorsque le par. 530(3) n’est pas appliqué.
[132] En ce qui concerne cette question, le moment où l’appelant présente son argument a une incidence cruciale sur le cadre d’analyse applicable et les réparations possibles. L’accusé a été déclaré coupable au terme d’un procès en anglais et a soulevé le manquement au par. 530(3) pour la première fois en appel. S’il l’avait soulevé plus tôt dans l’instance, d’autres approches auraient pu être possibles. Cependant, à ce stade tardif, les pouvoirs de la cour d’appel se limitent aux trois voies de révision énoncées à l’art. 686 du Code criminel. Il n’est pas allégué en l’espèce que le verdict était déraisonnable. Deux moyens d’appel différents sont en litige. Le sous‑alinéa 686(1)a)(ii) prévoit que « le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit », et le sous‑al. 686(1)a)(iii) prévoit une catégorie résiduelle parmi les moyens énoncés à l’al. 686(1)a) par lesquels un appel peut être admis pour toute autre « erreur judiciaire ». Ces deux catégories comportent leurs propres exigences et fardeaux de preuve. Par conséquent, la qualification du défaut de donner l’avis prévu au par. 530(3) comme étant une « décision erronée sur une question de droit » ou une « erreur judiciaire » en appel ouvre des voies différentes menant à des résultats différents.
[133] L’appelant sollicite la tenue d’un nouveau procès simplement parce qu’un officier de justice ne l’a pas informé de son droit à un procès dans la langue de son choix. Il n’a présenté aucun élément de preuve, que ce soit devant l’instance inférieure ou devant notre Cour, pour montrer qu’il n’était pas par ailleurs au courant de son droit à un procès en français. En fait, d’autres éléments de preuve appuient fortement l’inférence selon laquelle il aurait été avisé de ce droit par l’intermédiaire d’autres sources. Le juge en chef estime qu’un simple manquement au par. 530(3) constitue une décision erronée sur une question de droit comme le prévoit le sous‑al. 686(1)a)(ii). Il conclut que, dès lors que l’appelant démontre que l’officier de justice ne lui a pas donné l’avis requis, rien d’autre n’est nécessaire pour la tenue d’un nouveau procès, à moins que la Couronne puisse invoquer la disposition réparatrice et démontrer que l’appelant n’a subi aucun préjudice découlant de l’absence d’avis.
[134] Nous voyons les choses différemment. Un manquement à l’exigence procédurale prévue au par. 530(3) de veiller à ce que l’accusé soit avisé de ses droits linguistiques substantiels ne constitue pas un motif permettant d’écarter le jugement du tribunal de première instance en tant que « décision erronée sur une question de droit » comme le prévoit le sous‑al. 686(1)a)(ii). Selon la jurisprudence de notre Cour, « une décision erronée sur une question de droit » ne se produit que lorsqu’il y a une erreur sur une question de droit contenue dans une décision qui est attribuable au juge du procès. Une telle décision juridique incorrecte est présumée causer une erreur judiciaire, car elle aurait normalement une incidence sur le « jugement du tribunal de première instance ». Bien que la majorité des erreurs en appel relèvent de cette catégorie, ce n’est pas le cas d’un manquement au par. 530(3) lorsque l’irrégularité reprochée est l’omission d’un officier de justice de donner l’avis requis par la loi à l’accusé lors de sa première comparution. Ce manquement est plutôt une erreur qui précède le procès, qui ne mine pas logiquement la justesse du jugement en soi et qui échappe à l’application du sous‑al. 686(1)a)(ii).
[135] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que le défaut de l’officier de justice de donner l’avis prévu au par. 530(3) relève de la catégorie résiduelle visée au sous‑al. 686(1)a)(iii), ce qui signifie que l’appelant doit établir qu’il y a eu une erreur judiciaire avant qu’une réparation puisse lui être accordée. À l’instar de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, nous concluons que pour établir qu’il y a eu une erreur judiciaire, l’appelant devait démontrer que le fait qu’aucun avis requis par le par. 530(3) ne lui avait été donné a eu un certain effet sur l’exercice de son droit, c’est‑à‑dire qu’il n’était pas au courant de son droit de subir son procès dans la langue officielle de son choix. Afin d’établir en appel qu’il y a eu violation de ses droits linguistiques substantiels, l’appelant doit fournir des éléments de preuve, notamment par voie d’affidavit, indiquant qu’il n’était pas au courant de son droit de choisir de subir son procès dans l’autre langue officielle et que le choix d’un procès dans cette langue était viable.
[136] L’appelant qui soulève un manquement au par. 530(3) pour la première fois en appel doit démontrer que ce manquement l’a privé des connaissances nécessaires à l’exercice de son droit à un procès dans la langue de son choix. S’il ne peut pas — ou ne veut pas — le faire, il aura échoué à démontrer qu’il y a eu erreur judiciaire. À notre avis, la confiance du public envers l’administration de la justice serait minée si un appelant qui connaissait ses droits linguistiques, mais qui a attendu d’être déclaré coupable avant de soulever le manquement au par. 530(3), bénéficiait néanmoins d’un nouveau procès pour ce motif.
[137] Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
II. Analyse
[138] Nous décrirons d’abord le régime des droits linguistiques établi à l’art. 530 ainsi que les pouvoirs de la cour d’appel prévus à l’art. 686 du Code criminel avant de nous pencher sur les principales questions en litige : (1) un manquement au par. 530(3) constitue‑t‑il une violation d’un droit substantiel ou procédural; (2) ce manquement est‑il une « décision erronée sur une question de droit » ou une « erreur judiciaire »; et (3) quel est le fardeau qui incombe à l’appelant lorsqu’il soulève un manquement au par. 530(3) pour la première fois en appel. Enfin, nous examinerons l’argument subsidiaire de l’appelant fondé sur un manquement allégué au par. 530(4).
A. L’article 530 du Code criminel
[139] La langue joue un « rôle essentiel [. . .] dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 744). En tant qu’outil de communication et marqueur de notre identité culturelle, la langue nous permet de former des communautés, de s’y intégrer et d’y vivre, ainsi que de décrire, de délimiter et d’exécuter les droits et obligations que nous avons les uns envers les autres en société (voir L. Green, « Are Language Rights Fundamental? » (1987), 25 Osgoode Hall L.J. 639, p. 659).
[140] Le lien entre les deux langues officielles du Canada, le français et l’anglais, a une importance capitale et particulière pour l’histoire, la culture et le droit canadiens. Notre Cour a reconnu que les droits linguistiques « ne sont pas des droits négatifs, ni des droits passifs; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis » (R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 20). Lorsque l’État engage une poursuite criminelle contre une personne, la partie XVII du Code criminel prévoit de tels moyens. Elle établit un système complet qui permet à l’accusé de demander et de subir un procès dont tous les aspects se déroulent dans la langue officielle de son choix.
[141] L’article 530 est l’aspect de ce système en litige dans le présent pourvoi. Au moment de la première comparution de l’appelant, les parties pertinentes de cette disposition étaient ainsi libellées :
530 (1) Sur demande d’un accusé dont la langue est l’une des langues officielles du Canada, faite au plus tard :
a) au moment où la date du procès est fixée . . .
b) au moment de son choix . . .
c) au moment où il est renvoyé pour subir son procès . . .
un juge de paix [. . .] ou un juge [. . .] ordonne que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.
(3) Le juge de paix ou le juge de la cour provinciale devant qui l’accusé comparaît pour la première fois veille à ce que l’accusé soit avisé de son droit de demander une ordonnance au titre des paragraphes (1) ou (2) et des délais dans lesquels il doit faire une telle demande.
(4) Lorsqu’un accusé ne présente aucune demande pour une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) et que le juge de paix, le juge de la cour provinciale ou le juge devant qui l’accusé doit subir son procès — appelés « tribunal » dans la présente partie — est convaincu qu’il est dans les meilleurs intérêts de la justice que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si la langue de l’accusé n’est pas l’une des langues officielles du Canada, la langue officielle du Canada qui, de l’avis du tribunal, permettra à l’accusé de témoigner le plus facilement, le tribunal peut, par ordonnance, s’il ne parle pas cette langue, renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury qui parlent cette langue ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.
[142] Le paragraphe (1) confère à l’accusé le droit substantiel à un procès dans la langue officielle de son choix. Pourvu que la demande soit présentée dans les délais prescrits, ce droit est absolu : l’officier de justice doit rendre l’ordonnance (Beaulac, par. 31 et 37). Ce paragraphe impose l’obligation positive à l’État d’être institutionnellement bilingue dans toutes les affaires criminelles et de faciliter l’exercice du droit substantiel de l’accusé de subir son procès en français ou en anglais devant un juge, un jury et un procureur qui parlent cette langue (par. 20, 34 et 56; voir aussi M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2023 (30e éd. 2023), no 9.73).
[143] Même lorsque la demande n’est pas présentée dans les délais prescrits, le par. 530(4) confère à l’officier de justice le pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès dans la langue officielle de son choix s’il est « convaincu qu’il est dans les meilleurs intérêts de la justice » de le faire. Fait crucial pour les besoins du présent dossier, dans l’arrêt Beaulac, notre Cour a indiqué que, pour déterminer s’il est dans les meilleurs intérêts de la justice de rendre cette ordonnance, les raisons du retard sont un facteur pertinent à prendre en considération, c.‑à‑d. le moment où l’accusé a pris connaissance de ses droits linguistiques, s’il a renoncé à son droit et par la suite changé d’avis, ainsi que les raisons pour lesquelles il a changé d’avis. D’autres facteurs pertinents qui se rapportent au déroulement du procès comprennent la question de savoir si l’accusé était représenté par un avocat qui aurait pu l’aviser de ses droits linguistiques et celle de savoir s’il est nécessaire de mettre fin au procès et d’en tenir un nouveau (par. 37‑38). L’équité du procès ne constitue pas un facteur (par. 41).
[144] Pour sa part, le paragraphe (3) vise à faire en sorte que l’accusé soit au courant de ses droits linguistiques et puisse demander de subir son procès dans la langue officielle de son choix dans les délais prescrits (voir Vauclair, Desjardins et Lachance, no 9.73). Cette disposition n’oblige pas l’accusé à se présenter comme une personne s’exprimant dans l’autre langue officielle ou à prendre les devants pour que ses droits linguistiques soient respectés; elle impose plutôt à l’officier de justice l’obligation de s’assurer que l’accusé soit avisé de ses droits (voir R. c. MacKenzie, 2004 NSCA 10, 181 C.C.C. (3d) 485, par. 12; R. c. Munkonda, 2015 ONCA 309, 126 O.R. (3d) 691, par. 62; Dhingra c. R., 2021 QCCA 1681, 408 C.C.C. (3d) 466, par. 49).
[145] L’article 530 fonctionne donc comme un système intégré, dont l’ultime but est de faciliter l’exercice du droit substantiel de l’accusé à un procès dans la langue officielle de son choix (voir Beaulac, par. 31; voir aussi Bessette c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2019 CSC 31, [2019] 2 R.C.S. 535, par. 38). Néanmoins, comme nous l’expliquerons, chaque aspect de ce système remplit une fonction distincte, et le fait de ne pas respecter chacun de ces aspects a des conséquences distinctes en appel.
B. L’article 686 du Code criminel
[146] Les pouvoirs pouvant être exercés lors d’un appel d’une déclaration de culpabilité sont purement d’origine législative. Une juridiction d’appel ne peut accueillir un appel qu’en raison d’irrégularités qui correspondent aux motifs exposés en détail à l’art. 686 du Code criminel, peu importe l’ampleur du préjudice que ces irrégularités auraient pu causer (R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 29; voir aussi R. c. W. (G.), 1999 CanLII 668 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 597, par. 8).
[147] Les parties pertinentes de l’art. 686 sont ainsi libellées :
686 (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité [. . .], la cour d’appel :
a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas :
(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,
(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,
(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;
b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants :
(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous-alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit . . .
[148] Par conséquent, la qualification appropriée d’une irrégularité qui s’est produite au cours d’une instance criminelle régit ce que l’appelant doit prouver, ce que la cour d’appel peut faire une fois la preuve requise établie et la question de savoir si la cour peut rejeter l’appel malgré cette preuve. Cela dit, il peut parfois être difficile de déterminer la catégorie à laquelle appartient une erreur (R. c. Khan, 2001 CSC 86, [2001] 3 R.C.S. 823, par. 63, le juge LeBel, motifs concordants; voir aussi les par. 6‑7, la juge Arbour; R. c. Arradi, 2003 CSC 23, [2003] 1 R.C.S. 280, par. 38‑39; S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 574). Il peut arriver qu’une erreur en cours d’instance ne conduise ni à un verdict déraisonnable, ni à une décision erronée sur une question de droit, ni à une erreur judiciaire — le cas échéant, elle demeurerait certes une erreur, « mais une erreur sans conséquence juridique » (Jaw, par. 29).
[149] Dans la majorité des cas, il n’est pas nécessaire de débattre de la qualification d’une erreur parce que la jurisprudence a tranché la question. Souvent, les juristes définissent simplement les catégories en se reportant à des exemples d’erreurs qui ont été considérées comme relevant des sous‑al. 686(1)a)(ii) ou (iii) (voir, p. ex., Coughlan, p. 574‑577; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶18.10; J. Sopinka, M. A. Gelowitz et W. D. Rankin, Sopinka, Gelowitz and Rankin on the Conduct of an Appeal (5e éd. 2022), p. 289‑296). Cependant, lorsque la question n’est pas réglée, comme en l’espèce, nous devons nous tourner vers les principes fondamentaux.
[150] Suivant le libellé et la structure du par. 686(1), l’appel d’une déclaration de culpabilité vise essentiellement à éviter les erreurs judiciaires. Ce « même objectif » anime les trois motifs pour lesquels une cour peut accueillir l’appel et annuler la déclaration de culpabilité (R. c. Sinclair, 2011 CSC 40, [2011] 3 R.C.S. 3, par. 76, la juge Charron, motifs concordants, citant R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), p. 219; voir aussi Coughlan, p. 567 et 574; Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 289; T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal (2e éd. 2012), no 419). Autrement dit, [traduction] « [u]ne déclaration de culpabilité découlant d’une erreur judiciaire ne saurait être maintenue » (Sinclair (2011), par. 76, citant Morrissey, p. 219). Relèvent forcément de cette catégorie autant une « erreur judiciaire » aux termes du sous‑al. 686(1)a)(iii) qu’un verdict déraisonnable aux termes du sous‑al. 686(1)a)(i). Une « décision erronée sur une question de droit », quant à elle, est présumée relever de cette catégorie à moins que la Couronne puisse prouver le contraire par l’application de la disposition réparatrice prévue au sous‑al. 686(1)b)(iii) (Morrissey, p. 219; Coughlan, p. 574).
[151] Lorsqu’il est lu dans son ensemble, le par. 686(1) indique clairement que le motif précis pour lequel une déclaration de culpabilité peut être écartée dicte le fardeau de preuve applicable et ce que l’appelant ou la Couronne doit établir. Lorsqu’une erreur particulière est considérée comme relevant des sous‑al. 686(1)a)(i) ou (iii), l’appelant a le fardeau d’établir qu’elle a entraîné un verdict déraisonnable ou une « erreur judiciaire » et, une fois que cela a été prouvé, la Couronne ne peut plus le réfuter. La cour d’appel doit alors annuler la déclaration de culpabilité et soit ordonner la tenue d’un nouveau procès ou prononcer un acquittement. Cependant, l’erreur considérée comme une « décision erronée sur une question de droit » aux termes du sous‑al. 686(1)a)(ii) fait naître une présomption d’erreur judiciaire que la Couronne ne peut réfuter qu’en s’acquittant du fardeau prévu au sous‑al. 686(1)b)(iii), qui consiste à prouver qu’« aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit », car l’erreur était anodine ou la preuve était à ce point accablante qu’une déclaration de culpabilité était inévitable (Khan, par. 28‑31; R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505, par. 25; R. c. Abdullahi, 2023 CSC 19, par. 33).
[152] Mis à part les appels fondés sur une allégation de verdict déraisonnable, « la plupart des situations invoquées comme moyens d’appel à l’encontre d’une déclaration de culpabilité en matière pénale sont classées comme des erreurs de droit au sens du sous‑al. 686(1)a)(ii) » (Khan, par. 25). Là encore, c’est ce qui ressort clairement du par. 686(1) : puisque toutes les décisions erronées sur une question de droit sont présumées entraîner une erreur judiciaire, la catégorie distincte de l’« erreur judiciaire » au sous‑al. 686(1)a)(iii) doit servir de catégorie résiduelle pour englober les erreurs qui ne relèvent pas des deux sous‑alinéas précédents (Khan, par. 17‑18, la juge Arbour, et par. 61, le juge LeBel; Arradi, par. 38; Fanjoy c. La Reine, 1985 CanLII 53 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 233, p. 238‑240; Coughlan, p. 574‑577; Desjardins, no 419). Dans les deux cas, il incombe à l’appelant de prouver l’erreur. Cependant, si l’erreur n’est pas une « décision erronée sur une question de droit », laquelle est présumée entraîner une erreur judiciaire à moins que la Couronne puisse prouver le contraire, alors elle doit relever de la catégorie résiduelle de l’« erreur judiciaire » et l’appelant a le fardeau de prouver que cette erreur a rendu son procès inéquitable ou a créé une apparence d’iniquité de sorte qu’elle minerait la confiance du public dans l’administration de la justice (R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, par. 5 et 67‑68; R. c. Davey, 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 50‑51; voir aussi Coughlan, p. 574).
[153] Nous examinerons d’abord le sous‑al. 686(1)a)(ii), qui est le moyen d’appel le plus courant. Compte tenu du libellé explicite du par. 686(1) et de la jurisprudence de notre Cour, nous sommes d’avis qu’une « décision erronée sur une question de droit » relative au « jugement du tribunal de première instance » survient lorsqu’il y a une erreur : (1) sur une question de droit; (2) dans une décision; (3) qui est attribuable au tribunal de première instance. Les erreurs qui satisfont à ces trois critères rendent habituellement le verdict du tribunal de première instance imprudent et sont présumées entraîner une erreur judiciaire de sorte que le jugement devrait être écarté (Khan, par. 22, 27 et 88; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.9; Coughlan, p. 574). Ces éléments constitutifs se reflètent dans la jurisprudence et le libellé du sous‑al. 686(1)a)(ii) : « . . . le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit ».
[154] Premièrement, il doit y avoir une « question de droit ». Comme l’a mentionné notre Cour dans les arrêts Khan (par. 17) et Fanjoy (p. 238‑240), si l’irrégularité reprochée porte sur une question de fait ou sur une question mixte de fait et de droit, elle ne peut pas relever du sous‑al. 686(1)a)(ii) (voir aussi R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, par. 47; Coughlan, p. 577; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.14; Desjardins, nos 396 et 419). Bien que la différence entre une pure question de droit et une question mixte de droit et de fait soit certes « loin d’être évident[e] en soi » (R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 19; voir aussi R. c. Yebes, 1987 CanLII 17 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 168, p. 181; Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 227‑228), il s’agit d’une question mixte de fait et de droit lorsque la cour d’appel doit tirer de nouvelles conclusions de fait en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve pour déterminer si une erreur de droit a été commise. Trois cas de figure se dégagent de la jurisprudence : la question de savoir si un plaidoyer de culpabilité était libre, sans équivoque et éclairé (voir, p. ex., R. c. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1 R.C.S. 696; Adgey c. La Reine, 1973 CanLII 37 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 426; R. c. Bamsey, 1960 CanLII 35 (SCC), [1960] R.C.S. 294); la question de savoir si l’avocat de la défense qui représentait l’accusé au procès a fourni une assistance ineffective (voir, p. ex., R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520); et, lorsqu’elle est soulevée pour la première fois en appel, la question de savoir si le choix d’un accusé quant au mode de procès n’était pas éclairé (voir, p. ex., R. c. White, 2022 CSC 7). Si les faits nécessaires pour trancher l’appel ne figurent pas au dossier et que la cour d’appel ne peut simplement déterminer si une erreur de droit a été commise à partir des faits établis par le juge du procès, mais qu’elle doit plutôt agir comme un tribunal de première instance à l’égard de l’affaire, la question dont elle est saisie est alors une question mixte de fait et de droit et ne peut relever du sous‑al. 686(1)a)(ii).
[155] Deuxièmement, il doit y avoir une « décision » erronée. Comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Khan, l’erreur alléguée en appel doit découler d’une décision du juge du procès qui, dans le contexte du procès et dans les circonstances où la décision a été rendue, constituait « une interprétation ou une application erronée du droit » (par. 22; voir aussi les par. 7 et 17; Coughlan, p. 575‑576; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.9). Bien que cet élément soit très général et puisse viser « toute décision » prise au procès (Khan, par. 22), il doit y avoir une certaine décision; lorsqu’il n’y a aucune décision, « on pourrait affirmer qu’aucune erreur de droit n’est soulevée » (par. 17). Dans de tels cas, le dossier du procès ne contiendrait aucune application d’une norme juridique aux conclusions de fait. Par conséquent, plutôt que de réviser une décision à la recherche d’une erreur, la cour d’appel doit déterminer si compte tenu de l’absence de décision sur la question, il y a eu erreur judiciaire — autrement dit, si le procès de l’accusé était inéquitable ou avait une apparence d’iniquité.
[156] Par exemple, si le jury reçoit à tort des transcriptions non épurées du procès, la décision du juge du procès sur la question de savoir s’il y a lieu d’annuler le procès constituerait une « décision » susceptible de relever du sous‑al. 686(1)a)(ii); cependant, si l’irrégularité n’a pas été portée à l’attention du juge du procès et que ce dernier n’a donc rendu aucune décision à cet égard, la cour d’appel doit examiner les faits du procès à la lumière des principes juridiques applicables et trancher elle‑même la question de savoir si le procès de l’accusé était inéquitable de sorte qu’une erreur judiciaire s’est produite (Khan, par. 7 et 17). De la même façon, si l’accusé fait valoir pour la première fois en appel que son plaidoyer de culpabilité était invalide ou que la représentation de son avocat était ineffective, la cour d’appel ne peut pas déterminer si la décision du juge du procès était fondée sur les bons principes juridiques alors qu’aucune décision n’a été rendue, mais doit plutôt prendre la décision elle‑même (voir, p. ex., Wong; G.D.B.). L’absence de décision au procès sur l’irrégularité précise reprochée en appel signifie que cela ne peut être considéré comme une « décision » erronée aux termes du sous‑al. 686(1)a)(ii). Il incomberait plutôt à l’appelant de prouver qu’il y a eu une erreur judiciaire suivant le moyen d’appel résiduel prévu au sous‑al. 686(1)a)(iii).
[157] Troisièmement, cette décision juridique erronée doit être attribuable au juge du procès, puisque c’est le « jugement du tribunal de première instance » qui doit être écarté. Si le juge du procès a eu l’occasion d’éviter l’erreur ou d’y remédier en appliquant correctement les principes de droit pertinents, mais qu’il ne l’a pas fait en raison de sa propre compréhension ou interprétation erronée du droit, cette erreur pourrait relever du sous‑al. 686(1)a)(ii) (voir Khan, par. 7 et 22; Coughlan, p. 574‑576; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.9; Desjardins, no 405). Dans un tel cas, il y a un lien logique entre la « décision erronée sur une question de droit » du juge du procès et le « jugement du tribunal de première instance » de sorte que celui‑ci « devrait être écarté », car l’erreur rendrait normalement le verdict imprudent. Dans de telles circonstances, la décision juridique erronée a « évidemment contribué au verdict final » de manière à faire naître cette présomption (Khan, par. 22; voir aussi Morrissey, p. 219; Coughlan, p. 574‑576). Il incombera alors à la Couronne de prouver que, d’après les faits particuliers de l’affaire, l’erreur n’a pas entraîné d’erreur judiciaire. Pour ce faire, elle devra démontrer que l’erreur n’a eu aucune incidence sur le verdict final ou que, malgré l’erreur, la déclaration de culpabilité était inévitable, car la preuve était accablante (voir Khan, par. 28‑31; Sarrazin, par. 25; Abdullahi, par. 33).
[158] Par exemple, dans l’affaire Khan, la juge du procès avait eu l’occasion d’annuler le procès après avoir été informée de la question des transcriptions non épurées. Par conséquent, toute erreur dans sa décision sur cette question pouvait lui être attribuable même si l’irrégularité avait pris naissance en dehors du procès (par. 17). De même, dans l’affaire R. c. Litchfield, 1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333, une ordonnance de division et de séparation des chefs d’accusation erronée avait été rendue avant le procès par le juge de l’enquête préliminaire, mais étant donné que le juge du procès était au courant de cette erreur et qu’il avait eu l’occasion de la corriger, la décision juridique erronée de ne pas annuler l’ordonnance pouvait être attribuée au juge du procès et ainsi relever du sous‑al. 686(1)a)(ii) (p. 349‑350). La situation serait la même si le juge du procès avait eu l’occasion de remédier à une ordonnance fautive en matière de preuve rendue avant le procès, mais avait pris la décision juridique erronée de continuer comme s’il était lié par l’ordonnance (voir R. c. R.V., 2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237, par. 83).
[159] En revanche, si les irrégularités sont survenues à l’insu du juge du procès, et que ce dernier n’a pas eu la possibilité d’y remédier, tout préjudice en découlant doit plutôt être examiné au regard du sous‑al. 686(1)a)(iii) (voir, p. ex., Khan, par. 17; Davey, par. 5‑6; R. c. Yumnu, 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777, par. 5 et 14‑15). Lorsque la décision juridique erronée ne peut être attribuée au juge du procès, il n’existe aucun lien logique entre cette décision et le « jugement du tribunal de première instance » et aucune présomption d’erreur judiciaire. Dans un tel cas, l’appelant doit présenter des éléments de preuve concernant l’effet de l’erreur sur l’équité du procès.
[160] Des erreurs antérieures que notre Cour a qualifiées de « décision[s] erronée[s] sur une question de droit » démontrent la façon dont il faut satisfaire à ces trois éléments pour qu’un appel relève du sous‑al. 686(1)a)(ii). Celles‑ci comprennent notamment les violations des droits constitutionnels de l’accusé, par exemple lorsque le juge du procès ne permet pas à l’accusé d’exercer son droit aux services d’un interprète (R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951); les affaires où le juge du procès a, à tort, admis ou écarté des éléments de preuve, ou en a autrement limité l’effet en se fondant sur un principe de droit erroné (voir, p. ex., Wildman c. La Reine, 1984 CanLII 82 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 311; R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751; R. c. Cyr‑Langlois, 2018 CSC 54, [2018] 3 R.C.S. 456; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239; R. c. O’Brien, 2011 CSC 29, [2011] 2 R.C.S. 485); les erreurs dans les directives au jury (voir, p. ex., Abdullahi; R. c. Khill, 2021 CSC 37; R. c. McKenna, 2015 CSC 63, [2015] 3 R.C.S. 1087; R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38, [2015] 2 R.C.S. 760; R. c. Mack, 2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3; R. c. Dorfer, 2011 CSC 50, [2011] 3 R.C.S. 366; R. c. Van, 2009 CSC 22, [2009] 1 R.C.S. 716; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. Ménard, 1998 CanLII 790 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 109; R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320; R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314; R. c. G. (R.M.), 1996 CanLII 176 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 362; R. c. Hebert, 1996 CanLII 202 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 272; R. c. Brydon, 1995 CanLII 48 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 253; R. c. Bevan, 1993 CanLII 101 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 599; R. c. Romeo, 1991 CanLII 113 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 86; R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345); et les erreurs commises par le juge du procès en se renseignant mal au sujet d’un élément de l’infraction ou de la défense en cause (R. c. Zora, 2020 CSC 14, [2020] 2 R.C.S. 3; R. c. MacGillivray, 1995 CanLII 139 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 890).
[161] Dans chacune de ces affaires, il y a un lien logique direct entre la « décision erronée » prise par le juge du procès « sur une question de droit » et le « jugement du tribunal de première instance ». De telles erreurs de droit jettent un doute sur l’équité du procès, l’intégrité de l’administration de la justice, ou les deux — ce qui fait naître une présomption qu’une erreur judiciaire a eu lieu, à moins que la Couronne puisse prouver le contraire. Lorsqu’une erreur ne constitue pas une « décision erronée sur une question de droit » de la part du juge du procès, il n’y a pas de présomption d’erreur judiciaire, à moins que l’appelant présente d’autres éléments de preuve pour démontrer qu’il s’agissait de l’effet de l’erreur. Pour que la cour d’appel ait le pouvoir d’intervenir, l’erreur doit relever de la catégorie résiduelle de l’« erreur judiciaire » prévue au sous‑al. 686(1)a)(iii). Il incombe alors à l’appelant non seulement de prouver l’existence de l’erreur, mais aussi de démontrer qu’elle a entraîné une erreur judiciaire.
[162] Il ressort clairement du libellé du sous‑al. 686(1)a)(iii) qu’il s’agit d’une catégorie résiduelle, qui vise à inclure « un motif quelconque » entraînant une erreur judiciaire. Les tribunaux ont regroupé de façon générale les erreurs judiciaires en deux catégories : soit l’irrégularité rend le procès inéquitable, soit elle crée une apparence d’iniquité de sorte que l’intégrité de l’administration de la justice est menacée (Davey, par. 51, citant R. c. Wolkins, 2005 NSCA 2, 229 N.S.R. (2d) 222, par. 89; Kahsai, par. 67‑69; Khan, par. 69; Fanjoy, p. 240; Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 293; S. Coughlan et A. Gorlewski, The Anatomy of Criminal Procedure : A Visual Guide to the Law (2019), p. 331; Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶18.14).
[163] Bien que la liste ne soit pas exhaustive, notre Cour a reconnu un certain nombre d’erreurs judiciaires qui relèvent du sous‑al. 686(1)a)(iii). Mentionnons notamment des affaires portant sur l’interprétation erronée de la preuve (voir, p. ex., R. c. Lohrer, 2004 CSC 80, [2004] 3 R.C.S. 732, par. 1; R. c. Smith, 2021 CSC 16, [2021] 1 R.C.S. 530, par. 2; voir aussi Coughlan, p. 576‑577) et sur la crainte raisonnable de partialité (voir, p. ex., R. c. S. (R.D.), 1997 CanLII 324 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 484; R. c. Curragh Inc., 1997 CanLII 381 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 537; voir aussi Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 295). Toutefois, une erreur judiciaire peut également survenir dans des situations ayant lieu complètement à l’insu du juge du procès, comme dans le cas d’irrégularités impliquant le jury alors que le juge du procès n’a rendu aucune décision sur la question (Khan, par. 7; Davey; Yumnu) et d’allégations d’assistance ineffective de l’avocat (voir, p. ex., G.D.B.). Si l’accusé qui agit pour son propre compte allègue avoir reçu une assistance inadéquate de la part du juge du procès, l’appelant doit prouver que le manque d’assistance a donné lieu à un procès inéquitable ou en apparence inéquitable (voir, p. ex., Kahsai; voir aussi R. c. D.R.S., 2018 ABCA 342, 368 C.C.C. (3d) 383).
[164] Fait important, les erreurs qui privent l’accusé de la possibilité de faire un véritable choix dans l’exercice de ses droits, créant ainsi une apparence d’iniquité ou nuisant à la perception qu’a le public de l’administration de la justice, ont été jugées comme relevant du sous‑al. 686(1)a)(iii) (voir Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 295‑296). Comme nous l’avons vu plus tôt, ces situations peuvent comporter des questions mixtes de fait et de droit. Lorsque le juge du procès manque à son obligation impérative de s’assurer que le plaidoyer de culpabilité de l’accusé est éclairé, conformément au par. 606(1.1), il peut s’agir d’une erreur judiciaire visée au sous‑al. 686(1)a)(iii) si l’appelant présente des éléments de preuve démontrant l’existence d’un préjudice subjectif (voir, p. ex., Wong, par. 6; R. c. Miller, 2011 NBCA 52, 374 R.N.‑B. (2e) 302, par. 6‑7; R. c. Sunshine, 2016 SKCA 104, 484 Sask. R. 259, par. 15). La question de savoir si l’accusé est privé de la possibilité de faire un véritable choix quant au mode de procès est également une question mixte de fait et de droit, et doit donc être tranchée suivant le sous‑al. 686(1)a)(iii) et non le sous‑al. 686(1)a)(ii) (White, par. 2 et 4-5). Si l’accusé a un droit de récusation péremptoire en ce qui concerne la sélection du jury, mais qu’à l’insu du juge du procès, il a été privé de la possibilité d’exercer valablement ce droit en raison d’irrégularités relatives au tableau des jurés, cette erreur ne peut être pas attribuée au juge du procès (voir Davey, par. 64; Yumnu, par. 17). Essentiellement, comme il n’existe pas de présomption voulant que de telles erreurs rendent le verdict du tribunal de première instance imprudent, il incombe à l’appelant dans chaque affaire de prouver qu’une erreur judiciaire s’est produite.
[165] Nous tenons à souligner une fois de plus que le sous‑al. 686(1)a)(iii) est délibérément une catégorie résiduelle. Même si les affaires mentionnées plus haut portent sur un large éventail de situations et de questions juridiques, elles ont toutes été tranchées suivant le sous‑al. 686(1)a)(iii), car elles ne cadraient pas avec les paramètres beaucoup plus étroits du sous‑al. 686(1)a)(ii), lequel exige que le juge du procès ait rendu une « décision erronée sur une question de droit ». Par ailleurs, si l’appelant n’est pas en mesure de démontrer qu’une erreur alléguée relève des sous‑al. (i), (ii) ou (iii), il peut effectivement s’agir d’une erreur, mais d’une erreur sans effet juridique — une cour d’appel ne peut pas remédier à une erreur qui n’a pas eu de conséquence.
[166] Gardant ces principes à l’esprit, nous allons maintenant examiner l’erreur précise alléguée en l’espèce : le manquement au par. 530(3) du Code criminel.
C. La qualification du droit prévu au par. 530(3)
[167] La distinction entre une irrégularité qui est qualifiée de « décision erronée sur une question de droit » et une qui relève de la catégorie résiduelle de l’« erreur judiciaire » est fondamentale (Arradi, par. 38). Il est tout aussi important de qualifier correctement le droit (et la disposition législative) qui aurait fait l’objet du manquement. Les protections juridiques ne sont pas toutes égales, et la violation de l’une peut être beaucoup plus susceptible d’entraîner une erreur judiciaire qu’une autre, ce qui entraîne l’application de la présomption au cœur d’« une décision erronée sur une question de droit ».
[168] Comme nous l’avons déjà mentionné, le par. 530(1) prescrit à l’accusé un droit absolu à un procès dans sa langue officielle si la demande est présentée dans les délais prescrits (Beaulac, par. 31; Bessette, par. 38). Notre Cour a conclu que le droit de l’accusé à un procès dans sa langue officielle est « un droit substantiel et non [un] droit procédural auquel on peut déroger » (Beaulac, par. 28; voir aussi Mazraani c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2018 CSC 50, [2018] 3 R.C.S. 261, par. 20).
[169] En revanche, le par. 530(3) ne confère pas en soi à l’accusé le droit à un procès dans la langue officielle de son choix. L’article 530 fonctionne comme un système intégré qui, dans son ensemble, facilite l’exercice de ce droit : les par. 530(1) et 530(4) garantissent le droit en termes soit absolus ou discrétionnaires, selon le moment où la demande est déposée, alors que le par. 530(3) veille à ce que l’accusé ait les connaissances dont il a besoin pour présenter une telle demande s’il le souhaite. En soi, cependant, le par. 530(3) ne confère à l’accusé rien de plus que la connaissance de son droit de choisir — connaissance que l’accusé peut obtenir de sources autres que l’officier de justice lors de sa première comparution. Autrement dit, alors qu’un procès dans la langue officielle du choix de l’accusé est « la fin que l’administration de la justice cherche à atteindre », l’avis concernant la possibilité de subir un tel procès est simplement « le véhicule offrant les moyens et instruments » par lesquels cette fin est atteinte (R. c. Chouhan, 2021 CSC 26, [2021] 2 R.C.S. 136, par. 94, citant Sutt c. Sutt, 1968 CanLII 221 (ON CA), [1969] 1 O.R. 169 (C.A.), p. 175; voir aussi Angus c. Sun Alliance Compagnie d’assurance, 1988 CanLII 5 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 256, p. 265).
[170] Cette distinction entre le droit substantiel de l’accusé à un procès dans sa langue officielle et le droit procédural de celui-ci d’être informé de cette option est importante lorsque vient le temps de qualifier correctement l’erreur qui survient dans le cas où l’officier de justice ne s’acquitte pas de l’obligation que lui impose le par. 530(3). Le juge du procès qui rejette à tort une demande fondée sur le par. 530(1) ou une demande tardive fondée sur le par. 530(4) rend une décision erronée sur une question de droit qui viole le droit substantiel de l’accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix, ce qui nuit à l’administration de la justice — et est présumé donner lieu à une erreur judiciaire (Beaulac, par. 54). En appel, de telles erreurs relèveraient à juste titre du sous‑al. 686(1)a)(ii) (par. 53). En revanche, si l’officier de justice omet de veiller à ce que l’accusé soit informé de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’accusé a été privé de son droit substantiel de choisir. L’accusé connaissait peut‑être déjà ce droit, ou peut en avoir pris connaissance d’une autre manière après sa première comparution, mais dans les délais prescrits pour la présentation d’une demande, et il se peut que le manquement au par. 530(3) n’ait pas d’effet du tout sur le droit substantiel de l’accusé.
[171] De plus, puisque le manquement à ce droit procédural n’entraîne pas nécessairement une violation du droit substantiel, en l’absence de tout autre élément de preuve présenté par l’accusé sur ce point, il ne donne pas lieu à une présomption selon laquelle cette erreur a entraîné une erreur judiciaire. Nous convenons que le par. 530(3) est un outil important pour l’exercice des droits linguistiques de l’accusé (voir les motifs du juge en chef, par. 45). Cependant, l’importance de l’obligation d’information lors de la première comparution de l’accusé ne peut, en soi, transformer l’obligation de l’officier de justice de donner l’avis prévue au par. 530(3) en droit substantiel ni, comme nous l’expliquons ci‑après, transformer l’omission de celui-ci de s’acquitter de cette obligation lors de la première comparution en « décision erronée sur une question de droit ».
D. La qualification du manquement au par. 530(3)
[172] Nous rejetons l’idée selon laquelle un manquement au par. 530(3) peut être considéré comme une « décision erronée sur une question de droit » par le juge du procès aux termes du sous‑al. 686(1)a)(ii) ou qu’un tel manquement entraîne nécessairement une violation du droit substantiel de l’accusé à un procès dans la langue officielle de son choix. Un manquement au par. 530(3) ne soulève pas uniquement une question de droit et ne concerne pas une décision d’un juge du procès. Par conséquent, contrairement aux autres erreurs de droit reconnues au titre du sous‑al. 686(1)a)(ii), un manquement au par. 530(3) ne donne lieu à aucune présomption selon laquelle l’erreur a entraîné une erreur judiciaire. À notre avis, un manquement au par. 530(3) relève à juste titre de la catégorie résiduelle visée au sous‑al. 686(1)a)(iii) — auquel cas il incombe à l’appelant de démontrer que l’erreur a réellement entraîné une erreur judiciaire.
[173] Premièrement, un manquement au par. 530(3) ne soulève pas uniquement une question de droit. Des éléments de preuve supplémentaires peuvent être nécessaires pour comprendre si une erreur s’est produite, ce qui transforme habituellement de telles erreurs en questions mixtes de fait et de droit (Khan, par. 25; Fanjoy, p. 238‑240; Sopinka, Gelowitz et Rankin, p. 302; Desjardins, no 439). Selon le par. 530(3), l’officier de justice « veille » à ce que l’accusé soit avisé de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix — mais cela peut être fait de nombreuses manières, notamment par une annonce standardisée que l’officier de justice s’assure que le greffier lise au début de toutes les instances, par des documents distribués à la personne accusée dans les deux langues officielles à la demande de l’officier de justice, et par d’autres méthodes laissées à la discrétion du tribunal qui sont suffisantes pour aviser toutes les personnes accusées en fonction des besoins de la communauté qu’il dessert. Par ailleurs, une conclusion de manquement au par. 530(3) en appel nécessiterait normalement de nouveaux éléments de preuve et de nouvelles conclusions pour déterminer non seulement si, au vu du dossier, l’officier de justice a lui-même informé l’accusé de ses droits linguistiques, mais également s’il en a fait assez pour veiller à ce que l’accusé en ait été informé d’une autre manière.
[174] Deuxièmement, un manquement au par. 530(3) n’est pas une décision erronée du juge du procès. Le non‑respect du par. 530(3) n’est pas attribuable au juge du procès. Il survient en dehors du procès sans que le juge du procès rende une quelconque décision à cet égard. Bien que la question de savoir quand un procès débute officiellement soit une question épineuse à laquelle nous n’avons pas à répondre dans le cadre du présent pourvoi (voir, p. ex., Litchfield), l’omission de l’officier de justice d’aviser l’accusé de ses droits linguistiques lors de sa première comparution se produit clairement en dehors du procès. En outre, il importe de mentionner que le libellé du par. 530(3) indique clairement que le manquement à l’obligation peut être commis par un « juge de paix » — qui, dans les affaires criminelles, ne peut pas être le juge du procès. Si cette erreur a été portée à l’attention du juge du procès et que ce dernier n’y a pas remédié par la suite au moyen de l’ordonnance discrétionnaire à sa disposition au titre du par. 530(4), alors il peut s’agir d’une « décision erronée » (voir Beaulac, par. 9‑11). Suivant le même raisonnement, d’autres erreurs commises avant le procès que le juge du procès a sciemment omis de corriger ont été considérées comme des « décision[s] erronée[s] sur une question de droit » (voir, p. ex., Litchfield, p. 349‑350; R.V., par. 83). Cependant, comme c’est le cas en l’espèce, le manquement au par. 530(3) à lui seul n’est manifestement pas une erreur commise par le juge du procès : « . . . lorsque la question n’a pas été soulevée au procès et n’a donc pas été tranchée par le juge de première instance, on pourrait affirmer qu’aucune erreur de droit n’est soulevée . . . » (Khan, par. 17; voir aussi le par. 7).
[175] Le manquement au par. 530(3) ne satisfait donc pas aux critères qui caractérisent habituellement les erreurs de droit dont il est question au sous‑al. 686(1)a)(ii). Nous ajoutons que, dans d’autres cas où le Code criminel impose une obligation impérative à l’officier de justice de veiller à ce que l’accusé puisse faire un véritable choix quant à l’exercice de ses droits substantiels, l’omission de l’officier de justice de s’acquitter de cette obligation ne porte à conséquence en appel que si l’accusé peut prouver que cela a eu un certain effet — soit qu’il n’était pas au courant de l’exercice approprié de son droit substantiel et qu’il a de ce fait subi un préjudice (Wong, par. 33‑35; White, par. 8‑9). La cour d’appel ne peut pas simplement présumer que le manquement à l’obligation a nécessairement mené à une violation du droit substantiel.
[176] Pour ces motifs, un manquement à l’obligation d’information prévue au par. 530(3) ne peut constituer « une décision erronée sur une question de droit » pour l’application du sous‑al. 686(1)a)(ii). Pour que la cour d’appel ait le pouvoir d’intervenir, ce manquement doit relever de la catégorie résiduelle de l’« erreur judiciaire » visée au sous‑al. 686(1)a)(iii). Il incombe donc à l’appelant de prouver que cette erreur l’a privé de son droit substantiel à un procès dans la langue officielle de son choix, ce qui a donné lieu à une erreur judiciaire. L’appelant doit présenter d’autres éléments de preuve pour que la cour d’appel puisse établir ce lien. Afin de déterminer si une erreur judiciaire s’est produite dans ce contexte, il faudra établir si l’accusé était déjà au courant de son droit à un procès en anglais ou en français ou s’il en a été informé d’une autre manière : que ce soit avant la première comparution, ou seulement plus tard mais à temps pour présenter une demande conformément au par. 530(1) ou (4).
E. Le fardeau de preuve qui incombe à l’appelant
[177] Cela donne lieu à un autre point important sur lequel nous nous dissocions des motifs de nos collègues majoritaires. Le juge en chef conclut (au par. 82) que, pour établir qu’il y a eu violation de son droit substantiel à un procès dans l’une ou l’autre des langues officielles, l’appelant n’a qu’à établir qu’il y a eu manquement au par. 530(3) — ce qui déplace presque entièrement le fardeau de la preuve sur la Couronne dans le cadre de la disposition réparatrice prévue à l’al. 686(1)b). À notre avis, ce n’est pas suffisant. L’appelant doit être tenu de démontrer que le manquement au par. 530(3) a eu une incidence réelle sur son droit de choisir la langue du procès : l’accusé doit établir qu’il ne savait pas par ailleurs qu’il avait ce choix.
[178] Certes, les droits linguistiques protégés par l’art. 530 du Code criminel sont importants. Toutefois, cela ne veut pas dire que tout manquement, même à une obligation en matière de procédure ou d’avis, devrait presque automatiquement donner lieu à un droit à un nouveau procès lorsque ce manquement est soulevé pour la première fois en appel. Les appelants ne devraient pas non plus être libérés de leur fardeau de démontrer que le fait de ne pas avoir été avisés de leur droit de subir leur procès dans la langue officielle de leur choix, comme l’exige le par. 530(3), a eu pour conséquence de les priver de la connaissance de ce droit. Dans d’autres contextes mettant en jeu des droits fondamentaux, il ne suffit pas que l’appelant prouve simplement qu’un droit a été violé — même si la violation alléguée aurait apparemment pu avoir des effets dévastateurs sur l’équité du procès ou sur l’intégrité de la déclaration de culpabilité de l’accusé.
[179] Par exemple, le droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés est essentiel au fonctionnement même de notre système de justice criminelle et fait en sorte que tous les accusés sont en mesure de répondre véritablement aux accusations. Ce droit permet à une personne d’être informée de ses droits et obligations en vertu de la loi de sorte qu’elle puisse obtenir des conseils sur la manière de les exercer (R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1233, p. 1242‑1243; R. c. Sinclair, 2010 CSC 35, [2010] 2 R.C.S. 310, par. 26). Bien que ce droit ne soit pas en tous points identique à celui du par. 530(3), les deux dispositions visent à fournir à l’accusé des renseignements lui permettant de faire un véritable choix quant à la manière dont la poursuite criminelle engagée contre lui se déroulera. Pourtant, notre Cour n’a jamais hésité à reconnaître que le droit à l’assistance d’un avocat n’est pas absolu; la personne détenue a l’obligation corrélative de faire valoir son droit à l’assistance d’un avocat et de l’exercer avec diligence (R. c. Bartle, 1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173). Comme cette obligation est imposée même à l’étape préalable au procès, il ne devrait donc pas être surprenant que les arguments fondés sur des violations des droits garantis par l’al. 10b) de la Charte soient souvent rejetés s’ils sont soulevés pour la première fois en appel. Si l’appelant veut invoquer de tels arguments, il doit à tout le moins établir l’existence d’une preuve suffisante (voir, p. ex., R. c. Lewis, 2007 ONCA 349, 86 O.R. (3d) 46, par. 16‑28; R. c. Luu, 2021 ONCA 311, 488 C.R.R. (2d) 225, par. 23).
[180] Bien qu’il s’agisse encore là d’un contexte juridique différent, le fardeau incombant à l’appelant qui demande l’annulation de son plaidoyer de culpabilité, en dépit de l’obligation légale du juge du procès de s’assurer que le plaidoyer était éclairé comme il se doit, est également révélateur. En plaidant coupable et en renonçant à son droit à un procès sur le fond, l’accusé se prive d’une protection constitutionnelle qui se trouve au cœur même du droit criminel et qui sous‑tend tous les aspects du système de justice criminelle d’une société libre et démocratique : la présomption d’innocence (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 119‑120). Un plaidoyer de culpabilité qui n’était pas libre, sans équivoque ou éclairé suscite des préoccupations quant au caractère erroné de la déclaration de culpabilité. Cependant, l’accusé qui demande de retirer ce plaidoyer après le prononcé de la déclaration de culpabilité a toujours le fardeau de prouver l’existence d’un préjudice subjectif, qui comprend le critère plutôt exigeant d’établir que, s’il avait été dûment informé, il existe une possibilité raisonnable qu’il ait fait un choix différent (Wong, par. 19).
[181] L’importance du droit substantiel qui sous‑tend l’art. 530 ne permet donc pas de soulager l’appelant de tout fardeau de preuve significatif lorsqu’il allègue un manquement au par. 530(3) pour la première fois en appel. Soit dit en tout respect, l’importance d’un droit n’a en outre guère d’influence sur la qualification d’une erreur en tant que décision erronée sur une question de droit ou en tant qu’erreur judiciaire. Bien que nous souscrivions à l’importance qu’accorde le juge en chef aux intérêts constitutionnels qui sous‑tendent l’art. 530 dans son ensemble, il est également essentiel de se rappeler que le par. 530(3) est une disposition législative prescrivant qu’un avis soit donné. Ce n’est pas, en soi, un droit constitutionnel. Même les appelants qui invoquent des violations de droits expressément protégés par notre Charte sont assujettis à un fardeau de preuve plus lourd lorsqu’ils soulèvent ces droits pour la première fois en appel.
[182] Enfin, il ressort de la structure globale de l’art. 530 que plus l’instance progresse, plus la demande de l’accusé de subir son procès dans la langue de son choix risque de ne pas être accordée. Bien que le par. 530(1) rende absolu le droit à un procès en anglais ou en français si la demande est présentée au plus tard au moment de la première comparution, du choix ou du renvoi à procès, selon le cas (« ordonne »), le par. 530(4) assujettit ce droit au pouvoir discrétionnaire du juge du procès si la demande n’est pas faite dans ces délais (« peut, par ordonnance »; voir Beaulac, par. 37‑38). Il ne fait aucun doute que l’accusé qui ne soulève la question de ses droits linguistiques qu’après la fin de son procès — et le prononcé de sa déclaration de culpabilité — devrait se voir imposer un certain fardeau de preuve qui va au-delà du simple fait de soulever un manquement au par. 530(3) pour que la tenue d’un nouveau procès soit ordonnée.
[183] En résumé, l’appelant doit faire plus que simplement signaler l’omission de l’officier de justice de l’informer de ses droits linguistiques lors de la première comparution. Nous sommes d’avis que pour justifier l’intervention de la cour d’appel, l’appelant soulevant un manquement au par. 530(3) pour la première fois en appel devrait être tenu de présenter un affidavit attestant qu’il n’était pas au courant de son droit à un procès dans sa langue officielle et que le choix d’un procès dans cette autre langue était viable (voir Beaulac, par. 34). Comme un manquement au par. 530(3) prive l’accusé qui n’est pas au courant de son droit de sa capacité à faire un véritable choix, l’appelant n’a pas à indiquer dans cet affidavit qu’il aurait choisi de subir son procès dans l’autre langue officielle s’il avait été adéquatement informé. Cependant, il est évident que l’accusé qui soulève ce manquement en appel doit demander la tenue d’un nouveau procès dans l’autre langue officielle. Sinon, aucune erreur judiciaire ne se sera produite.
[184] Ce fardeau n’est pas lourd, et pour cause. Il est adapté à l’importance fondamentale des droits linguistiques au Canada et à l’erreur judiciaire qui se produit si l’appelant, qui ne connaît pas véritablement ses droits linguistiques, est privé de son droit substantiel de choisir de subir son procès dans l’autre langue officielle. Dans le cas des demandes tardives présentées sur le fondement du par. 530(4), le juge du procès est déjà tenu d’examiner « avant tout les motifs du retard » — ce qui comprend la preuve de toute connaissance préalable de l’accusé ou de l’absence de celle‑ci (Beaulac, par. 37). Il est simplement logique que des éléments de preuve de cette même nature soient nécessaires lorsque l’on cherche à établir un manquement au par. 530(3) encore plus tard au cours de l’instance, soit pour la première fois en appel. De plus, il est essentiel de souligner que ce fardeau ne cause aucun préjudice à l’appelant qui ne savait pas qu’il avait le choix quant à la langue de son procès — le fait qu’il révèle en appel qu’il n’était pas au courant de ce choix ne fera qu’aider sa cause, et non y nuire.
[185] En s’appuyant sur la disposition réparatrice comme avenue possible pour la réparation de ce qui, selon lui, est une erreur de droit, le juge en chef impose plutôt à la Couronne le fardeau de démontrer que l’appelant n’a subi aucun préjudice découlant du manquement au par. 530(3) (par. 88‑90). Il affirme que la cour d’appel pourrait rejeter l’appel si la Couronne démontre que l’accusé n’avait pas une maîtrise suffisante de l’autre langue officielle, qu’il aurait de toute façon choisi la même langue même s’il avait été informé de son droit substantiel, ou qu’il était au courant de ses droits linguistiques (par. 90). À notre humble avis, cette approche pose problème.
[186] Le choix de la langue que fait l’accusé au titre de l’art. 530 est subjectif et très personnel, et ne dépend pas de facteurs plus objectifs comme la langue maternelle ou dominante de l’accusé (Beaulac, par. 34). Par ailleurs, un manquement au par. 530(3) ne se rapporte qu’à la connaissance dont l’accusé a besoin pour faire ce choix. Sans imposer un certain fardeau de preuve à l’accusé à cet égard, il sera difficile, voire impossible dans certains cas, pour la Couronne de prouver l’inexistence de quelque chose — soit que l’accusé ne savait pas qu’il pouvait choisir de subir son procès dans l’une ou l’autre des langues officielles. Il serait tout autant difficile pour la Couronne de prouver que l’accusé connaissait effectivement ses droits linguistiques. Généralement, seul l’accusé peut répondre à la question de savoir s’il connaissait son droit à un procès dans l’une ou l’autre des langues officielles malgré le manquement au par. 530(3). Voilà pourquoi, dans l’arrêt Beaulac, notre Cour a conclu que l’accusé qui présente une demande tardive sur le fondement du par. 530(4) doit présenter une preuve concernant le moment où il a été informé de ce droit (par. 37; voir aussi Dhingra, par. 51). Soit dit en tout respect, il ne devrait pas incomber à la Couronne de prouver une information qui n’existe souvent que dans la tête d’un appelant n’ayant aucune obligation de parler.
[187] Le présent pourvoi démontre à quel point il serait difficile pour la Couronne de satisfaire aux critères de la disposition réparatrice dans le cas d’un manquement au par. 530(3). Comme nous l’expliquerons, la Couronne dispose en l’espèce d’une preuve au dossier concernant la connaissance par l’appelant de ses droits linguistiques plus étoffée que ce dont elle disposerait normalement dans d’autres affaires. Figurent notamment au dossier l’engagement et la promesse de comparaître que l’appelant a lui‑même signés et qui contenaient des renseignements clairs au sujet de ses droits linguistiques, ainsi qu’une requête fondée sur l’al. 10b) portant précisément sur d’autres droits linguistiques, de laquelle découlait un imposant dossier de preuve concernant la connaissance par l’appelant de ses droits linguistiques et ses compétences et préférences en anglais et en français. Autre point de moindre importance, en Colombie‑Britannique, province où s’est déroulé le procès, le code de déontologie exige des avocats qu’ils avisent leurs clients de leurs droits linguistiques. Si les circonstances de la présente affaire ne satisfont pas aux critères de la disposition réparatrice, il est difficile d’imaginer ce qui le fera.
[188] Soit dit avec égards, le risque est que les personnes accusées qui connaissent leurs droits linguistiques, alors que l’officier de justice devant qui elles comparaissent pour la première fois omet de veiller à ce qu’elles en soient avisées, gardent le silence — ayant la certitude que, si elles sont déclarées coupables, elles pourront soulever ce manquement pour la première fois en appel et bénéficier d’un nouveau procès. À notre avis, une telle issue entraînerait en soi une erreur judiciaire et minerait l’intégrité de l’administration de la justice. Il doit incomber à l’appelant de démontrer qu’il ne connaissait pas ses droits linguistiques, et non à la Couronne d’établir qu’il les connaissait. Cette question relève généralement de la connaissance de l’accusé, et non de celle de la Couronne. L’accusé ne subit aucun préjudice du fait qu’on lui demande de prouver un point précis au sujet duquel lui seul détient l’information.
III. Application
[189] Les deux parties ont convenu que le juge de paix ayant présidé la première comparution de l’appelant avait manqué au par. 530(3). Suivant le moyen de l’« erreur judiciaire » prévu au sous‑al. 686(1)a)(iii), l’appelant devait établir qu’il n’avait pas par ailleurs connaissance de ses droits linguistiques afin de démontrer que cette omission avait eu des conséquences. L’appelant n’a produit aucun élément de preuve pour s’acquitter de ce fardeau minime, ni devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ni devant notre Cour. Il n’a pas démontré que ce manquement avait porté atteinte à son droit substantiel à un procès dans la langue officielle de son choix, et ainsi entraîné une erreur judiciaire.
[190] Bien que le silence de l’appelant suffise pour trancher le présent pourvoi, nous soulignons également que la preuve au dossier tend fortement à indiquer que l’appelant était au courant de ses droits linguistiques. À sa sortie du poste de police après son arrestation et avant sa première comparution, il a signé un engagement remis à la police et une promesse de comparaître, sur lesquels figuraient des avis l’informant de la possibilité de demander un procès en français (2022 BCCA 177, 414 C.C.C. (3d) 86, par. 9‑10). Dans la promesse de comparaître, l’avis était rédigé en français et en anglais. Il a signé l’engagement tout juste au‑dessus d’un énoncé portant qu’il avait le droit de « demander, conformément à l’article 530 du Code criminel, de subir [son] procès » en anglais ou en français et que, s’il voulait subir son procès en français, il « dev[ait] présenter [sa] demande au tribunal » dans les délais prescrits (d.i., p. 2‑3). La promesse de comparaître comportait le même énoncé, et l’appelant a encore une fois signé tout juste au‑dessus d’une directive écrite indiquant « Voir au verso pour notification de vos droits de langue au procès » (p. 1).
[191] De plus, à la première comparution, l’avocat de l’appelant a affirmé qu’il veillerait à ce que son client sache que les conditions de l’engagement s’appliquaient toujours (motifs de la C.A., par. 12). Comme les avocats de la plupart des autres provinces et territoires du Canada, cet avocat avait l’obligation déontologique d’informer l’appelant de ses droits linguistiques (voir Law Society of British Columbia, Code of Professional Conduct for British Columbia, r. 3.2‑2.1; voir aussi Barreau de l’Ontario, Code de déontologie, r. 3.2‑2A; Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Code type de déontologie professionnelle, octobre 2022 (en ligne), r. 3.2‑2A). Lorsqu’un accusé est représenté par un avocat, la cour peut présumer que l’avocat de la défense s’acquittera de ses obligations professionnelles (voir, p. ex., G.D.B., par. 27). Bien que la présence d’un avocat ne puisse pas décharger un officier de justice de ses obligations prévues au par. 530(3) (Beaulac, par. 37), le rôle de l’avocat peut être un facteur important à considérer pour établir si l’accusé connaissait ou non ses droits linguistiques lorsqu’un manquement à ce paragraphe est soulevé pour la première fois en appel.
[192] Au procès, l’appelant a soulevé un argument dans le cadre d’un voir-dire fondé sur une allégation selon laquelle la police avait violé l’al. 10b) de la Charte lorsqu’elle avait obtenu une déclaration sans tout d’abord s’être assurée que l’appelant comprenait qu’il avait le droit de consulter un avocat francophone (motifs de la C.A., par. 17). Un tel argument tend à démontrer la compréhension nuancée de ses droits linguistiques et des protections que la loi lui confère.
[193] Le silence de l’appelant face à cette preuve contraire est préoccupant. Il s’agit d’une preuve dont la Couronne aurait probablement pu se servir pour le questionner sur l’élément clé de savoir s’il avait connaissance de son droit de subir son procès en français ou en anglais. Lorsque seul l’appelant détient la preuve nécessaire pour fonder son appel, la cour d’appel peut sans doute conclure que son silence sur ces questions permet de tirer l’inférence défavorable que cette preuve n’aurait pas aidé sa cause. Son silence est éloquent (voir Lévesque c. Comeau, 1970 CanLII 4 (CSC), [1970] R.C.S. 1010, p. 1012‑1013; Jolivet, par. 28).
[194] Il ressort également du dossier de l’instance inférieure que le bilinguisme de l’appelant n’est pas sérieusement contesté : la preuve disponible quant à ses compétences linguistiques indique qu’il aurait pu choisir de subir son procès en anglais ou en français. Bien que l’appelant conteste ses compétences en anglais pour la première fois devant notre Cour, nous ne nous éloignerions pas des conclusions tirées par le juge du procès lors du voir‑dire selon lesquelles l’appelant maîtrise l’anglais, puisque ces conclusions commandent la déférence (motifs de première instance, 2019 BCSC 1529, par. 35 (CanLII); motifs exposés au terme du voir‑dire, 2019 BCSC 2442, par. 11‑12, reproduits au d.a., vol. I, p. 7‑9). Le bilinguisme de l’appelant n’a pas d’incidence sur la violation de son droit substantiel à un procès en français dans le cas où il ne savait pas qu’il avait la possibilité de choisir de subir son procès dans l’une ou l’autre des langues officielles. Toutefois, s’il connaissait ce droit, le fait qu’il maîtrise l’anglais signifie qu’il est plausible que, dès le début, il ait choisi de subir son procès en anglais. Ce qu’il savait, il le garde pour lui.
[195] L’appelant ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il y a eu erreur judiciaire. Il n’a pas prouvé qu’il avait subi des conséquences en raison du manquement au par. 530(3) par le juge devant qui il a comparu pour la première fois ou que ce manquement l’avait privé de son droit substantiel de choisir la langue officielle de son procès. Bien que le manquement qui est survenu lors de son procès n’aurait pas dû avoir lieu, notre Cour n’a pas le pouvoir d’accorder une réparation pour une erreur qui, en fin de compte, n’a eu aucun effet avéré.
IV. L’obligation du juge du procès aux termes du par. 530(4)
[196] Nous examinons brièvement l’argument subsidiaire de l’appelant portant que le juge du procès avait l’obligation, suivant le par. 530(4), de vérifier si le procès de l’appelant se tenait dans la langue officielle de son choix, et que le juge du procès a commis une erreur de droit en ne rendant pas, de sa propre initiative, une ordonnance visant à renvoyer l’appelant pour qu’il subisse son procès en français. Nous sommes d’avis de rejeter également ce moyen d’appel.
[197] Aux termes du par. 530(4), le juge du procès n’a aucune obligation impérative de confirmer la langue qu’a choisie l’accusé : il peut le faire à sa discrétion. Habituellement, un tel examen serait effectué après la présentation par l’accusé d’une demande tardive, quoique le par. 530(4) permette également au juge du procès, de son propre chef, de faire une demande et de renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès dans l’autre langue officielle si cela est dans « les meilleurs intérêts de la justice ». Le juge du procès devrait donc être attentif aux indices que le procès ne se tient pas dans la langue officielle du choix de l’accusé, comme lorsque l’accusé change de langue pendant son témoignage (voir Mazraani, par. 45; Parsons c. R., 2014 QCCA 2206, par. 35 (CanLII)). Par contre, on ne saurait « attendre [des juges du procès] qu’ils lisent dans les pensées » (Tran, p. 982). À moins que les circonstances exposées dans le dossier du procès soient telles que le choix de l’accusé (ou l’absence de choix) de subir son procès dans cette langue nécessite un examen, il n’y aura aucun manquement au par. 530(4) si le juge du procès n’intervient pas.
[198] Le choix par l’accusé de la langue dans laquelle il subit son procès est hautement subjectif et très personnel. Bien qu’il soit important que le juge du procès veille à ce que l’accusé subisse son procès dans la langue de son choix, il doit prendre garde de ne pas s’immiscer dans ce choix simplement parce que la langue maternelle de l’accusé diffère de celle du procès. Le droit substantiel de l’accusé à un procès dans sa langue officielle n’est pas nécessairement lié à l’équité du procès ou à la capacité de l’accusé à mieux témoigner dans une langue que dans l’autre. Un accent ou de brefs changements de langue ne déclenchent pas automatiquement une obligation aux termes du par. 530(4). Chaque affaire dépend des circonstances qui lui sont propres.
[199] En l’espèce, le juge du procès a conclu que l’appelant maîtrisait autant l’anglais que le français (motifs de première instance, par. 35; motifs exposés au terme du voir-dire, par. 11‑12). En anglais, l’appelant s’exprimait bien, était capable de comprendre certaines nuances, avait un vocabulaire riche et parlait de façon fluide et logique (motifs de première instance, par. 76 et 83). Même si l’appelant avait parfois de la difficulté à trouver les bons mots, en général il [traduction] « affichait une excellente capacité à comprendre et à s’exprimer en anglais », et ses difficultés d’élocution étaient semblables à celles de nombreux témoins qui témoignent dans le cadre d’instances criminelles, même ceux dont la langue maternelle est l’anglais (par. 84).
[200] Dans ces circonstances, le juge du procès ne peut être blâmé pour ne pas avoir posé de questions à l’appelant concernant son choix de subir son procès en anglais. Nous sommes d’avis de rejeter ce moyen d’appel subsidiaire.
V. Dispositif
[201] Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi accueilli, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes.
Procureurs de l’appelant : Juristes Power, Ottawa.
Procureur de l’intimé : Procureur général de la Colombie‑Britannique, B.C. Prosecution Service, Criminal Appeals and Special Prosecutions, Victoria.
Procureur de l’intervenante la Directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Montréal.
Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureur de l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles du Canada — Direction des affaires juridiques, Gatineau.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. : Gunn Law Group, Edmonton; Calgary Family Law Association, Calgary.
Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Stockwoods, Toronto.
[1] Tout au long des présents motifs, lorsque le terme « juge » est utilisé dans ce contexte, il s’entend d’un juge, d’un juge de la cour provinciale, d’un juge de la Cour de justice du Nunavut ou d’un juge de paix.
[2] Les paragraphes 530(1) à (4) C. cr. ont été quelque peu modifiés en 2019 (voir la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, L.C. 2019, c. 25, art. 237). La version antérieure de l’art. 530 C. cr., au moment de la première comparution de M. Tayo Tompouba, reste la version pertinente dans le cadre des procédures en cause.
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