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31/07/2024 | CANADA | N°2024CSC28

Canada | Canada, Cour suprême, 31 juillet 2024, Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28

 

 
Appel entendu : 6 décembre 2023
Jugement rendu : 31 juillet 2024
Dossier : 40396


 
Entre :
 
Thalbinder Singh Poonian et Shailu Poonian
Appelants
 
et
 
British Columbia Securities Commission
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Canadian Association of Insolvency and Restruct

uring Professionals, Surintendant des faillites, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Alberta Securities Commission, Commission des va...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28

 

 
Appel entendu : 6 décembre 2023
Jugement rendu : 31 juillet 2024
Dossier : 40396

 
Entre :
 
Thalbinder Singh Poonian et Shailu Poonian
Appelants
 
et
 
British Columbia Securities Commission
Intimée
 
- et -
 
Procureur général de l’Ontario, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de la Saskatchewan, Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals, Surintendant des faillites, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Alberta Securities Commission, Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et Osgoode Investor Protection Clinic
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 116)

La juge Côté (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Rowe, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

Motifs dissidents en partie :
(par. 117 à 142)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge Martin)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Thalbinder Singh Poonian et
Shailu Poonian                                                                                               Appelants
c.
British Columbia Securities Commission                                                        Intimée
et
Procureur général de l’Ontario,
procureur général de la Colombie-Britannique,
procureur général de la Saskatchewan,
Canadian Association of Insolvency
and Restructuring Professionals,
Surintendant des faillites,
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada,
Alberta Securities Commission,
Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et
Osgoode Investor Protection Clinic                                                         Intervenants
Répertorié : Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission)
2024 CSC 28
No du greffe : 40396.
2023 : 6 décembre; 2024 : 31 juillet.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique
                    Faillite et insolvabilité — Dettes soustraites à une ordonnance de libération — Sanctions administratives et ordonnances de remises prononcées à l’encontre de faillis par une commission provinciale des valeurs mobilières pour violation de la législation en matière de valeurs mobilières — Demande présentée par la commission sur le fondement d’exceptions prévues par la législation fédérale sur la faillite en vue d’empêcher que ces dettes soient soustraites à l’application d’une ordonnance de libération — Les sanctions administratives et ordonnances de remise prononcées par la commission tombent-elles sous le coup des exceptions prévues par la loi sur la faillite de telle sorte qu’elles sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération et qu’en conséquence elles survivent à la faillite? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 178(1)a), e).
                    Entre 2007 et 2009, les faillis ont manipulé le marché, faisant ainsi perdre des millions de dollars à des investisseurs vulnérables. La commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique (« Commission ») a conclu que les faillis avaient contrevenu à la loi sur les valeurs mobilières de la province, la Securities Act. Elle a ordonné aux faillis de payer 13,5 millions de dollars à titre de sanctions administratives; elle leur a également ordonné de remettre environ 5,6 millions de dollars, une somme qui correspondait à ce qu’ils avaient tiré du stratagème de manipulation du marché. Ces sanctions ont été enregistrées auprès de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique conformément à la Securities Act, qui prévoit que, une fois déposée auprès d’un greffe de cette cour, la décision de la Commission a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de cette cour, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur de cette décision comme s’il s’agissait d’un tel jugement.
                    Le paragraphe 178(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité dresse une liste précise des dettes dont le failli n’est pas libéré par une ordonnance de libération et qui subsistent donc après la faillite. Invoquant certaines de ces exceptions, la Commission a sollicité un jugement déclaratoire portant que les sommes que lui doivent les faillis, non libérés encore, ne fassent pas l’objet de quelque ordonnance de libération. Le juge en cabinet a accueilli la demande, concluant que les exceptions prévues à l’al. 178(1)a) — « toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal », ou « toute autre dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale » — et à l’al. 178(1)e) — « toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits » — s’appliquaient toutes les deux et que les dettes des faillis seraient soustraites à l’application d’une ordonnance de libération et subsisteraient après la libération. Les faillis ont interjeté appel. Selon la Cour d’appel, les dettes n’étaient pas soustraites à l’application de toute ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a) parce les décisions de la Commission ne pouvaient pas être considérées comme ayant été « rendues » par un tribunal comme l’exige la disposition. Cependant, la cour a confirmé la conclusion du juge en cabinet selon laquelle tant les sanctions administratives que les ordonnances de remise étaient soustraites à l’application de toute ordonnance de libération en vertu de l’al. 178(1)e). Puisque les dettes demeureraient soustraites, l’appel a été rejeté.
                    Arrêt (les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Côté, Rowe, Jamal et O’Bonsawin : Ni les sanctions administratives ni les ordonnances de remise ne sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a). L’expression « rendue par un tribunal » qui figure à l’al. 178(1)a) ne vise pas les ordonnances rendues par les tribunaux administratifs ou les organismes administratifs, comme la Commission, qui sont ensuite enregistrées puis réputées être des jugements d’une cour de justice. De plus, les sanctions administratives ne tombent pas sous le coup de l’exception prévue à l’al. 178(1)e), parce qu’elles ne résultent pas directement du stratagème frauduleux; elles découlent plutôt indirectement de la décision de la Commission d’infliger une sanction aux faillis. Les ordonnances de remise, cependant, sont visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)e) parce qu’il existe un lien direct entre ces ordonnances et la conduite frauduleuse des faillis. Par conséquent, aucune ordonnance de libération future ne pourra libérer les faillis de ces ordonnances.
                    Pour qu’une dette subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)a), le créancier doit établir que la dette est (1) une amende, une pénalité, une ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire, (2) infligée ou rendue par un tribunal, et (3) en matière pénale. Cette disposition ne vise pas uniquement les pénalités associées aux procédures pénales ou quasi pénales. Cependant, le terme « tribunal » ne vise pas les tribunaux administratifs ou les organismes administratifs. Si le Parlement avait voulu soustraire à l’application de l’ordonnance de libération aux termes de cette disposition les amendes, les pénalités, les ordonnances de restitution ou autres ordonnances similaires infligées ou rendues par les organismes administratifs, les tribunaux administratifs ou les autres décideurs administratifs, il aurait pu le faire expressément. Qui plus est, cette disposition ne peut recevoir une interprétation large au point d’inclure les amendes infligées par des tribunaux administratifs et qui sont ensuite enregistrées auprès d’une cour. L’enregistrement d’une décision administrative auprès d’une cour ne change rien au fait qu’elle a été rendue par un décideur administratif et n’annihile pas l’exigence voulant que la dette soustraite à la libération ait été infligée par un tribunal. Lorsqu’une décision est enregistrée auprès d’une cour, la participation de cette dernière est passive tandis que l’acte « d’infliger ou de rendre » une amende, une pénalité, une ordonnance de restitution ou toute autre ordonnance similaire exige de la cour une participation active à la prise de cette décision. En l’espèce, les sanctions administratives et les ordonnances de remise ont été infligées ou rendues par la Commission, et non par un tribunal, et elles ne tombent donc pas sous le coup de l’al. 178(1)a).
                    Pour qu’une dette ou obligation subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)e), le créancier doit établir trois éléments : (1) des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits; (2) la transmission de biens ou la fourniture de services; et (3) un lien entre la dette ou l’obligation et la fraude. Pour établir le premier élément, il appartient au créancier de prouver que les dettes ou obligations résultent de faux‑semblants ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits par le débiteur. Le tribunal ne peut pas prendre connaissance d’office d’une fraude ni inférer la commission d’une fraude d’un simple examen sommaire. Lorsqu’une partie s’appuie sur les conclusions d’un décideur administratif pour établir que le débiteur a fait une fausse déclaration, le tribunal doit tout de même rendre sa propre décision après avoir examiné le dossier, et ce, même lorsque les conclusions de fraude tirées par le décideur administratif sont explicites. La preuve produite pour démontrer l’existence de fraude ou de malhonnêteté doit être claire et convaincante, et les tribunaux doivent se montrer particulièrement constants et rigoureux dans l’appréciation de la preuve qui leur est présentée à cet égard. Même si le décideur administratif juge qu’il est satisfait à tous les éléments requis pour conclure à des faux‑semblants ou à une présentation erronée et frauduleuse des faits, c’est au tribunal qu’il revient de décider si la réclamation appartient à l’une des catégories de réclamations soustraites à l’application d’une ordonnance de libération.
                    Pour établir le deuxième élément, il faut faire la démonstration d’une perte sous forme de transmission de biens ou de fourniture de services, ainsi qu’une dette ou obligation correspondant à cette perte. L’alinéa 178(1)e) n’exige pas que le failli soit la personne ayant reçu les biens dont une autre personne a été privée. Le failli n’a pas à avoir obtenu ou conservé les biens. Ceux‑ci peuvent avoir été transmis directement ou indirectement de la personne à un tiers selon les instructions du failli ou pour son compte. Ce qui est obligatoire, c’est que la présentation erronée et frauduleuse des faits ait incité une personne à donner les biens au failli ou à une personne associée au failli.
                    Pour établir le troisième élément, la dette ou obligation doit résulter d’un faux‑semblant ou d’une présentation erronée et frauduleuse des faits. Cela exige un lien direct, suivant lequel seule la dette ou obligation qui correspond à la valeur des biens ou des services obtenus par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits est soustraite à l’application de l’ordonnance de libération. Bien que, dans la plupart des cas, le créancier réclamant soit la victime directe du faux‑semblant ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits, le libellé de l’al. 178(1)e) n’exige pas que le créancier soit une victime directe. Un créancier qui n’est pas une telle victime a donc le droit de présenter une réclamation en application de cette disposition, à condition que cette réclamation résulte du fait qu’une personne a été privée de biens ou de services après s’être fiée, à son détriment, aux faux‑semblants ou à la présentation erronée et frauduleuse des faits par le débiteur.
                    En l’espèce, il est satisfait à la première exigence de l’al. 178(1)e). La Commission et le juge en cabinet ont tous deux jugé frauduleuse la manipulation de marché, parce que les faillis ont sciemment fait une présentation erronée et frauduleuse du cours d’actions afin de réaliser des profits. Il est également satisfait à la deuxième exigence, puisque les faillis ont obtenu des biens ou des services par suite de leur présentation erronée et frauduleuse des faits. Bien que certaines des sommes obtenues grâce au stratagème de manipulation du marché l’aient été indirectement, il n’est pas nécessaire que le failli ait obtenu directement ou conservé les biens pour que l’exception prévue à l’al. 178(1)e) s’applique. Les biens peuvent être transmis d’une personne ou d’un groupe de personnes (les investisseurs trompés) à un tiers (un autre participant) selon les instructions du failli.
                    Pour ce qui est de la troisième exigence, elle n’est pas respectée en ce qui a trait aux sanctions administratives, qui ne survivent donc pas à la libération de la faillite en application de l’al. 178(1)e). Il doit y avoir un lien direct entre la dette ou obligation et l’acte frauduleux et c’est seulement la valeur des biens ou des services obtenus par suite de cet acte qui est soustraite à l’application de l’ordonnance de libération. La dette que représentent les sanctions administratives de la Commission n’est pas le résultat direct de la présentation erronée et frauduleuse des faits par les faillis, mais elle découle plutôt indirectement de la décision de la Commission de leur infliger une sanction pour avoir obtenu des biens en tenant des propos trompeurs à l’intention d’investisseurs. Si la dette ou obligation soustraite à la libération n’était pas limitée à la valeur des biens ou des services obtenus par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, l’al. 178(1)e) pourrait viser les dettes ou obligations qui ne résultent pas directement de la tromperie.
                    En revanche, les ordonnances de remise de la Commission sont visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)e) et sont soustraites à l’application de toute ordonnance de libération. Si une personne n’a pas respecté une disposition de la Securities Act, la Commission peut enjoindre à cette dernière de lui verser toute somme obtenue en raison du manquement. Les ordonnances de remise ont été rendues en vertu de la Securities Act et correspondent à la valeur de la fraude des faillis, c’est‑à‑dire les fonds que ceux‑ci ont obtenus en manipulant le marché. Il y a donc un lien direct entre l’acte frauduleux des faillis et les ordonnances de remise de la Commission.
                    Les juges Karakatsanis et Martin (dissidentes en partie) : Le pourvoi devrait être rejeté. Bien qu’il y ait accord avec les juges majoritaires sur le fait que les sanctions administratives infligées par la Commission et les ordonnances de remise rendues par celle-ci ne survivent pas à la faillite par application de l’al. 178(1)a), tant les ordonnances de remise que les sanctions administratives relèvent toutes deux à juste titre du champ d’application limité de l’al. 178(1)e) et ne devraient pas faire l’objet de quelque ordonnance de libération. Dans les deux cas, il s’agit de dettes qui résultent du fait que les faillis ont obtenu des biens par des faux‑semblants ou par une présentation erronée et frauduleuse des faits. Elles constituent toutes les deux des sanctions pécuniaires imposées en raison d’une conduite trompeuse que le Parlement a spécifiquement voulu proscrire, et résultant donc de cette conduite.
                    Il y a désaccord avec les juges majoritaires au sujet de la portée de l’exigence de causalité envisagée par les mots « résultant de » à l’al. 178(1)e) et du degré de rattachement requis entre la dette et le comportement trompeur. Tout comme l’al. 178(1)e) n’exige pas une correspondance exacte entre la personne qui invoque l’exemption et les victimes de la conduite trompeuse, il n’exige pas non plus que le quantum de la dette ou de l’obligation soit limité par le quantum des biens obtenus par suite de cette conduite trompeuse. Une telle exigence ne trouve pas appui dans la jurisprudence, ne figure pas dans le texte de la disposition et est incompatible avec la préoccupation centrale de celle‑ci. Cette préoccupation centrale est la conduite trompeuse qui est à la source de la dette ou de l’obligation, et non le gain exact qui en dérive. 
                    L’application d’un lien causal direct ne signifie pas que la dette ou l’obligation doit être limitée à la valeur des biens obtenus; il signifie plutôt que dans les cas où seule une partie de l’obligation peut être rattachée à la conduite trompeuse, et non le reste, seule la partie engendrée par la conduite frauduleuse sera soustraite à la libération. Lorsqu’une dette ou une obligation est causée entièrement par une conduite frauduleuse, par exemple dans le cas de dommages‑intérêts punitifs imposés pour sanctionner la conduite en question, il n’y a aucune raison de limiter l’application de l’al. 178(1)e) aux seuls gains que le failli a ultimement obtenus. Il ressort en fait très largement de la jurisprudence que les dommages‑intérêts punitifs excédant la valeur des biens obtenus tombent sous le coup de l’exception pour autant qu’ils résultent directement de la conduite trompeuse ciblée par l’al. 178(1)e).
                    En l’espèce, les sommes qui, prétend la Commission, devraient survivre à la libération ont comme unique source ou origine la conduite trompeuse des faillis. Tant les ordonnances de remise que les pénalités administratives fondées sur la Securities Act sont des sanctions pécuniaires imposées en raison de la conduite illégale. Tout comme les dommages‑intérêts punitifs imposés en droit privé, les pénalités administratives découlent directement du type de conduite qu’elles sanctionnent. Exclure les pénalités administratives pour le motif qu’elles comportent un élément de dissuasion générale équivaut à introduire par interprétation une limite supplémentaire qui ne figure nulle part dans le texte de la disposition, et est incompatible avec l’objet de l’exception énoncée à cette disposition.
                    Le Parlement a décidé qu’il y a des faillis qui ne méritent tout simplement pas d’être libérés de certaines dettes, en raison de la nature de la conduite ayant donné naissance à ces dettes. Au paragraphe 178(1), il a prévu de nombreuses exceptions au principe du nouveau départ qui sont axées non pas sur la personne qui réclame l’exemption, mais bien sur des catégories de conduites fautives précises qui donnent naissance à des dettes dont le failli ne peut se libérer. Ultimement, l’al. 178(1)e) devrait être interprété en fonction de son objet de manière à faire en sorte que les débiteurs malhonnêtes ne tirent pas profit de leur malhonnêteté. Cet objet s’étendrait sûrement à une décision d’une commission des valeurs mobilières, un organisme chargé de veiller à l’application de la législation en la matière afin de protéger les intérêts du public et de promouvoir l’intégrité des marchés financiers.
Jurisprudence
Citée par la juge Côté
                    Arrêt appliqué : Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc., 2021 CSC 53; arrêts examinés : Alberta Securities Commission c. Hennig, 2020 ABQB 48, 8 Alta. L.R. (7th) 177, inf. par 2021 ABCA 411, 34 Alta. L.R. (7th) 219; Ste. Rose & District Cattle Feeders Co-op c. Geisel, 2010 MBCA 52, 255 Man. R. (2d) 45; Woolf c. Harrop (2003), 2003 CanLII 19823 (ON SC), 50 C.B.R. (4th) 309; Goldstein, Re, 2011 ONSC 561, 74 C.B.R. (5th) 296; arrêts mentionnés : Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 S R.C.S. 605; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Shakell, Re (1988), 70 C.B.R. (N.S.) 270; Phenix, Re (1989), 1989 CanLII 4679 (SK KB), 76 C.B.R. (N.S.) 82; Jerrard c. Peacock (1985), 1985 CanLII 1148 (AB KB), 37 Alta. L.R. (2d) 197; Korea Data Systems (USA), Inc. c. Aamazing Technologies Inc., 2015 ONCA 465, 126 O.R. (3d) 81; Shaver‑Kudell Manufacturing Inc. c. Knight Manufacturing Inc., 2021 ONCA 925, 160 O.R. (3d) 205; Martin c. Martin, 2005 NBCA 32, 282 R.N.-B. (2e) 61; Canada Mortgage and Housing Corp. c. Gray, 2014 ONCA 236, 119 O.R. (3d) 710; Air Canada, Re (2006), 2006 CanLII 42583 (ON SC), 28 C.B.R. (5th) 317; Chaytor, Re, 2006 BCSC 1742, 26 C.B.R. (5th) 574; Belair c. Gottschlich, 2008 ABQB 47, 89 Alta. L.R. (4th) 268; R. c. Manzioros, 2004 MBQB 121, 183 Man. R. (2d) 279; Chambre des notaires du Québec c. Dugas, 2002 CanLII 41280 (QC CA), [2003] R.J.Q. 1; Simone c. Daley (1999), 1999 CanLII 3208 (ON CA), 43 O.R. (3d) 511; Buland Empire Development Inc. c. Quinto Shoes Imports Ltd. (1999), 1999 CanLII 1345 (ON CA), 123 O.A.C. 288; Vancouver (City) c. Alliston, 2003 BCPC 105, 47 C.B.R. (4th) 142; Nowegijick c. La Reine, 1983 CanLII 18 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 29; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; J.R.B. c. Jimenez, 2018 ABQB 847; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, 2016 CSC 53, [2016] 2 R.C.S. 555; McAteer c. Billes, 2007 ABCA 137, 409 A.R. 143; Cruise Connections Canada c. Szeto, 2015 BCCA 363, 78 B.C.L.R. (5th) 82; Bryant c. Benjamin, 2023 QCCA 1021; H.Y. Louie Co. c. Bowick, 2015 BCCA 256, 386 D.L.R. (4th) 117; 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, [2020] 1 R.C.S. 521; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; The Toronto‑Dominion Bank c. Merenick, 2007 BCSC 1261; Iroquois Falls Community Credit Union Ltd. (Liquidatrice de) c. Miljours, 2009 CanLII 935; Derry c. Peek (1889), 14 App. Cas. 337; Morris Bureau c. Darde, 2013 NSCA 121, 335 N.S.R. (2d) 378; Water Matrix Inc. c. Carnevale, 2018 ONSC 6436, 65 C.B.R. (6th) 109, conf. par 2016 ONCA 875; Canada (Attorney General) c. Bourassa (Trustee of), 2002 ABCA 205, 6 Alta. L.R. (4th) 223; Lawyers’ Professional Indemnity Co. c. Rodriguez, 2018 ONCA 171, 139 O.R. (3d) 641; Pelletier c. CAE Rive‑Nord, 2019 QCCA 2164; Sharma c. Sandhu, 2019 MBQB 160; McAteer c. Billes, 2006 ABCA 312, 397 A.R. 365; Morgan c. Demers (1986), 1986 ABCA 100 (CanLII), 71 A.R. 244; Varvis (Bankrupt), Re, 1999 ABQB 853, 254 A.R. 197; Molloy c. Janes & Noseworthy Ltd. (1998), 1998 CanLII 18106 (NL CA), 164 Nfld. & P.E.I.R. 176; The Workers’ Compensation Board c. Petkau, 2018 SKCA 85, 429 D.L.R. (4th) 92; Pietrzak, Re (2016), 39 C.B.R. (6th) 145; Groupe Unigesco inc. c. Michaud, 2021 QCCQ 10330; Dead End Survival, LLC c. Marhasin, 2020 ONSC 766, 77 C.B.R. (6th) 299.
Citée par la juge Karakatsanis (dissidente en partie)
                    Varvis (Bankrupt), Re, 1999 ABQB 853, 254 A.R. 197; Shaver-Kudell Manufacturing Inc. c. Knight Manufacturing Inc., 2021 ONCA 925, 160 O.R. (3d) 205; Canada Mortgage and Housing Corp. c. Gray, 2014 ONCA 236, 119 O.R. (3d) 710; The Workers’ Compensation Board c. Petkau, 2018 SKCA 85, 429 D.L.R. (4th) 92; Pietrzak, Re (2016), 39 C.B.R. (6th) 145; McAteer c. Billes, 2007 ABCA 137, 409 A.R. 143; Groupe Unigesco inc. c. Michaud, 2021 QCCQ 10330; Water Matrix Inc. c. Carnevale, 2018 ONSC 6436, 65 C.B.R. (6th) 109; Dead End Survival, LLC c. Marhasin, 2020 ONSC 766, 77 C.B.R. (6th) 299; Grewal c. Brar, 2015 MBQB 3, 313 Man. R. (2d) 94; Bank of Montreal c. 1886758 Ontario Inc., 2022 ONSC 4642, 1 C.B.R. (7th) 213; A.J. Lanzarotta Fruits & Vegetables Ltd. c. United Farmers, 2024 ONSC 1780, 12 C.B.R. (7th) 371; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2010 CanLII 29089; Horth c. Lalonde-Rousseau, 2021 QCCQ 3668; Maison des jeunes de Contrecœur c. Bourdon, 2011 QCCQ 3476; Vivacqua c. Contino, 2009 CanLII 14574; Agriculture Financial Services Corp. c. Zaborski, 2009 ABQB 183, 58 C.B.R. (5th) 301; Copper Cliff Community Credit Union Ltd. c. Parker (1977), 1977 CanLII 1161 (ON CA), 18 O.R. (2d) 49; Goldstein, Re, 2011 ONSC 561, 74 C.B.R. (5th) 296; British Columbia Securities Commission c. Branch, 1995 CanLII 142 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 3; Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672; Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327; Jerrard c. Peacock (1985), 1985 CanLII 1148 (AB KB), 37 Alta. L.R. (2d) 197; Simone c. Daley (1999), 1999 CanLII 3208 (ON CA), 43 O.R. (3d) 511; Cruise Connections Canada c. Szeto, 2015 BCCA 363, 78 B.C.L.R. (5th) 82; Ste. Rose & District Cattle Feeders Co-op c. Geisel, 2010 MBCA 52, 255 Man. R. (2d) 45; McAteer c. Billes, 2006 ABCA 312, 397 A.R. 365; Alberta Securities Commission c. Hennig, 2020 ABQB 48, 8 Alta. L.R. (7th) 177, inf. par 2021 ABCA 411, 34 Alta. L.R. (7th) 219.
Lois et règlements cités
Loi modifiant la Loi sur la faillite et la Loi de l’impôt sur le revenu en conséquence, L.C. 1992, c. 27, art. 64(1).
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 361(1).
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 2 « tribunal », 69.6, 172, 173, 178(1), (2), 183(1), (1.1).
Securities Act, R.S.B.C. 1996, c. 418, art. 15, 15.1, 57(1)(a) [abr. & rempl. 2019, c. 38, art. 25], 161(1)(g), 162(1), 163.
Securities Regulation, B.C. Reg. 196/97.
Doctrine et autres documents cités
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Black’s Law Dictionary, 11e éd., par Bryan A. Garner, St. Paul (Minn.), Thomson Reuters, 2019, « administrative tribunal », « court », « regulatory agency ».
Brochu, Denis. Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 6e éd., Montréal, LexisNexis, 2022.
Durnford, Ben. « Recent Developments under Section 178(1)(a) and (e) of the Bankruptcy and Insolvency Act : A Case Study of Poonian v. British Columbia (Securities Commission)  » (2023), 12 J.I.I.C. 107.
Girgis, Jassmine, et Thomas G. W. Telfer, « Do Securities Commission Debts Survive a Bankruptcy Discharge? An Analysis of Poonian v. British Columbia (Securities Commission) (BCCA) » (2023), 67 Rev. can. dr. comm. 438.
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Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2015.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (les juges Harris, Willcock et Fenlon), 2022 BCCA 274, 65 B.C.L.R. (6th) 213, 100 C.B.R. (6th) 182, 472 D.L.R. (4th) 115, [2022] 10 W.W.R. 375, [2022] B.C.J. No. 1417 (Lexis), 2022 CarswellBC 2124 (WL), qui a confirmé une décision du juge Crerar, 2021 BCSC 555, [2021] B.C.J. No. 609 (Lexis), 2021 CarswellBC 888 (WL). Pourvoi accueilli en partie, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes en partie.
                    Cody G. Reedman, pour les appelants.
                    William L. Roberts, Laura L. Bevan et Sarah B. Hannigan, pour l’intimée.
                    Susan Keenan et Jake Eidinger, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
                    Aaron Welch et Heather Wellman, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.
                    Jared G. Biden, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
                    C. Haddon Murray, Heather Fisher et James Aston, pour l’intervenante Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals.
                    Zoe Oxaal et Roy Lee, pour l’intervenant le Surintendant des faillites.
                    Devin Eeg et Claire Hunter, c.r., pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.
                    Michael Beeforth, Raphael T. Eghan et Brandon Barnes Trickett, pour l’intervenante Alberta Securities Commission.
                    Erin Hoult et Khrystina McMillan, pour l’intervenante la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
                    Stephen Aylward et Karen Bernofsky, pour l’intervenante Osgoode Investor Protection Clinic.
                  Version française du jugement du juge en chef Wagner et des juges Côté, Rowe, Jamal et O’Bonsawin rendu par
                  La juge Côté —
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Introduction

1

II.   Faits

7

III.   Historique judiciaire

11

A.   Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2021 BCSC 555 (le juge Crerar)

11

B.   Cour d’appel de la Colombie-Britannique, 2022 BCCA 274, 65 B.C.L.R. (6th) 213 (les juges Harris, Willcock et Fenlon)

15

IV.   Questions en litige

20

V.   Analyse

21

A.   Principes généraux régissant la libération du failli

21

(1)      Article 172 : Le tribunal peut accorder ou refuser la libération

23

(2)      Paragraphe 178(1) : Les dettes dont le failli n’est pas libéré par l’ordonnance de libération

25

(3)      La demande de libération des Poonian a été rejetée en vertu de l’art. 172

28

B.   Les réclamations de la Commission sont-elles visées par les exceptions prévues au par. 178(1)?

31

(1)           Alinéa 178(1)a)

31

a)        L’alinéa 178(1)a) ne vise pas uniquement les ordonnances rendues en matière pénale ou quasi pénale

33

b)        L’expression « rendue par un tribunal » ne vise pas les ordonnances rendues par les tribunaux administratifs qui sont ensuite enregistrées en tant que jugements d’une cour de justice

43

c)        Application de l’al. 178(1)a) aux ordonnances de la Commission

51

(i)      Les sanctions administratives infligées par la Commission ne seront pas soustraites à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a)

51

(ii)      Les ordonnances de remise rendues par la Commission ne seront pas soustraites à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a)

52

(2)      Alinéa 178(1)e)

53

a)        Faux-semblants ou présentation erronée et frauduleuse des faits

61

b)        Transmission de biens ou fourniture de services

70

c)        Lien requis entre la dette ou obligation et la fraude

74

d)      Il n’existe pas d’exigence de « victime directe »

83

e)        Application de l’al. 178(1)e) aux ordonnances de la Commission

96

(i)      Les sanctions administratives de la Commission ne sont pas le résultat du stratagème frauduleux

102

(ii)      Les ordonnances de remise rendues par la Commission ont résulté du stratagème frauduleux

108

VI.   Conclusion

115

I.               Introduction
[1]                             La Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (« LFI »), vise l’atteinte de deux objectifs importants, à savoir le partage équitable des biens du failli entre les créanciers et la réhabilitation financière du failli. La réhabilitation financière signifie qu’un débiteur aura droit à un « nouveau départ » en temps opportun. Le principe du nouveau départ est codifié au par. 178(2) de la LFI. Il permet au failli d’être libéré des dettes impayées à l’issue du processus de faillite. Ainsi, sous réserve de conditions raisonnables, la LFI permet au débiteur honnête, mais malchanceux, d’être libéré du fardeau de l’endettement et de réintégrer la vie économique.
[2]                             La réhabilitation financière est la règle générale, de sorte que chaque réclamation prouvable est présumée balayée par la faillite. Elle a toutefois ses limites. Au paragraphe 178(1) de la LFI, le Parlement a prévu des exceptions précises à cette règle générale. Ainsi, une ordonnance de libération ne libère pas le failli d’une réclamation visée par une exception prévue par cette disposition. En effet, lorsqu’une exception s’applique, le principe du nouveau départ cède le pas à certains objectifs prépondérants de politique générale qui exigent que cette réclamation subsiste après la libération du failli.
[3]                             Dans le cadre du présent pourvoi, notre Cour est appelée à interpréter deux de ces exceptions, à savoir celles codifiées aux al. 178(1)a) et e) de la LFI. L’affaire s’inscrit dans le contexte de l’application de la loi sur les valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique, la Securities Act, R.S.B.C. 1996, c. 418. Notre Cour doit déterminer si, en application de l’une de ces exceptions, les sanctions administratives pécuniaires et/ou les ordonnances de remise infligées ou rendues par l’intimée, la British Columbia Securities Commission (« Commission »), subsistent après la libération du failli.
[4]                             Les appelants, Thalbinder Singh Poonian et Shailu Poonian, sont des faillis non libérés. Entre 2007 et 2009, les Poonian ont manipulé le marché, faisant ainsi perdre des millions de dollars à des investisseurs vulnérables. La Commission a conclu que les Poonian avaient contrevenu à l’al. 57(a) (maintenant l’al. 57(1)(a)) de la Securities Act. Elle a infligé des sanctions administratives à M. Poonian (10 millions de dollars) et à Mme Poonian (3,5 millions de dollars). La Commission a également rendu des ordonnances, en vertu de l’al. 161(1)(g) de la Securities Act, enjoignant à M. Poonian de remettre la somme de 1 319 167 $, de même que celle de 1 126 260 $ solidairement avec un autre participant, et à Mme Poonian de remettre la somme de 3 149 935 $. Le montant des ordonnances de remise correspond à ce que les Poonian ont tiré du stratagème de manipulation du marché.
[5]                             Invoquant les exceptions prévues au par. 178(1) de la LFI, la Commission a demandé un jugement déclaratoire portant que les sommes dues par les Poonian ne puissent faire l’objet d’une libération. La question dont notre Cour est saisie est celle de savoir si les sanctions administratives et/ou les ordonnances de remise infligées ou rendues par la Commission peuvent être considérées comme « toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal, ou toute autre dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale » (al. 178(1)a)) ou « toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, autre qu’une dette ou obligation qui découle d’une réclamation relative à des capitaux propres » (al. 178(1)e)). Si tel est le cas, aucune ordonnance de libération ne pourra libérer les Poonian des sanctions administratives et/ou des ordonnances de remise qui sont en cause et qui subsisteront après la faillite.
[6]                              Pour les motifs que j’explique ci-après, je conclus que les sanctions administratives infligées par la Commission ne tombent pas sous le coup des exceptions prévues aux al. 178(1)a) ou e) et qu’elles ne subsisteront donc pas après la libération des faillis sur ces bases. Je conclus également que les ordonnances de remise rendues par la Commission ne sont pas visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)a) et qu’elles ne subsisteront pas après la libération des faillis pour ce motif. Cependant, les ordonnances de remise sont visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Par conséquent, aucune ordonnance de libération future ne pourra libérer les Poonian des ordonnances de remise.
II.            Faits
[7]                             Le 29 août 2014, la Commission a conclu que, de concert avec plusieurs membres de leur famille, amis et connaissances, les Poonian avaient manipulé le marché, en contravention de l’al. 57(a) de la Securities Act. Les Poonian avaient acquis une position majoritaire dans une société publique de pétrole et de gaz appelée OSE Corp. (« OSE »), puis avaient fait augmenter le cours des actions d’OSE en se livrant à diverses manipulations, notamment à des opérations entre eux. À l’aide de pseudonymes et de multiples comptes de prête‑noms, ils avaient artificiellement gonflé le cours des actions, qui était passé de 0,10 $ à 0,17 $ par action à un sommet de près de 2 $.
[8]                             La Commission a conclu que les Poonian, et ceux ayant participé à ce stratagème, avaient vendu les actions surévaluées de la société OSE à des investisseurs par l’entremise d’une entité appelée Phoenix Group. Les Poonian avaient versé des commissions à Phoenix Group qui, de son côté, encourageait ses clients, habituellement des investisseurs peu avertis qui cherchaient à s’affranchir d’une dette personnelle en investissant dans des véhicules à rendement plus élevé, à acheter des actions d’OSE aux cours artificiellement gonflés.
[9]                              La Commission décrit le stratagème comme une [traduction] « inconduite grave » et « élaborée, faisant intervenir une succession de tromperies visant à dissimuler la participation des [Poonian et de leurs associés] à la manipulation » (2015 BCSECCOM 96 (« décision sur les sanctions »), par. 17 (CanLII)). La Commission a infligé des sanctions administratives à M. Poonian (10 millions de dollars) et à Mme Poonian (3,5 millions de dollars) (par. 96). Elle a par la suite rendu des ordonnances, en vertu de l’al. 161(1)(g) de la Securities Act, communément appelées des ordonnances de remise. Monsieur Poonian devait remettre la somme de 1 319 167 $ à la Commission et une somme supplémentaire de 1 126 260 $, solidairement avec un autre participant au stratagème, et Mme Poonian devait remettre la somme de 3 149 935 $ (2018 BCSECCOM 160 (« décision relative à la réévaluation »), par. 85 (CanLII)). Les Poonian doivent donc ensemble la somme de 19 095 362 $ (plus les intérêts) à la Commission. Ces sanctions ont été enregistrées auprès de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique conformément à l’art. 163 de la Securities Act, qui prévoit que, une fois déposée auprès d’un greffe de cette cour, la décision de la Commission a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de cette cour, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur de cette décision comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Les Poonian doivent la somme de 4 335 252,60 $ à leur deuxième plus important créancier, l’Agence du revenu du Canada.
[10]                        Le 20 avril 2018, les Poonian ont procédé à une cession volontaire de leurs biens. Le 13 février 2020, ils ont déposé une demande de libération, à laquelle se sont opposées la Commission et l’Agence du revenu du Canada. Le 8 avril 2020, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la demande des Poonian de sorte qu’ils demeurent des faillis non libérés.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2021 BCSC 555 (le juge Crerar)
[11]                        La Commission a déposé une demande de jugement déclaratoire auprès de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique portant que, en application des al. 178(1)a), d) et e) de la LFI, aucune ordonnance de libération ne libère les Poonian des dettes que représentent les sanctions administratives et les ordonnances de remise. Le juge en cabinet a accueilli la demande de la Commission, concluant que les dettes étaient soustraites à l’application d’une ordonnance de libération et subsisteraient après la libération. Bien que l’application d’une seule exception suffise pour que les dettes subsistent, le juge en cabinet a conclu que les exceptions prévues tant à l’al. 178(1)a) qu’à l’al. e) s’appliquaient.
[12]                        En ce qui concerne l’al. 178(1)a), le juge en cabinet a rejeté l’argument des Poonian selon lequel cette disposition ne s’applique qu’aux amendes, pénalités et ordonnances de restitution infligées ou rendues dans le cadre d’une procédure pénale ou quasi pénale. Il a fait remarquer que l’emploi de l’expression « ordonnance de restitution » à l’al. 178(1)a) en élargit la portée au-delà des ordonnances pécuniaires rendues en matière pénale ou quasi pénale. Le juge en cabinet a également rejeté l’argument des Poonian selon lequel une ordonnance de la Commission qui est par la suite enregistrée auprès d’un tribunal n’est pas une ordonnance « rendue par un tribunal » comme l’exige l’al. 178(1)a). Selon le juge en cabinet, tant les sanctions administratives que les ordonnances de remise peuvent être considérées comme des amendes, des pénalités, des ordonnances de restitution ou toute ordonnance similaire infligées ou rendues par un tribunal en matière pénale. Pour ce motif, il a ordonné que les sanctions administratives et les ordonnances de remise soient soustraites à l’application de toute ordonnance de libération.
[13]                        En ce qui a trait à l’al. 178(1)e), le juge en cabinet a souscrit à l’opinion de la Commission selon laquelle la manipulation de marché à laquelle s’étaient livrés les Poonian, surtout le stratagème élaboré ayant fait intervenir plusieurs parties, était essentiellement une présentation erronée et frauduleuse des faits et un faux‑semblant. Il a conclu que, grâce à ce stratagème, les Poonian avaient [traduction] « obtenu des biens », sous forme de millions de dollars, et que, ce faisant, ils avaient adopté une conduite trompeuse, ce qu’il a jugé être « l’essence de l’al. 178(1)e) » (par. 105 (CanLII)). Le juge en cabinet a conclu que la manipulation du marché et l’exploitation délibérée d’investisseurs vulnérables auxquelles s’étaient livrés les Poonian, minant ainsi la confiance du public dans les marchés des valeurs mobilières, étaient la preuve d’une tromperie, soit l’élément central de l’al. 178(1)e). Par conséquent, les sanctions administratives et les ordonnances de remise furent également soustraites à l’application de toute ordonnance de libération, en application de l’al. 178(1)e).
[14]                        Subsidiairement, la Commission a fait valoir que les ordonnances de remise (mais non les sanctions administratives) devaient être soustraites à l’application d’une ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)d). Compte tenu de ses conclusions selon lesquelles les ordonnances de remise et les sanctions administratives étaient visées par les al. 178(1)a) et e), le juge en cabinet a toutefois décliné d’examiner ce moyen subsidiaire. Aucun autre argument concernant l’al. 178(1)d) n’a été soulevé devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ou devant notre Cour.
B.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2022 BCCA 274, 65 B.C.L.R. (6th) 213 (les juges Harris, Willcock et Fenlon)
[15]                          Les Poonian ont interjeté appel devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et ont contesté l’interprétation de la LFI faite par le juge en cabinet. Ils ont également soutenu que ce dernier avait commis une erreur en adoptant et en suivant le raisonnement exposé dans la décision Alberta Securities Commission c. Hennig, 2020 ABQB 48, 8 Alta. L.R. (7th) 177, infirmée ultérieurement par la Cour d’appel de l’Alberta (2021 ABCA 411, 34 Alta. L.R. (7th) 219). Le juge Willcock, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, a conclu que le juge en cabinet avait commis une erreur en statuant que les dettes étaient soustraites à l’application de toute ordonnance de libération, en application de l’al. 178(1)a) de la LFI. Il a toutefois confirmé la conclusion du juge en cabinet selon laquelle les dettes l’étaient suivant l’al. 178(1)e). Puisque les dettes demeureraient soustraites à l’application de l’ordonnance de libération, quoique seulement en application de l’al. 178(1)e), l’appel a été rejeté.
[16]                          À l’instar du juge en cabinet, le juge Willcock fût d’avis que l’al. 178(1)a) ne vise pas exclusivement les ordonnances pécuniaires rendues dans le cadre d’une procédure pénale ou quasi pénale. Cependant, selon lui, une décision de la Commission qui est simplement enregistrée auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne peut être considérée comme une ordonnance « rendue par un tribunal ». Certes, une fois que la décision de la Commission est enregistrée auprès du tribunal, elle peut être appliquée comme s’il s’agissait d’un jugement de ce tribunal, mais elle ne peut pas être considérée comme ayant été « rendue » par le tribunal. Par conséquent, les sanctions et les ordonnances de remise de la Commission ne tombaient pas sous le coup de l’exception prévue à l’al. 178(1)a).
[17]                          Le juge Willcock a confirmé la conclusion du juge en cabinet selon laquelle les sanctions administratives et les ordonnances de remise de la Commission sont visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Il a conclu que les dettes des Poonian résultaient de l’obtention de biens, sous forme de millions de dollars, par la présentation erronée et frauduleuse des faits, à savoir la manipulation de marché à laquelle ils s’étaient livrés.
[18]                          Dans l’arrêt Hennig, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que [traduction] « [l]e lien requis entre la déclaration erronée et frauduleuse et la dette est établi uniquement si le débiteur fait cette déclaration au créancier qui invoque l’al. 178(1)e) » (par. 78). Suivant cette approche, les Poonian auraient dû faire leurs représentations frauduleuses auprès de la Commission elle-même. L’exception prévue à l’al. 178(1)e) ne s’appliquerait pas, car les Poonian n’ont pas fait leurs représentations auprès de la Commission, mais plutôt aux investisseurs victimes.
[19]                          Le juge Willcock a rejeté l’approche restrictive adoptée par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Hennig. Il a plutôt conclu que l’al. 178(1)e) ne vise pas uniquement les réclamations concernant des circonstances où le failli a fait une déclaration erronée et frauduleuse au créancier spécifique qui invoque cette disposition. La Commission avait donc le droit d’invoquer l’al. 178(1)e). Le juge Willcock a conclu que tant les sanctions administratives que les ordonnances de remise infligées ou rendues par la Commission étaient des dettes ne pouvant pas faire l’objet d’une libération en application de l’al. 178(1)e), car elles résultaient de l’obtention par les Poonian de biens par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits.
IV.         Questions en litige
[20]                          Le présent pourvoi soulève deux questions :
1.            Les sanctions administratives et les ordonnances de remise infligées ou rendues par la Commission à l’encontre des Poonian constituent‑elles des dettes au sens de l’al. 178(1)a) de la LFI, de sorte qu’elles sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération et subsistent donc après la faillite?
2.            Les sanctions administratives et les ordonnances de remise infligées ou rendues par la Commission à l’encontre des Poonian constituent‑elles des dettes ou obligations au sens de l’al. 178(1)e) de la LFI, de sorte qu’elles sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération et subsistent donc après la faillite?
V.           Analyse
A.           Principes généraux régissant la libération du failli
[21]                          « Il nous faut accepter, dans l’interprétation [qu’il convient de donner à] la LFI, le principe que toutes les réclamations sont emportées dans la faillite et que le failli est libéré de toutes les réclamations lors de sa libération, à moins que la loi ne prévoie clairement une exclusion ou une exemption » (Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, [2011] 2 R.C.S. 605, par. 20). Cette règle générale est codifiée au par. 178(2), qui dispose qu’une « ordonnance de libération libère le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite ». Le paragraphe 178(2) a pour objet « de donner effet à l’un des objectifs sous‑jacents du régime de la LFI — la réhabilitation financière du débiteur — en libérant “le failli de toutes autres réclamations prouvables en matière de faillite” » (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 77). La libération permet au débiteur [traduction] « honnête, mais malchanceux » de repartir à neuf et de se « libér[er] du fardeau d’un endettement oppressant » (Moloney, par. 77, citant L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (4e éd. rév. (feuilles mobiles)), p. 1‑2.1; J. D. Honsberger et V. W. DaRe, Honsberger’s Bankruptcy in Canada (5e éd. 2017), p. 478). Ce processus permet également « [au] failli libéré [de] réintégrer sa place dans la vie économique et [de] devenir un membre productif de la société » (Moloney, par. 36).
[22]                          Bien qu’elle constitue un objectif important de la LFI, la réhabilitation financière a ses limites, lesquelles sont énoncées à l’art. 172 et au par. 178(1) de la LFI (Moloney, par. 37). L’article 172 prévoit qu’une ordonnance de libération peut être accordée ou refusée, son exécution suspendue, ou qu’elle peut être accordée à certaines conditions. Le paragraphe 178(1) énumère les dettes dont le failli n’est pas libéré par l’ordonnance de libération et qui subsistent après la faillite. « Ces dispositions montrent que le législateur a essayé de concilier l’objectif de réhabilitation financière avec d’autres objectifs de politique générale, comme la confiance dans le système de crédit, qui exigent que certaines dettes subsistent après la faillite » (Moloney, par. 37, citant R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2009), p. 273 et 289). Ces deux dispositions jouent un rôle distinct et crucial dans le processus de libération. J’examine tour à tour chacune d’elles.
(1)         Article 172 : Le tribunal peut accorder ou refuser la libération
[23]                          L’article 172 de la LFI porte sur la libération du failli. Il prévoit qu’à l’audition de la demande de libération d’un failli, le tribunal de faillite conserve un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’accorder ou de refuser une ordonnance de libération absolue, de suspendre l’exécution d’une telle ordonnance pour une période déterminée ou d’accorder une ordonnance de libération subordonnée à des conditions. La LFI ne donne aucune indication quant à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, outre que le tribunal doit refuser la libération absolue si l’un des faits mentionnés à l’art. 173 est prouvé contre le débiteur (J. Sarra, G. B. Morawetz et L. W. Houlden, The 2024 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2024), § 7:69). Si le tribunal conclut qu’un fait mentionné à l’art. 173 est prouvé, la libération du failli doit être refusée, suspendue ou accordée à certaines conditions (par. 172(2)). Plusieurs de ces faits portent directement sur la conduite et la culpabilité du failli, tandis que d’autres sont le reflet de normes de moralité commerciale (al. 173(1)a) à o); R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 297‑298). Par exemple, le par. 172(2) et l’al. 173(1)k) établissent qu’un failli qui s’est rendu coupable de fraude ou d’abus frauduleux de confiance n’a pas droit à une libération absolue.
[24]                          Le paragraphe 172(1) confère un large pouvoir discrétionnaire au tribunal. Dans l’exercice de ce pouvoir, le tribunal tient compte de trois facteurs : l’intérêt des créanciers à obtenir le paiement de leurs réclamations, l’intérêt du failli à être déchargé de ses obligations financières et l’intégrité du processus de faillite (F. Bennett, Bennett on Bankruptcy (26e éd. 2024), p. 737, citant Shakell, Re (1988), 70 C.B.R. (N.S.) 270 (C.S.J. Ont.); Phenix, Re (1989), 1989 CanLII 4679 (SK KB), 76 C.B.R. (N.S.) 82 (B.R. Sask.)).
(2)         Paragraphe 178(1) : Les dettes dont le failli n’est pas libéré par l’ordonnance de libération
[25]                          Le paragraphe 178(1) dresse une liste précise des dettes dont le failli n’est pas libéré par l’ordonnance de libération et qui subsistent donc après la faillite (Moloney, par. 37). Ces dettes sont des exceptions non discrétionnaires à la règle générale et représentent [traduction] « le type de réclamations que la société, par l’entremise du Parlement, considère comme étant d’une qualité qui l’emporte sur tout avantage éventuel à ce que le failli en soit libéré » (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:185, citant Jerrard c. Peacock (1985), 1985 CanLII 1148 (AB KB), 37 Alta. L.R. (2d) 197 (B.R.)).
[26]                          Les exceptions prévues aux al. 178(1)a) à h) doivent être interprétées restrictivement et s’appliquer seulement dans les cas manifestes (Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc., 2021 CSC 53, par. 25; Korea Data Systems (USA), Inc. c. Aamazing Technologies Inc., 2015 ONCA 465, 126 O.R. (3d) 81, par. 63). Une interprétation restrictive s’impose en partie parce que les tribunaux n’ont aucun pouvoir discrétionnaire quant à leur application : [traduction] « . . . l’objectif du principe protégé par l’exception doit, en toute circonstance, l’emporter sur la libération du failli » (H. Murray et H. Fisher, « You’re Hot and You’re Cold, You’re Yes and You’re No : Conflicting Appellate Decisions Regarding Whether Regulators’ Fines, Penalties or Restitution Orders Survive Bankruptcy », dans J. Corraini et D. B. Nixon, dir., Annual Review of Insolvency Law 2022 (2023), 569, p. 618; J. Girgis et T. G. W. Telfer, « Do Securities Commission Debts Survive a Bankruptcy Discharge? An Analysis of Poonian v. British Columbia (Securities Commission) (BCCA) » (2023), 67 Rev. can. dr. comm. 438 (« Girgis et Telfer (2023) »), p. 453‑454). Le paragraphe 178(1) n’est pas [traduction] « un fourre‑tout de dettes résultant d’une conduite moralement répréhensible »; il énonce plutôt « des catégories de conduites fautives précises qui donnent naissance à des dettes dont le failli ne peut se libérer et précise les critères applicables » (Shaver‑Kudell Manufacturing Inc. c. Knight Manufacturing Inc., 2021 ONCA 925, 160 O.R. (3d) 205, par. 39; voir aussi A. Nocilla, « Comment on Shaver‑Kudell Manufacturing Inc. v Knight Manufacturing Inc. » (2022), 45:2 Man. L.J. 177, p. 187).
[27]                          Les exceptions prévues au par. 178(1) doivent aussi être interprétées restrictivement, parce que « plus le nombre des réclamations qui survivent à la faillite est élevé, plus il devient difficile pour le débiteur de se réhabiliter » (Moloney, par. 79; voir aussi Schreyer, par. 19; Martin c. Martin, 2005 NBCA 32, 282 R.N.-B. (2e) 61, par. 11). Par conséquent, [traduction] « [e]n cas de doute quant au bien‑fondé de la demande d’un créancier qui invoque une exception, la question doit être réglée en faveur du failli » (Murray et Fisher, p. 576; citant Jerrard, p. 206).
(3)         La demande de libération des Poonian a été rejetée en vertu de l’art. 172
[28]                          En 2020, les Poonian ont déposé une demande de libération sur le fondement de l’art. 172 (2020 BCSC 547, 78 C.B.R. (6th) 135 (« motifs quant à la demande de libération »), conf. par 2021 BCSC 222, 86 C.B.R. (6th) 263, conf. par 2021 BCCA 417, 58 B.C.L.R. (6th) 276). La Commission et le ministre du Revenu national ont contesté la demande principalement au motif que le fait mentionné à l’al. 173(1)a) était prouvé, c’est‑à‑dire que la valeur des avoirs des Poonian n’était pas égale à 0,50 $ par dollar de leurs obligations non garanties. Ils ont fait valoir que la situation financière précaire des Poonian provenait de circonstances dont ils pouvaient à bon droit être tenus responsables (par. 29).
[29]                          La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande de libération absolue des Poonian et a jugé qu’il était impossible [traduction] « de conclure, au vu de ces faits, que les Poonian ne pouvaient à bon droit être tenus responsables de l’importante différence entre leurs avoirs et leurs obligations » (motifs quant à la demande de libération, par. 53). Elle a également rejeté leur demande pour une libération suspendue au motif qu’une telle libération [traduction] « serait contraire à l’intérêt public » (par. 60). La cour a conclu que les [traduction] « circonstances de l’espèce [étaient] extrêmes et que la conduite à laquelle s’étaient livrés les Poonian avant la faillite requérait que la cour se dissocie de leurs efforts visant à se servir du processus de faillite pour échapper aux conséquences financières de leurs actions » (par. 69). À la date de l’audience devant notre Cour, les Poonian étaient toujours des faillis non libérés. L’échec de leur demande de libération démontre que, même si une réclamation n’est pas visée par une exception prévue au par. 178(1), le tribunal de faillite conserve tout de même, en vertu de l’art. 172, le pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre une ordonnance de libération.
[30]                          Notre Cour est saisie de la question de savoir si les sanctions administratives et les ordonnances de remise infligées ou rendues par la Commission peuvent être considérées comme des dettes qui sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération en application d’une des exceptions prévues au par. 178(1). En tant que créancière, la Commission a le fardeau de prouver que ses réclamations tombent sous le coup de l’une de ces exceptions (Canada Mortgage and Housing Corp. c. Gray, 2014 ONCA 236, 119 O.R. (3d) 710, par. 24). Certes, la demande de libération des Poonian a été rejetée en vertu de l’art. 172, mais si la Commission réussit à prouver que ses réclamations sont visées par l’une des exceptions prévues au par. 178(1), les Poonian ne pourront jamais en être libérés en dépit de quelque ordonnance de libération qu’ils pourraient éventuellement solliciter.
B.            Les réclamations de la Commission sont‑elles visées par les exceptions prévues au par. 178(1)?
(1)         Alinéa 178(1)a)
[31]                          Pour qu’une dette subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)a), le créancier doit établir que la dette est (1) une amende, une pénalité, une ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire, (2) infligée ou rendue par un tribunal, et 3) en matière pénale :
                  178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
                        a) de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal, ou de toute autre dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale;
[32]                          Le présent pourvoi soulève deux questions concernant l’interprétation qu’il convient de donner à l’al. 178(1)a). Premièrement, les amendes, pénalités et ordonnances dont il est question dans cette disposition doivent‑elles être infligées ou rendues dans un contexte pénal ou quasi pénal? Deuxièmement, l’expression « rendue par un tribunal » vise‑t‑elle les ordonnances initialement rendues par un tribunal administratif qui sont ensuite enregistrées en tant que jugements de cette cour?
a)              L’alinéa 178(1)a) ne vise pas uniquement les ordonnances rendues en matière pénale ou quasi pénale
[33]                          Il est évident que les termes « amende » et « pénalité » à l’al. 178(1)a) visent à tout le moins les sanctions pécuniaires infligées pour des infractions de nature pénale ou quasi pénale (voir Hennig (C.A.), par. 46‑51; Air Canada, Re (2006), 2006 CanLII 42583 (ON SC), 28 C.B.R. (5th) 317 (C.S.J. Ont.), par. 42; Chaytor, Re, 2006 BCSC 1742, 26 C.B.R. (5th) 574, par. 38; Belair c. Gottschlich, 2008 ABQB 47, 89 Alta. L.R. (4th) 268, par. 25; R. c. Manzioros, 2004 MBQB 121, 183 Man. R. (2d) 279, par. 40; Chambre des notaires du Québec c. Dugas, 2002 CanLII 41280 (QC CA), [2003] R.J.Q. 1, par. 22; Simone c. Daley (1999), 1999 CanLII 3208 (ON CA), 43 O.R. (3d) 511, p. 522; Buland Empire Development Inc. c. Quinto Shoes Imports Ltd. (1999), 1999 CanLII 1345 (ON CA), 123 O.A.C. 288, par. 19; D. Brochu, Précis de la faillite et de l’insolvabilité (6e éd. 2022), ¶31‑35).
[34]                          Le juge en cabinet et le juge Willcock furent tous deux d’accord pour dire que les sanctions infligées dans un contexte pénal ou quasi pénal tombent clairement sous le coup de l’al. 178(1)a), mais ils ont conclu que cette disposition ne vise pas uniquement les amendes, pénalités et ordonnances de restitution infligées ou rendues dans de tels contextes. Le juge en cabinet a conclu que l’inclusion des ordonnances de restitution, qui ne visent pas la punition, mais plutôt le dédommagement et la restitution, [traduction] « donne à penser que l’al. 178(1)a) a une portée élargie qui ne se limite pas aux infractions de nature pénale ou quasi pénale » (par. 85). Le juge Willcock s’est dit du même avis, concluant que [traduction] « l’al. 178(1)a) a parfois été interprété de façon trop restrictive à cet égard » (par. 39).
[35]                          Comme le juge en cabinet et le juge Willcock, je suis d’avis que l’al. 178(1)a) ne vise pas uniquement les pénalités associées aux procédures pénales ou quasi pénales. Une telle interprétation trouve appui à la fois dans le sens ordinaire des termes de l’al. 178(1)a), dans l’analyse comparative de ses versions française et anglaise, et dans son historique législatif. Bien que j’aie expliqué que les exceptions prévues au par. 178(1) doivent être interprétées de façon restrictive, ce principe d’interprétation n’a pas préséance sur les autres principes d’interprétation statutaire qui appuient clairement un sens en particulier.
[36]                          À titre de remarque préliminaire, je note que les mots employés à l’al. 178(1)a), pris dans leur sens ordinaire, n’indiquent tout simplement pas que la disposition ne vise que les pénalités infligées dans un contexte pénal ou quasi pénal (voir Vancouver (City) c. Alliston, 2003 BCPC 105, 47 C.B.R. (4th) 142, par. 19‑20 et 22). En fait, la disposition emploie une formulation très large. La version anglaise de l’al. 178(1)a) exige simplement que l’amende, la pénalité, l’ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire soit infligée ou rendue « in respect of an offence » (qu’on pourrait traduire par « quant à une infraction »). En tant que marqueurs de relation, les mots « in respect of » ont « la portée la plus large possible » (Nowegijick c. La Reine, 1983 CanLII 18 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 29, p. 39; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94, par. 26).
[37]                          Les versions anglaise et française de l’al. 178(1)a) sont légèrement différentes. Fait important, l’expression « in respect of an offence » de la version anglaise n’a pas d’équivalent dans la version française. « Or, il existe une règle d’interprétation des lois bilingues selon laquelle il faut retenir le sens commun à la version anglaise et à la version française » (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 203, citant R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 99 et suiv., et M. Bastarache et autres, Le droit de l’interprétation bilingue (2009), p. 33 et suiv.). La règle du sens commun aux deux versions milite en faveur d’une interprétation plus large de l’al. 178(1)a) qui s’applique à toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou autre ordonnance infligée ou rendue par un tribunal. Suivant une telle interprétation, rien n’indique que l’ordonnance en question doit être rendue dans un contexte pénal ou quasi pénal.
[38]                          Quoi qu’il en soit, malgré cette différence entre les versions anglaise et française de l’al. 178(1)a), je note que le mot « offence » (utilisé dans la version anglaise et signifiant « infraction ») employé sans qualificatif n’est pas nécessairement limité au contexte pénal ou quasi pénal. Les infractions existent aussi en contexte réglementaire; les lois étrangères au contexte pénal ou quasi pénal considèrent souvent que les contraventions à leurs dispositions constituent des infractions (J. Swaigen et S. McRory, Regulatory Offences In Canada : Liability and Defences (2e éd. 2018), p. 9). D’ailleurs, en l’espèce, une contravention à l’art. 57 de la Securities Act constitue une infraction (« offence ») aux termes de l’al. 155(1)(b) de cette loi.
[39]                          De plus, l’historique législatif de l’art. 178(1)a) démontre que l’intention du Parlement a été d’élargir la portée de la disposition, et non de la restreindre. Une version antérieure, soit celle en vigueur de 1985 à 1992, était libellée de la façon suivante :
                    178. (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
                        a) de toute amende ou pénalité imposée par un tribunal, ou de toute dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale;
[40]                          En 1992, la Loi modifiant la Loi sur la faillite et la Loi de l’impôt sur le revenu en conséquence, L.C. 1992, c. 27, a été adoptée et elle a élargi la portée de l’al. 178(1)a) :
                    64. (1) L’alinéa 178(1)a) de la même loi est abrogé et remplacé par ce qui suit :
                        a) de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal, ou de toute autre dette provenant d’un engagement ou d’un cautionnement en matière pénale;
[41]                          Le Parlement a intentionnellement opté pour une formulation élargie à l’al. 178(1)a). Or, interpréter cette formulation élargie comme visant uniquement les pénalités infligées dans un contexte pénal ou quasi pénal irait à l’encontre de l’intention du Parlement et rendrait les mots « ou toute autre ordonnance similaire » superfétatoires (motifs de la C.A., par. 41). Suivant un principe reconnu, une telle interprétation doit être évitée (R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 28; voir aussi R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd. 2022), § 8.03).
[42]                          Ultimement, si le Parlement avait eu l’intention de limiter l’application de cette disposition aux procédures pénales ou quasi pénales, il aurait pu le faire plus clairement. L’exception visant les amendes, pénalités, ordonnances de restitution ou autres ordonnances ne vise pas uniquement celles qui sont infligées ou rendues dans un contexte pénal ou quasi pénal.
b)              L’expression « rendue par un tribunal » ne vise pas les ordonnances rendues par les tribunaux administratifs qui sont ensuite enregistrées en tant que jugements d’une cour de justice
[43]                          Pour qu’une dette subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)a), le créancier doit établir qu’il s’agit d’une amende, d’une pénalité, d’une ordonnance de restitution ou de toute ordonnance similaire « infligée ou rendue par un tribunal ». Il y a une incertitude quant à savoir ce qui constitue un « tribunal » aux fins de l’application de l’al. 178(1)a) et ce que signifient les termes « infligée ou rendue ».
[44]                          Le terme « tribunal » qui figure à l’al. 178(1)a) n’est pas défini. Bien que l’art. 2 de la LFI définisse ce terme, l’al. 178(1)a) est expressément exclu de cette définition :
                    2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
                    tribunal Sauf aux alinéas 178(1)a) et a.1) et aux articles 204.1 à 204.3, tout tribunal mentionné aux paragraphes 183(1) ou (1.1). Y est assimilé tout juge de ce tribunal ainsi que le greffier ou le registraire de celui‑ci, lorsqu’il exerce les pouvoirs du tribunal qui lui sont conférés au titre de la présente loi.
[45]                          Les paragraphes 183(1) et (1.1) de la LFI renvoient aux cours supérieures de chaque province et territoire. Exclure l’al. 178(1)a) de la définition figurant à l’art. 2 donne à penser que le Parlement n’avait pas l’intention de limiter cet alinéa aux amendes, pénalités ou ordonnances de restitution infligées ou rendues par les cours supérieures (motifs de la C.A., par. 42). Ainsi, la définition figurant à l’art. 2 distingue le tribunal chargé d’administrer le processus de la LFI des autres tribunaux qui peuvent infliger des amendes et des pénalités ou rendre des ordonnances de restitution aux fins de l’application de l’al. 178(1)a) (J.R.B. c. Jimenez, 2018 ABQB 847, par. 23 (CanLII)). Les cours provinciales, les cours fédérales, les cours d’appel et notre Cour répondent toutes à la définition de « tribunal » pour l’application de l’al. 178(1)a) (voir Sarra, Morawetz et Houlden, § 1:26).
[46]                          Cependant, le terme « tribunal » à l’al. 178(1)a) ne vise pas les tribunaux administratifs ou les organismes administratifs. Dans la version anglaise de la disposition, le mot « court » (équivalent de « tribunal ») sous‑entend qu’un litige sera tranché par un juge ou une formation de juges (Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), p. 444). En comparaison, un « administrative tribunal » (« tribunal administratif ») est [traduction] « [u]ne autorité apparentée à une cour de justice qui prend des décisions pour régler des litiges [ou] un organisme administratif qui exerce une fonction quasi judiciaire » (p. 1814). Un « regulatory agency » ou « organisme administratif » peut être défini comme [traduction] « [u]n organisme officiel, notamment au sein du gouvernement, habilité à mettre en œuvre et à pourvoir à l’application d’une législation en particulier » (p. 77-78 et 1538). Le terme anglais « court » renvoie à la magistrature, tandis qu’un organisme administratif constitue une entité hybride [traduction] « qui se classe entre la magistrature et les ministères gouvernementaux et qui est créée pour exercer, à titre d’organisme séparé, des fonctions transférées par les deux » (L. Sossin, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals (feuilles mobiles), § 2:1).
[47]                          En outre, pour l’application de l’art. 69.6 de la LFI, le Parlement a cru approprié de définir le terme « organisme administratif »[1]. Bien que la définition se limite à cet article et ne s’applique pas à l’al. 178(1)a), la décision d’énoncer une définition spécifique pour ce terme renforce l’idée que le Parlement concevait que ces termes différents — « tribunal » et « organisme administratif » — ont des sens différents (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 81; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, 2016 CSC 53, [2016] 2 R.C.S. 555, par. 53). Donc, le mot « tribunal » à l’al. 178(1)a) n’inclut pas les tribunaux administratifs. Si le Parlement avait voulu soustraire à l’application de l’ordonnance de libération aux termes de l’al. 178(1)a) les amendes, les pénalités, les ordonnances de restitution ou autres ordonnances similaires infligées ou rendues par les organismes administratifs, les tribunaux administratifs ou les autres décideurs administratifs, il aurait pu le faire expressément.
[48]                          Après avoir défini le terme « tribunal », je me penche maintenant sur la question de savoir ce que signifie qu’une amende, une pénalité ou une ordonnance soit « infligée ou rendue par un tribunal ». La Commission soutient que cette formulation englobe les ordonnances qui sont rendues par un tribunal administratif, et qui, une fois enregistrées auprès d’une cour, sont réputées, aux termes de la loi, être exécutoires au même titre que les ordonnances de cette cour (m.i., par. 93). Elle fait valoir que ses ordonnances de remise et ses sanctions administratives tombent sous le coup de l’al. 178(1)a) parce que, aux termes du par. 163(2) de la Securities Act, une fois qu’une de ses décisions est déposée auprès de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, elle a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de cette cour :
                    [traduction]
163 (1)   Si la commission a rendu une décision en vertu de l’article 161 ou 162, ou si le directeur général a rendu une décision en vertu de l’article 161, la commission ou le directeur général, selon le cas, peut déposer en tout temps une copie certifiée de la décision au greffe de la Cour suprême.
                    . . .
(2)   Une fois déposée, la décision visée au paragraphe (1), (1.1) ou (1.2) ou l’avis, l’ordonnance ou la décision visé au paragraphe (1.01) a le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de la Cour suprême, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur de cette décision comme s’il s’agissait d’un tel jugement.
[49]                          L’enregistrement d’une décision administrative auprès d’une cour de justice a pour effet de permettre au créancier d’exercer des recours civils pour assurer l’exécution de la décision comme s’il s’agissait d’un jugement de cette cour. L’enregistrement de la décision ne change toutefois rien au fait qu’elle a été rendue par un décideur administratif et n’annihile pas l’exigence de la LFI voulant que la dette soustraite à la libération ait été infligée par un tribunal (motifs de la C.A., par. 48; Hennig (C.A.), par. 52). Lorsqu’une décision est enregistrée auprès d’une cour, la participation de cette dernière est passive tandis que l’acte « d’infliger ou de rendre » une amende, une pénalité, une ordonnance de restitution ou toute autre ordonnance similaire exige du tribunal une participation active à la prise de cette décision (voir Hennig (C.A.), par. 52).
[50]                          Le juge Willcock a conclu à juste titre en l’espèce que l’al. 178(1)a) [traduction] « est suffisamment général pour inclure à tout le moins les amendes, les pénalités et les ordonnances de restitution infligées ou rendues par des tribunaux autres que les cours supérieures des provinces, mais ne peut recevoir une interprétation large au point d’inclure les amendes infligées par des tribunaux administratifs et qui sont ensuite enregistrées auprès d’une cour » (par. 44).
c)              Application de l’al. 178(1)a) aux ordonnances de la Commission
(i)            Les sanctions administratives infligées par la Commission ne seront pas soustraites à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a)
[51]                        À la lumière de ce qui précède, l’argument de la Commission selon lequel les sanctions administratives qu’elle a infligées aux Poonian tombent sous le coup de l’exception prévue à l’al. 178(1)a) doit être rejeté. Bien que les sanctions administratives aient été infligées relativement à une infraction prévue par la loi (Securities Act, al. 57(a) et 155(1)(b)), elles ne l’ont pas été par un tribunal, mais bien par la Commission — un organisme administratif.
(ii)         Les ordonnances de remise rendues par la Commission ne seront pas soustraites à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a)
[52]                          De la même façon, les ordonnances de remise de la Commission ne sont pas visées par l’al. 178(1)a). Elles ont été rendues par la Commission, et non par un tribunal.
(2)         Alinéa 178(1)e)
[53]                          La Commission invoque également l’exception prévue à l’al. 178(1)e) :
                    178 (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
. . .
                        e) de toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, autre qu’une dette ou obligation qui découle d’une réclamation relative à des capitaux propres;
[54]                        Pour qu’une dette ou obligation subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)e), le créancier doit établir trois éléments : (1) des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits; (2) la transmission de biens ou la fourniture de services; et (3) un lien entre la dette ou l’obligation et la fraude (Hennig (C.A.), par. 57, citant McAteer c. Billes, 2007 ABCA 137, 409 A.R. 143, par. 16).
[55]                          Ma collègue la juge Karakatsanis, comme certains tribunaux, conclut que l’al. 178(1)e) intègre un [traduction] « concep[t] de moralité » qui « garantit que le contrevenant malhonnête ne soit pas en mesure d’utiliser le système de justice et les dispositions mises en place par l’État en matière de faillite pour éviter les conséquences de ses actions » (Cruise Connections Canada c. Szeto, 2015 BCCA 363, 78 B.C.L.R. (5th) 82, par. 15; voir aussi Jerrard, p. 206; Bryant c. Benjamin, 2023 QCCA 1021, par. 42 (CanLII); voir les motifs de la juge Karakatsanis, par. 138-139). Bien que je sois essentiellement d’accord que l’al. 178(1)e) vise les comportements moralement répréhensibles, je partage le point de vue des professeurs Girgis et Telfer selon lesquels :
                    [traduction] . . . l’élément commun qui sous‑tend la plupart des causes interprétant l’al. 178(1)e), bien que cela ne soit parfois pas exprimé avec limpidité, est la protection des créanciers victimes de déclarations trompeuses. Selon la jurisprudence dans ce domaine, cette disposition vise les comportements moralement répréhensibles qui ont donné lieu à une dette, et non simplement les comportements moralement répréhensibles. [Je souligne.] 
                    ((2023), p. 452; voir aussi Shaver‑Kudell, par. 23.)
[56]                          Le surintendant des faillites a exprimé une opinion similaire. Intervenant dans l’appel, il a expliqué que l’al. 178(1)e) [traduction] « vise à indemniser les victimes de la fraude, plutôt qu’à préserver les sanctions infligées à des fins de dissuasion » (m. interv., par. 18). En ne libérant pas un failli d’une dette ou obligation qui résulte directement d’une tromperie, l’al. 178(1)e) empêche les débiteurs [traduction] « de profiter de leurs actes illicites » (H.Y. Louie Co. c. Bowick, 2015 BCCA 256, 386 D.L.R. (4th) 117, par. 47, la juge Newbury, dissidente, mais non sur ce point). Je suis donc en désaccord avec ma collègue lorsqu’elle affirme que la « préoccupation centrale » de l’al. 178(1)e) est la « conduite trompeuse », et non le « gain [. . .] qui en dérive » (par. 126 (italique omis)). À mon avis, lorsqu’il s’agit d’interpréter l’al. 178(1)e), la « conduite trompeuse » et le « gain [. . .] qui en dérive » sont deux concepts inextricablement liés.
[57]                          Qui plus est, c’est au moyen de l’art. 172 de la LFI que le Parlement a conféré aux tribunaux de faillite un large pouvoir discrétionnaire de décider si la conduite moralement répréhensible devrait empêcher la libération d’un failli. Les faillis qui sont autres que « honnêtes, mais malchanceux » ne sont pas libérés, ou libérés uniquement à certaines conditions. En revanche, les exceptions prévues au par. 178(1) se concentrent sur l’« exclu[sion] [de] certaines dettes dont le failli n’est pas libéré par une ordonnance de libération » (Moloney, par. 85). Je ne partage donc pas l’interprétation de ma collègue lorsqu’elle dit que l’al. 178(1)e) a pour « but [d’]empêcher les débiteurs malhonnêtes de tirer profit de leur malhonnêteté » (par. 139 (je souligne)). Comme je l’ai expliqué précédemment, l’« intention » qui sous-tend cette disposition est plus nuancée.
[58]                          Dans l’arrêt Restructuration Deloitte, notre Cour a interprété l’al. 19(2)d) de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, c. C‑36, lequel « s’apparente en tous points à » l’al. 178(1)e) de la LFI (par. 24; 9354‑9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp., 2020 CSC 10, [2020] 1 R.C.S. 521, par. 74; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, par. 78). Ayant articulé les exigences de l’article sous forme de test à quatre volets, notre Cour a conclu ainsi :
                    Afin de satisfaire au fardeau qui lui incombe, c’est‑à‑dire démontrer que sa créance est une réclamation qui se rapporte à une dette « résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits », le créancier intéressé devra établir, par prépondérance des probabilités, les quatre éléments suivants : (i) le débiteur lui a fait une représentation; (ii) cette représentation était fausse; (iii) le débiteur savait que la représentation était fausse; (iv) cette fausse représentation a été faite dans le but d’obtenir un bien ou un service . . .
                    (Restructuration Deloitte, par. 25)
[59]                        Ce test s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer si les sanctions administratives et les ordonnances de remise sont soustraites à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)e). Avant d’appliquer ce test aux sanctions administratives et aux ordonnances de remise de la Commission, je donne des orientations quant à chacun des trois éléments exigés à l’al. 178(1)e), lesquels se reflètent dans le test à quatre volets de l’arrêt Restructuration Deloitte et en forment le fondement.
[60]                        D’entrée de jeu, je constate que le premier volet du test de l’arrêt Restructuration Deloitte peut sembler appuyer la proposition selon laquelle seul le créancier qui a directement été victime du faux‑semblant ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits peut présenter une réclamation au titre de l’al. 178(1)e). Comme je l’explique ci‑après, ce n’est pas le cas.
a)              Faux‑semblants ou présentation erronée et frauduleuse des faits
[61]                          La LFI ne définit pas les termes « faux‑semblants » et « présentation erronée et frauduleuse des faits », mais la jurisprudence est unanime : les déclarations trompeuses en sont l’élément central (Shaver‑Kudell, par. 5 et 42; voir aussi les motifs de la C.A., par. 55 et 58‑60; Hennig (C.A.), par. 58; Cruise Connections, par. 13; The Toronto‑Dominion Bank c. Merenick, 2007 BCSC 1261, par. 29 (CanLII); Buland Empire, par. 14). Pour les deux termes, le [traduction] « critère essentiel [. . .] est que le bien ait été obtenu par la “tromperie”, que ce soit par une action délibérée ou par l’omission de divulguer des faits importants » (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:199; voir aussi Hennig (C.A.), par. 112, la juge Pentelechuck, motifs concordants; Iroquois Falls Community Credit Union Ltd. (Liquidatrice de) c. Miljours, 2009 CanLII 935 (C.S.J. Ont.), par. 18).
[62]                          Pour définir une « présentation erronée et frauduleuse des faits » aux fins de l’application de l’al. 178(1)e), les tribunaux se sont appuyés sur les éléments habituels tirés de la décision Derry c. Peek (1889), 14 App. Cas. 337, rendue par la Chambre des lords, à la p. 374 (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:203; Wood, p. 317; J. Girgis et T. G. W. Telfer, « The Fraudulent Misrepresentation and False Pretences Exception to the Bankruptcy Discharge : Balancing the Debtor’s Fresh Start with Confidence in the Credit System », dans Corraini et Nixon, Annual Review of Insolvency Law 2022, 143 (« Girgis et Telfer (2022) », p. 154; Hennig (C.A.), par. 58; Ste. Rose & District Cattle Feeders Co‑op c. Geisel, 2010 MBCA 52, 255 Man. R. (2d) 45; Morris Bureau c. Darde, 2013 NSCA 121, 335 N.S.R. (2d) 378; Woolf c. Harrop (2003), 2003 CanLII 19823 (ON SC), 50 C.B.R. (4th) 309 (C.S.J. Ont.), par. 71). Ces éléments sont les suivants : (i) une représentation a été faite, (ii) cette représentation était fausse, (iii) la représentation a été faite sciemment, sans la croire vraie (y compris par ignorance volontaire ou insouciance), et (iv) le créancier s’est fié à la représentation et a remis des biens au débiteur.
[63]                          Pour définir le terme « faux‑semblants » qui figure à l’al. 178(1)e), les tribunaux se sont appuyés sur le par. 361(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (Shaver‑Kudell, par. 26‑28; Water Matrix Inc. c. Carnevale, 2018 ONSC 6436, 65 C.B.R. (6th) 109, par. 63, conf. par 2016 ONCA 875). Le paragraphe 361(1) est ainsi libellé :
                    361(1) L’expression faux semblant ou faux prétexte désigne une représentation d’un fait présent ou passé, par des mots ou autrement, que celui qui la fait sait être fausse, et qui est faite avec l’intention frauduleuse d’induire la personne à qui on l’adresse à agir d’après cette représentation.
[64]                          Par conséquent, il semble que les éléments constituant la présentation erronée et frauduleuse des faits et les faux‑semblants soient essentiellement les mêmes, à l’exception du fait que la définition de « faux semblant » figurant au par. 361(1) du Code criminel n’exige pas un acte de confiance préjudiciable. Cependant, comme l’al. 178(1)e) de la LFI exige que des biens ou des services aient été obtenus par la présentation erronée et frauduleuse des faits ou des faux‑semblants, [traduction] « cette différence est négligeable dans ce contexte » (Girgis et Telfer (2022), p. 154, citant Hennig (C.A.), par. 58).
[65]                          Dans l’arrêt Gray, la juge van Rensburg a tiré la même conclusion : [traduction] « qu’il s’agisse de la présentation erronée et frauduleuse des faits ou des faux‑semblants, l’al. 178(1)e) exige de conclure que le failli a “obtenu des biens” par une telle conduite » (par. 31; voir aussi Shaver‑Kudell, par. 30 et 35; Hennig (C.A.), par. 58). [traduction] « Dans la majorité des affaires où il est question de l’al. 178(1)e), les juges considèrent la présentation erronée et frauduleuse des faits et les faux‑semblants comme étant des termes étroitement liés présentant les mêmes exigences » (Shaver‑Kudell, par. 35). Par conséquent, le test énoncé dans l’arrêt Restructuration Deloitte n’établit aucune distinction entre les termes « faux‑semblants » et « présentation erronée et frauduleuse des faits ». Le recoupement de ces deux termes permet de veiller à ce que les dettes ou obligations qui résultent d’une tromperie et qui satisfont par ailleurs aux exigences de l’al. 178(1)e) soient soustraites à l’application d’une ordonnance de libération.
[66]                          Il appartient au créancier de prouver que les dettes ou obligations résultent de faux‑semblants ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits par le débiteur. Le tribunal ne peut pas prendre connaissance d’office d’une fraude (B. Durnford, « Recent Developments under Section 178(1)(a) and (e) of the Bankruptcy and Insolvency Act : A Case Study of Poonian v. British Columbia (Securities Commission) » (2023), 12 J.I.I.C. 107, p. 128; voir aussi p. 123, citant Hennig (C.A.), par. 70, citant Canada (Attorney General) c. Bourassa (Trustee of), 2002 ABCA 205, 6 Alta. L.R. (4th) 223), ni inférer la commission d’une fraude d’un simple examen sommaire (Restructuration Deloitte, par. 21). Une partie ne peut pas simplement présumer ou tenir pour acquis qu’une réclamation a résulté d’une déclaration trompeuse sans prouver les éléments requis (Restructuration Deloitte, par. 26).
[67]                          Le demandeur peut établir de diverses façons qu’il y a eu des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits aux fins de l’application de l’al. 178(1)e). Le plus simple est de présenter une décision judiciaire antérieure qui comporte des conclusions de fait selon lesquelles une dette résulte de faux‑semblants ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits (Wood, p. 313; Hennig (C.A.), par. 62). Lorsqu’un demandeur a obtenu un jugement qui contient des conclusions de faits suffisantes, [traduction] « il n’y a rien d’autre à faire » (Wood, p. 313; voir aussi Bryant, par. 69). Cependant, si le jugement ne contient aucune conclusion expresse quant à la présence des éléments requis, le tribunal de faillite peut examiner les actes de procédure déposés auprès du tribunal ayant rendu le jugement antérieur ainsi que le dossier des procédures engagées devant cet autre tribunal afin de déterminer si les éléments peuvent être établis à partir de ces documents. Le tribunal de faillite peut donc tenir compte de l’ensemble du contexte des procédures dont disposait ce tribunal pour déterminer si la dette constatée par jugement peut être considérée comme tombant sous le coup de l’al. 178(1)e) (Cruise Connections, par. 29, citant H.Y. Louie, par. 87‑88; voir aussi Lawyers’ Professional Indemnity Co. c. Rodriguez, 2018 ONCA 171, 139 O.R. (3d) 641, par. 33; Hennig (C.A.), par. 62).
[68]                          Toutefois, « malgré la présence de conclusions liées possiblement à la fraude prononcées dans le cadre d’un procès antérieur, ou encore lorsqu’un jugement par défaut ou un acquiescement à jugement contiendrait de telles conclusions », un tribunal tire généralement ses propres conclusions factuelles aux fins d’application de l’al. 178(1)e) de la LFI (Restructuration Deloitte, par. 29). Les tribunaux doivent « se montr[er] particulièrement constants et rigoureux dans l’appréciation de la preuve qui leur est présentée à cet égard » (par. 29; voir aussi Pelletier c. CAE Rive‑Nord, 2019 QCCA 2164, par. 13‑19 (CanLII)). Il s’ensuit que, [traduction] « la preuve produite pour démontrer l’existence de fraude ou de malhonnêteté doit être “claire et convaincante” » (Sharma c. Sandhu, 2019 MBQB 160, par. 26 (CanLII)).
[69]                          Dans le cas d’une dette ou obligation découlant de la décision d’un tribunal administratif, le juge saisi de la demande doit rendre sa propre décision après avoir examiné le dossier pour déterminer si la dette ou obligation tombe sous le coup de l’exception prévue au par. 178(1) (Hennig (C.A.), par. 63). Ainsi, même si le décideur administratif juge qu’il est satisfait à tous les éléments requis pour conclure à des faux‑semblants ou à une présentation erronée et frauduleuse des faits, [traduction] « [c]’est au tribunal qu’il revient de décider si la réclamation appartient à l’une des catégories de réclamations soustraites à l’application d’une ordonnance de libération » (Wood, p. 314). En résumé, pour qu’un créancier puisse continuer à faire valoir sa réclamation contre un failli au titre de l’al. 178(1)e), il doit obtenir une ordonnance judiciaire dans laquelle il est conclu à l’existence d’une fraude, et ce, que l’ordonnance soit obtenue [traduction] « avant, durant ou après la libération de la faillite » (Bourassa, par. 5).
b)              Transmission de biens ou fourniture de services
[70]                          La deuxième exigence à satisfaire pour qu’une dette ou obligation subsiste après la faillite en application de l’al. 178(1)e) est qu’il doit y avoir eu transmission de biens ou fourniture de services. Cette exigence se reflète dans le dernier volet du test établi dans l’arrêt Restructuration Deloitte, lequel exige que la « fausse représentation [ait] été faite dans le but d’obtenir un bien ou un service » (par. 25). Il doit y avoir une perte sous forme de transmission de biens ou fourniture de services, ainsi qu’une dette ou obligation correspondant à cette perte.
[71]                          Les Poonian font valoir que l’al. 178(1)e) ne doit s’appliquer que lorsque c’est le débiteur, et non un tiers, qui obtient les biens ou les services (m.a., par. 72‑75). Je suis en désaccord.
[72]                          Cet argument a également été avancé, puis rejeté, dans l’arrêt McAteer c. Billes, 2006 ABCA 312, 397 A.R. 365. Le failli soutenait que [traduction] « les biens devaient être transmis au failli pour que l’al. 178(1)e) s’applique » (par. 8). La Cour d’appel de l’Alberta a conclu que [traduction] « l’al. 178(1)e) n’exige pas que les biens soient transmis à l’auteur du délit dans les cas de présentation erronée et frauduleuse des faits » (par. 7, citant Morgan c. Demers (1986), 1986 ABCA 100 (CanLII), 71 A.R. 244 (C.A.)). Je suis du même avis. La disposition ne précise pas que la [traduction] « personne ayant commis la fraude doit être la personne qui a obtenu les biens » (Varvis (Bankrupt), Re, 1999 ABQB 853, 254 A.R. 197, par. 8).
[73]                          L’alinéa 178(1)e) n’exige pas que le failli soit la personne ayant reçu les biens dont une autre a été privée. Le failli n’a pas à avoir obtenu ou conservé les biens. Ceux‑ci peuvent avoir été transmis directement ou indirectement de la personne à un tiers selon les instructions du failli ou pour son compte (Merenick, par. 18). Ce qui est obligatoire, c’est que la présentation erronée et frauduleuse des faits ait incité une personne à donner les biens à un tiers (voir Wood, p. 317, citant McAteer (2006), et Merenick). Ce tiers peut être le failli ou une personne associée au failli.
c)              Lien requis entre la dette ou obligation et la fraude
[74]                          Puisqu’il contient l’expression « résultant de », l’al. 178(1)e) exige un lien de causalité entre la création de la dette ou obligation et la tromperie du débiteur. Autrement dit, pour tomber sous le coup de l’al. 178(1)e), la dette ou obligation doit résulter d’un faux‑semblant ou d’une présentation erronée et frauduleuse des faits (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:198). L’alinéa 178(1)e) exige donc un acte de confiance préjudiciable de la part d’une personne (Shaver‑Kudell, par. 30). Toutefois, comme je l’explique dans la prochaine section, il n’est pas nécessaire que cette personne soit le créancier.
[75]                          L’expression « résultant de » à l’al. 178(1)e) dénote un degré de causalité stricte. Ceci est d’autant plus vrai que les exceptions prévues au par. 178(1) doivent être interprétées de façon restrictive. Il ne suffit pas que [traduction] « la dette ou obligation “découle” d’un stratagème frauduleux » (Gray, par. 31) ni qu’elle ait été contractée « quant à » (l’équivalent de l’expression « in respect of » utilisée dans la version anglaise de la LFI), « en lien avec » ou « relativement à » un stratagème frauduleux. En effet, l’intention du Parlement d’exiger un degré de causalité stricte en choisissant l’expression « résultant de » (ou « resulting from » en anglais) ressort clairement lorsque l’on compare l’al. 178(1)e) à l’al. 178(1)a), dont la version anglaise utilise l’expression « in respect of ». Comme l’a fait remarquer le juge Dickson (plus tard juge en chef), « [p]armi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression “[in respect of]” qui est la plus large » (Nowegijick, p. 39; Markevich, par. 26; voir aussi Sullivan (7e éd.), § 4.05). On ne peut en dire autant de l’expression « résultant de » (ou « resulting from » de la version anglaise), laquelle exige un lien de causalité : une dette ou obligation a été causée par le débiteur (ou une personne associée au débiteur), qui a obtenu des biens ou des services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits.
[76]                          L’alinéa 178(1)e) exige donc un « lien direct ». Suivant cette exigence, seule la dette ou obligation qui correspond à la [traduction] « valeur des biens [ou des services] obtenus par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits », est soustraite à l’application de l’ordonnance de libération (Molloy c. Janes & Noseworthy Ltd. (1998), 1998 CanLII 18106 (NL CA), 164 Nfld. & P.E.I.R. 176 (C.A. T.‑N.), par. 8; voir aussi Sarra, Morawetz et Houlden, §7:202). Cette exigence [traduction] « cadre mieux avec la politique du nouveau départ sous‑tendant le droit de la faillite, puisqu’elle limite l’exception à la valeur obtenue par le débiteur par suite de sa conduite malhonnête » (Wood, p. 318).
[77]                          Plusieurs tribunaux de partout au pays ont reconnu et appliqué l’exigence du lien direct. Dans l’arrêt Gray, la juge van Rensburg a conclu qu’un [traduction] « lien de causalité entre l’acte répréhensible du failli et la création de la dette ou de l’obligation est nécessaire » (par. 31). Dans l’arrêt Shaver‑Kudell, le juge Zarnett a conclu que la déclaration trompeuse du débiteur [traduction] « doit être à l’origine de la dette ou obligation envers le créancier » (par. 35). Dans l’arrêt The Workers’ Compensation Board c. Petkau, 2018 SKCA 85, 429 D.L.R. (4th) 92, la juge Schwann a conclu qu’il [traduction] « doit y avoir une preuve du lien de causalité entre la fraude alléguée et la dette ou obligation qui en aurait résulté » (par. 45). Dans la décision Pietrzak, Re (2016), 39 C.B.R. (6th) 145 (C.S.J. Ont.), la protonotaire Mills a conclu que [traduction] « [l]e fait de démontrer qu’il y a eu présentation erronée et frauduleuse des faits ou faux‑semblant n’est suffisant que s’il est également démontré que l’obtention du bien ou du service en a directement résulté » (par. 9). Dans l’arrêt McAteer (2007), la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que l’al. 178(1)e) exige [traduction] « une conclusion de fraude, de présentation erronée ou de toute autre conduite répréhensible qui est clairement liée à la dette du failli » (par. 28; voir aussi Groupe Unigesco inc. c. Michaud, 2021 QCCQ 10330, par. 18‑20 (CanLII); Water Matrix Inc., par. 61, Dead End Survival, LLC c. Marhasin, 2020 ONSC 766, 77 C.B.R. (6th) 299, par. 22).
[78]                          Bien que l’exigence du « lien direct » soit bien établie dans la jurisprudence, certains tribunaux ont appliqué une norme moins exigeante. Par exemple, la norme a été décrite comme le critère du « facteur déterminant » : [traduction] « N’eût été la présentation erronée et frauduleuse des faits par le [débiteur], [la société] ne lui aurait pas prêté [l’argent] » (Woolf, par. 72). Le lien exigé a également été qualifié de [traduction] « lien concret » : « Il suffit que la fausse déclaration du défendeur soit liée de façon concrète aux actions du demandeur ayant causé un préjudice » (Morris Bureau, par. 18). Avec égards, je ne suis pas convaincue qu’une dette ou obligation qui n’est pas directement liée à la déclaration trompeuse du débiteur, ou à quelqu’un qui lui est associé, puisse subsister après la libération du failli sur la base de l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Pour que l’al. 178(1)e) s’applique, [traduction] « il est nécessaire que le débiteur ait obtenu les biens ou les services par une déclaration trompeuse, laquelle a donné naissance à la dette ou obligation envers le créancier » (Shaver‑Kudell, par. 44).
[79]                          La décision Goldstein, Re, 2011 ONSC 561, 74 C.B.R. (5th) 296, illustre l’exigence du lien direct. Dans cette affaire, un comité d’audience du Barreau du Haut‑Canada a conclu que M. Goldstein avait participé à un acte malhonnête et frauduleux afin d’obtenir des fonds hypothécaires par des faux‑semblants. Le comité a radié M. Goldstein et lui a ordonné de verser au Barreau des dépens de 60 000 $ liés à l’audience de radiation. Par la suite, M. Goldstein a fait une cession de ses biens. Le Barreau a sollicité un jugement déclaratoire portant que les dépens adjugés seraient soustraits à l’application de l’ordonnance de libération en application du par. 178(1) de la LFI. Le juge Morawetz a conclu que les dépens ne résultaient pas de la fraude, mais avaient plutôt été adjugés par suite de l’audience de radiation du Barreau (par. 10). Les dépens adjugés n’étaient donc pas directement liés à la fraude commise par M. Goldstein.
[80]                          Ma collègue appliquerait un lien de causalité moins exigeant, soit un lien qui ne limiterait pas la dette ou obligation dont ne peut être libéré le failli en application de l’al. 178(1)e) à la valeur des biens ou des services obtenus par la tromperie (par. 118 et 125). Elle cite des décisions où les tribunaux ont jugé que des dommages‑intérêts punitifs étaient des dettes dont le failli ne pouvait être libéré en application de l’al. 178(1)e), même s’ils excédaient la valeur des biens ou des services obtenus par la tromperie (par. 128). Les dommages‑intérêts punitifs ne correspondent pas à la valeur des biens ou des services obtenus par les faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, ils ne sont donc pas visés par le champ d’application de l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Cependant, cela ne veut pas dire que le failli sera libéré d’une telle dette par une ordonnance de libération. Il se peut que les dommages‑intérêts punitifs soient visés par une autre exception applicable prévue au par. 178(1) ou par l’art. 172 de la LFI.
[81]                          Je réitère que le par. 178(1) n’est pas un [traduction] « fourre‑tout de dettes résultant d’une conduite moralement répréhensible » (Shaver‑Kudell, par. 39). Avec égards, je suis en désaccord avec ma collègue lorsqu’elle écrit que l’al. 178(1)e), « [u]ltimement, [. . .] devrait être interprété en fonction de son objet » (par. 138). L’utilisation que fait ma collègue de l’expression « en fonction de son objet » n’est tout simplement pas compatible avec la jurisprudence de notre Cour qui établit clairement que l’al. 178(1)e) « doit être interprét[é] restrictivement » (Restructuration Deloitte, par. 24‑25). En adoptant le par. 178(1), le Parlement a [traduction] « identifi[é] des catégories de conduites fautives précises qui donnent naissance à des dettes dont le failli ne peut se libérer et précise les critères applicables » (Shaver‑Kudell, par. 39). [traduction] « [M]ême s’il est facile de concevoir d’autres formes de conduite moralement condamnable donnant naissance à des dettes », l’al. 178(1)e) doit être interprété restrictivement, en fonction des « termes spécifiques identifiés » (ibid.). Une interprétation restrictive favorise un lien direct qui limite la dette ou obligation dont le failli ne peut être libéré à la valeur des biens ou des services obtenus par suite de la tromperie.
[82]                          Ainsi, pour qu’une réclamation au titre de l’al. 178(1)e) soit accueillie, il doit y avoir un lien direct entre la déclaration frauduleuse et la dette ou obligation faisant l’objet de la réclamation du créancier.
d)              Il n’existe pas d’exigence de « victime directe »
[83]                          Je souhaite aborder un dernier point avant de décider si les sanctions administratives ou les ordonnances de remise de la Commission subsistent après la libération en application de l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Comme je l’ai déjà mentionné, le premier volet du test de l’arrêt Restructuration Deloitte peut sembler appuyer la proposition selon laquelle seul le créancier victime du faux‑semblant ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits peut présenter une réclamation au titre de l’al. 178(1)e). Ce n’est pas le cas.
[84]                          Dans l’arrêt Hennig (C.A.), la juge Khullar (maintenant juge en chef) a conclu qu’un [traduction] « créancier ne devrait pouvoir invoquer l’al. 178(1)e) avec succès que s’il a été directement victime du comportement frauduleux du débiteur » (par. 81 (en italique dans l’original)). Selon cette approche, [traduction] « [l]e lien exigé entre la déclaration frauduleuse et la dette est établi uniquement si le débiteur fait une déclaration frauduleuse au créancier qui invoque l’al. 178(1)e) » (par. 78). Elle a conclu qu’il en est ainsi, car [traduction] « les créanciers peuvent bénéficier du traitement privilégié prévu à l’al. 178(1)e) seulement s’ils sont les victimes du comportement frauduleux du débiteur » (par. 92; voir aussi Durnford, p. 125).
[85]                          En Cour d’appel dans la présente cause, le juge Willcock a expressément rejeté cette exigence de victime directe et a conclu que [traduction] « le langage clair de l’al. 178(1)e) de la LFI ne limite pas cette exception aux réclamations où le failli a fait une déclaration trompeuse au créancier » (par. 70).
[86]                          À l’instar du juge Willcock, je ne suis pas convaincue que l’al. 178(1)e) exige que le créancier qui présente une réclamation soit le récepteur de la déclaration trompeuse. Cela dit, comme l’al. 178(1)e) exige un acte de confiance préjudiciable, il y aura toujours une personne qui aura été privée de biens ou de services en raison des déclarations trompeuses du débiteur ou d’une personne qui lui est associée. La plupart du temps, la personne à qui les déclarations trompeuses ont été faites est le créancier réclamant. Malgré cela, la jurisprudence fait état de cas où, même si le créancier réclamant n’était pas le récepteur direct de la déclaration trompeuse, toutes les exigences de l’exception prévue à l’al. 178(1)e) étaient remplies et la dette ou obligation a subsisté à juste titre après la faillite.
[87]                          Par exemple, dans l’affaire Woolf, la banque créancière sollicitait un jugement déclaratoire portant que sa créance constatée par jugement contre le failli, M. Harrop, était soustraite à l’application d’une ordonnance de libération. La banque était la cessionnaire d’une hypothèque initialement consentie par M. Harrop au profit d’une autre entreprise. Lorsque M. Harrop a conclu le contrat hypothécaire, il a fourni une déclaration solennelle au créancier hypothécaire initial selon laquelle il ne devait aucun arriéré d’impôt sur le revenu. Cette déclaration était fausse, et M. Harrop le savait. Après que le créancier hypothécaire initial a cédé l’hypothèque à la banque, M. Harrop a fait défaut de rembourser son hypothèque, et la banque a obtenu un jugement contre lui pour la somme impayée. Lorsque M. Harrop a fait cession de ses biens, et après qu’il a été libéré de sa faillite, la banque a sollicité un jugement déclaratoire portant que le jugement par défaut qu’elle avait obtenu subsisterait après la libération en application de l’al. 178(1)e), car M. Harrop avait fait une présentation erronée et frauduleuse des faits au créancier hypothécaire initial. Monsieur Harrop a soutenu que la banque ne pouvait invoquer l’al. 178(1)e), car la présentation erronée et frauduleuse des faits ne lui avait pas été faite à elle, mais plutôt au créancier hypothécaire initial. Il a également fait valoir que la banque ne s’était pas fiée à sa présentation erronée et frauduleuse des faits.
[88]                          Le juge Trafford a rejeté les arguments de M. Harrop. Il a conclu que la banque avait acquis tous les droits juridiques du créancier hypothécaire initial, y compris le droit de poursuivre M. Harrop. De plus, il a déduit que si la banque avait eu connaissance de la présentation erronée et frauduleuse des faits, elle n’aurait pas acquis les droits à l’égard de la créance hypothécaire. Le droit de la banque de se prévaloir de l’exception prévue à l’al. 178(1)e) n’était pas différent du droit dont aurait bénéficié le créancier hypothécaire initial.
[89]                          Même si la banque n’était pas la victime directe de la présentation erronée et frauduleuse des faits de M. Harrop, la dette hypothécaire impayée résultait directement de l’obtention, par M. Harrop, de biens par la présentation erronée et frauduleuse des faits. Je suis d’accord avec le juge Trafford, qui a conclu que le droit de la banque de se prévaloir de l’exception prévue à l’al. 178(1)e) ne diffère pas du droit du créancier hypothécaire initial (par. 75). La banque avait droit à un jugement déclaratoire portant que sa créance constatée par jugement était soustraite à l’application de l’ordonnance de libération et que cette dernière ne pouvait protéger M. Harrop des conséquences juridiques de sa présentation erronée et frauduleuse des faits sous prétexte que la banque n’avait pas été sa victime directe (par. 75; Girgis et Telfer (2023), p. 452; voir aussi Shaver‑Kudell, par. 5).
[90]                          Dans l’arrêt Ste. Rose, la Cour d’appel du Manitoba a conclu qu’une obligation était soustraite à l’application d’une ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)e), et ce, même si le créancier n’était pas la victime directe des faux‑semblants. La Ste. Rose & District Cattle Feeders Co‑op et le débiteur avaient conclu une entente prévoyant que la Co‑op autoriserait un financement pour que le débiteur puisse acheter du bétail. L’entente exigeait également que le débiteur avertisse la Co‑op lorsque le bétail serait vendu et veille à ce que le produit de cette vente soit versé directement à la Co‑op. Le débiteur et son fils ont élaboré un plan par lequel le fils vendait le bétail en son nom. Le fils a fait croire de façon frauduleuse à un routier et à un encanteur qu’il était propriétaire du bétail. Le produit de la vente a été déposé dans le compte de la coopérative de crédit du fils, comme prévu. Cependant, le fils était endetté envers la coopérative de crédit. Lorsque les fonds ont été déposés dans son compte, celle-ci a saisi la somme et l’a appliquée sur la dette du fils. Le débiteur a fait défaut de rembourser le prêt de la Co‑op, et celle-ci a subi une perte correspondante. Le débiteur et son fils ont consenti à ce qu’un jugement soit rendu en faveur de la Co‑op. Ils ont tous les deux fait une cession de leurs biens et ont ultérieurement été libérés de leur faillite. La Co‑op a déposé une demande de jugement déclaratoire fondée sur l’al. 178(1)e) portant que la dette du débiteur et de son fils constatée par jugement était soustraite à l’application de l’ordonnance de libération.
[91]                          Le juge Freedman a conclu que le débiteur et son fils avaient obtenu par des faux‑semblants des « biens » sous la forme du produit d’une vente, ce qui a créé une obligation envers la Co‑op et a donné lieu au jugement. Le débiteur avait dissimulé des renseignements pertinents à la Co‑op en ne l’informant pas que son fils conserverait le produit de la vente. La Co‑op s’est fiée à la présentation erronée et frauduleuse des faits par le débiteur, et ce, à son détriment. De plus, en participant à la vente frauduleuse du bétail, le débiteur a continué de faire croire que son fils avait droit au produit. Pour ce motif, l’obligation du débiteur envers la Co‑op a subsisté après la libération.
[92]                          En ce qui concerne l’obligation du fils envers la Co‑op, il a fait ses fausses déclarations à l’encanteur et au routier, et non à la créancière, la Co‑op. Cependant, cette implication de tiers ne changeait rien au fait que la Co‑op avait été privée de ses biens en raison des fausses déclarations du fils. Pour ce motif, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que la dette était soustraite à l’application de l’ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)e).
[93]                          Dans la plupart des cas, le créancier réclamant est la victime directe du faux‑semblant ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits. Cela est d’autant plus vrai qu’il incombe au créancier de prouver qu’une dette ou obligation tombe sous le coup de l’une des exceptions prévues.
[94]                          En fait, c’est sur cette base que le test établi dans l’arrêt Restructuration Deloitte semble confirmer l’exigence de la victime directe : « Afin de satisfaire au fardeau qui lui incombe, c’est‑à‑dire démontrer que sa créance est une réclamation qui se rapporte à une dette “résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits”, le créancier intéressé devra établir [que] le débiteur lui a fait une représentation . . . » (par. 25 (je souligne)). L’affaire Restructuration Deloitte est « typique » en ce sens que la Ville de Montréal était à la fois la victime de la fraude alléguée et la créancière invoquant l’al. 19(2)d) de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Or, le libellé de l’al. 178(1)e) de la LFI n’exige pas que le créancier soit une victime directe. Un créancier qui n’est pas une telle victime a donc le droit de présenter une réclamation en application de l’al. 178(1)e), à condition que cette réclamation résulte du fait qu’une personne a été privée de biens ou de services après s’être fiée, à son détriment, aux faux‑semblants ou à la présentation erronée et frauduleuse des faits par le débiteur.
[95]                          Je rejette l’exigence que le requérant ait été la victime directe parce qu’elle constituerait une exigence supplémentaire à celles prévues à l’al. 178(1)e), à savoir que les déclarations ayant privé une personne de biens ou de services doivent avoir été faites directement au créancier, et non à un tiers (Girgis et Telfer (2022), p. 183). Cependant, l’absence d’exigence quant à l’existence d’une victime directe ne change rien au fait que la portée de l’al. 178(1)e) se limite à la valeur des biens ou des services obtenus par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits.
e)              Application de l’al. 178(1)e) aux ordonnances de la Commission
[96]                        Afin de s’acquitter du fardeau qui lui incombe, c’est‑à‑dire démontrer que ses créances sont des réclamations qui se rapportent à des dettes ou obligations résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, la Commission doit établir que les Poonian ont sciemment fait une fausse représentation dans le but d’obtenir des biens ou des services (Restructuration Deloitte, par. 25). La dette ou l’obligation faisant l’objet de la réclamation doit être directement liée à la fausse représentation des Poonian.
[97]                        Pour déterminer si les Poonian avaient sciemment fait de fausses déclarations, le juge en cabinet a examiné les décisions de la Commission. Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’une partie s’appuie sur les conclusions d’un décideur administratif pour établir que le débiteur a fait une fausse déclaration, le tribunal doit tout de même rendre sa propre décision après avoir examiné le dossier, et ce, même lorsque les conclusions de fraude tirées par le décideur administratif sont explicites.
[98]                          Après examen de la décision relative à la réévaluation de la Commission, le juge en cabinet a conclu qu’en visant délibérément à tromper le public et les investisseurs quant à la véritable valeur des actions d’OSE, le stratagème trompeur des Poonian était [traduction] « essentiellement une présentation erronée et frauduleuse des faits et un faux‑semblant » (par. 103). Dans sa décision relative à la réévaluation, la Commission a conclu que les Poonian avaient contrevenu à l’al. 57(a) de la Securities Act [traduction] « en se livrant, ou en participant, à un acte dont ils savaient, ou devaient raisonnablement savoir, qu’il résulterait, ou contribuerait, à l’apparence trompeuse que des opérations étaient effectuées sur des actions d’OSE Corp. ou à un cours artificiel à leur égard » (par. 6). Par conséquent, la Commission et le juge en cabinet ont tous deux jugé frauduleuse la manipulation de marché à laquelle se sont livrés les Poonian.
[99]                          Tout comme le juge Willcock, je ne relève aucune erreur dans la conclusion du juge en cabinet selon laquelle le stratagème des Poonian visant à tromper et à exploiter des investisseurs constituait une présentation erronée et frauduleuse des faits (par. 56). Les Poonian ont sciemment fait une présentation erronée et frauduleuse du cours des actions d’OSE afin de réaliser des profits. Il est donc satisfait à la première exigence de l’al. 178(1)e).
[100]                     Les Poonian ont obtenu des biens ou des services par suite de leur présentation erronée et frauduleuse des faits. Comme l’a fait remarquer le juge en cabinet, [traduction] « [g]râce à ce stratagème, les Poonian ont “obten[u] des biens” sous forme de millions de dollars » (par. 103). Monsieur Poonian a obtenu une somme de 746 676 $ directement, et une autre de 572 491 $ indirectement par l’intermédiaire des comptes de participants secondaires au stratagème. De plus, il a obtenu une somme de 1 126 260 $ par l’intermédiaire du compte d’un autre participant et a été solidairement condamné à remettre cette somme. Madame Poonian a obtenu une somme de 3 149 935 $ (décision relative à la réévaluation, par. 77‑79). Bien que M. Poonian ait obtenu certaines sommes indirectement par l’intermédiaire des comptes d’autres participants au stratagème, je conclus qu’il n’est pas nécessaire que le failli ait obtenu directement ou conservé les biens pour que l’exception prévue à l’al. 178(1)e) s’applique. Comme en l’espèce, les biens peuvent être transmis d’une personne ou d’un groupe de personnes (les investisseurs trompés) à un tiers (un autre participant) selon les instructions du failli (M. Poonian). Il est donc satisfait à la deuxième exigence de l’al. 178(1)e).
[101]                     La Commission soutient que ses sanctions administratives tout comme ses ordonnances de remise devraient subsister après la libération, en application de l’exception prévue à l’al. 178(1)e), parce qu’il s’agit de dettes découlant du fait que les Poonian ont obtenu des millions de dollars en raison de leur présentation erronée et frauduleuse des faits. Pour déterminer si tel est le cas, je dois examiner séparément si les sanctions administratives et les ordonnances de remise satisfont à la troisième exigence de l’al. 178(1)e).
(i)            Les sanctions administratives de la Commission ne sont pas le résultat du stratagème frauduleux
[102]                     Comme je l’ai déjà mentionné, une réclamation au titre de l’al. 178(1)e) doit résulter du fait que le débiteur (ou une personne associée au débiteur) a obtenu des biens ou des services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits. Il doit y avoir un lien direct entre la dette ou obligation et l’acte frauduleux. C’est seulement la valeur des biens ou des services obtenus par suite de cet acte qui est soustraite à l’application de l’ordonnance de libération (Molloy, par. 8). Pour ce motif, les sanctions administratives de la Commission ne tombent pas sous le coup de l’exception prévue à l’al. 178(1)e).
[103]                     La dette que représentent les sanctions administratives de la Commission n’est pas le résultat direct de la présentation erronée et frauduleuse des faits par les Poonian. Elle découle plutôt indirectement de la décision de la Commission d’infliger une sanction aux Poonian pour avoir obtenu des biens en tenant des propos trompeurs à l’intention d’investisseurs (Girgis et Telfer (2023), p. 448; Nocilla, p. 186).
[104]                     Comme je l’ai expliqué, l’affaire Goldstein aide à illustrer l’exigence relative au lien direct. Dans cette cause, le juge Morawetz a conclu que les dépens en question n’étaient pas le résultat de la fraude du failli, mais avaient plutôt été adjugés par suite d’une audience du Barreau ayant donné lieu à la radiation de M. Goldstein. Même si le Barreau a conclu que M. Goldstein [traduction] « avait consciemment apporté son aide ou participé à une conduite malhonnête ou frauduleuse pour obtenir une hypothèque sous de faux‑semblants », l’ordonnance elle-même ayant adjugé les dépens ne résultait pas directement de la fraude commise par M. Goldstein et les dépens n’étaient donc pas visés par l’al. 178(1)e) (Goldstein, par. 3 et 10‑11). Ma collègue reconnaît que « [l]a condamnation aux dépens constituait une étape détachée de la conduite frauduleuse et n’avait donc pas été “causée directement” par celle‑ci » et que la source de la responsabilité était l’audience relative à la radiation, et non la tromperie (par. 133 (en italique dans l’original)). Cependant, elle établit une distinction entre la présente cause et l’affaire Goldstein parce que, en l’espèce, la Commission n’invoque pas que les dépens découlant de sa procédure contre les Poonian sont soustraits à l’application de l’ordonnance de libération et que « l’audience de la Commission avait pour objet de créer une telle dette ou obligation résultant directement de faux‑semblants » (par. 134). Avec égards, cette distinction ne peut tenir.
[105]                     Tant l’octroi de dépens que l’infliction d’une sanction par une autorité administrative découlent indirectement de la conduite trompeuse reprochée. Si cette conduite n’était pas survenue et si elle n’avait pas été sanctionnée, ni la sanction ni les dépens n’auraient existé. Cela dit, fondamentalement, tant l’octroi de dépens que l’infliction d’une sanction administrative résultent du choix d’une autorité administrative de sanctionner le comportement reproché. Ni l’une ni l’autre n’est la conséquence directe de la conduite trompeuse. Autrement dit, n’eût été la fraude de M. Goldstein, il n’y aurait pas eu d’octroi de dépens. De même, n’eût été la fraude des Poonian, il n’y aurait pas eu de sanctions administratives. Cependant, comme je l’ai expliqué, et comme le reconnaît ma collègue au par. 124 de ses motifs, le critère du facteur déterminant n’est pas celui qui convient pour appliquer l’al. 178(1)e). Il faut un lien de causalité direct. Avec égards, je suis donc en désaccord avec ma collègue lorsqu’elle affirme que les sanctions administratives infligées par la Commission « ont comme unique source ou origine la conduite trompeuse des Poonian » (par. 134 (en italique dans l’original)). Je suis plutôt d’avis que leur seule source est la décision sur les sanctions : [traduction] « Considérant que cela est dans l’intérêt public, et conformément aux articles 161 et 162 de la loi, nous ordonnons que [. . .] a) [Thalbinder] Poonian paie à la Commission une sanction administrative de 10 millions de dollars; [et] b) [Shailu] Poonian paie à la Commission une sanction administrative de 3,5 millions de dollars » (par. 96).
[106]                     Si la dette ou l’obligation soustraite à la libération n’était pas limitée à la valeur des biens ou des services obtenus par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, l’al. 178(1)e) pourrait — que le réclamant soit la victime directe ou une partie comme la Commission — viser les dettes ou obligations qui ne résultent pas directement de la tromperie. Ma collègue se fonde sur l’interprétation de l’al. 178(1)e) adoptée par la juge Romaine dans Hennig (B.R.) pour conclure que les sanctions administratives infligées par la Commission sont visées par cette disposition (par. 139). Cette décision a été infirmée en appel. La juge Khullar (maintenant juge en chef) a conclu que la juge Romaine avait [traduction] « mal cerné l’objet du par. 178(1) », s’était livrée à « un peu de rétro‑ingénierie », et que son approche « téléologique et corrective [. . .] avait eu pour effet de déplacer l’équilibre délicat atteint par le Parlement » (Hennig (C.A.), par. 26). Je suis d’accord. Comme l’ont noté les professeurs Girgis et Telfer, si de telles autres dettes ou obligations, y compris des sanctions administratives, [traduction] « devaient survivre à une libération de faillite, ce devrait être parce que le Parlement a prévu une exemption claire et intentionnelle à cet effet, et non en raison de l’interprétation trop large par un tribunal d’une exception à la libération » ((2023), p. 454; voir aussi Nocilla, p. 187; Hennig (C.A.), par. 102).
[107]                     Les sanctions administratives ne sont pas la conséquence directe de la présentation erronée et frauduleuse des faits par les Poonian. Elles ne survivent donc pas à la libération de la faillite en application de l’al. 178(1)e).
(ii)         Les ordonnances de remise rendues par la Commission ont résulté du stratagème frauduleux
[108]                     Bien que les sanctions administratives n’aient pas résulté du fait que les Poonian avaient obtenu des biens par la présentation erronée et frauduleuse des faits, il en va autrement pour les ordonnances de remise.
[109]                     Les ordonnances de remise ont été rendues en vertu de l’al. 161(1)(g) de la Securities Act et correspondent à la valeur de la fraude des Poonian, c’est‑à‑dire les fonds que ceux-ci ont obtenus en manipulant le marché. L’alinéa 161(1)(g) est ainsi libellé :
                    [traduction]
161(1)   S’ils estiment qu’il est dans l’intérêt public de le faire, la commission ou le directeur général peut, après la tenue d’une audience, rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes :
                    [. . .]
(g)   que si une personne n’a pas respecté la présente loi, les règlements ou une décision de la commission ou du directeur général, elle verse à la commission toute somme obtenue, tout paiement ou toute perte évités, directement ou indirectement, en raison du manquement ou de la contravention;
En conséquence, si une personne n’a pas respecté une disposition de la Securities Act, la Commission peut enjoindre à cette dernière de lui verser toute somme obtenue en raison du manquement.
[110]                     L’objectif de cette disposition [traduction] « est de contraindre un contrevenant à renoncer à toute somme mal acquise » (2017 BCCA 207, 95 B.C.L.R. (5th) 319 (« Poonian (2017) »), par. 81). En lui retirant toutes les sommes obtenues du fait de sa contravention à la Securities Act, la disposition [traduction] « empêche la personne qui manque à son obligation de conformité de profiter de quelque avantage que ce soit » (par. 82; voir aussi le par. 100).
[111]                     Les articles 15 et 15.1 de la Securities Act traitent de ce que la Commission doit faire avec les fonds reçus par suite de l’exécution des ordonnances de remise rendues en vertu de l’al. 161(1)(g). L’article 15.1 et le règlement intitulé Securities Regulation, B.C. Reg. 196/97, prévoient la publication d’un avis et établissent la procédure de réclamation pour les personnes ayant subi une perte pécuniaire en raison directement d’une inconduite ayant donné lieu à une ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)(g). La Commission doit publier un avis si elle reçoit de l’argent par suite de l’exécution d’une ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)(g) (par. 15.1(1)). Une personne peut réclamer l’argent en présentant une demande (par. 15.1(2)). Si la Commission reçoit une telle demande, elle traite la réclamation, conformément à la réglementation, et verse au demandeur la totalité ou une partie de la somme réclamée (par. 15.1(3)).
[112]                     Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, l’al. 161(1)(g) vise à dissuader les personnes d’enfreindre la Securities Act en éliminant ce qui les incite à le faire, car cet alinéa les prive de l’avantage tiré de leur acte répréhensible (Poonian (2017), par. 88). Lorsqu’elle rend une ordonnance en vertu de l’al. 161(1)(g), la Commission peut déduire toute somme déjà rendue à la victime ou aux victimes (par. 143). Les sommes dues en vertu des ordonnances de remise correspondent donc aux sommes que le débiteur a obtenues par suite de sa conduite répréhensible. De plus, bien qu’elle ne soit pas l’objet de cette disposition, l’indemnisation est un effet possible de l’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)(g), puisqu’il peut y avoir restitution à l’issue de la procédure de réclamation prévue à l’art. 15.1 (par. 75‑76).
[113]                     Les sommes que les Poonian ont dû verser en vertu de l’al. 161(1)(g) correspondent à celles qu’ils ont obtenues par suite de leur manipulation frauduleuse du marché. Il y a donc un lien direct entre leur acte frauduleux et les ordonnances de remise de la Commission. Bien que j’aie conclu que la Commission n’a pas à être la victime directe de la conduite des Poonian pour faire valoir que les ordonnances de remise ne peuvent faire l’objet d’une libération en application de l’al. 178(1)e), les investisseurs victimes pourraient très bien être les bénéficiaires ultimes des sommes dont ils ont été privés, à condition qu’ils présentent les réclamations adéquates conformément à la procédure décrite à l’art. 15.1.
[114]                     Les ordonnances de remise de la Commission sont visées par l’exception prévue à l’al. 178(1)e) et sont soustraites à l’application de toute ordonnance de libération.
VI.         Conclusion
[115]                     Je suis d’avis d’infirmer la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle les sanctions administratives de la Commission sont des dettes qui sont soustraites à l’application de toute ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)e) de la LFI. Je suis d’avis de confirmer la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle les ordonnances de remise de la Commission tombent sous le coup de l’exception prévue à l’al. 178(1)e). Ces ordonnances de remise demeurent donc exécutoires à l’égard des Poonian et subsisteront après le prononcé de toute ordonnance de libération sous le régime de la LFI. Je suis en outre d’avis de maintenir la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle ni les sanctions administratives ni les ordonnances de remise ne sont soustraites à l’application d’une ordonnance de libération en application de l’al. 178(1)a).
[116]                     En conséquence, le pourvoi est accueilli en partie et l’ordonnance du juge en cabinet est annulée en partie. La demande de la Commission en vue du prononcé d’un jugement déclaratoire portant que les sommes qui lui sont dues par les Poonian par suite de la décision sur les sanctions (c.-à-d. les sanctions administratives) ne sont pas soustraites à quelque ordonnance de libération est rejetée. Pour plus de clarté, l’ordonnance du juge en cabinet selon laquelle les sommes dues par les Poonian à la Commission par suite de la décision relative à la réévaluation (c.-à-d. les ordonnances de remise) sont soustraites à quelque ordonnance de libération est maintenue. Vu les circonstances particulières du présent pourvoi, je suis d’avis de n’adjuger aucuns dépens.
                  Version française des motifs des juges Karakatsanis et Martin rendus par
                  La juge Karakatsanis —
[117]                     À l’instar de la juge Côté, et pour les motifs qu’elle expose, je suis d’avis que les sanctions administratives infligées par la commission des valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique (Commission) et les ordonnances de remise rendues par celle-ci ne survivent pas à la faillite par application de l’al. 178(1)a) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3 (LFI).
[118]                     Toutefois, là où nous divergeons d’opinions, c’est sur l’interprétation de la portée de l’exigence de causalité envisagée par les mots « résultant de » à l’al. 178(1)e) de la LFI. Je ne puis accepter que l’expression « toute dette ou obligation » se limite à la valeur des biens obtenus par tromperie (al. 178(1)e)). Tout comme la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2022 BCCA 274, 65 B.C.L.R. (6th) 213), je conclus que tant les ordonnances de remise que les sanctions administratives sont visées par l’al. 178(1)e) en tant que « dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits ». Par conséquent, les deux types d’ordonnances survivent à la faillite. Je rejetterais le pourvoi.
[119]                     Les faillis, Thalbinder Singh Poonian et Shailu Poonian, se sont livrés à un [traduction] « stratagème complexe, prédateur et hautement trompeur [. . .] qui visait des investisseurs peu avertis » éprouvant des difficultés financières (2021 BCSC 555, par. 31 (CanLII); voir aussi 2015 BCSECCOM 96 (Décision sur les sanctions), par. 18 (CanLII)). La Commission a conclu que les faillis avaient manipulé le marché, contrevenant ainsi à l’al. 57(a) (maintenant l’al. 57(1)(a)) de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Securities Act, R.S.B.C. 1996, c. 418. Une telle conduite est réputée être une infraction suivant cette loi. Pour cette raison, la Commission a sanctionné les Poonian, dans l’intérêt public, en prononçant contre eux des ordonnances de remise d’environ 5,6 millions de dollars en vertu de l’al. 161(1)(g) de la Securities Act, et en leur infligeant des sanctions administratives totalisant 13,5 millions de dollars en vertu du par. 162(1) de la même loi.
[120]                     Le stratagème de manipulation du marché des Poonian satisfaisait à la condition prévue à l’al. 178(1)e) de la LFI exigeant que des biens aient été obtenus par suite des faux‑semblants ou présentations erronées et frauduleuses des faits. Ces derniers ont obtenu environ 5,6 millions de dollars grâce à leur stratagème (motifs de la juge Côté, par. 99‑100; voir aussi 2018 BCSECCOM 160, par. 77-79 (CanLII)).
[121]                     En conséquence, la seule question restante consiste à décider si les dettes ou obligations en cause « résultent de » la conduite trompeuse des Poonian. Est‑ce que les différentes sanctions pécuniaires infligées par la Commission « résultent » du fait que des biens ont été obtenus au moyen de faux‑semblants ou d’une présentation erronée et frauduleuse des faits?
[122]                     Dans ma réponse à cette question, je souscris à plusieurs conclusions de la juge Côté, et ce pour les motifs qu’elle expose. Il n’est pas nécessaire que les biens soient transmis directement au failli; il n’est pas non plus nécessaire que la [traduction] « personne ayant commis la fraude » soit celle ayant obtenu les biens (par. 72, citant Varvis (Bankrupt), Re, 1999 ABQB 853, 254 A.R. 197, par. 8). Il suffit qu’une personne associée au failli en tire un bénéfice (motifs de la juge Côté, par. 71-73). En outre, l’al. 178(1)e) n’exige pas que la personne invoquant l’exception soit celle qui a directement subi les pertes en raison des faux‑semblants ou de la présentation erronée et frauduleuse des faits (par. 83‑95).
[123]                     Il suffit plutôt que la conduite trompeuse ait été celle du failli, pourvu qu’une personne lui étant associée ait obtenu des biens ou services par de faux‑semblants que le failli savait être trompeurs. La transmission de biens ou services fait en sorte que des déclarations frauduleuses abstraites n’entraînent pas l’application de l’exception lorsqu’elles n’ont pas donné lieu à un acte de confiance préjudiciable (voir les motifs de la juge Côté, par. 74, citant Shaver‑Kudell Manufacturing Inc. c. Knight Manufacturing Inc., 2021 ONCA 925, 160 O.R. (3d) 205, par. 30).
[124]                     Cependant, la question plus épineuse concerne le degré de rattachement requis entre la dette et le comportement trompeur. Compte tenu de l’économie de la LFI et de son vaste objectif de réhabilitation financière des faillis, l’exception non discrétionnaire prévue à l’al. 178(1)e) doit être interprétée de manière restrictive. Il est entendu qu’il doit exister un lien direct entre la dette ou l’obligation faisant l’objet d’une réclamation et la déclaration frauduleuse (motifs de la juge Côté, par. 77, citant Canada Mortgage and Housing Corp. c. Gray, 2014 ONCA 236, 119 O.R. (3d) 710, par. 31; Shaver-Kudell, par. 35; The Workers’ Compensation Board c. Petkau, 2018 SKCA 85, 429 D.L.R. (4th) 92, par. 45; Pietrzak, Re (2016), 39 C.B.R. (6th) 145 (C.S.J. Ont.), par. 9; McAteer c. Billes, 2007 ABCA 137, 409 A.R. 143, par. 28; Groupe Unigesco inc. c. Michaud, 2021 QCCQ 10330, par. 18-20 (CanLII); Water Matrix Inc. c. Carnevale, 2018 ONSC 6436, 65 C.B.R. (6th) 109, par. 61; Dead End Survival, LLC c. Marhasin, 2020 ONSC 766, 77 C.B.R. (6th) 299, par. 22). Je rejetterais moi aussi l’adoption d’un lien faible tel que « quant à », « en lien avec », « relativement à » ou « n’eût été » (motifs de la juge Côté, par. 75 et 78). Un lien causal direct entre la tromperie du débiteur et la création de la dette ou de l’obligation est requis en raison de l’emploi de l’expression « résultant de » dans le texte d’une exception qui doit être interprétée de manière restrictive (par. 74-75).
[125]                     Toutefois, je n’irais pas jusqu’à exiger qu’il y ait correspondance directe entre la valeur de la dette ou de l’obligation et le gain réalisé par le failli ou la personne lui étant associée. Ma collègue estime que, comme il faut un acte de confiance préjudiciable sous forme de transfert de biens ou de services, la valeur de la dette ou de l’obligation non libérable doit se limiter « seulement [à] la valeur » obtenue par suite de la tromperie (par. 102; voir aussi le par. 76). Je ne suis pas du même avis. Bien que l’exception doive être interprétée de manière restrictive, elle doit tout de même être rattachée à la disposition élaborée par le Parlement.
[126]                     Tout comme l’al. 178(1)e) n’exige pas une correspondance exacte entre la personne qui invoque l’exemption et les victimes de la conduite trompeuse, il n’exige pas non plus que le quantum de la dette ou de l’obligation soit limité par le quantum des biens obtenus par suite de cette conduite trompeuse. Une telle exigence ne trouve pas appui dans la jurisprudence, ne figure pas dans le texte de la disposition et est incompatible avec la préoccupation centrale de celle-ci. Cette préoccupation centrale est la conduite trompeuse qui est à la source de la dette ou de l’obligation, et non le gain exact qui en dérive.
[127]                     L’alinéa 178(1)e) a été appliqué par les tribunaux de façon à permettre que soient soustraites à la libération des dettes ou obligations qui excèdent la valeur du gain réalisé par le failli. Si, pour l’application de l’al. 178(1)e), le quantum de la dette ou de l’obligation était limité à la valeur des biens obtenus, aucuns dommages‑intérêts compensatoires excédant la valeur du gain, ni aucuns dommages‑intérêts punitifs accordés en droit privé ne seraient jamais soustraits à la libération en vertu de cette disposition.
[128]                     Il n’est donc pas surprenant qu’il soit difficile de trouver ne serait‑ce qu’une seule décision où un tribunal s’est opposé au recouvrement de dommages‑intérêts punitifs auprès d’un failli en vertu de l’al. 178(1)e) pour le motif qu’ils excédaient la valeur des biens obtenus par ce dernier. Au contraire, il ressort très largement de la jurisprudence que si les dommages‑intérêts punitifs résultent directement de la conduite trompeuse ciblée par l’al. 178(1)e), ils tombent sous le coup de l’exception (voir, p. ex., Grewal c. Brar, 2015 MBQB 3, 313 Man. R. (2d) 94, par. 30; Bank of Montreal c. 1886758 Ontario Inc., 2022 ONSC 4642, 1 C.B.R. (7th) 213, par. 38 et 45; A.J. Lanzarotta Fruits & Vegetables Ltd. c. United Farmers, 2024 ONSC 1780, 12 C.B.R. (7th) 371, par. 79 et 82; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2010 CanLII 29089 (C.S.J. Ont.), par. 14 et 22; Horth c. Lalonde‑Rousseau, 2021 QCCQ 3668, par. 102 et 119‑121 (CanLII); Maison des jeunes de Contrecœur c. Bourdon, 2011 QCCQ 3476, par. 103‑107 (CanLII); Vivacqua c. Contino, 2009 CanLII 14574 (C.S.J. Ont.), par. 18‑23; Agriculture Financial Services Corp. c. Zaborski, 2009 ABQB 183, 58 C.B.R. (5th) 301, par. 3 et 24; voir aussi Dead End Survival, par. 28‑30).
[129]                     Comme il a été souligné précédemment, les décisions sur lesquelles s’appuie ma collègue aident à démontrer qu’un faible lien n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de l’al. 178(1)e). L’adoption d’un seuil de causalité trop large dévierait d’une interprétation restrictive de l’al. 178(1)e). Pour atteindre le seuil requis, la conduite trompeuse doit être à la source ou à l’origine de la dette ou de l’obligation; elle doit l’avoir directement créée. Cependant, aucune de ces décisions n’appuie la proposition qu’un critère de causalité strict requiert que la dette ou l’obligation soit limitée à la valeur des biens obtenus.
[130]                     Au contraire, comme le fait remarquer l’auteur Roderick J. Wood, l’application d’un lien causal direct signifie que, dans les cas où seule une partie de l’obligation peut être rattachée à la conduite trompeuse, et non le reste, seule la partie engendrée par de la conduite frauduleuse sera soustraite à la libération (Bankruptcy and Insolvency Law (2e éd. 2015), p. 317‑318). Les tribunaux peuvent et devraient procéder à la détermination de la partie d’une dette ou d’une obligation qui peut être attribuée à la conduite frauduleuse. Cette détermination [traduction] « cadre [. . .] avec la politique du nouveau départ sous‑tendant le droit de la faillite » (p. 318), puisqu’elle permet de faire en sorte qu’un failli puisse bénéficier d’une libération pour la partie de ses dettes totales qu’il a contractée honnêtement (Copper Cliff Community Credit Union Ltd. c. Parker (1977), 1977 CanLII 1161 (ON CA), 18 O.R. (2d) 49 (C.A.), p. 54; voir aussi J. Sarra, G. B. Morawetz et L. W. Houlden, The 2024 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2024), § 7:202).
[131]                     Toutefois, lorsqu’une dette ou une obligation est causée entièrement par une conduite frauduleuse, par exemple dans le cas de dommages‑intérêts punitifs imposés pour sanctionner la conduite en question, il n’y a aucune raison de limiter l’application de l’al. 178(1)e) aux seuls gains que le failli (ou une personne lui étant associée) a ultimement obtenus.
[132]                     Dans l’affaire Goldstein, Re, 2011 ONSC 561, 74 C.B.R. (5th) 296, un avocat, M. Goldstein, a obtenu des fonds hypothécaires par de faux‑semblants. Sa conduite frauduleuse a amené le Barreau du Haut‑Canada à tenir une audience en vue de sa radiation. Les dépens auxquels M. Goldstein a été condamné relativement à l’audience en radiation n’ont pas été jugés comme « résultant de » la fraude sous‑jacente pour l’application de l’al. 178(1)e).
[133]                     Les circonstances de l’affaire Goldstein diffèrent de celles de la présente espèce. La condamnation aux dépens constituait une étape détachée de la conduite frauduleuse et n’avait donc pas été « causée directement » par celle‑ci. La source ou l’origine de cette obligation était l’audience en radiation, et non les faux‑semblants (par. 10‑11). On ne saurait affirmer que cette dette résultait de la conduite frauduleuse en tant que telle. Une audience en radiation n’a pas pour objet d’imposer « toute dette ou obligation » envisagée à l’al. 178(1)e) ou d’en recouvrer paiement.
[134]                     En l’espèce, par contraste, l’audience de la Commission avait pour objet de créer une telle dette ou obligation résultant directement des faux‑semblants. Les sommes qui, prétend la Commission, devraient survivre à la libération (lesquelles ne comprennent pas les dépens) ont comme unique source ou origine la conduite trompeuse des Poonian. Tant les ordonnances de remise que les sanctions administratives fondées sur la Securities Act sont des sanctions pécuniaires imposées en raison de la conduite illégale. Cela ne constitue pas une étape détachée. Comme le souligne ma collègue, le manquement à la Securities Act repose factuellement sur l’obtention de biens par des faux‑semblants ou une présentation erronée et frauduleuse des faits aux termes de l’al. 178(1)e) de la LFI (par. 99‑100).
[135]                     Il est vrai que les sanctions administratives comportent un élément de dissuasion générale qui tient compte de la nature [traduction] « choquante » de la conduite et de son ampleur (Décision sur les sanctions, par. 18 et 92). Les sanctions administratives imposées en vertu de la Securities Act ont un effet dissuasif à l’égard de certaines conduites et incitent au respect de la loi (British Columbia Securities Commission c. Branch, 1995 CanLII 142 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 3, par. 59; Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672, par. 58‑62). Cependant, tout comme les dommages‑intérêts punitifs imposés en droit privé, les sanctions administratives découlent directement du type de conduite qu’elles sanctionnent. Rien dans l’al. 178(1)e) n’exclut une dette ou une obligation qui comporte un élément de dissuasion générale (ou des dommages‑intérêts compensatoires excédant les gains), pourvu que cette dette ou obligation résulte directement de l’obtention d’un avantage financier par des faux‑semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits. Exclure les sanctions administratives pour ce motif équivaut à introduire par interprétation une limite supplémentaire qui ne figure nulle part dans le texte de la disposition.
[136]                     Non seulement le fait de limiter la dette ou l’obligation sur la base de la valeur des gains réalisés par le failli n’est pas une mesure figurant dans le texte de l’al. 178(1)e), mais une telle limite est également incompatible avec l’objet de l’exception énoncée à cette disposition. Comme l’a reconnu notre Cour, la réhabilitation financière du failli a ses limites (Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, [2015] 3 R.C.S. 327, par. 37). L’admissibilité générale à une libération — un nouveau départ — est limitée par les exceptions prévues au par. 178(1), lesquelles reflètent des choix de politique d’intérêt général selon lesquels certaines dettes et obligations doivent survivre à la faillite. Il s’agit du [traduction] « type de réclamations que la société, par l’entremise du Parlement, considère comme étant d’une qualité qui l’emporte sur tout avantage éventuel à ce que le failli en soit libéré » (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:185; Jerrard c. Peacock (1985), 1985 CanLII 1148 (AB KB), 37 Alta. L.R. (2d) 197 (B.R.), p. 206).
[137]                     Bon nombre des exceptions énoncées au par. 178(1) garantissent que seuls les débiteurs [traduction] « honnête[s], mais malchanceux » peuvent bénéficier d’une libération (Sarra, Morawetz et Houlden, § 7:69). Ces exceptions sont fondées sur l’opinion de la société, exprimée par le Parlement, selon laquelle le failli ne devrait pas être libéré de certains types de dettes ou obligations lorsque celles‑ci sont la conséquence directe d’une conduite indésirable. Le Parlement a décidé qu’il y a des faillis qui ne méritent tout simplement pas d’être libérés de certaines dettes, en raison de la nature de la conduite ayant donné naissance à ces dettes. Ces exceptions sont axées non pas sur la personne qui réclame l’exemption, mais bien sur [traduction] « des catégories de conduites fautives précises qui donnent naissance à des dettes dont le failli ne peut se libérer » (Shaver‑Kudell, par. 39). Par exemple, les dettes ou obligations suivantes survivent toutes à la faillite parce que le principe de la réhabilitation financière du failli cède devant la volonté de la société de dénoncer ce genre de conduites : les amendes ou pénalités infligées par un tribunal en matière pénale (al. 178(1)a)); les indemnités accordées pour lésions corporelles causées intentionnellement ou pour agression sexuelle (al. 178(1)a.1)); et les dettes ou obligations résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l’abus de confiance commis à titre de fiduciaire (al. 178(1)d)). L’objectif est de prévenir le recours abusif au principe du nouveau départ, et la préoccupation principale est la nature de la conduite fautive.
[138]                     Un objectif similaire sous‑tend l’al. 178(1)e). Cette disposition constitue une [traduction] « sanction morale » visant à éviter que, en raison de sa conduite indigne ayant entraîné un acte de confiance préjudiciable, le failli ne se voie récompensé en étant libéré d’obligations (Shaver‑Kudell, par. 40; Simone c. Daley (1999), 1999 CanLII 3208 (ON CA), 43 O.R. (3d) 511 (C.A.), p. 521‑522; Cruise Connections Canada c. Szeto, 2015 BCCA 363, 78 B.C.L.R. (5th) 82, par. 15; Ste. Rose & District Cattle Feeders Co‑op c. Geisel, 2010 MBCA 52, 255 Man. R. (2d) 45, par. 109‑116). Ultimement, l’al. 178(1)e) devrait être interprété en fonction de son objet de manière à [traduction] « faire en sorte que les débiteurs malhonnêtes ne tirent pas profit de leur malhonnêteté » (McAteer c. Billes, 2006 ABCA 312, 397 A.R. 365, par. 10; voir aussi Alberta Securities Commission c. Hennig, 2020 ABQB 48, 8 Alta. L.R. (7th) 177, par. 66, inf. par 2021 ABCA 411, 34 Alta. L.R. (7th) 219).
[139]                     Je souscris à l’opinion formulée par la juge Romaine dans l’affaire Hennig (B.R.) selon laquelle une interprétation de l’al. 178(1)e) qui tient compte du but de cette disposition consistant à empêcher les débiteurs malhonnêtes de tirer profit de leur malhonnêteté, [traduction] « s’étendrait sûrement à une décision d’une commission des valeurs mobilières, un organisme chargé de veiller à l’application de la législation en la matière afin de protéger [les intérêts du] public et de promouvoir l’intégrité des marchés financiers » (par. 76). La Commission est [traduction] « une autorité de réglementation qui représente les intérêts des personnes touchées par une présentation erronée et frauduleuse des faits et/ou par de faux‑semblants » (par. 76) et, en conséquence, les sanctions administratives qu’elle inflige ne devraient pas être traitées comme s’il s’agissait d’une dette d’un créancier non lié qui cherche à se prévaloir indûment de l’al. 178(1)e).
[140]                     Le fait de se concentrer uniquement sur les gains réalisés, dans l’abstrait, éluderait le méfait précis que l’al. 178(1)e) est censé sanctionner, en ce que cela permettrait aux faillis de tirer profit de leur malhonnêteté, en étant libérés de leurs obligations, même lorsque la dette résulte directement de l’inconduite précise qui est visée par le Parlement. Le principe de la réhabilitation financière du failli n’est pas bien servi si le failli peut être libéré d’obligations résultant directement d’une conduite frauduleuse.
[141]                     En conclusion, tant les ordonnances de remise que les sanctions administratives constituent des sanctions pécuniaires imposées en raison d’une conduite trompeuse que le Parlement a spécifiquement voulu proscrire, et résultant donc de cette conduite. Dans les deux cas, il s’agit de dettes qui ont pour origine le fait que les Poonian ont obtenu des biens par des faux‑semblants ou par une présentation erronée et frauduleuse des faits. En conséquence, elles relèvent toutes deux à juste titre du champ d’application limité de l’al. 178(1)e) et ne devraient pas faire l’objet de quelque ordonnance de libération.
[142]                     Je rejetterais l’appel.
                    Pourvoi accueilli en partie sans dépens, les juges Karakatsanis et Martin sont dissidentes en partie.
                    Procureurs des appelants : Reedman Law, Vancouver.
                    Procureurs de l’intimée : Lawson Lundell, Vancouver.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit civil, Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Ministry of the Attorney General, Legal Services Branch, Victoria.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Attorney General of Saskatchewan — Legal Services Division, Civil Law Branch, Regina.
                    Procureurs de l’intervenante Canadian Association of Insolvency and Restructuring Professionals : Gowling WLG (Canada), Toronto.
                    Procureur de l’intervenant le Surintendant des faillites : Procureur général du Canada, Ministère de la Justice Canada — Section du contentieux des affaires civiles, Ottawa.
                    Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenante Alberta Securities Commission : Dentons Canada, Toronto.
                    Procureur de l’intervenante la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario : Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Osgoode Investor Protection Clinic : Stockwoods, Toronto.

[1] L’article 69.6 de la LFI est ainsi libellé :
   69.6 (1) Au présent article, organisme administratif s’entend de toute personne ou de tout organisme chargé de l’application d’une loi fédérale ou provinciale; y est assimilé toute personne ou tout organisme désigné à ce titre par les Règles générales.

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Synthèse
Référence neutre : 2024CSC28 ?
Date de la décision : 31/07/2024

Analyses

dettes — application — obligations — réclamations — dispositions — frauduleuses des faits — présentation erronée — commission — faux-semblants — faillis — faillite — sanctions administratives — prévue — conduite trompeuse — jugements — ordonnance de libération


Parties
Demandeurs : Poonian
Défendeurs : Colombie-Britannique (Securities Commission)
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 31 juillet 2024, Poonian c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2024 CSC 28


Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2024
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2024-07-31;2024csc28 ?

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