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28/02/2025 | CANADA | N°2025CSC4

Canada | Canada, Cour suprême, 28 février 2025, Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, 2025 CSC 4


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, 2025 CSC 4
 

 

 
Appel entendu : 6 novembre 2024
Jugement rendu : 28 février 2025
Dossier : 40740


 
Entre :
 
Gouvernement de la Saskatchewan – Ministre de l’Environnement
Appelant
 
et
 
Métis Nation – Saskatchewan et
Métis Nation – Saskatchewan Secretariat Inc.
Intimées
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Bearspaw First Nation, Chiniki First Nation, Goodstoney Firs

t Nation, Stó:lō Tribal Council,
Congrès des peuples autochtones, Métis Nation of Alberta Association, Métis Nation Ontario Secretariat Inc.
et Federation of Sovereign In...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, 2025 CSC 4
 

 

 
Appel entendu : 6 novembre 2024
Jugement rendu : 28 février 2025
Dossier : 40740

 
Entre :
 
Gouvernement de la Saskatchewan – Ministre de l’Environnement
Appelant
 
et
 
Métis Nation – Saskatchewan et
Métis Nation – Saskatchewan Secretariat Inc.
Intimées
 
- et -
 
Procureur général du Canada, Bearspaw First Nation, Chiniki First Nation, Goodstoney First Nation, Stó:lō Tribal Council,
Congrès des peuples autochtones, Métis Nation of Alberta Association, Métis Nation Ontario Secretariat Inc.
et Federation of Sovereign Indigenous Nations
Intervenants
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 63)

Le juge Rowe (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Côté, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau)

 

 

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Gouvernement de la Saskatchewan – Ministre de l’Environnement         Appelant
c.
Métis Nation – Saskatchewan et
Métis Nation – Saskatchewan Secretariat Inc.                                             Intimées
et
Procureur général du Canada,
Bearspaw First Nation, Chiniki First Nation,
Goodstoney First Nation, Stó:lō Tribal Council,
Congrès des peuples autochtones,
Métis Nation of Alberta Association,
Métis Nation Ontario Secretariat Inc. et
Federation of Sovereign Indigenous Nations                                          Intervenants
Répertorié : Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan
2025 CSC 4
No du greffe : 40740.
2024 : 6 novembre; 2025 : 28 février.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Côté, Rowe, Martin, Kasirer, Jamal, O’Bonsawin et Moreau.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
                    Procédure civile — Abus de procédure — Multiplicité de procédures — Revendications autochtones — Octroi à une entreprise par la province de permis d’exploration en vue de chercher de l’uranium dans un territoire sur lequel un groupe métis revendique un titre ancestral et des droits ancestraux — Demande de révision judiciaire présentée par le groupe métis à l’égard des permis pour cause de manquement par la province à l’obligation de consultation — Présentation par la province d’une requête en radiation de portions de la demande au motif qu’elles constituent un abus de procédure à la lumière d’actions antérieures intentées par le groupe métis contre la province — Les portions contestées de la demande de révision judiciaire constituent-elles un abus de procédure?
                    La Métis Nation – Saskatchewan (« MNS ») représente les Métis de la Saskatchewan. Depuis plus de 20 ans, MNS est engagée avec la Saskatchewan dans une série de procédures judiciaires. En 1994, MNS a intenté une action pour obtenir des jugements déclarant l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale sur des terres situées dans le nord-ouest de la Saskatchewan (« Action de 1994 »). L’action a été suspendue en 2005 au motif que MNS a omis de communiquer des documents. En 2020, MNS a intenté une autre action, dans laquelle elle sollicite divers jugements déclaratoires relativement à une politique de consultation adoptée par la Saskatchewan, notamment une déclaration portant que la Saskatchewan a l’obligation de consulter MNS à l’égard du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale qu’elle revendique (« Action de 2020 »). Une décision concernant une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire présentée dans le cadre de cette action est pendante.
                    En 2021, la Saskatchewan a délivré à une entreprise trois permis d’exploration permettant à celle-ci de chercher de l’uranium dans le territoire sur lequel MNS revendique un titre ancestral et des droits ancestraux. MNS a demandé la révision judiciaire de la décision de délivrer les permis, contestant le refus de la Saskatchewan de procéder à des consultations au sujet du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale, ainsi que divers aspects de la conduite de la Saskatchewan pendant le processus de consultation (« Requête de 2021 »). MNS a demandé plusieurs jugements déclaratoires, dont un portant que la Saskatchewan avait manqué à son obligation de consulter. En réponse, la Saskatchewan a demandé la radiation de paragraphes de la Requête de 2021 se rapportant aux revendications de titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale, faisant valoir que de tels paragraphes constituaient un abus de procédure à la lumière de l’Action de 1994 et de l’Action de 2020. Le juge en cabinet a conclu que, comme la Requête de 2021 soulève les mêmes questions que celles soulevées dans l’Action de 1994 et l’Action de 2020, permettre qu’elle suive son cours inchangée constituerait un abus de procédure, et il a radié les paragraphes visés. La Cour d’appel a rétabli les paragraphes, statuant que le juge en cabinet avait commis une erreur en concluant que les trois procédures judiciaires portaient toutes sur la même question. Elle a jugé que la continuation de la Requête de 2021, incluant les paragraphes en question, ne donnait pas naissance à un abus de procédure.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    Bien qu’un abus de procédure soit possible dans des instances auxquelles participent des plaideurs autochtones, le contexte unique des litiges portant sur des droits ancestraux doit toujours être gardé à l’esprit. Dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a aucun abus de procédure en ce qui concerne la Requête de 2021, que ce soit par rapport à l’Action de 1994 ou à l’Action de 2020.
                    La doctrine de l’abus de procédure concerne l’administration de la justice et la notion d’équité. Elle fait intervenir le pouvoir inhérent d’un tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées à mauvais escient, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie ou qui aurait autrement pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Il s’agit d’un concept général qui s’applique dans des contextes variés, et il se caractérise par sa souplesse, puisqu’il ne s’encombre pas d’exigences particulières.
                    L’existence d’une multiplicité de procédures visant les mêmes questions peut entraîner un abus de procédure; des procédures faisant double emploi pourraient entraîner un gaspillage des ressources des parties, des tribunaux et des témoins, ou risquer d’aboutir à des résultats incompatibles et donc de miner la crédibilité du processus judiciaire. Toutefois, le fait qu’il y ait deux procédures judiciaires ou plus en cours concernant les mêmes parties ou questions de droit, ou des parties ou questions de droit similaires, ne suffit pas en soi pour qu’il y ait abus de procédure. Il peut y avoir des cas où des procédures multiples pourront servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, ou encore des cas où les parties ont des raisons valables d’intenter des procédures distinctes, mais connexes. L’analyse devrait s’attacher à la question de savoir si le fait de permettre au litige de continuer porterait atteinte aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances ou d’intégrité de l’administration de la justice.
                    Dans la présente affaire, permettre à MNS d’affirmer dans la Requête de 2021 qu’il y a manquement à l’obligation de consulter, même si l’Action de 1994 a été suspendue, ne constitue pas un abus de procédure. Afin de statuer sur la Requête de 2021, un tribunal doit déterminer si la Saskatchewan est obligée de consulter MNS au sujet de l’impact des permis d’exploration sur le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale qu’elle revendique. L’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a connaissance de l’existence potentielle d’un droit ou titre ancestral et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci. L’état de l’Action de 1994 n’est pas déterminant sur la question de savoir si la Saskatchewan a été avisée de manière régulière de la revendication avancée par MNS : l’Action de 1994 ne constitue pas en soi la revendication avancée par MNS; elle représente plutôt le véhicule juridique qu’a choisi MNS pour faire valoir sa revendication. Il est clair que la Saskatchewan a connaissance de la revendication par MNS d’un titre ancestral et de droits ancestraux; cependant, la question de savoir quelles obligations en découlent n’est pas en cause devant la Cour. De plus, bien qu’un délai excessif puisse constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, la doctrine doit viser à préserver l’intégrité des fonctions juridictionnelles des tribunaux, aspect qui n’est pas remis en question en l’espèce.
                    En outre, on ne saurait affirmer que la Requête de 2021 constitue un abus de procédure pour cause de chevauchement de questions litigieuses avec l’Action de 2020. Il y a clairement chevauchement entre l’Action de 2020 et la Requête de 2021, étant donné que cette dernière représente un cas particulier de la question générale concernant l’obligation de consulter soulevée dans l’Action de 2020. Cependant, un tel chevauchement ne soulève pas de préoccupations au sujet de l’intégrité du processus juridictionnel ou d’un autre principe fondamental comme la cohérence, le caractère définitif des instances ou l’économie des ressources judiciaires. La Requête de 2021 constitue pour MNS un mécanisme approprié afin de contester les permis et de solliciter une réparation intérimaire pour la violation potentielle du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale qu’elle revendique. L’application de la doctrine de l’abus de procédure pour prévenir la révision judiciaire de mesures prises par la Saskatchewan qui sont susceptibles d’avoir un impact sur les revendications de MNS constituerait une utilisation à mauvais escient de cette doctrine. Pour ce qui est du caractère définitif du litige, il y a possibilité de résultats incompatibles si l’Action de 2020 et la Requête de 2021 continuent d’être instruites en parallèle et aboutissent à des réponses différentes quant à la question de savoir si la Saskatchewan est tenue à une obligation de consulter au sujet du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale. Toutefois, la possibilité de recourir à la gestion d’instance afin d’éviter cette incompatibilité potentielle indique clairement qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire dans laquelle la réparation draconienne consistant à radier des actes de procédure serait appropriée.
Jurisprudence
                    Arrêts mentionnés : Behn c. Moulton Contracting Ltd., 2013 CSC 26, [2013] 2 R.C.S. 227; Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, [2022] 2 R.C.S. 220; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48; P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77; Canam Enterprises Inc. c. Coles (2000), 2000 CanLII 8514 (ON CA), 51 O.R. (3d) 481, inf. par 2002 CSC 63, [2002] 3 R.C.S. 307; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307; R. c. Jewitt, 1985 CanLII 47 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 128; R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983; McHenry c. Lewis (1882), 22 Ch. D. 397; Englund c. Pfizer Canada Inc., 2007 SKCA 62, 284 D.L.R. (4th) 94; Dixon c. Canada (Attorney General), 2015 ABQB 565; Cashin Mortgages Inc. c. 2511311 Ontario Ltd., 2024 ONCA 103, 170 O.R. (3d) 107; Birdseye Security Inc. c. Milosevic, 2020 ONCA 355; Fillion c. Degen, 2005 MBCA 58, 195 Man. R. (2d) 2; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533; Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388.
Lois et règlements cités
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35.
Règles de la Cour du Banc du Roi (Saskatchewan), règles 1‑4, 7‑9.
Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, ann. B
Ententes
Framework Agreement for Advancing Reconciliation (2018).
Métis Government Recognition and Self‑Government Agreement (2019).
Métis Nation within Saskatchewan Self‑Government Recognition and Implementation Agreement (2023).
Doctrine et autres documents cités
Lange, Donald J. The Doctrine of Res Judicata in Canada, 5e éd., Toronto, LexisNexis, 2021.
Saskatchewan. First Nation and Métis Consultation Policy Framework, Regina, 2010.
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (le juge en chef Richards et les juges Leurer et Tholl), 2023 SKCA 35, 479 D.L.R. (4th) 345, 12 Admin. L.R. (7th) 23, [2023] S.J. No. 95 (Lexis), 2023 CarswellSask 121 (WL), qui a infirmé une décision du juge Robertson, 2022 SKQB 23, [2022] S.J. No. 43 (Lexis), 2022 CarswellSask 55 (WL). Pourvoi rejeté.
                    P. Mitch McAdam, c.r., et R. James Fyfe, c.r., pour l’appelant.
                    Thomas Isaac et Arend Hoekstra, pour les intimées.
                    Dayna Anderson, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
                    Brooke Barrett et W. Tibor Osvath, c.r., pour les intervenantes Bearspaw First Nation, Chiniki First Nation et Goodstoney First Nation.
                    Tim Dickson et Mary (Molly) Churchill, pour l’intervenant Stó:lō Tribal Council.
                    Andrew Lokan et Douglas Montgomery, pour l’intervenant le Congrès des peuples autochtones.
                    Jason Madden, Keith Brown et Matthew Patterson, pour les intervenantes Métis Nation of Alberta Association et Métis Nation Ontario Secretariat Inc.
                    Bruce J. Slusar et Evan Duffy, pour l’intervenante Federation of Sovereign Indigenous Nations.
                  Version française du jugement de la Cour rendu par
                    Le juge Rowe —
[1]                             Depuis les 20 dernières années, la Métis Nation – Saskatchewan et la Métis Nation – Saskatchewan Secretariat Inc. (collectivement, « MNS »), et le gouvernement de la Saskatchewan, sont engagés dans une série de procédures judiciaires.
[2]                             La plus récente procédure, qui est à l’origine du présent pourvoi devant notre Cour, a commencé en 2021. Cette année‑là, la Saskatchewan a octroyé à NexGen Energy Ltd. des permis d’exploration lui permettant de chercher de l’uranium dans le territoire sur lequel MNS revendique un titre ancestral et des droits ancestraux. MNS a présenté une requête introductive sollicitant entre autres un jugement déclaratoire portant que la Saskatchewan a manqué à son obligation de consulter en ne la consultant pas au sujet de l’impact des permis d’exploration sur le titre et les droits de récolte commerciale. En réponse, la Saskatchewan a déposé une requête en radiation de certaines parties de la requête de MNS pour cause d’abus de procédure.
[3]                             Le juge en cabinet a conclu que le maintien par MNS de sa requête introductive dans sa forme initiale constituerait un abus de procédure; il a radié des parties de la requête. La Cour d’appel a infirmé la décision du juge en cabinet; elle a décidé qu’il n’y avait pas abus de procédure.
[4]                             Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. En décidant ainsi, je tiens à souligner que la question à trancher dans le présent pourvoi consiste à décider s’il y a abus de procédure. La Cour n’est pas saisie de questions touchant le fond des actions et de la requête présentées par MNS contre la Saskatchewan. Ces questions doivent être tranchées dans des procédures actuellement devant la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan.
I.               Faits
[5]                             Comme le présent pourvoi vise une requête en radiation d’actes de procédure, nous ne disposons pas de conclusions de faits. Les faits doivent plutôt être tirés des actes de procédure (Behn c. Moulton Contracting Ltd., 2013 CSC 26, [2013] 2 R.C.S. 227, par. 5).
[6]                             La Métis Nation – Saskatchewan représente les Métis de la Saskatchewan. Depuis plus de 20 ans, MNS est engagée avec l’appelante, la Saskatchewan, dans une série de procédures judiciaires qui sont résumées ci‑après.
A.           L’Action de 1994
[7]        En 1994, MNS a intenté contre la Saskatchewan et le Canada, devant le tribunal qui était alors appelé Cour du Banc de la Reine, une action demandant, entre autres, des jugements déclarant l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux sur des terres situées dans le nord de la Saskatchewan (« Action de 1994 »). L’extrait suivant, tiré du par. 71 de la déclaration de MNS dans l’Action de 1994, résume la revendication :
                  [traduction]
                    Les demandeurs sollicitent en conséquence :
a)      Un jugement déclaratoire portant que les demandeurs possèdent, à l’intérieur du territoire constituant leur Terre d’origine, un titre ancestral et des droits ancestraux existants qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et n’ont jamais été cédés ou éteints juridiquement, titre et droits qui comprennent notamment :
(i)     un titre ancestral et des droits ancestraux conférant aux demandeurs le droit de posséder, d’occuper, d’utiliser et d’exploiter les terres et ressources se trouvant sur le territoire constituant leur Terre d’origine et dont ils ont besoin pour assurer leur maintien en tant que peuple autochtone distinct;
(ii)  des droits de récolte, y compris des droits de pêche, de chasse, de piégeage et de cueillette aux fins de commerce et de subsistance;
                    (d.i., vol. II, p. 229‑230)
[8]                             En 2005, l’Action de 1994 a été suspendue au motif que MNS ne s’était pas conformée à une ordonnance du tribunal lui intimant de communiquer à la Saskatchewan et au Canada des documents relatifs à la revendication du titre ancestral et des droits ancestraux. Ces documents avaient été préparés grâce à des fonds de recherche fournis par les gouvernements de la Saskatchewan et du Canada.
[9]                             L’ordonnance de suspension prévoyait que MNS n’était [traduction] « pas autorisé[e] à demander la levée de la suspension tant qu’[elle] n’[était] pas en mesure de procéder à la communication complète et immédiate » des documents susmentionnés (d.a., p. 137). À ce jour, MNS n’a ni communiqué les documents ni demandé la levée de la suspension de l’Action de 1994. À l’audience devant notre Cour, le procureur de MNS a fait valoir que cette dernière a rencontré des difficultés qui ont contribué au défaut de communication, notamment [traduction] « une période au début des années 2010 pendant laquelle l’organe législatif [de MNS] ne s’est pas réuni, et le financement fédéral a été interrompu » (transcription, p. 49).
[10]                        Pour sa part, le procureur de la Saskatchewan a déclaré à l’audience qu’il [traduction] « aurait été loisible » à la Saskatchewan de présenter une requête sollicitant le rejet de l’Action de 1994 pour cause d’abandon, mais qu’elle ne l’a pas fait (p. 40‑41).
[11]                        À la suite de l’ordonnance de suspension en 2005, les négociations ont continué entre MNS et le Canada; les deux parties ont conclu plusieurs ententes, dont la Framework Agreement for Advancing Reconciliation (2018), la Métis Government Recognition and Self‑Government Agreement (2019) et la Métis Nation within Saskatchewan Self‑Government Recognition and Implementation Agreement (2023). La Saskatchewan n’a pas participé à ces négociations entre MNS et le Canada.
B.            L’Action de 2020
[12]                        En 2010, la Saskatchewan a adopté le document intitulé First Nation and Métis Consultation Policy Framework (« Politique de 2010 »), qui énonce que le gouvernement provincial ne reconnaît ni titre ancestral ni droits de récolte commerciale et, en conséquence, ne consultera pas les Premières Nations ni les Métis sur ces questions :
                  [traduction]
                  Titre ancestral
                    Le gouvernement n’accepte pas les prétentions des Premières Nations ou des Métis selon lesquelles il continue d’exister un titre ancestral sur des terres ou ressources en Saskatchewan. Par conséquent, les décisions qui, prétendrait‑on, auraient un effet préjudiciable sur le titre ancestral ne sont pas visées par la présente politique.
            . . .
                  Utilisation commerciale des ressources
                    Les utilisations commerciales des ressources par les Premières Nations et les Métis, par exemple le piégeage et la pêche, ne sont pas visées par la présente politique. Toutefois, l’importance de ces activités est reconnue par le gouvernement, et les ministères seront guidés par la section sur le Dialogue basé sur les intérêts (voir Section 5) lorsque leurs décisions ou actions sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des activités commerciales. [p. 6‑7]
[13]                        En 2020, MNS a intenté contre la Saskatchewan une action concernant la Politique de 2010 (« Action de 2020 »). MNS sollicitait des jugements déclarant ce qui suit : la Politique de 2010 était invalide; le fait d’invoquer la Politique de 2010 constituait un manquement à l’honneur de la Couronne; et l’obligation de consulter de la Saskatchewan s’applique aux revendications par les Métis d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale.
[14]                        En 2023, MNS a présenté, dans le cadre de l’Action de 2020, une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire concernant la question de savoir si la décision de la Saskatchewan [traduction] « d’invoquer la Politique de [2010] pour refuser strictement de consulter les Premières Nations et les Métis, y compris MN-S, sur la base du titre ancestral et des droits commerciaux est à première vue incompatible avec la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du Canada sur l’obligation de consulter, et par conséquent inconstitutionnelle » (d.i. suppl., p. 2; requête de MNS en production de nouveaux éléments de preuve, p. 43). La requête a été débattue devant la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan en octobre 2023. La décision est pendante.
C.            La Requête introductive de 2021
[15]                        En juillet 2021, la Saskatchewan a délivré à NexGen trois permis lui permettant de mener des activités d’exploration minière près de Patterson Lake, dans le nord‑ouest de la Saskatchewan, à la recherche d’uranium.
[16]                        En mars 2021, la Saskatchewan avait avisé MNS de la demande de permis présentée par NexGen, exprimant l’intention du gouvernement provincial de procéder à des consultations concernant les droits ancestraux de pêche, de piégeage et de chasse. MNS et la Saskatchewan ont correspondu au cours des mois suivants relativement au projet. La Saskatchewan a refusé de mener des consultations concernant le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale.
[17]                        En août 2021, MNS a présenté une requête introductive (« Requête introductive de 2021 »), sollicitant la révision judiciaire de la décision de la Saskatchewan de délivrer les permis d’exploration à NexGen. MNS contestait le refus de la Saskatchewan de procéder à des consultations à l’égard du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale, ainsi que divers aspects de la conduite de la Saskatchewan pendant le processus de consultation.
[18]                        Dans la Requête introductive de 2021, MNS sollicitait des jugements déclaratoires portant que : la délivrance des permis était ultra vires de la Saskatchewan compte tenu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; la Saskatchewan a manqué à son obligation de consulter en omettant ou en refusant de s’engager de bonne foi dans des consultations; et la Saskatchewan a omis de maintenir l’honneur de la Couronne. MNS a également demandé une ordonnance [traduction] « de la nature d’un certiorari annulant et/ou écartant les permis, et une ordonnance de la nature d’une prohibition empêchant la Saskatchewan de délivrer tout autre permis relativement aux activités d’exploration de NexGen visant à trouver de l’uranium, ou à des activités similaires devant être menées dans la même zone géographique, sans faciliter et financer la participation de MN-S à un processus de consultation raisonnable, honorable et constitutionnellement valide » (m.i., par. 31).
[19]                        En réponse, la Saskatchewan a déposé un avis de requête en radiation de paragraphes de la Requête introductive de 2021 se rapportant aux revendications concernant le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale (Requête introductive de 2021, par. 2e, 3f et 16b et c, reproduits au d.a., p. 61‑62 et 64). Invoquant les règles 1‑4(3) et 7‑9(2)e) des Règles de la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan, comme elles sont maintenant appelées, la Saskatchewan a plaidé que les paragraphes contestés constituaient un abus de procédure à la lumière de l’Action de 1994 et de l’Action de 2020. Les paragraphes en question sont reproduits en annexe aux présents motifs.
II.            Décisions des juridictions inférieures
A.           Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, 2022 SKQB 23 (le juge Robertson)
[20]                        Relativement à la question de l’abus de procédure, le juge en cabinet a conclu que pour réviser judiciairement la décision de la Saskatchewan de délivrer des permis à NexGen, il était nécessaire d’évaluer la solidité de la revendication sous‑jacente de MNS concernant un titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale. Se basant sur l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, le juge a déclaré que [traduction] « l’étendue de l’obligation de consulter varie en fonction de la nature et de la solidité de la revendication » (motifs du juge en cabinet, par. 48).
[21]                        Le juge en cabinet a fait observer que cette question avait déjà été soulevée par MNS dans ses autres procédures judiciaires contre la Saskatchewan, notamment dans l’Action de 1994. Comme l’Action de 1994 avait été suspendue en 2005, MNS ne pouvait pas soulever la même revendication dans la nouvelle action. De plus, le juge en cabinet a déclaré que l’Action de 2020 traitait des mêmes questions que celles soulevées dans les paragraphes contestés de la Requête introductive de 2021 de MNS.
[22]                        Le juge en cabinet a conclu que, comme la Requête introductive de 2021 [traduction] « soulève les mêmes questions que celles soulevées dans l’Action de 1994 et l’Action de 2020 », il y aurait abus de procédure si MNS était autorisée à aller de l’avant avec la Requête introductive de 2021 si celle‑ci incluait les paragraphes contestés (par. 65). Par conséquent, il a rendu une ordonnance intimant de radier les paragraphes concernés de la Requête introductive de 2021.
B.            Cour d’appel de la Saskatchewan, 2023 SKCA 35, 479 D.L.R. (4th) 345 (le juge Leurer, avec l’accord du juge en chef Richards et du juge Tholl)
[23]                        La Cour d’appel a accueilli à l’unanimité l’appel de MNS et rétabli les paragraphes en question dans la Requête introductive de 2021.
[24]                        La Cour d’appel a déclaré que la doctrine de l’abus de procédure est un [traduction] « outil souple » qui est « employé pour éviter que l’administration de la justice soit utilisée à mauvais escient » (par 46). Il est souvent [traduction] « nécessaire de considérer l’ensemble du contexte et de l’historique pertinents d’une question » (par. 46). La cour a souligné qu’une procédure peut être abusive lorsqu’une partie [traduction] « tente de plaider à nouveau une question qui a déjà été tranchée ou qui est en train d’être décidée devant un autre forum », car cela entraînerait « un gaspillage des ressources des parties, des tribunaux et des témoins, tout en risquant d’aboutir à des résultats incompatibles et de miner la crédibilité de l’ensemble du processus judiciaire » (par. 46).
[25]                        La Cour d’appel a affirmé que, bien que l’Action de 1994, l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021 se rapportent [traduction] « [s]uperficiellement » à la même question — la revendication par les Métis d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale — cela n’en fait pas des procédures identiques (par. 47). La cour a déclaré qu’une demande de révision judiciaire peut coexister avec une poursuite en justice, car l’obligation de consulter découle du besoin de protéger les intérêts autochtones « lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications » (par. 47 (en italique dans l’original), citant Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 33).
[26]                        La Cour d’appel a décidé que le juge en cabinet avait commis une erreur en concluant que les trois procédures judiciaires portaient toutes sur la même question. Elle a expliqué que [traduction] « la question de l’existence et de l’étendue de l’obligation de consulter est examinée très différemment de celle de savoir si les droits substantiels sous‑jacents invoqués existent » (par. 51). Dans des causes comme la présente, où une demande de révision judiciaire est présentée sur la base d’un prétendu défaut de consulter de la Couronne, on ne demande pas au tribunal de révision de [traduction] « statuer sur l’existence d’un titre ancestral ou des droits ancestraux » (par. 48). Le tribunal doit plutôt [traduction] « vérifier si une obligation constitutionnelle a été remplie » (par. 48). En conséquence, la question en litige dans la Requête introductive de 2021 n’est pas l’existence du titre ancestral ou des droits ancestraux, mais plutôt la question de savoir si la conduite de la Couronne a été conforme à son obligation de consulter.
[27]                        La Cour d’appel a déclaré que les réparations dans chacune des trois procédures judiciaires entre MNS et la Saskatchewan étaient différentes, de sorte qu’il n’y avait pas de risque de résultats incompatibles.
[28]                        Bien qu’il y ait [traduction] « chevauchement » entre « certains aspects » de l’Action de 1994, de l’Action de 2020 et de la Requête introductive de 2021, la Cour d’appel a conclu que les questions principales et les réparations étaient différentes (par. 53). Par conséquent, la continuation de la Requête introductive de 2021, incluant les paragraphes en question, ne donnait pas naissance à un abus de procédure.
III.         Question en litige
[29]                        Le bien‑fondé de l’Action de 1994, de l’Action de 2020 et de la Requête introductive de 2021 n’est pas en litige devant notre Cour. La question dont notre Cour est saisie est plutôt celle de savoir si le maintien par MNS de sa Requête introductive de 2021 dans sa forme initiale constitue un abus de procédure, compte tenu de l’Action de 1994 et de l’Action de 2020.
IV.         Dispositions législatives pertinentes
[30]                        Les Règles de la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan disposent :
                    1‑4(1) La Cour peut faire l’une ou l’autre des choses suivantes ou les deux :
                          a) accorder les mesures de redressement ou faire droit aux recours indiqués ou évoqués dans la Loi sur la Cour du Banc du Roi;
                          b) accorder les réparations ou faire droit aux recours indiqués ou évoqués dans les présentes règles ou dans un texte, ou régis par ces règles ou ce texte.
                    (2) La Cour peut accorder une réparation qui n’a pas été demandée ou recherchée dans une action, une fois qu’elle a donné aux parties :
                          a) avis de son intention d’accorder la réparation;
                          b) la chance de réagir.
                    (3) Les présentes règles n’ont pas pour effet d’empêcher la Cour d’exercer sa compétence inhérente en tant que juridiction supérieure.
                    7‑9(1) Si les circonstances le commandent et qu’une ou plusieurs des conditions énoncées au paragraphe (2) s’appliquent, la Cour peut ordonner :
                          a) la radiation de tout ou partie d’une plaidoirie ou d’un autre document;
                          b) la modification ou l’annulation d’une plaidoirie ou d’un autre document;
                          c) l’inscription d’un jugement ou d’une ordonnance;
                          d) la suspension ou le rejet de l’instance.
                          (2) Pour que soit rendue une ordonnance en vertu du paragraphe (1), la plaidoirie ou le document doit répondre à une ou plusieurs des conditions suivantes :
                          a) il ne fait pas apparaître une demande en justice raisonnable ou une défense raisonnable, selon le cas;
                          b) il est scandaleux, frivole ou vexatoire;
                          c) il n’est pas pertinent ou il est superflu ou inutilement long;
                          d) il peut compromettre ou retarder l’instruction ou l’audition équitable des questions dans l’instance;
                          e) il constitue sous quelque autre rapport un abus de procédure.
                    (3) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa (2)a).
V.           Analyse
A.           Norme de contrôle
[31]                        La question de savoir s’il y a abus de procédure est une question de droit (Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, [2022] 2 R.C.S. 220, par. 30). En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
[32]                        Cela dit, par souci de clarté, j’ajouterais ce qui suit. Lorsqu’un abus de procédure a été établi, une question subséquente se soulève : Quelle réparation doit être accordée? La réponse à cette question est une décision discrétionnaire (voir Règles de la Cour du Banc du Roi, règle 7‑9(1)a)). Comme il s’agit d’une décision discrétionnaire, elle « commande généralement la déférence » et « ne peut faire l’objet d’une intervention qu’en cas d’erreur de droit (considérée comme une erreur de principe), d’erreur de fait manifeste et déterminante (considérée comme une erreur importante dans l’interprétation de la preuve) ou de défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire judicieusement (ce qui comprend le fait d’agir de façon arbitraire ou de rendre une décision erronée [traduction] “au point de créer une injustice”) » (Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll‑Byrne, 2022 CSC 48, par. 41, citant P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629, par. 15).
B.            La doctrine de l’abus de procédure
[33]                        La doctrine de l’abus de procédure concerne l’administration de la justice et la notion d’équité (Behn, par. 41). Cette doctrine fait intervenir le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées à mauvais escient, d’une manière qui serait manifestement injuste envers une partie ou qui aurait autrement pour effet de déconsidérer l’administration de la justice (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 37; Behn, par. 39; Abrametz, par. 33).
[34]                        Dans l’arrêt Abrametz, notre Cour a réitéré que l’abus de procédure est un vaste concept qui s’applique dans des contextes variés (par. 34, citant Toronto (Ville), par. 36, et Behn, par. 39). La Cour a souligné que la doctrine de l’abus de procédure « se caractérise [. . .] par sa souplesse. Contrairement aux concepts de chose jugée et de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, elle ne s’encombre pas d’exigences particulières » (par. 35, citant Behn, par. 40, et Toronto (Ville), par. 37‑38).
[35]                        Un abus de procédure peut notamment résulter de la réouverture d’un litige, c’est‑à‑dire [traduction] « lorsque le tribunal s’est dit convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée » (Behn, par. 40, citant Canam Enterprises Inc. c. Coles (2000), 2000 CanLII 8514 (ON CA), 51 O.R. (3d) 481 (C.A.), par. 56, inf. par 2002 CSC 63, [2002] 3 R.C.S. 307; voir aussi Abrametz, par. 34; et D. J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (5e éd. 2021), p. 1‑5). La réouverture d’un litige constituera un abus de procédure si elle porte atteinte « aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice » (Toronto (Ville), par. 37; Behn, par. 41). Lorsque les circonstances le justifient, la doctrine de l’abus de procédure peut être invoquée pour radier des actes de procédure de manière à empêcher qu’une question soit débattue à nouveau (voir Behn; Canam Enterprises Inc.).
[36]                        L’abus de procédure ne se limite pas aux cas de réouverture d’un litige. Par exemple, dans l’arrêt Behn, notre Cour a conclu que « le fait d’invoquer comme moyens de défense le manquement à l’obligation de consultation et la violation de droits issus de traités », dans des circonstances où les défendeurs ont eu une possibilité raisonnable d’intenter des procédures et de soulever de tels arguments antérieurement, constituait un abus (par. 37). Dans Behn, il a été jugé que permettre une telle tactique dans le cadre d’un litige amènerait les tribunaux à tolérer « le recours à l’autoredressement » en dehors du processus judiciaire, en l’occurrence l’érection d’un barrage (par. 42; voir aussi par. 1). La Cour a également statué qu’un délai excessif qui cause un préjudice grave peut constituer un abus de procédure (voir Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, par. 115). En matière criminelle, la doctrine peut être utilisée pour empêcher l’infliction d’un traitement injuste ou oppressif à un accusé (R. c. Jewitt, 1985 CanLII 47 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 128, p. 136‑137; R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 59; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983, par. 25; Abrametz, par. 34). Cette liste est indicative, et non exhaustive.
[37]                        Avant que je me penche sur les circonstances de la présente affaire, je vais examiner la doctrine de l’abus de procédure dans le contexte d’une multiplicité de procédures, car c’est le principal moyen invoqué par la Saskatchewan pour demander que les paragraphes en question soient radiés de la Requête introductive de 2021.
[38]                        L’existence d’une multiplicité de procédures visant les mêmes questions peut entraîner un abus de procédure. Dans l’arrêt de principe McHenry c. Lewis (1882), 22 Ch. D. 397, sir George Jessel a fait observer que, [traduction] «. . . à première vue, il est vexatoire de présenter deux actions alors qu’une seule suffirait » (p. 400). Voici quelques exemples de cas où l’existence d’une multiplicité de procédures a constitué un abus de procédure : présentation devant deux juridictions différentes de recours collectifs parallèles mettant en présence les mêmes parties (Englund c. Pfizer Canada Inc., 2007 SKCA 62, 284 D.L.R. (4th) 94, par. 38‑40); présentation par les demandeurs de multiples actions revendiquant des droits ancestraux et issus de traités sur les mêmes terres et ressources naturelles (Dixon c. Canada (Attorney General), 2015 ABQB 565); défaut des demandeurs de fournir [traduction] « quelque explication valable que ce soit » pour justifier le dépôt d’une seconde action soulevant elle aussi la question de la propriété d’un nom commercial qui englobait les défendeurs initiaux (Cashin Mortgages Inc. c. 2511311 Ontario Ltd., 2024 ONCA 103, 170 O.R. (3d) 107, par. 14).
[39]                        Toutefois, le fait qu’il y ait deux procédures judiciaires ou plus en cours concernant les mêmes parties ou questions de droit, ou encore des parties ou questions de droit similaires, ne suffit pas en soi pour qu’il y ait abus de procédure. Comme notre Cour l’a reconnu dans l’arrêt Toronto (Ville), « [i]l peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice » (par. 52). Similairement, il peut survenir des situations où les parties ont des raisons valables de présenter des procédures distinctes, mais connexes; dans de tels cas, l’existence d’une multiplicité de procédures peut permettre d’améliorer l’administration de la justice (voir, p. ex., Birdseye Security Inc. c. Milosevic, 2020 ONCA 355, par. 20‑22). L’inverse peut également être vrai : il n’est pas nécessaire que les actes de procédure soient identiques pour qu’une multiplicité de procédures constitue un abus de procédure (voir, p. ex., Dixon, par. 85; Fillion c. Degen, 2005 MBCA 58, 195 Man. R. (2d) 2, par. 23).
[40]                        Par conséquent, l’analyse relative à l’abus de procédure ne prend pas fin lorsqu’il existe des procédures similaires ou multiples. Elle doit plutôt s’attacher à la question de savoir si le fait de permettre au litige de continuer porterait atteinte aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice examinés précédemment. Dans les cas où, par exemple, le fait qu’il existe des procédures faisant double emploi entraînerait un gaspillage des ressources des parties, des tribunaux et des témoins, ou risquerait d’aboutir à des résultats incompatibles et donc de miner la crédibilité du processus judiciaire, cela peut constituer un abus de procédure.
[41]                        Je vais maintenant me pencher sur les circonstances de la présente affaire.
C.            La Requête introductive de 2021 donne‑t‑elle naissance à un abus de procédure?
[42]                        Pour déterminer s’il y a abus de procédure en l’espèce, je procéderai en trois étapes. Premièrement, je vais identifier les objectifs des procédures judiciaires entre la Saskatchewan et MNS, ainsi que les réparations demandées par MNS. Deuxièmement, je vais examiner la question de savoir si l’affirmation de MNS dans la Requête introductive de 2021 selon laquelle il y a manquement à l’obligation de consulter constitue un abus de procédure, compte tenu du fait que l’Action de 1994 a été suspendue. Troisièmement, je vais analyser s’il y a chevauchement de questions litigieuses entre la Requête introductive de 2021 et l’Action de 2020 et, si c’est le cas, si cela donne naissance à un abus de procédure.
(1)         De quoi traite chacune des procédures judiciaires?
[43]                        Je commence par identifier les objectifs et les réparations recherchés dans les trois procédures.
[44]                        L’Action de 1994 expose la revendication par MNS d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale sur des terres situées dans le nord‑ouest de la Saskatchewan, et sollicite des jugements déclaratoires à cet égard.
[45]                        L’Action de 2020 a pour objectif de délimiter l’étendue de l’obligation de consulter de la Saskatchewan d’un point de vue général, et sollicite divers jugements déclaratoires relativement à la Politique de 2010, notamment une déclaration portant que la Saskatchewan a l’obligation de consulter les Métis à l’égard du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale que ces derniers revendiquent.
[46]                        La Requête introductive de 2021 constitue une demande de révision judiciaire de la décision de la Saskatchewan d’accorder des permis d’exploration à NexGen. Les paragraphes de la Requête introductive de 2021 qui sont en litige dans le présent pourvoi sollicitent plusieurs jugements déclaratoires, notamment une déclaration portant que la Saskatchewan est tenue à une obligation de consulter relativement à l’impact des permis d’exploration sur la revendication par les Métis d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale. La Requête introductive de 2021 sollicitait également une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant et/ou écartant les permis.
(2)         L’affirmation de MNS dans la Requête introductive de 2021selon laquelle il y a manquement à l’obligation de consulter constitue‑t‑elle un abus de procédure?
[47]                        La Saskatchewan soutient qu’il y aurait abus de procédure si l’on permettait à MNS d’affirmer dans la Requête introductive de 2021 qu’il y a manquement à l’obligation de consulter, étant donné que MNS n’a pas de revendication sous‑jacente [traduction] « active » depuis 2005, c’est‑à‑dire depuis que l’Action de 1994 a été suspendue (m.a., par. 93). La Saskatchewan invoque la conclusion du juge en cabinet selon laquelle l’Action de 1994 [traduction] « peut être présumée abandonnée » en raison du défaut de MNS d’obtempérer à l’ordonnance de communication ou de demander la levée de la suspension (par. 94, citant les motifs du juge en cabinet, par. 60).
[48]                        La Saskatchewan plaide en outre que le défaut de MNS est [traduction] « particulièrement énorme » en ce que les documents que MNS refuse de communiquer sont les documents dont la Saskatchewan a besoin pour évaluer la crédibilité du titre ancestral et des droits ancestraux invoqués (m.a., par. 85). MNS répond qu’elle maintient sa revendication sous‑jacente d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale, et que la Saskatchewan n’a pris aucune mesure pour faire déclarer abandonnée l’Action de 1994 (m.i., par 101 et 104). MNS soutient de plus que, indépendamment de l’état de l’Action de 1994, elle peut plaider qu’il y a eu manquement à l’obligation de consulter étant donné que la Saskatchewan a connaissance de sa revendication (par. 12, 127 et 133).
[49]                        Je ne retiendrais pas la position de la Saskatchewan. Je suis d’accord pour dire que, afin de statuer sur la Requête introductive de 2021, un tribunal doit déterminer si la Saskatchewan est obligée de consulter les Métis au sujet de l’impact des permis d’exploration sur les droits invoqués par ceux‑ci relativement à un titre ancestral et à des droits ancestraux de récolte commerciale. Toutefois, comme je l’explique ci‑après, l’état de l’Action de 1994 n’est pas déterminant sur cette question.
[50]                        L’obligation de consulter s’applique jusqu’à la décision définitive sur les revendications (Nation haïda, par. 38; voir aussi Rio Tinto, par. 33). Pour cette raison, tout argument voulant que l’obligation de consulter n’entre en jeu qu’une fois les revendications de titre et de droits réglées est incompatible avec la jurisprudence de notre Cour. L’obligation de consulter pourvoit à « la protection des droits ancestraux et issus de traités » pendant que des terres ou des ressources font l’objet de revendications, et elle favorise la réalisation de « l’objectif de conciliation des intérêts des Autochtones et de ceux de la Couronne » (Rio Tinto, par. 34, citant Nation haïda). Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Nation haïda, par. 27 :
                    Si [la Couronne] entend agir honorablement, elle ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. Elle doit respecter ces intérêts potentiels mais non encore reconnus. La Couronne n’est pas paralysée pour autant. Elle peut continuer à gérer les ressources en question en attendant le règlement des revendications. Toutefois, selon les circonstances, question examinée de façon plus approfondie plus loin, le principe de l’honneur de la Couronne peut obliger celle‑ci à consulter les Autochtones et à prendre raisonnablement en compte leurs intérêts jusqu’au règlement de la revendication. Le fait d’exploiter unilatéralement une ressource faisant l’objet d’une revendication au cours du processus visant à établir et à régler cette revendication peut revenir à dépouiller les demandeurs autochtones d’une partie ou de l’ensemble des avantages liés à cette ressource. Agir ainsi n’est pas une attitude honorable.
[51]                        À toutes les étapes, les deux parties sont régies par une obligation mutuelle de bonne foi (Nation haïda, par. 42; Behn, par. 42; R. c. Desautel, 2021 CSC 17, [2021] 1 R.C.S. 533, par. 88). La Couronne doit avoir « “l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones]” à mesure qu’elles sont exprimées » (Nation haïda, par. 42, citant Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 302 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 1010, par. 168). Quant aux demandeurs autochtones, ils « ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne devraient pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans les cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre » (par. 42).
[52]                        L’obligation de consulter prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » (Nation haïda, par. 35; Desautel, par. 72). En d’autres mots, trois conditions doivent être réunies pour que l’obligation de consulter prenne naissance : (1) la connaissance réelle ou imputée de l’existence possible d’un droit ou titre ancestral; (2) une mesure envisagée par la Couronne; (3) un effet préjudiciable potentiel sur le droit invoqué (Nation haïda, par. 35; Rio Tinto, par. 51; Desautel, par. 72).
[53]                        En conséquence, l’état de l’Action de 1994 n’est pas déterminant sur la question de savoir si la Saskatchewan a été avisée de manière régulière de la revendication avancée par MNS. L’Action de 1994 ne constitue pas en soi la revendication avancée par MNS. Elle représente plutôt le véhicule juridique qu’a choisi MNS pour faire valoir sa revendication.
[54]                        En l’espèce, il est clair que la Saskatchewan a connaissance de la revendication par MNS d’un titre ancestral et de droits ancestraux, et c’est cette connaissance qui est pertinente pour les besoins de l’analyse de l’obligation de consulter. Cependant, les obligations qui en découlent ne sont pas en cause devant notre Cour. Elles sont en cause dans le cadre de l’Action de 2020 (d’un point de vue général) et de la Requête introductive de 2021 (en ce qui concerne les permis de NexGen). Il n’appartient pas à notre Cour, dans l’examen d’une requête en radiation d’un acte de procédure pour cause d’abus de procédure, de formuler des commentaires sur l’issue de l’Action de 2020, laquelle est centrée sur l’obligation de consulter de la Saskatchewan. Comme je l’ai indiqué précédemment, la décision est pendante dans l’Action de 2020.
[55]                        Enfin, la Saskatchewan fait valoir que beaucoup de temps s’est écoulé depuis que l’Action de 1994 a été suspendue en 2005 (m.a., par. 83), et que ce délai donne naissance à un abus de procédure. Notre Cour a décidé que, dans certaines circonstances, un délai excessif peut constituer un abus de procédure (Blencoe, par. 115; voir aussi Toronto (Ville), par. 36). Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, il n’a pas été démontré qu’il y a abus de procédure pour ce qui concerne l’Action de 1994. Dans tous ses cas d’application, la doctrine de l’abus de procédure vise à préserver « l’intégrité des fonctions juridictionnelles des tribunaux » (Toronto (Ville), par. 43); cet aspect n’est pas remis en question en l’espèce.
(3)         La Requête introductive de 2021 de MNS constitue‑t‑elle un abus de procédure pour cause de chevauchement de questions litigieuses avec l’Action de 2020?
[56]                        La Saskatchewan soutient que l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021 traitent du même sujet et requièrent que soit tranchée la même question sous‑jacente : La Saskatchewan a‑t‑elle une obligation de consulter en ce qui concerne le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale (m.a., par. 64)? Selon les observations de la Saskatchewan, la Cour d’appel a fait erreur en concluant que l’Action de 2020 ne vise pas une mesure gouvernementale précise, qu’une réparation différente est demandée dans chacune des procédures, et que des résultats incompatibles dans les procédures ne constitueraient pas un problème (par. 70‑78).
[57]                        En réponse, MNS plaide que l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021 sont matériellement différentes. Elle soutient que les procédures ne font pas double emploi : l’Action de 2020 vise à empêcher la Saskatchewan d’utiliser la Politique de 2010 comme fondement pour se soustraire à ses obligations constitutionnelles, tandis que la Requête introductive de 2021 vise à obliger la Saskatchewan à procéder à des consultations à l’égard des permis d’exploration de NexGen (m.i., par. 65‑68).
[58]                        Il y a clairement chevauchement entre l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’Action de 2020 traite de l’obligation de consulter d’un point de vue général, et la Requête introductive de 2021 traite d’un cas particulier d’obligation de consulter. Autrement dit, la Requête introductive de 2021 représente un cas particulier de la question générale en litige dans l’Action de 2020.
[59]                        Est‑ce que cela constitue un abus de procédure? Je répondrais par la négative. Comme je l’ai expliqué plus tôt, pour qu’il y ait abus de procédure il faut davantage qu’un certain chevauchement des questions litigieuses; il doit y avoir menace à l’intégrité du processus juridictionnel ou à un autre principe fondamental comme la cohérence, le caractère définitif des instances ou l’économie des ressources judiciaires (Toronto (Ville), par. 37). Actuellement, le chevauchement entre l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021 ne soulève pas ces préoccupations. La Requête introductive de 2021 représente pour MNS un mécanisme approprié afin de de contester la délivrance par la Saskatchewan des permis à NexGen, et de solliciter une réparation intérimaire pour la violation potentielle du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale qu’elle revendique. De fait, l’application de la doctrine de l’abus de procédure pour prévenir la révision judiciaire de mesures prises par la Saskatchewan qui sont susceptibles d’avoir un impact sur le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale revendiqués par MNS constituerait une utilisation à mauvais escient de cette doctrine. Je note qu’une décision est pendante à l’égard d’une requête en jugement sommaire dans le cadre de l’Action de 2020; lorsque cette décision sera rendue, elle éclairera la résolution des questions que soulève la Requête introductive de 2021.
[60]                        Pour ce qui est du caractère définitif du litige, il y a possibilité de résultats incompatibles si l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021 continuent d’être instruites en parallèle et aboutissent à des réponses différentes quant à la question de savoir si la Saskatchewan est tenue à une obligation de consulter au sujet du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale. Toutefois, la gestion de l’instance pourrait constituer un meilleur moyen de parer à cette incompatibilité potentielle. Devant notre Cour, le procureur de la Saskatchewan a reconnu que le report de la Requête introductive de 2021 aurait pu répondre aux préoccupations de la Saskatchewan tant en ce qui concerne le fait de devoir débattre les mêmes questions dans deux instances que la possibilité de jugements incompatibles (transcription, p. 11‑12). Notre Cour a affirmé son appui en faveur d’une gestion active des instances pour « assurer [. . .] une utilisation efficiente des ressources judiciaires » (Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2014 CSC 59, [2014] 3 R.C.S. 31, par. 110). La radiation d’un acte de procédure pour cause d’abus de procédure est une réparation draconienne, qui « ne devrait être accordé[e] que dans les “cas les plus manifestes”, soit lorsque l’abus se situe à l’extrémité supérieure de l’échelle » (Abrametz, par. 83, citant Blencoe, par. 120). La possibilité de recourir à la gestion d’instance afin d’éviter une potentielle incompatibilité de décisions indique clairement que nous ne sommes pas en présence d’une affaire dans laquelle une telle « réparation draconienne » doit être envisagée.
[61]                        En conséquence, il n’y a aucun fondement permettant de conclure à un abus de procédure pour ce qui concerne l’Action de 2020 et la Requête introductive de 2021.
VI.         Conclusion et dispositif
[62]                        Bien que j’aie conclu à l’absence d’abus de procédure relativement aux procédures en litige dans la présente affaire, je tiens à ajouter qu’un abus de procédure est possible dans des instances auxquelles participent des plaideurs autochtones, comme c’est le cas pour les autres plaideurs. Cela dit, le contexte unique des litiges visant à faire valoir des droits ancestraux doit toujours être gardé à l’esprit tant en ce qui concerne la question de l’existence ou non d’un abus de procédure, que celle des conséquences découlant d’une réponse positive à cette question, c’est‑à‑dire quelle ordonnance serait alors indiquée. Les procédures judiciaires devraient faciliter, et non entraver, le juste règlement des revendications autochtones. Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, « [l]’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs » (par. 1).
[63]                        Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens conformément au tarif des honoraires et débours énoncé à l’annexe B des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156.
ANNEXE
Voici les paragraphes de la Requête introductive de 2021 dont la Saskatchewan sollicite la radiation :
[traduction]
2.  Un jugement déclaratoire portant que le ministre a manqué à l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter la demanderesse, la Métis Nation – Saskatchewan (« MN‑S ») en omettant ou en refusant de s’engager de bonne foi dans des consultations relativement à la délivrance du permis et aux activités sous‑jacentes d’exploration visant à trouver de l’uranium, notamment par les manquements suivants à l’obligation de consulter :
. . .
e.  en refusant de consulter MN‑S au sujet d’impacts potentiels sur le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale invoqués;
3.  Un jugement déclaratoire portant que le ministre a omis de soutenir l’honneur de la Couronne alors qu’il traitait avec MN‑S au sujet des activités d’exploration visant à trouver de l’uranium :
. . .
f.   en refusant de considérer leurs impacts potentiels sur le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale invoqués, ou de la consulter à cet égard;
16. Les droits des Métis sont reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En raison de leur histoire particulière, les Métis de la Saskatchewan revendiquent des droits ancestraux, notamment :
. . .
b.  le droit de récolter des animaux, des plantes et des ressources naturelles à des fins commerciales;
c.  le droit aux terres et à leurs ressources, y compris celles mentionnées dans la revendication territoriale concernant le nord‑ouest de la Saskatchewan.
                    Pourvoi rejeté avec dépens.
                    Procureur de l’appelant : Constitutional Law Branch, Ministry of Justice, Regina.
                    Procureurs des intimées : Cassels Brock & Blackwell, Calgary.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Winnipeg.
                    Procureurs des intervenantes Bearspaw First Nation, Chiniki First Nation et Goodstoney First Nation : Rae and Company, Calgary.
                    Procureurs de l’intervenant Stó:lō Tribal Council : JFK Law, Vancouver.
                    Procureurs de l’intervenant le Congrès des peuples autochtones : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.
                    Procureurs des intervenantes Métis Nation of Alberta Association et Métis Nation Ontario Secretariat Inc. : Aird & Berlis, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Federation of Sovereign Indigenous Nations : Slusar Law Office, Saskatoon; Bailey Wadden & Duffy, Edmonton.

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Synthèse
Référence neutre : 2025CSC4 ?
Date de la décision : 28/02/2025

Analyses

droits ancestraux — récolte commerciale — Saskatchewan — revendications — obligations — abus de procédure — doctrine — requête introductive — Couronne — litiges — savoir — cabinet — processus de consultation — arrêts — jugements déclaratoires — exploration


Parties
Demandeurs : Saskatchewan (Environnement)
Défendeurs : Métis Nation – Saskatchewan
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 28 février 2025, Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, 2025 CSC 4


Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2025
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2025-02-28;2025csc4 ?

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