Conclusions de l'avocat général
M. MAURICE LAGRANGE
SOMMAIRE
Pages
I — Les faits
II — Le recours en annulation (affaire no 7-56)
Recevabilité
Compétence de la Cour
Examen au fond
Portée des décisions en cause
Retrait des décisions individuelles
Interprétation de l'article 78 du Traité
Application à l'espèce
Conclusion finale
III — Le recours en indemnité (affaires nos 3-57 à 7-57)
Recevabilité
Responsabilité
Réparation du dommage
Montant du préjudice
Conclusion finale
Monsieur le Président, Messieurs.
Les recours dont vous êtes saisis mettent en jeu, sur des points particulièrement délicats, l'interprétation des dispositions de l'article 78 du Traité en ce qui concerne la nature et l'étendue des pouvoirs attribués par cet article à la Commission dite «des quatre Présidents» en matière de personnel, par rapport à ceux des institutions de la Communauté. Le litige dépasse ainsi de beaucoup la portée que présentent habituellement les différends entre une administration et ses agents: il a trait, en
réalité, à l'équilibre même des pouvoirs établi par le Traité. C'est assez dire l'importance de l'arrêt que vous êtes appelés à rendre dans ces affaires, arrêt qui, en mettant fin aux controverses dont cet article 78 est l'objet depuis la mise en vigueur du Traité, doit permettre aux diverses autorités responsables des affaires de personnel de mieux connaître les limites de leurs attributions respectives et, par là, de mieux assurer la vie administrative de la Communauté. C'est justifier aussi le
caractère exhaustif que nous pensons devoir donner à nos explications, dans un litige où l'administration défenderesse est, dans une large mesure, «moralement» d'accord avec les requérants et se borne, dans ses conclusions, à s'en remettre à la sagesse de la Cour. Nous pensons, enfin, que, dans l'éventualité d'une plus ou moins prochaine entrée en vigueur des nouveaux Traités européens, qui comportent sur ces questions des solutions fort différentes de celles contenues dans le Traité actuel et
nécessiteront des adaptations délicates, il est tout particulièrement nécessaire que le système de la C.E.C.A. soit clairement mis au point et puisse entrer sans tarder dans la pratique d'une application courante et indiscutée.
I — LES FAITS
Nous n'avons pas l'intention de retracer l'historique complet de l'élaboration du Statut des fonctionnaires de la Communauté, historique que la Cour, en tant qu'institution, a vécu elle-même et qui est certainement présent à vos mémoires; nous voudrions n'en retenir que ce qui semble indispensable à l'intelligence du présent litige. Ce problème du Statut s'est posé dès le début sur la base de l'article 78 du Traité et du paragraphe 7 de la Convention relative aux dispositions transitoires. Le
troisième alinéa de ce dernier texte, sur lequel nous aurons à revenir, est ainsi conçu: «En attendant que la Commission prévue à l'article 78 du Traité ait fixé l'effectif des agents et établi leur statut, le personnel nécessaire est recruté sur contrat». C'est ainsi que, dès l'origine, la nature des liens unissant la Communauté et les agents des quatre institutions a revêtu un caractère contractuel. Mais, dès l'origine aussi, l'idée a été admise qu'il ne s'agissait là que d'une période transitoire
et qu'un régime statutaire de droit public devrait être le plus tôt possible substitué au régime contractuel — le plus tôt possible, c'est-à-dire dès qu'un Statut général de fonctionnaires aurait pu être établi. L'Assemblée, notamment, avait voté des résolutions en ce sens, et la Commission des Présidents avait mis à l'étude l'élaboration de ce Statut général. En attendant, les contrats, tout en demeurant des contrats à durée limitée, ont revêtu un caractère de moins en moins précaire; ils ont été
complétés par des règlements comportant des garanties sérieuses (discipline, congés, régime de prévoyance, etc.) applicables à l'ensemble du personnel de chaque institution; enfin leur durée a été fixée en prévision de la date envisagée pour la mise en vigueur du Statut. C'est ainsi que la Cour a été amenée à reconnaître, dans son arrêt Kergall, que ces contrats avaient le caractère de «contrats préstatutaires de droit public» et a tiré de cette théorie certaines conséquences juridiques quant à la
«vocation» des agents en fonctions à être admis au futur Statut.
Mais si l'élaboration du Statut était évidemment une condition préalable à sa mise en vigueur, ce n'était pas la seule. En effet, la substitution d'un régime statutaire à un régime contractuel présuppose, à côté des dispositions comportant le Statut proprement dit (droits et devoirs généraux des agents, recrutement, avancement, discipline, congés, pensions, licenciement, positions, etc.), la création des emplois et des cadres administratifs correspondant aux tâches que l'Administration doit,
assurer, et la fixation des échelles de traitement qui y sont afférentes. Il est nécessaire, d'autre part, de prévoir les conditions selon lesquelles les agents actuellement en fonctions peuvent être, suivant la formule consacrée, «intégrés» dans les nouveaux cadres, c'est-à-dire admis au bénéfice du Statut et nommés à un grade et à un échelon déterminés, sans qu'ils remplissent nécessairement les conditions exigées à cet égard par le Statut pour l'avenir. C'est seulement après que tout ce travail a
été accompli que peuvent intervenir les actes individuels d'application.
Mais un double problème se posait, en outre, parallèlement à tous les autres: 1o Ces diverses opérations devaient-elles être communes aux quatre institutions et, si oui, dans quelle mesure? 2o Quel devait être, à cet égard, le rôle de la Commission des Présidents?
Sur le premier point, la nécessité non pas d'une uniformisation absolue, mais de ce qu'on a appelé une «harmonisation» semble avoir été admise très vite, sur la base de l'idée suivante: régler de la même manière dans les quatre institutions les situations semblables; l'accord s'est fait aisément pour ranger dans cette catégorie tout ce qui concerne ce que nous avons appelé le Statut proprement dit (règles générales, recrutement, avancement, discipline, etc.), questions pour lesquelles il a même été
finalement décidé de ne mettre en vigueur qu'un seul texte, le Statut général des fonctionnaires de la Communauté, commun aux quatre institutions, seules certaines règles d'application particulières aux institutions étant renvoyées à des annexes propres à chacune d'elles. Il en a été de même pour l'établissement d'une échelle commune des grades, correspondant chacun à un traitement compris entre un maximum et un minimum. Quant aux divers problèmes soulevés par la création des emplois, leur
correspondance entre eux et la détermination des grades dans lesquels ils devaient être rangés, c'est-à-dire les problèmes d'harmonisation proprement dits, ils ont donné lieu à de grandes difficultés d'application qui sont à l'origine du présent litige.
Sur le deuxième point, à savoir le rôle de la Commission des Présidents, la nature et l'étendue de ses pouvoirs par rapport à ceux des institutions, et de l'Assemblée en particulier, aucune doctrine commune recueillant l'assentiment des quatre institutions n'a pu être dégagée. On a procédé d'une manière plutôt empirique, et c'est seulement depuis que le Statut a été définitivement approuvé et mis en application qu'il est possible, d'après son texte, de se faire une opinion sur le système juridique
qui en résulte: ce n'était pas encore le cas le 12 décembre 1955, date à laquelle ont été prises les décisions dont la légalité est en cause.
A cette date, ou se trouvait en présence des éléments suivants:
1o une «grille» comportant 13 grades, divisés en échelons, avait été adoptée par la Commission dos Présidents dans su réunion du 9 mai 1955, en même temps qu'était fixée l'échelle de traitements correspondante:
2o le 25 novembre 1955, le Bureau de l'Assemblée avait pris toute une série de décisions comme conséquence de la réorganisation dos services du Secrétariat de l'Assemblée Commune, et qui peuvent, pour ce qui nous intéresse, se résumer ainsi qu'il suit:
— adoption d'une «job-description list», c'est-à-dire d'un tableau complet comportant le classement dans les grades et les catégories établies par la Commission des Présidents dos divers emplois, avec, en regard pour chacun d'eux, la description clos tâches auxquelles ils correspondent:
— décision de mettre en application, à partir du 1er janvier 1956, l'échelle des traitements fixée par la Commission dos Présidents le 9 mai 1955;
— enfin la décision suivante que nous citons textuellement ;
«Sur proposition de M. Fohrmann et après avoir entendu une déclaration de M. de Nerée, par laquelle il s'associe à la proposition fuite par le Bureau restreint, le Bureau, après discussion de la question. décide:
Dans le cadre de la réorganisation du Secrétariat de l'Assemblée Commune, et compte tenu notamment des décisions du Bureau du 27-10-54 au sujet des échelons annuels et bisannuels, les nominations et promotions reprises ci-dessous prendront cours à la date indiquée dans les décisions ou arrêtés individuels, remis en temps utile par le président à chaque intéressé.»
Suit la liste de tous les fonctionnaires de l'Assemblée, classés par grades et échelons. C'est ainsi que nous y trouvons les cinq requérants:
M. Genuardi, grade 2, échelon 1.
M. Cicconardi, grade 3, échelon 5,
Mme Steichen, grade 8, échelon 5,
Mme Couturaud, grade 9 A, échelon 5,
Mlle Algera, grade 9 A. échelon 3.
Telle était, donc, en résumé, la situation à la veille du 12 décembre 1955. Que se passe-t-il ce jour-là?
1o La Commission des Présidents tient sa quatorzième séance, un terme de laquelle elle déclare que le Statut est définitivement adopté en ce qui concerne les trois institutions autres que le Conseil de Ministres; pour ce dernier, elle prend acte de la réserve faite par son président qui se déclare dans l'obligation de prendre contact avec ses collègues avant de donner son accord définitif. Le procès-verbal ajoute:
«En ce qui concerne la procédure à suivre pour la rédaction des annexes, la Commission décide que les administrations des institutions devront prendre contact entre elles. Elle précise, en même temps, que ces contacts devront tendre à une harmonisation des textes, mais qu'ils ne devront pas porter atteinte au caractère facultatif des annexes.»
Or, parmi ces annexes (qui, d'après le Statut, sont considérées comme ressortissant à la compétence des institutions), doit figurer précisément le tableau des emplois, établi en corrélation avec la «job-description» et le classement de ces emplois dans l'échelle arrêtée par la Commission des Présidents.
2o Le même jour — «tard dans la soirée», nous dit l'Assemblée —, le président de cette institution a remis à chacun des agents intéressés un arrêté individuel signé de lui-même et du secrétaire général et admettant cet agent au bénéfice du Statut. Vu l'importance de ces arrêtés, d'où les requérants prétendent tirer les droits acquis qu'ils invoquent comme fondement de leur argumentation, nous croyons nécessaire de e vous en rappeler les ternies exacts. Voici, par exemple, celui qui concerne Mlle
Algera:
«Le président de l'Assemblée Commune de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier,
vu l'article 43 du Règlement de l'Assemblée Commune, arrêté par l'Assemblée dans sa séance du 10 janvier 1953, modifié dans ses séances des 16 janvier 1953 et 12 mai 1934,
vu les dispositions du Règlement administratif intérieur de l'Assemblée, arrêtées par le Bureau dans sa séance du 25 novembre 1955,
vu les délibérations du Bureau en date du 25 novembre 1955 (ce sont celles que nous avons analysées il y a un instant).
vu la déclaration écrite de Mlle Algera en date du 12 décembre 1955, déclarant qu'elle veut bénéficier du Statut des fonctionnaires,
ARRÊTE:
1. Le contrat d'emploi conclu entre l'Assemblée Commune de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, d'une part, et Mlle Algera, d'autre part, et expirant le 31 décembre 1955, cessera d'être en vigueur au 31 décembre 1955.
2. Le Règlement provisoire et ses annexes, mis en vigueur à dater du 1er juillet 1953, par décision du Bureau de l'Assemblée Commune en date du 15 juin 1953, cessent d'être en vigueur au 31 décembre 1955.
3. A dater du 1er janvier 1956, Mlle Algera, Dini
EST ADMISE AU BÉNÉFICE DU STATUT
est nommée au grade d'assistant I,
prend rang au troisième échelon d'ancienneté.
4. En attendant la mise en vigueur, totale ou partielle, des dispositions du Statut et de ses annexes, et dans le cadre des modifications intervenues par suite de l'entrée en vigueur du Règlement administratif intérieur, les articles du contrat et du Règlement provisoire, cessant l'un et l'autre d'être en vigueur au31 décembre 1955, et énumérés en annexe, seront appliqués à titre transitoire.
L'annexe ci-jointe fait partie intégrante du présent arrêté.
Luxembourg, le 12 décembre 1955.
Le président de l'Assemblée Commune,
(s) G.Pella
Le secrétaire général de l'Assemblée Commune,
(s) de Nerée»
Arrêtons-nous un instant en cette fin de journée — tardive — du 12 décembre 1955 et essayons de voir comment se présente la situation tant du côté de la Commission des Présidents que du côté de l'Assemblée.
Pour cette dernière, elle semble assez claire: l'Assemblée se borne à mettre à exécution les décisions de son Bureau en prenant des arrêtés individuels admettant les agents à statut et les titularisant dans un grade et un échelon déterminés, ces arrêtés étant au même instant notifiés aux intéressés. Cette attitude ne peut s'expliquer que si, dans l'opinion de l'Assemblée, la Commission des Présidents a déjà pris les décisions nécessaires pour permettre le classement individuel des agents, ce qui
signifie que, selon cette opinion, la Commission des Présidents a épuisé son pouvoir de décision en établissant la grille des grades et échelons le 9 mai 1955, toutes les autres opérations ressortissant à la compétence de l'institution. Un seul obstacle subsiste, mais qui ne concerne que la mise en application des décisions de classement régulièrement prises: c'est, à défaut de l'existence du Statut lui-même, régulièrement arrêté et publié, l'assurance d'une prochaine entrée en vigueur de ce Statut:
à cet égard, la décision de la Commission des Présidents déclarant que le Statut est définitivement adopté en ce qui concerne trois des institutions, dont l'Assemblée, paraît à celle-ci suffisante pour lever ce dernier obstacle. (En fait, l'adoption définitive pour l'ensemble des quatre institutions n'aura lieu que le 28 janvier 1956.) Quant au passage relatif à la rédaction des annexes, l'Assemblée n'y voit certainement qu'une confirmation de sa position d'indépendance, puisque le procès-verbal se
borne à prévoir des contacts entre les institutions relatifs à une harmonisation «des textes», sans qu'il soit porté atteinte au «caractère facultatif» desdites annexes: de telles formules signifient sans doute que les tableaux de classement, tels qu'arrêtés par les institutions, et en tout cas par l'Assemblée pour ce qui la concerne, seront incorporés à l'annexe I, laquelle, pour le surplus, ainsi que les autres annexes, donneront lieu à un travail préparatoire d'examen en commun pour leur
rédaction, le pouvoir de décision final de chaque institution étant d'ailleurs entièrement réservé.
Pour ce qui est de la Commission des Présidents, une chose est certaine, c'est qu'elle n'a pas encore, à la date du 12 décembre 1955, pris officiellement position sur le problème juridique qui nous occupe. D'autre part, aucune, des trois institutions autres que l'Assemblée n'a cru devoir — ou pouvoir — arrêter pour ce qui la concerne un tableau de classement des emplois et, encore moins, procéder à la titularisation et au classement individuel des agents. Il est donc à penser que, dans l'opinion de
la Commission des Présidents en tant que telle, le travail préalable d'«harmonisation» auquel elle a demandé aux institutions de se livrer pour la rédaction des annexes concernait non seulement la rédaction proprement dite des textes, mais aussi la confection des tableaux de classement destinés à s'incorporer à l'annexe 1.
Il faut toutefois reconnaître que l'incertitude — pour ne pas dire l'équivoque — subsiste.
Mais cette équivoque à son tour se dissipe à partir de mars 1956 En effet:
— d'une part, le Bureau de l'Assemblée, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de la réunion du 15 mars 1956, décide, à l'issue d'un huis-clos,
«d'accéder à la demande du président de la Haute Autorité en vue d'élaborer, avec les autres institutions, un tableau des emplois aussi concordant que possible. Cette réponse affirmative à la demande du président de la Haute Autorité, ajoute le procès-verbal, ne constitue en aucune façon une interprétation de l'article 78 du Traité et ne doit entraîner aucune atteinte à l'autonomie des décisions du Bureau de l'Assemblée, si l'effort nécessaire pour arriver à une harmonisation s'avère impossible»:
— d'autre part, la Commission des Présidents, qui avait déjà, le 5 mars 1956, «constaté la volonté unanime des dirigeants des quatre institutions d'aboutir à l'harmonisation des grades et des traitements du personnel dans toutes les institutions de la Communauté», décide le 29 mars suivant «de donner mandat» à un groupe de travail
«de rechercher et d'aboutir à une harmonisation entre les tableaux des fonctions et des grades des diverses institutions, de manière à permettre l'entrée en vigueur d'un Statut commun du personnel de la Communauté, de ses annexes et du Règlement général».
Les positions sont donc maintenant les suivantes:
1o la Commission des Présidents et l'Assemblée sont d'accord pour entreprendre le travail d'harmonisation et ne pas mettre le Statut en vigueur immédiatement;
2o l'Assemblée maintient formellement sa position de principe quant à sa «souveraineté» en la matière et réserve tous ses droits en cas d'échec:
3o la Commission des Présidents, sur cette question de principe, continue à ne pas prendre parti;
4o même dans l'application, des «nuances» subsistent, qui sont importantes: l'Assemblée n'accepte de participer qu'à l'élaboration d'un tableau des emplois «aussi concordant que possible», paraissant ainsi s'accommoder à l'avance de certaines distorsions éventuelles entre les emplois analogues d'institutions différentes, distorsions qui ne devraient pas empêcher la mise en vigueur du Statut commun. La Commission des Présidents, en revanche, subordonne expressément cette entrée en vigueur du Statut,
y compris les annexes et le Règlement général, à l'aboutissement, c'est-à-dire sans doute à la réalisation complète du travail d'harmonisation: la conséquence d'un échec — qu'on est d'ailleurs décidé à éviter à tout prix — serait donc la mise en application de quatre Statuts différents adoptés par chacune des quatre institutions.
Nous passerons très rapidement sur les étapes suivantes qui ne l'uni pas apparaître (le modifications dans les positions prises. Notons seulement que la Commission spéciale chargée par la Commission des Présidents du travail d'harmonisation (dite «Commission Delvaux», du nom de sou président, juge à la Cour) ne se borne pas à accomplir sa mission d'une manière abstraite, mais propose des solutions concrètes pour régler le eus des agents de l'Assemblée qui se trouvent classés, selon les nouveaux
tableaux, à un grade ou à un échelon moins élevé que celui qui leur avait été attribué le 12 décembre 1955: cette solution consiste en l'attribution d'une «indemnité différentielle» ayant, pour objet de garantir aux agents ainsi touchés le maintien, pendant une certaine période, des émoluments correspondant à leur premier classement. Notons également que le président de l'Assemblée continue à maintenir ses réserves de principe, notamment à l'occasion des mesures transitoires envisagées. «Il tient à
préciser, toutefois, lisons-nous en effet au procès-verbal de la réunion de la Commission dos Présidents du 12 mai 1956, que colle résolution (il s'agit dos mesures transitoires proposées par la Commission Delvaux et dont le principe est accepté par les quatre présidents) ne doit pas présumer d'une position que l'Assemblée Commune ne peut pas encore accepter définitivement. Cette acceptation définitive est, on effet, subordonnée à la possibilité de surmonter les difficultés que soulèvent les mesures
transitoires, condition nécessaire pour éditer l'adoption d'un Statut propre à l'Assemblée.» Ainsi, le pouvoir d'adopter librement le Statut de ses agents, y compris le classement de ceux-ci dans l'échelle des grades arrêtée par la Commission des Présidents, est-il une fois de plus expressément affirmé au profit de l'Assemblée, par son président, qui ne s'associe qu'à litre bénévole aux diverses tentatives d'harmonisation entreprises.
Et nous en arrivons maintenant aux décisions ou actes qui ont précédé immédiatement ou accompagné les décisions attaquées:
1o Séance de la Commission des Présidents du 15 juin 1956. Nous lisons ce qui suit au procès-verbal: «En ce qui concerne l'Assemblée Commune, elle (la Commission des Présidents) prend acte de In déclaration du président de cette institution indiquant qu'il saisira le Bureau de l'Assemblée des propositions ou des suggestions présentées par la Commission d'harmonisation (la Commission Delvaux) et fera connaître, par lettre, soit son accord, soit ses propositions de modifications, après avoir pris
contact avec les fonctionnaires de l'Assemblée aux fins de recherche d'un éventuel règlement à l'amiable suggéré par la Commission.» Ajoutons, toutefois, que «M. Delvaux, constatant que la Commission spéciale n'a pas reçu tous les éléments nécessaires pour pouvoir remplir sa tâche, demande, avec l'accord de ses collègues, M. Rasquin, Vanrullen et Finet, qu'il soit mis fin à leur mission et qu'ils soient déchargés de leur mandat.»
2o Réunion du Bureau de l'Assemblée Commune du 19 juin 1956. Extraits du procès-verbal, page 4, nous citons les paragraphes 2 et 3 qui nous paraissent les plus importants:
«2) Le Bureau a chargé M. le vice-président Vanrullen de continuer sa mission en vue de résoudre le problème du reclassement et des mesures qui s'y rapportent, sur la base des propositions faites par le Comité Delvaux et adoptées par la Commission des quatre Présidents au cours de su réunion du 15 juin 1956;
3) Le Bureau a délégué tous ses pouvoirs administratifs à M. Vanrullen pour l'exécution de la mission dont question sous 2).»
3o Réunion du Hureuu du 22 juin 1956. Nous retenons du procès-verbal de cette réunion que le Bureau entend se contenter de l'adhésion de la plus grande partie du personnel, non de la lolalilé des agents.
4o Le 27 juin 1956, lettre adressée par M. Vanrullen, au nom du président, à chacun des agents touchés par les mesures d'harmonisation. Il nous paraît nécessaire de remettre sous vos yeux les passages essentiels de celle lettre:
«Mademoiselle (nous citons toujours celle adressée à Mlle Algeral.
Par arrêté du 12 décembre 1935 vous avez été admise an bénéfice du Statut et nommée au grade d'assistant I.
Le Bureau de l'Assemblée Commune se propose de mettre prochainement en application le Statut commun aux quatre institutions, adopté par la Commission des quatre Présidents le 28 janvier 1956.
D'après les dispositions de ce Statut et de ses annexes, et notamment du barème des traitements et du tableau de correspondance entre les grades et les emplois, les fonctions que vous exercez, correspondent au grade 11 et à la catégorie C (assistant II).
En conséquence, et compte tenu du votre ancienneté, votre titularisation, conformément à l'article 2 — 2o et aux dispositions transitoires du Statut, interviendra dans les conditions suivantes:
1o Vous serez nommée fonctionnaire titulaire de la catégorie C. grade 11, échelon 8, avec une ancienneté d'échelon au 1-1-1956.
2o Le point de départ de votre ancienneté générale de service sera fixé au 1-2-1956.
3o Si le classement ci-dessus entraîne pour vous des émoluments inférieurs à ceux que vous percevez actuellement, vous bénéficierez jusqu'au 30 juin 1958 d'une indemnité compensatoire calculée conformément aux dispositions de l'article 60 du Statut.
4o Le maximum de bonification d'ancienneté prévue à l'article 108 du Règlement général de la Communauté (régime des pensions) vous sera accordé.
Afin de permettre au Bureau de l'Assemblée de statuer dans les meilleurs délais, je considérerai votre acceptation des propositions ci-dessus comme acquise si je ne suis pas en possession d'une réponse négative de votre part avant le 10 juillet 1956.
Veuillez agréer, Mademoiselle, l'expression de mes sentiments distingués.
Pour le président de l'Assemblée Commune,
(s) Emile Vanrullen
vice-président.»
5o Le 7 juillet, un certain nombre d'agents refusent d'accepter les termes de la lettre du 27 juin et insistent pour le maintien pur et simple de la décision du 12 décembre 1955.
6o Le 12 juillet, par une lettre toujours signée au nom du président de l'Assemblée Commune, M. Vanrullen écrit ce qui suit:
«Mademoiselle,
Pur lettre du 7 juillet 1956, vous m'avez marqué votre désaccord sur les conditions dans lesquelles pourrait intervenir votre titularisation en application des dispositions de l'article 2, 2o, et des dispositions transitoires du Statut.
Dans ces conditions, et pour autant que vous maintenez le point de vue exprimé dans votre lettre précitée, le Statut, lors de sa mise en application par le Bureau de l'Assemblée Commune, ne pourra vous être appliqué qu'en qualité de fonctionnaire temporaire, bénéficiaire d'un contrat d'un au, renouvelable deux fois dans les limites de l'article 2. 3o, du Statut.
Je vous prie de me faire savoir avant le 21 juillet si ces propositions rencontrent votre accord. Vous trouverez ci-joint un modèle de contrat.
Si au 20 juillet je n'étais pas en possession de votre réponse, je devrai considérer que vous renoncez au bénéfice des dispositions de l'arrêté à vous remis le 12-12-1955 et que par là devient caduque votre renonciation nu bénéfice des dispositions de votre contrat, du Règlement provisoire du personnel de l'Assemblée Commune du 1er juillet 1953 et de l'application du tableau de hiérarchie et de traitement arrêté par le Bureau en su réunion du 27 octobre 1954, qui rentrent pour vous en vigueur.
Votre contrat, qui normalement est venu à expiration le 31-12-1955, sera alors prorogé une dernière fois du 1er janvier 1956 au 31 décembre 1956 nu traitement de 2.754 U.E.P., fixé par le Bureau au cours de sa réunion du 25 novembre 1955.
Veuillez, agréer, Mademoiselle, l'expression de mes sentiments distingués.
Pour le président de l'Assemblée Commune,
(s) Emile Vanrullen
vice-président.»
7o Le 19 juillet, lettre de chacun des requérants, maintenant sa position.
8o Le 10 octobre, une «communication» no 56-12 est adressée au personnel, lui faisant connaître les décisions prises par le Bureau le 1er octobre précédent et dont les parties essentielles sont les suivantes:
a) mise en application du statut commun et du règlement général, avec effet rétroactif au 1er juillet 1956, pour les agents qui ont accepté, avec ou sans réserves, les propositions de M. Vanrullen:
b) mise en vigueur, pour les mêmes agents et avec le même effet, des annexes au statut commun
en tenant compte des dispositions du 3e alinéa de l'article 62 de ce Statut.
aux termes duquel les annexes sont établies par chaque institution et peuvent être modifiées après consultation du personnel et avis de la Commission des Présidents:
c) enfin (nous citons)
«la décision en ce qui concerne les fonctionnaires qui n'ont pas accepté les propositions du Bureau leur communiquées par M. Vanrullen sera… prise par le nouveau Bureau (qui devait entrer en fonctions un mois plus tard). A ces agents, le régime du règlement provisoire reste applicable. Le Bureau a chargé le vice-président Vanrullen et moi-même de réunir dès à présent les éléments nécessaires permettant au nouveau Bureau de prendre ses décisions en toute connaissance de cause».
La communication est signée par le secrétaire général.
Dans le procès-verbal de la réunion du Bureau du 1er octobre figure le passage suivant, qui n'est évidemment pas reproduit dans la communication:
«M. Pella souligne l'importance politique mais aussi juridique de la décision prise par le Bureau et, d'après son point de vue, auquel se rallient ses collègues, la décision du Bureau d'accepter l'annexe I qui est commune aux quatre institutions est un fondement juridique pour procéder à certaines modifications dans les arrêtés remis le 12 décembre 1955 à la majorité du personnel.»
9o Le 15 octobre, communication no 56-13 au personnel, dont la première phrase est ainsi conçue:
«Les émoluments du mois d'octobre 1956 pour les agents qui ont accepté les propositions faites dans le cadre de l'harmonisation ont clé calculés sur la base du non veau classement.»
10o Enfin, le 30 novembre 1956, le Bureau nouvellement désigné décide, «tout en maintenant les décisions attaquées», d'accorder aux requérants le sursis qu'ils ont demandé.
Nous nous excusons de la longueur et du caractère fastidieux de ce rappel des faits; il nous a paru nécessaire pour bien comprendre la position du litige, en droit comme en fait.
Au point de vue de la procédure, ce litige comporte, vous le savez, deux aspects, les requérants vous ayant saisis, par l'organe de leur avocat, d'un recours collectif en annulation et de cinq recours individuels en indemnité; ces derniers ne sont présentés qu'a litre subsidiaire, pour le cas où «par impossible», suivant l'expression chère aux avocats français, le recours en annulation ne serait pas accueilli.
II — LE RECOURS EN ANNULATION (affaire no 7-56)
Les conclusions du recours no 7-56 tendent à l'annulation (nous citons) «de la décision en date du 12 juillet 1956, émanant du vice-président de l'Assemblée, Commune, mise en application par une communication no 56-13 en date du 15 octobre 1956, retirant aux requérants, qui n'ont pas accepté les mesures d'harmonisation ayant pour effet de les rétrograder, le bénéfice du Statut qui leur avait été accordé, et les replaçant sous le régime contractuel jusqu'au 31 décembre 1956, date à laquelle ils
seront évincés».
Dans son mémoire en défense, l'avocat de l'Assemblée Commune expose ses doutes quant à la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre la décision 56-13 du 15 octobre. Il s'en remet, d'ailleurs, sur ce point, et sans insister, à la sagesse de la Cour.
En réalité, le recours, vous l'avez vu, n'attaque pas isolément cette «communication» du 15 octobre: il demande l'annulation de la décision du 12 juillet émanant du vice-président de l'Assemblée. En revanche, il n'attaque pas la décision prise par le Bureau le 1er octobre 1956 et ayant fait l'objet de la communication 56-12 du 10 octobre.
Aux termes de l'article 43, paragraphe 2, du Règlement de l'Assemblée Commune, pris par application de l'article 25 du Traité et tel qu'il a été public au Journal Officiel de la Communauté no 13, du 9 juin 1954, la composition et l'organisation du Secrétariat de l'Assemblée «sont arrêtées par le Bureau, qui détermine notamment le statut du personnel et les conditions de sa nomination». Le paragraphe 3 du même article ajoute: «Le Bureau établit le nombre d'agents, les échelles de leurs traitements,
indemnités et pensions, ainsi que les prévisions de dépenses extraordinaires nécessaires au fonctionnement de l'Assemblée. Le président de l'Assemblée est chargé de proposer l'adoption de ces conclusions à la Commission prévue à l'article 78, paragraphe 3, du Traité.»
C'est donc le Bureau qui détient les pouvoirs exercés au nom de l'Assemblée dans le domaine qui nous intéresse.
Le Bureau a lui-même établi un «règlement intérieur» qui n'a pas été publié, maris est joint au dossier. Il se borne, dans ce même domaine, à reprendre les dispositions du Règlement de l'Assemblée. Il ajoute, toutefois (art. 3, paragraphe 2), que le Bureau «se prononce également … sur tous les litiges pouvant survenir entre l'administration de l'Assemblée et ses agents». Enfin, c'est le président qui représente l'Assemblée «dans … les actes administratifs, judiciaires ou financiers». Il peut
déléguer ses pouvoirs par voie d'arrêté (art. 1er et 5).
Dans l'espèce, il est certain que les décisions ont bien été prises par le Bureau, mais il est très difficile de savoir par quel acte et de quelle manière ces décisions ont été notifiées aux cinq requérants ou simplement portées à leur connaissance. Il est même difficile de savoir à quelle date les décisions ont été prises et si elles l'ont été par l'ancien ou par le nouveau Bureau. On peut, semble-t-il, admettre qu'elles l'ont été par l'ancien Bureau, sous réserve de confirmation par celui qui
devait entrer en fonctions en novembre 1956, et que ce dernier les a explicitement confirmées.
Quant à la question de savoir quel acte traduisait pour les requérants la décision du Bureau, il est permis d'hésiter. La le lettre de M. Vanrullen du 12 juillet 1956, rapprochée de celle du 27 juin, se présente bien comme une décision, subordonnée à la seule condition de l'absence d'une réponse de la part de l'intéressé, d'une réponse favorable s'entend: à cet égard, le maintien du refus nous paraît équivuloir à l'absence de réponse. Cette condition a été remplie, puisque le refus a été en effet
confirmé; rappelons, d'autre part, que le Bureau, dans sa réunion du 19 juin 1956, avait «délégué tous ses pouvoirs administratifs à M. Vanrullen pour l'exécution de la mission dont question sous 2)», c'est-à-dire «de résoudre le problème du reclassement et des mesures qui s'y rapportent, sur la base des propositions faites par le Comité Delvaux et adoptées par la Commission des quatre Présidents au cours de sa réunion du 4 juin 1956». Cette délégation était-elle régulière et autorisait-elle M.
Vanrullen à prendre lui-même des décisions définitives à l'égard des agents? C'est fort douteux, mais il nous paraît difficile d'en conclure à l'inexistence de la décision. Tout au plus, peut-on admettre qu'elle était sujette à confirmation par le Bureau, ce qui a eu lieu.
D'autre part, ainsi que l'avocat des requérants le fait fort justement observer dans la note qu'il a produite en réponse aux questions posées par la Cour, «c'est seulement la communication 56-13 qui a permis aux requérants de se rendre compte, sur demande de renseignements de leur part, par la ventilation de leurs émoluments quant à la retenue pour pensions, que les propositions de M. Vanrullen avaient été entérinées par le Bureau, ce que la communication 56-12 passait sous silence».
En somme, on ne voit pas quel autre acte porté à la connaissance des requérants aurait été susceptible d'être attaqué par eux comme manifestant la décision prise par le Bureau.
Nous estimons donc le recours recevable.
Une autre question préalable se pose et devrait, si elle apparaissait douteuse, faire l'objet d'un examen d'office, c'est celle de la compétence de la Cour pour statuer sur le litige. On peut hésiter, pour fonder cette compétence, entre l'article 42 du Traité, qui prévoit la clause compromissoire (et qui a servi de base à la clause d'attribution de compétence contenue dans le règlement provisoire du personnel tant que celui-ci est demeuré sous régime contractuel), et l'article 58 du nouveau Statut
général, aux termes duquel «tout litige opposant la Communauté à l'une des personnes visées au présent Statut esl soumis à la Cour de Justice». Ou peut aussi combiner les doux terrains juridiques: ce qui est certain, c'est qu'il ne peut y avoir de «hiatus» entre les deux régimes et que la Cour, compétente pour les litiges nés du contrat comme pour ceux nés du Statut, doit nécessairement être compétente aussi pour statuer sur un litige dans lequel un agent contractuel invoque les droits acquis
résultant d'une décision qui comporte à son profit une application anticipée du Statut.
Nous en arrivons à la légalité des décisions at taquées. Un seul moyen est soulevé par le recours: celui qui est tiré de la violation des droits naquis que chacun des requérants tenait de l'arrêté du 12 décembre 1955.
La première question est de savoir quelle est la portée de ces divers arrêtés au point de vue qui nous intéresse. Est-ce bien une décision individuelle créant des droits?
L'affirmative ne peut faire de doute. Relisons le paragraphe 3 de l'arrêté:
«A dater du 1er janvier 1956, Mlle Algera. Dini…
Est admis(e) au bénéfice du Statut …
nommé(e) au grade d'assistant I
prend rang au troisième échelon d'ancienneté.»
La décision n'est assortie d'aucune réserve, ne comporte aucune disposition susceptible de lui conférer un caractère provisoire. Enfin, elle est régulièrement notifiée.
D'autre part, elle nous paraît indissociable en ses éléments. Nous ne pensons pas qu'on puisse, notamment, considérer séparément, d'une part, l'admission au Statut et, d'autre part, la nomination à un grade et à un échelon déterminés. En effet, l'admission d'un agent au bénéfice du Statut fait partie d'une opération d'ensemble, qui a pour objet d'intégrer dans les nouveaux cadres les agents actuellement en fondions, compte tenu de la nature des emplois à pourvoir et des qualifications de chacun des
intéressés à occuper ces divers emplois.
C'est bien ce qu'exprime l'article 59 du Statut lorsqu'il dit que les agents (sous-entendu: actuellement en fonctions) peuvent être titularisés dans un grade quelconque d'une catégorie ou d'un cadre visés à l'article 24 du Statut» s'ils remplissent certaines conditions. L'admission à statut s'exprime par une nomination, à titre définitif ou à titre de stagiaire, à un grade déterminé (art. 60), exactement comme pour les futurs agents (art. 1er et 2), le seul objet des dispositions transitoires étant,
comme nous l'avons dit, de dispenser les agents en fonctions des conditions exigées à l'avenir par le Statut pour le recrutement et de permettre leur nomination directe à un grade et à un échelon quelconques de la hiérarchie. D'autre part, la titularisation s'accompagnant de la renonciation des agents nu bénéfice de leur contrat, ceux-ci sont en droit, pour être à même d'exercer leur option en toute connaissance de cause, de connaître le grade et l'échelon d'ancienneté auxquels l'administration se
propose de les nommer, et non pas seulement la décision de principe les considérant comme dignes de devenir fonctionnaires à statut: un certain élément contractuel se glisse ici dans l'opération, du fait de cette option ouverte aux agents.
Le caractère indissociable de la décision étant ainsi établi, en même temps que sa nature juridique de décision individuelle créant des droits, la question se pose de savoir si elle pouvait être rapportée ou modifiée.
Nous pensons qu'il convient ici de se référer à la distinction, traditionnelle en droit administratif, entre les décisions légalement prises et les décisions illégales.
Il est, en effet, de principe que les décisions individuelles. lorsqu'elles sont conformes à la loi, ne peuvent pas être l'objet d'un retrait: ceux qui en sont l'objet tiennent donc de ces décisions un droit subjectif dont ils sont fondés à exiger le respect. C'est ce qui distingue ces décisions des actes de caractère réglementaire ou législatif qui, sauf dispositions contraires, sont applicables de plein droit aux agents en fonctions, sans que ces derniers soient admis à invoquer des «droits»
subjectifs prétendument acquis sous l'empire de la législation ou de la réglementation antérieure: il suffit que ces actes n'aient pas d'effet rétroactif, suivant les principes généraux. Ainsi, par exemple, une nouvelle échelle de traitement, même moins élevée, une nouvelle limite d'âge, même plus basse, seront applicables aux fonctionnaires ion nu ires qui sont en activité au jour de l'entrée en vigueur de l'acte fixant cette échelle de traitement ou celle limite d'âge. Au contraire, une décision
individuelle (par exemple une nomination, un avancement) crée un droit acquis à son maintien du jour où elle est parfaite, dès lorsqu'elle a été légalement prise.
Cette solution, qui répond à la nécessité d'assurer la stabilité des rapports juridiques et correspond, dans l'ordre des relations unilatérales de droit public, aux effets du contrat dans les relations plurilatérales, est commune aux principes du droit de nos six pays.
Plus délicate est la question du retrait des décisions individuelles illégales. En France, en vertu d'une jurisprudence tout à fait constante — on pourrait dire classique — du Conseil d'État, le retrait des décisions individuelles ayant créé des droits est possible lorsqu'elles sont illégales, mais seulement dans le délai du recours contentieux et, si un recours a été formé, jusqu'à l'intervention de l'arrêt. C'est cette jurisprudence dont font étal les requérants, mais, comme il n'existait pas,
dans l'espèce, de délai (celui-ci n'ayant été institué que par le règlement de la Cour du 21 février 1957), les requérants en concluent que les arrêtés ne pouvaient pas être rapportés du tout, ce qui revient à dire que les décisions illégales devraient être aussi protégées que les décisions légales.
Cette thèse, Messieurs, nous paraît inadmissible. Notons que, parmi les pays de la Communauté, la France paraît être le seul dans lequel le retrait de l'acte illégal est limité au délai du recours contentieux. En Allemagne, l'inviolabilité des droits acquis des fonctionnaires avait été solennellement consacrée par la Constitution de Weimar (art. 129) et est généralement regardée comme l'un des «principes traditionnels» auxquels l'article 33, alinéa 5, de la loi fondamentale soumet expressément
l'élaboration du droit de la fonction publique: ont été considérées comme portant atteinte aux droits acquis des fonctionnaires des mesures de caractère rétroactif touchant par exemple le classement de grade (Cour fédérale. Grand Sénat. 11 juin 1952. Neue Juristenzeitung, 52-933; paragraphe 86 de la loi du 14 juillet 1953 sur le Statut des fonctionnaires fédéraux). Mais si les actes administratifs ayant créé des droits ne peuvent être discrétionnairement rapportés, leur retrait peut intervenir dans
un certain nombre de cas, et notamment lorsque l'acte contrevient à une prescription légale impérative ou est intervenu sur une procédure irrégulière (par exemple, défaut d'avis conforme d'une autorité dont l'accord était requis), et le fait que des droits subjectifs à caractère de droit public découlent d'un acte administratif (par exemple, nomination, classement de grade, etc.) ne s'oppose pas au retrait de cet acte s'il manque de base légale (tribunal administratif de liesse, 2 décembre 1949,
DVBL. 50-681).
La Cour aura à juger si, le jour où le délai général institué pour l'application de l'article 58 sera applicable (il l'est maintenant), elle entend construire une jurisprudence protectrice des droits acquis des fonctionnaires et inspirée de la jurisprudence française. Pour le moment, tout ce que nous serions tentés personnellement d'admettre est l'idée d'un «délai raisonnable»: il serait, en effet, choquant pour l'équité de permettre à une administration de revenir sur des situations acquises, même
illégales, qui ont produit leurs effets pendant de nombreux mois, voire des années. Nous nous rencontrons sur une telle idée avec Fischbach, Commentaire sur le statut des fonctionnaires fédéraux, 1954, page 137. Mais, bien évidemment, ce n'est pas le cas dans l'espèce.
Faut-il donc examiner la question de savoir si les arrêtés du 12 décembre 1955 étaient légaux ou illégaux, au regard de l'exercice par l'Assemblée et la Commission des Présidents de leurs compétences respectives?
Avant d'être sûrs que cet examen est nécessaire, nous devons encore éclaircir un problème.
On peut se demander, en effet, si la décision prise par l'Assemblée d'accepter les propositions d'harmonisation faites par la Commission Del vaux n'a pas eu un effet novatoire lui permettant de revenir sur les décisions du 12 décembre 1955, qui étaient basées sur un tableau de classement des emplois différents. Nous avons rappelé, il y a un instant, que les fonctionnaires n'avaient pas un droit acquis au maintien des décisions d'ordre réglementaire, sinon le droit d'échapper à tout effet rétroactif
de telles décisions. D'autre part, il est admis que les actes individuels d'une autorité publique doivent être conformes aux règlements, y compris ceux qui émanent d'elle-même. Si, donc, l'on considère que l'Assemblée, en acceptant le tableau d'harmonisation commun, a pris une décision de caractère réglementaire, ne doit-on pas admettre qu'elle pouvait dès lors, et même qu'elle devait, réviser en conséquence le classement individuel effectué précédemment selon d'autres normes? Dès lors, il
deviendrait inutile de trancher la question de principe, car, de deux choses l'une:
— ou bien, l'on admet la thèse constamment défendue par l'Assemblée et son président selon laquelle celle-ci possède le pouvoir d'arrêter elle-même le tableau de correspondance des emplois: en ce cas, les arrêtés du 12 décembre seraient légaux, mais les décisions individuelles ultérieures, prises en vertu d'un nouveau tableau de correspondance (en fait le tableau d'harmonisation librement accepté), le seraient aussi. Tel est, semble-t-il, le sens de la déclaration fuite par M. Pella au Bureau le
1er octobre 1956, que nous avons relatée, et dans laquelle il est dit que «la décision du Bureau d'accepter l'annexe I, qui est commune aux quatre institutions (annexe qui comporte, ne l'oublions pas, le tableau de correspondance), est un fondement juridique pour procéder à certaines modifications dans les arrêtés remis le 12 décembre 1955 à la majorité du personnel»;
— ou bien, l'on admet une thèse plus restrictive des pouvoirs de l'Assemblée, thèse consacrant l'illégalité des arrêtés du 12 décembre 1955, auquel cas, selon l'opinion que nous avons développée, ces arrêtés illégaux pouvaient également, quoique pour un tout autre motif, être retirés; il resterait seulement alors à vérifier que les nouvelles décisions ont bien été prises après intervention régulière de la Commission des Présidents et ne sont donc pas illégales, elles aussi, comme les premières.
Cette alternative est séduisante en tant qu'elle permettrait d'éluder le problème de l'article 78, mais nous ne croyons pas qu'elle puisse être retenue.
En effet, si l'on admet que l'Assemblée avait le pouvoir de fixer elle-même la correspondance des emplois avec les grades, l'établissement du tableau des emplois apparaît comme une simple mesure d'ordre intérieur, intimement liée à l'organisation des services, et sans caractère statutaire: dans cette optique, le seul acte réglementaire préalable aux opérations d'intégration est le tableau fixant l'échelle des grades et les traitements correspondants, arrêté par la Commission des Présidents. Dès lors
que ce tableau a été établi par l'autorité extérieure à l'Assemblée que constitue la Commission des Présidents, l'Assemblée, en tant qu'institution, a le pouvoir de procéder librement aux classements individuels: ceux-ci, une fois intervenus, créent des droits en faveur de ceux qui en sont l'objet, tant que l'échelle des grades et le montant des traitements n'ont pas été modifiés.
Ici apparaît clairement la distinction fondamentale entre les règles de caractère statutaire et les règles d'organisation du service.
La notion même de Statut implique que le fonctionnaire régulièrement nommé, ou «investi» suivant un terme emprunté à la doctrine française (pour distinguer le régime statutaire unilatéral du régime contractuel), est titulaire — on dit même parfois propriétaire — de son grade, dont il ne peut être privé que dans les conditions prévues au Statut. A cet égard, le Statut actuel paraît bien se conformer à ces principes, si l'on se réfère en particulier à l'article 59 qui parle de «titularisation dans un
grade quelconque d'une catégorie ou d'un cadre» visés audit Statut. Si donc le tableau de correspondance des emplois avec les grades vient à être changé, une telle modification ne peut, sans présenter un caractère rétroactif, être appliquée aux agents en fonctions qu'à l'avenir, c'est-à-dire lors d'une promotion ultérieure; elle pourra l'être dans ces conditions, parce que le Statut du personnel de la Communauté ne repose pas sur la distinction entre le grade et l'emploi, comme par exemple en France
ou en Angleterre, et établit au contraire un lien juridique entre le grade et l'emploi; mais la modification du tableau de correspondance ne peut permettre une rétrogradation à effet immédiat et, encore moins, à effet rétroactif. Toute autre interprétation aboutirait à la négation de l'idée même de Statut.
Dans ces conditions, la véritable alternative nous paraît être la suivante:
— ou bien, l'Assemblée avait le pouvoir d'établir elle-même la correspondance des emplois avec les grades dont l'échelle avait été arrêtée par la Commission des Présidents; l'ayant fait et ayant ensuite — régulièrement selon cette thèse … procédé au classement individuel des agents en les nommant à un grade et à un échelon déterminés, elle avait épuisé son pouvoir et n'était pas en droit de revenir sur ces décisions individuelles à la faveur d'un nouveau classement des emplois modifiant le premier;
— ou bien, l'Assemblée n'avait pas seule ce pouvoir: elle devait le partager avec la Commission des Présidents. En ce cas, les décisions individuelles étaient illégales et pouvaient être rapportées.
D'où l'obligation où vous vous trouvez, selon nous, de prendre parti sur l'interprétation de l'article 78 du Traité.
Nous ne croyons pas pouvoir — sans un véritable abus — vous infliger la lecture de l'article 78, que vous connaissez par coeur et qui, s'il présente certaines difficultés d'application, n'est pas si obscur qu'on a bien voulu le dire: l'obscurité, comme dans la guerre navale, est parfois artificielle …
Mais il faut évidemment replacer cette disposition dans le cadre général institutionnel du Traité.
Le Traité repose sur une délégation de souveraineté consentie par les États membres à des institutions supranationales pour un objet strictement déterminé, à savoir le fonctionnement d'un marché commun du charbon et de l'acier. Le principe juridique qui est à la base du Traité est un principe de compétence limitée. La Communauté est une personne morale de droit public, et à ce titre elle «jouit de la capacité juridique nécessaire pour exercer ses fonctions et atteindre ses buts» (art. 6), mais de
celle-là seulement: c'est l'application du principe de spécialité, bien connu en droit public. Or, le mode d'exercice des fonctions et la détermination des buts à atteindre sont fixés d'une manière précise par le Traité.
D'autre part (même article), «la Communauté est représentée par ses institutions, chacune dans le cadre de ses attributions». Ces attributions sont elles-mêmes soigneusement définies par toutes les dispositions du Traité accordant des pouvoirs, et le principe de compétence limitée (ce qu'on appelle précisément la «compétence d'attribution») est proclamé pour chaque institution: c'est l'article 8 pour la liante Autorité, «chargée d'assurer la réalisation des objets fixés par le présent Traité dans
les conditions prévues par celui-ci». C'est l'article 20 pour l'Assemblée, qui «exerce les pouvoirs de contrôle qui lui sont attribués par le présent Traité». C'est l'article 26 pour le Conseil, lequel «exerce ses attributions dans les cas prévus et de la manière indiquée au présent Traité, C'est, enfin, l'article 31 pour la Cour qui «assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application du présent Traité et des règlements d'exécution.
C'est là un aspect absolument essentiel du Traité. Les États membres n'ont accepté de se dessaisir d'une partie de leur souveraineté qu'au profit d'institutions fonctionnant dans dos conditions bien déterminées, qui doivent se suffire à elles-mêmes.
Donc, aucune dos institutions ne peut exercer de pouvoirs autres que ceux qui lui sont conférés par le Traité, pas plus à l'égard des autres institutions qu'à l'égard des tiers. États ou personnes privées. En revanche, chaque institution, dans le cadre de ses attributions, est pleinement autonome et ne peut subir la tutelle d'aucune autre: elle exerce spontanément et directement ses pouvoirs dans les conditions prévues par le Traité, la Cour apparaissant à cet égard comme l'organe régulateur des
compétences ou vertu dos articles 33 et 38.
Mais cette «autonomie» ne pouvait évidemment être absolue sur le plan financier, aucune institution, fût-elle supranationale, ne pouvant échapper à la nécessité de se soumettre à certains contrôles on ce domaine. D'où l'article 78 qui institue un contrôle financier confié au commissaire aux comptes, tenant à la fois du contrôle des dépenses engagées et de la vérification comptable, et un contrôle budgétaire qui porte sur l'établissement du budget des dépenses (puisqu'il n'y a pas de budget de
recettes, ni, par conséquent, d'équilibre budgétaire à réaliser). C'est pourquoi l'article 78 s'inspire d'un double souci de conciliation:
1o Dans la présentation, il cherche à concilier le principe de l'autonomie des institutions avec l'unité de la Communauté, seule dotée de la personnalité morale: c'est le système des étals prévisionnels, établis par les institutions chacune en ce qui la concerne, mais groupés en un état prévisionnel général.
2o Au fond, il cherche à concilier le droit qu'a chacune des institutions d'assurer librement l'organisation et le fonctionnement de ses services, droit qui est le corollaire du principe de l'autonomie, avec la nécessité d'un contrôle budgétaire et financier suffisamment efficace.
Pour ne parler que du contrôle budgétaire préalable, celui qui porte sur l'établissement du budget des dépenses, la conciliation est assurée de deux manières:
a) Elle est assurée d'abord par le pouvoir donné à la Commission des Présidents d'«arrêter» l'état prévisionnel général, somme des quatre états prévisionnels: le terme «arrêter», qui est moins fort que, par exemple, approuver, mais plus fort que ne seraient des termes tels que «promulguer» ou «mettre à exécution», implique certainement un pouvoir de contrôle sanctionné par le pouvoir de «refuser d'arrêter». Le choix d'une telle expression marque bien ce souci de concilier les nécessités de
l'autonomie administrative avec les nécessités non moins importantes du contrôle des dépenses pour une autorité extérieure à l'institution, mais qui apparaît par sa composition même comme une émanation de la Communauté.
b) Mais ce pouvoir qui se situe au dernier stade de la préparation du budget des dépenses a paru, à juste titre, tout à fait incapable, à lui seul, d'assurer d'une manière tant soit peu efficace un véritable contrôle budgétaire. Cela se conçoit aisément, puisque ce budget de dépenses ne comprend que des dépenses administratives, dont la plus grande part est représentée par des dépenses de personnel, qui, dans un budget national, auraient presque entièrement le caractère de dépenses obligatoires,
c'est-à-dire se bornant à traduire dans les chiffres l'effet de droits préexistants. Chacun sait que le seul contrôle efficace, en ce domaine, est préventif et doit porter essentiellement sur la fixation des effectifs et des traitements et autres allocations pécuniaires. C'est pourquoi a été confié à la Commission des Présidents le soin de fixer au préalable le nombre des agents, les échelles de leurs traitements, indemnités et pensions, ainsi que les dépenses extraordinaires, c'est-à-dire en
somme tout ce qui commande l'essentiel des dépenses administratives. Bien entendu, ce pouvoir doit s'exercer, lui aussi, d'une manière compatible avec l'autonomie des institutions, telle que nous l'avons décrite.
Messieurs, si l'on ne perd pas de vue ces quelques idées et elles nous paraissent se dégager assez clairement tant de l'article 78 que des dispositions institutionnelles du Traité et notamment de l'article 6 —, il semble que la solution des difficultés dont le présent litige est le reflet soit relativement aisée.
Elles conduisent d'abord à écarter deux thèses, qui aboutissent l'une à méconnaître en droit et l'autre à méconnaître en fuit les pouvoirs de la Commission des Présidents.
A) L'une a été développée avec une forte conviction et beaucoup de talent par le rapporteur de la Commission de la comptabilité et de l'administration de l'Assemblée Commune dans un document qui est largement reproduit par M. le professeur de Solo dans sa note. Elle consiste à dénier à la Commission des Présidents tout pouvoir de décision et de contrôle vis-à-vis des dépenses de l'Assemblée Commune, en se fondant sur la «souveraineté» de cette Assemblée parlementaire.
Nous n'insisterons pas longuement sur cette thèse, non seulement parce qu'elle se heurte aux dispositions fondamentales du Traité, telles que nous les avons rappelées il y a un instant, mais aussi parce qu'elle n'a pas été maintenue par la suite sous cette tonne absolue par l'éminent rapporteur. L'erreur qu'à notre avis il commet provient une fois de plus — de l'abus du mot «souveraineté» qui est à notre époque la cause de bien des malentendus et la source de bien des malheurs. Si quelqu'un est
«souverain» dans le Traité, c'est la Communauté, et elle seule, et encore faudrait-il s'entendre sur le sens de l'expression: niais l'Assemblée n'est pas plus «souveraine» que les autres institutions: elle ne l'est, comme ces dernières, que dans la mesure où elle a à exercer les compétences qui lui ont été attribuées par le Traité, parmi lesquelles le pouvoir de décision tient une place à vrai dire fort limitée: on peut regretter ce système, mais le juge ne peut que le constater. Fort
heureusement, d'ailleurs, l'Assemblée a trouvé d'autres moyens que l'exercice de pouvoirs de décision pour assurer sa mission de contrôle de l'exécutif et s'associer aux progrès de la Communauté. C'est pourquoi nous préférons employer le terme d'autonomie en parlant des institutions plutôt que le mot souveraineté.
En réalité, il apparaît clairement à la lecture de ce rapport que la préoccupation de son auteur et en cela il fait certainement écho à ses collègues est de préserver la liberté de l'Assemblée au sujet de «la création des services que celle-ci estime nécessaires pour s'acquitter dûment des droits et des devoirs de contrôle qui lui incombent»: faisant un peu plus loin allusion à la Commission des Présidents, cette Commission, dit-il, ne peut certainement pas intervenir, car l'Assemblée subirait de
ce fait des entraves à la «création des services qu'elle-même estime nécessaires». Or, comme nous le verrons dans un instant, nous pensons que, sur ce point, la liberté des institutions doit être, en effet, reconnue.
B) La deuxième thèse qui nous paraît devoir être écartée est celle qui donne une portée exhaustive à l'incise figurant à l'article 78, paragraphe 3, 2e alinéa: «Toutefois, le nombre des agents, les échelles de leurs traitements, indemnités et pensions, pour autant qu'ils n'auront pas été fixés en vertu d'une autre disposition du Traité ou d'un règlement d'exécution, ainsi que les dépenses extraordinaires sont préalablement déterminées par une Commission, etc.»
La thèse a été soutenue que les «règlements d'exécution» mentionnés ici s'appliquaient en particulier au «règlement intérieur» de l'Assemblée (art. 25), au «règlement intérieur» du Conseil (art. 30), au «règlement général d'organisation établi par la Haute Autorité» (art. 16) et, en ce qui concerne la Cour, au règlement que celle-ci est habilitée à prendre pour fixer le Statut de son personnel (art. 16 du protocole sur le Statut de la Cour). Par application de ces différents textes, chacune des
quatre institutions aurait le pouvoir de fixer souverainement le Statut de (son personnel, même dans la mesure où les règles statutaires comprennent les objets énumérés à l'article 78, paragraphe 3, deuxième alinéa, c'est-à-dire l'effectif des agents, les échelles de traitement et le régime des pensions. C'est seulement dans le cas où l'une ou l'autre des institutions n'aurait pas usé de son droit à cet égard, ou n'en aurait usé que partiellement, que la Commission des Présidents retrouverait
l'exercice de ses pouvoirs. L'article 78 ne pourrait, en somme, être regardé comme faisant échec, même dans les dispositions du paragraphe 3, 2e alinéa, au principe de l'autonomie des institutions, et la Commission des Présidents ne serait appelée à jouer qu'un rôle de coordination.
Nous ne partageons pas cet avis. Nous pensons, et sur ce point nous sommes pleinement d'accord avec M. de Solo, qu'on ne doit voir dans le membre de phrase en question qu'une simple cl classe de sauvegarde. Il est évident, en effet, que dans le cas où une disposition particulière du Traité (ou d'un règlement pris en exécution d'une telle disposition lui donnant délégation à cet effet) aurait attribue compétence à une autre autorité que la Commission des Présidents pour fixer l'effectif ou le
montant des rémunérations de certains agents, cette disposition spéciale l'aurait emporté sur la règle générale de l'article 78. Mais il ne peut s'agir alors précisément que d'une disposition spéciale. Ce pourrait être éventuellement le cas des rapporteurs adjoints si leur Statut, qui est fixé par le Conseil sur la proposition de la Cour (art. 16), venait à comporter une disposition attribuant au Conseil la fixation de leurs traitements: la décision à cet égard appartenant alors à une autre
institution que celle au service de laquelle les intéressés se trouvent, le contrôle voulu par l'article 78 existe, et «l'exception à l'exception» prend tout son sens: il n'y a plus besoin, en ce cas, de l'autorité extérieure que constitue la Commission des Présidents.
En somme, dans une telle hypothèse, on retrouverait la solution adoptée par le Traité lui-même à l'égard des membres de la Haute Autorité, juges, avocats généraux et du greffier, dont le statut pécuniaire est fixé par le Conseil en vertu d'une disposition spéciale du Traité (art. 29). D'ailleurs, l'article 15 du Statut de la Cour dispose que «les traitements, indemnités et pensions du greffier sont fixés par le Conseil, sur la proposition de la Commission prévue à l'article 78, paragraphe 5, du
Traité» (c'est-à-dire la Commission des Présidents), ce qui montre bien que, même dans un cas où, en raison de la nature particulièrement importante des fonctions, la compétence a été attribuée au Conseil, il a été jugé utile d'associer la Commission des Présidents à l'élaboration du statut pécuniaire du titulaire de ces fonctions: comment imaginer que, dans tous les autres cas où la garantie d'une décision extérieure n'existe pas, il dépendrait de la seule volonté des institutions d'échapper au
contrôle de la Commission des Présidents? Cela nous paraît proprement insoutenable.
Nous arrivons donc à la conclusion que l'article 78 donne à la Commission des Présidents certains pouvoirs de décision (le texte est, d'ailleurs, parfaitement clair sur ce point), mais que cette attribution de compétence, dérogeant au principe de l'autonomie des institutions, doit, comme toute exception, être interprétée limitativement, compte tenu de l'objet propre de cet article, qui est une disposition financière et budgétaire.
De cette conclusion, il convient maintenant de tirer les conséquences.
La première — qui n'est sans doute pas indispensable pour juger le présent litige, mais qu'il nous paraît utile de mentionner pour avoir une vue d'ensemble de l'article 78 — est que la Commission des Présidents ne possède pas de compétence propre pour fixer elle-même l'ensemble du Statut des agents de la Communauté. On a souvent invoqué, à l'appui de l'opinion contraire (et le Statut actuel s'y réfère même expressément), les termes du paragraphe 7, 3e alinéa, de la Convention sur les dispositions
transitoires, ainsi conçu: «en attendant que la Commission prévue à l'article 78 du Traité (c'est-à-dire la Commission des Présidents) ait fixé l'effectif des agents et établi leur Statut, le personnel nécessaire est recruté sur contrat».
Mais, Messieurs, il nous paraît impossible d'admettre qu'une telle disposition, de caractère purement transitoire (et elle se trouve de fait dans la Convention sur les dispositions transitoires), ait eu pour objet, et puisse avoir pour effet, de conférer à titre permanent à la Commission des Présidents une compétence que le Traité, dans son article 78, qui constitue le texte de base en la matière, ne lui a pas reconnue et qui serait aussi étrangère (nous l'avons vu) à l'objet de cet article.
En réalité, le paragraphe 7 de la Convention n'a — et ne pouvait avoir — d'autre objet que de permettre à la Communauté de «démarrer», s'il nous est permis d'employer cette expression, avant que les procédures prévues par le Traité en matière financière, et notamment par l'article 78, aient eu le temps de jouer. C'est pourquoi, l'alinéa 2 de ce paragraphe 7 prévoit des avances remboursables de la part des États membres, en attendant que le prélèvement puisse être perçu, puisque les recettes ne
peuvent être mises en recouvrement, aux termes de l'article 78, qu'en vertu de l'état prévisionnel général, lequel doit lui-même être arrêté par la Commission des Présidents. De même, la fixation de l'effectif des agents et des échelles de leurs traitements, indemnités et pensions ressortit à la Commission des Présidents. L'objet du 3e alinéa du paragraphe 7 de la Convention est simplement de permettre de recruter tout de suite le personnel indispensable sans attendre les décisions que la
Commission des Présidents doit être amenée à prendre dans le cadre des pouvoirs qu'elle tient de l'article 78, paragraphe 3, alinéa 2. Il y a une correspondance étroite et visible entre ces deux textes et lorsque, reprenant les termes de l'article 78 sur ce point, le paragraphe 7 dit: «En attendant que la Commission prévue à l'article 78 du Traité ait fixé l'effectif des agents et établi leur Statut, le personnel nécessaire est recruté sur contrat», il ne peut viser que le statut pécuniaire tel
qu'il est décrit à l'article 78. Le paragraphe 7 de la Convention, pas plus que l'article 78 du Traité n'ont entendu prendre parti sur la nature juridique des relations appelées à s'établir dans l'avenir entre la Communauté et ses agents et opposer le statut de droit public réglementaire au contrat. Il s'agit, encore une fois, de dispositions purement financières.
Dès lors, il apparaît que, en droit, chaque institution demeure libre de fixer elle-même le Statut de ses agents, sous forme contractuelle ou toute autre d'ailleurs (la notion de statut n'est pas incompatible avec celle de contrai, comme le prouve le régime en vigueur dans bien des organisations internationales); elle demeure libre de le faire, sauf sur les points qui ont été réservés à la compétence de la Commission des Présidents (fixation des effectifs et des rémunérations).
Notons que, dans cette optique, la disposition de l'article 16 du Protocole relatif à la Cour, aux termes de laquelle le Statut des fonctionnaires et employés de cette institution «est fixé par la Cour», apparaît comme une application de la règle commune et non comme une exception, exception qui dérogerait implicitement à une disposition d'ordre général et permanent contenue dans la Convention sur les dispositions transitoires!
Bien entendu, cette indépendance de chaque institution en ce qui concerne l'établissement du Statut de ses agents ne fait nullement obstacle à ce que la Commission des Présidents joue un rôle de coordination, car il est hautement souhaitable de parvenir, dans une Communauté, à un Statut commun, alors surtout que toutes les administrations ont leur siège dans la même ville, et on ne peut que se réjouir du résultat obtenu à cet égard; mais, selon nous, ce Statut commun doit être considéré comme
ayant été librement accepté par chaque institution, et, d'un strict point de vue juridique (nous ne parlons pas du point de vue politique), il eût été sans doute plus correct de mettre en vigueur quatre textes séparés, chacun d'eux contenant les quelques différences reconnues nécessaires, au lieu d'être obligé de renvoyer ces dernières à des annexes.
On en arrive, en effet, à cette situation paradoxale d'après laquelle les règles sur lesquelles l'institution est autonome (c'est-à-dire l'ensemble du Statut proprement dit) font l'objet d'un texte unique donné comme «établi par la Commission des Présidents», alors que les points sur lesquels cette Commission a un pouvoir propre sont renvoyés à des annexes «établies par chaque institution» (art. 62). Le moins qu'on puisse dire est qu'une telle présentation est de nature à troubler quelque peu les
esprits non avertis …
Ayant ainsi établi 1o que la Commission des Présidents possède certains pouvoirs de décision; 2o que ces pouvoirs sont toutefois limités à des aspects budgétaires et financiers et doivent se combiner avec les pouvoirs proprement administratifs conservés par les institutions, il nous reste à rechercher ce qui, dans une opération complexe comme celle qui a eu lieu pour l'intégration des agents dans les cadres du nouveau statut, ressortissait à l'une et à l'autre compétence: nous sommes ici au cœur
du litige.
Dans la remarquable consultation produite par l'Assemblée. M. de Soto, professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Strasbourg, a analysé d'une manière très pertinente, en les décomposant, les diverses opérations nécessaires pour parvenir à ce qu'on appelle l'intégration (pp. 12 et ss.). Nous ne pouvons mieux faire que de nous référer à cette analyse, en la complétant toutefois quelque peu.
Dans l'ordre logique, sinon chronologique, ces opérations sont les suivantes:
1o Établissement d'un Statut des agents, comportant les règles générales sur le recrutement, l'avancement, la discipline, les pensions, etc.
2o Organisation du service, réalisée suivant les nécessités de la mission qui incombe à l'institution.
3o Organisation des cadres correspondant à cette organisation du service.
4o Détermination des grades et échelons et, éventuellement, répartition il ion de l'ensemble du personnel en catégories (direction, conception, exécution par exemple).
5o Fixation du traitement afférant à chacun des grades et échelons.
6o Description du travail afférant aux divers emplois (ce qu'on a appelé la «job-description»).
7o Classement de chaque emploi dans l'échelle des grades, compte tenu de la job-description.
8o Fixation de l'effectif, c'est-à-dire du nombre des emplois par grade, toujours compte tenu de la job-description.
9o Enfin, admission à statut et intégration individuelle de chacun des agents dans l'échelle des grades, compte tenu de l'emploi qui lui est attribué (nous avons déjà dit qu'à notre avis ces deux opérations se confondent).
Sans doute, une telle décomposition est-elle quelque peu artificielle, en ce sens que chacune d'elles ne se traduit pas nécessairement par une décision spéciale, mais elle nous paraît permettre de voir plus clairement ce qui incombe respectivement à la Commission des Présidents et à l'institution, si l'on se réfère toujours à la distinction entre ce qui ressortit au pouvoir administratif et ce qui ressortit au contrôle budgétaire.
Sur le 1o (établissement du Statut général), nous nous sommes déjà expliqué et nous n'y revenons pus.
Sur le 2o (organisation du service), il s'agit là, à notre avis, d'une compétence propre à l'institution: c'est un point très important et auquel l'Assemblée attache, à juste titre, beaucoup de prix, car il faut y voir la garantie essentielle de ce que nous avons appelé le principe de l'autonomie des institutions.
Sur le 3o (organisation des cadres correspondant à l'organisation des services), nous pensons qu'il s'agit encore d'un pouvoir de l'institution, corollaire nécessaire du précédent.
Sur le 4o (tableau des grades et échelons et, éventuellement, répartition en catégories), la compétence de la Commission des Présidents est indiscutable; elle l'a d'ailleurs exercée.
Il en est de même du 5o (fixation du traitement afférant à chacun des grades et échelons).
Nous en arrivons ainsi aux opérations 6 et 7 dont la distinction, fort bien mise en lumière par M. de Soto, nous paraît constituer la clef du problème: l'opération no 6 (établissement de la «job-description») est à notre avis de la compétence de l'institution, tandis que l'opération no 7 (classement de chaque emploi dans l'échelle des grades, compte tenu de la job-description) ressortit à la compétence de la Commission des Présidents. Dans le premier cas, en effet, il s'agit de décrire la nature
de la tâche exigée du titulaire de l'emploi, et l'institution en est seule juge: dans le second cas, il s'agit d'apprécier, compte tenu de cette description, «ce que cela vaut», et cela c'est bien une attribution budgétaire: lorsque l'article 78 donne à la Commission des Présidents le pouvoir de fixer «les échelles de leurs traitements» (des traitements des agents), il s'agit évidemment de le faire compte tenu de la nature des emplois qu'ils occupent et en comparaison avec les autres emplois, et
non en fonction d'une simple grille arbitraire et abstraite. C'est le seul moyen pour la Commission d'exercer son rôle et d'arriver à ce qu'on a appelé l'harmonisation, c'est-à-dire d'obtenir que des emplois de même nature, et correspondant exactement aux mêmes tâches dans deux institutions différentes, soient l'objet du même classement. Cette solution nous paraît en définitive seule conforme tant à la lettre qu'à l'esprit de l'article 78. Il semble, d'ailleurs, que c'est bien dans ce sens que
doit être compris l'article 25, premier alinéa, du Statut du Personnel de la Communauté lorsqu'il dit: «la liste des emplois correspondant à chaque grade dans chacune des catégories et dans chacun des cadres est déterminée conformément à l'article 78 du Traité.»
Nous voudrions, pour être complet, en terminer brièvement avec notre liste:
En ce qui concerne l'opération no 8 (fixation du nombre des emplois par grade, toujours compte tenu de la job-description). nous pensons qu'il s'agit d'une compétence de la Commission des Présidents, et cela pour les mêmes raisons; il est évident que la seule fixation globale de l'effectif d'une institution tout entière ne peut, si elle est préalable, qu'être arbitraire et exclusive de tout contrôle budgétaire sérieux. Ce n'est, en ce cas, qu'au moment où la Commission est appelée à «arrêter»
l'état prévisionnel général, qu'elle pourrait encore songer à exercer un certain contrôle; mais celui-ci sera vain en pratique, pour les raisons que nous avons déjà exposées au début de nos explications, et, d'autre part, ce ne sera pas le contrôle voulu par l'article 78, puisque celui-ci doit, selon les termes formels de cette disposition, avoir un caractère préalable. Sans doute, le contrôle des effectifs par grade doit-il se concilier avec le respect et la nécessité de l'organisation du
service telle que l'a conçue l'institution; il ne faut pas que, sous prétexte de contrôle budgétaire et d'économies, on rende en fait impossible le fonctionnement du service, ce qui constituerait une sorte de «détournement de pouvoir», mais c'est là un problème propre à tous les contrôles financiers de toutes les administrations du monde, et il doit se résoudre normalement par un esprit de sagesse réciproque, dont il n'y a pas lieu de douter dans cette Communauté: nier ce pouvoir, en revanche
risque de rendre illusoire toute réalisation rationnelle d'un plan d'économies le jour où il s'avérerait nécessaire ou, ce qui est pire, de le réduire à des abattements globaux et proportionnels au budget de chaque institution, consacrant ainsi l'injustice dans une apparente égalité des sacrifices. Sur ce point, cependant, nous devons constater que la solution contraire à celle que nous défendons semble avoir été admise par le Statut au 2e alinéa de l'article 25.
L'opération no 9, enfin, qui a trait aux mesures individuelles d'intégration, ne peut évidemment ressortir qu'à la seule compétence de l'institution.
Après avoir ainsi «découpé» en quelque sorte les opérations et réparti les compétences correspondantes, il faut encore réfléchir à un problème qu'a fort bien vu le professeur de Soto et qui est délicat, c'est celui du mode d'exercice de ces compétences respectives. Dans la pratique, en effet, il n'est pas possible, nous l'avons dit, d'exiger que chacune de ces opérations donne lieu à des décisions distinctes, et, d'autre part, il ne faut pas oublier que la Commission des Présidents, bien que
dotée de pouvoirs propres, n'est pas une institution de la Communauté. Elle exerce ses pouvoirs dans l'ordre interne, mais il est douteux qu'elle puisse publier ou notifier des décisions directement applicables aux tiers et exécutoires par elles-mêmes: en tout cas, elle ne l'a jamais fait jusqu'à présent. Il en résulte que les décisions qu'elle est amenée à prendre doivent s'incorporer dans les décisions, réglementaires ou individuelles, des diverses institutions qu'elles lient, et ce n'est qu'«à
travers» ces dernières que la légalité des actes de la Commission des Présidents pourra éventuellement être discutée, comme c'est le cas dans le présent litige. D'ailleurs, on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, puisque la seule base du contentieux en cette matière est l'article 58 du Statut qui ne donne compétence à la Cour que pour statuer sur les litiges «opposant la Communauté à l'une des personnes visées au présent Statut», et que, d'après l'article 6 du Traité, «la Communauté
est représentée par ses institutions», ce que la Commission des Présidents n'est pas.
Pour ces raisons, M. de Soto suggère dans sa consultation une formule, fort ingénieuse, à vrai dire, «d'avis conforme». C'est par un tel procédé que la Commission des Présidents exercerait les pouvoirs qu'elle tient de l'article 78.
Nous ne pensons pas, pour notre part, que, malgré sa souplesse, ce procédé puisse être admis. En effet, l'avis conforme ne permet que d'exercer un pouvoir négatif, un droit de veto. Or, nous pensons que, dans les cas où elle est compétente, la Commission des Présidents doit exercer pleinement sa compétence. Par exemple, lorsqu'elle détermine «le nombre des agents», elle doit fixer d'une manière positive ce nombre et non se borner à refuser son accord aux propositions qui lui sont faites jusqu'à
ce que ces dernières soient conformes à sa volonté. De même pour le problème qui nous occupe: saisie des propositions des institutions comportant le classement des emplois dans les divers grades, elle doit pouvoir éventuellement modifier ce classement et dresser elle-même un nouveau tableau, à condition seulement de ne pas modifier sans accord de l'institution la job-description des emplois.
Cela n'empêche pas que la décision finale qu'elle est amenée à prendre soit notifiée aux institutions, auxquelles il appartient alors de s'y conformer en dressant le tableau qui doit figurer aux annexes et qui est seul opposable aux tiers.
S'il nous était, toutefois, permis à cet égard d'émettre un vœu, nous dirions qu'il y aurait, à notre sens, le plus grand intérêt à ce que, tant du côté de la Commission des Présidents que des institutions, des habitudes formelles plus strictes soient prises. Il serait très désirable, notamment, que la Commission des Présidents, à l'issue de ses délibérations, établisse des décisions en forme, régulièrement notifiées aux institutions et distinctes des procès-verbaux. Quant aux institutions, elles
viseraient, le cas échéant, les décisions ainsi prises par la Commission des Présidents dans leurs propres décisions; lorsque ces dernières auraient un caractère réglementaire (telles que les annexes au Statut et les tableaux qui s'y incorporent), elles seraient publiées soit au Journal Officiel, soit, à défaut, par voie d'affichage dans les locaux, ou par tout autre moyen de publicité ayant pour effet de les porter régulièrement et officiellement à la connaissance du personnel. De cette manière
serait concilié le caractère interne à la Communauté de l'activité de la Commission des Présidents avec la nécessité d'un mécanisme faisant clairement apparaître l'exercice respectif des compétences de chacun. Et ainsi les préoccupations d'ordre contentieux du professeur de Soto recevraient l'apaisement désirable, du fait que seules les décisions des institutions seraient susceptibles de recours, ce qui ne ferait pas obstacle, bien entendu, au droit des parties de discuter la légalité de ces
décisions dans tous leurs éléments, y compris ceux qui émaneraient de la Commission des Présidents.
En définitive, nous estimons que les arrêtés individuels du 12 décembre 1955 étaient illégaux, comme étant intervenus avant que la Commission des Présidents ait exercé la compétence quant à rétablissement de la correspondance entre les emplois et les grades, et que, pour cette raison, ils pouvaient être rapportés.
Il resterait à examiner si les nouvelles décisions de l'Assemblée sont elle-mêmes régulières du point de vue de l'intervention préalable de la Commission des Présidents. A cet égard, il paraît bien résulter de l'ensemble des délibérations de la Commission des Présidents intervenues au cours de l'année 1956 que celle-ci, après avoir provoqué l'établissement d'un tableau d'harmonisation (ce fut l'œuvre de la Commission Delvaux), l'a fait sien, ne serait-ce qu'en constatant l'accord des institutions
sur ce tableau. A vrai dire, celui-ci n'a jamais été formellement approuvé, la Commission des Présidents ayant eu surtout la préoccupation — bien légitime — d'établir un accord entre les institutions, et certains points étant restés en suspens. Néanmoins, on aperçoit parfois chez elle des signes manifestant de sa part l'exercice d'un pouvoir de décision propre: par exemple, nous lisons au procès-verbal de la 19e séance du 15 juin 1956: «…3o En ce qui concerne la Cour de Justice, la Commission des
Présidents est d'accord pour que l'administrateur soit classé au grade 3 sous le nom de administrateur de la Cour de Justice, faisant fonction de directeur adjoint». En tout cas, il n'est pas contesté que le nouveau classement des cinq requérants, qu'ils ont d'ailleurs refusé, correspondait à la partie du tableau d'harmonisation sur laquelle l'accord s'était fait et qui avait été approuvé par la Commission des Présidents.
Pour tous ces motifs, nous concluons
— an rejet du recours no 7-56
et à ce que les dépens soient supportés par les requérants.
III — LE RECOURS EN INDEMNITÉ (affaires nos 3-57 à 7-57)
Ici encore, nous trouvons des questions de recevabilité et des problèmes de fond.
En ce qui concerne la recevabilité, l'Assemblée a opposé une fin de non-recevoir tirée de ce que les recours en indemnité sont présentés comme subsidiaires par rapport au recours unique en annulation et en contradiction avec ce dernier, dont ils supposent le rejet. Cette manière de procéder ne serait pas correcte.
Messieurs, nous ne voyons pas pourquoi. Il est très fréquent que des plaideurs soient amenés à entamer plusieurs procédures, soit devant le même juge, soit devant des juges différents, et rien ne l'interdit dès lors qu'il s'agit de procédures autonomes qui se placent sur des terrains juridiques distincts et que les recours ont une cause juridique distincte également. Il est tout à fait normal que des fonctionnaires, par exemple, demandent l'annulation de décisions administratives qui les concernent
et, d'autre part, une indemnité en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'administration. Il peut arriver, en ce cas, que l'annulation, en raison de ses effets rétroactifs et des obligations qu'elle peut entraîner quant à une «restitutio in integrum», rende sans objet les conclusions à fin d'indemnité; mais ceci est le propre de tout «subsidiaire». Le fait que, dans l'espèce, les conclusions subsidiaires aient été l'objet de recours distincts s'explique par la nature
juridique distincte de l'action en indemnité par rapport à celle du recours en annulation.
Au fond, après les longs développements auxquels nous avons cru devoir nous livrer à l'occasion du recours en annulation et après les excellentes plaidoiries que vous avez entendues hier matin, nos propres explications seront brèves.
Comme dans toute action en dommages-intérêts, trois questions se posent: 1o Existe-t-il une responsabilité de nature à entraîner réparation? 2o En cas d'affirmative, existe-t-il un dommages? 3o Si oui, quel est son montant?
A) Responsabilité. — Les requérants n'ont pas précisé sur quelle base légale ils fondaient leurs recours en indemnité. Ils n'ont invoqué comme texte de référence que l'article 34, alinéa 7, du Statut du personnel de la Communauté, qui prévoit l'attribution de certaines allocations pécuniaires an profit des agents mis en disponibilité à la suite de suppressions d'emplois. Cette disposition n'est évidemment pas applicable par elle-même dans l'espèce: elle ne pourrait, à notre avis (et c'est d'ailleurs
ainsi, semble-t-il, que les requérants l'entendent lorsqu'ils parlent d'«analogie»), que servir d'élément d'appréciation pour évaluer le préjudice subi par les intéressés si l'on considère qu'ils ont été victimes d'une rupture abusive du lien qui les unit à l'administration. Quant à l'article 40 du Traité, il n'est pas expressément invoqué.
Mais, Messieurs, si la base légale des recours n'a pas été précisée, le terrain juridique sur lequel ils se placent semble assez clair, surtout depuis la plaidoirie.
A vrai dire, nous apercevons deux terrains juridiques: celui de la rupture abusive du contrat, et celui de la faute. L'honorable avocat des demandeurs nous a parlé, en effet, de «rupture fautive» des liens unissant les agents à l'administration, et il nous a parlé aussi des «agissements dolosifs», de la «précipitation», de l'«imprudence», de la «légèreté» avec lesquelles l'administration avait agi envers les requérants: tout cela, ce sont bien les éléments constitutifs d'une faute de nature à
engager la responsabilité de la Communauté en vertu de l'article 40, qui est le droit commun de la responsabilité quasi-délictuelle dans le Traité.
a) Sur le terrain contractuel, aucune responsabilité ne peut être retenue. En effet, la prétendue rupture du lien ne pourrait être que celle qui est intervenue en juillet ou en octobre 1956. Or, il ne s'est nullement agi à ce moment, vous l'avez bien vu, de la rupture d'un lien contractuel: il s'est agi d'une décision de caractère unilatéral relative à l'intégration des agents dans le nouveau Statut et par laquelle l'Assemblée a modifié le classement tel qu'il avait été opéré par les arrêtés du
12 décembre 1955. Quant au contrat, il a été remis en vigueur, alors que la première décision (celle invoquée par les requérants comme ayant créé des droits à leur profit) en faisait cesser les effets au 31 décembre 1955: on ne peut dire qu'il y a eu dans ces conditions violation du contrat et, par ailleurs, les allocations pécuniaires touchées par les requérants depuis le 1er janvier 1956 sont évidemment bien supérieures au montant des indemnités de résiliation fixées par les contrats. Enfin, la
jurisprudence de l'arrêt Kergall est sans aucune application ici, puisqu'il n'y a ni refus de renouvellement des contrats, ni refus d'admettre les intéressés à statut en méconnaissance de leur «vocation» préstatutaire.
b) Le vrai — et le seul — terrain juridique est donc celui de la faute de service basée sur l'article 40. Mais quelle faute?
Nous écartons nettement comme constitutifs d'une faute ceux des agissements de l'Assemblée qui concernent la décision de juillet-octobre 1956, dès lors du moins qu'on considère cette décision comme légale. Or, nous avons soutenu il y a un moment qu'elle l'était, d'une part, parce qu'elle pouvait légalement revenir sur les arrêtés de décembre 1955 et que, d'autre part, elle avait elle-même été prise conformément au classement arrêté par la Commission des Présidents, du moins en ce qui concerne les
emplois occupés par les requérants. Le fait pour une administration de prendre une décision légale peut — parfois — engager sa responsabilité, mais certainement pas sur le terrain de la faute.
En revanche, la question se pose dans toute son ampleur vis-à-vis des arrêtés de décembre 1955, dont nous vous proposons de reconnaître l'illégalité.
Nous pensons, Messieurs, et nous le disons franchement, que cette faute existe; nous ne disons pas faute «grave», ni «lourde», ni «inexcusable», toutes expressions ayant dans le langage juridique une portée qui ne correspond nullement aux faits de la cause. Il n'y a eu ni manœuvres dolosives, ni intention de nuire, bien au contraire! D'autre part, l'erreur juridique qui est à la base de la décision est, nous l'avons vu, fort excusable, et sur sa thèse en droit l'Assemblée n'a jamais varié. La
véritable faute n'est pas là.
Elle est, en réalité, dans une attitude générale que l'avocat des requérants a, suivant des expressions que, cette fois, nous approuvons pleinement, caractérisée de «précipitation», d'«imprudence», de «légèreté». Sans doute, les responsables de cette précipitation ont été, pour une large part, l'Assemblée, en tant que corps délibérant, qui ne cessait depuis longtemps de hâter la mise en vigueur du Statut, et d'autre part, les agents eux-mêmes, qui ont certainement agi dans le même sens.
Mais ceci ne diminue pas la responsabilité de l'institution en tant que telle. Deux attitudes étaient, à vrai dire, concevables: ou bien, forte de ce qu'elle pensait être son droit, l'Assemblée, jugeant le moment opportun, arrêtait seule les décisions concernant ses agents sans attendre davantage et, logique avec elle-même, mettait en vigueur son propre Statut; ou bien (et c'était évidemment l'attitude raisonnable), tout en maintenant ses réserves quant à ses pouvoirs autonomes au sujet du
classement des emplois (conformément à sa thèse en droit), acceptait volontairement de participer à un travail d'harmonisation avec les autres institutions, sous l'égide de la Commission des Présidents. Nous disons que c'était là l'attitude raisonnable, car c'est la seule qui fût conforme à l'idée même de Communauté, si l'on veut que cette idée soit l'expression d'une nullité vivante et non pas seulement du concept juridique abstrait de l'article 6 du Traité; et c'est ce que, par la suite, le
président de l'Assemblée a fort bien compris. Mais alors, de toute évidence, il ne fallait pas passer à l'application individuelle avant d'avoir accompli ou au moins cherché à accomplir ce travail d'harmonisation: agir autrement, c'était se mettre dans une impasse.
Nous estimons donc que l'Assemblée a commis une «faute de service» qui engage sa responsabilité au titre de l'article 40 du Traité.
B) Réparation du dommage. A cet égard, il s'agit de savoir dans quelle mesure la faute commise a entraîné pour les requérants un préjudice dont il leur est dû réparation.
Tout d'abord, il ne peut être question de considérer comme un préjudice susceptible de donner lieu à réparation ce qui a irait aux effets de la décision de juillet-octobre 1956 (si du moins, comme nous vous le proposons, vous la considérez comme légale), c'est-à-dire les conséquences de la diminution de la situation administrative des intéressés du fuit du nouveau classement dont ils ont été l'objet (et qu'ils ont refusé). Personne ne peut avoir droit au maintien d'une situation illégale dont
l'illégalité a été régulièrement reconnue, ni à une compensation pécuniaire pour la privation des avantuges qui duraient résulté dans l'avenir d'une telle situation: ce serait, en fait, consucrer les droits acquis résultant de la décision illégale initiale, alors que, par hypothèse, de tels droits n'existaient pas en raison de l'illégalité même de cette décision. Sur ce point, aucun doute ne nous paraît possible.
La seule question qui, à cet égard, aurait pu prêter à discussion concerne la régularisation à laquelle l'administration uuruit pu songer à procéder pour le pansé, c'est-à-dire si elle avait fait procéder à des reoersements correspondant à la différence entre les traitements alférents au nouveau classement et les traitements effectivement perçus en exécution de la première décision. En ce cas, on aurait pu envisager de compenser ces reversements avec l'allocation d'une indemnité pour faute. Mais
cette question ne se pose pas, puisque l'administration n'u pas agi de cette manière el. à la suite du nouveau classement refusé par les intéressés, s'est abstenue de les titulariser, les a remis sous contrat et n'a émis à leur encontre aucun ordre de reversement.
Est-ce à dire qu'aucun préjudice indemnisable n'a été subi par les requérants? Nous ne le croyons pas. Il est certain que ceux-ci ont subi ce qu'on pourrait appeler un trouble dans leur existence du fait de cette attitude de l'Assemblée que nous avons décrite et sur laquelle il nous paraît inutile de revenir. Dans les conditions où toute cette affaire a déroulé ses épisodes, nous pensons qu'il faut voir là un préjudice difficile à évaluer, mais certain.
C) Montant du préjudice. — Messieurs, si l'on fait état de toutes les mesures prises à l'égard des intéressés par l'Assemblée, on peut estimer que les éléments matériels de ce préjudice se trouvent avoir été très largement réparés. Il suffit, à cet égard, de rappeler que non seulement, comme nous l'avons dit, aucun reversement n'a été exigé d'eux, mais que 1o ils se sont vu offrir le maintien pendant deux ans de la situation pécuniaire résultant du premier classement sous forme d'une indemnité
différentielle; 2o qu'en fait, malgré le refus de cette offre et leur maintien sous contrat, celui-ci a été déclaré prorogé jusqu'au 31 décembre 1956 et que, 3o enfin, du fuit du sursis accordé par l'administration, les intéressés continuent encore aujourd'hui à bénéficier du Statut résultant des arrêtés du 12 décembre 1955. Il faut d'autre part, noter qu'aucun commencement de preuve quelconque n'a été apporté au sujet de la réalité et de l'importance des «offres» qui auraient été faites aux
requérants à l'extérieur et qu'ils auraient été amenés à refuser du fait du classement plus avantageux sur lequel ils croyaient être en droit de compter.
En revanche, Messieurs, nous pensons qu'il y a dans cette affaire un élément moral dont, quelle que puisse être leur importance, les avantages matériels accordés par l'Assemblée ne sont pas de nature à compenser vraiment les effets. Nous pensons que la Cour doit sanctionner elle-même l'attitude de l'Assemblée et qu'un arrêt qui, quels qu'en soient les motifs, aboutirait au rejet des requêtes n'atteindrait pas pleinement ce résultat. C'est pourquoi, nous inspirant d'une jurisprudence très courante
dans certains de nos pays, nous pensons que la Cour pourrait condamner l'Assemblée au payement d'une indemnité symbolique de 1 franc.
Nous concluons, sur les recours 3-57 à 7-37:
— à ce que l'Assemblée Commune soit condamnée à verser à chacun des requérants la somme de un franc;
— au rejet du surplus des conclusions des recours;
— et à ce que les dépens soient supportés en totalité par l'Assemblée Commune.