CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,
PRÉSENTÉES LE 21 JUIN 1974 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Une fois encore, vous êtes appelés à trancher une controverse qui, à travers un fonctionnaire du cadre scientifique, touche aux rapports délicats qui existent entre la position d'un chercheur, la liberté dans les prérogatives de son travail et les obligations qui lui incombent en tant que fonctionnaire d'une institution qui est également une organisation administrative. Liberté de recherche, exigence de contrôle et possibilité d'une appréciation liée à la responsabilité de direction, tel est
l'ensemble des sujets qui sont soumis à votre décision juridique. Dans notre cas, une autre observation paraît préliminaire et tout à fait évidente: vous avez pour mission de statuer uniquement sur quelques aspects d'une réalité qui, dans l'état actuel de l'affaire, n'existe que sous forme d'affirmations contradictoires de fonctionnaires qui y sont impliqués: de sorte qu'il n'est pas toujours facile d'apercevoir clairement et distinctement le véritable objet d'un recours qui ne concerne que les
conséquences juridiques d'une situation qui, en fait et jusqu'à présent du moins, n'est pas élucidée.
A propos d'une activité de recherche, un fonctionnaire scientifique du Centre commun de recherches d'Ispra est accusé par son supérieur hiérarchique direct de faits et de circonstances susceptibles de mettre en cause sa correction professionnelle. La Commission, en la personne du directeur général du Centre, estime que ces critiques sont suffisamment graves pour qu'elle envisage la possibilité d'ouvrir une procédure disciplinaire. L'accusé nie le bien-fondé des critiques et reproche à son
supérieur direct d'être mû par une animosité personnelle à son égard. Ultérieurement, la Commission se désintéresse de l'affaire en affirmant qu'elle la considère comme une «controverse scientifique» concernant exclusivement et personnellement les deux fonctionnaires.
Devant le refus formel de la Commission de déclarer non fondées les accusations portées contre lui, l'accusé vous demande maintenant de suppléer à cette carence de l'institution afin d'obtenir sa réhabilitation morale.
Toutefois, la défenderesse persiste à dire qu'elle n'a jamais fait siennes ces accusations, et au cours du procès elle maintient à cet égard une attitude de neutralité absolue.
Ainsi, l'unique défenseur des accusations peut apparaître comme leur auteur direct qui est étranger à ce procès, dans lequel il n'a même pas été entendu comme témoin.
La présente affaire n'a pas le caractère d'un procès pénal dans lequel l'accusé doit être reconnu innocent, lorsque la preuve du bien-fondé des accusations portées contre lui n'est pas établie. Il ne s'agit pas non plus d'un procès contre une mesure disciplinaire dans lequel l'absence de preuves à l'appui des faits sur lesquels la décision attaquée est fondée pourrait conduire à l'annulation. On se trouve devant cette situation un peu paradoxale où la partie mise en cause, qui aurait été aussi la
plus apte à faire la lumière sur les faits complexes de l'affaire qui est à l'origine du procès, se considère comme étrangère et s'est effectivement désintéressée de ce qui constitue l'objet essentiel du recours: la question du bien-fondé des accusations portées contre le requérant par son supérieur direct.
Pour des raisons soit de forme (l'auteur des accusations est étranger au procès), soit de fond (la nécessité d'élucider au préalable des points de fait très complexes), il serait donc impossible, dans l'état actuel de la procédure, de résoudre le fond véritable de la controverse. A l'égard du recours en annulation contre la décision de refus opposée par la Commission à la demande principale du requérant visant, en substance, à sa réhabilitation, votre tâche essentielle se limite donc à établir si
la Commission a contrevenu à une de ses obligations en se désintéressant de l'affaire.
S'il en était ainsi, la décision de refus devrait être annulée et il incomberait à la Commission elle-même de choisir le moyen le plus adéquat pour s'acquitter de ses devoirs devant la situation qui s'est créée dans ses services à la suite des accusations dont nous allons parler.
2. La présente controverse trouve sa cause immédiate dans le mémorandum intitulé «Falsification de résultats expérimentaux» que M. Malvicini, chef de division, dont dépendait le requérant, a adressé, le 4 mai 1971, à M. Caprioglio, directeur général du Centre commun de recherches de l'Euratom à Ispra. Dans ce document, le requérant, fonctionnaire scientifique du Centre, était accusé d'avoir falsifié, pour faire apparaître un effet déterminé, les données expérimentales relatives à une recherche de
séparation isotopique qu'il accomplissait en coopération avec la section de biologie de l'Euratom. La même accusation a été renouvelée dans un mémorandum du 6 juillet 1971, adressé par le même M. Malvicini à M. Caprioglio et dans lequel il était reproché à M. Guillot d'avoir «altéré les valeurs des résultats expérimentaux dans le but de faire apparaître un effet».
Au cours du procès, il a ensuite été fait état d'une note interne de M. Malvicini du 21 octobre 1971, dont le requérant affirme qu'il n'a pas eu connaissance auparavant et qui renferme une description plus détaillée des faits sur lesquels reposent les accusations portées contre M. Guillot. S'agissant d'un document important, apparu tardivement, nous estimons nécessaire d'en citer intégralement la partie centrale:
«M. Guillot me remit les résultats des mesures exécutées depuis le début de l'expérience (heure 9,46 du 28 avril) jusqu'à 11,25 heure du 29, avec les enregistrements de l'imprimante de l'analyseur, et seulement les résultats de 11 des 14 mesures exécutées depuis 11,35 heure du 29 avril jusqu'à 7,10 heure du 30 avril.
Le jour suivant, 1er mai, quand je voulus mettre sur un graphique les points des dernières mesures, je m'aperçus que je n'avais pas les enregistrements de l'imprimante; je me rendis dans mon bureau, pensant les avoir oubliés sur ma table, mais je ne les y trouvai pas. Je trouvai cependant dans une poubelle un morceau de rouleau d'une calculatrice Olivetti sur lequel se trouvaient les valeurs des spectres des six dernières mesures. Ces valeurs ne correspondaient pas aux valeurs que M. Guillot
m'avaient données.
Le lundi matin, 3 mai, M. Guillot, questionné par moi, m'assura que les données qu'il m'avait fournies étaient celles de l'analyseur, sans correction aucune. Quand je lui montrai que je possédais les données inscrites sur le rouleau de la calculatrice, il ne sut me donner une explication et s'éloigna du bâtiment.
Ayant des soupçons, je récupérai tous les morceaux des enregistrements de l'imprimante et de la calculatrice dans les poubelles.
L'après-midi, M. Guillot vint au Centre et raconta qu'il avait corrigé d'une façon appropriée les résultats des mesures, parce que le jour 30, quand il démonta l'appareillage, il avait trouvé le flacon contenant le mélange radioactif déplacé. A l'appui de sa thèse, il fit une note contenant des accusations graves contre moi, avec une annexe technique de huit pages avec calculs, tables et graphiques, pour démontrer que la translation appliquée aux points des dernières six mesures était une
correction rendue nécessaire à cause de l'inclinaison du flacon, pour les aligner avec les valeurs du 29.
Je reconstruisis morceau par morceau les enregistrements de l'imprimante récupérés et je constatai que, aussi les données obtenues le 29 à partir de 11,35 heure, avaient été corrigées de façon “aussi appropriée”, me rendant compte aussi des raisons qui avaient conduit M. Guillot à demander par écrit, pendant qu'il rédigeait l'annexe technique, la liste des spectres en ma possession.»
Sans qu'il soit nécessaire, pour le moment, de préciser les détails de la controverse, à laquelle la critique de M. Malvicini a donné lieu, et des explications fournies par M. Guillot, relatives à la nécessité et au caractère approprié d'un coefficient de correction que, contrairement aux affirmations contenues dans la note rapportée ci-dessus de M. Malvicini, il affirme avoir appliqué limitativement à la dernière partie de sa recherche, afin de tenir compte d'un déplacement accidentel d'un
instrument utilisé dans son travail, il est certain que les expressions employées à l'égard du requérant concernant l'honorabilité professionnelle de celui-ci sont de nature à lui causer un préjudice sérieux dans le milieu scientifique où il exerce son activité.
Le requérant allègue que, depuis quelque temps déjà, il existait des désaccords entre lui et M. Malvicini au point qu'il s'est considéré comme l'objet d'une véritable persécution de la part de son chef de division. Un des principaux épisodes dans lequel le requérant croit en apercevoir une manifestation est constitué par le refus qui, dans un premier temps, lui a été opposé pour la publication d'un article relatif à certains résultats de ses recherches. Ce refus avait déjà donné lieu à une
affaire portée devant la Cour (affaire 91-71), qui n'a pas été jugée puisque l'autorisation fut accordée entre-temps. Il ressort cependant des annexes I, II et XVI du mémoire en défense qu'outre M. Malvicini, plusieurs autres fonctionnaires scientifiques du Centre d'Ispra s'étaient, eux aussi, prononcés dans un sens défavorable à la publication; celle-ci a été ensuite subordonnée expressément à la condition que l'auteur assume la responsabilité entière et exclusive de ses affirmations.
Le requérant fait état d'autres éléments, afin de démontrer la prétendue malveillance à son égard, notamment, le fait que, contrairement à ses collègues et à ses subordonnés, il n'aurait jamais bénéficié, depuis de nombreuses années, d'une promotion ou d'une prime et les refus qui lui ont été opposés au sujet de sa participation à des congrès d'études relatifs à la matière dont il s'occupait. Mais ce n'est pas le cas de nous attarder à ces détails. Il suffit ici de les avoir mentionnés pour
brosser le tableau des rapports humains et professionnels difficiles dans lesquels les faits s'inscrivent et sous l'angle desquels ils doivent être considérés.
3. A la suite du mémorandum du 4 mai 1971, le directeur Caprioglio, après avoir observé, par sa note du 17 mai 1971, que les faits dénoncés par M. Malvicini lui paraissaient assez sérieux pour donner lieu à une procédure disciplinaire, demandait à ses services d'examiner la situation. En réponse à un mémorandum ultérieur de M. Guillot qui demandait des informations à cet égard, le directeur Caprioglio faisait savoir, par une note du 7 juillet 1971, qu'il attendait encore les éléments que ses
services pourraient réunir afin de pouvoir décider s'il y avait lieu d'ouvrir une procédure disciplinaire.
Par note du 9 juillet 1971, M. Malvicini répondant à une question du requérant relative à la continuation de sa recherche sur la séparation isotopique, écrivait: «En référence à votre question, j'estime nécessaire que le point soit fait des résultats de la .recherche faite jusqu'à présent sur les effets de séparation, avant qu'il ne soit procédé à la continuation des travaux en cours et que de nouvelles expériences ne soient entamées.»
L'activité confiée au requérant pour le compte de la section biologie, qu'il avait exercée à temps partiel en plus de son autre fonction de contrôle systématique du personnel du Centre d'Ispra pour la contamination interne était ainsi suspendue, mais, semblait-il, de manière seulement provisoire. Conformément à ce qui résulte de sa fiche annuelle d'activité relative à 1971, cette recherche pour le compte de la section biologie était prévue pour toute l'année.
Par un mémorandum du 8 novembre 1971, adressé au directeur Caprioglio, le requérant se plaignait de ne plus avoir de nouvelles des résultats de l'enquête ouverte à son égard au sujet des accusations portées contre lui par M. Malvicini et il exprimait son désir que ces accusations soient complètement et publiquement retirées.
Dans le même mémorandum, il demandait en outre l'annulation de la suspension de ses expériences ordonnée par M. Malvicini et de reporter à 1972 le programme d'expériences déjà prévues pour 1971. Des demandes analogues ont été réitérées dans un mémorandum du 6 décembre 1971.
Le 3 janvier 1972, par un mémorandum adressé au président de la Commission des Communautés européennes, le requérant, demandait, en application de l'article 91 du statut:
— le retrait des accusations portées contre lui par M. Malvicini et la reconnaissance de la véracité des résultats de ses expériences;
— l'autorisation et les moyens nécessaires de continuer ses recherches;
— une réparation adéquate du préjudice qui lui a été causé par les accusations et l'interdiction de poursuivre ses recherches.
Le 14 avril 1972, le vice-président de la Commission, sans répondre explicitement sur le fond de la demande relative au retrait des accusations mettant en cause l'honorabilité professionnelle du requérant, affirmait que celui-ci n'avait jamais fait l'objet d'une procédure disciplinaire et il ordonnait que soient retirés de son dossier personnel: le mémorandum précité du 4 mai adressé à M. Caprioglio par M. Malvicini; le mémorandum du 17 mai du directeur Caprioglio relatif à la demande d'éléments
en vue d'une éventuelle procédure disciplinaire; le mémorandum du 24 juin 1971 (indiqué par erreur sous la date du 26 juin) adressé au directeur Caprioglio par le requérant, et relatif à la demande de celui-ci de confier à un groupe d'experts le contrôle des résultats de ses expériences, demande à laquelle se référait le mémorandum de M. Malvicini du 4 mai; et enfin le mémorandum déjà cité du 7 juillet 1971 adressé au requérant par le directeur Caprioglio, et relatif aux enquêtes préliminaires en
vue de l'ouverture éventuelle d'une procédure disciplinaire.
Le vice-président de la Commission répondait négativement à la deuxième demande du requérant, en se fondant sur la considération que les travaux pour la continuation desquels l'autorisation avait été demandée n'auraient été compris dans, aucun des programmes adoptés par le Conseil pour le Centre commun de recherches; et il concluait en exprimant la conviction que ni la première, ni la deuxième demande n'était justifiée et qu'il n'y avait donc aucune raison d'accorder un dédommagement.
4. Bien que, dans son acte introductif du recours, le requérant ait demandé l'annulation du refus opposé par la défenderesse à la demande formulée sous le no 1 de son recours administratif du 5 janvier 1972, il a ensuite précisé, dans le mémoire en réplique, que, par cette conclusion, il se référait seulement au refus de reconnaître le bien-fondé des accusations portées contre lui par M. Malvicini, sans que cela puisse impliquer la demande d'une prise de position au sujet de l'exactitude de ses
constatations et de ses thèses scientifiques. Même ainsi remaniée, la conclusion principale du requérant devrait être rejetée, si on la prenait à la lettre. En effet, puisque dans l'acte introductif de l'affaire il se borne à se référer aux demandes contenues dans le recours administratif, nous relevons que le point 1 des demandes contenues dans ce recours consistait à demander à la Commission d'obliger M. Malvicini à retirer ses accusations. Or, la Commission ne peut évidemment pas contraindre
un de ses fonctionnaires à accomplir un acte de ce genre. Ce que l'institution pouvait faire, c'était de constater si les accusations avaient un fondement; et, au cas où elle ne pourrait pas recueillir des preuves suffisantes à cet égard, en donner acte au requérant; c'est ce à quoi celui-ci vise en substance, ainsi que cela est apparu plus clairement au cours de la procédure orale.
Le fait que la Commission n'a pas engagé une procédure disciplinaire formelle à l'égard du requérant ne suffit pas à éliminer les doutes que peuvent avoir fait surgir les accusations portées contre lui au préjudice de son honorabilité. En effet, le fait de renoncer à la procédure disciplinaire peut s'expliquer également par de simples raisons d'opportunité. Par conséquent, soutient le requérant, en omettant de faire le nécessaire pour que les accusations portées contre lui à propos de l'exercice
de son activité de fonctionnaire de la Commission soient retirées — ou que leur bien-fondé soit constaté de quelque manière — l'institution a violé l'obligation que lui impose l'article 24 du statut d'assister ses fonctionnaires dans toute poursuite contre les auteurs d'outrages, injures et diffamations dont le fonctionnaire a été l'objet en raison de sa qualité et de ses fonctions.
En revanche, la défenderesse estime que le requérant a obtenu pleine satisfaction du moment que ses travaux contestés ont été soumis au jugement de personnes compétentes et de bonne foi, ainsi qu'il résulte de sa demande adressée au directeur général du Centre commun de recherches qui a fait siennes les conclusions de cet examen.
Il faut cependant observer que l'avis formulé par ce groupe d'experts concerne exclusivement la valeur scientifique des résultats des recherches du requérant, sur laquelle il exprime des réserves, sans considérer aucunement la loyauté et l'honorabilité des méthodes de recherche suivies par celui-ci. C'est pourquoi le document ne peut pas satisfaire la demande du requérant de voir éliminées les accusations formulées, à propos, précisément, de ses méthodes et de sa probité scientifique, dans le
mémorandum du 4 mai 1971 qui avait été communiqué à plusieurs fonctionnaires du Centre de recherches.
5. Le requérant peut-il légitimement prétendre de l'institution à laquelle il appartient qu'elle intervienne au sujet des accusations formulées par un supérieur hiérarchique à propos d'une activité de service, en ce sens que, si elle ne peut pas démontrer le bien-fondé des accusations, elle doit en disculper le fonctionnaire? En d'autres termes, le requérant peut-il prétendre que les autorités compétentes de son institution usent de tout ce qui est en leur pouvoir pour faire la lumière sur le
bien-fondé des accusations et, dans le cas où ce bien-fondé ne peut pas être démontré, elles les fassent retirer publiquement?
Il est conforme à un critère général de bonne administration que, dans des cas de ce genre, l'institution ne puisse pas simplement s'en désintéresser en laissant se détériorer les rapports entre les fonctionnaires, comme s'il s'agissait de faits étrangers au service. Elle a, au contraire, le devoir précis de mettre tout en œuvre pour assainir la situation, non seulement parce qu'elle est incompatible avec l'intérêt du service, mais aussi — et ceci intéresse l'affaire — parce qu'elle est contraire
au respect de la personnalité des fonctionnaires que l'institution doit garantir dans son cadre. C'est ce qui résulte également de l'article 24 du statut, que notre jurisprudence considère clairement comme applicable également dans le cas d'événements internes aux institutions (arrêt rendu dans l'affaire 83-63, Krawczynski, Recueil 1965, p. 773). Il n'est pas douteux qu'en l'espèce les services de la Commission auraient été les plus qualifiés pour faire la pleine lumière sur les faits contestés,
qui se rapportent à une activité de la Commission de l'énergie atomique.
Il résulte, en effet, des déclarations de la défenderesse, qu'à partir du moment où l'idée d'une procédure disciplinaire a été abandonnée, la Commission a considéré la question comme une controverse privée entre M. Malvicini et le requérant. Mais devant les affirmations portant atteinte à la correction professionnelle d'un fonctionnaire et émises par son supérieur hiérarchique à propos d'une activité de service, il est inadmissible qu'après avoir considéré les accusations comme étant d'une
gravité telle qu'elles pourraient justifier l'ouverture d'une procédure disciplinaire, l'institution, dont les deux fonctionnaires dépendent, laisse ensuite tomber toute l'affaire dans le néant, sans apporter un éclaircissement adéquat.
Priée par la Cour de préciser, à l'audience, les raisons pour lesquelles elle n'avait pas estimé nécessaire de vérifier les faits attribués au requérant par son supérieur hiérarchique, la Commission n'a pas fourni d'explications valables.
Il ressort du dossier personnel du requérant qu'il s'agit d'un fonctionnaire pourvu de très bonnes qualités tant en ce qui concerne la préparation scientifique que le rendement et le comportement dans le travail. A partir de son entrée en service, qui remonte à 1961, les rapports d'information périodiques qui le concernent sont tous nettement positifs. Cela vaut aussi pour les deux dernières notations effectuées en 1967 et 1969 par le chef de division Malcivini lui-même. L'omission de la
défenderesse de faire tout ce qui était en son pouvoir pour clarifier une situation aussi fâcheuse est donc d'autant plus grave. Par conséquent, on peut bien dire que cette omission constitue une violation de l'obligation établie par l'article 24 du statut des fonctionnaires et une faute susceptible de faire naître une responsabilité à la charge de la défenderesse pour le préjudice qui en résulte pour le requérant, si elle ne peut pas démontrer le bien-fondé des accusations émises.
La Cour se trouve maintenant devant une situation dans laquelle, tout en constatant l'illégalité du comportement de la Commission qui s'est traduit par la décision de refus attaquée ici, elle ne peut pas accorder elle-même pleine satisfaction au requérant, étant donné que, pour statuer sur la réhabilitation demandée, il faudrait examiner le fond des accusations portées contre lui; ce qui comporterait des enquêtes sur des points de fait et des appréciations dans une matière extrêmement technique,
que la Cour n'est pas en mesure d'effectuer sans une expertise.
6. La Commission a expressément offert à la Cour de procéder à une expertise dans le cas où vous n'accueilleriez pas sa thèse principale selon laquelle il s'agirait d'une question de divergence scientifique entre deux fonctionnaires à laquelle elle aurait le droit de rester étrangère. Le requérant, lui aussi, tout en exprimant des réserves quant à la possibilité de reconstituer exactement les circonstances après tant de temps, ne s'oppose pas à des mesures d'instruction visant à élucider les faits
qui sont à l'origine des accusations de M. Malvicini.
Après l'audience, la Commission a formellement offert au requérant de procéder à une répétition de l'expérience. Mais cette répétition qui aurait probablement pu éviter le présent procès si elle avait été effectuée à temps, n'a pas d'incidence directe sur la solution de la controverse, puisqu'elle concerne la validité scientifique des résultats de la recherche antérieure et non pas l'honnêteté du comportement du requérant.
Pour se prononcer sur le fond de la demande principale du requérant, il faudrait en particulier clarifier les points suivants:
1) Est-il exact que M. Guillot a fourni à son supérieur, M. Malvicini, le résultat de ses recherches déjà adapté par rapport aux résultats fournis par les enregistrements de «l'imprimante» et de la calculatrice, sans indiquer aucunement l'adaptation survenue?
2) Cette première adaptation des données communiquées à M. Malvicini ne concerne-t-elle que les six dernières mesures, comme le requérant paraît l'affirmer (dans son mémorandum du 7 mai 1972 adressé au directeur Caprioglio) ou si, au contraire, elle concerne aussi d'autres parties précédentes de l'expérience, comme l'affirme M. Malvicini dans sa note du 21 octobre 1971; et existe-t-il une justification scientifiquement acceptable à cet égard?
3) Une fois ces deux points de fait élucidés, il faudrait recueillir l'avis de scientifiques à propos de la correction professionnelle du comportement adopté par M. Guillot:
a) en modifiant les valeurs trouvées;
b) dans la façon de présenter le résultat des recherches qui lui ont été confiées.
Ce n'est qu'après avoir clarifié ces points que la Cour pourrait être en mesure de se prononcer entièrement sur le fond de la demande principale du requérant: en en tirant les éléments nécessaires pour apprécier également la bonne foi de tous ceux qui sont impliqués dans l'affaire.
En l'absence d'une enquête menée par la Cour elle-même avec l'aide d'experts, le mécanisme de la présente procédure ne permet donc pas de satisfaire pleinement la prétention essentielle du requérant. En effet, outre que la Cour n'est pas en mesure de s'occuper du fond des accusations contestées par le requérant, il ne serait pas possible d'en dénier le bien-fondé sans entendre préalablement au moins l'accusateur, qui ne peut pas être désavoué, ce qui impliquerait une décision préjudiciable pour
lui (il serait en effet placé dans la situation d'un calomniateur) sans que lui soit au moins offerte la possibilité de prouver la véracité de ses affirmations. Il ne serait pas équitable de faire supporter à un tiers l'inertie coupable de la Commission.
A ce stade et dans l'état du dossier, nous ne pouvons donc que constater que la Commission a manqué à son obligation de faire la lumière sur les accusations portées contre un fonctionnaire par son supérieur hiérarchique à propos d'une activité qui, même si elle n'entrait pas strictement dans le programme de travail du Centre auprès duquel elle se déroulait, était cependant toujours une activité de la Communauté à laquelle le Centre appartient et devait donc être considérée comme une activité de
service. C'est pourquoi, en remaniant la conclusion principale du requérant et en la comprenant comme une demande visant à sa réhabilitation — ainsi qu'il a d'ailleurs montré dans la réplique qu'il voulait qu'on le comprenne — la Cour peut simplement constater que la défenderesse n'a pas rempli son obligation de faire la lumière sur les accusations portées contre le requérant; avec cette conséquence que la Commission ne pourra plus se soustraire aux obligations qui en résultent sous peine de
contrevenir non seulement, comme elle l'a déjà fait, à une obligation découlant du statut, mais encore à un arrêt de la Cour annulant son refus à cet égard et de s'exposer par conséquent à des actions ultérieures en dommages-intérêts.
7. La défenderesse excipe de l'irrecevabilité des conclusions du recours visant à l'annulation du refus d'autoriser le requérant à continuer ses expériences en coopération avec la section biologie.
Étant donné que l'interdiction de poursuivre ces expériences a été émise par le chef de division Malvicini, par note du 9 juillet 1971, à la date où le requérant avait demandé au directeur général Caprioglio d'annuler cette décision, le 8 novembre 1971, il aurait déjà été forclos pour introduire une réclamation en application de l'article 90 du statut. Par conséquent, toujours selon la défenderesse, la réclamation ultérieure, du 3 janvier 1972, adressée à la Commission, ne pouvait pas rouvrir un
délai déjà expiré. La décision ultérieure explicite adoptée par la Commission et attaquée dans la présente affaire aurait d'ailleurs un caractère purement confirmatif par rapport à la décision du 9 juillet.
L'exception ne paraît pas fondée. En effet, la décision du 9 juillet 1971, relative à la suspension des expériences en question, était formulée de telle manière que l'on ne pouvait lui reconnaître qu'un caractère purement provisoire, dépendant des constatations en cours concernant les résultats des expériences accomplies précédemment par le requérant. Selon une jurisprudence constante, seule une prise de position définitive de l'autorité administrative compétente fait courir les délais de
recours. C'est pourquoi la demande adressée, par le requérant au directeur général, le 8 novembre 1971, relative à la reprise des expériences précédemment suspendues et invitant l'autorité hiérarchiquement compétente à adopter une décision sur une question qui, selon toutes les apparences, était restée en suspens, ne peut pas être considérée comme ayant été introduite hors des délais, de même que la demande du 3 janvier 1972, adressée, à ce sujet, à la Commission elle-même, ne l'est pas.
Quant au fond de cette demande, la défenderesse allègue, en outre, qu'aucun fonctionnaire ne peut prétendre à des fonctions déterminées, mais qu'il a seulement le droit d'obtenir des fonctions correspondant à son grade.
Il est certain que, sans cette réserve, l'autorité compétente est libre d'apprécier l'intérêt du service et de prendre en conséquence une décision quant à la répartition des fonctions. Mais ici, il ne s'agit pas d'un cas dans lequel le fonctionnaire se plaint des fonctions qui lui sont attribuées en les jugeant, comme cela s'est produit parfois, nons satisfaisantes ou inadéquates à sa préparation. Il s'agit d'une protestation dirigée contre une décision de suspension de certaines de ses
activités, décision qui a toute l'apparence d'avoir été déterminée par la situation particulière qui s'était créée à la suite des accusations portées à l'égard du requérant par l'auteur même de la décision de suspension. Rappelons que la fiche annuelle relative à l'activité du requérant prévoyait l'exercice de ces fonctions pendant toute l'année 1971, telles qu'il les avaient remplies également pendant l'année précédente.
Il est donc logique de penser que, si l'épisode principal qui est à l'origine de cette affaire, concernant les accusations de malhonnêteté adressées au requérant, ne s'était pas produit, celui-ci aurait pu continuer les recherches en question. L'affirmation contenue dans la décision attaquée, selon laquelle ce genre de recherches ne faisait pas partie du programme du Centre ne suffit pas pour écarter cette hypothèse. Même à l'époque où le requérant était autorisé à effectuer ces recherches, il
s'agissait pourtant toujours d'une activité dirigée par la section biologie, qui est organiquement distincte du Centre d'Ispra. D'autre part, selon des affirmations émises par le requérant et non contredites par la défenderesse, le fait que les recherches en question ne figuraient pas expressément dans le programme de travail du Centre commun n'aurait pas empêché qu'elles continuent à être effectuées par d'autres fonctionnaires travaillant en son sein.
Dans cette situation, nous devons estimer que les raisons fournies par la Commission pour justifier le refus opposé à la demande présentée par le requérant ne sont pas pertinentes.
Par conséquent, une décision de suspension qui pouvait être justifiée sur le moment, compte tenu de l'enquête préliminaire qui était en cours à l'égard de M. Guillot, a ensuite pris l'aspect d'une sanction, en persistant sans justification valable.
Puisque, d'ailleurs, l'issue négative de cette demande paraît être étroitement liée à l'attitude de désintérêt dont la Commission a fait preuve à propos de l'éclaircissement des accusations portées contre le requérant, nous pouvons voir ici une décision accessoire par rapport à un comportement illicite et dépendant de ce dernier, tout au moins en fait.
Bien que la Cour ne puisse certainement pas ordonner à la défenderesse de faire reprendre officiellement au requérant les recherches en question, puisque cela constituerait une interférence dans l'organisation des services de la Commission, les considérations exposées ci-dessus justifient l'annulation des décisions sur ce point également, et, en conséquence, l'obligation, pour la Commission, de reconsidérer l'ensemble de l'affaire.
8. Venons- en enfin à la demande de dédommagement. Le requérant a demandé que la défenderesse soit condamnée à lui payer la somme de 100000 francs belges pour le dommage moral et matériel résultant de son refus d'obliger M. Malvicini à retirer ses accusations et à reconnaître la véracité des résultats et expériences en. question.
A la suite du remaniement du premier chef des conclusions du recours, cette demande de dédommagement trouve plus exactement sa cause dans le refus de la Commission de réhabiliter le requérant.
Le requérant demande, en outre, 100000000 francs belges supplémentaires pour le dommage moral et matériel résultant de l'interdiction de continuer ses recherches.
La proposition que nous vous avons faite d'admettre les demandes précédentes d'annulation présentées par le requérant ne préjuge pas de la question du bien-fondé des accusations sur lesquelles les demandes de dédommagement sont fondées.
En attendant l'issue de l'action que la Commission devra entreprendre à ce sujet, il n'y a pas de raison, pour que la Cour se prononce dès maintenant sur ces demandes, que nous devons considérées comme subordonnées.
En réalité, si, par hypothèse, lesdites accusations étaient fondées, le comportement illicite de la Commission, consistant dans l'omission déjà constatée, n'aurait provoqué aucun préjudice au requérant, et cela parce qu'il n'est pas possible d'imputer au supérieur administratif, ni par conséquent à la Communauté, une critique adressée à propos d'une activité reconnue irrégulière de l'agent, celui-ci fût-il un chercheur scientifique. En revanche, la solution serait inverse si les critiques
paraissaient comme non fondées, ou si la Commission ne faisait pas tout ce qui est possible pour clarifier la réalité des faits. En raison de la protection qui doit être assurée à la personne des fonctionnaires à cet égard également, nous ajoutons que le droit à dédommagement devait être reconnu même dans l'hypothèse où l'enquête effectuée par les experts ne parviendrait pas clairement à établir les irrégularités qui ont été reprochées au requérant.
En revanche, l'objet de ce procès n'est pas de statuer sur la question de savoir si un dédommagement pourrait être dû pour un retard dans l'action de la Commission. En effet, une demande en ce sens n'a été présentée ni explicitement ni implicitement: ne eat iudex ultra petita partium. Ajoutons que la référence au fait du retard est de toute manière absorbée par la décision principale. En effet, dans l'hypothèse où les accusations portées contre le requérant se révéleraient non fondées, il
faudrait naturellement, lors de l'évaluation du dommage subi, tenir compte également du retard avec lequel sa réhabilitation interviendra, par la faute de la Commission.
Toute décision à cet égard reste donc réservée. Ces demandes en réparation ne pourront être considérées de manière adéquate que dans une seconde phase du présent procès, lequel pourra être repris, dans un délai raisonnable, à la demande d'une des parties.
Nous concluons donc à l'annulation de la décision attaquée et à la condamnation de la défenderesse aux dépens.
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( 1 ) Traduit de l'italien.