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03/07/1974 | CJUE | N°11-74

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Trabucchi présentées le 3 juillet 1974., Union des minotiers de la Champagne contre Gouvernement français., 03/07/1974, 11-74


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 3 JUILLET 1974 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Au cours d'un procès intenté devant le Conseil d'État français, l'Association qui groupe les minotiers de la Champagne a excipé de l'illégalité du système communautaire des prix d'intervention dérivés, établi dans le secteur des céréales. La juridiction française vous a renvoyé la question sans rien ajouter aux critiques de la requérante.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 3 JUILLET 1974 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Au cours d'un procès intenté devant le Conseil d'État français, l'Association qui groupe les minotiers de la Champagne a excipé de l'illégalité du système communautaire des prix d'intervention dérivés, établi dans le secteur des céréales. La juridiction française vous a renvoyé la question sans rien ajouter aux critiques de la requérante.

Cependant, au cours de cette procédure préjudicielle, l'Union des minotiers n'a pas fait diligence pour préciser la portée et le fondement des critiques, qui n'apparaissent pas très clairement. Les institutions intervenantes qui défendent la légalité de la réglementation en question semblent avoir été placées, elles aussi, dans la situation incommode de ne pas savoir quel était le sens exact des arguments à réfuter.

Puisque, dans un procès ayant pour objet le contrôle préjudiciel de la validité des actes communautaires, votre tâche n'est pas d'effectuer un contrôle complet et définitif de la légalité de l'acte considéré, mais seulement de dire si les doutes exprimés à cet égard ou simplement rapportés par le juge national sont fondés, inévitablement le caractère laconique et la précision insuffisante des critiques formulées en l'espèce se refléteront aussi sur notre examen.

En outre, il faut également observer que, comme il s'agit d'un contrôle de pure légalité, il n'est pas question d'attacher de l'importance à des considérations d'opportunité et de convenance qui pourraient être présentées en faveur de l'instauration d'un système différent de celui qui est critiqué, c'est à dire, en l'espèce, en faveur du système du prix d'intervention unique par rapport à celui des prix d'intervention dérivés dont nous allons parler.

Une procédure pendante devant le Conseil d'État français, attaquant un décret interne de l'État parce qu'il reproduit un règlement communautaire que l'on prétend illégal, a conduit cette haute juridiction française à vous soumettre la présente question préjudicielle en raison du lien essentiel qui existe entre la règle interne d'application et la réglementation communautaire. Les doutes formulés par la Commission au sujet de l'intérêt de l'action ne semblent pas fondés: en effet, une décision
préjudicielle d'invalidité des règles communautaires ne peut pas ne pas avoir des répercussions directes et générales, en sus de la nullité de l'acte interne de l'État qui se limite à les reproduire.

2. En établissant l'organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, par le règlement no 120/67 du 13 juin 1967, le Conseil a estimé nécessaire, pour faciliter «la compensation entre les excédents des zones productrices et les besoins des zones déficitaires, de fixer des prix d'intervention dérivés du prix de base, de telle sorte que les différences entre. eux reflètent les écarts dus, en cas de récolte normale, aux conditions naturelles de formation des prix sur le marché et que
l'offre et la demande puissent s'adapter librement sur ce marché». Tel est le principe de ce qu'on appelle la «régionalisation» des prix communautaires, dont l'article 4 du règlement décidait la fixation pour le blé tendre, le blé dur, l'orge, le maïs et le seigle.

Par le règlement d'application no 131/67, adopté à la même date, le Conseil fixait les règles applicables pour la dérivation des prix d'intervention. A ce propos, l'article 1 distingue cinq types de zones en fonction des conditions naturelles de formation des prix de marché.

Selon les dispositions de cet article, pour la fixation des prix d'intervention dérivés, il y a lieu de considérer que les prix de marché s'établissent comme suit sur la base des conditions naturelles de formation des prix :

«— dans les zones déficitaires dont l'approvisionnement dépend dans une certaine mesure des importations, en fonction du prix auquel la céréale importée est offerte dans ces zones ;

— dans les zones de production dont les excédents contribuent dans une certaine mesure à l'approvisionnement des zones précitées, en fonction du prix défini ci-dessus et des frais de transport jusqu'à ces zones ;

— dans les ports d'exportation, en fonction du prix dans la zone de production la plus importante pour les exportations et des frais de transport jusqu'au port d'exportation le plus important pour cette zone ;

— dans les autres zones de production, dont les excédents sont susceptibles dans une certaine mesure d'être exportés, en fonction du prix valable dans les ports d'exportation et des frais des transport jusqu'à ces ports ;

— dans les zones déficitaires autres que celles citées précédemment, en fonction des prix dans la zone excédentaire la mieux placée du point de vue du fret et en fonction des frais de transport vers la zone déficitaire.»

Pour la première de cinq classes concernant des zones déficitaires qui s'approvisionnent en partie auprès des pays tiers, le prix de marché est déterminé par le prix CAF additionné du prélèvement et des frais de transport. Le prix d'intervention établi pour ces zones sert directement ou indirectement de référence pour la fixation du prix d'intervention pour les autres zones.

Cette classification se rattache donc directement ou indirectement à la situation géographique des différentes zones de production par rapport aux zones déficitaires considérées en premier Heu.

3. Sur la base du schéma établi par l'article 1 du règlement no 131/67, et en partant du prix d'intervention de base pour la zone la plus déficitaire de la Communauté, c'est à dire Duisbourg, le Conseil détermine chaque année les principaux centres de commercialisation et les prix d'intervention dérivés valables pour ces centres conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 4, b), du règlement no 120/67.

Le deuxième considérant du règlement no 131/67 précise toutefois que le niveau des prix de marché qui, comme nous l'avons observé, sont établis en fonction des conditions naturelles des prix, et qui servent à la détermination des prix d'intervention dérivés, n'est pas uniquement déterminé par les frais de transport vers Duisbourg, centre de commercialisation de la zone déficitaire du nord-ouest de la Communauté; qu'il convient également de tenir compte de la situation géographique des zones
excédentaires et déficitaires de la Communauté, des besoins d'autres zones de consommation, des importations en provenance des pays tiers et des possibilités d'exportation.

La fixation des prix d'intervention dérivés dépend donc d'une série de considérations qui ne sont pas liées à de simples calculs, c'est pourquoi elle a nécessairement un caractère forfaitaire. En effet, s'il existe des limites précises à l'intérieur desquelles ces prix doivent se maintenir (celles, bien entendu, qui résultent en particulier de l'article 4, selon lequel «les prix d'intervention dérivés ne sont en aucun cas fixés à un niveau supérieur à celui des prix d'intervention de base» et de
l'article 3, selon lequel «ces prix sont fixés de telle sorte qu'il n'existe aucune discrimination entre les producteurs de la Communauté et notamment de façon que des céréales en provenance d'une région ne puissent être offertes dans une autre région en-dessous du prix d'intervention qui y est applicable»), en application des autres critères le Conseil dispose certainement, dans la fixation périodique du prix en question, d'une marge laissée à son appréciation.

Dans le marché unique des céréales, caractérisé par la fixation d'un niveau commun des prix, la régionalisation du niveau de la garantie constituée précisément par le prix d'intervention devrait donc permettre d'adapter cette garantie aux différences régionales qui existent entre les différentes zones de la Communauté sur le plan de la production et du commerce.

4. Au cours du procès pendant devant le Conseil d'État, l'Union des minotiers de la Champagne a soutenu que le règlement no 1210/70/CEE du Conseil du 29 juin 1970, qui fixe, pour la campagne 1970-1971, les prix d'intervention dérivés pour les principales places du marché des céréales sur la base des normes indiquées ci-dessus devrait être considéré comme nul parce qu'il a été établi en violation et des règles de l'article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité CEE, relatif à l'interdiction de
discrimination entre producteurs et consommateurs de la Communauté, et des dispositions des règlements no 120/67 et 131/67 qui interdisent de modifier les différences de prix résultant du jeu naturel de l'offre et de la demande, et de provoquer des perturbations des courants commerciaux naturels. Cette association part de la constatation que le mode de fixation des prix d'intervention dérivés a eu dans la pratique des conséquences économiques contraires aux principes énoncés par les règlements
no 120/67 et 131/74, en causant aux minotiers de la Champagne un préjudice grave et injuste. Ainsi, le prix d'intervention dérivé pour les campagnes 1967-1968 et 1969-1970 s'est trouvé fixé par exemple à 47 FF dans la Marne, tandis qu'il était de 45,13 FF dans le centre de la France ce qui veut dire que, dans la Marne, les minotiers seront défavorisées, parce qu'ils ne pourront pas acheter du blé au-dessous de 47 FF; cela leur cause un préjudice par rapport à leurs concurrents du Centre de la
France, surtout en période de récolte abondante, lorsque le prix d'intervention devient nécessairement le prix de marché. Réciproquement, dans le Centre de la France, ce sera le producteur qui se trouvera désavantagé dans la commercialisation de sa récolte par rapport au producteur de la région de la Marne.

Si les doutes ainsi exprimés quant à la légalité du règlement no 1210/70 concernaient exclusivement la manière dont le Conseil a appliqué les règles et les critères fixés par le règlement no 131/67, nous devrions constater l'absence dans l'ordonnance de renvoi de toute indication relative à la raison de ces doutes. En revanche, l'unique motif que nous possédons et qui se trouve dans les observations présentées par l'association requérante devant le Conseil d'État concerne, en substance, la
compatibilité des critères établis par l'article 1 du règlement no 131/67 pour la détermination des prix de marché avec le règlement de base no 120/67.

Rappelons que la détermination de cet élément est essentielle pour fixer les prix d'intervention dérivés, conformément aux dispositions de l'article 4, paragraphe 1, du règlement no 120/67.

5. L'association intéressée ne fournit aucun élément pour prouver le bien-fondé de son affirmation relative à la contradiction qu'elle semble apercevoir entre les résultats de l'application de la réglementation considérée et le principe selon lequel le système du prix d'intervention dérivé devrait respecter les conditions naturelles de formation des prix. Les phénomènes économiques décrits par la requérante pour les périodes d'abondance de récolte et pour les périodes de pénurie ne prouvent rien du
moment que, conformément au principe déjà établi dans l'article 4, paragraphe 1, du règlement de base no 120/67, on doit tenir compte des conditions naturelles de formation des prix sur le marché «en cas de récolte normale» et donc en dehors des cas de production excédentaire ou déficitaire par rapport à la normale.

Le fait que les minotiers de la Champagne ne réussissent plus à vendre dans la Région parisienne ce qu'ils vendaient traditionnellement, par suite de la concurrence avec des minotiers du Centre de la France, avantagés (du moins en périodes de récolte abondante) par un prix d'intervention inférieur, apparaît à la requérante dans l'affaire principale comme une contradiction avec le principe établi par l'article 6 du règlement no 131/67, selon lequel «les prix d'intervention dérivés sont fixés de
façon telle qu'ils ne puissent entraîner des perturbations dans les courants commerciaux naturels». Elle interprète cette disposition qui, par ailleurs, n'est expressément prévue que pour les décisions de la Commission comme une garantie du maintien des courants commerciaux traditionnels, préexistants à la création d'un marché agricole commun.

Cette interprétation n'est pas acceptable. Même si l'on devait voir dans cette disposition l'expression d'un critère général, il faudrait observer que dans un marché commun qui s'étend à plusieurs États, les courants commerciaux pourraient difficilement demeurer tels qu'ils étaient dans les différents marchés nationaux avec l'instauration du Marché commun. Cela vaut d'autant plus pour des pays qui, comme c'était par exemple le cas de la France, étaient caractérisés par un fort protectionnisme
réalisé par divers moyens et interventions publics restreignant la libre circulation et la concurrence. Avec l'élimination de ces obstacles à la suite de l'institution du marché commun agricole, les courants commerciaux ne pourront plus rester inchangés, les consommateurs des États producteurs traditionnellement plus protectionnistes ayant désormais la possibilité de s'adresser à un fournisseur mieux placé par rapport à la zone de consommation, même s'il s'agit d'un fournisseur d'un État autre
que le leur, en changeant ainsi leur fournisseur normal précédent qui, pour des raisons très peu naturelles, était traditionnellement installé dans leur État. Ainsi, par exemple, certaines zones françaises de production pourront désormais devenir des fournisseurs naturels de céréales pour la Ruhr, supplantant ainsi la Bavière, fournisseur traditionnel de céréales pour cette région.

C'est donc à cette nouvelle situation qu'il faut se référer pour donner une signification à la notion de «courants commerciaux naturels» à laquelle l'article 6 du règlement no 131/67 fait allusion: ces courants ne peuvent être que ceux qui se sont créés ou qui sont destinés à se créer en raison précisément de la nouvelle situation engendrée par l'institution du marché commun agricole. Face à ces courants, la réglementation des prix d'intervention doit revêtir une sorte de caractère généralement
neutre.

Quant à la prétendue violation de l'interdiction de discrimination établie par l'article 40, paragraphe 3, du traité, rappelons tout d'abord que cette disposition est destinée à protéger essentiellement les intérêts des producteurs agricoles et des consommateurs et non ceux des transformateurs et des commerçants de produits agricoles. Mais même si l'on se place sur le plan de l'interdiction plus générale de discrimination qui est inhérente au traité lui-même et qui défend aux institutions
communautaires d'opérer des différences arbitraires de traitement entre les différents sujets des règles communautaires, on n'aperçoit aucune incompatibilité entre la réglementation considérée et ce principe. En effet, les différences existaient entre les prix d'intervention dérivés et résultant des critères de l'article 1 n'ont pas un caractère arbitraire. Nous avons vu qu'elles se fondent sur des critères et des exigences objectifs et en premier lieu sur celui de la situation des différentes
zones de production par rapport aux zones déficitaires. Comme le prix d'intervention de base est fixé en fonction des zones déficitaires de la Communauté, il semble logique que les prix d'intervention dérivés soient établis essentiellement en fonction de la situation des différentes zones non déficitaires par rapport aux zones déficitaires; compte tenu de ce critère objectif et parfaitement conforme non seulement à la logique de l'organisation commune du marché des céréales et de l'économie du
marché, mais encore aux exigences de circulation des produits dans la Communauté, la fixation pour l'Est de la France d'un prix d'intervention dérivé plus élevé que dans la région excédentaire du Centre s'explique si l'on considère, comme le fait la Commission, que les acheteurs allemands des zones déficitaires, qui revêtent de l'importance pour cette région de la France, offrent dans la région excédentaire mieux située pour eux du point de vue de la distance, c'est à dire l'Est de la France, des
prix plus élevés qu'ils ne le sont dans le Centre, étant donné l'incidence plus forte que le prix de transport depuis cette région plus lointaine aurait sur le coût. La donnée statistique fournie par la Commission, selon laquelle les ventes de farine de France en Allemagne ont augmenté de près du double après l'application du régime des prix d'intervention dérivés, n'est pas dénuée d'intérêt.

Il s'agit donc de différences fondées sur des critères non discriminatoires et conformes à l'esprit du système, qui ne révèlent rien d'arbitraire.

Nous vous proposons donc de répondre à la question posée par le Conseil d'État français, en affirmant que l'examen de la question soulevée par le juge a quo n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter la validité du règlement du Conseil no 1210/70/CEE.

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( 1 ) Traduit de l'italien.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11-74
Date de la décision : 03/07/1974
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - France.

Prix d'intervention derivés.

Agriculture et Pêche

Céréales


Parties
Demandeurs : Union des minotiers de la Champagne
Défendeurs : Gouvernement français.

Composition du Tribunal
Avocat général : Trabucchi
Rapporteur ?: Sørensen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1974:75

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