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26/02/1975 | CJUE | N°44,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Trabucchi présentées le 26 février 1975., Marie-Louise Acton et autres contre Commission des Communautés européennes., 26/02/1975, 44,


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 26 FÉVRIER 1975 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les juges,

Dans l'affaire dans laquelle nous sommes appelés à vous présenter nos conclusions, après qu'aient été soulevées des exceptions d'irrecevabilité, la discussion sur le fond a été engagée.

La logique de la procédure imposerait certes qu'on examine en premier lieu les questions ayant trait à la recevabilité, car c'est seulement lorsqu'elles auront été résulues que la Cour pourra juger le fond

de l'affaire. Mais, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, dans un cas comme celui-ci, où plus d...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,

PRÉSENTÉES LE 26 FÉVRIER 1975 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les juges,

Dans l'affaire dans laquelle nous sommes appelés à vous présenter nos conclusions, après qu'aient été soulevées des exceptions d'irrecevabilité, la discussion sur le fond a été engagée.

La logique de la procédure imposerait certes qu'on examine en premier lieu les questions ayant trait à la recevabilité, car c'est seulement lorsqu'elles auront été résulues que la Cour pourra juger le fond de l'affaire. Mais, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, dans un cas comme celui-ci, où plus de 500 fonctionnaires de la Commission soulèvent une question de droit pour demander la solution d'un problème qualifié à la fois d'économique et de moral, nous estimons que l'ordre logique
élémentaire lui-même, qui est d'ailleurs également l'ordre juridique, peut être, pour une fois, interverti en considération d'une circonstance particulière. Sur le fond du problème la solution revêt, à notre avis, un caractère tellement certain qu'il s'ensuit qu'à tout point de vue, il convient de l'aborder en premier lieu et de vous proposer une décision dont la perspective dépasse tout cloisonnement procédural normal.

On demande l'annulation des décisions par lesquelles la Commission a procédé à une retenue sur le traitement de ses fonctionnaires en raison des deux dernières journées d'une grève qui s'est déroulée du 11 au 15 décembre 1972.

S'il était nécessaire d'examiner l'ensemble des questions qui se posent en matière de grève, les problèmes à traiter pourraient être multiples, à commencer par la réponse qu'il faudrait donner au préalable sur la licéité d'une grève des fonctionnaires de la Communauté en l'absence d'une disposition légale réglementant le phénomène. Mais nous estimons qu'il est également possible d'aller au-delà de ce thème fondamental en rappelant des éléments qui procèdent de l'essence du phénomène social en
question.

Qu'est-ce au fond que la grève?

Il ne faut certes pas considérer le fait de s'abstenir de travailler, de façon concertée, dans la poursuite d'un objectif syndical, sous l'angle du critère atomistique d'une somme de violations inviduelles du rapport de travail. La réalité sociale de l'âge moderne a créé ce phénomène particulier qui, étant donné ses caractéristiques, s'identifie à un moyen dont dispose la catégorie des travailleurs pour atteindre un objectif collectif. Dans cette optique, la grève a une consistance sociale propre,
qui la caractérise, et constitue un phénomène bien circonscrit dans son essence et dans ses effets. Or, précisément pour ce phénomène, il est normalement et généralement accepté que le fait pour les divers participants de s'abstenir de travailler s'accompagne raisonnablement — si du moins on n'entend pas méconnaître l'ordre logique élémentaire — du non-versement de la rémunération du travail que précisément on a entendu ne pas exécuter à titre démonstratif. Si cet élément faisait défaut, la grève
perdrait tout son sens et, dirions-nous, sa morale même; elle ne pourrait plus prétendre être appréciée dans sa justification unitaire, en tant que moyen de lutte rentrant dans la dynamique d'une conception juridique large du rapport de travail, et serait alors un simple refus de droit. Dans cette perspective il faudrait alors d'autant plus protéger la position adverse du donneur d'ouvrage qui ne pourrait accepter une violation déclarée du contrat qui le lie au travailleur individuel.

Donc, abstraction faite de toute considération plus engagée sur la légalité du moyen de lutte sociale lorsqu'il est mis en œuvre par des fonctionnaires publics, et abstraction faite du silence du statut du personnel, il apparaît certain et indiscutable que lorsqu'il s'agit de grève mise en œuvre par des salariés, ceux-ci ne peuvent prétendre percevoir pour les jours où ils se sont abstenus de travailler, la rémunération d'un travail qu'ils n'ont pas exécuté et, en conséquence, ne peuvent s'opposer à
sa répétition sous forme de retenue sur salaire en application de l'article 85 dudit statut. Cette affirmation, qui se fonde sur la nature même de l'instrument mis en œuvre dans la logique syndicale va également bien au-delà de l'application même de la thèse qui se réclame de la théorie du «service rendu».

Cela suffit pour déclarer que la prétention des requérants n'est pas fondée.

Dans une perspective plus limitée et traditionnelle, on pourrait également faire observer que le principe général de l'équivalence des prestations qui existe également dans le rapport de travail de la fonction publique, est consacré par le statut des fonctionnaires des Communautés, ainsi qu'il résulte textuellement de l'article 40 en vertu duquel le fonctionnaire n'a droit à aucune rémunération durant la période de congé de convenance personnelle et de l'article 42 selon lequel le fonctionnaire
incorporé dans une formation militaire pour effectuer son service légal, tout en continuant à bénéficier des dispositions du statut concernant l'avancement d'échelon et la promotion, cesse de percevoir une rémunération.

Étant donné le caractère nécessairement collectif de la grève, il est impossible d'accepter, même par analogie, l'argument que les requérants tirent de l'article 60 du statut qui a été conçu dans l'optique de comportements individuels d'une nature tout à fait différente.

Il a été question du caractère prétendument répressif de la retenue, en raison du fait que n'en sont pas frappés les fonctionnaires qui ont cessé de faire grève à partir du 14 décembre; il a été question également de discrimination parce que, dans d'autres cas ou dans d'autres institutions, la retenue n'aurait pas été appliquée. Il ne nous appartient pas, et nous ne croyons pas qu'il vous appartienne, de rechercher pour quels motifs l'institution défenderesse elle-même ou d'autres institutions de la
Communauté, n'ont pas appliqué la retenue à leurs fonctionnaires qui ont fait grève. On peut supposer que des motifs particuliers ont été à la base des décisions prises. Il est de toute façon certain que le simple fait que les administrations communautaires se soient détournées de l'application rigoureuse d'un critère juridiquement certain n'autorise pas à demander qu'il soit fait d'autres exceptions à la règle, qui ne se justifieraient pas de façon spécifique.

Il s'ensuit que nous concluons au rejet du recours avec les conséquences de droit.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44,
Date de la décision : 26/02/1975
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Marie-Louise Acton et autres
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Trabucchi
Rapporteur ?: Sørensen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1975:32

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