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28/05/1975 | CJUE | N°70/74

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 28 mai 1975., Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes., 28/05/1975, 70/74


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 28 MAI 1975 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans nos conclusions relatives à une procédure engagée contre le Conseil par divers syndicats de la Fonction publique européenne, nous avons eu, il n'y a pas très longtemps, l'occasion d'expliquer pour quelles raisons les réadaptations annuelles des traitements et pensions versés par les Communautés avaient donné lieu à un différend entre le Conseil, d'une part, les organisations du personnel des Communautés e

uropéennes et la Commission, d'autre part. Nous pouvons donc résumer de manière
relativ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 28 MAI 1975 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Dans nos conclusions relatives à une procédure engagée contre le Conseil par divers syndicats de la Fonction publique européenne, nous avons eu, il n'y a pas très longtemps, l'occasion d'expliquer pour quelles raisons les réadaptations annuelles des traitements et pensions versés par les Communautés avaient donné lieu à un différend entre le Conseil, d'une part, les organisations du personnel des Communautés européennes et la Commission, d'autre part. Nous pouvons donc résumer de manière
relativement brève, l'affaire introduite par la Commission contre le Conseil, dont nous devons traiter aujourd'hui.

La règle fondamentale en la matière, est l'article 65 du statut des fonctionnaires. Selon ce texte, le Conseil procède annuellement à un examen du niveau des rémunérations des fonctionnaires et autres agents des Communautés et, à cet égard, il prend en considération — si nous nous limitons tout d'abord à cette partie de la disposition — l'augmentation éventuelle des traitements publics dans les États membres.

Pour l'application de cette disposition, l'usage s'est établi depuis de nombreuses années — la Commission dit, depuis 1966 — de tenir compte de l'accroissement moyen du pouvoir d'achat des traitements de la fonction publique des États membres. Au début, seul un indicateur dit spécifique communautaire servait à cette fin; il était déterminé en fonction de l'évolution des rémunérations de catégories choisies de fonctionnaires publics nationaux et de l'évolution du coût de la vie.

La méthode utilisée et les résultats obtenus en l'appliquant ont cependant plusieurs fois abouti à des tensions entre les organisations du personnel et le Conseil: les premières reprochaient à cette méthode de ne pas garantir une évolution réellement parallèle des traitements communautaires et des rémunérations de la fonction publique nationale, en ce qui concerne l'accroissement du pouvoir d'achat. C'est pourquoi, en décembre 1970, à la suite d'une invitation adressée par le Conseil à la
Commission, des efforts ont été entrepris en vue d'améliorer la méthode de travail à suivre lors de l'application de l'article 65 du statut des fonctionnaires. Ils ont abouti à ce que, sur proposition de la Commission, le Conseil décide, les 20 et 21 mars 1972, d'appliquer à titre d'essai, pour une durée de trois années, un autre système de détermination de l'évolution du pouvoir d'achat des traitements nationaux. Comme nous l'avons déjà exposé dans nos conclusions dans l'affaire 72-74 (Union
Syndicale/Conseil), ce système est fondé sur deux indicateurs, à savoir un indicateur spécifique amélioré et un indicateur qui retrace l'évolution de la masse salariale par tête dans l'administration nationale.

Cette méthode a été appliquée pour la première fois à la période allant de juillet 1971 à juin 1972, pour laquelle elle a donné un indicateur spécifique de 3,6 % et un indicateur de la masse salariale de 3,9 %. Le Conseil n'ayant pas alors suivi la proposition de la Commission, qui prévoyait une adaptation des traitements bruts de 3,75 %, a décidé, bien plutôt pour des raisons d'accroissement du pouvoir d'achat, d'augmenter les traitements de 2,5 %, à compter du 1er juillet 1972 (voir règlement du
12 décembre 1972); cette décision a donné lieu à une première procédure introduite par la Commission contre le Conseil (affaire 81-72), qui a abouti à l'arrêt du 5 juin 1973 (vol. 1973, p. 575), dans lequel vous avez déclaré que, par sa décision des 20 et 21 mars 1972, le Conseil était obligé de respecter certains critères et qu'il ne disposait d'un pouvoir discrétionnaire qu'entre l'indicateur spécifique commun et l'indicateur de la masse salariale. En conséquence, par décision du 9 août 1973, le
Conseil a décidé une réadaptation des traitements de 3,65 % à compter du 1er juillet 1972.

Les problèmes qui ont abouti à la présente procédure, sont apparus peu de temps après.

Lors de la détermination des valeurs relatives à la période de référence juillet 1972 — juin 1973, la Commission a tout d'abord estimé que le chiffre, qui avait été communiqué comme indicateur spécifique italien, n'était pas de nature à refléter l'évolution du pouvoir d'achat dans la fonction publique italienne parce qu'il n'avait pas tenu compte de toutes les rémunérations effectivement versées. Dans son rapport du 7 novembre 1973, elle a donc utilisé pour l'Italie l'indicateur de la masse
salariale au lieu de l'indicateur spécifique, ce qui a donné un indicateur spécifique commun de 1,6 % (pour les six États membres originaires, et de 1,2 % pour l'ensemble des neuf États membres). En tenant compte de l'indicateur de la masse salariale (3,6 % pour les six États membres originaires, et de 3,2 % pour les neuf États membres), la Commission a cru pouvoir proposer une augmentation des traitements de 2,8 % à compter du 1er juillet 1973.

Toutefois, peu de temps après, elle a reçu d'Italie, des informations selon lesquelles — compte tenu de toutes les allocations — l'indicateur spécifique italien était de 30,4 % pour la période en question, ce qui a abouti à l'établissement d'un nouvel indicateur spécifique commun de 7,3 % pour les neuf États membres ou de 9,8 % pour les six États membres originaires, et à une proposition modifiée qui prévoyait désormais une adaptation des traitements de 3,5 %.

Les informations que la Commission a pu tirer à cette époque des notes du ministère italien du Trésor, puis des règlements et des lois italiennes, l'ont incitée à penser que, dans le passé, la réadaptation des traitements n'avait pas été faite sur une base exacte.

En réalité, les textes cités ont fait apparaître qu'avant décembre 1972 — janvier 1973, certaines allocations accordées aux fonctionnaires italiens avaient certes été prises en considération pour l'indicateur de la masse salariale, mais non pour l'indicateur spécifique. L'insertion dans l'indicateur spécifique n'a eu lieu qu'après cette date, car, à partir de ce moment - là, les allocations considérées ont été soit englobées dans le traitement de base, soit incluses dans une indemnité générale de
réadaptation. La Commission en a informé le Conseil dans une lettre du 10 décembre 1973. Puisque, à son avis, l'augmentation des traitements de 3,5 %, qu'elle proposait, ne compensait pas entièrement les irrégularités constatées, elle envisagerait également de faire des propositions destinées à y remédier.

Ultérieurement, dans une décision du 18 décembre 1973, le Conseil a décidé une réadaptation des traitements de 3,3 % à compter du 1er juillet 1973; mais il a déclaré expressément qu'il était prêt à examiner les propositions annoncées par la Commission.

Dans un rapport du 14 février 1974, cette dernière a présenté une proposition qui prévoyait une augmentation des traitements de 5,4 % à compter du 1er juillet 1972, à titre d'indemnisation de leur réadaptation erronée. C'est en ce sens également qu'a été formulée la proposition de règlement que la Commission a soumise au Conseil le 21 mars 1974. Toutefois, même après avoir entendu deux conseillers neutres (MM. Rey et Barre, respectivement anciens président et membre de la Commission), le Conseil n'a
pas voulu s'y rallier. Au cours de la cession du 21 au 23 juillet 1974, il a décidé de s'en tenir à la décision du 18 décembre 1973, et donc de ne prévoir aucune réadaptation rétroactive des traitements.

Cette décision a incité non seulement les syndicats de la Fonction publique européenne mais encore la Commission, à saisir la Cour de justice, dans le but d'obtenir l'annulation de la décision de juillet 1974 pour violation de l'article 65 du Statut du personnel et de la décision du Conseil du 21 mars 1972.

Dans ce litige, notre position est la suivante:

1. Commençons nos observations par une brève remarque préliminaire.

Comme nous l'avons vu, l'objet de cette procédure est le refus exprimé dans la décision de juillet 1974 de procéder à une réadaptation quelconque des traitements pour les années passées. Selon la Commission, ce refus est illégal, parce que la fixation des traitements de l'année 1972 comme celle de 1973 aurait été viciée, du fait que l'indicateur spécifique commun pour les périodes de référence des deux années citées était défectueux en raison de la détermination erronée de l'indicateur italien
correspondant. Plus exactement, l'indicateur spécifique italien n'aurait pas reflété entièrement l'évolution du pouvoir d'achat des traitements des fonctionnaires italiens pendant la période de référence 1971-1972, une grande partie des allocations versées aux fonctionnaires n'ayant pas été prise en considération. Certes, ces allocations auraient toutes été englobées dans la période de référence 1972-1973, mais on ne pourrait pas oublier que l'indice spécifique ainsi déterminé exprimait non
seulement l'augmentation du pouvoir d'achat de la période de référence 1972-1973, mais aussi, en partie, celle des années passées.

Partant de ces arguments et des faits avancés au cours de la procédure, nous devons toutefois constater en premier lieu que, même en admettant que la critique émise par la Commission soit fondée, ce fait aurait des incidences tout au plus sur la décision de l'année 1972 concernant les traitements, mais non pas sur celle de l'année 1973.

En 1972, comme nous l'avons vu, les auteurs de la décision relative aux traitements s'en sont tenus étroitement à l'indicateur spécifique (3,6 %), sans prendre en considération l'indicateur de la masse salariale (3,9 %). Si donc, il apparaît que, pour la période de référence correspondante, il faut partir d'un indicateur spécifique italien supérieur et donc aussi d'un indicateur spécifique commun plus élevé (l'influence de l'indicateur italien est d'environ 28 %), la décision de cette période
concernant les traitements en subira certainement l'influence, elle aussi.

En 1973, la décision relative aux traitements a été prise en fonction d'un indicateur spécifique de 7,3 % et d'un indicateur de la masse salariale de 3,2 %. Elle a admis une réadaptation de 3,3 %, et s'est donc rapprochée considérablement de l'indicateur de la masse salariale. Si donc, pour cette période, il était apparu nécessaire de réduire l'indicateur spécifique commun, en raison de la diminution de l'indicateur spécifique italien (qui a reproduit partiellement l'évolution des traitements des
années antérieures), ce fait serait apparemment sans influence sur la décision prise, laquelle a été fondée sur l'indicateur de la masse salariale. Selon les griefs exposés par la Commission, il ne peut donc, au fond, s'agir que de rechercher si la fixation des traitements basée sur la période de référence 1971-1972 doit être révisée.

2. Nos développements antérieurs ont déjà fait apparaître que le conflit porte sur le point de savoir si, lors de la décision de 1972 relative aux traitements, il a été suffisamment tenu compte de l'évolution des traitements d'un État membre, à savoir l'Italie, pendant la période de référence 1971-1972. La Commission soutient que tel n'est pas le cas et elle estime que deux reproches pourraient en conséquence être adressés au Conseil:

— celui de violation de l'article 65 du statut des fonctionnaires,

et

— celui d'application incorrecte de la décision du Conseil de mars 1972, ce qui équivaut à une violation du principe selon lequel la confiance légitime des intéressés doit être protégée.

a) Sur le premier grief, il y a lieu de faire les remarques suivantes:

Pour autant qu'il revête de l'intérêt en l'espèce, l'article 65 dispose que: «Le Conseil procède annuellement à un examen du niveau des rémunérations des fonctionnaires et des autres agents des Communautés… Au cours de cet examen, le Conseil étudie s'il est approprié, dans le cadre de la politique économique et sociale des Communautés, de procéder à une adaptation des rémunérations. Sont notamment prises en considération l'augmentation éventuelle des traitements publics et les nécessités de
recrutement».

A notre avis, déjà ce texte, et en particulier les termes de la phrase citée en dernier lieu, qui selon la Commission revêt une importance particulière, montrent clairement, qu'à lui seul, l'article 65 ne permet pas de résoudre les problèmes soulevés par la présente affaire et que l'on ne peut donc en tirer aucun argument en faveur des demandes de la Commission.

Manifestement, la disposition mentionnée est trop peu concrète pour permettre de répondre à la question de savoir si, lors de la réadaptation des traitements, il y a lieu de tenir compte également des indemnités et des compensations perçues par les fonctionnaires nationaux. En outre, il est essentiel que l'article 65 n'établisse que l'obligation de «prendre en considération» les augmentations nationales de traitements. Mais même en considérant les allocations italiennes qui nous intéressent
ici, il n'est pas possible de dire que le Conseil a violé cette obligation assez restreinte. Comme nous l'avons vu, ces allocations ont été englobées dans l'indicateur de la masse salariale; le Conseil en avait donc connaissance, lorsqu'il a fixé les traitements de 1972. En outre, il avait ce fait présent à l'esprit, lorsqu'en décembre 1973, il a procédé à la réadaptation nécessaire des traitements, après que l'on eut connaissance de la manière dont l'indicateur spécifique italien avait été
calculé. Enfin, un fait important également est que l'article 65 laisse un pouvoir discrétionnaire au Conseil. Celui-ci étudie s'il est approprié, dans le cadre de la politique économique et sociale des Communautés, de procéder à une adaptation des rémunérations et, à cet égard, ainsi qu'il résulte de l'adverbe «notamment», l'augmentation des traitements nationaux n'est que l'un des divers éléments qui doivent être pris en considération.

Nous estimons donc que le recours de la Commission pourrait difficilement être déclaré fondé en se référant uniquement à l'article 65 du statut des fonctionnaires.

b) En revanche, le deuxième grief formulé par la Commission revêt une importance plus grande. Selon ce grief, il faut examiner si le Conseil a respecté la décision prise en mars 1972 en vue de concrétiser l'article 65 du statut des fonctionnaires, dans la mesure où cette décision parle de la constitution de l'indicateur spécifique commun et donc aussi de la formation des indicateurs nationaux correspondants.

aa) A cet égard, avant d'aborder les détails d'un examen difficile, nous voudrions clarifier deux faits.

Vous vous souvenez que, déjà dans ses mémoires, puis de nouveau au cours de la procédure orale, le Conseil a insisté sur le caractère inévitablement défectueux des indices statistiques, et il a déclaré que la critique relative au degré de représentativité des indicateurs qu'il a pris en considération, n'est pas pertinente. Il a également fait allusion aux difficultés qui sont apparues dans les nouveaux États membres lors de l'application de la décision de mars 1972.

D'autre part, au cours de la procédure écrite, il s'est référé à des déclarations d'instances italiennes, selon lesquelles l'importance de l'indicateur spécifique italien, tel qu'il a été communiqué en automne 1973 (30,4 %), s'expliquerait en partie par la réorganisation de l'administration italienne et n'exprimerait donc pas seulement un accroissement du pouvoir d'achat.

A notre avis, il est opportun de montrer tout d'abord que ces remarques sont sans importance pour la solution de la présente affaire.

Pour commencer, personne ne mettra en doute que des indices statistiques, qui réunissent des valeurs diverses, peuvent présenter un degré différent de représentativité et ne fournir que des valeurs approximatives. Toutefois, cette question, c'est-à-dire le degré de représentativité des indicateurs utilisés, ne constitue pas le sujet de notre examen, qui porte uniquement sur le point de savoir si, dans le passé, le degré de représentativité pour lequel il existe des règles obligatoires, a
été atteint. En d'autres termes, l'incertitude générale de ces facteurs n'autorise pas à tolérer que l'on s'écarte des règles applicables à la détermination d'une valeur nécessaire pour un indice commun. En ce qui concerne, en outre, l'allusion aux difficultés apparues dans les nouveaux États membres, qui ont, semble-t-il, abouti à ce que seuls des valeurs approximatives puissent y être utilisées, il suffit au fond de savoir — si nous considérons clairement les faits — qu'elles se
rapportent non à l'année 1971-1972 qui nous intéresse actuellement, mais à l'année 1972-1973. Du reste, il va de soi que ces constatations n'autorisent certainement pas à abandonner la méthode obligatoirement fixée dans les autres États membres, telle qu'elle est appliquée pour déterminer les valeurs nécessaires à la réadaptation des traitements.

En ce qui concerne ensuite les déclarations italiennes relatives à l'ampleur de l'indicateur spécifique italien de la période de référence 1972-1973, il y a lieu de faire la remarque suivante: à notre avis, on peut laisser de côté la question de savoir si, comme la Commission l'estime exact, étant donné que l'indicateur spécifique n'est déterminé que pour certaines catégories de fonctionnaires, des opérations telles que la soi-disant restructuration de l'administration italienne peuvent
avoir une répercussion non pas à cet égard, mais tout au plus sur l'indicateur de la masse salariale. En effet, pour nous le seul élément qui doit être déterminant est que la valeur concernée (30,4 %) a été communiquée par les services italiens en vue de constituer l'indicateur spécifique commun et qu'elle a alors été pleinement prise en considération. Si, lors de la fixation des traitements de l'année 1973, pour laquelle cette valeur présentait de l'importance, le Conseil n'a pas estimé
nécessaire de décomposer la valeur mentionnée (en fonction de l'accroissement du pouvoir d'achat des traitements, d'une part, et de la restructuration, d'autre part), il n'est certainement pas possible d'en restreindre maintenant la signification dans la mesure où elle revêt de l'importance dans la présente affaire.

bb) Mais venons-en à présent au nœud même du litige, c'est-à-dire la question de savoir si le fait de ne pas avoir tenu compte de certaines indemnités et allocations du droit italien de la fonction publique, dont on peut effectivement parler au cours de la période de référence 1971-1972, signifie que l'indicateur spécifique italien a été constitué de manière erronée, c'est-à-dire au mépris de règles juridiques claires, ce qui entraînerait l'inexactitude de l'indicateur commun. Nous ne vous
donnerons pas lecture actuellement du texte déterminant à cet égard: la décision du Conseil de mars 1972. Nous en étudierons les différents éléments essentiels ultérieurement lorsque nous traiterons des arguments allégués par les deux parties.

— Selon le Conseil, ce qui importe surtout c'est que les auteurs de la décision relative à la constitution de l'indicateur spécifique aient souligné que l'indice de l'évolution des traitements publics dans les États membres est constitué selon la méthode appliquée jusqu'à présent. Ainsi, il aurait été fait référence à une note de 1966 concernant la méthode de travail qu'il convient d'utiliser pour l'application de l'article 65 du statut des fonctionnaires. Or, il ressort de cette note que
ce sont les paiements généraux et constants qui revêtent essentiellement de l'importance pour la notion de traitement et qu'il n'est pas nécessaire de prendre en considération toutes les autres allocations et indemnités possibles.

En ce qui concerne cet argument, il faut assurément reconnaître qu'il est de nature à faire impression; nous lisons en effet dans la note mentionnée de 1966 sous le titre «Notion des traitements»: «Il y a lieu de tenir compte de tous les émoluments ayant le caractère de rémunérations et qui sont payés de façon générale et permanente sur une base réglementaire».

Toutefois, cette première impression favorable à l'exactitude de la thèse du Conseil se trouve rapidement ébranlée, lorsque l'on considère l'argumentation de la Commission.

A cet égard, nous ne songeons pas tant à sa thèse selon laquelle la formule «payés de façon générale» ne serait pas aussi impérative dans le sens d'une rémunération effective de tous les fonctionnaires, que ne le serait une tournure qui parlerait de l'ensemble des fonctionnaires et de leurs rémunérations. La Commission, nous le savons, en déduit qu'il est parfaitement défendable d'interpréter cette phrase en comprenant le mot «général» dans le sens de «très répandu», et qu'il pourrait
paraître indiqué de déterminer, le cas échéant, une valeur moyenne fictive, qui s'appliquerait à tous les fonctionnaires.

Nous pensons plutôt au fait qu'en se référant surtout à l'ensemble du système de la note de 1966, la Commission reproche au Conseil d'avoir restreint à tort sa prise en considération à un seul des éléments mentionnés dans cette note. En effet, la Commission peut, à bon droit, souligner que, dans le document de 1966, à la page 4, sous b), le système d'appréciation de l'évolution des traitements publics est décomposé en plusieurs sections, et que ce texte ne fait apparaître aucun indice
selon lequel une de ces sections l'emporterait sur les autres et revêtirait donc une importance particulière pour l'interprétation. Il faudrait donc admettre que la réglementation figurant après le quatrième, tiret de cette section qui, d'une manière significative, a pour titre «Prise en compte d'autres éléments», et qui utilise par conséquent des formules analogues à celles que l'on peut trouver sous le titre «Notion des traitements», a la même importance que la notion de traitements
mentionnée précédemment. Cette réglementation déclare: «La fixation en commun d'une méthode de travail en vue de l'examen de l'évolution des traitements publics dans les États membres n'empêche pas les commissions de faire valoir, le cas échéant, d'autres éléments que ceux visés par ladite méthode». On a de bonnes raisons d'en déduire que, déjà selon le système appliqué en 1966, outre les traitements, d'autres éléments complémentaires du système de rémunération pouvaient être pris en
considération. Apparemment, c'était devenu une pratique largement répandue: on s'était ainsi efforcé de reproduire de la manière la plus exacte possible la situation réelle des États membres en matière de traitements. Les développements détaillés de la Commission au cours des débats oraux plaident en ce sens. Ils concernaient certaines allocations accordées en France, mais en aucune façon à l'ensemble des fonctionnaires; ils ont donné une impression semblable pour la Belgique, la
république fédérale d'Allemagne, le Danemark, l'Irlande et même l'Italie, et ils ont montré que l'on pouvait encore rencontrer cette pratique après l'adoption de la décision de mars 1972.

A notre avis, il est tentant d'en conclure avec la Commission que, déjà selon le système établi en 1966, il était inconcevable de ne pas tenir compte d'environ 30 % d'augmentation du pouvoir d'achat des traitements nationaux, comme cela a été le cas lors de la détermination de l'indicateur spécifique italien pour la période de référence 1971-1972.

c) Si déjà ces considérations montrent que l'interprétation restrictive du Conseil suscite des doutes considérables, l'impression que l'on en retire se trouve encore renforcée si nous étendons l'investigation à d'autres parties de la décision de mars 1972, si nous tenons compte de la genèse et de la fonction qui lui est manifestement attribuée, et enfin si nous considérons son esprit qui apparaît nettement lorsque l'on recourt à d'autres actes du Conseil.

Pour commencer, il est de fait que l'application de la méthode établie dans la note de 1966 pour adapter les traitements a de plus en plus provoqué, entre le Conseil et le personnel, des tensions qui se sont exprimées dans les phénomènes que nous connaissons tous. Cela provenait surtout, semble-t-il, du fait que le Conseil a de moins en moins tenu compte d'éléments complémentaires du droit des traitements, telles que les indemnités dont nous discutons actuellement. Pour l'essentiel, les
réclamations du personnel visaient donc moins l'application de l'indicateur commun que la manière de le constituer. La décision de mars 1972 devait, semble-t-il, porter remède à cette évolution fâcheuse. En tant que résultat d'une concertation avec le personnel, elle devait assurer l'apaisement indispensable dans le service des Communautés. Seule, une interprétation de cette décision prévoyant une prise en considération appropriée de certaines rémunérations, en dehors des traitements
proprement dits, peut donc, à première vue, paraître judicieuse.

En outre, si nous considérons la décision de mars 1972 dans son ensemble, il est également possible de recueillir des indices importants en faveur de l'interprétation extensive à laquelle nous avons fait allusion.

Il est essentiel, notamment, que la décision ne se réfère pas simplement à la méthode utilisée jusqu'à présent pour déterminer l'indice des traitements publics dans les États membres, mais qu'elle ait voulu clairement introduire certaines améliorations. Contrairement à l'opinion du Conseil, l'élément déterminant n'est pas en premier lieu la création d'un second indicateur, c'est-à-dire l'indicateur de la masse salariale et la fonction de contrôle qui lui est reconnue. En effet, à la lumière de
l'évolution que nous avons retracée, cet indicateur ne constitue pas une amélioration essentielle, puisque, comme nous l'avons vu, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le Conseil est parfaitement libre de ne pas en tenir compte. En outre, le texte de la décision fait clairement apparaître que les améliorations concernent l'indicateur spécifique et même son calcul, — ainsi que la Commission l'a montré dans une analyse minutieuse.

Dans la décision de mars 1972, sous le titre «Indicateur spécifique» et sous le mot «amélioration», il est question, entre autres, d'une meilleure harmonisation des méthodes de calcul appliquées par les diverses administrations nationales; de l'information de la Commission par chaque délégation des éléments du système de rémunération de sa fonction publique et de chaque modification de ces éléments; de l'information de la Commission concernant tous les détails de calcul des indices annuels des
traitements publics; de contacts avec les délégations concernées dans tous les cas où la Commission aurait des doutes sur un élément quelconque qui doit être pris en compte pour l'indice des traitements publics, ainsi que de l'obligation pour ces délégations de fournir les éclaircissements nécessaires. En outre, nous lisons, plus loin: «Il est entendu qu'une information complète des représentants du personnel au sujet des éléments statistiques relative à cet indicateur sera assurée par la
Commission».

A notre avis, il est indéniable qu'il existe de bonnes raisons pour conclure, de ces facteurs, à l'obligation de tenir compte, pour la détermination de l'indicateur spécifique, outre des traitements proprement dits, d'autres éléments du droit des rémunérations. C'est à bon droit que la Commission soutient que les auteurs de ces dispositions ont, semble-t-il, voulu instaurer un examen annuel des éléments qui doivent être pris en considération pour l'indicateur spécifique; sinon, en effet, le
Conseil aurait expressément établi que seuls les traitements entrent en ligne de compte. C'est à bon droit également que l'on ne comprendrait pas la nécessité de l'examen complexe ainsi prévu, s'il ne s'agissait que de tenir compte des versements effectués à l'ensemble des fonctionnaires et de constater si les communications des États membres à cet égard sont correctes. Étant donné la nécessité de fournir au personnel une information complète sur l'évolution réelle de la situation en matière
de traitements dans les États membres, d'une part, et la fonction d'apaisement de la décision de mars 1972, d'autre part, c'est avec raison qu'on a souligné aussi qu'il ne serait pas possible d'admettre qu'après cette décision, il n'était cependant pas nécessaire de prendre en considération des éléments complémentaires du droit des rémunérations. L'analyse d'ensemble de la méthode permettant d'établir l'indicateur spécifique oblige par conséquent à reconnaître que, dans la décision de mars
1972 et même dans la section qui traite de l'indicateur spécifique, l'accent a nettement été mis sur d'autres éléments du droit des rémunérations. Dans ces conditions, il est d'ailleurs compréhensible que le titre général ait été modifié par l'insertion du mot «pouvoir d'achat», et que l'on ait ainsi exprimé que l'essentiel était d'obtenir une image aussi fidèle que possible de l'évolution de la situation des salaires dans les États membres.

Enfin, comme nous l'avons déjà dit, il est impossible de ne pas tenir compte de l'esprit sur lequel les conseillers neutres consultés par le Conseil ont, aux aussi, mis l'accent dans leurs avis favorables, en définitive, au personnel. Cet esprit est certainement d'une importance considérable pour l'interprétation de décisions qui sont le résultat d'une concertation avec le personnel et qui ont pour but d'assurer l'apaisement. La manière dont il faut l'entendre apparaît nettement lorsque l'on
considère la décision du Conseil des 18 et 19 décembre 1972, dans laquelle nous lisons: «Le Conseil estime que le règlement du 12 décembre 1972 ne préjuge pas l'interprétation de sa décision du 21 mars 1972 sur le système d'ajustement pour les rémunérations et confirme que celui-ci s'inscrit dans le cadre d'une politique tendant à garantir à moyen terme une évolution des rémunérations des fonctionnaires européens parallèle à celle relevée en moyenne pour les traitements des fonctions publiques
nationales». Logiquement ce texte ne peut signifier qu'une orientation selon laquelle tous les éléments essentiels des systèmes nationaux de rémunérations seraient, dans la mesure du possible, pris en considération, et cela compte tenu du pouvoir d'appréciation dont le Conseil dispose, d'après votre arrêt, non seulement pour l'indicateur de la masse des traitements, mais aussi pour l'indicateur spécifique.

Pour toutes ces raisons, on devrait déduire de la décision de mars 1972 l'obligation de tenir compte, lors de la constitution de l'indicateur spécifique, non seulement des traitements en tant que tels, et des allocations accordées à tous les fonctionnaires, mais encore d'autres éléments du système des rémunérations, lorsqu'ils sont largement répandus et revêtent une importance considérable. A cet égard, la Commission a essayé de spécifier davantage en faisant état des rémunérations versées à
une catégorie représentative de fonctionnaires pour des activités qui font partie des prestations normales de services. Cette spécification semble évidente, mais elle n'est pas indispensable dans la présente affaire. En effet, pour apprécier celle-ci, il devrait suffire, qu'au sujet de la modification du système italien de rémunération, et en ce qui concerne les allocations qui nous intéressent ici, il ait été déclaré devant le Parlement de Rome qu'il s'agissait en majeure partie non pas
d'indemnités pour prestations particulières des services, mais d'émoluments accordés pour des motifs d'alignement. En outre, nous savons — et le Conseil le reconnaît — que la majeure partie des allocations en question a été incorporée dans le traitement ou transformée en une allocation spéciale dont il faut certainement tenir compte pour l'indicateur spécifique, c'est-à-dire que le système italien de rémunération a subi une correction, qui autorise des conclusions quant au caractère des
allocations et indemnités accordées antérieurement.

En résumé, nous pouvons donc constater que le fait de ne pas avoir tenu compte des autres éléments du système italien au cours de la période de référence 1971-1972 a abouti à un indicateur spécifique italien inexact, c'est-dire trop faible, et que, par conséquent, l'indicateur communautaire, auquel l'Italie participe à raison de 28 %, était, lui aussi, erroné. Puisque l'indicateur spécifique doit être fixé en observant les règles citées, la constatation de son inexactitude entraîne
certainement l'obligation de le rectifier après coup. Il en résulte aussi l'obligation de corriger l'adaptation des traitements de cette période, car il est incontestable que, lors de la fixation des traitements de 1972, le Conseil s'en est tenu étroitement à l'indicateur spécifique et n'a pas pris en considération l'indicateur plus élevé de la masse salariale. Ainsi, son refus d'effectuer une réadaptation des traitements est illégal et doit être annulé. Il n'est pas nécessaire d'exposer
maintenant dans le détail la manière dont le Conseil entreprendra la réadaptation indispensable des traitements. C'est à lui d'en décider en exécutant un arrêt éventuel d'annulation de la Cour.

3. Nous pourrions ainsi terminer l'analyse de cette affaire. Mais nous ne voulons pas le faire sans ajouter encore une considération subsidiaire valable pour le cas où vous refuseriez d'admettre que le Conseil n'a pas respecté la décision de mars 1972 lors de la détermination de l'indicateur spécifique pour la période de référence 1971-1972.

A notre avis, cette considération subsidiaire s'impose après les déclarations qui ont été faites au cours de la procédure au sujet de la genèse et de l'esprit de la décision de mars 1972. En effet, il semble complètement exclu que le phénomène, qui se trouve au centre de ce litige, à savoir le fait de ne pas avoir tenu compte d'une grande partie des allocations et indemnités versées aux fonctionnaires italiens, reste sans aucune conséquence dans le cadre de la réadaptation des traitements.

En cas de découverte d'une telle faute, il faudrait, à notre avis, reconnaître au moins une influence sur la décision discrétionnaire que le Conseil doit prendre dans le cadre des deux indicateurs connus, conformément à la décision de mars 1972, plus exactement: dans un tel cas, on ne pourra pas admettre que la décision discrétionnaire est entièrement libre. Si, donc, il apparaît qu'un indicateur (ici, l'indicateur spécifique) n'est manifestement pas représentatif, la décision discrétionnaire
devrait en subir l'influence en ce sens que l'autre indicateur, c'est-à-dire celui de la masse salariale, qui a englobé tous les éléments en question, acquiert davantage de poids. Il serait également concevable de procéder à une compensation équitable pour l'année 1973, au cours de laquelle l'indicateur spécifique ne présentait plus le défaut en question, en orientant davantage la réadaptation des traitements en fonction de cet indicateur. Mais puisque — comme nous l'avons déjà mentionné — la
décision de 1972 relative aux traitements s'appuyait sur l'indicateur spécifique, alors que celle de 1973 se fondait sur l'indicateur de la masse salariale, le Conseil devrait de ce point de vue également annuler l'obligation de réadapter les traitements après coup, et, en conséquence, son refus d'adopter maintenant une décision discrétionnaire irréprochable devrait être déclaré illégal.

Toutefois nous voudrions souligner encore une fois qu'il ne s'agit ici que de considérations subsidiaires et que nous sommes persuadé que la décision prise par le Conseil en juin 1974 doit être annulée, parce qu'il a refusé de corriger l'indicateur spécifique de la période de référence 1971-1972.

4. En définitive, nos conclusions sont les suivantes:

Le recours intenté par la Commission contre le Conseil est fondé. Le refus contenu dans la décision du Conseil des 21 et 23 juillet 1974 de réadapter les traitements doit être annulé. Faute de demandes en ce sens, il n'est pas nécessaire de statuer sur les dépens.

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( 1 ) Traduit de l'allemand.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 70/74
Date de la décision : 28/05/1975
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Dispositions institutionnelles

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Reischl
Rapporteur ?: Mertens de Wilmars

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1975:69

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