CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. ALBERTO TRABUCCHI,
PRÉSENTÉES LE 10 JUIN 1975 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Les demandes d'interprétation posées à titre préjudiciel par le tribunal du travail de Nivelles, qui ont pour objet le règlement CEE no 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs dans la Communauté et le règlement no 1408/71, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, sont liées à l'application de la loi belge du 27 juin 1969 concernant l'attribution d'allocations en faveur des
handicapés. L'application de cette loi avait déjà fourni l'occasion de deux autres affaires préjudicielles: l'affaire 187-73, Callemeyn, Recueil 1974, page 560; et l'affaire 39-74, Costa/État belge, Recueil 1974, page 1259. Il résulte de cette jurisprudence qu'une législation comme celle que nous venons de rappeler entre dans le cadre de la sécurité sociale, réglementée par l'article 51 du traité; et plus particulièrement que les prestations visées à l'article 4, paragraphe 1, b, du règlement CEE
du Conseil no 1408/71 englobent celles qui sont prévues par la législation nationale sur les aides en faveur des handicapés physiques, dans la mesure où ladite législation concerne les travailleurs au sens de l'article 1, a), de ce règlement.
Bien que la législation belge en question intéresse toute la population de l'État et n'ait donc pas été conçue pour les travailleurs en tant que tels, la Cour, dans la jurisprudence que nous avons rappelée, leur a reconnu le droit d'en bénéficier.
Dans la présente affaire, la question qui se pose est de savoir si ce bénéfice peut aussi s'étendre aux membres de la famille du travailleur qui résident dans le pays d'immigration et qui sont compris dans la notion de membres de la famille du travailleur, telle qu'elle est énoncée à l'article 1, f), du règlement no 1408/71.
2. La situation qui a donné lieu aux questions préjudicielles lesquelles tendent, toutes, essentiellement à clarifier ce problème, est très simple. Les époux F, de nationalité italienne, qui résident depuis 1947 en Belgique où M. F. travaille comme travailleur salarié, ont eu, en 1959 un fils qui est né gravement handicapé. La demande que les parents ont présentée, au nom de leur fils, auprès du ministère belge de la prévoyance sociale, afin d'obtenir les allocations ordinaires pour handicapés, en
vertu de la loi belge du 27 juin 1969, a été repoussée parce que le mineur n'avait pas la nationalité belge et parce que, en tant qu'étranger, il ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir ces avantages sur la base de l'accord provisoire européen du 11 décembre 1953, conformément à l'interprétation que l'administration belge en a couramment donné: il manquait la condition d'avoir résidé au moins 15 ans en Belgique, depuis l'âge de vingt ans. La loi reconnaît le droit de bénéficier de
ces allocations, aux citoyens belges résidant en Belgique, après la quatorzième année, atteints d'une incapacité de travail permanente d'au moins 30 % et ne disposant pas de ressources dépassant certaines limites. Le mineur en question, né, comme nous l'avons vu, en Belgique et y résidant, semble être atteint d'une invalidité de 100 %.
Devant cette situation, le juge belge, tout en considérant la possibilité d'interpréter l'accord précité en rapportant la condition de résidence au père seul, vous demande si le droit communautaire et en particulier l'article 12 du règlement CEE no 1612/68, ou le règlement CEE no 1408/71 ne peuvent pas fournir une solution plus sûre permettant d'éviter des discriminations injustes.
La première question posée par le juge belge consiste à savoir si les mesures visées par l'article 12 du règlement no 1612/68 comprennent les prestations du genre des allocations prévues par la loi belge du 27 juin 1969, dans la mesure où elles ont pour destinataires les enfants handicapés de travailleurs salariés; la réponse nous semble s'imposer de manière évidente dans le sens négatif. En effet, l'article 12 concerne des prestations destinées à permettre aux enfants des travailleurs migrants
de fréquenter des cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle, dans des conditions d'égalité avec les ressortissants. Des prestations qui, en tant qu'elles sont également prévues en faveur des handicapés irrécupérables, ont une fonction de soutien nettement distincte de celle que vise spécifiquement l'article 12, ne peuvent pas entrer dans le champ d'application de cette disposition. D'ailleurs, dans le cas particulier d'un handicapé invalide à 100 %, la question
de prestations du genre de celles prévues par cette disposition ne pourrait même pas se poser: ces prestations seraient sans objet.
3. La question, posée dans la seconde demande, concernant la qualification objective d'une législation nationale du genre de celle que le juge de renvoi doit appliquer par rapport au règlement no 1408/71 du Conseil, trouve déjà sa réponse dans votre jurisprudence. En effet, comme nous l'avons vu, il résulte des critères affirmés dans les arrêts rendus dans les affaires préjudicielles 187-73 et 39-74, que cette législation est comprise dans le champ d'application de ce règlement et que les
prestations qu'elle prévoit en faveur des handicapés peuvent être qualifiées de prestations d'invalidité visées à l'article 4, paragraphe 1, b), dudit règlement.
Mais ces arrêts ne résolvent pas le problème spécifique qui se pose actuellement au juge belge et qui découle de l'examen de la deuxième et de la troisième question; à savoir celui de l'applicabilité aux enfants des travailleurs migrants, soit avant, soit après leur majorité, d'une législation de ce genre, laquelle ne se réfère ni à la qualité de travailleur, ni à celle de membre de sa famille: et cela en vertu de la réglementation communautaire en matière sociale.
4. Sur la base de votre jurisprudence, que nous avons rappelée, le travailleur migrant qui, abstraction faite de la nationalité, se trouve dans la situation prévue par la loi en question pour les citoyens belges, en bénéficie dans des conditions d'égalité avec ceux-ci.
En vertu de son article 2, ce règlement s'applique aussi aux membres de la famille du travailleur et à leurs survivants. Selon l'article 3, paragraphe 1, les personnes qui résident sur le territoire de l'État et auxquelles s'applique ce règlement, sont admises au bénéfice de la législation nationale dans les mêmes conditions que les ressortissants.
Dans les observations qu'elle a présentées dans l'affaire 39-74, (Costa/Belgique), la Commission avait cependant exclu que les membres de la famille du travailleur soient assurés, en tant que tels, dans le cadre d'un régime général de sécurité sociale du genre de celui considéré en l'espèce par le juge belge. Elle était parvenue à cette conclusion, en tirant notamment argument de votre jurisprudence relative au «revenu garanti» (Frilli/Belgique, affaire 1-72, Recueil 1972, p. 464).
Selon la Commission, le droit communautaire en matière de sécurité sociale ne s'appliquerait aux membres de la famille du travailleur que dans la mesure où la législation sociale nationale confère des droits aux ressortissants en leur qualité de membres de la famille d'un travailleur, donc dans la mesure où les droits en question peuvent découler de l'assurance du travailleur. A titre de preuve, elle a rappelé les règles spéciales que l'on a dû adopter pour appliquer aux membres de la famille du
travailleur migrant les systèmes de protection sociale en vigueur dans les nouveaux États membres. Autrement, selon la Commission les législations de ces États, qui attribuent non pas aux membres de la famille du travailleur en tant que tels, mais à tous les ressortissants résidents, un droit personnel à la majeure partie des prestations sociales, n'auraient pas pu être appliquées aux membres de la famille du travailleur migrant, même pour des prestations élémentaires, comme, par exemple, celles
relatives à l'assurance maladie ou aux pensions de veuves.
Le fait que des règles spéciales (cf. règlement no 2864/72 du Conseil, JO L 306, p. 1), qui modifient l'annexe V du règlement no 1408/71, aient été adoptées à cet égard, est certainement conforme à des exigences de clarté et de sécurité juridique; mais il ne nous paraît pas constituer un argument important en faveur de l'interprétation limitative de la portée du règlement no 1408/71. L'argument «a contrario» que l'on pourrait en tirer, fondé exclusivement sur une volonté présumée du législateur,
n'est, comme en général les arguments de ce genre, rien moins que probant.
En ce qui concerne la référence à votre jurisprudence dans l'affaire 1-72, il faut noter que les considérations d'ordre pratique que l'on peut alléguer pour motiver la limitation au seul travailleur migrant du bénéfice de la législation relative au revenu minimal garanti ne peuvent pas s'appliquer à une législation qui, comme celle relative à l'intégration du revenu des handicapés nécessiteux, est susceptible de s'appliquer non pas à toute la population, mais seulement à une catégorie très
spéciale et heureusement bien limitée de personnes.
Toutefois, dans la présente affaire, la Commission a cherché à parvenir à une solution favorable au fils handicapé du travailleur migrant en proposant de faire entrer les allocations du genre de celles auxquelles se réfère le juge belge dans la catégorie des prestations familiales visées à l'article 1, u), du règlement no 1408/71. Cependant, la défenderesse dans l'affaire principale a précisé que la législation belge prévoit expressément des prestations familiales en plus des allocations
ordinaires en faveur des enfants handicapés d'un travailleur. Le versement de ces prestations est subordonné à la condition que les enfants handicapés soient frappés d'une incapacité de travail d'au moins 66 % et, en outre, elles ne sont versées généralement que jusqu'à l'âge de 14 ans, ou tout au plus jusqu'à l'âge de 25 ans lorsque les bénéficiaires peuvent suivre des cours de qualification professionnelle. Par conséquent, l'existence d'une prestation spécifique de caractère familial en faveur
des enfants handicapés, prévue dans le cadre d'une législation entrant dans la catégorie de l'article 4, paragraphe 1, h), conduit à exclure que d'autres prestations établies en faveur des handicapés puissent, à proprement parler, être classées dans la même catégorie. Il s'agit ici d'une législation dont les avantages ne sont, en principe, attribués qu'à partir de la quatorzième année, c'est-à-dire à partir du moment où les allocations familiales peuvent prendre fin, et qui ne vise pas
spécialement à compenser des charges de famille, mais qui est plutôt établie en faveur des handicapés considérés directement, lesquels pourront continuer à en bénéficier sans limite de temps.
Même si une prestation de ce genre doit être rattachée à la catégorie des prestations d'invalidité, il reste cependant que le handicapé qui n'est pas ressortissant de l'État de résidence ne pourrait en bénéficier en vertu de la réglementation communautaire qu'à titre de conséquence de son lien familial avec le travailleur, dans la mesure où cela est nécessaire pour éviter que le travailleur migrant soit victime d'une discrimination par rapport au ressortissant se trouvant dans une situation
économique et familiale analogue.
5. La sphère d'application subjective de la réglementation communautaire en question est fondée sur la notion de «travailleur» et de «membres de sa famille». Le fait qu'une législation sociale n'ait pas été conçue expressément pour les travailleurs en tant que tels, et qu'elle s'applique en revanche à la généralité des ressortissants qui n'ont pas un revenu suffisant, n'exclut pas nécessairement la possibilité que les travailleurs et leurs familles s'en prévalent, eux aussi, dans les mêmes
conditions que les ressortissants.
Du moment que la référence du règlement no 1408/71 à la notion de travailleur n'a pas empêché d'admettre le droit d'un travailleur migrant à bénéficier de prestations sociales non conçues spécialement pour les travailleurs, on devrait exclure aussi que la référence de ce même règlement à la notion de «membres de la famille» du travailleur, empêche ceux-ci de bénéficier, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement cité, de la même législation sociale dans des conditions d'égalité avec les
ressortissants de l'État qui l'accueille — même si celle-ci fait abstraction de la notion de famille. Cette conclusion semble d'ailleurs déjà implicite dans l'arrêt rendu dans l'affaire 39-74 (Costa) dans lequel vous avez affirmé «qu'une législation nationale prévoyant un droit, légalement protégé, à l'allocation pour handicapés relève, au regard des personnes visées par le règlement no 3 (notons que la Cour ne parle pas seulement des travailleurs, mais emploie une expression qui englobe
également les membres de leur famille), du domaine de la sécurité sociale, au sens de l'article 51 du traité et de la réglementation communautaire prise en application de cette disposition».
L'interdiction fondamentale de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres, énoncée par l'article 48 du traité CEE, et reprise aussi par l'article 3 du règlement no 1408/71 en ce qui concerne les membres de leur famille, a aussi trouvé une expression particulière dans le règlement no 1612/68 du Conseil, relatif à la libre circulation des travailleurs dans la Communauté, lequel, dans ses motifs, se réfère expressément à la nécessité d'assurer, en droit
et en fait, l'égalité du traitement du travailleur migrant en ce qui concerne également les conditions d'intégration de la famille dans la société du pays d'accueil. Cette exigence, qui va de pair avec le droit du travailleur de se faire rejoindre par sa famille, prend une importance particulière, lorsqu'on la met en relation avec le droit commun reconnu aux membres de la famille du travailleur migrant de continuer à résider dans l'État où leur conjoint a exercé son activité, même après la
cessation de celle-ci (règlement de la Commission no 1251/70, JO L 142, p. 24).
A ces considérations fondées sur des dispositions particulières de la réglementation communautaire, on peut aussi ajouter une observation de caractère général, directement tirée du traité et à laquelle la Cour s'est référée à plusieurs reprises: pour réaliser une liberté effective de circulation des travailleurs sur le territoire de la Communauté, il faut que ceux-ci soient placés, du moins en matière économique et de prestations sociales en particulier, sur un plan d'égalité réelle de traitement
avec les ressortissants. Dans cette perspective, le fait que la législation en question n'ait pas été expressément conçue pour les travailleurs en tant que tels et pour les membres de leur famille, mais soit applicable d'une manière générale à toute la population résidente, ne peut pas avoir d'importance pour exclure que le bénéfice de prestations du genre de celles prévues par la loi interne en faveur des enfants handicapés, et auxquelles se réfère le juge belge, soit étendu aux membres de la
famille d'un travailleur. L'usage du critère de la nationalité pour distinguer la situation. du travailleur migrant de celle d'un ressortissant se trouvant dans une situation analogue aurait ici un caractère manifestement contraire aux principes et aux règles rappelés ci-dessus.
Vous avez admis le droit des travailleurs migrants à ces prestations dans la mesure où elles sont considérées comme un «complément de revenu pour les bénéficiaires de prestations de sécurité sociale atteints d'une incapacité permanente de travail» (arrêt Callemeyn, Recueil 1974, p. 561, no 8; arrêt Costa, Recueil 1974, p. 1260, no 8; voir aussi arrêt Frilli, Recueil 1972, p. 466, no 15).
La nécessité d'étendre le bénéfice au travailleur étranger et à sa famille apparaît précisément parce que la loi ne concerne que les ressortissants en offrant à tous ceux-ci, et donc soit directement aux handicapés, soit aussi aux travailleurs et à leurs familles, des avantages qu'en raison de leur généralité il n'était pas nécessaire de spécifier de manière particulière, comme complément de la sécurité sociale dans le monde du travail.
Par conséquent, dans la mesure ou dans une législation nationale de sécurité sociale d'application générale, qui comme telle fait abstraction de la considération d'un rapport de travail présent ou passé, il est possible d'apercevoir une fonction complémentaire par rapport à d'autres prestations d'assurance estimées insuffisantes, le travailleur compris dans le champ d'application du règlement no 1408/71 pourra en bénéficier.
Répétons que cette jurisprudence se fonde sur la nécessité de réaliser, pour le travailleur communautaire, une pleine égalité de traitement avec les ressortissants de l'État d'immigration pour tout ce qui a trait aux avantages de la législation de sécurité sociale. Elle a, en substance, dépassé le critère de la nécessité d'un lien spécifique entre la prestation sociale et le rapport de travail.
L'exigence d'égalité de traitement se fait sentir aussi au-delà de ce qui concerne étroitement ce rapport. Tout comme les droits internes, le droit communautaire ne pouvait pas considérer le travailleur migrant comme un simple fournisseur de travail, mais devait le voir dans sa complexité humaine. Dans cette perspective, le législateur communautaire ne s'est pas seulement préoccupé de lui garantir le droit à l'égalité de rémunération et de prestations sociales inhérentes à son rapport de travail,
mais il a eu soin de reconnaître la nécessité d'éliminer les obstacles qui s'opposent à la mobilité des travailleurs, notamment, quant aux «conditions d'intégration de la famille dans le milieu du pays d'accueil» (règlement du Conseil no 1612/68, 5e considérant).
Conformément à cette tendance générale de la législation et de la jurisprudence communautaire, nous estimons que, puisque aucune disposition des textes en vigueur ne s'y oppose, on doit reconnaître à l'enfant handicapé, qui est à la charge d'un travailleur migrant, le droit de recevoir les prestations d'assurance que la législation du pays d'accueil reconnaît en faveur de tous les ressortissants résidents, affectés de la même invalidité. Il sera opportun de préciser la portée de ce principe en
répondant à la troisième question du juge de renvoi.
6. Il pourrait peut-être exister des délais pour l'admission d'un principe général d'extension automatique aux membres de la famille du travailleur migrant de tous les avantages prévus en faveur des ressortissants par les législations sociales de caractère général, comme c'est par exemple le cas de la législation relative au revenu minimal garanti considéré dans l'affaire Frilli.
Les difficultés éventuelles et la possibilité d'abus pourraient cependant être évitées grâce à des adaptations opportunes effectuées par le législateur national, prévoyant, par exemple, d'une manière non discriminatoire, une durée minimale de résidence dans l'État pour l'ouverture du droit.
En outre, même en l'absence de telles adaptations et au cas où cela serait nécessaire pour éviter des extensions injustifiées, il serait peut-être possible de limiter l'accès à ces avantages, en se référant à une notion de membre de la famille, appropriée au type de législation et de prestations sociales considérées.
Quoi qu'il en soit, l'application d'une législation du genre de celle actuellement considérée par le juge belge au cas qui revêt de l'importance dans l'affaire principale ne suscite aucune de ces difficultés.
Dans la présente affaire, l'organisme de sécurité sociale, partie défenderesse, n'a pas non plus invoqué le danger de difficultes pratiques pour l'admission éventuelle des enfants des travailleurs migrants communautaires au bénéfice des prestations en question. La difficulté de caractère technique, qui pourrait résulter de l'absence, dans des législations générales du genre de celle envisagée ici, de toute référence au travailleur et, par conséquent, à la notion de «membre de la famille» de
celui-ci, ne paraît certainement pas insurmontable.
Au cas ou la législation de l'État ne renfermerait pas une notion de «membre de la famille» valable de manière générale pour l'application de la législation sociale, on pourrait peut-être se référer par analogie au cercle des personnes qui, selon l'article 10 du règlement no 1612/68, ont le droit de s'installer avec le travailleur migrant sur le territoire d'un État membre dont ils ne sont pas ressortissants et d'y demeurer, en vertu du règlement du Conseil no 1251/70, même après la cessation du
rapport d'emploi dudit travailleur.
De toute façon, si des problèmes de définition peuvent se poser, ils ne concerneront jamais les enfants du travailleur, dont l'appartenance à la famille ne pourrait pas être mise en doute, même dans l'acceptation la plus restrictive de la notion de «membre de la famille».
Le juge belge, montrant qu'il ressent vivement l'injustice de la solution à laquelle aboutirait le droit interne sur la base de l'interprétation normalement donnée aux dispositions de l'Accord européen du 11 décembre 1953 concernant les régimes de sécurité sociale, ne s'est pas adressé à la Cour uniquement pour éliminer son doute quant à l'interprétation du droit communautaire, mais il nous demande quelque chose de plus: l'aider à éliminer clairement et définitivement une situation qui
répugnerait à sa conscience.
Même si les textes en vigueur ne contiennent pas de dispositions spécialement propres à résoudre le problème, sa solution découle nettement des principes et des objectifs du droit social communautaire, de la tendance générale exprimée dans la réglementation du Conseil et de la Commission, ainsi que de votre jurisprudence.
Si nous voulons que le droit communautaire ne soit pas seulement une réglementation mécanique de l'économie, mais constitue un ordre juridique à la mesure de la société qu'il doit régir, si nous voulons qu'il existe un droit conforme à l'idée de justice sociale et aux exigences de l'intégration européenne au niveau non seulement de l'économie mais aussi des peuples, nous ne pouvons pas décevoir l'attente, plus que légitime, du juge belge.
En l'absence d'une disposition précise pour ou contre cette solution du problème qui, seule, apparaît conforme aux exigences du système communautaire en matière de libre circulation des travailleurs, le règlement no 1408/71 devra être interprété conformément à ces nécessités et à un principe supérieur de justice.
Le critère permettant de compléter des prestations sociales que l'État a estimé insuffisantes, critère auquel vous vous êtes référés dans les arrêts précités pour reconnaître au travailleur le droit de bénéficier de législations de sécurité sociale du genre de celle actuellement considérée par le juge de renvoi, paraît de nature à justifier la reconnaissance du même droit aux enfants du travailleur.
En répondant au juge de renvoi, comme nous vous le proposons, il faut reconnaître que, dans la perspective particulière des exigences de la libre circulation des travailleurs, le droit communautaire complète partiellement en l'élargissant, le critère fixé par la loi belge: à l'élément de base que constitue la jouissance de la nationalité comme titre direct pour les bénéficiaires, il ajoure celui de l'appartenance à la famille d'un ressortissant d'un autre pays membre exerçant en Belgique une
activité salariée.
7. Au sujet de la troisième question posée par le juge belge, nous observons tout d'abord que, dans la conception du règlement no 1408/71, l'enfant du travailleur étranger a le droit de recevoir l'allocation pour handicapés non en raison de sa qualité propre, comme c'est le cas des handicapés qui possèdent la nationalité du pays d'accueil, mais uniquement comme conséquence de la protection du travailleur. L'extension de l'application d'une loi sociale de caractère général aux enfants des
travailleurs se justifie dans la mesure où elle sert à soulager le travailleur d'une charge dont son homologue belge se trouve exonéré. On suppose en effet, qu'autrement, l'enfant handicapé, ne fût-ce que partiellement, constituerait une charge pour les parents auxquels incombe l'obligation légale d'assistance, même après la majorité.
Dans cette perspective, le droit de l'enfant reste nécessairement accessoire à la situation du père dans le pays en cause; avec cette conséquence que, si celui-ci met fin au rapport de travail qui le lie au pays en question (par exemple en déplaçant sa résidence dans un autre État) — rapport qui, seul, justifie la demande de l'enfant —, la condition de l'obligation imposée à l'État, sur le plan communautaire, de verser l'allocation au handicapé non ressortissant, cesserait d'exister.
A notre avis, il serait excessif d'admettre un droit du handicapé au maintien de l'allocation d'une manière complètement indépendante de la situation du père par rapport à l'État dont la législation est en cause. Il pourrait notamment en résulter des situations difficilement acceptables, comme le serait, par exemple, le cas du travailleur migrant qui, après avoir travaillé pendant une brève période dans l'État considéré, déciderait d'aller travailler dans un autre État et laisserait son enfant
handicapé dans le premier État à la charge du système social de celui-ci.
En conclusion, nous vous proposons de répondre au juge belge en disant pour droit que les enfants handicapés des travailleurs salariés ou assimilés, résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants, et compris dans le champ d'application du règlement no 1408/71 du Conseil, ont le droit de percevoir les allocations spéciales pour handicapés, prévues par une loi de cet État applicable à tous les ressortissants résidents. Ce droit subsiste aussi longtemps que le travailleur, père du
bénéficiaire handicapé, ne met pas fin au rapport qui le lie à l'État et qui en constitue l'origine.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( 1 ) Traduit de l'italien.