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13/07/1976 | CJUE | N°105-75

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 13 juillet 1976., Franco Giuffrida contre Conseil des Communautés européennes., 13/07/1976, 105-75


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1976 ( 1 )

Messieurs,

Il est dit du détournement de pouvoir qu'il est souvent plaidé, mais rarement prouvé. Dans la présente affaire, à mon avis, il l'est.

Le 18 février 1975, le secrétariat général du Conseil a publié l'avis de concours interne Conseil/A/108. (Nous devons interrompre ici un instant l'exposé des faits pour vous indiquer que le texte italien de cet avis de concours figure en annexe 2 à la requête. Sur notre demande, le Conseil a fourni à l

a Cour une copie du texte anglais et c'est à ce dernier que nous nous sommes référé en prépa...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 13 JUILLET 1976 ( 1 )

Messieurs,

Il est dit du détournement de pouvoir qu'il est souvent plaidé, mais rarement prouvé. Dans la présente affaire, à mon avis, il l'est.

Le 18 février 1975, le secrétariat général du Conseil a publié l'avis de concours interne Conseil/A/108. (Nous devons interrompre ici un instant l'exposé des faits pour vous indiquer que le texte italien de cet avis de concours figure en annexe 2 à la requête. Sur notre demande, le Conseil a fourni à la Cour une copie du texte anglais et c'est à ce dernier que nous nous sommes référé en préparant les présentes conclusions. La langue de procédure est toutefois le français. Or, en dépit de
l'article 29, paragraphe 3, du règlement de procédure, le texte français de l'avis de concours ne nous a pas été fourni. En ces circonstances, il est étonnant que l'avocat du requérant ait fait, à l'audience, des allégations basées sur certaines nuances de langage du texte français. Nous vous proposerons de les ignorer, en partie parce qu'elles ne se reflètent pas dans le texte anglais et en partie parce que les allégations en question n'ont à notre avis aucune incidence sur le résultat du procès.
Je pense néanmoins qu'il vaudrait mieux que les avocats des parties aux procès devant votre Cour respectent son règlement de procédure).

Pour en revenir aux faits de la cause, l'avis de concours dont s'agit, annonçait que le secrétariat général devait organiser un concours interne pour pourvoir à un emploi vacant d'administrateur principal dans la carrière A 5/A 4, et que la nomination se ferait au grade A 4. Il était dit que les tâches du fonctionnaire nommé à la suite de ce concours se situeraient dans le «secteur de la politique régionale».

Sous le titre «modalités du concours et conditions d'admission» il était écrit, entre autres choses, que le concours se ferait sur titres et que:

«Compte tenu de la nature des tâches à accomplir, les candidats devront remplir les conditions suivantes:

a) avoir accompli des études universitaires complètes sanctionnées par un diplôme ou posséder une expérience professionnelle de niveau équivalent;

b) avoir exercé pendant au moins 6 ans des activités de la carrière A et avoir assuré pendant au moins 4 ans le secrétariat de réunions de groupes de travail ou de comités dépendant du Conseil.»

La publication de cet avis de concours a eu lieu dans une atmosphère qui était, c'est le moins qu'on puisse dire, empreinte de controverse.

Le 7 novembre 1974, l'Union syndicale avait publié une circulaire (annexe 8 à la requête) décrivant un certain nombre de cas dans lesquels elle considérait que le Conseil avait méconnu ou proposé de méconnaître à la fois l'esprit et le but du statut des fonctionnaires. Parmi ces cas, il en était un qui, sous le titre «Passage d'un fonctionnaire de la catégorie LA à la catégorie A (du grade LA 4 au grade A 4)» et avec une note de bas de page disant «Il s'agit d'un fonctionnaire de nationalité
italienne», était dépeint dans les termes suivants:

«Il s'agit d'un autre cas flagrant de la théorie selon laquelle tout est possible pour ceux qui ont des “Saints au paradis”, à savoir un piston efficace.

Nous ne connaissons pas encore à quelle ruse l'Autorité aura recours pour essayer de détourner le statut et donner ainsi satisfaction à la demande de la délégation italienne.

Nous constatons seulement que, sous n'importe quelle forme, un tel passage de catégorie constitue une discrimination injustifiée à l'égard des autres fonctionnaires du cadre LA qui se sont soumis dans le passé ou qui seront obligés de se soumettre à l'avenir à des concours généraux pour accéder au grade de base (A 7) de la catégorie A.

Nous croyons nécessaire de mettre en garde l'Autorité à ce sujet en lui rappellant que notre organisation ne manquera pas d'avoir recours à tous les moyens qui pourraient s'avérer nécessaires pour l'empêcher de mener à bien cette opération».

Le 14 novembre 1974, le secrétaire général du Conseil a fait publier une communication au personnel (annexe 9 à la requête) qui visait à réfuter ce qui était affirmé dans la circulaire publiée par l'Union syndicale. Cette communication contenait le passage suivant:

«La question du passage d'un fonctionnaire LA 4 au grade A 4, suite à un concours, a été envisagée dans le souci de pallier les anomalies d'une situation de fait déjà ancienne, qui s'est créée grâce à une excessive mansuétude de l'administration; la possibilité d'une telle situation ne se présentera plus. Les mesures seront prises pour que, très bientôt, chacun accomplisse les tâches qui sont celles de sa catégorie ou de son cadre.»

Les mémoires présentés dans cette affaire, certaines des annexes à ceux-ci (et, en particulier, l'annexe 1 au mémoire en défense) ainsi que ce qui a été admis au nom du Conseil à l'audience, font apparaître que les faits sous-jacents à cet échange de propos plutôt énigmatiques sont qu'un certain fonctionnaire du Conseil de grade LA 4, M. Emilio Giovanni Martino, exerçait en fait depuis de nombreuses années des fonctions de la catégorie A. Parmi ces fonctions, il y avait celle de secrétaire de divers
groupes de travail du Conseil, en ce compris notamment un groupe de travail dans le domaine de la politique régionale. Ce fonctionnaire avait également représenté le Conseil à d'autres réunions dans le domaine de la politique régionale. M. Martino est italien et la représentation permanente italienne au Conseil avait fait des démarches auprès du secrétariat général de cette institution en vue de faire obtenir à l'intéressé un grade correspondant aux tâches qu'il accomplissait, soit le grade A 4.
Selon le requérant, cette démarche avait pris la forme d'une forte pression; d'après le Conseil, il s'agissait simplement de l'expression d'un souhait.

Pour notre part, nous ne pensons pas que le degré de pression exercé ait une importance dans la présente affaire. Le fait capital, selon nous, c'est que le but visé par le Conseil en faisant le concours en question était, de son propre aveu, de permettre à M. Martino d'être reclassé en A4. La situation aurait été exactement la même sous tous les aspects qui nous intéressent en l'espèce, si le Conseil avait décidé d'adopter cette attitude sans aucune intervention de la représentation permanente
italienne.

La référence à «une discrimination injustifiée» qui est faite dans la circulaire de l'Union syndicale, tient au fait que tous les fonctionnaires LA du Conseil qui étaient passés dans la catégorie A l'avaient fait jusqu'alors à la suite de concours sur titres et épreuves et avaient tous été nommés au grade A 7, même si certains d'entre eux occupaient auparavant des postes de grade LA 6 ou même LA 5 (voir annexe 3 à la requête). Nous ne sommes pas certains que l'union syndicale avait raison de décrire
ces concours comme des «concours généraux». D'autres éléments de preuve qui nous ont été fournis dans la présente affaire nous font soupçonner qu'il s'agissait en fait de concours internes. Mais nous croyons que cela n'importe pas en l'espèce.

Deux personnes ont posé leur candidature au concours Conseil/A/108, M. Martino et le requérant, lequel était fonctionnaire de grade A 5 au service juridique du Conseil. Il se fait, soit dit en passant, qu'il est également italien.

Le rapport du jury (annexe 7 au mémoire en défense) est daté du 30 avril 1975. Le jury a inscrit les noms de M. Martino et du requérant sur la liste d'aptitude. M. Martino a obtenu la première place et cela, selon les explications fournies par le jury, pour un certain nombre de raisons. M. Martino comptait 8 ans d'ancienneté de plus que le requérant dans les services du Conseil. Il assumait des fonctions de la catégorie A depuis 10 ans, contre 7 pour le requérant. M. Martino avait également une plus
grande expérience dans le domaine de la politique régionale et il remplissait plus clairement la condition consistant à avoir «assuré le secrétariat de réunions de groupes de travail ou de comités du Conseil pendant au moins 4 ans». Le seul élément qui parlait en faveur du requérant, était le fait qu'il avait de meilleurs titres universitaires.

Le 20 mai 1975, le secrétaire général du Conseil a nommé M. Martino à l'emploi «vacant». (Le texte italien de la décision prise à cet effet par le secrétaire général figure en annexe 3 au mémoire en défense).

Le 30 mai 1975, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut du personnel contre cette nomination. La réclamation a été rejetée par le secrétaire général du Conseil par une lettre datée du 16 septembre 1975. Ni la teneur de cette réclamation, ni celle de la lettre du secrétaire général ne sont importantes en l'espèce, si ce n'est dans la mesure que j'indiquerai ci-après (voir annexes 6 et 6 b à la requête).

Le 3 octobre 1975, le requérant a formé le présent recours, dans lequel il conclut à l'annulation de la nomination de M. Martino et à d'autres mesures de caractère subordonné.

Le requérant fonde son recours sur ce qui constitue en réalité quatre moyens, quoique ceux-ci soient présentés comme n'en étant que trois, les deux derniers étant réunis.

Le premier moyen consiste à dire qu'en faisant passer M. Martino du cadre LA dans la catégorie A au moyen d'un concours sur titres simplement, le secrétaire général a violé l'accord qu'il avait conclu avec les représentants du personnel du Conseil (apparemment l'Union syndicale et peut-être d'autres syndicats ainsi que le comité du personnel) et qui figurait dans une lettre qu'il avait signée le 21 mars 1973, et à laquelle était annexé ce qui était appelé dans cette lettre une «directive» à
l'intention de la direction de l'administration (annexe 7 à la requête).

La section III de cette «directive» s'intitulait «concours internes» et, en omettant les passages qui ne nous intéressent pas en l'espèce, elle était libellée dans les termes suivants:

«Des concours internes au secrétariat général seront organisés pour le passage vers les catégories A, B et C ainsi que, le cas échéant, vers le cadre LA, afin de permettre aux membres du personnel qui en ont les capacités, de passer à une catégorie ou cadre supérieur conformément aux dispositions du statut.

Ces concours auront lieu tous les trois ans pour le passage vers la catégorie A et le cadre LA et tous les deux ans pour le passage vers les autres catégories …

Afin d'assurer l'égalité de traitement entre tous les fonctionnaires, les concours internes auront lieu sur titres et épreuves donnant les mêmes garanties de sélection que les concours généraux, tout en étant adaptés au caractère interne du concours et aux types d'emplois à pourvoir.

La liste d'aptitude établie par le jury suite à un concours sera publiée. Les emplois ouverts par ce concours seront pourvus par nomination de candidats inscrits sur cette liste. Celle-ci expirera lorsque les emplois mis à concours interne auront été pourvus. Toutefois, s'il reste des candidats sur la liste, l'autorité investie du pouvoir de nomination pourra, à titre exceptionnel et sans préjudice du recours à des concours généraux, pourvoir d'autres emplois rendus vacants pendant la période
considérée. Lors de la détermination des emplois à pourvoir par concours interne au cours de la période ultérieure, il sera tenu compte des emplois éventuellement ainsi pourvus en excédent de ceux mis à concours pour la période considérée.

Si l'autorité investie du pouvoir de nomination envisage de demander la modification du classement catégoriel de certains emplois, elle prend l'avis d'une Commission ad hoc ayant la même composition que la Commission consultative d'avancement pour la catégorie A avant de saisir l'instance budgétaire. Si la modification est décidée, des concours internes sur titre pourront, à titre exceptionnel, être prévus après avis de la Commission paritaire.

Avant la fin de juillet 1973, une étude sera effectuée par la Commission paritaire pour déterminer:

— les modalités générales d'application de ce système de concours internes périodiques et notamment le pourcentage d'emplois à mettre à concours pour chaque catégorie sur l'ensemble des emplois nouvellement créés dans cette catégorie, exception faite des emplois accordés dans le cadre de l'élargissement,

— les critères généraux concernant, pour lé passage vers les différentes catégories, les conditions d'accès aux concours et la nature des épreuves afin d'assurer l'adaptation de celles-ci aux types d'emplois à pourvoir.

Le système de concours internes sera d'application pour pourvoir les emplois vacants à attribuer à des fonctionnaires déjà en service et qui ne pourraient être pourvus par voie de promotion ou de mutation.»

Les prétentions que le requérant fonde sur cet accord (que nous appellerons désormais pour plus de commodité «l'accord de 1973») ont soulevé deux questions:

1) l'accord de 1973 liait-il le Conseil en droit; et

2) dans l'affirmative, empêchait-il le secrétaire général d'organiser un concours interne sur titres seulement dans des circonstances telles que celles de l'espèce?

Ces questions ne présentent évidemment qu'un intérêt purement académique si nous avons raison de penser que le requérant doit aboutir en tout état de cause sur la base du grief de détournement de pouvoir. Mais nous croyons néanmoins qu'il est bon que nous exprimions notre opinion à leur sujet.

Le requérant n'a pas soutenu qu'en signant l'accord de 1973, le secrétaire général exerçait un pouvoir tiré d'un texte quelconque. En particulier, il n'a pas soutenu que l'accord peut être considéré comme ayant été adopté en application de l'article 110 du statut des fonctionnaires. Cela aurait nécessité en effet l'application d'une procédure différente et, en particulier, la consultation du comité du statut. Par conséquent, la seule base permettant de considérer que l'accord est obligatoire en
droit réside dans le principe défini dans l'affaire 81-72, Commission/ Conseil, Recueil 1973, p. 575. Et de fait, c'est sur ce principe que le requérant se fonde.

Cela nous paraît toutefois soulever une difficulté que est la suivante.

Ainsi qu'il est formellement souligné dans l'arrêt Commission/Conseil, la décision de la Cour reposait en l'espèce sur la circonstance que l'acte en question faisait partie «de l'exercice, par le Conseil de la mission que lui assigne l'article 65 du statut», lequel laisse au Conseil «le choix des moyens et formes les plus adaptés à la mise en oeuvre d'une politique de rémunération conforme aux critères retenus par l'article 65». La Cour a estimé qu'il est loisible au Conseil «d'articuler la prise de
décision, … en des phrases successives, certaines questions de principe étant préalablement tranchées, afin de faciliter la mise en œuvre des mesures d'application ultérieures». En arrêtant l'acte en question «le Conseil avait dépassé le stade des études préparatoires et était entré dans la phase des mesures décisoires». Par conséquent, le Conseil, en arrêtant cet acte, avait statué «dans le cadre des pouvoirs que lui confère l'article 65 du statut en matière de rémunération du personnel» (voir
attendus 6 à 9 de l'arrêt). C'est en ces circonstances que l'acte a été considéré comme faisant naître chez le personnel des espérances légitimes qu'il convenait que la Cour protège.

Si le requérant doit l'emporter ici, l'accord de 1973 doit être considéré non pas seulement comme instituant le système de concours internes périodiques (tenus tous les trois ans dans le cas des concours pour l'accès à la catégorie A) auquel il se réfère formellement, mais aussi comme empêchant implicitement le secrétaire général de tenir tout autre concours interne quel qu'il soit, sauf dans le cas de ce que l'accord appelle «la modification du classement catégoriel» d'un emploi. Il est absolument
certain que l'accord en question ne saurait être entendu en ce sens qu'il permet au secrétaire général d'organiser un concours «ad hoc» pour un emploi particulier, dans la mesure seulement où il s'agit d'un concours sur titres et épreuves. Rien dans les termes de l'accord ne ressemble à une telle disposition.

Mais il nous semble que si l'accord empêchait implicitement le secrétaire général d'organiser un concours interne pour un emploi de catégorie A en dehors des concours triennaux envisagés par l'accord, il constituait bien plus qu'un élément d'un quelconque «processus d'élaboration de décisions» par le secrétaire général «agissant dans le cadre» des pouvoirs qui lui sont conférés par le statut des fonctionnaires. L'accord impliquait, en effet, un engagement de la part du secrétaire général d'ignorer
une disposition formelle du statut, celle de l'article 29, paragraphe 1, b).

Vous vous rappellerez, Messieurs, que l'article 29, paragraphe 1, est libellé comme suit (nous laissons de côté le dernier alinéa qui ne nous intéresse pas ici):

«En vue de pourvoir aux vacances d'emploi dans une institution, l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avoir examiné:

a) les possibilités de promotion et de mutation au sein d'une institution,

b) les possibilités d'organisation de concours internes à l'institution,

c) les demandes de transfert de fonctionnaires d'autres institutions des trois Communautés européennes,

ouvre la procédure de concours sur titres et sur épreuves ou sur titres et épreuves. La procédure de concours est déterminée à l'annexe III.»

On a beaucoup discuté dans la présente affaire (dans un autre contexte auquel je viendrai bientôt) de l'interprétation à donner à cette disposition qui, ainsi que le Conseil l'a souligné, est étroitement liée à celle de l'article 4 du statut des fonctionnaires et qui doit être interprétée conjointement avec celle-ci.

Cet article, vous vous en rappellerez, Messieurs, est libellé dans les termes suivants:

«Toute nomination ou promotion ne peut avoir pour objet que de pourvoir à la vacance d'un emploi dans les conditions prévues au présent statut.

Toute vacance d'emploi dans une institution est portée à la connaissance du personnel de cette institution dès que l'autorité investie du pouvoir de nomination a décidé qu'il y a lieu de pourvoir à cet emploi.

S'il n'est pas possible de pourvoir à cette vacance par voie de mutation, promotion ou concours interne, celle-ci est portée à la connaissance du personnel des trois Communautés européennes.»

On a presque soutenu en cours de procédure qu'il y a, pour l'interprétation des articles 4 et 29, paragraphe 1, conflit d'autorité entre, d'une part, les arrêts dans l'affaire 21-70 Rittweger/Commission (Recueil 1971, p. 7 et 15) et dans l'affaire 55-70, Reinarz/Commission (Recueil 1971, p. 379 et 384), sur lesquels s'est basé le Conseil et, d'autre part, l'arrêt dans l'affaire 176-73, Van Belle/Conseil (Recueil 1974, p. 1361 et 1370) et mes conclusions ainsi que l'arrêt dans l'affaire 70-74,
Deboeck/Commission (Recueil 1975, p. 1123, 1140 et 1133), sur lesquels s'est basé le requérant. Je ne crois pas, Messieurs, qu'il y ait effectivement un tel conflit.

L'effet combiné des articles 4 et 29, paragraphe 1, tel qu'il a été défini dans ces espèces me paraît être le suivant. Dès lors qu'il y a un emploi vacant à pourvoir dans une institution, l'autorité investie du pouvoir de nomination doit tout d'abord porter le fait à la connaissance du personnel de cette institution. Cela permet aux membres de ce personnel qui désirent demander à être promus au poste vacant ou y être mutés et entrent en ligne de compte pour une telle promotion ou mutation, de poser
leur candidature. En possession des demandes de ces candidats, si tant est qu'il y en ait, l'autorité investie du pouvoir de nomination doit alors examiner s'il y a lieu de pourvoir à l'emploi vacant par voie de promotion ou de mutation. Elle n'est toutefois pas tenue de pourvoir de cette manière à l'emploi vacant du simple fait qu'il y a des candidats se qualifiant pour la promotion ou la mutation. Elle peut chercher à obtenir de meilleurs candidats par d'autres moyens. Parmi ces moyens, le premier
auquel elle doit recourir est le concours interne à l'institution. Si elle rejette les possibilités de promotion, de mutation et de concours interne — et uniquement en ce cas —, elle doit porter la vacance de l'emploi à la connaissance du personnel des autres institutions de la Communauté et examiner alors les demandes de transfert émanant du personnel de ces institutions. Après cela viennent les possibilités de «concours interne aux institutions» et de «concours général», mentionnées à l'annexe III
au statut.

Ainsi le secrétaire général du Conseil ne pouvait-il légalement s'entendre à l'avance avec les représentants du personnel de cette institution pour ignorer la possibilité de pourvoir par voie de concours interne aux emplois de catégorie A devenant vacants dans l'institution à une époque située dans l'intervalle de temps séparant deux des concours triennaux envisagés par l'accord de 1973 et pour passer directement de l'examen des possibilités de promotion ou de mutation à l'intérieur de l'institution
à la communication de la vacance d'emploi au personnel des autres institutions de la Communauté. C'est vainement que l'on soutiendrait ici (et le requérant — il faut le porter à son crédit — ne l'a pas fait) que des candidats pouvaient subsister sur la liste d'aptitude établie à l'issue du dernier concours triennal ou qu'il pouvait ne pas être nécessaire de pourvoir immédiatement à l'emploi vacant, si bien que la vacance pouvait rester ouverte jusqu'au prochain concours triennal.

Il n'est donc pas nécessaire que nous discutions d'autres arguments avancés par le Conseil en réponse au premier moyen du requérant, comme par exemple l'argument selon lequel il suffit de lire les articles 5, paragraphe 2, et 66 du statut du personnel pour voir que la catégorie A n'est pas «supérieure» au cadre LA, d'où il découlerait que l'accord ne concernait pas le passage du cadre LA à la catégorie A ou encore l'argument consistant à dire que l'accord prévoyait expressément que la Commission
paritaire ferait une étude sur les mesures requises pour le compléter, déclaration d'intention qui n'a mené à rien. Je n'abuserai pas non plus de votre temps, Messieurs, en examinant la querelle quelque peu aride qui a opposé les défenseurs des parties sur le point de savoir si l'accord de 1973 constituait ou non une «décision». Il suffit de dire que si l'accord visait à accréditer l'interprétation défendue par le requérant, il était illégal.

Nous aborderons maintenant les deuxième et troisième moyens du requérant au sujet desquels nous pourrons être plus bref.

Dans son deuxième moyen, le requérant soutient qu'en nommant M. Martino immédiatement dans le grade A 4 après un concours sur titres seulement, alors que les fonctionnaires du cadre LA qui avaient été nommés auparavant dans la catégorie A l'avaient été au grade A 7 après avoir passé un concours à la fois sur titres et sur épreuves, le secrétaire général a agi en violation du principe de l'égalité de traitement des fonctionnaires — principe dont l'existence est reconnue par votre jurisprudence,
notamment dans l'arrêt 48-70, Bernardi/Parlement (Recueil 1971, p. 175 et 185) et qui est admis par le Conseil — ainsi qu'en violation de l'article 5, paragraphe 3, du statut du personnel, lequel prévoit que:

«Les fonctionnaires appartenant à la même catégorie ou à un même grade sont soumis respectivement à des conditions identiques de recrutement et de déroulement de carrière.»

Le traitement inéquitable ou «inégal» du personnel dont il s'agit ici est toutefois lié, selon nous, au détournement que le secrétaire général a commis de ses pouvoirs. Si, en organisant le concours interne Conseil/A/108, le secrétaire général avait simplement voulu rechercher objectivement s'il existait parmi le personnel du Conseil des candidats susceptibles de pourvoir à l'emploi vacant, en vue de nommer le plus valable d'entre eux à cet emploi, son action eût été impeccable. Si, en ces
circonstances, le candidat le plus valable s'était révélé être un fonctionnaire du cadre LA, on n'aurait pu objecter à sa nomination le fait qu'auparavant aucun membre de ce cadre n'avait été en mesure de concourir, ou du moins n'avait concouru avec succès, en vue d'obtenir un poste de la catégorie A d'un niveau supérieur à celui du grade A 7 Ou que les concours antérieurs auxquels des fonctionnaires de la carrière LA avaient participé avaient été des concours à la fois sur titres et sur épreuves.

Le troisième moyen du requérant consiste à dire que le secrétaire général à violé l'article 29, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires en ce qu'avant de décider du concours, il n'a pas considéré s'il pouvait être pourvu à la vacance par voie de promotion ou de mutation. C'est dans ce contexte que se situe la discussion sur l'interprétation des articles 4 et 29, paragraphe 1, à laquelle j'ai déjà fait allusion précédemment. En réalité, il me semble toutefois que les parties sont ici contraires
sur les faits.

Dans sa lettre du 16 septembre 1975 rejetant la réclamation du requérant au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, le secrétaire général a soutenu qu'il a examiné la possibilité de pourvoir à la vacance d'emploi par voie de promotion ou de mutation. Dans son mémoire en défense, le Conseil a paru admettre qu'il ne l'avait pas fait et se contente de soutenir qu'il n'était pas tenu de le faire en droit. Dans la duplique ainsi qu'à l'audience, le Conseil a dit, en revanche, que la possibilité
avait été envisagée.

Nous avouons que d'autres assertions du Conseil auxquelles j'ai déjà fait référence, font soupçonner que le secrétaire général a uniquement examiné la possibilité de pourvoir à la vacance par voie de promotion ou de mutation en ce sens qu'il a examiné s'il avait la possibilité de nommer M. Martino à l'emploi en question par l'une ou par l'autre de ces méthodes. Mais on ne saurait condamner une partie sur de simples soupçons. Si nous croyions que la solution de ce litige est fonction de la
détermination de ce point, nous vous inviterions, Messieurs, à ordonner une instruction quant aux faits de la cause.

Il reste le quatrième moyen du requérant, sur lequel nous croyons que son recours doit réussir, ainsi que nous l'avons indiqué abondamment.

Le requérant fonde ce moyen sur le fait, qui n'est pas réellement contesté, qu'en organisant le concours Conseil/A/108, le secrétaire général visait à permettre la nomination de M. Martino à l'emploi vacant. Le requérant affirme évidemment que cette attitude est constitutive d'un détournement de pouvoir. Il soutient aussi qu'elle constitue une violation des articles 7 et 27 du statut des fonctionnaires, en ce que ces articles, interdisant de réserver un emploi aux ressortissants d'un État membre
déterminé, doivent a fortiori interdire de réserver un emploi à un individu particulier.

A mon avis, la portée des articles 7 et 27 en l'espèce est quelque peu plus large et plus positive que cela. Elle tient dans le fait que ces articles prescrivent les critères que doit respecter l'autorité investie du pouvoir de nomination lors du recrute ment et de la nomination des fonctionnaires.

Nous pouvons observer incidemment qu'en employant pendant 10 ans un fonctionnaire du cadre LA à des tâches de la catégorie A, le Conseil a violé l'article 7 qui impose à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'affecter «chaque fonctionnaire à un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade». En réalité, il semble que c'est en vue de sortir le Conseil de cette situation en porte à faux sans exposer le fonctionnaire concerné à aucun risque, que le secrétaire général a
organisé le concours dont il est question ici.

Je ne m'attarderai guère, Messieurs, sur la discussion de la notion de détournement de pouvoir. Il me suffira de me référer aux conclusions lumineuses de M. l'avocat général Lagrange dans l'affaire 3-54, Assider/Haute Autorité (Recueil 1954-1955, p. 143 et suiv.) où ce dernier a examiné la notion par référence au droit des six États membres originaires dé la Communauté ainsi que ce qu'il a ajouté à ces conclusions dans l'affaire 8-55 Fédération charbonnière de Belgique/Haute Autorité (Recueil
1955-1956, p. 231 et suiv.). M. l'avocat général Lagrange a défini le détournement de pouvoir comme étant l'usage fait par une autorité publique de ses pouvoirs dans un but autre que Celui en vue duquel ils lui ont été conférés (voir en particulier Recueil 1955-1956, p. 253). Cette définition est classique. J'ajouterai uniquement que le principe qu'elle consacre existe également en droit anglais. La principale référence permettant d'établir l'existence de ce principe en droit anglais est l'arrêt
rendu par la chambre des Lords, dans l'affaire Westminster Corporation/London and North Western Railway [1905] A.C. 426 (voir en particulier les observations de Lord Macnaghten à la page 432 ainsi que celle de Lord Lindley à la page 439).

L'argument principal développé par le Conseil à l'encontre du grief de détournement de pouvoir consiste à dire que les règles de procédure applicables ont été strictement observées à chaque stade menant à la nomination de M. Martino. C'est possible. D'autre part il y a doute par exemple sur le point de savoir si le secrétaire général a examiné les possibilités de pourvoir à la vacance par voie de promotion ou mutation. Mais il importe peu de savoir ici si la procédure requise a été observée. Il
entre dans la nature du détournement de pourvoir que celui-ci n'a rien à voir avec l'observation ou l'inobservation des règles de procédure. Le vice réside non pas dans la manière suivant laquelle les pouvoirs en question sont exercés, mais dans le but en vue duquel ils le sont. Ainsi que Lord Lindley l'a affirmé dans l'affaire Westminster Corporation, il tient dans le fait que les pouvoirs sont utilisés «comme un écran, en vue de masquer» l'acte illicite.

Un autre argument avancé par le Conseil se fonde sur l'assertion que M. Martino aurait pu être nommé sans concours au poste en question, par simple mutation, étant donné que les grades LA 4 et A 4 sont du même niveau. L'exactitude de cette assertion est fonction du sens dans lequel il faut entendre l'article 45, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, lequel prévoit que:

«le passage d'un fonctionnaire d'un cadre ou d'une catégorie à un autre cadre ou à une catégorie supérieure ne peut avoir lieu qu'après concours».

Cette disposition a, je le crois, généralement été entendue dans la pratique comme imposant un concours pour le passage du cadre LA à la catégorie A. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'examiner dans la présente espèce si cette interprétation est ou non correcte. Même si nous laissons au Conseil le bénéfice du doute et supposons donc que le secrétaire général avait effectivement le pouvoir de muter M. Martino au poste en question sans concours, il n'en reste pas moins qu'il n'a pas exercé ce
pouvoir. De plus, s'il l'avait exercé dans le but non pas de nommer la personne la plus apte à remplir les fonctions correspondant au poste vacant, mais de pallier la situation irrégulière de M. Martino, il se serait de toute manière rendu coupable de détournement de pouvoir, tout comme il l'a fait en visant à réaliser cet objectif par le biais d'un concours.

J'estime dès lors, Messieurs, que vous devriez:

1. Annuler le concours Conseil/A/108 et la décision du secrétaire général du Conseil du 20 mai 1975 qui a été prise à la suite de celui-ci nommant M. Emilio Martino à un emploi d'administrateur principal de grade A 4 et

2. condamner le Conseil aux dépens de l'instance.

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( 1 ) Traduit de l'anglais.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 105-75
Date de la décision : 13/07/1976
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé

Analyses

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Franco Giuffrida
Défendeurs : Conseil des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Warner
Rapporteur ?: Capotorti

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1976:109

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