CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,
PRÉSENTÉES LE 20 OCTOBRE 1983 ( *1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Le requérant dans la procédure faisant l'objet des présentes conclusions, est au service de la Commission depuis le 16 avril 1980 en qualité de traducteur de langue maternelle grecque. C'est à ce dernier titre qu'il a été engagé comme agent temporaire au grade LA 7, échelon 3 et qu'à la suite de sa participation à un concours interne sur titres, il a été nommé, au 1er janvier 1981, fonctionnaire stagiaire au même grade, avec affectation, en qualité de traducteur, auprès de la section de traduction
de langue grecque.
Quelque temps plus tard, ayant notamment pris connaissance de la décision relative aux critères applicables à la nomination en grade et au classement en échelon lors du recrutement (ci-après les critères de classement), que la direction générale du personnel et de l'administration avait communiquée aux fonctionnaires et agents en mars 1981, le requérant a éprouvé des doutes quant au bien-fondé de son classement. Partant, le 9 juin 1981, il a demandé qu'on reconsidère son classement eu égard à ses
titres universitaires et à son expérience professionnelle. Par note du 3 novembre 1981, le comité de classement a informé le requérant qu'il ne se voyait pas en mesure de modifier l'avis de classement antérieurement émis.
Par lettre du 4 février 1982, le requérant a demandé au directeur général du personnel et de l'administration de procéder à un réexamen de son dossier en tenant compte des critères de classement susmentionnés. Par lettre datée du 27 mai 1982, le directeur général a confirmé le bien-fondé de l'avis rendu par le comité de classement, d'après lequel le requérant n'avait pas d'expérience professionnelle pertinente suffisamment longue pour justifier une nomination au grade supérieur de la carrière LA
7/La 6, ce dernier étant réservé aux candidats pouvant justifier d'une expérience à plein temps comme traducteur. Compte non tenu des études postuniversitaires, le comité aurait constaté que son expérience professionnelle «périphérique» ou assimilée totalisait cinq ans et huit mois.
Contre cette décision de rejet, le requérant a introduit, au titre de l'article 90 du statut des fonctionnaires, une réclamation que l'autorité investie du pouvoir de nomination devait rejeter par lettre du 1er octobre 1982, notifiée au requérant le 4 octobre 1982.
Par recours introduit le 28 décembre 1982, le requérant demandait à la Cour d'annuler la décision citée en dernier lieu et de condamner la Commission à procéder au reclassement du requérant, conformément aux critères contenus dans la décision du 6 juin 1973.
Relativement à cette demande, nous concluons comme suit.
1. Sur la recevabilité
Bien que la Commission n'invoque pas expressément d'exception faisant obstacle à l'action, nous avons néanmoins certains doutes quant à la recevabilité du recours, laquelle doit être contrôlée d'office. Cette recevabilité doit être niée, en tout cas lorsque la décision attaquée par le requérant constitue simplement la confirmation de décisions antérieures devenues inattaquables.
A cet égard, on doit relever qu'en demandant à être classé à un nouveau grade avec effet rétroactif, le requérant cherche en réalité, par son recours, à faire annuler son classement antérieur au grade LA 7, pour lequel les délais de réclamation et de recours sont écoulés. La décision attaquée, par laquelle la Commission a rejeté la réclamation du requérant, pourrait en ce sens constituer un acte confirmatif de la première décision qui, aux termes de la jurisprudence constante de la Cour de justice,
n'est susceptible d'un recours spécifique qu'en raison de la survenance de faits nouveaux comme d'une modification de la situation de fait ou de droit. En effet, ce n'est que dans un tel cas que l'administration serait fondée à réexaminer, sur demande, la décision antérieure et un acte pris dans de telles circonstances ne pourrait être qualifié de purement confirmatif.
En ce sens, la Cour de justice a souligné, notamment dans l'affaire Williams ( 1 ), que la mise en vigueur d'une décision générale comportant de nouveaux critères de classement pour le personnel nouvellement entré en service et entraînant des inégalités de traitement pour les fonctionnaires anciennement nommés autorise ceux-ci à demander un nouvel examen de leur situation administrative en vue d'obtenir une adaptation appropriée de leur classement, puisque la survenance de ce fait nouveau est de
nature à leur faire grief.
Toutefois, il est constant en l'espèce que les critères de classement invoqués par le requérant, ont été appliqués depuis leur introduction en 1973, mais n'ont été communiqués à l'ensemble du personnel qu'en mars 1981. Le requérant n'affirme d'ailleurs pas que les modalités d'application pratique définies dans l'annexe II à cette communication auraient été modifiées depuis l'adoption de ces critères de classement; il entend simplement qu'on considère leur publication intervenue après son classement
initial comme un fait nouveau, faisant courir un nouveau délai de recours.
Ainsi qu'il est démontré notamment par les arrêts Asger Petersen ( 2 ) et Volker Blasig ( 3 ), la découverte par un fonctionnaire de l'existence et de l'application de directives administratives purement internes, voire leur publication par l'administration du personnel, ne constitue pas en principe un fait nouveau de nature à ouvrir un nouveau délai de recours. La Cour de justice a estimé, en particulier dans l'affaire Blasig 3, que des mesures à caractère interne, même publiées ou parvenues à la
connaissance de certains, gardent néanmoins pour seul objet de fournir des indications aux fonctionnaires concernés, sans pour autant conférer au personnel un droit. En conséquence, la cour a retenu l'irrecevabilité des recours y afférents puisqu'aucune modification de la situation de fait et de droit n'était intervenue.
Mais, selon nous, la survenance d'un fait substantiel nouveau ne pourrait être niée si, en l'espèce, la communication des critères de classement au personnel avait provoqué une modification de leur nature juridique en ce sens que des mesures de nature purement interne — c'est ainsi qu'ils ont été qualifiés par la Cour de justice dans l'arrêt Petersen du 2 décembre 1976 ( 2 ) — ils seraient devenus des normes juridiques conférant des droits subjectifs. La recevabilité du recours devrait également
être admise notamment lorsque le requérant affirme n'avoir eu connaissance des critères qu'après son classement et avoir constaté, à cette occasion, que, par dérogation à ces critères, d'autres candidats ont bénéficié d'une erreur d'appréciation et ont ainsi été mieux classés que lui.
Ces questions étant étroitement liées à celles du bien-fondé du recours — il est notoire que pour être recevable, il suffit qu'une demande soit pertinente —, il convient selon nous d'aborder d'emblée l'examen au fond.
2. Sur le fond
Le requérant fait valoir en premier lieu la violation de la décision de la Commission du 6 juin 1973 relative aux critères de classement, en particulier de son article 3, aux termes duquel, par dérogation au principe de la nomination de tous les fonctionnaires au grade de base de la carrière de base de leur catégorie, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut nommer le candidat choisi au grade LA 6, à condition qu'il justifie d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans. Il
découlerait en particulier du point 3, lettre c), de l'annexe II à ces critères, relatif à leur application pratique, qu'aucune expérience spécifique à plein temps en tant que traducteur n'est exigée pour la carrière particulière LA 7/LA 6. Il serait en mesure de justifier au total, sinon d'une expérience professionnelle valorisable de onze ans et six mois, en tout cas d'une expérience correspondante de cinq ans. La décision de rejet contestée aurait de ce fait reçu une motivation erronée.
Enfin, il fait valoir comme troisième moyen que, compte tenu de ses titres et de son expérience professionnelle, il aurait été discriminé par rapport à ses collègues qui, sans pouvoir justifier d'une qualification équivalente, ont également été classés au grade LA 7.
Eu égard au lien de connexité très étroit existant entre ces moyens, il convient selon nous de les examiner conjointement.
a) Pour la défenderesse, le caractère non fondé du recours est déjà démontré par le fait que seule une violation des articles 31 et 32 du statut des fonctionnaires pouvait à la rigueur être invoquée à l'exclusion de la violation des critères de classement (qui sont de nature purement interne). Le préambule de la décision relative aux critères de classement indiquerait déjà que celle-ci ne constitue qu'un guide aux fins de l'application du pouvoir d'appréciation que le statut (articles 31 et 32,
précités) reconnaît à l'administration en matière de classement des fonctionnaires, sans qu'il ait jamais été prévu de faire de ces critères des normes juridiques conférant aux intéressés des droits subjectifs. Enfin, l'article 3 des critères de classement prévoirait également une marge d'appréciation, de sorte qu'on ne saurait en aucun cas en déduire un droit à un classement déterminé.
Il nous semble qu'un certain nombre de raisons permettent effectivement de considérer les critères litigieux comme des instructions administratives à caractère purement interne. Dans la forme déjà, car il s'agit d'une «décision» de la Commission, dont le préambule mentionne une série de dispositions du statut des fonctionnaires, mais non l'article 110 de ce statut, qui régit la procédure d'adoption des dispositions générales d'exécution.
L'expression «les dispositions générales d'exécution» de l'article 110 se réfère, ainsi que la Cour l'a déjà constaté dans son arrêt Willame ( 4 ), en premier lieu à des dispositions d'exécution qui sont expressément prévues par certains points particuliers du statut. Comme les articles 31 et 32 du statut ne font pas partie de ces derniers, les critères de classement ne sauraient être considérés comme des mesures d'exécution prévues par le statut mais doivent, au contraire, être considérées comme
une réglementation interne à l'administration qui entraîne un cas de compétence liée excluant tout arbitraire.
En ce sens la Cour de justice a souligné dans son arrêt Peterson ( 5 ) que les critères de classement étaient «exclusivement destinés à faciliter les choix que serait appelée à faire, sur proposition du comité, l'autorité investie du pouvoir de nomination». Elle a ajouté que «... ces critères, ainsi que l'institution du comité de classement, [constituaient] des mesures de nature purement interne, visant à faciliter les choix et décisions multiples à faire dans une période relativement brève, mais
qui n'étaient pas destinés à conférer aux intéressés des droits ou exceptatives de quelque nature que ce soit».
b) Il nous reste donc à examiner si ces mesures à caractère purement interne, portées à la connaissance du personnel en 1981, sous forme d'une annexe à une communication signée par le directeur général de l'administration, ont vu leur nature juridique modifiée par cette publicité. Mais une telle supposition paraît déjà contredite par le fait que la procédure prévue à l'article 110 du statut n'a pas été respectée. D'après la communication litigieuse, la publication de la décision avait plutôt pour
objet d'informer le personnel sur les orientations retenues pour le classement et leur mise en oeuvre pratique ainsi que sur la composition du comité de classement. Il s'agissait de garantir que «quelle que soit la nationalité de l'agent nouvellement recruté, des règles uniformes en matière de classement sont d'application et en rapport avec celles régissant le déroulement ultérieur de carrière».
Enfin, la Cour de justice a également à plusieurs reprises dit pour droit que la publicité donnée à des mesures d'ordre interne ne les transforme pas pour autant en normes juridiques. Ainsi, dans l'affaire Geeraerd ( 6 ), dans laquelle le requérant faisait valoir la violation d'une décision de la Commission publiée dans les «Informations administratives» et relative aux dispositions générales d'application concernant la procédure de promotion à l'intérieur de la carriére, la Cour a constaté que
cette décision «... ne constitue pas une disposition d'exécution prescrite par le statut, mais une mesure d'ordre intérieur, instituée volontairement par la Commission, à laquelle on ne saurait dès lors reconnaître un caractère de droit strict». Dans l'affaire Blasig ( 7 ) la Cour de justice a dit pour droit qu'un «guide de notation» a pour objet de fournir des indications au supérieur hiérarchique chargé de procéder à la notation. Il est publié pour informer les fonctionnaires concernés des
critères appliqués dans le cadre de cette procédure, mais il ne confère pas pour autant au personnel le droit d'exiger, après nomination dans un certain grade, un grade plus élevé en dehors des procédures normales de promotion.
Eu égard à cette jurisprudence, nous devons donc retenir en l'espèce qu'après leur publication auprès du personnel, en mars 1981, les critères de classement ont gardé leur caractère de directives purement internes ayant pour seul objet de concrétiser le pouvoir d'appréciation accordé à l'autorité investie du pouvoir de nomination, notamment par les articles 31 et 32 du statut et de fixer à ce pouvoir un certain cadre. Si — ainsi que la Cour de justice l'a souligné notamment dans l'affaire Raymond
Louwage ( 8 ) — de telles directives internes au service ne peuvent certes être qualifiées de règles de droit que l'administration serait tenue de respecter dans tous les cas, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre, dont l'administration ne peut s'écarter sans autre forme de procès, sous peine d'enfreindre le principe de l'égalité de traitement. Les personnes concernées peuvent à cet égard exiger que le pouvoir d'appré-ciaton soit exercé d'une manière
irréprochable.
Cependant, comme la Cour de justice est tenue de limiter son examen à la légalité de l'action administrative sans pouvoir en contrôler l'opportunité, nous nous bornerons ci-après à examiner le point de savoir si l'autorité investie du pouvoir de nomination a commis une erreur d'appréciation lors du classement du requérant, ou encore lorsqu'elle lui a refusé le classement à un grade plus élevé.
c) Aux termes de l'article 31, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires, les fonctionnaires de la catégorie A sont nommés au grade de base de leur catégorie. Le paragraphe 2 de cet article déroge à cette disposition et, dans certaines limites précisées par ce paragraphe mais qui ne nous intéressent pas en l'occurrence, il permet à l'autorité investie du pouvoir de nomination de nommer des candidats à des grades plus élevés que le grade de base de leur catégorie. Certes, cette autorité doit — ainsi
que la Cour de justice l'a dit dans l'affaire Kurrer ( 9 ) — concilier l'usage du pouvoir qui lui est réservé par ce texte avec le respect des exigences qui se dégagent de la notion de carrière résultant de l'article 5 et de l'annexe I du statut. En effet — ainsi que la Cour de justice le dit plus loin dans le même arrêt —, la notion de carrière serait privée de toute signification juridique si l'autorité investie du pouvoir de nomination était en droit d'user dans ce cas de la même mesure de
liberté que pour les autres grades.
Il n'est admissible — toujours selon la Cour — de procéder à des nominations au grade supérieur d'une carrière, par voie de concours général, «qu'à titre exceptionnel, lorsque le recours aux dispositions de l'article 31, paragraphe 2, est justifié par les besoins spécifiques du service, exigeant le recrutement d'un titulaire particulièrement qualifié».
Partant de ces considérations, on ne peut reprocher à la défenderesse d'avoir, à l'article 3 des critères de classement relatif à la nomination au grade le plus élevé d'une catégorie, fait dépendre le classement exceptionnel à un grade plus élevé que le grade de base de la durée d'un expérience professionnelle déterminée. Les observations qui précèdent permettent en outre de dire — et nous nous référons là à un autre argument du requérant — que l'interprétation de l'article 3 ne peut en aucune
manière être infléchie en raison de la rédaction différente de l'article 2 des critères de classement relatif à la nomination dans des carrières autres que des carrières de base.
d) En ce qui concerne le grief du requérant selon lequel l'autorité investie du pouvoir de nomination aurait fait à son égard une application erronée des critères litigieux, en particulier de l'article 3 de ces critères, en refusant de la classer au grade LA 6 malgré une expérience professionnelle expressément reconnue de cinq ans et huit mois, nous rappellerons tout d'abord que cet article 3 réserve également à l'autorité investie du pouvoir de nomination un pouvoir d'appréciation, y compris
lorsque la condition requise par cette disposition en matière d'expérience professionnelle est réalisée, dans la mesure où cet article dispose que «par dérogation à l'article 1 (qui rappelle le principe de la nomination au grade de base de la carrière de base), l'autorité investie du pouvoir de nomination peut, à titre exceptionnel, et pour tenir compte des nécessités de recrutement, nommer le candidat choisi au grade supérieur des carrières de base...» Contrairement au point de vue que le
requérant fait valoir à titre subsidiaire, le fait que les nécessités du recrutement se soient opposées à un classement au grade supérieur, ne peut avoir aucune importance à cet égard; en effet, la Commission doit au contraire apprécier si certaines nécessités tenant au recrutement justifient une dérogation aux règles normales de classement.
Toutefois, pour autant que nous puissions voir, le requérant ne fait pas grief à la défenderesse d'avoir fait en ce sens un usage erronné de son pouvoir d'appréciation; en réalité, son grief s'adresse à l'appréciation qui a été faite de son expérience professionnelle, qui constitue le fondement de l'exercice du pouvoir d'appréciation prévu à l'article 3 présentement en cause. En ce qui concerne le critère d'appréciation appliqué, l'article 3 se réfère expressément à l'article 2, qui dispose à cet
égard que
«l'expérience professionnelle est appréciée au regard de l'emploi à pourvoir et en prenant en considération l'activité que le candidat a exercée antérieurement à son recrutement».
En ce qui concerne la carrière LA 7/LA 6, le point 3, lettre c), de l'annexe II dit que :
«est valorisée à 100 % l'expérience pertinente à la fonction pour autant qu'elle soit de niveau A (expérience en tant que traducteur, économiste, juriste,...)».
Selon le requérant, ces dispositions imposaient de porter à son crédit les études qu'il avait entreprises à l'étranger ainsi que ses activités d'économiste, d'administrateur et de sociologue, liées à l'usage des langues étrangères, comme équivalant au moins à une expérience professionnelle de cinq au sens de l'article 3 présentement en cause.
La défenderesse objecte que sa pratique administrative a toujours été d'appliquer ces dispositions, en sorte que pour les traducteurs, engagés comme le requérant pour des traductions à caractère général, seule une expérience de traducteur à plein temps était considérée comme expérience professionnelle pertinente et susceptible d'être prise en compte.
A ce propos, nous ferons remarquer en un premier temps que, pour l'appréciation de la légalité de l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, il n'importe pas tellement de se référer aux différentes possibilités d'interprétation des réglementations à caractère interne, puisque le point déterminant est plutôt constitué par l'exercice effectif de ce pouvoir. Eu égard aux principes généraux d'égalité de traitement, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, il paraît toutefois
douteux que l'administration puisse s'écarter dans sa pratique constante de directives administratives internes qui ont été publiées et qui, comme c'était le cas dans l'affaire Louwage ( 10 ), sont claires, sans équivoque et ne permettent aucune autre interprétation. Il est vrai qu'en l'espèce ce dernier point est sujet à caution puisque, en ce qui concerne l'appréciation de l'expérience professionnelle, le texte litigieux relatif aux critères de classement n'est en aucune manière clair et sans
équivoque et qu'il accorde en tout cas une certaine marge d'appréciation à l'administration. En effet, s'agissant de déterminer la durée de l'expérience professionnelle susceptible d'être prise en compte, le texte prévoit que l'activité exercée avant la nomination doit être «appréciée» au regard de l'emploi à pourvoir. Il appartient donc à l'autorité investie du pouvoir de nomination de décider dans quelle mesure elle entend, eu égard à l'activité future du candidat, considérer l'expérience
acquise par celui-ci comme pertinente et donc comme susceptible d'être prise en compte en tant qu'expérience professionnelle. Le fait que le classement à un grade supérieur de la carrière de base ne peut être admis qu'à titre exceptionnel, lorsque des exigences particulières et spécifiques au service imposent de nommer un fonctionnaire particulièrement qualifié, justifie une certaine sévérité dans l'application du critère d'appréciation. Dans cette mesure, le critère d'appréciation qu'il convient
d'appliquer lors du classement diffère essentiellement du critère applicable lors du recrutement puisque, lors du recrutement de candidats pour des travaux de traduction à caractère général, il importe surtout de couvrir un champ d'expérience aussi large que possible alors que, lors du classement, il peut être exceptionnellement tenu compte de la nécessité de recourir à des fonctionnaires ayant une qualification particulière.
Enfin, ces mêmes considérations nous amènent également à dire que le fait que sept ans d'expérience professionnelle ont été reconnus au requérant à l'occasion d'un concours en vue du recrutement d'administrateurs principaux de grade A 5 n'entraîne pas nécessairement qu'en l'espèce l'autorité investie du pouvoir de nomination aurait dû au minimum lui reconnaître une expérience professionnelle égale à cinq ans.
Même si on doit concéder au requérant que ni l'article 31 du statut des fonctionnaires, ni les critères de classement ne visent expressément une expérience professionnelle particulière ou spécifique, un examen global, tant systématique que téléologique, de ces dispositions démontre en tout cas que la Commission n'a pas dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation en retenant, dans une pratique constante, que seul un emploi de traducteur occupé à plein temps pendant une durée de cinq ans peut
constituer une expérience professionnelle pertinente susceptible d'être valorisée pour l'activité d'un traducteur généraliste. A ce propos, il convient de rappeler que l'article 32, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires prévoit que l'autorité investie du pouvoir de nomination peut, pour tenir compte de la formation et de l'expérience professionnelle d'un fonctionnaire, déroger au régime de droit commun en ce qui concerne l'échelon attribué à l'intérieur d'un grade déterminé. De ce fait, on
doit a fortiori admettre la faculté pour l'AIPN de tenir compte d'un expérience professionnelle spécifique dans le cadre de l'article 31, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires, qui régit les exceptions à la règle du classement au grade de base.
La légalité de la pratique administrative restrictive suivie par la Commission est, en outre, confirmée par le fait que, conformément à ľ'article 3 des critères de classement, l'expérience professionnelle requise pour le grade LA 6 est de cinq ans au minimum, alors que pour le grade A 6 il faut justifier d'une expérience professionnelle d'au moins huit ans. Cette différence n'est objectivement justifiée que si l'on considère l'activité de traduction, qui fait l'objet d'une carrière spécifique
dans le cadre LA, comme une activité spéciale qui se distingue très fortement des autres secteurs de l'activité administrative. Si l'on admet ce principe, force est de reconnaître que pour l'activité d'un traducteur généraliste, qui peut par principe être amené à travailler dans divers domaines, il n'est certainement pas pas aberrant de n'admettre qu'une expérience de traducteur à plein temps comme expérience professionnelle pertinente, de nature à justifier une dérogation aux règles de droit
commun en matière de classement. Quant à la question de savoir si une telle pratique est opportune, il n'y a pas lieu de l'examiner en l'espèce mais, ainsi que la Commission le soulignait à juste titre, il reste en tout cas qu'un tel procédé a l'avantage de constituer un traitement égal, objectif et praticable pour tous les traducteurs généralistes.
e) Enfin, malgré ce qu'en pense le requérant, l'annexe II aux critères de classement n'emporte pas pour l'autorité investie du pouvoir de nomination l'obligation d'assimiler toute activité de niveau A liée à l'emploi des langues étrangères à une expérience professionnelle pertinente, susceptible d'être prise en compte pour un traducteur généraliste. En effet, cette annexe, qui résume tout simplement la pratique actuellement suivie par le comité de classement, rappelle en son point 1 le principe que
l'expérience professionnelle est calculée conformément à la définition de l'expérience professionnelle valorisable donnée par l'article 2 des critères de classement. A la lumière de cette définition, nous croyons pouvoir dire que le texte quelque peu maladroitement rédigé du point 3, lettre c), n'emporte pas de dérogation à la règle de base et veut simplement dire qu'une expérience en tant qu'économiste, juriste ou autre peut également être prise en compte comme expérience professionnelle dans le
cadre de la carrière LA 7/LA 6, lorsque l'emploi du cadre linguistique qui est à pourvoir comporte un lien étroit avec une activité de ce genre et exige des connaissances spéciales. Nous avons pu entendre qu'à la Commission une telle spécialisation n'est jusqu'ici prévue que pour les traducteurs de textes juridiques.
f) Cependant, si la pratique suivie par l'autorité investie du pouvoir de nomination est exempte de reproches, nous devons également admettre l'absence de fondement du grief supplémentaire invoqué par le requérant et selon lequel le rejet de sa demande de reclassement reposerait sur une motivation erronée.
g) Comme le requérant ne peut justifier d'aucune expérience professionnelle pertinente en tant que traducteur, au sens de la pratique administrative suivie jusqu'à maintenant par la défenderesse, il nous reste à constater en fin de compte, à propos du troisième moyen, tiré de la prétendue violation de l'interdiction de discrimination, que la défenderesse n'a pas violé le principe de l'égalité de traitement en ne classant pas le requérant à un grade supérieur à celui de ses collègues qui n'étaient
pas non plus en mesure de justifier d'une expérience professionnelle pertinente.
h) Partant, il y a lieu de considérer comme sans objet l'autre chef de demande, par lequel le requérant entendait faire condamner la défenderesse à le reclasser d'une manière conforme aux critères applicables (ce que cette dernière aurait de toute manière dû faire si le recours avait eu une issue positive).
3.
Nous proposons par conséquent de rejeter le recours, sinon comme irrecevable — contre l'irrecevabilité on pourrait invoquer le fait que l'autorité investie du pouvoir de nomination a une nouvelle fois répondu à la réclamation du requérant —, en tout cas comme non fondé et de condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens, conformément à l'article 70 du règlement de procédure.
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( *1 ) Traduit de l'allemand.
( 1 ) Arrêt du 6. 10. 1982 dans l'affaire 9/81 — Calvin E. Williams/Cour des comptes des Communautés européennes — Recueil 1982, p. 3301.
( 2 ) Arrêt du 2. 12. 1976 dans l'affaire 102/75 — Asger Petersen/Commission des Communautés européennes — Recueil 1976, p. 1777.
( 3 ) Arrêt du 18. 6. 1981 dans l'affaire 173/80 — Volker Blasig/Commission des Communautés européennes — Recueil 1981, p. 1649.
( 4 ) Arrêt du 8. 7. 1965 dans l'affaire 110/63 — Alfred Willame/Commission de la CEEA — Recueil 1965, p. 803.
( 5 ) Arrêt du 2. 12. 1976 dans l'affaire 102/75 — Asger Petersen/Commission des Communautés européennes — Recueil 1976, p. 1777.
( 6 ) Arrêt du 4. 12. 1980 dans l'affaire 782/79 — Maurice Geeraerd/Commission des Communautés européennes — Recueil 1980, p. 3651.
( 7 ) Arrêt du 18. 6. 1981 dans l'affaire 173/80 — Volker Blasig/Commission des Communautés européennes — Recueil 1981, p. 1649.
( 8 ) Arrêt du 30. 1. 1974 dans l'affaire 148/73 — Raymond Louwage et Marie-Thérèse Moríame, épouse Louwage/Commission des Communautés européennes — Recueil 1974, p. 81.
( 9 ) Arrêt du 28. 3. 1968 dans l'affaire 33/67 — Dietrich Kurrer/Conseil des Communautés européennes — Recueil 1968, p. 189.
( 10 ) Arrêt du 30. 1. 1974 dans l'affaire 148/73 — Raymond Louwage et Marie-Thérèse Moríame, épouse Louwage/Commission des Communautés européennes — Recueil 1974, p. 81.