Avis juridique important
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61988C0003
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 4 octobre 1989. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Manquement d'État - Marchés publics de fournitures dans le domaine de l'informatique - Entreprises à participation publique - Législation nationale non conforme aux obligations de droit communautaire. - Affaire C-3/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 04035
édition spéciale suédoise page 00269
édition spéciale finnoise page 00285
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Dans le cadre du recours en manquement qui fait l' objet de l' affaire C-3/88, la Commission demande à la Cour de constater que, en adoptant ou en maintenant des dispositions législatives réservant aux seules sociétés dans lesquelles l' État ou le secteur public détient une participation majoritaire ou totale, de façon directe ou indirecte, la possibilité de conclure avec l' État italien des conventions pour la réalisation de systèmes informatiques pour le compte de l' administration publique,
la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 52 et 59 du traité CEE ainsi que de la directive 77/62/CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures ( JO L 13 du 15.1.1977, p . 1 ).
2 . Pour la description des lois et décrets-lois italiens en cause, je renvoie au chapitre II du rapport d' audience . Tous ces textes visent la mise en place complète de systèmes informatiques, allant de leur conception et de la définition du "logiciel", c' est-à-dire des programmes, à leur gestion technique, en passant par l' acquisition des équipements et du matériel nécessaires à leur mise en oeuvre .
3 . Le grief de la violation des articles 52 et 59 du traité CEE vise la réglementation italienne dans la mesure où elle concerne la conception, le logiciel et la gestion des systèmes informatiques ( ci-après "software "), celui de la violation de la directive 77/62/CEE vise cette réglementation pour autant qu' elle porte sur la fourniture des équipements et du matériel ( ci-après "hardware ").
I - Quant aux articles 52 et 59 du traité CEE
4 . Dans son arrêt du 14 janvier 1988, Commission/Italie ( 63/86 ), la Cour a rappelé
"que les articles 52 et 59 du traité visent essentiellement à mettre en oeuvre, dans le domaine des activités non salariées, le principe de traitement égal consacré à l' article 7 selon lequel 'dans le domaine d' application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu' il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité' .
Ces deux articles tendent ainsi à assurer le bénéfice du traitement national au ressortissant d' un État membre désireux d' exercer une activité non salariée dans un autre État membre, et ils interdisent toute discrimination fondée sur la nationalité, résultant des législations nationales ou régionales et faisant obstacle à l' accès ou à l' exercice d' une telle activité" ( points 12 et 13 ).
5 . Or, en l' espèce, le gouvernement italien fait précisément valoir, à titre principal, que les lois et décrets-lois litigieux ne feraient aucune référence à la nationalité des sociétés admises à conclure avec l' État italien les contrats et conventions en cause .
6 . Formellement, le gouvernement italien a certainement raison : la législation italienne incriminée est indistinctement applicable aux sociétés étrangères comme aux sociétés italiennes . Le critère de distinction n' est pas la "nationalité" des sociétés, mais celui de la participation, totale ou majoritaire, du secteur public dans leur capital . Il n' est pas contesté que par "secteur public" il faut entendre le secteur public italien .
7 . Aussi, la Commission rétorque-t-elle, dans sa réplique ( point 3.2.2 ), que
"sont également touchées par l' interdiction de discrimination ... des dispositions qui, sans se référer explicitement à la nationalité, touchent en fait exclusivement ou surtout les ressortissants ( ou les personnes morales ) des autres États membres ".
8 . C' est la thèse de la discrimination indirecte ( ou déguisée ) en raison de la nationalité que la Commission avait déjà fait valoir dans l' affaire 221/85, Commission/Belgique, à laquelle elle renvoie d' ailleurs . Dans son arrêt du 12 février 1987 dans cette affaire ( Rec . p . 719 ), la Cour, après avoir constaté que la loi belge en cause n' empêche pas les ressortissants d' autres États membres de s' établir en Belgique et d' y exercer les activités en question, et est donc indistinctement
applicable aux ressortissants belges et à ceux des autres États membres, a ajouté que
"( son ) contenu et ( ses ) objectifs ne permettent pas de conclure qu' elle a été adoptée à des fins discriminatoires ou qu' elle produit des effets de cette nature" ( point 11 ).
9 . Dans d' autres affaires plus récentes, la Cour a également indiqué que le critère de la discrimination indirecte en raison de la nationalité pouvait effectivement être appliqué à des législations indistinctement applicables .
10 . Dans ses arrêts du 7 juillet 1988 dans les affaires 143/87, Stanton/Inasti, et dans les affaires jointes 154/87 et 155/87 entre Inasti et, d' une part, Wolf et NV Microtherm Europe, et, d' autre part, Dorchain et PVBA Almare ( 1 ), la Cour a constaté ce qui suit :
"s' il est vrai que ( la réglementation belge à l' origine du litige au principal, indistinctement applicable à tous les travailleurs exerçant une activité professionnelle en Belgique et n' opérant aucune discrimination en fonction de la nationalité de ces travailleurs ,) défavorise ceux de ces travailleurs qui occupent à titre principal un emploi salarié dans un autre État membre que la Belgique, il n' a été produit devant la Cour aucun élément d' information permettant d' établir que ces
travailleurs défavorisés sont exclusivement ou principalement des non-nationaux ".
Elle en a conclu que
"il n' apparaît donc pas que la réglementation nationale en cause puisse être regardée, non plus, comme opérant une discrimination indirecte en raison de la nationalité"
et que
"il convient, dans ces conditions, d' écarter du débat l' article 7 du traité" ( point 9 ).
11 . Dans son arrêt du 20 septembre 1988 dans l' affaire 31/87, Gebroeders Beentjes/État des Pays-Bas ( 2 ), la Cour a déclaré que
"l' exigence d' employer des chômeurs de longue durée pourrait notamment enfreindre le principe de non-discrimination en raison de la nationalité consacré par l' article 7, paragraphe 2, du traité au cas où il s' avérerait qu' une telle condition ne pourrait être remplie que par les soumissionnaires nationaux ou bien qu' elle serait plus difficilement remplissable par des soumissionnaires provenant d' autres États membres ".
Étant donné qu' en l' espèce il s' agissait d' un recours préjudiciel, elle a ajouté que
"il appartient au juge national de vérifier, compte tenu de toutes les circonstances de l' espèce, si l' exigence d' une telle condition a ou non une incidence discriminatoire directe ou indirecte" ( point 30 ).
12 . Par ailleurs, dans son arrêt du 7 juin 1988, Roviello/Landesversicherungsanstalt Schwaben ( 20/85 ) ( 3 ), la Cour a appliqué un raisonnement identique cette fois-ci non pas à l' encontre d' une législation nationale, mais d' une disposition de droit communautaire en matière de sécurité sociale, et a confirmé que
"la règle d' égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d' autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat" ( point 14 ) ( 4 ).
13 . Ces différents arrêts récents soulignent l' exactitude de la thèse de la Commission selon laquelle peuvent également tomber sous le coup de l' interdiction des articles 52 et 59 du traité les dispositions nationales qui, bien qu' indistinctement applicables aux ressortissants de tous les États membres, ont, en fait, pour effet de gêner ou de défavoriser surtout les ressortissants des autres États membres . Il est d' ailleurs significatif que les programmes généraux pour la suppression des
restrictions à la libre prestation de services, respectivement à la liberté d' établissement, arrêtés par le Conseil le 18 décembre 1961 ( JO 1962, p . 32 et 36 ) et qui, comme la Cour l' a relevé à plusieurs reprises ( 5 ), fournissent des indications utiles en vue de la mise en oeuvre des dispositions afférentes du traité, considèrent tous les deux que constituent des restrictions interdites
"les conditions auxquelles une disposition législative, réglementaire ou administrative, ou une pratique administrative, subordonne la prestation de services - respectivement l' accès ou l' exercice d' une activité non salariée - et qui, bien qu' applicables sans acception de nationalité, gênent exclusivement ou principalement la prestation de ces services - respectivement l' accès ou l' exercice de cette activité - par des étrangers ".
14 . En outre, dans ses arrêts Inasti du 7 juillet 1988, précités, la Cour a déclaré, d' une façon tout à fait générale, que
"l' ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent ainsi à faciliter pour les ressortissants communautaires l' exercice d' activités professionnelles de toute nature sur l' ensemble du territoire de la Communauté et s' opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu' ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d' un seul État membre" ( point 13 ).
15 . Appliquée au cas d' espèce, cette façon de voir implique que la réglementation italienne litigieuse, bien qu' elle n' empêche pas les sociétés des autres États membres de s' établir en Italie ou d' y exercer les activités visées, est incompatible avec les articles 52 et 59 du traité dès lors qu' elle a pour effet d' empêcher l' accès des sociétés non italiennes aux contrats en question .
16 . Le gouvernement italien objecte cependant, dans sa duplique ( p . 5 ), que les lois litigieuses réservent un traitement identique, en fait et en droit, aux entreprises privées étrangères et aux entreprises privées italiennes, et qu' elles établissent simplement une distinction entre les entreprises publiques et les entreprises privées, sans référence à la nationalité .
17 . Or, en l' espèce, il n' y a pas lieu de raisonner en distinguant entre entreprises privées et entreprises publiques . D' une part, la Commission ne fait pas grief à l' Italie de discriminer les entreprises privées étrangères par rapport aux entreprises privées italiennes . D' autre part, ce n' est pas le critère de la participation publique qui est discriminatoire, mais c' est celui de la participation publique italienne qui a pour effet que seules des entreprises contrôlées par le secteur
public italien ont accès aux activités concernées . Or, ces sociétés sont, en fait, toutes des sociétés constituées en Italie ou ayant leur siège en Italie, c' est-à-dire des sociétés italiennes .
18 . Toutes les sociétés italiennes ne sont pas avantagées par rapport aux sociétés étrangères, mais toutes les sociétés avantagées par cette législation sont italiennes .
19 . La partie défenderesse fait cependant encore valoir que l' État ou le secteur public italien ont pris des participations majoritaires dans des sociétés étrangères, parmi lesquelles une société américaine spécialisée dans l' informatique .
20 . A ce propos, il faut reconnaître qu' une société ayant la nationalité d' un autre État membre, du moment qu' elle serait détenue en totalité ou en majorité par l' État ou le secteur public italien, remplirait les conditions posées par les lois incriminées . Mais, même s' il existait l' une ou l' autre société de ce type, la législation italienne, au lieu de favoriser exclusivement les sociétés italiennes, favoriserait toujours principalement ces dernières, et elle resterait, de ce fait,
incompatible avec le traité .
21 . La Commission a cependant indiqué, sans être contredite, d' une part, qu' il n' existe pas, à l' heure actuelle, dans le secteur de l' informatique, de sociétés ayant la nationalité d' un autre État membre dont le capital est détenu en totalité ou en majorité par le secteur public italien et, d' autre part, que les conventions conclues en application de la réglementation incriminée l' ont effectivement été avec des sociétés italiennes .
22 . Dans sa duplique ( p . 5 et 6 ), le gouvernement italien soutient également que le critère de la participation du secteur public italien serait justifié en raison du type d' activités que les sociétés en question sont appelées à déployer, et notamment par le fait que leur mission peut englober la gestion de systèmes informatiques dans des secteurs stratégiques ( fiscalité, criminalité organisée, santé publique, etc .).
23 . A cet égard, on est amené à constater que plusieurs des lois litigieuses prévoient seulement que la gestion des systèmes informatiques peut éventuellement et à titre temporaire être confiée aux sociétés qui ont développé le système . En outre, c' est la gestion technique des systèmes qui est visée, et encore doit-elle se dérouler sous la direction et la surveillance des organes administratifs de sorte qu' elle ne comporte pas nécessairement l' accès à des données "stratégiques" par ceux qui en
ont la charge .
24 . Enfin, l' État peut certainement se protéger contre l' éventuelle utilisation malvenue des données en question en recourant à d' autres mesures, moins restrictives pour la liberté d' établissement et la libre prestation de services, telle l' obligation de réserve imposée au personnel des sociétés concernées . D' ailleurs, le décret-loi n° 688, du 30 septembre 1982, prévoyant des mesures d' urgence en vue de lutter contre l' évasion fiscale étend l' obligation générale de réserve, imposée par le
code pénal italien aux officiers publics et aux personnes chargées d' un service public, aux "employés et collaborateurs de tous ordres des sociétés à qui sont confiées des opérations, associés de quelque manière que ce soit à l' exécution des opérations prévues dans les contrats ...". Or, rien ne permet de supposer que cette obligation serait nécessairement mal respectée ou respectée dans une moindre mesure par le personnel de sociétés sans participation publique italienne que par celui de sociétés
à participation publique italienne .
25 . Des considérations du même ordre peuvent être faites dans le contexte de l' argumentation que le gouvernement italien a soutenue à titre subsidiaire, à savoir que les articles 52 et 59 du traité CEE ne pourraient en aucun cas s' appliquer en raison des exceptions prévues aux articles 55, 56, paragraphe 1, et 66 du traité CEE .
26 . Pour ce qui concerne l' exception en faveur des activités participant à l' exercice de l' autorité publique, prévue par l' article 55, il y a d' abord lieu de souligner, comme la Cour l' a encore fait dans son arrêt du 15 mars 1988, Commission/Grèce ( 147/86 ) ( 6 ),
"qu' en tant que dérogation à la règle fondamentale de la liberté d' établissement ( et, par le biais de l' article 66, de celle de la libre prestation de services ) l' article 55 du traité doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que cette disposition permet aux États membres de protéger" ( point 7 ).
Par ailleurs, la Cour a ajouté que,
"même si l' application éventuelle des restrictions à la liberté d' établissement prévues par l' article 55, alinéa 1, doit être appréciée séparément pour chaque État membre, elle doit cependant tenir compte du caractère communautaire des limites posées par l' article 55 aux exceptions permises au principe de la liberté d' établissement, afin d' éviter que l' effet utile du traité en cette matière ne soit déjoué par des dispositions unilatérales des États membres" ( point 8 ).
27 . Il reste que, dans sa jurisprudence, la Cour n' a jamais défini d' une manière générale et abstraite ce qu' il y a lieu d' entendre par "activités participant ... même à titre occasionnel, à l' exercice de l' autorité publique ".
28 . Dans son arrêt du 21 juin 1974, Reyners/État belge ( 2/74, Rec . p . 631 ), elle a toutefois spécifié que les activités les plus spécifiques de la profession d' avocat ne sauraient être considérées comme une participation à cette autorité, et elle a dit pour droit que
"l' exception à la liberté d' établissement prévue par l' article 55, alinéa 1, du traité CEE doit être restreinte à celles des activités visées par l' article 52 qui, par elles-mêmes, comportent une participation directe et spécifique à l' exercice de l' autorité publique ".
Il résulte du même arrêt que, même si certaines activités sont accomplies en vertu d' une obligation ou d' une exclusivité établie par la loi, elles ne relèvent pas pour autant nécessairement de l' autorité publique .
29 . D' un autre côté, dans l' arrêt du 15 mars 1988, Commission/Grèce, précité, qui concernait des activités qui, bien qu' exercées à titre privé, relevaient du domaine de l' enseignement pour lequel il appartient à chaque État membre de définir quels sont le rôle et les responsabilités propres à l' autorité publique, la Cour a écarté l' application de l' exception de l' article 55 sur la base de la constatation que l' autorité publique gardait le contrôle sur ces activités et disposait des moyens
utiles pour assurer, en toute hypothèse, la sauvegarde des intérêts dont elle a la charge, sans qu' il soit nécessaire de restreindre, à cet effet, la liberté d' établissement .
30 . A mon sens, la Cour a ainsi donné à la notion de "participation à l' exercice de l' autorité publique" une interprétation plus étroite que celle qu' elle a donnée à la notion d' "emplois dans l' administration publique" prévue à l' article 48, paragraphe 4, du traité, qui, selon la jurisprudence, ne comprend pas seulement des emplois comportant une participation directe, mais également ceux comportant une participation indirecte à l' exercice de la puissance publique et même aux fonctions qui
ont pour objet la sauvegarde de simples intérêts généraux de l' État ou des autres collectivités publiques ( 7 ).
31 . Compte tenu de ce qui précède, il ne me paraît pas possible de considérer que les sociétés chargées de la réalisation et de la gestion technique de systèmes informatiques pour le compte de l' administration publique participent d' une façon "directe et spécifique" à l' exercice de l' autorité publique . Par ailleurs, comme nous l' avons vu, les activités à déployer par lesdites sociétés sont exercées sous la direction et la surveillance de l' administration publique concernée qui en garde donc
le contrôle .
32 . Enfin, pour autant que la réalisation et la gestion technique de systèmes informatiques devraient inévitablement entraîner l' accès à des données présentant un caractère confidentiel et d' intérêt public, un État membre disposerait, grâce à l' obligation de réserve, d' une mesure de protection suffisamment efficace contre leur divulgation, sans qu' il soit nécessaire de restreindre, à cet effet, la liberté d' établissement et la libre prestation de services .
33 . Quant à l' application de l' exception de l' article 56, paragraphe 1, à laquelle renvoie également l' article 66 et qui permet le maintien des réglementations nationales prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers dans la mesure où elles sont justifiées par des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé publique, il y a d' abord lieu de préciser que ce qui peut faire échapper l' exercice de certaines activités aux interdictions des articles 52 et 59, ce ne sont
pas les buts propres aux réglementations en cause en elles-mêmes, mais les raisons pour lesquelles elles comportent des restrictions pour les ressortissants étrangers . Aussi, l' argument du gouvernement italien qu' il poursuit, à travers la réalisation des systèmes informatiques, des buts qui ne sont pas uniquement économiques, mais qui concernent également l' intérêt public, à savoir notamment la lutte contre l' évasion fiscale et la criminalité organisée, les actions thérapeutiques en matière de
toxicomanie et la répression des fraudes dans le domaine pharmaceutique ou en matière agricole, n' est-il pas pertinent pour justifier les restrictions litigieuses imposées aux sociétés étrangères . Pour illustrer ce qui précède au moyen d' un exemple, ce n' est pas parce que l' un des systèmes informatiques en question vise à mener à bien la programmation sanitaire nationale et à contrôler l' utilisation du fonds national de la santé que la participation de sociétés étrangères à sa réalisation et à
sa gestion mettrait en danger la santé publique en Italie ( 8 ).
34 . Les raisons d' ordre public ou de sécurité publique susceptibles de justifier l' exclusion des sociétés étrangères ne sauraient donc résider que dans la protection des données traitées par les systèmes informatiques en question . Selon le gouvernement italien,
"il s' agit d' informations présentant indubitablement des aspects publics, qui ne doivent pas tomber entre toutes les mains et ne doivent, par conséquent, pas être utilisées à des fins détournées ou véritablement contraires aux intérêts de l' État" ( fin du point II, 2.b . de la duplique ).
35 . Or, pour les mesures prises en vertu de l' article 56, vaut ce qui vaut pour toute mesure réservant un traitement différent aux ressortissants étrangers, qu' elle soit basée sur des critères objectifs d' intérêt général ou sur l' article 55, c' est-à-dire qu' elles ne doivent pas être disproportionnées par rapport à l' objectif visé . Comme la Cour l' a fait observer dans son arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a./État néerlandais ( 352/85 ),
"en tant qu' exception à un principe fondamental du traité, l' article 56 du traité doit, en effet, être interprété de façon à ce que ses effets soient limités à ce qui est nécessaire pour la protection des intérêts qu' il vise à garantir" ( point 36 ).
36 . Pour les mêmes raisons que celles déjà indiquées dans ces contextes, l' exclusion des sociétés dans lesquelles le secteur public italien ne détient pas de participation majoritaire ou totale ne saurait pas non plus être justifiée par des raisons d' ordre public ou de sécurité publique au sens de l' article 56 du traité .
37 . En conclusion, il y a donc lieu d' accueillir le recours de la Commission, dans la mesure où il est fondé sur la violation des articles 52 et 59 du traité CEE .
II - Quant à la directive 77/62/CEE du Conseil
38 . Par le second grief de son recours, la Commission souhaite faire constater que la réglementation italienne litigieuse autorise, pour ce qui concerne l' acquisition du matériel et des équipements nécessaires à la réalisation des systèmes informatiques en question, des procédures de passation de marchés publics qui sont incompatibles avec les principes de la directive 77/62/CEE du Conseil, et que notamment les règles de publicité, prévues à son article 9, qui imposent la publication des avis
appropriés au Journal officiel des Communautés européennes, n' ont jamais été respectées .
39 . A titre principal, le gouvernement italien fait valoir que ladite directive ne s' appliquerait pas aux contrats et conventions en cause . Un système informatique formerait un tout dont on ne pourrait pas détacher le "hardware" qui n' en constituerait qu' un élément accessoire et secondaire . En tant qu' ensembles complexes comprenant, à côté du "hardware", des travaux et services que sont les activités liées au "software" ( conception, entretien, mise en oeuvre et parfois gestion ), des
systèmes informatiques, tels que ceux définis dans les lois litigieuses, ne pourraient être considérés comme constituant des "produits" au sens de l' article 1er, sous a ), de la directive .
40 . Je ne crois pas que cette argumentation du gouvernement italien puisse être accueillie .
41 . Certes, il ne saurait y avoir de doute, et la Commission est tout à fait d' accord avec le gouvernement italien là-dessus, que
"le matériel et le logiciel, précédés de la nécessaire conception du système, sont des éléments indispensables et indissociables aux fins de la réalisation d' un système informatique" ( réplique p . 2 ).
42 . Mais cela ne signifie pas qu' il soit impossible de les acquérir séparément .
43 . Ainsi, le gouvernement italien aurait pu, d' abord, s' adresser à une société spécialisée dans le logiciel en lui demandant de concevoir le système . Cette société aurait défini très exactement les spécifications techniques des appareils les mieux appropriés . Le Gouvernement aurait ensuite pu acquérir de tels appareils à l' issue d' une procédure respectant les règles définies par la directive 77/62/CEE . Il a d' ailleurs été confirmé au cours de l' audience que le gouvernement italien est
devenu, en fin de compte, propriétaire des équipements choisis et achetés pour son compte par les sociétés avec lesquelles les contrats ont été conclus .
44 . La question de savoir si l' ensemble "hardware-software" constitue un "produit" au sens de l' article 1er de la directive ne se pose donc pas .
45 . De toute façon, la directive ne contient aucune disposition autorisant d' exclure de son champ d' application certaines livraisons de produits au motif qu' elles ne constitueraient qu' un élément accessoire dans le cadre de travaux ou de prestations de services plus larges . Elle prévoit toutefois, dans une mesure limitée, l' inverse : aux termes de son article 1er, sous a ), la livraison de produits sur laquelle portent les marchés publics de fournitures au sens de la directive "peut
comporter, à titre accessoire, des travaux de pose et d' installation ". Il ne saurait évidemment être question d' en déduire que, dans le domaine de l' informatique, l' ensemble du "software" doit suivre le "hardware ". J' estime, toutefois, qu' il est légitime de considérer que, si le Conseil avait voulu permettre de ne pas soumettre à la directive le "hardware" en raison de son caractère accessoire par rapport au "software", il l' aurait expressément dit .
46 . Par ailleurs, il est significatif de noter que, si le Conseil, à l' article 6, paragraphe 1, sous h ), a permis aux États membres de ne pas appliquer les procédures prévues par la directive "pour les marchés de fournitures d' équipements dans le domaine de l' informatique", il ne l' a fait que jusqu' au 1er janvier 1981, sauf décision modifiant cette date et, encore, en se réservant la possibilité d' exclure certaines catégories de matériel du champ d' application de cette exception . Cette
exception expresse démontre, a contrario, que les équipements et le matériel dans le domaine de l' informatique constituent, en principe, des produits au sens de la directive . Or, il ne saurait être déduit ni de l' objet ni de la forme de la décision 79/783/CEE du Conseil, du 11 septembre 1979, arrêtant un programme pluriannuel ( 1979-1983 ) dans le domaine de l' informatique ( JO L 231 du 13.9.1979, p . 23 ) et de la décision 84/559/CEE, du 22 novembre 1984, modifiant cette décision en ce qui
concerne les actions générales dans le domaine de l' informatique ( JO L 308 du 27.11.1984, p . 49 ) que celles-ci aient pu, même implicitement, proroger la durée de validité de cette exception . La directive est donc applicable aux marchés de fournitures d' équipements informatiques depuis le 1er janvier 1981 . ( Je signale, en passant, que la version actuelle de la directive, après les modifications qui y ont été apportées par la directive 88/295/CEE, du 22 mars 1988 ( 9 ), ne contient plus l'
exception en question .)
47 . Cette conclusion ne peut pas être infirmée par la constatation que généralement la valeur du "software" dépasse celle du "hardware" dans la réalisation de systèmes informatiques . En effet, la directive ne fixe qu' un seul seuil au-dessous duquel les marchés de fournitures peuvent échapper à l' application des procédures prévues et ce seuil est exprimé en chiffres absolus : en vertu de l' article 5, paragraphe 1, sous a ), ce seuil est de 200 000 unités de compte européennes ou, actuellement,
200 000 écus . Il résulte de la réponse du gouvernement italien à la question posée par la Cour qu' en l' espèce ce seuil a effectivement été dépassé pour le "hardware"; le gouvernement italien n' a d' ailleurs pas prétendu le contraire .
48 . Il y a également lieu de faire remarquer que la directive 77/62/CEE, comme il ressort de ses deux premiers considérants, vise simplement à compléter, par une coordination des procédures dans le domaine des marchés publics de fournitures, l' interdiction des restrictions à la libre circulation des marchandises dans ce domaine telle qu' elle est déjà prévue aux articles 30 et suivants du traité CEE . Or, aucune de ces dispositions ne prévoit une exception à cette interdiction pour les cas où les
marchandises concernées devraient être livrées dans le cadre d' opérations plus larges comprenant également ou principalement l' exécution de travaux ou la prestation de services .
49 . En outre, dans son arrêt du 22 septembre 1988, Commission/Irlande ( 45/87 ), la Cour s' est basée sur le caractère général de l' interdiction de l' article 30 pour écarter l' argumentation du gouvernement irlandais selon laquelle devraient y échapper les importations de marchandises, même accessoires, effectuées dans le cadre de marchés publics de travaux . Constatant que les règles du traité relatives à la libre prestation de services ne comportent aucune règle spécifique visant certaines
entraves à la libre circulation des marchandises, elle a expressément déclaré que
"le fait qu' un marché public de travaux concerne la prestation de services ne peut donc avoir pour conséquence de soustraire aux interdictions de l' article 30 une limitation des matériaux à utiliser inscrite dans un avis d' appel d' offres" ( voir les points 14 à 17 ).
50 . Ce raisonnement est également applicable en l' espèce, en ce sens que le fait qu' une livraison de marchandises s' insère dans le cadre d' activités exercées au titre soit de l' article 52, soit de l' article 59 du traité ne permet pas de soustraire ces marchandises aux interdictions de l' article 30 .
51 . C' est donc à tort que les lois litigieuses italiennes n' ont pas prévu l' application des procédures de la directive 77/62/CEE pour l' acquisition du "hardware" nécessaire à la réalisation des systèmes informatiques en question .
52 . Quant au moyen subsidiaire du gouvernement italien selon lequel les marchés de fournitures en cause rentreraient dans l' une ou l' autre et parfois dans plusieurs des dérogations prévues par la directive, j' estime, avec la Commission, qu' aucune d' entre celles-ci n' est applicable en l' espèce . Comme je partage entièrement les arguments invoqués par la Commission à cet égard, tels qu' ils sont reproduits au chapitre IV.2 du rapport d' audience ( p . 14 et 15 du texte ronéotypé ), je me
permets d' y renvoyer .
Conclusion
53 . Pour toutes ces raisons, je vous propose d' accueillir le recours de la Commission dans son ensemble et de condamner la République italienne aux dépens .
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) Rec . p . 0000 et 0000 .
( 2 ) Rec . p . 0000 .
( 3 ) Rec . p . 0000 .
( 4 ) Voir aussi l' arrêt du 15 janvier 1986, Pinna/Caisse d' allocations familiales de la Savoie, points 23 et 24 ( 41/84, Rec . p . 1 ).
( 5 ) Voir, notamment, l' arrêt du 14 janvier 1988, précité, Commission/Italie, point 14 ( 63/86 ) ainsi que l' arrêt du 10 juillet 1986, Segers/Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Bank - en Verzekeringswezen, Groothandel en Vrije Beroepen, point 15 ( 79/85, Rec . p . 2375 ).
( 6 ) Rec . p . 1637 .
( 7 ) Voir, pour la définition de la notion d' "emplois dans l' administration publique", notamment l' arrêt du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum/Land Baden-Wuerttemberg, point 27 ( 66/85, Rec . p . 2121 ).
( 8 ) Voir, dans ce contexte, l' arrêt de la Cour du 7 mai 1986, Guel/Regierungspraesident Duesseldorf, point 17 ( 131/85, Rec . p . 1573 ):
"La faculté des États membres de limiter la libre circulation des personnes pour des motifs de santé publique n' a pas pour objet de mettre le secteur de la santé publique, en tant que secteur économique et du point de vue de l' accès à l' emploi, à l' abri de l' application des principes de la libre circulation, mais de pouvoir refuser l' accès ou le séjour sur leur territoire à des personnes dont l' accès ou le séjour sur ce territoire constituerait, en tant que tel, un danger pour la santé
publique ."
( 9 ) Directive 88/295/CEE du Conseil, du 22 mars 1988, modifiant la directive 77/62/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures et abrogeant certaines dispositions de la directive 80/767/CEE ( JO L 127 du 20.5.1988, p . 1 ).