Avis juridique important
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61989C0155
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 mai 1990. - État belge contre Philipp Brothers SA. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France. - Agriculture - Avances sur restitutions à l'exportation - Libération erronée de la caution - Non-respect des délais pour le dépôt de documents - Octroi de délais supplémentaires - Forclusion - Conséquences - Proportionnalité. - Affaire C-155/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-03265
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . L' article 25, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 2730/79 de la Commission, du 29 novembre 1979, portant modalités communes d' application du régime des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles ( JO L 317, p . 1 ), prévoit que "les États membres peuvent avancer à l' exportation tout ou partie du montant de la restitution dès l' accomplissement des formalités douanières d' exportation, à condition que soit garanti par la constitution d' une caution le montant de cette avance
majoré de 15 %".
2 . Le 18 mars 1981, Philipp Brothers SA, une société commerciale spécialisée dans le négoce international de matières premières et de produits agricoles, a reçu, de la part de l' organisme d' intervention belge, l' Office central des contingents et des licences ( ci-après "OCCL "), le paiement à l' avance de restitutions correspondant à deux exportations de blé tendre, la première vers la Finlande, la seconde vers la Norvège, pour lesquelles elle avait obtenu des certificats d' exportation en date
respectivement des 23 et 28 janvier 1981 . Les exportations semblent avoir eu lieu les 26 et 29 janvier 1981 . En garantie de ces avances, Philipp Brothers avait constitué deux cautions .
3 . Dès le 24 avril 1981, l' OCCL libérait la caution relative à l' exportation vers la Norvège . Celle relative à l' exportation vers la Finlande a été libérée le 3 février 1982 . L' OCCL affirme que la libération des cautions aurait été due à une méprise sur leur nature : ses services auraient cru qu' il s' agissait de cautions globales, constituées pour plusieurs opérations effectuées par le même exportateur, et non de cautions spécifiques, se rapportant à une opération bien déterminée . Aussi
auraient-ils annulé les deux cautions non pas après vérification de la régularité des dossiers relatifs aux exportations litigieuses, mais sur base de la constatation que le solde de l' ensemble des cautions présentées par Philipp Brothers était suffisant pour garantir les deux opérations en cause .
4 . Quoi qu' il en soit, s' agissant d' un cas de différenciation du taux de la restitution selon la destination visé à l' article 20 du règlement n° 2730/79, il appartenait à Philipp Brothers de démontrer que les formalités douanières de mise à la consommation du blé avaient été accomplies respectivement en Finlande et en Norvège .
5 . Cette preuve aurait dû être fournie par la production des documents énumérés à l' article 20, paragraphe 3 ( ci-après "documents douaniers "), ou, éventuellement, paragraphe 4 ( ci-après "documents de substitution "), ainsi que par le document de transport visé au paragraphe 5 . Conformément à l' article 31, paragraphe 1, ces documents, sauf cas de force majeure, auraient dû être produits "dans les six mois suivant le jour de l' accomplissement des formalités douanières d' exportation, sous
peine de forclusion ". Toutefois, en vertu du paragraphe 2 du même article, des délais supplémentaires peuvent être accordés, mais uniquement pour la production des documents douaniers ou de substitution, à condition que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer dans les délais prescrits .
6 . Le 10 août 1981, l' OCCL a sollicité de Philipp Brothers la production des documents en question . Or, selon l' OCCL, cette demande est restée sans réponse . Aussi a-t-il réclamé, le 27 août 1982, le remboursement des avances versées, majorées de 15 %. C' est alors que Philipp Brothers, par l' intermédiaire de son transitaire, la société S . G . S . Van Bree, a envoyé à l' OCCL :
- le 17 septembre 1982, les documents douaniers relatifs aux deux exportations, dont l' un seulement, celui relatif à l' exportation vers la Norvège, était transmis en copie certifiée conforme, tel que l' exige l' article 20, paragraphe 3, du règlement n° 2730/79, tandis que l' autre était communiqué sous forme de copie simple;
- le 24 décembre 1982, une copie des documents de transport, en indiquant que les originaux avaient été expédiés dès le 19 août 1981 . L' OCCL soutient qu' il n' a jamais reçu ces dernières pièces qui peuvent être produites en copie, mais pour lesquelles un délai supplémentaire n' est pas prévu . ( Précisons encore qu' il ne semble de toute façon pas contesté que l' envoi du 19 août 1981 ne portait que sur les documents de transport, et non sur les documents douaniers ou de substitution .)
7 . C' est dans cette situation de droit et de fait que la cour d' appel de Paris a été amenée à nous saisir d' une série de questions préjudicielles qui portent, en substance, sur les conséquences de la libération erronée d' une caution constituée en vertu de l' article 25 du règlement n° 2730/79 ( première et deuxième questions ), sur les conditions d' octroi des délais supplémentaires prévus à l' article 31 ( troisième et quatrième questions ) et sur son applicabilité aux documents de transport (
cinquième et sixième questions ) ainsi que sur la validité des articles 25 et 31, au regard du principe de proportionnalité, en ce qu' ils mettent à la charge de l' exportateur le remboursement de la restitution perçue à l' avance lorsque les preuves prévues ne sont pas produites dans les délais prescrits, même si l' exportation a effectivement eu lieu ( septième question ).
8 . Pour le libellé exact des différentes questions ainsi que pour le détail des observations écrites déposées devant la Cour, que je ne vais reprendre que dans la mesure nécessaire à mon raisonnement, je me permets de renvoyer au rapport d' audience . Afin d' en faciliter la discussion et d' éviter des répétitions, je vais toutefois, au préalable, faire quelques remarques générales au sujet de la nature de la caution prévue à l' article 25 et des obligations dont elle est censée garantir l'
exécution .
9 . Il importe de signaler tout d' abord qu' en dehors de la caution dont il est question dans la présente affaire tout exportateur doit déposer encore une autre caution qui est liée à la délivrance d' un certificat d' exportation . Elle a pour objet de garantir
"l' engagement ... d' exporter pendant la durée de validité du certificat"
et elle
"reste acquise en tout ou en partie si l' opération n' est pas réalisée dans ce délai ou n' est réalisée que partiellement" ( 1 ).
10 . Ce système a été instauré parce que
"les autorités compétentes doivent être mises à même de suivre en permanence le mouvement des échanges, afin de pouvoir apprécier l' évolution du marché et d' appliquer éventuellement les mesures prévues au présent règlement que celle-ci nécessiterait" ( 2 ).
11 . Quelle est, par contre, l' objet de la caution en cause dans la présente affaire? A ce propos, il faut rappeler que, d' ordinaire, les restitutions ne sont payées qu' après que la preuve a été apportée que le produit a quitté le territoire géographique de la Communauté ( article 9 du règlement n° 2730/79 ) ou, dans le cas d' une restitution différenciée, qu' après que la preuve a été apportée que le produit a été importé dans le pays tiers ( article 20 ). Dans cette hypothèse, l' exportateur
qui ne respecte pas le délai de dépôt du dossier n' obtient aucune restitution . Il faut, en effet, noter que l' article 31 fait partie du titre 4 du règlement n° 2730/79, intitulé "Procédure du paiement de la restitution", et s' applique non seulement lorsque les restitutions ont été payées à l' avance, mais dans toutes les hypothèses de demandes de paiement .
12 . Ce n' est que dans la mesure où un État membre fait usage de la possibilité de préfinancement offerte par l' article 25 que la restitution peut être payée à l' avance, c' est-à-dire avant que le produit ait quitté le territoire géographique de la Communauté ou ait été importé dans le pays tiers . Mais, dans ce cas également, le droit à la restitution ne naît que lorsqu' il est prouvé, dans les formes et délais prévus, que l' exportation a effectivement eu lieu ( 3 ).
13 . Dans ces conditions, c' est pour garantir "le remboursement de l' avance dans le cas où il apparaîtrait ultérieurement que la restitution ne devait pas être payée" ( voir le dix-neuvième considérant du règlement n° 2730/79 ) que l' article 25 prévoit la constitution d' une caution de la part de l' exportateur qui souhaite bénéficier de la restitution dès l' accomplissement des formalités douanières d' exportation . Cette caution n' a donc aucunement pour objet de garantir l' exportation
elle-même . ( Le fait de demander une avance traduit donc tout au plus, de la part de l' opérateur économique, la volonté ou l' intention d' exporter .) Comme il ressort de l' arrêt de la Cour du 18 novembre 1987, Maizena ( 137/85, Rec . p . 4587 ), cette distinction est loin d' être artificielle et le cumul de deux cautions, liées à une seule opération d' exportation, dont l' une garantit l' engagement d' exporter et l' autre le remboursement de la restitution à l' exportation payée en avance, est
parfaitement légitime ( voir, notamment, les points 22 et 23 ).
14 . Le libellé des paragraphes 2 et 3 de l' article 25 confirme d' ailleurs que l' acquisition de la caution ne constitue pas la sanction du non-respect d' une hypothétique obligation d' exporter . En effet, ce n' est que "si le montant n' est pas payé par l' exportateur malgré demande" ( paragraphe 3 ) que la caution constituée reste acquise "au prorata des quantités de produits pour lesquelles les preuves prévues ... pour bénéficier de la restitution n' ont pas été apportées dans le délai visé à
l' article 31" ( paragraphe 2 ). La perte de la caution "sanctionne" donc le non-respect de l' obligation de rembourser l' avance qui pèse sur l' exportateur qui ne remplit pas les conditions requises pour "bénéficier de la restitution ".
15 . Cette constatation n' est pas infirmée par le fait que le montant de la caution à constituer est supérieur à celui de la restitution avancée . En effet, la Cour a déjà jugé qu' une majoration, semblable à celle de 15 % prévue par l' article 25, paragraphe 1, du règlement n° 2370/79, ne vise qu' à éviter un bénéfice indu de l' exportateur concerné, étant donné que, "dans les cas dans lesquels il est fait application d' un régime de préfinancement, les opérateurs économiques bénéficieraient
indûment d' un crédit à titre gratuit s' il s' avérait ultérieurement qu' il n' y avait pas lieu d' accorder la restitution" ( 4 ). La même justification figure d' ailleurs expressément au vingt et unième considérant du règlement n° 2730/79 .
16 . Comme je le montrerai dans la suite des présentes conclusions, les considérations qui précèdent influenceront fortement les réponses qu' il y aura lieu de donner notamment à la question relative aux conséquences de la libération de la caution et à celle relative à la perte de la caution au cas où les preuves prescrites n' ont pas été apportées dans les délais prévus .
1 . Sur les effets de la libération de la caution ( première et deuxième questions )
17 . Il découle a contrario de la constatation que la caution n' est pas destinée à garantir l' exportation que sa libération ne saurait être interprétée comme prouvant que celle-ci a effectivement eu lieu . Comme, par ailleurs, le droit à la restitution ne naît qu' une fois les preuves de l' exportation apportées dans les formes et les délais prescrits, la libération ne saurait pas non plus exonérer l' exportateur de fournir ces preuves s' il veut acquérir définitivement le droit à la restitution .
18 . La caution garantissant le remboursement de la restitution payée en avance au cas où il devait s' avérer ultérieurement que l' exportateur ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la restitution, sa libération ne saurait avoir d' autre effet que de priver l' organisme qui a avancé la restitution de la garantie de se la voir rembourser en pareille hypothèse .
19 . Confirmation de ce qui précède peut être trouvée dans l' arrêt de la Cour du 5 février 1987, Plange Kraftfutterwerke ( 288/85, Rec . p . 611 ). Dans cet arrêt, la Cour a expressément constaté, dans le contexte d' une réglementation semblable à celle en cause en l' espèce, "que l' obligation de rembourser la restitution n' est pas affectée par la circonstance que les services compétents ont déjà libéré la caution ..." ( point 10 ). Après avoir signalé que "l' obligation de rembourser la
restitution naît lorsque certaines preuves ne sont pas apportées" et que "l' octroi de la restitution constitue un avantage pour l' opérateur économique qui se justifie si certaines conditions ... sont réunies", elle a ajouté que, si ces conditions ne sont pas réunies, "le montant de la restitution n' est pas dû à l' exportateur, et il doit être remboursé quand il a déjà été payé, par exemple dans le cadre d' un préfinancement" ( point 11 ). Or, si l' exportateur ne peut échapper à son obligation de
rembourser la restitution que s' il arrive à réunir, même après la libération de la caution, les conditions et preuves requises pour en bénéficier, cette libération ne peut pas avoir eu "pour effet d' exonérer l' exportateur, en tout ou en partie, de ses obligations, spécialement quant aux formes et délais de production des preuves exigées pour bénéficier de la restitution" ( voir les termes de la première question ).
20 . En outre, il résulte de l' arrêt de la Cour du 5 décembre 1985, Corman ( 124/83, Rec . p . 3777 ), et notamment de la réponse y donnée à la sixième question, que l' obligation de remboursement de l' exportateur, qui subsiste même après la libération de la caution, a comme corollaire l' obligation de l' État membre, qui a libéré à tort la caution, de récupérer les sommes indûment payées ( voir les points 34 à 36 ). Cette obligation découle expressément de l' article 8, paragraphe 1, du règlement
( CEE ) n° 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune ( JO L 94, p . 13 ), aux termes duquel "les États membres prennent, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, les mesures nécessaires pour ... récupérer les sommes perdues à la suite d' irrégularités ou de négligences ". La Cour a d' ailleurs précisé, dans le même arrêt Corman, qu' en cas de libération de la caution même le principe de la sécurité
juridique ne fait pas obstacle à un recours contre l' adjudicataire pour manquement à ses obligations ( voir les points 43 et 44 ).
21 . Enfin, à propos de l' argument consistant à dire que l' exportateur a pu légitimement supposer que tout était en ordre puisque l' administration avait libéré les cautions ou que, vu cette circonstance, l' administration a fait preuve d' un manque de flexibilité à son égard en invoquant le dépassement du délai, je voudrais rappeler la rigueur extrême dont la Cour fait traditionnellement preuve à l' égard des opérateurs professionnels . Je voudrais renvoyer dans ce contexte à l' arrêt du 13
novembre 1984, Van Gend et Loos/Commission, point 16 ( 98/83 et 230/83, Rec . p . 3763 ), où vous avez déclaré ce qui suit :
"En l' espèce, s' agissant d' opérateurs professionnels avertis comme les requérantes, le fait de recevoir des certificats d' origine invalides ne peut être considéré comme une circonstance imprévisible et inévitable malgré toutes les diligences déployées ."
Or, en l' occurrence, ces certificats d' origine invalides avaient été délivrés par les autorités douanières des pays indiqués sur ceux-ci .
22 . Si tel est le degré de rigueur dont il faut faire preuve à l' égard des milieux professionnels, alors on peut dire que Philipp Brothers devait connaître le texte du règlement et savoir qu' il appartient, en toute hypothèse, à un exportateur d' apporter, dans les formes et les délais prévus, la preuve de la mise à la consommation des marchandises dans le pays d' importation .
23 . En conclusion de ce qui précède, je vous propose de répondre comme suit aux deux premières questions :
"La libération de la caution prévue à l' article 25 du règlement n° 2730/79 de la Commission n' a pas pour effet d' exonérer l' exportateur, en tout ou en partie, de ses obligations, spécialement quant aux formes et délais de production des preuves exigées pour bénéficier de la restitution . Au cas où les conditions pour bénéficier de la restitution ne seraient pas remplies, l' obligation de l' exportateur de rembourser le montant de la restitution payé, éventuellement majoré, ainsi que celle de l'
État membre de récupérer ledit montant ne sont pas affectées par la circonstance que la caution a été libérée ."
2 . Sur les conditions d' obtention de délais supplémentaires ( troisième et quatrième questions )
24 . L' article 31, paragraphe 1, du règlement n° 2730/79 dispose que "le dossier de paiement de la restitution doit être déposé, sauf cas de force majeure, dans les six mois suivant le jour d' accomplissement des formalités douanières d' exportation, sous peine de forclusion ". Comme la Commission l' a signalé, ce délai de six mois a été porté à douze mois par le règlement ( CEE ) n° 1663/81, du 23 juin 1981 ( 5 ), ce y compris pour toutes les opérations, telles celles en cause en l' espèce, pour
lesquelles le délai de six mois n' avait pas encore expiré le 1er juillet 1981, date d' entrée en vigueur du règlement modificatif .
25 . Il résulte du vingt-troisième considérant du règlement n° 2730/79 que ce délai a été institué "pour des raisons de bonne gestion administrative ". Dans son arrêt du 22 janvier 1986, Denkavit France ( 266/84, Rec . p . 149 ), la Cour a estimé, dans un contexte sensiblement identique, qu' en vue de cet objectif, c' est-à-dire l' apurement des situations administratives sans retards indus, "l' instauration d' un délai impératif pour le dépôt de la demande est une mesure nécessaire" et que "la
fixation de ce délai à six mois n' est pas déraisonnable" ( point 20 ). Elle a ajouté, ensuite, que "la forclusion à la suite de l' introduction tardive du dossier est, en règle générale, la conséquence normale de l' expiration de tout délai impératif ..." ( point 21 ). Or, on enlèverait le caractère de forclusion à un tel délai impératif si on admettait qu' une demande de prorogation du délai puisse être introduite après son expiration .
26 . Certes, un argument de texte contre cette conclusion pourrait être tiré de la constatation que l' article 31, paragraphe 2, s' applique "lorsque les documents exigés ... n' ont pas pu être produits dans les délais prescrits" et non "ne peuvent pas être produits ". Cela pourrait donner à penser que cette disposition s' applique également à des cas où le délai s' est déjà écoulé . Mais à l' article 33, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement ( CEE ) n° 3183/80 de la Commission, du 3 décembre
1980, portant modalités communes d' application du régime de certificats d' importation, d' exportation et de préfixation pour les produits agricoles ( JO L 338, p . 1 ), on peut lire ce qui suit :
"Toutefois, lorsque les documents exigés conformément à l' article 20 du règlement ( CEE ) n° 2730/79 ne peuvent pas être présentés dans les délais prescrits bien que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer dans ces délais, des délais supplémentaires peuvent lui être accordés pour la production de ces documents ."
27 . D' autre part, l' article 47, paragraphe 5, du règlement ( CEE ) n° 3665/87, du 27 novembre 1987 ( JO L 351, p . 1 ), qui a remplacé le règlement n° 2730/79, tout en reprenant la formule "n' ont pas pu être produits", prévoit expressément que
"la demande de délais supplémentaires visée au paragraphe 4 ( doit ) être déposée dans le délai fixé au paragraphe 2",
à savoir le délai de douze mois suivant la date d' acceptation de la déclaration d' exportation . Cela tend à prouver que tel était également le sens de l' ancien article 31, paragraphe 2 .
28 . J' estime dès lors que la réponse à la troisième question doit être affirmative et que toute demande d' un délai supplémentaire prévue à l' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 doit être introduite avant l' expiration du délai de forclusion prévue au paragraphe 1 du même article .
29 . A mon avis, la conclusion qui précède ne peut pas être infirmée par un renvoi aux arrêts Kampffmeyer et Pfuetzenreuter, cités par Philipp Brothers . Dans la première de ces affaires ( 6 ), la disposition réglementaire en cause prévoyait expressément que "la prolongation ( de la durée de validité du certificat d' importation, d' exportation ou de préfixation ) peut intervenir après l' expiration de la validité du titre ". Dans son arrêt, la Cour a étendu cette possibilité, "dans le silence du
texte", à l' hypothèse d' une demande d' annulation du titre . Or, en l' espèce, la situation est tout à fait différente : l' article 31 prévoit expressément que le délai prescrit est un délai de forclusion, c' est-à-dire que toute demande de prolongation doit être introduite avant son expiration .
30 . Cela distingue la présente affaire également de l' affaire Pfuetzenreuter ( 7 ), dans laquelle la disposition réglementaire en cause ne prévoyait pas non plus de délai déterminé pour le dépôt d' une demande visant à proroger le délai dans lequel l' obligation d' importer ou d' exporter devait être exécutée . Il s' y ajoute que, dans cette affaire-là, il s' agissait d' une demande de prise en considération de circonstances constitutives d' un cas de force majeure, circonstances qui, dans le
cadre du règlement n° 2730/79, exonèrent d' office l' exportateur du respect des délais prescrits et le font donc échapper entièrement à la forclusion .
31 . En effet, en l' espèce comme dans l' affaire Denkavit France, précitée, un dépassement du délai reste toujours possible, en vertu de l' article 31, paragraphe 1, en cas de force majeure . Le cas de force majeure constitue donc une exception automatique à la forclusion prévue au paragraphe 1, de sorte qu' en pareille hypothèse le paragraphe 2 ne trouve pas à s' appliquer et que toute éventuelle demande de prorogation, en vertu du paragraphe 2, doit être considérée comme recevable même si elle
est introduite en dehors des délais . Cette considération, ainsi que le fait que le respect des délais normaux se trouve déjà facilité par la possibilité que l' article 20, paragraphe 4, offre à l' exportateur de présenter une série de documents de substitution au cas où les documents douaniers visés au paragraphe 3 ne peuvent pas être produits par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, me semblent de nature à atténuer suffisamment la rigueur tant du délai que de son caractère
impératif, de sorte que je n' estime pas nécessaire de prévoir, comme le propose l' État belge à titre subsidiaire, qu' une demande de délai supplémentaire puisse être formée après l' expiration des délais normaux au cas où l' exportateur était dans l' impossibilité, en raison d' un cas de force majeure, de formuler cette demande dans les délais .
32 . Au vu des considérations qui précèdent, je propose de répondre par l' affirmative à la troisième question :
"La demande des délais supplémentaires prévus à l' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 doit être formulée avant l' expiration du délai ordinaire de forclusion prévu à l' article 31, paragraphe 1 ."
33 . Pour ce qui concerne la quatrième question, il suffit de constater, avec toutes les parties qui ont déposé des observations écrites, qu' il résulte clairement du libellé du paragraphe 2 de l' article 31 que l' octroi de délais supplémentaires n' est pas subordonné à l' existence d' un cas de force majeure ayant empêché la production des documents douaniers ou des documents de substitution requis dans les délais prescrits . Il suffit que "l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer
dans ces délais ". Il y a lieu de répondre en ce sens à la quatrième question et de dire pour droit que :
"L' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 ne subordonne pas l' octroi de délais supplémentaires pour la production des documents requis à l' existence d' un cas de force majeure, mais à la condition que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer dans le délai prescrit ."
3 . Sur l' octroi de délais supplémentaires pour la production des documents de transport ( cinquième et sixième questions )
34 . L' article 31, paragraphe 2, limite expressément la possibilité de bénéficier de délais supplémentaires pour la production de documents aux documents douaniers et de substitution, de sorte qu' il me semble difficile de l' appliquer par analogie aux documents de transport . Est-ce que cette disposition doit dès lors être considérée comme invalide?
35 . A cet égard, je partage entièrement les positions exprimées par l' État belge et la Commission, à savoir que la distinction opérée par l' article 31, paragraphe 2, entre les documents douaniers et les documents de substitution, d' une part, et les documents de transport, d' autre part, est justifiée par des raisons objectives tout à fait valables, tenant à la considération que les premiers, nécessitant souvent l' intervention d' organismes officiels de pays tiers, pourraient être plus
difficiles et plus lents à réunir que les seconds, que l' exportateur soit détient lui-même, dans le cas d' une vente caf, soit peut se procurer plus aisément auprès de l' acheteur, dans le cas d' une vente fob .
36 . Les deux hypothèses envisagées par Philipp Brothers pour démontrer qu' il serait absurde de s' en tenir à une interprétation littérale de l' article 31, paragraphe 2, ne me semblent pas convaincantes et sont d' ailleurs basées sur des argumentations contradictoires . D' un côté, en effet, arguer que, dans l' hypothèse où seuls les documents de transport font défaut, il serait contraire au principe de proportionnalité de décider que la caution reste acquise revient carrément à mettre en cause la
nécessité de la production des documents de transport et, partant, le fait que l' article 20 du règlement n° 2730/79 prévoit la production des documents douaniers ou de substitution et du document de transport . Une telle argumentation méconnaît donc la prémisse même sur laquelle Philipp Brothers a basé son raisonnement, à savoir que la libération de la caution est subordonnée au dépôt du dossier complet de paiement de la restitution ( voir la page 35 de ses observations écrites ). Or, d' un autre
côté, Philipp Brothers affirme que l' octroi de délais supplémentaires pour la production des documents douaniers ou de substitution devrait automatiquement être étendu aux documents de transport précisément en raison du fait que la libération de la caution est subordonnée au dépôt du dossier complet et qu' il ne servirait donc à rien de ne pas prévoir un délai supplémentaire pour le dépôt des documents de transport .
37 . On ne saurait donc parler ni de discrimination ni de violation du principe de proportionnalité, cela d' autant moins que, même pour les documents de transport, l' exception du cas de force majeure de l' article 31, paragraphe 1, peut jouer et que l' octroi de délais supplémentaires pour les autres documents, en vertu de l' article 31, paragraphe 2, est loin d' être automatique et est subordonné à la condition que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer, exigence dont le respect,
dans le cas des documents de transport, plus facilement accessibles, devrait de toute façon être jugé selon des critères plus sévères .
38 . Si l' article 31, paragraphe 2, dans sa version initiale, n' est donc ni discriminatoire ni disproportionné, le fait que l' article 1er, point 14, du règlement ( CEE ) n° 568/85 ( 8 ) ainsi que l' article 47, paragraphe 4, du règlement n° 3665/87 ( 9 ), qui a remplacé le règlement n° 2730/79, prévoient la possibilité d' octroyer des délais supplémentaires également pour la production des documents de transport ne peut pas être interprété comme apportant, a posteriori, la preuve du contraire .
En particulier, les arguments avancés par la Commission pour justifier cette modification, à savoir la nécessité d' une gestion administrative cohérente des dossiers, pour valables et convaincants qu' ils soient, démontrent tout au plus que la réglementation antérieure était de nature à compliquer les tâches des administrations nationales, mais non que les motifs qui avaient conduit la Commission à traiter différemment les documents de transport étaient illégitimes et ne pouvaient pas justifier l'
exigence d' une plus grande rigueur pour la production des documents de transport que pour celle des autres documents .
39 . Je propose dès lors à la Cour de répondre comme suit aux cinquième et sixième questions :
"L' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 exclut que des délais supplémentaires puissent être octroyés pour la production du document de transport mentionné à l' article 20, paragraphe 5 . Cela n' est toutefois pas de nature à affecter la validité de l' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 ."
4 . Sur la validité des articles 25 et 31 du règlement n° 2730/79 au regard du principe de proportionnalité ( septième question )
40 . Par cette question, la juridiction de renvoi voudrait en substance savoir si l' obligation de rembourser la restitution payée d' avance, majorée de 15 %, ou, à défaut, la perte de la caution, dans l' hypothèse où les preuves requises par l' article 25, paragraphe 2, n' ont pas été produites dans les délais visés à l' article 31, bien que l' exportation ait effectivement eu lieu, n' est pas contraire au principe de proportionnalité .
41 . A cet égard, il y a lieu tout d' abord de rappeler que, pour que le principe de proportionnalité puisse éventuellement jouer en cas de dépassement du délai, il ne suffit pas d' affirmer que l' exportation a eu lieu, mais il faut être à même de le prouver au moyen des documents prescrits à cet effet . La solution contraire reviendrait à remettre en cause l' obligation même de produire les preuves requises . C' est ce que fait précisément Philipp Brothers, qui affirme, dans sa proposition de
réponse aux deux premières questions, que, "lorsqu' il est établi que les produits agricoles ont effectivement été exportés et mis à la consommation sur le marché des pays tiers" ( établi par qui et comment ?), "la libération de la caution" ( même intervenue par erreur ) "a pour effet de libérer l' exportateur de son obligation de déposer le dossier de paiement de la restitution dans les formes et délais prévus par le règlement n° 2730/79 ". En d' autres termes, une fois que l' administration n' a
plus d' emprise directe sur l' opérateur économique, à travers une caution déposée par lui, celui-ci peut prouver la réalité de l' exportation dans les formes et les délais qu' il a choisis . Il résulte d' ailleurs du dossier qu' en ce qui concerne l' exportation à destination de la Finlande aucun des moyens de preuve prescrits n' a jamais été produit par Philipp Brothers .
42 . Mais revenons-en à la question du dépassement du délai . Il résulte de l' arrêt de renvoi que les doutes que la juridiction nationale éprouve au sujet de la légalité de la disposition en cause sont nés de la considération "que l' obligation essentielle que doit garantir la caution, en cas d' avance sur restitution, est la réalisation effective de l' exportation, ainsi que la mise à la consommation des produits agricoles dans le pays de destination ". C' est également sur la distinction qu' il y
aurait lieu d' établir entre l' obligation principale, à savoir celle d' exporter, et l' obligation secondaire, à savoir celle de déposer les preuves requises dans les délais prescrits, que Philipp Brothers se base pour faire valoir que, dans une telle hypothèse, selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation communautaire "ne peut, sans méconnaître le principe de proportionnalité, sanctionner aussi sévèrement la méconnaissance de l' obligation secondaire et celle de l' obligation principale"
( 10 ).
43 . Je ne pense toutefois pas que cette jurisprudence soit applicable dans le cadre de la réglementation pertinente en l' occurrence .
44 . La prémisse à la base du raisonnement de Philipp Brothers, à savoir qu' il résulterait clairement du libellé de l' article 25, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 que cette disposition vise à sanctionner le manquement à deux obligations distinctes ( voir la page 13 de ses observations écrites ), et donc le renvoi à la jurisprudence précitée de la Cour, n' est à mon avis pas fondée . L' article 25, paragraphe 2, ne distingue pas entre l' obligation d' exporter et l' obligation de déposer les
documents prouvant cette exportation dans les délais prescrits . Aux termes de cette disposition comme aux termes des autres dispositions du règlement n° 2730/79 ( voir, notamment, les articles 9, 10, 11 et 20 ), n' est censé avoir exporté ou mis à la consommation dans le pays tiers que celui qui le prouve au moyen des documents prévus . Cela vaut également dans le cas du deuxième tiret de l' article 25, paragraphe 2, en ce sens que, pour en bénéficier, l' exportateur doit bien entendu apporter,
dans les délais prescrits, la preuve que le produit a atteint une destination autre que celle pour laquelle l' avance avait été calculée . C' est sur la base de cette preuve que le montant versé indûment pourra être déterminé et donc remboursé .
45 . Aussi n' est-il que logique que, dans l' exemple donné par Philipp Brothers, l' exportateur qui n' exporte que la moitié des produits pour lesquels une avance a été accordée et apporte la preuve de la réalisation partielle de son obligation n' est tenu de rembourser que la moitié de l' avance obtenue, majorée de 15 %, tandis que celui qui a exporté la totalité des quantités pour lesquelles l' avance a été octroyée, mais n' en rapporte les preuves qu' après l' expiration du délai visé à l'
article 31, est tenu de rembourser le montant total de l' avance, majoré de 15 %: en effet, le premier, à l' inverse du second, a précisément apporté dans les délais prévus les preuves requises pour pouvoir bénéficier définitivement de la moitié de la restitution payée à l' avance . Le système comporte donc déjà un élément de proportionnalité puisque la restitution ne doit être remboursée qu' au prorata des quantités pour lesquelles la preuve ne peut pas être apportée .
46 . Enfin, j' ai déjà indiqué, au début des présentes conclusions, que la caution constituée en vertu de l' article 25, paragraphe 1, n' a de toute façon pas pour objet de garantir l' exécution effective de l' engagement d' exporter . Cela fait l' objet de la caution distincte, exigée en vertu du règlement n° 2727/75, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales . Je rappelle que "l' octroi de la restitution constitue un avantage pour l' opérateur économique qui se justifie
si certaines conditions, relatives aussi bien aux caractéristiques du produit exporté qu' aux modalités de l' exportation, sont réunies" et que, "lorsque ... tel n' a pas été le cas, le montant de la restitution n' est pas dû à l' exportateur, et il doit être remboursé quand il a déjà été payé, par exemple dans le cadre d' un préfinancement" ( 11 ). Ce n' est donc pas l' octroi d' une avance sur restitution qui oblige l' opérateur à exporter; la preuve de l' exportation ne constitue que la condition
pour que l' opérateur puisse définitivement bénéficier de la restitution . Aussi, au cas où l' exportation n' a pas lieu ou lorsque la preuve n' en est pas apportée, ce n' est pas une sanction qui vient frapper l' opérateur : celui-ci doit seulement rembourser l' avantage reçu à l' avance, majoré de 15 % en guise de contrepartie du bénéfice indu du crédit à titre gratuit qu' a représenté l' avance .
47 . Il résulte d' ailleurs des règlements portant organisation commune des marchés pour les différents produits agricoles, et notamment de l' article 16 du règlement ( CEE ) n° 2727/75, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, que la restitution est octroyée "dans la mesure nécessaire pour permettre l' exportation ". Quant aux avances, le règlement n° 2730/79 indique, à son dix-neuvième considérant, qu' elles visent simplement à "faciliter aux exportateurs le
financement de leurs exportations ".
48 . C' est l' ensemble des constatations qui précèdent qui différencient la présente espèce des affaires Buitoni, Man ( Sugar ) et Maas citées par Philipp Brothers et la rapprochent, contrairement à ce que veut faire croire Philipp Brothers, de l' affaire Denkavit France .
49 . Dans l' affaire Buitoni ( 12 ), le régime de caution en cause était "destiné à garantir l' accomplissement de l' engagement, volontairement pris, d' importer ou d' exporter pendant la durée de validité des certificats délivrés à cette fin ". La perte de la caution constituait donc une véritable sanction du non-respect soit de l' obligation d' importer ou d' exporter, soit de l' obligation d' apporter, dans les délais prévus, les preuves de l' exécution de cette première obligation . Aucun
avantage financier de l' opérateur économique, qu' il n' aurait fallu que récupérer, n' était donc en jeu et il a paru excessif de pénaliser plus sévèrement le non-respect du délai que le non-respect de l' obligation d' importer ou d' exporter, "que la caution elle-même ( était ) destinée à garantir" et qui était, quant à elle, pénalisée par une sanction à caractère essentiellement proportionnel .
50 . La situation était tout à fait semblable dans l' affaire Man ( Sugar ) ( 13 ). En l' occurrence, l' opérateur économique avait présenté, dans le cadre d' une adjudication permanente pour la détermination de restitutions à l' exportation de sucre vers des pays tiers, sept soumissions, dont cinq avaient été acceptées . Man Sugar était alors tenu de demander la délivrance de certificats d' exportation endéans un certain délai . Or, l' organisme compétent n' avait reçu ces demandes qu' avec quatre
heures de retard . La caution déposée avait pour objet de garantir aussi bien l' obligation d' exporter les quantités de sucre adjugées que celle de demander dans un bref délai un certificat d' exportation . Ce n' est qu' après avoir constaté que le régime de la caution
"est avant tout destiné à garantir l' accomplissement de l' engagement, volontairement pris par l' opérateur économique, d' exporter les quantités de sucre ayant fait l' objet de l' adjudication" ( point 21 )
que la Cour a jugé contraire au principe de la proportionnalité
"la sanction forfaitaire et automatique de la perte de la caution qui frappe une violation nettement moins grave que celle du non-accomplissement de l' obligation principale, que la caution elle-même est destinée à garantir" ( point 29 ).
51 . Dans l' affaire Atalanta ( 14 ) ( citée par la Commission ) était en cause une disposition qui n' excluait expressément un opérateur économique de l' aide au stockage que si les obligations principales assumées par lui n' étaient pas entièrement remplies .
52 . Enfin, le contexte de l' affaire Maas était à un tel point particulier et différent du présent que l' arrêt de la Cour ( 15 ) ne saurait servir de précédent transposable tel quel . La Cour ne s' est d' ailleurs pas prononcée dans l' affaire Maas sur la "proportionnalité" de la perte de la caution en cas de dépassement du délai qui était en cause, à savoir celui dans lequel la marchandise aurait dû être embarquée, mais a constaté "qu' en matière de transport maritime un retard de quelques jours
dans l' embarquement de la marchandise et dans le départ du navire ne peut être considéré comme une violation de cette obligation" d' embarquer la marchandise au cours d' une période déterminée ( point 17 ). Faute d' une telle violation, la question de la perte de la caution ne pouvait donc se poser .
53 . La présente affaire, par contre, présente de très fortes similitudes avec l' affaire Denkavit France, précitée, bien que, dans l' arrêt en question, du 22 janvier 1986 ( 16 ) la Cour ne se soit prononcée que sur la compatibilité avec le principe de proportionnalité de la forclusion attachée au dépassement du délai, et non sur celle des conséquences que cette forclusion est susceptible d' entraîner .
54 . Nous avons déjà vu qu' à cet égard elle a fait preuve, dans cet arrêt, d' une extrême rigueur et que, dans un contexte sensiblement identique au présent, elle a conclu que "rien ne permet d' affirmer que la forclusion ( en question ) est disproportionnée par rapport à l' objectif que le législateur communautaire a voulu atteindre" ( point 22 ). Rappelons qu' en l' occurrence, comme en la présente espèce, le délai prévu pour le dépôt des documents avait expressément un caractère de forclusion,
qu' il avait été institué "pour des raisons de bonne gestion administrative", qu' il était d' abord fixé à six mois puis prolongé à douze mois ( 17 ) et qu' une réserve pour cause de force majeure était incluse . La possibilité de bénéficier de délais supplémentaires n' était toutefois pas prévue . Il est d' autre part inexact de dire, comme le fait Philipp Brothers, que la fixation d' un délai impératif pour le dépôt des dossiers, dans l' affaire Denkavit France, aurait été justifiée non seulement
pour des motifs de bonne gestion administrative, mais aussi, indirectement, par le souci d' éviter des distorsions de concurrence . Il ressort clairement du point 19 de l' arrêt de la Cour que c' était la fixation d' un délai pour le paiement des MCM, et non pour le dépôt des demandes, qui visait à "éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs des États membres" ( 18 ). Par ailleurs, il résulte du septième considérant du règlement ( CEE ) n° 2746/75 du Conseil, du 29 octobre 1975,
établissant, dans le secteur des céréales, les règles générales relatives à l' octroi des restitutions à l' exportation et aux critères de fixation de leur montant ( JO L 281, p . 78 ), que le souci d' éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs de la Communauté est à la base même de toute l' action des institutions tendant à l' établissement de "conditions administratives" qui "soient les mêmes dans toute la Communauté ". Ce considérant motive plus particulièrement l' article 8 dudit
règlement, qui, dans ses paragraphes 1 et 2, premier alinéa, consacre le principe que le paiement de la restitution est subordonné à la condition que la preuve soit apportée que les produits ont été exportés et, en cas de restitution différenciée, ont atteint la destination prévue, et, dans ses paragraphes 2, deuxième alinéa, et 3, permet l' adoption de dispositions dérogatoires et complémentaires . Or, c' est précisément sur ces deux derniers paragraphes, ainsi que sur les dispositions
correspondantes adoptées dans le cadre des organisations communes des marchés pour les autres produits agricoles, que le règlement n° 2730/79 est fondé ( voir son troisième visa ).
55 . Cela étant, j' estime, avec l' État belge, que, si la Cour a fait preuve d' une telle rigueur dans l' affaire Denkavit France, ne tolérant aucun dépassement du délai prévu, sauf en cas de force majeure, c' est qu' il s' agissait d' octroyer, sous forme de MCM, d' importants avantages financiers aux opérateurs économiques .
56 . Tel est également le cas en l' espèce, où l' avantage financier prend la forme d' une restitution à l' exportation et où, nous l' avons vu, le paiement de la restitution est également subordonné à la production des preuves requises dans un délai de forclusion prescrit . La rigueur me semble d' autant plus acceptable qu' il y a ici, en plus, la possibilité de l' obtention de délais supplémentaires . La conséquence logique en est que celui qui, sauf en cas de force majeure ou lorsqu' il bénéficie
de délais supplémentaires, ne respecte pas ce délai n' a pas droit à la restitution .
57 . Si cette déduction est exacte, il ne saurait bien entendu en être autrement au cas où la restitution a été payée à l' avance, de sorte qu' à l' instar de la forclusion elle-même la simple obligation de rembourser le montant de l' avance ( majoré de 15 % en guise de compensation du crédit à titre gratuit qu' a représenté l' avance ), ou, à défaut de remboursement, la perte de la caution, constituée pour garantir le remboursement, ne peut pas être considérée comme disproportionnée par rapport aux
objectifs poursuivis . Les moyens que la disposition litigieuse met en oeuvre pour réaliser l' objectif qu' elle vise s' accordent avec l' importance de celui-ci et sont nécessaires pour l' atteindre ( 19 ).
58 . Cette conclusion ne saurait être infirmée par le renvoi que fait Philipp Brothers à l' article 48, paragraphe 3, du règlement n° 3665/87, précité, qui, en prévoyant désormais une sanction modulée en fonction de divers critères en cas de dépassement du délai prévu pour la présentation des preuves requises, viendrait démontrer a posteriori que l' article 25, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 n' aurait pas été conforme au principe de proportionnalité .
59 . La mesure d' assouplissement intervenue prévoit uniquement que, si les moyens de preuve requis sont fournis après l' expiration du délai d' un an, mais avant l' expiration d' un délai de dix-huit mois, le montant à rembourser est égal à 85 % du montant normal . La différence n' est donc pas très importante . ( Philipp Brothers a d' ailleurs également dépassé le délai de dix-huit mois .) De toute façon, la simple intervention d' une modification de la réglementation existante ne saurait suffire
à démontrer que la réglementation antérieure a été illégale . Il résulte d' ailleurs du dernier considérant à la page 3 du JO pertinent ( JO L 351 du 14.12.1987 ) qu' en l' espèce il paraissait seulement "souhaitable" au législateur communautaire d' assouplir la réglementation en ce qui concerne le non-respect des délais prescrits .
60 . Il est vrai qu' on pourrait concevoir, sur le plan intellectuel, un système dans lequel le montant à rembourser par l' opérateur économique serait strictement proportionnel au dépassement du délai . On pourrait ainsi songer à une réduction de 5 % par semaine de dépassement ( remboursement total après 20 semaines ), de 5 % par jour de dépassement ( remboursement total après 20 jours ) et de 1 % par jour ( remboursement total après 100 jours ). Mais toutes ces solutions encourageraient le
laisser-aller des opérateurs économiques et obligeraient les administrations de nos pays à une multitude de calculs qui accentueraient la lourdeur bureaucratique, peut-être déjà excessive, des nombreux régimes d' exportation que connaît la Communauté .
61 . Enfin, il ne faut pas perdre de vue que l' article 20 du règlement en cause comporte une très grande flexibilité pour ce qui est des modalités de preuve de l' accomplissement des formalités douanières de mise à la consommation des marchandises . Cette preuve peut être apportée :
- par la production du document douanier;
- par la production de sa copie ou photocopie certifiée conforme;
- par la production du "certificat de dédouanement" établi sur un formulaire conforme au modèle annexé au règlement .
62 . Si aucun de ces documents ne peut être produit par suite de circonstances indépendantes de la volonté de l' exportateur, celui-ci peut encore produire l' un ou plusieurs des documents suivants :
- copie du document de déchargement émis ou visé dans le pays tiers;
- attestation de déchargement délivrée par les services officiels d' un des États membres établis dans le pays de destination ( 20 );
- attestation de déchargement établie par des sociétés spécialisées sur le plan international en matière de contrôle et de surveillance et agréées par l' État membre où les formalités douanières d' exportation ont été accomplies;
- document bancaire délivré par des intermédiaires agréés établis dans la Communauté certifiant que le paiement correspondant à l' exportation considérée est porté au crédit du compte de l' exportateur ouvert auprès de ces derniers, en ce qui concerne les pays tiers visés à l' annexe III qui subordonnent le transfert financier à l' importation du produit;
- attestation de prise en charge délivrée par un organisme officiel du pays tiers considéré dans le cas d' un achat par ce pays ou par un organisme officiel de ce pays ou dans le cas d' une opération d' aide alimentaire;
- attestation de prise en charge délivrée par une organisation internationale dans le cas d' une opération d' aide alimentaire .
63 . Il est vraiment difficile à comprendre qu' une société commerciale spécialisée dans le négoce international de matières premières et de produits agricoles ne parvienne pas à se procurer l' un ou l' autre de ces documents, le cas échéant après avoir demandé un délai supplémentaire, et que Philipp Brothers ait eu besoin de plus de dix-huit mois ( du 29 janvier 1981 au 17 septembre 1982 ) pour déposer une photocopie certifiée conforme du document douanier dans l' un des cas et une photocopie non
certifiée conforme dans l' autre .
64 . En résumé, j' estime qu' une disposition telle que celle en cause ici, qui prévoit que :
- plusieurs moyens de preuve alternatifs peuvent être fournis,
- le délai pour fournir ces moyens de preuve est d' un an,
- une prorogation de ce délai peut être obtenue à la simple condition que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer endéans ce délai,
- la preuve de la force majeure est admise,
ne viole pas le principe de proportionnalité .
65 . Je propose dès lors de répondre à la juridiction de renvoi que l' examen de la septième question n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité des articles 25 et 31 du règlement n° 2730/79 .
Conclusion
66 . Le tableau d' ensemble des réponses proposées est par conséquent le suivant :
"1 ) La libération de la caution prévue à l' article 25 du règlement ( CEE ) n° 2730/79 de la Commission n' a pas pour effet d' exonérer l' exportateur, en tout ou en partie, de ses obligations, spécialement quant aux formes et délais de production des preuves exigées pour bénéficier de la restitution . Au cas où les conditions pour bénéficier de la restitution ne seraient pas remplies, l' obligation de l' exportateur de rembourser le montant de la restitution payé, éventuellement majoré, ainsi que
celle de l' État membre de récupérer ledit montant, ne sont pas affectées par la circonstance que la caution a été libérée .
2 ) La demande des délais supplémentaires prévus à l' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 doit être formulée avant l' expiration du délai ordinaire de forclusion prévu à l' article 31, paragraphe 1 .
3 ) L' artice 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 ne subordonne pas l' octroi de délais supplémentaires pour la production des documents requis à l' existence d' un cas de force majeure, mais à la condition que l' exportateur ait fait diligence pour se les procurer dans le délai prescit .
4 ) L' article 31, paragraphe 2, du règlement n° 2730/79 exclut que des délais supplémentaires puissent être octroyés pour la production du document de transport mentionné à l' article 20, paragraphe 5 . Cela n' est toutefois pas de nature à affecter la validité de l' article 31, paragraphe 2 .
5 ) L' examen de la septième question n' a pas révélé d' éléments de nature à affecter la validité des articles 25 et 31 du règlement n° 2730/79 ."
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) Article 12 du règlement ( CEE ) n° 2727/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales ( JO L 281, p . 1 ).
( 2 ) Douzième considérant du règlement n° 2727/75 .
( 3 ) Pour des raisons de facilité, le terme "exportation" est entendu dans la suite des présentes conclusions comme couvrant tantôt le fait de quitter le territoire géographique de la Communauté ( article 9 ) et tantôt le fait de l' importation ou de la mise à la consommation dans le pays tiers ( article 20 ).
( 4 ) Arrêt du 5 février 1987, Plange Kraftfutterwerke, point 14 ( 288/85, Rec . p . 611 ). Voir aussi l' arrêt du 18 novembre 1987, Maizena, point 24 ( 137/85, Rec . p . 4587 ). (( Si, dans son arrêt du 30 juin 1987, Roquette Frères ( 47/86, Rec . p . 2889 ), la Cour a déclaré invalide une disposition réglementaire prévoyant la perte de la partie de la caution correspondant à une majoration semblable, ce n' était que parce que cette perte avait un caractère intégral et n' était pas calculée au
prorata de la restitution ( en l' occurrence, il s' agissait d' une restitution à la production ) à rembourser . Or, tel n' est pas le cas en l' espèce, l' article 25, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 2730/79 prévoyant la perte au prorata du montant total de la caution, majoration comprise .))
( 5 ) Règlement ( CEE ) n° 1663/81 de la Commission, du 23 juin 1981, portant cinquième modification du règlement ( CEE ) n° 2730/79, deuxième modification du règlement ( CEE ) n° 798/80 et modifiant le règlement ( CEE ) n° 52/81, en ce qui concerne en particulier les délais fixés pour la présentation des documents nécessaires aux paiements à effectuer ( JO L 166, p . 9 ).
( 6 ) Arrêt du 30 janvier 1974, Kampffmeyer ( 158/73, Rec . p . 101 ).
( 7 ) Arrêt du 25 mai 1974, Pfuetzenreuter ( 3/74, Rec . p . 589 ).
( 8 ) Règlement ( CEE ) n° 568/85 de la Commission, du 4 mars 1985, portant dixième modification du règlement ( CEE ) n° 2730/79 portant modalités communes d' application du régime des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles ( JO L 65, p . 5 ).
( 9 ) Règlement ( CEE ) n° 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d' application du régime des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles ( JO L 351, p . 1 ).
( 10 ) Voir, notamment, l' arrêt du 24 septembre 1985, Man ( Sugar ), point 20 ( 181/84, Rec . p . 2889 ). Voir aussi l' arrêt du 27 novembre 1986, Maas, point 15 ( 21/85, Rec . p . 3537 ).
( 11 ) Arrêt du 5 février 1987, Plange Kraftfutterwerke, point 11 ( 288/85, Rec . p . 611 ).
( 12 ) Arrêt du 20 février 1979, Buitoni, points 17 à 20 ( 122/78, Rec . p . 677 ).
( 13 ) Arrêt du 24 septembre 1985, Man ( Sugar ) ( 181/84, Rec . p . 2889 ).
( 14 ) Arrêt du 21 juin 1979, Atalanta, point 10 ( 240/78, Rec . p . 2137 ).
( 15 ) Arrêt du 27 novembre 1986, Maas ( 21/85, Rec . p . 3537 ).
( 16 ) Affaire 266/84, Denkavit France ( Rec . 1986, p . 149 ).
( 17 ) La partie relative aux modalités d' application administrative du règlement ( CEE ) n° 1380/75 de la Commission, du 29 mai 1975, portant modalités d' application des montants compensatoires monétaires ( JO L 139, p . 37 ), qui était en cause dans l' affaire Denkavit France ( 286/84 ), a été remplacée par le règlement ( CEE ) n° 1371/81 de la Commission, du 19 mai 1981, portant modalités d' application administrative des montants compensatoires monétaires ( JO L 138, p . 1 ). Ce dernier
règlement était au centre de l' arrêt de la Cour du 5 février 1987, Denkavit België/État belge ( 145/85, Rec . p . 565 ).
( 18 ) Voir, à cet égard, également l' arrêt du 5 février 1987, Denkavit België, points 7 et 8 ( 145/85, Rec . p . 565 ).
( 19 ) Voir la définition du principe de proportionnalité résultant de la jurisprudence de la Cour, notamment du point 17 de l' arrêt Denkavit France .
( 20 ) Non souligné dans l' original . Il suffit donc que le consul de n' importe quel État membre établi dans le port d' arrivée établisse une telle attestation .