Avis juridique important
|
61989J0354
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 16 avril 1991. - Schiocchet contre Commission des Communautés européennes. - Recours en annulation - Décision relative à la création d'un service régulier spécialisé de voyageurs entre États membres. - Affaire C-354/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-01775
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
++++
Transports - Transports par route - Services réguliers spécialisés par autocars et par autobus entre États membres - Examen des demandes de création - Éléments à prendre en considération - Pouvoir d' appréciation de la Commission - Contrôle juridictionnel
( Règlement du Conseil n 517/72, art . 8 et 14 )
Sommaire
Conformément à l' article 8 du règlement n 517/72, l' examen d' une demande de création d' un service régulier spécialisé effectué par autocars et par autobus entre les États membres comporte l' analyse d' une situation économique complexe . Ainsi doivent être pris en considération, du point de vue tant qualitatif que quantitatif, les services existants, les besoins de transport actuels et prévisibles aussi bien que, le cas échéant, les possibilités d' organisation d' un service correspondant par
les entrepreneurs qui exercent déjà leurs activités dans les zones intéressées .
Il s' ensuit que lorsque la Commission est amenée à prendre une décision, en vertu de l' article 14 du règlement n 517/72, elle jouit d' un large pouvoir d' appréciation quant à l' existence des conditions justifiant l' autorisation donnée à l' État membre de permettre la création d' un service régulier spécialisé . En présence d' un tel pouvoir, la Cour doit se limiter à examiner si son exercice n' est pas entaché d' erreur manifeste, de détournement de pouvoir ou encore si la Commission n' a pas
manifestement dépassé les limites de son pouvoir d' appréciation .
Parties
Dans l' affaire C-354/89,
Schiocchet, société de droit français, ayant son siège à Beuvillers ( 54560 France ), représentée par Mes Charrière, Champetier et Spitzer, avocats au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Aloyse May, 31, Grand-Rue,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M . Ricardo Gosalbo-Bono, membre du service juridique de la Commission, et par Mme Geneviève Pons, fonctionnaire française mise à la disposition du service juridique de la Commission au titre de la mobilité, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Guido Berardis, membre du service juridique de la Commission, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet l' annulation de la décision 89/524/CEE de la Commission, du 7 septembre 1989, relative à un différend opposant le Luxembourg et la France au sujet de la création d' un service régulier spécialisé de voyageurs entre ces deux États ( JO L 272, p . 18 ),
LA COUR ( deuxième chambre ),
composée de MM . T . F . O' Higgins, président de chambre, G . F . Mancini et F . A . Schockweiler, juges,
avocat général : M . F . G . Jacobs
greffier : M . V . Di Bucci, administrateur
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 5 février 1991, au cours de laquelle la societé Schiocchet a été représentée par Me Gilles Bouneou, avocat au barreau de Luxembourg,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 7 mars 1991,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 novembre 1989, la société de droit français Schiocchet ( ci-après "Schiocchet ") établie à Beuvillers ( France ) a, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation de la décision 89/524/CEE de la Commission, du 7 septembre 1989, relative à un différend opposant le Luxembourg et la France au sujet de la création d' un service régulier spécialisé de voyageurs entre ces deux États ( JO L 272, p . 18 ).
2 La société de droit luxembourgeois Émile Frisch ( ci-après "Frisch "), établie à Luxembourg, avait soumis, le 9 janvier 1986, aux autorités luxembourgeoises, une demande visant à obtenir l' autorisation de créer un service régulier spécialisé de voyageurs effectué par autocars, entre Thil et certaines autres localités situées en Lorraine ( France ), d' une part, et l' usine de céramique Villeroy et Boch ( ci-après "Villeroy et Boch ") située à Luxembourg, d' autre part . Conformément aux
dispositions de l' article 13 du règlement ( CEE ) n 517/72 du Conseil, du 28 février 1972, relatif à l' établissement de règles communes pour les services réguliers et les services réguliers spécialisés effectués par autocars et par autobus entre les États membres ( JO L 67, p . 19 ), les décisions faisant suite aux demandes de création d' un service régulier spécialisé sont prises d' un commun accord par les États membres sur le territoire desquels les voyageurs sont pris en charge et déposés .
3 Les autorités des États membres concernés par la demande de Frisch n' ayant pu se mettre d' accord sur les suites à donner à cette demande, le Luxembourg a saisi la Commission, qui a adopté la décision 89/524 attaquée, dont l' article 1er est le suivant :
"Les autorités compétentes du grand-duché de Luxembourg autorisent la SARL Autocars Émile Frisch à créer un service régulier spécialisé entre Thil ( France ) et Luxembourg à l' intention des travailleurs de l' usine Villeroy et Boch; ce service qui quittera Thil à 4 h 20 et 12 h 20 et Villeroy et Boch à 14 et à 22 heures desservira les localités suivantes :
Thil, Hussigny, Tiercelet, Aumetz, Beuvillers, Audun-le-Roman, Serrouville, Errouville, Crusnes, Cantebonne, Villerupt, Audun-le-Tiche, Esch/Alzette, Schifflange, usine Villeroy et Boch .
L' usage de ce service est réservé aux ouvriers de l' usine Villeroy et Boch, établie à Luxembourg, 330, rue de Rollingergrund, L-1018 Luxembourg ."
4 Aux termes de l' article 8 du règlement n 517/72, précité :
"1 . L' examen d' une demande de création d' un service régulier ou d' un service régulier spécialisé a pour but de déterminer si la desserte du trafic objet de la demande n' est pas déjà assurée d' une façon satisfaisante, tant du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif, par les services existants de transport de voyageurs .
2 . Lors de l' examen visé au paragraphe 1, sont notamment pris en considération :
a ) les besoins de transport actuels et prévisibles que le requérant envisage de satisfaire;
b ) pour les services réguliers, la situation du marché des transports de voyageurs dans les zones intéressées .
3 . Lors de l' examen visé au paragraphe 1, peuvent également être prises en considération les possibilités d' organisation d' un service correspondant par les entrepreneurs qui exercent déjà leurs activités dans les zones intéressées ."
5 A l' appui de son recours, Schiocchet avance trois moyens tirés respectivement de certaines irrégularités imputables à Frisch, de la non-conformité du service régulier spécialisé, proposé par Frisch, avec les exigences posées à l' article 8 du règlement n 517/72, précité, et, enfin, de ce que la décision attaquée conduit à instaurer un monopole en faveur de Frisch .
6 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience . Les éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
Sur le moyen tiré des prétendues irrégularités reprochées à Frisch
7 Schiocchet fait valoir, d' abord, que Frisch a exploité, à partir de 1970 et au moins jusqu' en 1976, certaines lignes entre le Luxembourg et la région frontalière en France sans être en possession des autorisations prévues au règlement n 517/72, précité . Schiocchet estime, ensuite, que Frisch a unilatéralement changé, en violation de la procédure de modification prévue à l' article 4, paragraphe 2, de ce règlement, le trajet et l' horaire du service régulier spécialisé en question de telle sorte
qu' il ne correspondrait plus aux conditions auxquelles l' exploitation du service a été soumise par la décision attaquée . A cet égard, Schiocchet précise que Frisch quitte la localité de Thil à 4 h 30 et à 12 h 30 et Villeroy et Boch à 14 h 15 et à 22 h 15 . Par ailleurs, Frisch ne desservirait plus l' ensemble des quinze arrêts spécifiés dans la décision attaquée .
8 En ce qui concerne les faits antérieurs à 1982, il convient de constater que c' est à juste titre que la Commission observe que sa décision 82/595/CEE, du 10 août 1982, portant règlement du différend opposant le grand-duché de Luxembourg et la République française concernant le renouvellement des autorisations de certains services réguliers spécialisés ( JO L 244, p . 32 ), a, en toute hypothèse, régularisé la situation de Frisch .
9 Quant à l' argumentation relative aux modifications unilatérales du trajet et de l' horaire du service en question, la Commission estime que ces changements n' ont pas mis en cause l' objet du service autorisé par la décision attaquée et, partant, n' ont pas constitué des modifications au sens du règlement n 517/72, précité, de sorte qu' il n' était pas nécessaire de respecter la procédure de l' article 4, paragraphe 2, de ce règlement .
10 A cet égard, il y a lieu de constater d' abord que l' objet du service régulier spécialisé, proposé par Frisch, est l' acheminement des seuls travailleurs de Villeroy et Boch faisant partie des équipes de 6 et de 14 heures, respectivement vers l' usine et vers les localités énumérées dans la décision attaquée et que pour ces travailleurs ledit service constitue un moyen de transport approprié parce que facilement adaptable à leurs besoins .
11 Il convient de relever ensuite que les minimes changements apportés par Frisch à l' itinéraire et à l' horaire du service régulier spécialisé en cause n' altèrent pas son objet et, partant, ne sont pas soumis à l' autorisation préalable prévue par l' article 4, paragraphe 2, du règlement n 517/72 . Dès lors, ce moyen n' est pas fondé .
Sur le moyen tiré de la violation de l' article 8 du règlement n 517/72 .
12 Schiocchet fait valoir que le service régulier spécialisé assuré par Frisch chevauche partiellement les lignes déjà exploitées par Schiocchet, qui desservent certaines localités mentionnées par la décision attaquée . Par ailleurs, le service régulier spécialisé en cause ne conviendrait pas à un certain nombre de travailleurs frontaliers qui recourraient à des services alternatifs pour lesquels Schiocchet aurait introduit, antérieurement à Frisch, des demandes d' autorisation concernant l'
extention de certains services déjà exploités .
13 A cet égard, il y a lieu de constater au préalable que, conformément à l' article 8 du règlement n 517/72, l' examen d' une demande de création d' un service régulier spécialisé comporte l' analyse d' une situation économique complexe . Ainsi doivent être pris en considération, du point de vue tant qualitatif que quantitatif, les services existants, les besoins de transport actuels et prévisibles ainsi que, le cas échéant, les possibilités d' organisation d' un service correspondant par les
entrepreneurs qui exercent déjà leurs activités dans les zones intéressées .
14 Il s' ensuit que lorsque la Commission est amenée à prendre une décision, en vertu de l' article 14 du règlement n 517/72, elle jouit d' un large pouvoir d' appréciation quant à l' existence des conditions justifiant l' autorisation donnée à l' État membre de permettre la création d' un service régulier ou d' un service régulier spécialisé . En présence d' un tel pouvoir, la Cour doit se limiter à examiner si son exercice n' est pas entaché d' erreur manifeste, de détournement de pouvoir ou
encore si la Commission n' a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d' appréciation .
15 Il suffit donc de constater que la Commission relève, dans les considérants de la décision attaquée, que le nouveau service répond dans la région à un besoin véritable tant du point de vue qualitatif que quantitatif étant donné qu' il permettra la prise en charge, aux horaires qui leur conviennent, d' une cinquantaine de travailleurs qui actuellement ne disposent d' aucun moyen de transport en commun leur permettant de rejoindre et de quitter l' usine à 6 et à 14 heures; que, par ailleurs, le
service dessert certains endroits qui actuellement ne sont desservis par aucun moyen de transport collectif fonctionnant selon cet horaire; que l' horaire proposé par Frisch est plus approprié et que le service est plus rapide que le service régulier envisagé par Schiocchet pour l' équipe de 6 heures; que Schiocchet n' envisage pas de créer un service prenant en charge les travailleurs de l' équipe de 14 heures .
16 Au vu de ces considérations, il y a lieu de conclure que la Commission n' a pas dépassé les limites de son pouvoir d' appréciation en arrêtant la décision attaquée . Il s' ensuit que le moyen tiré des conditions d' application de l' article 8 du règlement n 517/72 doit être rejeté .
Sur le moyen tiré de l' élimination de toute concurrence à Frisch par la décision attaquée
17 A l' appui de ce moyen, Schiocchet estime en substance que la décision litigieuse supprime toute concurrence à Frisch et à terme évince Schiocchet du marché des services par autobus dans la zone intéressée . Frisch bénéficierait ainsi d' un monopole sur un service régulier spécialisé dont une partie de l' itinéraire serait déjà assurée par Schiocchet et dont le trajet restant n' en serait qu' un prolongement naturel pour l' exploitation duquel Schiocchet aurait, en son temps, introduit des
demandes d' autorisation .
18 La Commission estime que l' examen d' une demande de création d' un service régulier spécialisé se distingue de celui relatif à un service régulier et ne porte pas sur la situation du marché des transports de voyageurs dans les zones intéressées . Par ailleurs, le service déjà offert par Schiocchet dans cette région s' adresserait à tous les intéressés, y compris des voyageurs qui ne sont pas employés chez Villeroy et Boch, et s' effectuerait à des horaires qui ne conviendraient pas pour les
équipes d' ouvriers de 6 et de 14 heures . Le service régulier spécialisé de Frisch ne concurrencerait donc pas celui déjà exploité par Schiocchet .
19 Il convient de relever qu' en vertu de l' article 8, paragraphe 2, sous b ), du règlement n 517/72, lors de l' examen d' une demande de création d' un service est prise en considération, pour les services réguliers, la situation du marché des transports de voyageurs dans les zones intéressées .
20 Il suffit de constater, à cet égard, que le service en cause, exploité par Frisch, est un service régulier spécialisé au sens de l' article 1er, paragraphe 3, du règlement n 117/66/CEE du Conseil, du 28 juillet 1966, concernant l' introduction de règles communes pour les transports internationaux de voyageurs par route effectués par autocars et par autobus ( JO 147, p . 2688 ). Dès lors, et conformément aux dispositions de l' article 8, paragraphe 2, sous b ), du règlement n 517/72, la Commission
n' était pas tenue, lors de l' examen de la demande de création de ce service, de prendre en considération la situation du marché des transports de voyageurs dans les zones intéressées .
21 Au surplus, il convient de relever, comme l' a fait l' avocat général au point 15 de ses conclusions, que le service régulier spécialisé exploité par Frisch est substantiellement différent de celui offert par Schiocchet du point de vue tant de l' horaire que des clients auxquels il s' adresse . Par conséquent, il est exclu que la décision litigieuse évince Schiocchet du marché des services par autobus dans les zones intéressées .
22 Au vu de ces considérations, le troisième moyen n' est pas fondé .
23 Il en découle que, aucun moyen n' étant fondé, le recours de Schiocchet doit être rejeté .
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
24 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens . L' entreprise Schiocchet ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens .
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR ( deuxième chambre )
déclare et arrête :
1 ) Le recours est rejeté .
2 ) Schiocchet est condamnée aux dépens .