La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/1992 | CJUE | N°C-333/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 janvier 1992., Royale belge contre Robert Joris., 16/01/1992, C-333/90


Avis juridique important

|

61990C0333

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 janvier 1992. - Royale belge contre Robert Joris. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de paix de Luxembourg - Grand-Duché de Luxembourg. - Statut des fonctionnaires - Subrogation des Communautés. - Affaire C-33

3/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-01135

Conclusions de l'avo...

Avis juridique important

|

61990C0333

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 janvier 1992. - Royale belge contre Robert Joris. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de paix de Luxembourg - Grand-Duché de Luxembourg. - Statut des fonctionnaires - Subrogation des Communautés. - Affaire C-333/90.
Recueil de jurisprudence 1992 page I-01135

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le 19 juin 1982, M . Hinger, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, a été victime d' un accident à l' occasion d' un concours de tir sportif . Il est constant en l' espèce que la responsabilité de cet accident incombait à M . Joris .

La caisse de maladie des Communautés européennes a assuré à M . Hinger, à la suite de cet accident, la couverture des frais médicaux et pharmaceutiques . En outre, la Commission a versé au fonctionnaire en question la somme de 50 218 BFR, après que lui eût été reconnue une incapacité permanente partielle égale à 1 %. Ce montant ainsi qu' un autre, de 10 619 BFR, se rapportant à des frais médicaux non couverts par la caisse de maladie précitée ont été remboursés par la société d' assurances la Royale
Belge, en vertu d' un contrat conclu avec la Commission . Sur la base de ce contrat, en effet, ladite société est subrogée dans les droits de la Commission, laquelle est à son tour subrogée - en vertu du statut des fonctionnaires ( ci-après "statut ") - dans les droits de M . Hinger .

Se prévalant de cette subrogation, la Royale Belge a cité M . Joris devant le tribunal de paix de Luxembourg aux fins d' obtenir le remboursement des sommes versées, égal à 60 837 BFR . M . Joris a excipé de l' irrecevabilité de la demande, étant donné que le 23 novembre 1982, soit antérieurement à la date à laquelle la Commission avait versé à son fonctionnaire les prestations qui lui étaient dues en vertu du statut, une transaction était intervenue entre M . Joris et M . Hinger, sur la base de
laquelle ce dernier avait reçu 32 000 BFR en réparation du préjudice qui lui avait été causé du fait de l' accident . De l' avis du défendeur, la transaction a eu pour effet d' éteindre sa dette, étant donné que M . Hinger a reconnu par écrit - ainsi qu' il résulte de la quittance d' indemnité transactionnelle - qu' il n' avait plus rien à réclamer du fait de cet accident au défendeur ou à son assureur . Par conséquent, selon M . Joris, il n' existe plus de droits dans le chef de M . Hinger;
partant, la Commission des Communautés européennes et, pour cette dernière, la Royale Belge ne sauraient exercer, par voie de subrogation, des droits désormais inexistants .

Appelé à résoudre ce litige, le tribunal de paix de Luxembourg a déféré à la Cour une question préjudicielle, par laquelle il demande l' interprétation des dispositions pertinentes du statut, tant dans la version en vigueur à l' époque des faits ( article 73, paragraphe 4 ) que dans sa version actuelle ( article 85 bis, paragraphe 1 ). En particulier, le juge a quo, présupposant que l' opposabilité de la transaction est fonction du moment auquel intervient la subrogation, demande si la subrogation
légale des Communautés s' opère immédiatement - au moment de l' événement dommageable - ou seulement par l' effet du paiement .

2 . Rappelons tout d' abord que l' article 73, paragraphe 4, du statut, en vigueur au moment du déroulement des faits, disposait que "les Communautés sont, dans la limite des obligations découlant pour elles des articles 72, 73 et 75, subrogées de plein droit au fonctionnaire ou à ses ayants droit dans leurs droits de recours contre le tiers responsable de l' accident ayant entraîné le décès ou les blessures du fonctionnaire ou des personnes assurées de son chef ". Le texte de l' article 85 bis,
paragraphe 1, qui régit actuellement la matière ( 1 ), ne diffère pas sensiblement, aux fins qui nous occupent présentement, du texte précédent .

De la formulation - d' ailleurs malheureuse - de l' article 73, paragraphe 4, il résulte, en premier lieu, que le droit de subrogation en faveur des Communautés concerne uniquement les prestations prévues au statut; par conséquent, le droit à d' éventuelles prestations non couvertes par le statut demeure dans le chef de la victime ou de ses ayants droit . En second lieu, il résulte clairement qu' il s' agit d' une subrogation automatique (" de plein droit "), en ce sens qu' elle se produit sans qu'
il soit besoin du consentement préalable de la personne dont les droits sont subrogés .

3 . Nous estimons toutefois que le fait de relever le caractère automatique de la subrogation ne répond pas encore à la question qui nous occupe présentement, étant donné qu' il reste à établir à partir de quel moment joue ... l' automaticité .

Au soutien de la thèse selon laquelle celle-ci s' opérerait à partir de la survenance de l' événement dommageable, on a cité plusieurs fois, tant au cours de la procédure écrite que de l' audience, les conclusions de l' avocat général M . Warner dans les affaires jointes 63/79 et 64/79 ( 2 ), en particulier le passage dans lequel celui-ci affirme que le droit de subrogation en faveur des Communautés a pour conséquence que "le fonctionnaire ou ses ayants droit sont entièrement dépouillés de leurs
droits ".

Or, s' il est vrai que l' affirmation péremptoire selon laquelle les fonctionnaires communautaires sont dépouillés de tout droit d' agir à l' encontre du tiers responsable, sans référence aucune au paiement intervenu, semble conforter la thèse dont s' agit, force est d' observer qu' on n' indique pas en fait le moment à partir duquel, en présence d' un droit de subrogation en faveur des Communautés, les personnes relevant du statut "sont entièrement dépouillées de leurs droits ". En d' autres
termes, l' interprétation de l' avocat général M . Warner, qui, en outre, avait trait à une affaire dans laquelle l' indemnisation par le tiers responsable était intervenue après le paiement des prestations statutaires, précise ce que sont les effets de la subrogation, sans pour autant indiquer le moment à partir duquel elle produit de tels effets .

4 . Dans l' affaire qui nous occupe, il s' agit au contraire d' établir si la subrogation, telle qu' elle est prévue par le statut, emporte, par suite de l' accident et indépendamment du paiement, un transfert des droits de la victime dans le chef de l' institution intéressée; en substance, si le droit de subrogation en faveur des Communautés peut être défini comme une forme "atypique" de subrogation ( 3 ).

A cet égard, il a été soutenu au cours de la procédure que le fait même que la subrogation des Communautés ait été prévue dans la limite des obligations statutaires leur incombant consécutivement à l' événement dommageable et non dans la limite des prestations effectivement versées impliquerait que la subrogation a lieu à partir du moment auquel s' est produit l' événement dommageable .

On doit, à notre sens, convenir qu' une telle disposition implique à tout le moins que le paiement n' est pas un préalable indispensable aux fins de la "subrogation" des Communautés dans les droits de ses fonctionnaires . Pour que la subrogation ait lieu, ainsi qu' il résulte des termes mêmes qui ont été utilisés, il suffit au contraire de vérifier que les Communautés ont l' obligation, en vertu du statut, de verser des prestations de sécurité sociale à leurs fonctionnaires, prestations ayant pour
effet - pour autant qu' il importe présentement - de réparer des dommages subis par suite d' un accident imputable à un tiers .

Or, il ne nous semble pas qu' on puisse raisonnablement nourrir des doutes sur le fait qu' une telle circonstance peut être déterminée à partir du moment où se produit l' événement dommageable . Il suffit d' observer que le droit aux prestations visées à l' article 72 du statut ( frais médicaux et pharmaceutiques ) est toujours et en tout cas garanti et que les accidents non couverts par l' article 73 ( concernant précisément les prestations versées à la suite d' un accident ) sont clairement
indiqués dans la réglementation adoptée aux fins de l' application de cette même disposition .

En définitive, considération prise de ce que les institutions communautaires sont également tenues de verser les prestations de sécurité sociale à la suite d' un accident imputable à un tiers, il en résulte que les Communautés supportent avec certitude une partie au moins des conséquences de l' événement dommageable : plus précisément, et à tout le moins, les frais médicaux et pharmaceutiques couverts par la caisse de maladie . A notre avis, il suffit donc, aux fins de la subrogation, que le dommage
subi par le fonctionnaire ( ou une partie de ce dommage ) comporte pour les Communautés l' obligation de verser des prestations de sécurité sociale déterminées; ce qui aura précisément pour conséquence de faire obstacle, dans le chef du fonctionnaire, au droit pour ce dernier de demander réparation, pour ce même dommage, au tiers responsable .

A cela s' ajoute que, ainsi que la Cour l' a précisé, "le but du droit de subrogation des Communautés est d' éviter qu' un fonctionnaire soit dédommagé deux fois pour le même préjudice" ( 4 ). Or, s' il est vrai qu' un tel but peut être atteint au travers de mécanismes divers ( et même en l' absence de subrogation ), on doit toutefois reconnaître que, étant donné que les Communautés sont en tout état de cause tenues de verser les prestations auxquelles le fonctionnaire a statutairement droit, le
cumul ne pourra être évité que si le fonctionnaire est privé de toute légitimation active à l' encontre du tiers responsable, aux fins de la réparation du dommage, dans la mesure bien entendu où ce même dommage est, en tout état de cause, destiné à être réparé par les Communautés au moyen des prestations prévues par le statut .

Les observations qui précèdent nous amènent donc à considérer que la subrogation des Communautés dans les droits de ses fonctionnaires intervient dès la survenance de l' événement dommageable .

5 . Une telle conclusion répond à la question, telle qu' elle a été posée par le juge de renvoi . Nous estimons toutefois nécessaire de nous arrêter de façon spécifique sur le problème de l' opposabilité d' une transaction intervenue entre le tiers responsable et le fonctionnaire communautaire et - plus généralement - sur la possibilité pour le tiers responsable, qui a réparé le dommage directement entre les mains du fonctionnaire, d' opposer aux institutions communautaires le paiement intervenu .

Il convient, en effet, à notre avis, d' opérer une distinction entre le rapport qui lie le fonctionnaire et l' institution communautaire et celui qui s' établit entre cette dernière et le tiers responsable . S' il est vrai que la subrogation des Communautés dans les droits du fonctionnaire se produit avec la survenance de l' événement dommageable, nous avons quelque doute sur le fait que celle-ci produise ses effets, de façon tout aussi automatique, à l' égard du tiers responsable, au point de
rendre inopposable une transaction valablement conclue par celui-ci sur la base du droit commun .

Sur ce point, disons tout de suite que nous trouvons peu convaincante la thèse de la Commission selon laquelle le tiers responsable, bien qu' ayant agi de bonne foi, ne peut opposer le paiement intervenu, en raison du fait que le statut est un règlement, donc directement applicable dans tous les États membres .

6 . Observons en premier lieu que les règles du statut visent essentiellement à déterminer la position juridique des fonctionnaires vis-à-vis des institutions dont ils relèvent . Or, s' il est vrai que la Cour a, dans l' affaire 137/80, affirmé que, "en dehors des effets que le statut déploie dans l' ordre intérieur de l' administration communautaire, il oblige également les États membres dans toute la mesure où leur concours est nécessaire à sa mise en oeuvre" ( 5 ), et donc affirmé que le statut
peut avoir des effets également vis-à-vis des tiers, nous avons quelque difficulté à admettre qu' une norme statutaire, telle que celle qui nous occupe, ait également une incidence directe sur la sphère subjective du tiers, au point d' exclure pour ce dernier le droit de conclure une transaction ou d' en rendre vain l' exercice, dans la mesure où cette transaction serait rendue inopposable; en dérogeant, de surcroît, au régime commun de la subrogation en matière de responsabilité pour dommages
causés . A cela s' ajoute que la prise de position de la Cour, que nous venons de rappeler, se rapporte à un cas dans lequel la pleine efficacité de la norme statutaire ( soumise à son examen ) ne pouvait être garantie qu' en vertu de la collaboration des États membres . Dans l' affaire qui nous occupe, au contraire, la situation est indubitablement différente .

En effet, ainsi qu' il résulte de sa structure même, la règle relative à la subrogation est indéniablement destinée en premier lieu et surtout au fonctionnaire, qui est tenu de s' y conformer . Il suffit, à cette fin, que celui-ci n' accepte du tiers responsable un quelconque montant pour le dommage déjà indemnisé ou destiné en tout état de cause à être indemnisé par l' institution intéressée .

Une solution différente aurait pour effet de faire peser entièrement sur le tiers responsable de l' accident la violation, par le fonctionnaire, de la norme statutaire dont s' agit, étant donné que ce tiers se verrait contraint d' entamer une action en justice aux fins de la récupération du montant versé . A l' opposé, le fait que le fonctionnaire ait enfreint une norme dont il est expressément le destinataire ne revêtirait aucune importance dans l' ordre intérieur de l' administration communautaire
.

7 . Mais il y a plus . Même si on voulait considérer que toutes les personnes qui résident sur le territoire communautaire doivent connaître l' existence des normes statutaires pouvant avoir un quelconque effet dans leur chef, du seul fait qu' ils entrent en "contact" avec une personne à qui on applique le statut ( et même si on devait poser comme hypothèse qu' il soit toujours et de toute manière possible d' identifier les personnes auxquelles s' applique le statut ( 6 )), nous estimons qu' il y a,
dans le cas d' espèce, d' autres motifs qui militent contre la thèse de la Commission .

A part la considération évidente que l' effet prétendu par la Commission serait, en tout état de cause, limité aux accidents survenus sur le territoire communautaire, rappelons que certaines normes du statut renvoient à des réglementations spécifiques qui en constituent, pour ainsi dire, les modalités d' application . C' est le cas en ce qui concerne l' article 73 du statut, norme pertinente en l' espèce, sur la base de laquelle le fonctionnaire est couvert contre les risques d' accident "dans les
conditions fixées par une réglementation établie d' un commun accord des institutions des Communautés, après avis du Comité du statut ". La "Réglementation relative à la couverture des risques d' accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes", adoptée aux fins de la mise en oeuvre de l' article 73 du statut, est une réglementation dépourvue de toute pertinence externe, qui prévoit, entre autres, quels sont les accidents admis au régime de l' indemnisation
ainsi que les risques non couverts .

Or, seule la connaissance d' une telle réglementation permettrait au tiers responsable d' établir si le fonctionnaire est ou non, pour ce type d' accident, couvert par l' assurance communautaire . A cet égard, nous nous bornerons à observer qu' une solution, qui ferait supporter au tiers responsable d' un accident dont a été victime un fonctionnaire des Communautés l' obligation de connaître non seulement le statut, mais même une réglementation de type interne, serait dépourvue de tout fondement
juridique .

8 . Relativement à la réglementation précitée, nous estimons, en outre, devoir appeler l' attention sur l' article 8 de celle-ci, qui régit précisément ... les conditions de subrogation en cas d' accident, en prévoyant, en son premier alinéa, que les prestations et indemnités statutaires ne sont versées ( au fonctionnaire ou aux ayants droit ) que "à la condition que ceux-ci subrogent les Communautés ... dans les droits et actions des précités contre le tiers éventuellement responsable ".

Nous devons présumer, compte tenu de la formulation opposée de la norme du statut, qu' une telle disposition a été implicitement abrogée . Toutefois, force est, d' une part, de souligner l' extrême ambiguïté et les incertitudes dérivant d' une telle situation . D' autre part, nous ne cachons pas les difficultés d' interprétation auxquelles donnent lieu les deuxième et troisième alinéas de cet article, en particulier - aux fins qui importent présentement - le passage dans lequel il est dit que "le
fonctionnaire ou ses ayants droit doivent obtenir le consentement de l' institution dont relève le fonctionnaire pour conclure un règlement à l' amiable de leurs droits et transiger avec le tiers responsable ". Deux explications possibles : ou, en insérant dans le statut une norme spécifique ( art . 85 bis ), qui régit désormais toutes les hypothèses de subrogation, on a entendu abroger l' article 8 dans son ensemble ( il va sans dire qu' en pareil cas une abrogation formelle eût certes été
souhaitable ), ou la disposition dont s' agit doit être entendue - étant donné que le fonctionnaire est dépouillé de ses droits dès la survenance de l' événement dommageable - en ce sens que l' institution d' appartenance du fonctionnaire peut elle-même renoncer à son droit de se retourner contre le tiers responsable, en permettant de la sorte au fonctionnaire de se livrer à une transaction . Cette dernière hypothèse confirmerait, s' il en était besoin, que le tiers responsable peut parfaitement se
prévaloir de la transaction, n' étant pas tenu de connaître l' existence de la réglementation en cause et, encore moins, de savoir si le fonctionnaire a ou non le consentement de l' institution intéressée à conclure une transaction en vue de l' indemnisation du dommage subi .

9 . Enfin, il y a lieu de souligner que sur la base d' un principe reconnu dans tous les ordres juridiques des États membres - à savoir, le principe de la confiance légitime - les droits de celui qui a agi de bonne foi sont en tout état de cause sauvegardés . En particulier, pour ce qui est de la matière qui nous occupe, on doit observer que toutes les législations des États membres, ainsi que la jurisprudence en la matière, prévoient des garanties suffisantes destinées à protéger le tiers
responsable qui aurait éventuellement payé directement à la victime les dommages résultant de l' accident ( 7 ).

10 . A la lumière de ce qui précède, nous estimons que le tiers responsable d' un accident dont a été victime un fonctionnaire communautaire peut valablement opposer à l' institution intéressée, subrogée dans les droits dudit fonctionnaire, le paiement intervenu . Une conclusion différente ne s' imposerait que dans le cas où l' institution communautaire aurait instruit le tiers responsable de l' existence du droit de subrogation et de sa volonté de l' exercer .

Le principe selon lequel la subrogation s' opère de ( plein ) droit doit donc être entendu dans le sens qu' elle s' opère également à défaut du consentement préalable du fonctionnaire ou de ses ayants droit, et non dans le sens qu' elle se réaliserait indépendamment d' une déclaration à l' endroit du tiers responsable, déclaration par laquelle l' institution intéressée notifie l' existence et la volonté d' exercer le droit de subrogation qui lui est conféré par le statut . Seule cette manifestation
de volonté, répétons-le, aurait pour effet de rendre inopposable à ladite institution une éventuelle transaction .

De fait, la Commission, répondant par écrit à une question posée au cours de l' audience, a affirmé ne pas avoir averti M . Joris de la possibilité qu' elle avait d' exercer une action récursoire à son encontre, au motif que, vu les remboursements obtenus auprès de la Royale Belge, une telle action était pratiquement sans objet . Et, en effet, les frais médicaux couverts par la caisse de maladie des Communautés, ainsi qu' il résulte des faits de la cause, n' ont pas fait l' objet d' une subrogation
.

Nous n' estimons pas pouvoir partager la thèse de la Commission . Nous nous contenterons à cet égard d' observer que, sur la base du statut, c' est l' institution qui se substitue dans les droits de son fonctionnaire au moment de la survenance de l' événement dommageable; la subrogation de l' assureur dans les droits de l' institution, déterminée par contrat et soumise au droit commun belge, ne se produit qu' à un stade ultérieur, à savoir du fait du paiement . Il en résulte que l' assureur de l'
institution communautaire n' a pas la possibilité de se manifester auprès du tiers responsable, sauf à la suite du paiement intervenu, c' est-à-dire à un moment ultérieur . C' est donc, et en tout état de cause, à l' institution communautaire qu' il incombe de se manifester auprès du tiers responsable; une solution différente aurait pour effet que, dans un cas tel que celui qui nous occupe, la Commission elle-même aurait porté préjudice au droit de subrogation de son assureur .

11 . Les observations qui précèdent n' impliquent évidemment pas que les fonctionnaires puissent être indemnisés deux fois pour un même dommage . Il y a lieu, en effet, d' interpréter la norme pertinente du statut en ce sens que le fonctionnaire ou ses ayants droit sont responsables envers l' institution communautaire du préjudice porté au droit de subrogation . En d' autres termes, le fonctionnaire communautaire est entièrement responsable envers l' institution intéressée du fait même qu' il a eu
un comportement ayant empêché l' institution d' exercer une action récursoire à l' encontre du tiers responsable .

Il découle de ce qui précède que ladite institution pourra et

devra défalquer le montant déjà perçu par le fonctionnaire si elle n' a pas encore versé ce qui lui est dû en vertu du statut; ou bien réclamer, au moyen d' une action en répétition de l' indu, le remboursement de la différence, au cas où celui-ci aurait déjà bénéficié à la fois de l' indemnité servie par le tiers responsable et des prestations versées en vertu du statut .

En définitive : a ) le droit de subrogation en faveur des Communautés intervient automatiquement à l' égard du fonctionnaire dès la survenance de l' événement dommageable; b ) le tiers responsable de l' accident peut opposer l' indemnisation déjà intervenue à l' institution communautaire intéressée, à moins que cette institution l' ait averti au préalable de l' existence du droit de subrogation et de son intention de l' exercer, et c ) le fonctionnaire est responsable envers l' institution au cas où
il aurait porté préjudice au droit de subrogation .

Ajoutons que la solution que nous suggérons ici ne change pas par rapport à l' article 85 bis, paragraphe 1, du statut .

12 . A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre à la question posée par le tribunal de paix de Luxembourg comme suit :

"a ) L' article 73, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires et la nouvelle version, résultant de l' article 85 bis, paragraphe 1, dudit statut doivent être interprétés en ce sens que la subrogation des Communautés dans les droits et actions d' une personne à qui s' applique le statut ou de ses ayants droit, à l' encontre du tiers responsable de l' accident et à concurrence des prestations versées en exécution des obligations statutaires, s' opère dès le moment de l' événement dommageable;

(*) Langue originale : l' italien .

( 1 ) Plus précisément, la règle en question prévoit que, "lorsque la cause du décès, d' un accident ou d' une maladie dont est victime une personne visée au présent statut est imputable à un tiers, les Communautés sont, dans la limite des obligations statutaires leur incombant consécutivement à l' événement dommageable, subrogées de plein droit à la victime ou à ses ayants droit dans leurs droits et actions contre le tiers responsable ".

( 2 ) Arrêt du 16 octobre 1980, Boizard/Commission ( Rec . p . 2992, 2998 ).

( 3 ) Observons en effet que, dans l' ensemble des ordres juridiques des États membres, la notion de "subrogation" se réfère exclusivement au transfert dans la personne du subrogé des droits qui étaient ceux du subrogeant, du fait et par suite du paiement .

( 4 ) Arrêt du 18 mars 1982, Chaumont-Bartel/Parlement, point 11 ( 103/81, Rec . p . 1003 ).

( 5 ) Arrêt du 26 octobre 1981, Commission/Belgique, point 8 ( Rec . p . 2393 ).

( 6 ) Il n' est peut-être pas inutile de souligner que le statut s' applique également aux personnes assurées du chef du fonctionnaire et que, relativement aux frais médicaux et pharmaceutiques, le droit de subrogation des Communautés couvre aussi de telles prestations .

( 7 ) Soulignons en particulier, et eu égard à ce qui a été affirmé au cours de la procédure, que même la législation luxembourgeoise évoquée dans l' instance, sur la base de laquelle les organismes de sécurité sociale sont subrogés dans les droits de l' assuré au moment du fait générateur du dommage et disposent de la sorte d' un droit de recours propre contre le tiers responsable, prévoit néanmoins que, dans le cas où, nonobstant le mécanisme ainsi instauré, l' assuré a déjà perçu du tiers
responsable des prestations en réparation des dommages causés, l' organisme de sécurité sociale compensera les prestations dues à l' assuré, à concurrence du montant que ce dernier a déjà obtenu du tiers responsable ( voir articles 118 et 237 du code des assurances sociales ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-333/90
Date de la décision : 16/01/1992
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de paix de Luxembourg - Grand-Duché de Luxembourg.

Statut des fonctionnaires - Subrogation des Communautés.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Royale belge
Défendeurs : Robert Joris.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Sir Gordon Slynn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1992:14

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award