Avis juridique important
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61991C0228
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 17 mars 1993. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Recours en manquement - Poissons contenant des larves de nématodes - Contrôle systématique aux frontières - Interdiction d'importation de poissons infestés de larves, même dévitalisées. - Affaire C-228/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-02701
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Le présent recours en manquement vise à vous faire constater l' incompatibilité avec le droit communautaire de la réglementation italienne qui interdit l' importation de lots de poissons en provenance d' autres États membres ainsi que du royaume de Norvège, dès lors qu' ils contiennent des larves de nématodes, et qui les soumet, en conséquence, à des contrôles systématiques aux frontières. Relevons d' ores et déjà que, si l' Italie a modifié cette réglementation en cours de procédure, la
Commission ne s' est pas désistée de son recours.
2. A cet égard, rappelons que
"...l' objet d' un recours introduit au titre de l' article 169 est fixé par l' avis motivé de la Commission et que, même au cas où le manquement aurait été éliminé postérieurement au délai déterminé en vertu de l' alinéa 2 du même article, la poursuite de l' action conserve un intérêt" (1).
3. Ce rappel étant fait, résumons brièvement les faits à l' origine de la présente affaire, renvoyant pour un exposé plus complet ainsi que pour le contenu précis de la réglementation italienne au rapport d' audience (2).
4. Au mois de juillet 1987, à la suite de la diffusion, par la télévision allemande, d' un reportage sur les dangers que représenterait pour la santé publique la consommation de poissons contenant des larves de nématodes, l' Italie a, après l' Allemagne, interdit l' importation de poissons contenant de telles larves. Le ministre de la Santé a ainsi adressé trois télégrammes aux autorités sanitaires leur demandant de contrôler systématiquement les lots de poissons importés et de refouler ceux qui
révéleraient la présence de nématodes (3). L' Allemagne, qui avait adopté des mesures comparables, a assoupli sa réglementation en sorte que, par la suite, la Commission a jugé cette dernière compatible avec le droit communautaire.
5. La Commission a été alertée par des plaintes émanant notamment de grossistes qui contestaient les mesures italiennes dans la mesure où elles avaient pour effet de restreindre les importations.
6. Il est indispensable de distinguer, dans la réglementation litigieuse, les mesures qui ont pour objet d' interdire l' importation de poissons contenant des larves de nématodes de celles qui tendent à un contrôle des lots importés.
7. Constatons, au préalable, que la réglementation italienne interdit la vente de denrées dépourvues de leurs éléments nutritifs ou infestées de parasites (4). Des sanctions pénales sont prévues pour "toute personne qui détient pour en effectuer le commerce ou distribuer à des fins de consommation des denrées destinées à l' alimentation, lesquelles, sans être contrefaites ni modifiées sont dangereuses pour la santé publique" (5). C' est sur la base de cette réglementation que le ministre de la Santé
a adressé les télégrammes précités aux autorités sanitaires des frontières.
8. Au vu, tant de ce contexte factuel que de la réglementation italienne, il convient désormais de déterminer le cadre jurisprudentiel dans lequel s' insèrent les mesures sous examen.
9. Il est, en premier lieu, incontestable, que de telles mesures entrent dans le champ d' application de l' article 30 du traité et constituent des mesures d' effet équivalant à des restrictions quantitatives dans la mesure où cette réglementation commerciale est
"(...) susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (...)",
selon le standard bien connu de votre arrêt Dassonville (6).
10. De telles restrictions peuvent cependant échapper à l' interdiction de l' article 30, en vertu des dérogations contenues à l' article 36. En effet,
"...il appartient aux États membres, à défaut d' harmonisation sur le plan communautaire, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l' intérieur de la Communauté" (7).
11. Or, précisément, nous sommes dans un domaine qui n' était pas, lors des faits litigieux, harmonisé, et votre jurisprudence n' exclut le recours à l' article 36 du traité qu' après harmonisation de la matière concernée (8).
12. En effet, ainsi que vous l' avez déjà souligné dans votre arrêt United Foods (9):
"...il n' existe pas, à l' heure actuelle, dans la Communauté, des règles communes ou harmonisées en matière de contrôle sanitaire du poisson. Le règlement n 113/76 (10) du Conseil, du 19 janvier 1976 (JO L 20, p. 29), auquel il a été fait référence en cours de procédure, a pour objet de fixer des normes communes de commercialisation pour certains poissons frais ou réfrigérés; ce règlement ne concerne pas la matière du contrôle sanitaire (11).
...il appartient aux États membres d' organiser le contrôle sanitaire (...) et de l' appliquer aux divers stades de la commercialisation du poisson. Les restrictions au commerce justifiées par la protection de la santé publique étant expressément admises par l' article 36 du traité et la Communauté ne disposant pas encore de règles communes ou harmonisées en la matière, on ne saurait donc considérer l' application, au poisson importé d' autres États membres, du contrôle sanitaire prévu par la
législation nationale d' un État membre pour le poisson de mer débarqué dans les ports de cet État comme constituant, dans son principe même, une mesure prohibée par le traité" (12).
13. Si, depuis lors, le Conseil a adopté le 22 juillet 1991, une directive (13) fixant les règles sanitaires dans le domaine de la pêche, ce texte est postérieur à l' avis motivé.
14. Dans ces conditions, il convient de déterminer, à l' aune tant des articles 30 à 36 que de votre jurisprudence, si la réglementation italienne peut être considérée comme étant compatible avec le droit communautaire applicable à la date de cet avis.
15. L' interdiction de commercialisation de poissons contenant des larves de nématodes est justifiée, selon l' État défendeur, par une des raisons contenue à l' article 36, étant toutefois observé que cette mesure est indistinctement applicable aux produits importés et aux produits nationaux. Dans une telle hypothèse, il est de jurisprudence constante qu' une pareille réglementation, ayant des effets restrictifs, peut échapper à l' interdiction en vertu, soit de l' article 36, soit des exigences
impératives contenues à l' article 30. Cependant, seule la protection de la santé publique étant invoquée, il serait non seulement surabondant, mais, bien plus, inutile, de contrôler la compatibilité de cette réglementation en raison de l' existence des exigences impératives.
16. Il résulte, en effet, de votre arrêt Aragonesa de publicidad exterior et publivìa (14) que
"...la protection de la santé publique est expressément mentionnée parmi les motifs d' intérêt général, énumérés à l' article 36, qui permettent de faire échapper une restriction à l' importation à l' interdiction prévue par les dispositions de l' article 30. Dans ces conditions, observation faite que les dispositions de l' article 36 sont également applicables lorsque la mesure contestée ne restreint que les importations, alors qu' il ne peut, selon la jurisprudence de la Cour, être question d'
exigence impérative pour l' interprétation de l' article 30 que si cette mesure concerne indistinctement les produits nationaux et les produits importés, il est inutile de rechercher si la protection de la santé publique pourrait également présenter le caractère d' une exigence impérative pour l' application de cet article 30" (15).
17. Afin d' être tout à fait complet sur la possibilité des États membres d' invoquer, à défaut d' harmonisation, les raisons contenues dans l' article 36, relevons que leur pouvoir à cet égard n' est cependant pas sans limite (16).
18. En effet, il résulte notamment de l' arrêt Commission/Grèce (17) que cette disposition
"...comporte une exception, d' interprétation stricte, à la règle de la libre circulation des marchandises à l' intérieur de la Communauté, laquelle fait partie des principes fondamentaux du marché commun" (18).
19. Cette interprétation restrictive entraîne deux conséquences.
20. En premier lieu, il résulte de votre arrêt De Peijper (19) que l' effet restrictif sur les importations
"...n' est compatible avec le traité que pour autant qu' elle (la réglementation en l' occurrence) est nécessaire aux fins d' une protection efficace de la santé et de la vie des personnes (20);
qu' une réglementation ou pratique nationale ne bénéficie donc pas de la dérogation de l' article 36 lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires" (21).
21. En second lieu, s' agissant d' une dérogation au principe de la libre circulation des marchandises,
"il appartient à cet égard aux autorités nationales de démontrer, dans chaque cas, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à l' article 36 du traité et notamment que la commercialisation du produit en question présente un risque sérieux pour la santé publique" (22).
22. Relevons cependant à cet égard qu' il suffit d' une simple potentialité du risque encouru par les consommateurs pour justifier l' adoption d' une réglementation restrictive des échanges intracommunautaires, ainsi que vous l' avez, en ces termes, dit dans l' arrêt Melkunie (23):
"...une réglementation nationale visant à ce que le produit laitier en cause soit exempt, au moment de sa consommation, d' un nombre de germes simplement susceptible de faire courir un risque à la santé de certains consommateurs particulièrement sensibles, doit être regardée comme conforme aux exigences de l' article 36" (24).
23. L' étude de votre jurisprudence permet donc de définir les contours de l' article 36 et d' en apprécier tant la portée que les limites qui assurent l' objectif de libre circulation inséré au traité, sans pour autant compromettre la protection de santé publique, ainsi qu' il ressort notamment de l' arrêt Commission/France (25).
24. Passons aux mesures de protection de santé publique mises en oeuvre par le gouvernement italien afin d' en apprécier la conformité au regard du principe de libre circulation des marchandises.
25. Nous devrons rechercher, dans cette optique, s' il n' existe pas, en l' espèce, de mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires qui permettraient d' atteindre cet objectif sans pour autant compromettre ce principe. A cet égard, il n' est pas sans intérêt d' indiquer d' ores et déjà que le contrôle sanitaire du poisson est désormais régi par la circulaire n 10 (26) du 11 mars 1992 qui a assoupli les rigueurs des modalités du contrôle antérieur (27).
26. Si la République italienne a certes modifié sa réglementation commerciale, elle conteste cependant avoir à aucun moment manqué à ses obligations résultant tant du traité que du droit dérivé. Il convient, dès lors, à ce stade, de rechercher l' éventuel impact, sur la santé publique, de la consommation de poissons contenant des larves de nématodes, mortes ou vivantes.
27. Rappelons, ainsi qu' il ressort des affirmations de la Commission, non contredites par la République italienne, que la présence de nématodes dans les poissons résulte d' un phénomène lié au cycle marin et non d' une éventuelle pollution des eaux (28).
28. Selon la Commission, seule la consommation de poissons contenant des nématodes vivants constitue un danger pour la santé publique, en provoquant l' apparition d' une maladie dénommée "anisakiase", maladie qui, au surplus, serait délicate à diagnostiquer. Cependant, seuls les poissons consommés crus ou légèrement salés, fumés ou marinés pourraient contenir ces parasites à l' état vivant (29). En revanche, la cuisson du poisson aurait pour effet de détruire les larves vivantes et, toujours selon
la Commission, l' absorption de larves mortes ne constituerait nullement un facteur de risque. Il existerait, au demeurant, différentes méthodes de traitement permettant, au stade de la production, de désactiver la virulence des larves vivantes. Nous renvoyons, sur ce point, au rapport d' audience (30).
29. Les affirmations de la Commission sont corroborées par des études médicales relatives à la toxicité des nématodes et publiées dans des revues spécialisées, études qui ne sont pas contredites de façon circonstanciée par la République italienne, laquelle affirme simplement que, même en ce qui concerne les nématodes morts, il y aurait, sinon un risque, du moins une perte des qualités organoleptiques du poisson consommé. Cette affirmation n' est valablement étayée par aucun élément du dossier. Bien
plus, l' avis du Conseil supérieur de la santé italien, dont fait état le gouvernement italien dans sa réponse du 13 mars 1989 à la demande d' observations émanant de la Commission, constate la nécessité d' un certificat attestant que le poisson "est indemne de parasites ou a subi les traitements nécessaires à l' inactivation du parasite" (31), ce qui présuppose l' admission de la présence de larves mortes dans le poisson, sans que soit pour autant affectée la santé publique.
30. Rappelons, à cet égard, qu' il appartient à l' autorité nationale de démontrer le risque que revêt pour la santé publique la consommation de poissons contenant des larves de nématodes (32).
31. Ainsi, concernant, en premier lieu, la commercialisation de poissons contenant des larves mortes, l' Italie n' a nullement justifié, ni dans ses écritures ni lors de la procédure orale, une telle interdiction au regard d' une exigence tenant à la protection de la santé publique et l' on ne saurait se ranger à sa position consistant, par un renversement de la charge de la preuve, à faire grief à la Commission de n' avoir pas établi l' innocuité de telles larves. Ainsi que nous l' avons déjà
indiqué, une jurisprudence constante met à la charge de l' État membre qui se prévaut d' une dérogation contenue à l' article 36 l' obligation de démontrer le risque encouru. A défaut d' une telle preuve, la République italienne ne pouvait interdire la commercialisation et l' importation de poissons contenant des larves mortes, interdiction qui est incontestable et résulte de la réponse du 13 mars 1989 à la lettre de la Commission, rédigée en ces termes:
"...la présence de parasites morts n' est pas un critère valable pour autoriser la commercialisation d' un produit qui a perdu, fût-ce partiellement, sa valeur biologique" (33).
32. Indiquons toutefois que, bien que ne présentant pas de danger pour la santé publique, les larves mortes doivent être prises en considération pour le classement du poisson dans les différentes catégories de fraîcheur.
33. Le règlement n 103/76 du Conseil (34) dispose, en effet, en son article 6, point 2:
"Pour le classement des produits dans les différentes catégories de fraîcheur, est également prise en considération la présence de parasites, compte tenu de la nature du produit, de son lieu de pêche et de sa présentation".
34. Ce règlement ne s' applique cependant qu' à certaines espèces de poissons visées à l' article 3, tels les merlans, merlus et harengs.
35. Le règlement n 33/89 du Conseil du 5 janvier 1989 (35) reprend cette disposition en rajoutant cependant qu' elle s' applique "sans préjudice de la réglementation applicable en matière sanitaire" (36).
36. Il résulte de cette disposition modifiée qu' à défaut de risque pour la santé publique la présence dans les produits de la pêche de larves mortes ne saurait justifier leur refoulement, mais seulement leur classement dans une catégorie inférieure de fraîcheur. En revanche, elle doit être interprétée en ce sens qu' une réglementation sanitaire interdisant la commercialisation de poissons contenant certains parasites toxiques, justifiée par l' article 36, permettrait à un État membre de refuser une
telle commercialisation.
37. En ce qui concerne, en second lieu, les larves vivantes, le danger pour la santé n' est en revanche nullement contesté par la Commission et l' on ne saurait, dans ces conditions, obliger la commercialisation de poissons susceptibles d' occasionner un risque pour la santé publique. Si des mesures de traitement existent, ainsi que l' a indiqué la Commission, et peuvent être applicables au poisson, en revanche, ce dernier, lorsqu' il est traité, adopte la qualification correspondant au traitement
effectué (poisson congelé, mariné, salé, fumé) et perd ainsi sa qualité de poisson frais. Dès lors qu' il a fait l' objet d' un tel traitement qui garantit l' absence de larves vivantes, sa commercialisation ne saurait être interdite sans que soit gravement compromis le principe de libre circulation des marchandises.
38. Concernant le poisson frais qui n' a fait l' objet d' aucun traitement adéquat, nous estimons que la République italienne est fondée à ne permettre sa commercialisation que pour autant qu' il est exempt de larves vivantes de nématodes. Si la cuisson tue ces larves, la potentialité du risque existe pour la personne qui consommerait, cru, un tel produit.
39. En outre, une solution satisfaisante ne paraît pas pouvoir être trouvée dans les mesures moins restrictives des échanges suggérées par la Commission.
40. En effet, il y a tout lieu de penser que l' indication sur le poisson de la présence de nématodes vivants altérerait la confiance du consommateur dans la qualité du produit.
41. En outre, nonobstant le fait qu' il nous semble inadmissible de permettre la mise sur le marché d' un produit même potentiellement dangereux, nous ne voyons pas comment, dans la pratique, cette information pourrait être respectée, dès lors que ce poisson serait acheté directement auprès d' un poissonnier, lequel devrait informer ses clients de la présence de larves vivantes. La suggestion à cet égard de la Commission nous paraît bien peu réaliste et nous rappellerons que, lorsque vous avez admis
l' étiquetage comme un moyen d' atteindre l' objectif visé par une réglementation sans compromettre la libre circulation des marchandises, nul risque pour la santé du consommateur n' existait (37).
42. Le recours de la Commission apparaît donc mal fondé en ce qui concerne le poisson frais contenant des larves vivantes qui n' aurait fait l' objet d' aucun traitement préalable adéquat.
43. Examinons à présent la compatibilité de la réglementation italienne au regard du règlement n 1691/73 du Conseil "portant conclusion d' un accord entre la Communauté économique européenne et le royaume de Norvège et arrêtant des dispositions pour son application" (38), accord annexé à ce règlement.
44. Observons, à titre liminaire, que cet accord:
"...s' applique aux produits originaires de la Communauté et de la Norvège:
i) relevant des chapitres 25 à 99 de la Nomenclature de Bruxelles, à l' exclusion des produits énumérés à l' annexe..." (39).
45. Or, les produits de la pêche relèvent de l' annexe II du chapitre 3 de la nomenclature de Bruxelles et semblent donc, a priori, exclus du champ d' application ratione materiae de l' accord.
46. Cependant l' article 15 (40) de ce dernier dispose que:
"1. Les parties contractantes se déclarent prêtes à favoriser, dans le respect de leurs politiques agricoles, le développement harmonieux des échanges de produits agricoles auxquels ne s' applique pas l' accord.
2. En matière vétérinaire, sanitaire et phytosanitaire, les parties contractantes appliquent leurs réglementations d' une manière non discriminatoire et s' abstiennent d' introduire de nouvelles mesures ayant pour effet d' entraver indûment les échanges...".
47. Cet article comporte donc une obligation de "standstill" interdisant l' adoption de mesures restrictives des échanges qui ne seraient pas justifiées par l' un des impératifs visés aux articles 30 à 36. Or, ainsi que nous l' avons indiqué, l' interdiction d' importation de poissons frais contenant des larves vivantes de nématodes constitue une entrave justifiée aux échanges intracommunautaires. La République italienne n' a donc violé le règlement n 1691/72, auquel est annexé l' accord entre la
Communauté et le royaume de Norvège, et plus particulièrement l' article 15 de cet accord, qu' en ce qui concerne le refus d' importation de lots de poissons traités ou comprenant des larves mortes.
48. Ceci nous conduit à examiner la violation, invoquée par la Commission, de la directive 83/643 du Conseil (41) relative à la facilitation des contrôles. Relevons d' ores et déjà que cette directive a été modifiée par deux nouvelles dispositions, l' une du 15 décembre 1986 (42), l' autre du 20 juin 1991 (43), inapplicables au présent litige.
49. Il convient, au préalable, de rappeler que cette directive indique, en son article premier, s' appliquer "sans préjudice des dispositions en vigueur dans le cadre des réglementations communautaires générales ou spécifiques".
50. Ainsi, dans la mesure où il n' existait pas de réglementation communautaire en la matière, à l' époque des faits litigieux, la dérogation contenue à l' article 36 peut être invoquée.
51. Aux termes de l' article 2:
"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, au cours d' une opération de transport, les différents contrôles et formalités aient lieu avec le minimum nécessaire de délai et...
- pour ce qui concerne les contrôles, par sondage, sauf dans des circonstances dûment justifiées."
52. Il n' apparaît pas cependant que cette directive modifie, sur ce point, votre jurisprudence antérieure, et nous rejoignons à cet égard une partie de la doctrine (44). L' article 2 ne fait, en effet, que consacrer les principes que vous avez dégagés notamment dans les arrêts United Foods (45) et Denkavit/Ministre de l' emploi (46). Ainsi, dans ce dernier arrêt, avez-vous rappelé que:
"...Une jurisprudence constante de la Cour interprète la notion de mesure d' effet équivalant à des restrictions quantitatives à l' article 30 du traité comme s' étendant aux contrôles sanitaires systématiques opérés aux frontières intracommunautaires" (47).
53. Un tel contrôle ne saurait être ainsi considéré comme incompatible avec le droit communautaire lorsqu' il n' existe pas de directive d' harmonisation régissant le produit concerné, que les restrictions sont justifiées au regard de l' article 36 et qu' elles sont proportionnées à l' objectif visé. Rappelons que, dans l' arrêt United Foods, vous avez admis le principe d' un contrôle sanitaire appliqué au poisson importé, dès lors qu' un tel contrôle n' avait pas été opéré dans l' État d' origine
et qu' il était indistinctement pratiqué sur les poissons importés et sur ceux pêchés dans les eaux de l' État d' importation.
54. Ces constatations ne sauraient permettre, en revanche, le contrôle systématique de tous les lots importés, dès lors que des mesures moins contraignantes existent, lesquelles préservent de manière satisfaisante l' exigence impérative que constitue la protection de la santé publique.
55. Ainsi que l' écrivait Monsieur l' Avocat général VerLoren van Themaat dans ses conclusions sous l' affaire Delhaize (48).
"...il résulte de votre jurisprudence que dans la Communauté l' article 36 du traité CEE ne permet pas que des contrôles sanitaires nationaux aient lieu d' une manière systématique et illimitée dans le pays importateur, même lorsqu' aucune directive d' harmonisation n' existe en ce qui concerne les contrôles sanitaires. Outre le principe de proportionnalité et les obligations de tenir alors aussi compte de contrôles équivalents dans le pays exportateur, les interdictions de discriminations
arbitraires et de restrictions déguisées aux échanges sont importantes ici" (49).
56. L' on peut notamment déduire de votre arrêt Commission/Royaume-Uni (50) qu' un État membre peut soumettre, dans certaines circonstances, tout importateur à l' exigence d' un certificat sanitaire, alors même qu' une telle mesure est susceptible d' entraver le commerce intracommunautaire, ainsi que vous l' avez, en ces termes, jugé dans l' arrêt Denkavit (51):
"La notion de mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative s' étend aussi à l' obligation de présenter un certificat attestant que les aliments importés ont subi dans le pays exportateur un traitement déterminé. La circonstance que l' exigence d' un certificat accompagnant la marchandise est fréquemment prévue dans les directives communautaires qui tendent à harmoniser et à éliminer dans toute la mesure du possible les contrôles sanitaires nationaux à la frontière n' aboutit pas à
écarter la qualification de mesure d' effet équivalent qui s' attache à l' exigence nationale dans l' État membre importateur de produire un certificat émanant des autorités de l' État expéditeur..." (52).
57. Si, effectivement, l' exigence d' un tel certificat délivré par l' État expéditeur revêt le caractère de mesure d' effet équivalent à une restriction quantitative tombant, dès lors, dans le champ d' application de l' article 30, elle peut cependant être justifiée, en vertu de l' article 36, lorsqu' il y a risque pour la santé publique.
58. Vous avez, certes, refusé d' admettre la conformité d' une telle exigence au regard du principe de libre circulation des marchandises dans l' arrêt Commission/Grèce (53), mais ceci, au motif que la commercialisation du produit ne soulevait aucun problème sanitaire (54).
59. Il est, en effet, incontestable que l' obligation de présenter un certificat sanitaire est une mesure restrictive des échanges qui ne peut, en conséquence, être exigée qu' en présence de produits présentant des risques pour la santé publique (55), en sorte que la République italienne était en droit d' exiger la remise par tout importateur d' un tel certificat attestant que le poisson avait subi un traitement destiné à désactiver la virulence des larves ou, pour le poisson non traité, qu' il
était exempt de larves vivantes.
60. Nous nous référons, à cet égard, à votre arrêt Commission/Royaume-Uni (56), relatif à l' importation de lait, duquel il résulte que cet État membre imposait au lait UHT importé un second traitement sur son territoire, au motif que les traitements effectués dans les autres États membres ne garantissaient pas le respect des normes nationales et, par conséquent, la parfaite qualité du lait.
61. Vous n' avez pas admis la proportionnalité des mesures britanniques avec les exigences de la protection de la santé publique et vous avez déclaré:
"Dans ces circonstances, le Royaume-Uni pourrait obtenir, dans son souci de protection de la santé humaine, des garanties équivalentes à celles qu' il a fixées pour sa production intérieure de lait UHT, sans recourir à la mesure retenue, qui équivaut à une interdiction totale d' importation (57).
A cet effet, le Royaume-Uni serait en droit de définir les conditions objectives qu' il estime devoir être respectées en ce qui concerne la qualité du lait avant traitement ... Le Royaume-Uni pourrait également exiger que le lait UHT importé respecte les normes ainsi définies en ayant toutefois le souci de ne pas s' écarter de ce qui est strictement nécessaire pour la protection de la santé du consommateur. Il aurait la faculté de s' assurer de ce respect en demandant aux importateurs la production
de certificats délivrés à cet effet par les autorités compétentes des États membres exportateurs (58).
Cette collaboration nécessaire n' exclut cependant de la part des autorités britanniques ni la possibilité de procéder à des contrôles par sondages pour s' assurer du respect des normes par elles définies, ni celle de s' opposer à l' entrée des lots reconnus non conformes" (59).
62. A cet égard, la Commission a expressément indiqué dans son recours que certains lots de poissons "rigoureusement contrôlés avant leur expédition et accompagnés de certificats sanitaires conformes aux exigences italiennes" (60) avaient fait l' objet d' un nouveau contrôle lors du franchissement de la frontière, ce que le représentant du gouvernement italien n' a d' ailleurs pas contredit lors de la procédure orale.
63. Rappelons que:
"...le poisson ayant déjà fait l' objet, dans l' État d' expédition, d' un contrôle sanitaire effectué selon les normes prescrites par la législation même de l' État destinataire, le contrôle à l' importation doit en tout cas être limité aux mesures destinées à parer aux risques du transport, ou découlant d' éventuelles manipulations postérieures au contrôle opéré au départ" (61).
64. Des remarques générales qui précèdent, il résulte que la République italienne était fondée à pratiquer des contrôles sanitaires lorsque l' importation n' était pas accompagnée d' un certificat adéquat. Cependant, en prescrivant que ce contrôle soit effectué sur tous les lots importés, sans en exclure ceux accompagnés d' un tel certificat, cet État membre a manqué à ses obligations. S' il est vrai qu' un contrôle par sondage a été autorisé, il ne concernait que les poissons congelés accompagnés
d' un certificat. Or, nonobstant le fait qu' aucun problème ne se pose pour le poisson congelé, la congélation suffisant à désactiver les nématodes, la République italienne a ordonné la vérification systématique des lots de poissons frais, sans exception pour ceux accompagnés de certificats.
65. Votre jurisprudence interdit de tels contrôles et l' Italie ne pouvait, en conséquence, ordonner, sur ces lots, que des contrôles par sondage.
66. Même s' il ressort des pourcentages indiqués par l' État défendeur, produits par la Commission elle-même à l' appui de son recours, que le contrôle n' a pas été en fait systématique, il convient en l' occurrence de s' attacher, non pas à l' application matérielle des prescriptions des télégrammes, mais exclusivement à l' obligation qu' elles comportaient pour les autorités sanitaires aux frontières, de contrôler systématiquement tous les lots, y compris ceux conformes aux exigences italiennes.
67. Au-delà de la directive 83/643, la Commission reproche également à la République italienne d' avoir manqué aux obligations qui lui incombent, résultant de l' accord précité entre la Communauté et le royaume de Norvège, et notamment son article 15, lequel, rappelons-le, interdit "d' introduire de nouvelles mesures ayant pour effet d' entraver indûment les échanges".
68. Il est indiscutable que les télégrammes adressés aux autorités sanitaires constituent de nouvelles mesures. A supposer même qu' il n' y ait, ainsi que le soutient l' État défendeur, qu' intensification des contrôles, le manquement n' en serait pas moins constitué. Si l' on devait, en effet, assimiler une intensification aux mesures déjà existantes, l' effet utile de cet accord serait incontestablement compromis.
69. C' est d' ailleurs cette interprétation que vous avez retenue dans l' arrêt Moormann (62) qui concernait la directive elle-même:
"Conformément à sa finalité consistant à rendre le passage d' une frontière communautaire plus aisé et à supprimer le caractère systématique des vérifications dispendieuses, les termes de la directive doivent recevoir une interprétation susceptible de les faire effectivement concourir à cette fin" (63).
70. L' accord entre la Communauté et le royaume de Norvège tend également à faciliter les échanges, en sorte que des mesures de contrôle aux frontières doivent être considérées comme entravant ces échanges, dès lors qu' elles ne sont pas justifiées.
71. En ordonnant que les autorités sanitaires pratiquent à ce stade des contrôles systématiques, sans distinguer selon que les lots étaient ou non accompagnés de certificats sanitaires adéquats, la République italienne a également violé l' accord, ce, pour les motifs que nous avons précédemment exposés.
72. Nous concluons, en conséquence à ce qui vous constatiez qu' en interdisant l' importation de lots de poissons contenant des larves de nématodes mortes et en ordonnant des contrôles systématiques aux frontières, y compris sur les lots de poissons accompagnés de certificats sanitaires adéquats, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 36 du traité, de la directive 83/643 du Conseil et de l' accord entre la Communauté et le royaume de Norvège
annexé au règlement n 1691/73.
73. Le recours devant être rejeté pour le surplus, nous concluons à ce que les dépens de la présente procédure soient mis à la charge de la République italienne à proportion des trois quarts et, pour un quart, à celle de la Commission.
(*) Langue originale: le français.
(1) - Arrêt du 7 février 1973, Commission/Italie (39/72, Rec. 73, p. 101, attendu 9).
(2) - Partie I, cadre réglementaire, exposé des faits et déroulement de la procédure précontentieuse.
(3) - Aux termes d' un télégramme du 15 décembre 1987, il a été cependant décidé un contrôle par sondage de certaines espèces de poissons, dès lors qu' ils étaient accompagnés d' un certificat sanitaire attestant qu' il s' agissait de poissons congelés.
(4) - Loi n 283 du 30 avril 1962.
(5) - Article 444 du Code pénal italien.
(6) - Arrêt du 11 juillet 1974 (8/74, Rec. p. 837, attendu 5).
(7) - Arrêt du 19 mars 1991, Commission/Grèce (205/89, Rec. p.I-1361, point 8).
(8) - Arrêt du 15 décembre 1976, Simmenthal (35/76, Rec. p. 1871); arrêt du 8 octobre 1977, Tedeschi/Denkavit (5/77, Rec. p. 1555); arrêt du 8 novembre 1979, Denkavit/Ministre de l' Alimentation (251/78, Rec. p. 3369, point 14); arrêt du 3 octobre 1985, Commission/RFA (29/84, Rec. p. 3097, point 25).
(9) - Arrêt du 7 avril 1981 (132/80, Rec. p. 995).
(10) - Il s' agit en réalité du règlement n 103/76.
(11) - Point 24.
(12) - Point 25.
(13) - Directive 91/943 du Conseil du 22 juillet 1991 (JO L 268/15 du 24 septembre 1991).
(14) - Arrêt du 25 juillet 1991 (C-1/90 et C-176/90, Rec. p.I-4151).
(15) - Point 13.
(16) - Arrêt du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel/Ministre de l' alimentation (251/78, Rec. p. 3369, point 21).
(17) - Arrêt du 19 mars 1991 (C-205/89, Rec. p. I-1361).
(18) - Point 9.
(19) - Arrêt du 20 mai 1976 (104/75, Rec. p. 613). Voir également arrêt du 13 mars 1986, Ministère public/Mirepoix (54/85, Rec. p. 1067, point 13) et l' arrêt du 13 décembre 1990, Procédure pénale/Bellon (C-42/90, Rec. p. I-4863, point 11).
(20) - Attendu 16.
(21) - Attendu 17.
(22) - Arrêt du 30 novembre 1983, Van Bennekom/Pays-Bas (227/82, Rec. p. 3883, point 40). Voir également arrêt du 6 mai 1986, Ministère public/Mueller (304/84, Rec. p. 1511, point 25).
(23) - Arrêt du 6 juin 1984 (97/83, Rec. p. 2367).
(24) - Point 18, in fine.
(25) - Arrêt du 28 janvier 1986 (188/84, Rec. p. 419, particulièrement point 17).
(26) - Gazzetta Ufficiale della Republica Italiana, n 62 du 4 mars 1992.
(27) - Ces modalités sont décrites à la troisième partie du rapport d' audience - III - Moyens et arguments des parties, point 4 desquelles il résulte notamment que les larves mortes ne constitueraient pas un danger pour la santé publique.
(28) - Mémoire p. 29 et suivantes.
(29) - Ibidem p. 30, point 2.
(30) - Rapport d' audience, partie III - Moyens et arguments des parties, point 1a.
(31) - Lettre du 13 mars 1989, p. 6.
(32) - Arrêt 227/82 précité, point 40. Arrêt 251/78 précité, point 24.
(33) - P. 7, point 10.
(34) - Règlement CEE n 103/76 du Conseil du 19 janvier 1976 (JO L 20, p. 29).
(35) - Modifiant le règlement (CEE) n 103/76 portant fixation des normes communes de commercialisation pour certains poissons frais ou réfrigérés. JO L 5 p. 18.
(36) - Article 6, point 5.
(37) - Commission/Grèce, arrêt du 12 mars 1987 (176/84, Rec. p. 1193).
(38) - JO L 171/1 du 27 juin 1973.
(39) - Article 2.
(40) - JO L 171 du 27 juin 1973, p. 4.
(41) - Directive 83/643 relative à la facilitation des contrôles physiques et des formalités administratives lors du transport des marchandises entre États membres. JO L 359, p. 8 du 22 décembre 1983.
(42) - Directive du Conseil 87/53 du 15 décembre 1986 modifiant la directive 83/643/CEE relative à la facilitation des contrôles physiques et des formalités administratives lors du transport de marchandises entre États membres. JO L 24 p. 33 du 27 janvier 1987.
(43) - Directive du Conseil 91/342 du 20 juin 1991 modifiant la directive 83/643/CEE relative à la facilitation des contrôles physiques et des formalités administratives lors du transport des marchandises entre États membres. JO L 187 p. 47 du 13 juillet 1991.
(44) - MATTERA, le marché unique européen, Jupiter, seconde édition, p. 322.
(45) - Arrêt 132/80 précité.
(46) - Arrêt 251/78 précité.
(47) - Ibidem point 10.
(48) - Arrêt du 6 octobre 1983 (2 à 4/82, Rec. p. 2973).
(49) - Ibidem p. 2991. Voir également les conclusions de Monsieur l' Avocat général Capotorti dans l' arrêt 132/80 précité, p. 1030 (spécialement p. 1031). Voir également les conclusions de l' avocat général M. Lenz dans l' arrêt du 18 février 1986, Commission/Italie (35/84, Rec. p. 545).
(50) - Arrêt du 8 février 1983 (124/81, Rec. p. 203).
(51) - Arrêt 251/78 précité.
(52) - Point 11.
(53) - Arrêt du 19 mars 1991 (C-205/89, Rec. p. I-1374).
(54) - Point 12.
(55) - Arrêt du 5 juillet 1990, Commission/Belgique (C-304/88, Rec. p. I-2801, point 14).
(56) - Arrêt 124/81 précité.
(57) - Point 28.
(58) - Point 29.
(59) - Point 31.
(60) - Page 4 de la traduction française du mémoire.
(61) - Arrêt 132/80 précité - point 29.
(62) - Arrêt Oberkreisdirektor des Kreises Borken e.a./Moormann du 20 septembre 1988 (190/87, Rec. p. 4689).
(63) - Point 27.