Avis juridique important
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61992J0063
Arrêt de la Cour du 15 décembre 1993. - Lubbock Fine & Co. contre Commissioners of Customs and Excise. - Demande de décision préjudicielle: Value Added Tax Tribunal, London - Royaume-Uni. - Taxe sur la valeur ajoutée - Indemnité versée en raison de la résiliation d'un bail. - Affaire C-63/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-06665
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
++++
Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Exonérations prévues par la sixième directive - Exonération de la location de biens immeubles - Notion - Indemnité versée en raison de la résiliation d' un bail - Inclusion - Taxation en vertu de la faculté pour les États membres de limiter le champ d' application de l' exonération - Inadmissibilité
[Directive du Conseil 77/388, art. 13, B, sous b)]
Sommaire
Entre dans la notion de "location de biens immeubles", utilisée par l' article 13, partie B, sous b), de la sixième directive 77/388 en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires pour décrire une opération obligatoirement exonérée de la taxe, le fait pour un locataire, qui renonce à son bail, de remettre, moyennant indemnité, le bien immobilier à la disposition de celui dont il tient ses droits.
Cette même disposition, qui permet aux États membres de prévoir, outre les exceptions y précisées, des exclusions supplémentaires du champ de l' exonération établie pour la location de biens immeubles, ne les habilite pas à taxer ladite indemnité, alors que les loyers versés en exécution du bail ont été exonérés conformément à la règle précitée. En effet, le régime d' un même bail ne saurait faire l' objet d' un fractionnement.
Parties
Dans l' affaire C-63/92,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Value Added Tax Tribunal, London Tribunal Centre, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Lubbock Fine & Co
et
Commissioners of customs & excise,
une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 13, sous-titre B, sous b) et g), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR,
composée de MM. O. Due, président, J. C. Moitinho de Almeida, M. Díez de Velasco et D. A. O. Edward, présidents de chambres, C. N. Kakouris, R. Joliet, F. Grévisse, M. Zuleeg et P. J. G. Kapteyn, juges,
avocat général: M. M. Darmon
greffier: M. H. v. Holstein, greffier adjoint
considérant les observations écrites présentées:
- pour Lubbock Fine & Co, par M. David Goy, QC,
- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, assistant Treasury Solicitor, en qualité d' agent, et M. A. W. H. Charles, barrister,
- pour le gouvernement hellénique, par M. Fokionas P. Georgakopoulos, assesseur du Conseil juridique de l' État, en qualité d' agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Thomas F. Cusack, conseiller juridique, en qualité d' agent,
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les observations orales de Lubbock Fine & Co, du gouvernement du Royaume-Uni, du gouvernement allemand, représenté par M. Claus-Dieter Quassowski, Regierungsdirektor, en qualité d' agent, du gouvernement hellénique, et de la Commission, à l' audience du 28 avril 1993,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 30 juin 1993,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnances des 30 juillet 1991 et 26 février 1992, parvenues à la Cour le 3 mars 1992, le Value Added Tax Tribunal, London Tribunal Centre, a posé, en application de l' article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives à l' interprétation de l' article 13, sous-titre B, sous b) et g), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de
taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après "sixième directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige opposant une firme d' experts-comptables, Lubbock Fine & Co (ci-après "Lubbock Fine"), aux Commissioners of customs & excise (administration des contributions indirectes, ci-après "administration fiscale") au sujet de l' assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après "TVA") d' une indemnité perçue par Lubbock Fine à l' occasion de la résiliation anticipée d' un bail. En 1971, Lubbock Fine avait pris en location, pour une durée
de 25 ans et un trimestre, un immeuble appartenant à Esso Pension Trust Ltd. La propriété de ce bâtiment a été cédée par la suite à Guildhall Properties Ltd. En 1990, Guildhall Properties Ltd et Lubbock Fine ont conclu un accord aux termes duquel, à partir du 1er juin de ladite année, Lubbock Fine a renoncé à la durée restante du bail et a restitué les lieux à Guildhall Properties Ltd. En contrepartie, cette dernière lui a versé une indemnité de 850 000 UKL.
3 L' administration fiscale a estimé que la législation britannique, en l' espèce le Value Added Tax Act 1983, tel que modifié par le Finance Act 1989, imposait de soumettre cette indemnité à la TVA et a réclamé, à ce titre, la somme de 110 869,56 UKL à Lubbock Fine. A cet égard, le Value Added Tax Act 1983, tel que modifié, au point 1 du groupe 1 de son annexe 6, exonère de la TVA "l' octroi de tout titre ou droit sur un bien immeuble ou de toute autorisation d' occuper un bien immeuble (...)". Il
découle de cette disposition, lue en liaison avec une note de bas de page, qu' au Royaume-Uni, la location, la sous-location et la cession de bail d' un immeuble sont en principe des opérations exonérées. Par contre, la renonciation à un bail opérée en faveur de la personne dont le locataire tient ses droits est exclue de cette exonération.
4 A l' appui d' un recours devant le Value Added Tax Tribunal, Lubbock Fine a fait valoir que la disposition excluant la renonciation du champ de l' exonération était contraire à l' article 13, sous-titre B, de la sixième directive.
5 Cet article dispose:
"Sans préjudice d' autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu' ils fixent en vue d' assurer l' application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
a) (...)
b) l' affermage et la location de biens immeubles, à l' exception:
1. des opérations d' hébergement telles qu' elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper;
2. des locations d' emplacement pour le stationnement des véhicules;
3. des locations d' outillages et de machines fixés à demeure;
4. des locations de coffres-forts.
Les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d' application de cette exonération;
(...)
g) les livraisons de bâtiments ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l' article 4, paragraphe 3, sous a);
(...)"
6 Quant à l' article 4, paragraphe 3, de la même directive, il prévoit:
"Les États membres ont la faculté de considérer (...) comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, (...) notamment une seule des opérations suivantes:
a) la livraison d' un bâtiment ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant, effectuée avant sa première occupation; les États membres peuvent définir les modalités d' application de ce critère aux transformations d' immeubles, ainsi que la notion de sol y attenant. (...)
Est considérée comme bâtiment toute construction incorporée au sol; (...)".
7 Estimant que la taxation de l' indemnité payée à Lubbock Fine dépendait de l' interprétation à donner à l' article 13, sous-titre B, de la sixième directive, le Value Added Tax Tribunal a décidé de poser à la Cour trois questions préjudicielles ainsi libellées:
"1) La résiliation d' un bail portant sur un immeuble, moyennant une compensation payée par le propriétaire au locataire est-elle une livraison au sens des termes 'l' affermage et la location de biens immeubles' inscrits à l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive?
2) En cas de réponse affirmative à la question 1, un État membre peut-il exclure une telle résiliation de l' exonération, et donc la taxer, en vertu de la formule finale de l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive, à savoir que 'les États membres ont la faculté de prévoir des exclusions supplémentaires au champ d' application de cette exonération' ?
3) En cas de réponse négative à la question 1, la résiliation d' un bail portant sur des bâtiments ou des fractions de bâtiment, moyennant paiement par le propriétaire au locataire, est-elle une livraison au sens des termes 'livraison de bâtiments ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant autres que ceux visés à l' article 4, paragraphe 3, sous b)' inscrits à l' article 13, sous-titre B, sous g), de la sixième directive?"
Sur la notion de "location de biens immeubles"
8 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait pour un locataire, qui renonce à son bail, de remettre, moyennant indemnité, le bien immobilier à la disposition de celui dont il tient ses droits, entre dans la notion de "location de biens immeubles" utilisée, par l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive, pour décrire une opération exonérée.
9 A cet égard, dès lors qu' une opération déterminée, telle que la location d' un bien immeuble, qui serait taxée sur la base des loyers versés, entre dans le champ d' une exonération prévue par la sixième directive, une modification portant sur ce contrat, telle qu' une résiliation conventionnelle moyennant indemnité, doit être considérée comme entrant également dans le champ de cette exonération.
10 Il y a lieu, en conséquence, de répondre à la juridiction nationale que le fait pour un locataire, qui renonce à son bail, de remettre le bien immobilier à la disposition de celui dont il tient ses droits, entre dans la notion de "location de biens immeubles" utilisée, par l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive, pour décrire une opération exonérée.
Sur la faculté de taxer certaines opérations en principe exonérées
11 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l' article 13, sous-titre B, sous b), qui permet aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires du champ de l' exonération établie pour la location de biens immeubles, les habilite à taxer l' indemnité, versée, par l' une des parties à l' autre, à l' occasion de la résiliation conventionnelle d' un bail, alors que les loyers versés en exécution de ce bail ont été exonérés de la TVA.
12 A cet égard, il convient de relever que l' article 13, sous-titre B, permet aux États membres d' exclure du champ de l' exonération, et donc de soumettre à la taxe, certains types de location. En revanche, il ne saurait être considéré comme permettant de soumettre à la TVA une opération mettant fin à un contrat, dès lors que la conclusion de ce contrat est, elle, obligatoirement exonérée. Le régime d' un même bail ne saurait, en effet, faire l' objet d' un fractionnement.
13 Il y a dès lors lieu de répondre à la deuxième question que l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive, qui permet aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires du champ de l' exonération établie pour la location de bien immeubles, ne les habilite pas à taxer l' indemnité, versée, par l' une des parties à l' autre, à l' occasion de la résiliation conventionnelle, alors que les loyers versés en exécution du bail ont été exonérés de la TVA.
Sur la notion de "livraisons de bâtiment ou d' une fraction de bâtiment et du sol y attenant"
14 La juridiction de renvoi n' ayant posé sa troisième question que pour le cas où l' indemnité versée par l' une des parties à l' autre à la suite de la résiliation conventionnelle anticipée d' un bail ne pourrait bénéficier de l' exonération prévue en faveur de la "location de biens immeubles", il n' y a pas lieu de répondre à cette question.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
15 Les frais exposés par les gouvernements allemand, hellénique et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Value Added Tax Tribunal, London Tribunal Centre, par ordonnances des 30 juillet 1991 et 26 février 1992, dit pour droit:
1) Le fait pour un locataire, qui renonce à son bail, de remettre le bien immobilier à la disposition de celui dont il tient ses droits, entre dans la notion de "location de biens immeubles" utilisée, par l' article 13, sous-titre B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, pour décrire une
opération exonérée.
2) L' article 13, sous-titre B, sous b), de la directive 77/388, qui permet aux États membres de prévoir des exclusions supplémentaires du champ de l' exonération établie pour la location de bien immeubles, ne les habilite pas à taxer l' indemnité, versée, par l' une des parties à l' autre, à l' occasion de la résiliation conventionnelle, alors que les loyers versés en exécution du bail ont été exonérés de la TVA.