Avis juridique important
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62001C0226
Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 17 octobre 2002. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. - Manquement d'État - Qualité des eaux de baignade - Application inadéquate de la directive 76/160/CEE. - Affaire C-226/01.
Recueil de jurisprudence 2003 page I-01219
Conclusions de l'avocat général
1. La Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade soit rendue conforme aux valeurs limites fixées par la directive 76/160/CEE du Conseil, du 8 décembre 1975, concernant la qualité des eaux de baignade (ci-après la «directive»), et en ne respectant pas la fréquence minimale d'échantillonnage requise par cette directive, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en
vertu de celle-ci.
2. Le royaume de Danemark demande à la Cour de rejeter le recours en manquement. Il invoque notamment le principe de minimis, l'impossibilité absolue d'empêcher les dépassements fortuits des valeurs limites causés par les animaux et la nécessité d'apprécier la qualité des eaux sur une période de plusieurs années.
Le cadre juridique
3. La directive définit, en son article 1er, paragraphe 2, sous a), les eaux de baignade comme:
«les eaux ou parties de celles-ci, douces, courantes ou stagnantes, ainsi que l'eau de mer, dans lesquelles la baignade:
- est expressément autorisée par les autorités compétentes de chaque État membre
ou
- n'est pas interdite et habituellement pratiquée par un nombre important de baigneurs.»
4. Selon l'article 3, paragraphe 1, de la directive, les États membres fixent, pour toutes les zones de baignade ou pour chacune d'elles, les valeurs applicables aux eaux de baignade en ce qui concerne les paramètres indiqués à l'annexe.
5. Selon l'article 3, paragraphe 2, ces valeurs ne peuvent pas être moins sévères que celles indiquées dans la colonne I de l'annexe. Conformément à l'article 3, paragraphe 3, les États membres s'efforcent de respecter, en tant que guides, les valeurs apparaissant dans la colonne G de l'annexe.
6. L'article 4, paragraphe 1, de la directive impose aux États membres l'obligation de prendre les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade soit rendue conforme aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 dans un délai de dix ans après la notification de la directive.
7. L'article 5, paragraphe 1, de la directive dispose que, pour l'application de l'article 4, les eaux de baignade sont réputées conformes aux paramètres qui s'y rapportent si des échantillons de ces eaux, prélevés selon la fréquence prévue à l'annexe en un même lieu de prélèvement, montrent qu'elles sont conformes aux valeurs des paramètres concernant la qualité de l'eau en question pour 95 %, 90 % ou 80 % des échantillons dans les cas indiqués dans la disposition, et si les 5 %, 10 % ou 20 % des
échantillons qui ne sont pas conformes aux valeurs des paramètres satisfont à certaines conditions énoncées à l'article 5, paragraphe 1, troisième et quatrième tirets.
8. Il ressort, par ailleurs, de l'article 5, paragraphe 2, que les dépassements des valeurs des paramètres ne sont pas pris en considération dans le décompte des pourcentages susmentionnés lorsqu'ils sont la conséquence d'inondations, de catastrophes naturelles ou de conditions météorologiques exceptionnelles.
9. L'article 6, paragraphe 1, de la directive, en liaison avec l'annexe, oblige les autorités compétentes des États membres à effectuer au minimum deux échantillonnages par mois afin de vérifier la présence de huit types de substances. Pour treize autres substances, le respect des paramètres ne doit être vérifié que lorsqu'une enquête effectuée dans la zone de baignade en révèle la présence possible ou qu'elle laisse supposer une détérioration de la qualité des eaux.
10. L'article 8 de la directive contient la base juridique d'éventuelles dérogations à la directive à savoir:
11. pour certains paramètres marqués (0) dans l'annexe en raison de circonstances météorologiques ou géographiques exceptionnelles; et
12. lorsque les eaux de baignade subissent un enrichissement naturel en certaines substances qui provoque un dépassement des limites fixées à l'annexe.
13. Selon l'article 8, troisième alinéa, ces dérogations ne peuvent en aucun cas faire abstraction des impératifs de la protection de la santé publique. Lorsqu'un État membre a recours à une dérogation, il doit en informer immédiatement la Commission, en précisant les motifs et les délais.
14. L'article 13 de la directive, modifié par l'article 3 de la directive 91/692/CEE du Conseil, du 23 décembre 1991, visant à la standardisation et à la rationalisation des rapports relatifs à la mise en oeuvre de certaines directives concernant l'environnement , prévoit que tous les ans les États membres communiquent à la Commission un rapport sur la mise en oeuvre de la directive pour cette année.
15. La directive a été notifiée aux États membres le 10 décembre 1975.
Quant au premier grief de la Commission, concernant la qualité des eaux de baignade
16. La Commission reproche au royaume de Danemark une infraction à l'article 4, paragraphe 1, de la directive, motif pris de la non-conformité de la qualité des eaux de baignade aux valeurs limites fixées en vertu de l'article 3 de la directive.
17. Elle expose, à cet égard, que la qualité desdites eaux n'était pas conforme aux exigences de la directive pendant chacune des années 1995 à 2000. La Commission limite, cependant, son recours aux années 1995 à 1998.
18. Dans ce contexte, le gouvernement danois fait valoir que, dans son avis motivé, la Commission n'a pas spécifié de quelle manière il aurait pu donner suite à celui-ci, qui concernait uniquement une période révolue. On ne verrait pas clairement si la Commission entend, à travers son interprétation de la directive, imposer aux autorités danoises la fermeture des lieux de baignade, la fermeture des stations balnéaires et l'édiction d'interdictions de baignade.
19. La Commission rappelle, toutefois, que, en 1999 et en 2000, la qualité des eaux de baignade n'était toujours pas conforme aux valeurs limites de la directive, ce qui prouverait l'insuffisance des mesures mises en oeuvre par le royaume de Danemark. Au moment de l'émission de l'avis motivé, la défenderesse devait donc prendre des mesures supplémentaires afin de respecter à l'avenir les dispositions de la directive.
20. À cet égard, c'est à juste titre que la Commission souligne que la présente affaire ne se distingue pas, en ce qui concerne les circonstances factuelles et la procédure suivie par elle, de la jurisprudence antérieure de la Cour relative à la mise en oeuvre de la même directive .
21. Le tableau suivant, fourni par la requérante, récapitule le taux de conformité pour les années 1995 à 2000.
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22. Il importe de souligner d'emblée que, comme l'expose la Commission dans son recours, les taux de conformité repris dans ce tableau correspondent au pourcentage de l'ensemble des lieux de baignade de l'État membre où l'on a constaté, dans le respect de la fréquence minimale d'échantillonnage, que les valeurs limites impératives et guides de la directive sont respectées.
23. Ceci est le cas, en vertu de l'article 5 de celle-ci, lorsqu'un certain pourcentage des échantillons prélevés, allant, suivant le cas, de 80 % à 95 %, est conforme aux valeurs requises par la directive.
24. En d'autres termes, et contrairement à ce que laisse entendre la partie défenderesse, la Commission n'exige pas que 100 % des échantillons soient conformes auxdites valeurs, ce qui serait indubitablement contraire aux termes clairs de l'article 5. En revanche, il découle du petitum de la Commission que 100 % des zones de baignade doivent être conformes, au sens de l'article 5, aux valeurs découlant de la directive.
25. Ce chiffre n'étant pas atteint au Danemark, que ce soit pour l'eau de mer ou les eaux douces, l'infraction est constituée d'après la Commission.
26. La défenderesse conteste les chiffres avancés par celle-ci et produit son propre tableau qui fait apparaître des taux de conformité plus élevés que ceux allégués par la Commission.
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27. La défenderesse estime, en effet, qu'il y a lieu de corriger les chiffres avancés par la Commission pour tenir compte de la triple incidence des dépassements qu'elle qualifie de fortuits, des erreurs de transmission des données et des interdictions de baignade instaurées en cours de saison.
28. Force est, toutefois, de constater que, même en se référant aux chiffres fournis par la défenderesse, le manquement demeure constitué. En effet, il découle clairement du tableau ci-dessus qu'une certaine proportion des eaux de baignade danoises ne sont pas conformes aux exigences de la directive.
Est-il possible d'appliquer le principe de minimis?
29. Le gouvernement danois objecte, cependant, que le problème est extrêmement limité, car, sur un total de 1 300 stations balnéaires, on n'a enregistré de résultats non conformes aux normes que dans 130 stations pendant la période allant de 1995 à 1998, étant entendu que seules 8 stations ont connu plusieurs dépassements pendant cette période, à savoir 6 stations durant deux ans et 2 stations durant trois ans.
30. La défenderesse ajoute que, en exigeant le respect des normes dans la totalité des zones de baignade, la Commission rendrait impossible en pratique le respect de la directive et imposerait aux États membres de recourir à des interdictions de baignade dans des situations dans lesquelles ni les exigences de la santé publique ni celles de la protection de l'environnement ne le justifieraient.
31. Il y aurait lieu de tenir compte du fait que la directive aurait également pour objectif de préserver la «qualité quantitative des eaux de baignade». Or, celle-ci serait compromise si la directive était interprétée de façon à contraindre les États membres à diminuer sensiblement la quantité des eaux de baignade accessibles à la population par le biais de mesures d'interdiction dénuées de justification.
32. Il conviendrait donc d'interpréter la directive à la lumière du principe de minimis. La défenderesse ne conteste aucunement qu'il n'existe pas un principe général de minimis dans le domaine du droit dérivé et ne demande pas à la Cour de proclamer un tel principe général. Elle estime, en revanche, que, dans le cas concret d'une directive dont la mise en oeuvre serait impossible faute d'admettre une règle de minimis, il y aurait lieu de donner application à ce principe.
33. Le gouvernement danois reconnaît, à ce propos, que, d'après l'article 5, paragraphe 1, de la directive, il suffit que, dans une zone de baignade donnée, 95 % des échantillons soient conformes aux paramètres. Toutefois, si la période durant laquelle des échantillons sont prélevés est, comme au Danemark, de cinq mois et que l'État membre prélève deux échantillons par mois, c'est-à-dire dix échantillons au total, comme prescrit par la directive, il suffit qu'un seul échantillon ne soit pas conforme
aux normes pour que la station doive être considérée comme polluée. Dans ce cas, le taux de conformité tombera, en effet, à 90 % au lieu de 95 % permis par l'article 5.
34. S'il n'était pas possible d'appliquer une règle de minimis, l'approche de la Commission reviendrait, en réalité, à exiger pour chaque zone de baignade une conformité de 100 % et donc à priver d'effet utile l'article 5, paragraphe 1, de la directive.
35. Que faut-il penser de cette thèse?
36. Il n'y a pas de doute que le raisonnement du gouvernement danois est exact. Mais, comme l'a souligné la Cour au point 36 de son arrêt Commission/Allemagne, précité, la directive ne fixe qu'une fréquence minimale pour le prélèvement d'échantillons et ne fait donc nullement obstacle à ce que les États membres augmentent le nombre d'échantillons, en diminuant ainsi la proportion que représentent les échantillons qui ne remplissent pas les conditions fixées. Ainsi, si 20 échantillons sont prélevés,
l'État membre peut «se permettre» un échantillon non conforme (5 % de 20 = 1). Si 30 échantillons sont prélevés, le pourcentage de 5 % équivaut à 1,5 échantillon. Ceci signifie que, même dans ce cas, un échantillon non conforme seulement est toléré. Comme il n'est guère concevable qu'un État membre puisse prélever plus que 30 échantillons dans la même zone de baignade, il résulte donc, en pratique, de la directive que, après avoir constaté que 2 échantillons ne sont pas conformes aux normes, l'État
membre n'a plus besoin de continuer les prélèvements: il ne lui reste qu'à interdire la baignade dans la zone en question.
37. La réglementation est donc très rigoureuse, même s'il importe de ne pas perdre de vue que, pour certaines substances telles que les coliformes fécaux, la marge fixée par l'article 5 est de 20 % et qu'elle permet donc 4 échantillons non conformes sur 20 prélèvements.
38. En tout état de cause, il ressort incontestablement de la jurisprudence, et notamment de l'arrêt Commission/Allemagne, précité, que les obligations découlant de la directive sont bien celles que nous venons de décrire. En particulier, il apparaît de façon claire que la Cour n'a pas entendu laisser place à l'application, dans le cadre de l'interprétation de la directive, d'un quelconque principe de minimis.
39. Force est donc de constater que le manquement relatif à la qualité des eaux de baignade allégué par la Commission est constitué, puisque la défenderesse ne conteste pas que, durant les années 1995 à 1998, lesdites eaux n'atteignaient pas, dans un certain nombre de zones, les normes prévues par la directive, comme l'attestent ses propres chiffres.
40. C'est, par conséquent, uniquement à des fins d'exhaustivité que nous examinerons le reste de l'argumentation des parties.
Faut-il évaluer l'état des eaux chaque année?
41. En premier lieu, la défenderesse conteste la façon de procéder de la Commission au motif qu'il y aurait lieu d'évaluer la propreté des eaux de baignade sur plusieurs années et non pas en fonction de chiffres valant pour une année à la fois. Une telle méthode de calcul contribuerait à donner une image statistique déformée de la qualité des eaux de baignade au Danemark et ne trouverait aucun appui dans la directive.
42. La Commission fait valoir, à cet égard, qu'il ressort explicitement de l'article 13 de la directive qu'il convient de vérifier, pour chaque année civile, si les exigences de la directive sont respectées. De plus, et en tout état de cause, la qualité des eaux de baignade ne serait toujours pas conforme à la directive en 1999 et en 2000, ce qui prouverait l'insuffisance des mesures prises par les autorités danoises. Enfin, la Commission ajoute qu'elle n'introduit de recours en manquement que
lorsque les insuffisances constatées perdurent pendant plusieurs années.
43. Il est incontestable que le fait que la directive impose aux États membres d'adresser annuellement à la Commission un rapport relatif à la mise en oeuvre de la directive pour l'année en cause est de nature à prouver que c'est tous les ans qu'il faut apprécier la situation des eaux de baignade. Cette conclusion est, d'ailleurs, confirmée par l'objectif de la directive. En effet, la protection de la santé publique est en cause en l'espèce et une telle considération ne saurait s'accommoder de longs
délais durant lesquels les autorités des États seraient en droit d'attendre avant d'agir. En particulier, on ne saurait accepter que plusieurs saisons balnéaires ne puissent s'écouler avant qu'un État membre, finalement convaincu de la non-conformité d'une zone de baignade avec la directive, ne prenne les mesures qui s'imposent.
44. L'examen de la jurisprudence mène, d'ailleurs, à la même conclusion, puisque, au point 34 de l'arrêt Commission/Allemagne, précité, la Cour a explicitement énoncé qu'un dépassement des normes pour une seule saison suffit à constituer un manquement à la directive.
Est-il possible de faire abstraction des dépassements fortuits?
45. Le royaume de Danemark conteste, en deuxième lieu, les chiffres de la Commission au motif qu'ils prendraient également en compte les dépassements fortuits.
46. À cet égard, la défenderesse fait valoir que, à l'exception de neuf cas, tous les dépassements des seuils fixés par la directive retenus par la Commission seraient dus à des causes naturelles imprévisibles. Il met, en particulier, l'accent sur les déjections d'oiseaux: celles-ci pourraient être concentrées dans quelques litres d'eau de baignade prélevés dans une zone donnée et se produiraient de façon soudaine et imprévisible. Il conviendrait de souligner, en particulier, que ces phénomènes ne
surviendraient pas régulièrement dans les mêmes zones mais se répartiraient au contraire de façon différente tous les ans.
47. Le royaume de Danemark ne conteste pas l'affirmation de la Commission selon laquelle il convient de faire preuve de prudence en procédant à la désignation des zones de baignade dans des régions où la faune est abondante. Il soutient, cependant, que même une telle approche prudente n'aurait pas nécessairement pour effet d'abaisser le nombre des dépassements fortuits.
48. Il estime, en conséquence, que la Commission aurait dû tenir compte de la cause des dépassements et exclure de son tableau les dépassements fortuits, provoqués par les oiseaux et autres animaux, qui ne révéleraient pas une dégradation générale des eaux de baignade et contre lesquels aucune parade ne serait possible.
49. La Commission rappelle la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la directive impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les eaux de baignade soient rendues conformes aux valeurs limites qui y sont fixées et ne leur permet pas de se contenter de prendre toutes les mesures raisonnablement possibles.
50. À cet égard, le royaume de Danemark ne conteste pas avoir une obligation de résultat mais soutient que celle-ci ne serait pas absolue. En effet, il serait en droit d'invoquer l'impossibilité absolue de respecter les dispositions de la directive.
51. La Commission fait, cependant, valoir que la directive ne contient pas de fondement permettant d'opérer des corrections en fonction de dépassements fortuits, tels que définis par le gouvernement danois, pour ne pas comptabiliser les dépassements imputables à des oiseaux ou à d'autres animaux.
52. Selon elle, une pollution imputable à des oiseaux et à la faune dans son ensemble peut difficilement être considérée comme un événement fortuit et doit donc être prise en compte dans les prévisions. À cet égard, la Commission rappelle à nouveau qu'il est loisible aux États membres d'augmenter le nombre des prélèvements, en vue de diminuer la proportion que représentent les échantillons non conformes en raison de circonstances fortuites.
53. Je partage cette analyse.
54. Force est, en effet, de constater, tout d'abord, que la directive prévoit un certain nombre d'hypothèses dans lesquelles il est possible de ne pas tenir compte d'échantillons révélant des dépassements.
55. Ainsi, en vertu de son article 8, cité ci-dessus, des dérogations sont prévues en cas de circonstances météorologiques ou géographiques exceptionnelles, ou lorsque les eaux de baignade subissent un enrichissement naturel en certaines substances reçues du sol qui provoque un dépassement des limites fixées à l'annexe. En outre, en vertu de l'article 5, paragraphe 2, les dépassements dus à des inondations, des catastrophes naturelles ou des conditions météorologiques exceptionnelles ne sont pas
pris en considération.
56. Il ne paraît, cependant, guère possible d'alléguer que ces dispositions seraient applicables aux déjections animales et la défenderesse ne s'en réclame, d'ailleurs, pas.
57. Il y a lieu de rappeler ensuite que la directive prévoit également la possibilité de dépassement dans le cours normal des choses, c'est-à-dire sans faire référence à de quelconques circonstances exceptionnelles. En vertu de son article 5, paragraphe 1, les échantillons sont, en effet, réputés conformes aux exigences de la directive lorsqu'une certaine proportion de ceux-ci, allant de 95 % à, pour les coliformes fécaux, 80 %, atteint les valeurs fixées dans l'annexe de la directive.
58. Il apparaît donc que le législateur communautaire a tenu compte de la nécessité de prévoir une certaine marge pour des dépassements qu'il a considérés comme non représentatifs d'une dégradation structurelle de la qualité de l'eau.
59. L'argumentation de la défenderesse soulève, cependant, la question de savoir s'il convient d'intégrer dans l'interprétation ou l'application de la directive une marge supplémentaire permettant de tenir compte de l'incidence des déjections animales.
60. Rappelons, dans ce contexte, que la Cour a jugé, à diverses reprises , que la directive ne permet pas aux États membres d'invoquer, en dehors des dérogations qu'elle prévoit, des circonstances particulières pour justifier le non-respect de l'obligation de rendre les eaux de baignade conformes aux exigences de la directive.
61. Il convient de souligner, en outre, que les déjections litigieuses ne sauraient être qualifiées de circonstances exceptionnelles et relèvent plutôt, serait-on tenté d'écrire, du cours naturel des choses. On ne voit donc guère, a priori, pourquoi les échantillons rendus non représentatifs de ce fait ne devraient pas entrer dans la marge découlant de l'article 5, paragraphe 1, de la directive. On ne discerne, en effet, aucune raison de les traiter différemment de toutes les autres sources
potentielles de résultats faussés.
62. Il y a lieu de répéter, dans ce contexte, que l'évènement en cause ne présente aucun caractère extraordinaire. Il s'ensuit, en premier lieu, qu'il n'apparaît guère concevable que le Conseil, en adoptant la directive, et, en particulier, son article 5, n'ait pas été conscient des implications possibles de ce phénomène.
63. Il en découle, en second lieu, que le phénomène en question ne saurait être qualifié de cas de force majeure, circonstance qui serait de nature, selon la jurisprudence , à justifier le non-respect de ses obligations par un État membre.
64. En effet, le fait que des échantillons d'eau de baignade soient faussés par des déjections animales ne constitue pas un obstacle imprévisible et insurmontable au respect des normes de la directive.
65. La défenderesse observe elle-même que les pollutions d'origine animale sont souvent détectées dans des zones présentant des caractéristiques spécifiques, telles qu'une faible profondeur et une circulation d'eau réduite. Il s'ensuit que les autorités sont en mesure de déterminer les zones à risque pour ce type de pollution et de leur accorder une attention particulière sans devoir recourir à un nombre disproportionné de prélèvements. Le gouvernement danois signale lui-même que, dans de telles
zones, il procède d'office à 20 prélèvements par saison.
66. Il en découle que des mesures peuvent être prises, une fois opéré le prélèvement d'échantillons faussés, pour éviter à l'État membre de se trouver en violation de la directive.
67. La défenderesse formule, toutefois, diverses critiques à l'égard du remède consistant à augmenter partout le nombre de prélèvements ou à l'augmenter au-delà de 20. Elle allègue que cette méthode ne serait pas efficace puisqu'elle présenterait des coûts élevés et sans proportion avec les résultats à en attendre.
68. Selon une jurisprudence constante , de tels arguments ne sont, cependant, pas de nature à justifier le non-respect, par un État membre, des dispositions d'une directive.
69. La défenderesse souligne, en outre, que, même lorsque le nombre des échantillons conformes ne doit s'élever qu'à 90 % ou 80 %, l'augmentation du nombre de prélèvements n'aurait aucun impact sur la qualité de l'eau et que l'amélioration éventuellement constatée ne serait que purement statistique.
70. S'il est incontestable que le simple fait d'augmenter la fréquence des prélèvements n'améliore pas en lui-même la qualité de l'eau, il convient de rappeler, comme nous l'avons vu, que cette augmentation permet de déterminer la permanence ou la fréquence de la pollution et, donc, de mettre plus rapidement les autorités compétentes en mesure de prendre les décisions qui s'imposent, si la pollution s'avère trop fréquente pour être tolérée.
71. Dans cette hypothèse, les autorités nationales devront recourir aux interdictions de baignade pour les zones affectées, dans la mesure où la pollution provoquée exclusivement par les animaux persiste et qu'une action sur la cause de celle-ci n'est donc pas possible.
72. La défenderesse explique, à cet égard, que, dans un certain nombre de cas, c'est exactement ce qu'elle a fait. Elle en déduit que les zones ayant fait l'objet d'une interdiction ne devraient pas figurer parmi celles où les exigences de la directive ne seraient pas remplies.
73. La Commission conteste cette analyse en arguant qu'un État membre ne peut éluder les obligations qui découlent de la directive en interdisant provisoirement la baignade, parce que les eaux de baignade ne sont pas conformes aux exigences de la directive. Si un État membre souhaite qu'une zone de baignade soit soustraite aux obligations découlant de la directive, il devrait s'agir d'une exclusion définitive et permanente.
L'infraction persiste-t-elle en cas d'interdiction de baignade?
74. Il est vrai que la thèse de la Commission semble pouvoir se réclamer de la jurisprudence de la Cour dans la mesure où, au point 33 de l'arrêt Commission/Allemagne, précité, nous pouvons lire que le fait que des zones ont perdu leur statut de zone de baignade ou que des mesures ont été prises pour remédier à l'infraction n'est pas de nature à mettre fin à celle-ci.
75. Toutefois, ainsi que le gouvernement danois l'a fait observer à juste titre, «il est matériellement impossible de réagir avant qu'un dépassement des valeurs limites ne soit enregistré ou que les sources de pollution soient identifiées. Le point décisif doit donc être que les États membres prennent toutes les mesures nécessaires, une fois constaté le dépassement».
76. Il s'ensuit que, lorsque l'État membre a pris les seules mesures qu'il lui était possible de prendre, en l'occurrence une interdiction de baignade, il n'y a pas lieu de constater l'existence d'un manquement.
77. En outre, et surtout, il ressort explicitement de l'article 1er de la directive que celle-ci vise les eaux de baignade, c'est-à-dire celles où la baignade «est expressément autorisée par les autorités compétentes de chaque État membre ou n'est pas interdite et habituellement pratiquée par un nombre important de baigneurs». On ne saurait dire plus clairement que la directive ne s'applique pas aux eaux où la baignade est interdite.
78. Il y a donc lieu de conclure que, lorsqu'un État membre interdit la baignade dans une zone déterminée, même seulement en cours de saison, celle-ci n'est plus à prendre en considération aux fins de l'évaluation de la mise en oeuvre de la directive dans cet État membre .
79. Une telle conclusion est, d'ailleurs, confortée par l'objectif de la directive. Celle-ci vise, en effet, à obtenir des États membres qu'ils prennent les mesures adéquates pour protéger la santé des baigneurs, dès lors que celle-ci peut être considérée comme étant menacée et non pas à les sanctionner même dans des situations où ils ont pris des mesures de protection dès que le caractère dangereux de la situation leur est apparu.
80. De surcroît, nous ne trouvons aucun soutien, que ce soit dans la directive ou dans la jurisprudence, à la thèse de la Commission selon laquelle seule une interdiction définitive serait conforme aux exigences de la directive. Cette dernière n'opère, en effet, aucune distinction entre les interdictions, qu'elles soient définitives ou temporaires. De plus, la perspective d'une possibilité de réouverture est de nature à inciter les autorités compétentes à prendre les mesures nécessaires pour mettre
aux normes la zone concernée. Au contraire, la règle selon laquelle toute interdiction devrait être permanente priverait de tout intérêt pour lesdites autorités la recherche de solutions aux dépassements constatés. La Commission se garde, d'ailleurs, bien d'indiquer dans quelles situations, pertinentes au regard des objectifs de la directive, de telles interdictions drastiques devraient être prononcées.
81. Enfin, l'argument que la Commission cherche à tirer de l'arrêt du 25 mai 2000, Commission/Belgique, précité, n'emporte pas la conviction. En effet, la Cour y expose que le fait que le nombre de baigneurs tombe en dessous d'un certain seuil dans une zone donnée ne permet pas à un État membre de considérer que celle-ci n'entre plus dans le champ d'application de la directive. C'est à tort que la Commission en déduit que le fait que la baignade soit interdite dans une zone ne soustrait pas celle-ci
à l'emprise des dispositions de la directive.
82. En effet, contrairement à la situation de fait que constitue une baisse du nombre de baigneurs, l'interdiction de baignade implique nécessairement que l'objectif de protection de la santé publique, dont la Cour a rappelé l'importance dans cet arrêt, n'est plus en cause puisque, par définition, plus aucun baigneur n'est exposé à un risque.
Quant au second grief de la Commission, concernant la fréquence de l'échantillonnage
83. La Commission souligne que, dans sept zones de baignade, la fréquence minimale d'échantillonnage, telle qu'elle découle de la lecture combinée de l'article 6, paragraphe 1, et de l'annexe de la directive, n'a pas été respectée au cours de la période allant de 1995 à 1998.
84. Le gouvernement danois ne conteste pas cette affirmation mais souligne que le manquement concerne 0,2 % des stations balnéaires danoises. Il ajoute que les prélèvements insuffisamment nombreux n'auraient pas masqué, sur le plan local, une diminution de la qualité de l'eau et les autorités danoises auraient paré à ces défauts en veillant à ce qu'ils ne se reproduisent plus.
85. La défenderesse estime, en conséquence, que l'insuffisance du nombre de prélèvements sur le plan local se situe dans la limite de minimis et qu'il n'y a pas, dès lors, infraction à la directive si l'on considère la finalité attachée à celle-ci.
86. Il convient de rappeler, à cet égard, que la mise en oeuvre de la directive ne s'accommode pas, comme nous l'avons vu, d'un principe de minimis.
87. Il s'ensuit que ce grief de la Commission doit être accueilli.
88. Puisque tel était également, pour l'essentiel, le cas du premier, il convient de constater que la défenderesse a succombé dans la plupart de ses moyens et, donc, de la condamner au paiement des dépens.
Conclusions
89. Pour les raisons qui précèdent, il est proposé à la Cour de:
- constater que, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour que la qualité des eaux de baignade soit partout rendue conforme aux valeurs limites fixées par la directive 76/160/CEE du Conseil, du 8 décembre 1975, concernant la qualité des eaux de baignade, et en ne respectant pas la fréquence minimale d'échantillonnage requise par cette directive, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, de ladite
directive;
- rejeter le recours pour autant qu'il vise des zones de baignade ayant fait l'objet d'une fermeture en cours de saison;
- condamner le royaume de Danemark aux dépens.