Affaire C-166/03
Commission des Communautés européennes
contre
République française
«Manquement d'État – Article 28 CE – Commercialisation d'ouvrages en métaux précieux – Dénominations 'or' et 'alliage d'or'»
Conclusions de l'avocat général M. F. G. Jacobs, présentées le 19 février 2004
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 8 juillet 2004
Sommaire de l'arrêt
Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d'effet équivalent – Réglementation nationale réservant la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes – Inadmissibilité – Justification – Protection des consommateurs – Loyauté des transactions commerciales – Absence
(Art. 28 CE) Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE un État membre qui réserve la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes, alors que ceux titrant 375 ou 585 millièmes, bien que commercialisés dans leurs pays d’origine sous l’appellation «or», portent dans cet État membre la dénomination «alliage d’or», moins attrayante pour les consommateurs.
Une telle réglementation impose une double dénomination redondante pour les ouvrages ayant les deux niveaux de pureté les plus bas, à savoir l’emploi non seulement du titre de l’ouvrage, mais également de l’appellation «alliage d’or», et n’est donc pas proportionnée à l’objectif d’assurer la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs, cet objectif pouvant être atteint par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.
(cf. points 13-14, 19-21 et disp.)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
8 juillet 2004(1)
«Manquement d'État – Article 28 CE – Commercialisation d'ouvrages en métaux précieux – Dénominations ‘ or’ et ‘ alliage d'or’ »
Dans l'affaire C-166/03,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par MM. G. de Bergues et F. Million, en qualité d'agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet de faire constater que, en réservant la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes, alors que ceux titrant 375 ou 585 millièmes portent la dénomination «alliage d'or», la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE,
LA COUR (deuxième chambre),,
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-P. Puissochet, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), R. Schintgen et M^me N. Colneric, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: M. R. Grass,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 19 février 2004,
rend le présent
Arrêt
1
Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 avril 2003, la Commission des Communautés européennes a introduit, conformément à l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en réservant la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes, alors que ceux titrant 375 ou 585 millièmes portent la dénomination «alliage d’or», la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.
Le cadre juridique
2
L’article 522 bis du code général des impôts, tel que modifié par la loi n° 94-6, du 4 janvier 1994, portant aménagement de la législation relative à la garantie des métaux précieux et aux pouvoirs de contrôle des agents des douanes sur la situation administrative de certaines personnes (JORF du 5 janvier 1994, p. 245, ci-après le «CGI»), dispose:
«Seuls les ouvrages d’or dont le titre est supérieur ou égal à 750 millièmes peuvent bénéficier de l’appellation ‘or’ lors de leur commercialisation au stade du détail auprès des particuliers.
Les ouvrages contenant de l’or aux titres de 585 ou 375 millièmes bénéficient de l’appellation ‘alliage d’or’, assortie de leur titre, lors de leur commercialisation au stade du détail auprès des particuliers.»
La procédure précontentieuse
3
Considérant que cette disposition n’était pas conforme à l’article 28 CE, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE. Après avoir mis la République française en demeure de présenter ses observations, la Commission a, le 19 septembre 2001, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
4
La République française, par lettre du 4 février 2002, a affirmé que l’article 522 bis du CGI répondait à une exigence de protection des consommateurs et de loyauté des transactions commerciales et a invité la Commission à réexaminer son appréciation. La Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
5
La Commission fait valoir que l’article 522 bis du CGI interdit de commercialiser en France sous l’appellation «or» les ouvrages contenant de l’or aux titres de 585 ou de 375 millièmes, alors que ceux-ci peuvent bénéficier de cette appellation dans l’État membre dont ils proviennent, et impose à ces ouvrages une autre appellation, à savoir «alliage d’or», moins connue du consommateur et moins appréciée par celui-ci. Cette disposition pourrait rendre la commercialisation en France desdits
ouvrages plus difficile et dès lors entraver, au moins indirectement, le commerce entre les États membres. Par conséquent, les règles de dénomination litigieuses, si elles ne pouvaient être justifiées par un but d’intérêt général, constitueraient des mesures d’effet équivalent, interdites par l’article 28 CE.
6
La Commission estime que lesdites règles de dénomination ne sont pas nécessaires pour assurer la protection des consommateurs et la loyauté des transactions commerciales, et qu’elles ne sont pas justifiées au regard de l’article 28 CE. En effet, il suffirait aux États membres de prescrire un étiquetage adéquat assurant une information correcte sur la teneur réelle en or des différents ouvrages offerts à la vente.
7
Le gouvernement français conteste l’hypothèse que l’existence de deux catégories d’ouvrages a une incidence sensible sur les échanges intracommunautaires. En ne démontrant pas l’existence d’un effet sur les échanges intracommunautaires, la Commission n’aurait pas satisfait à la charge de la preuve qui pèse sur elle dans le cadre d’un recours en manquement.
8
Pour le gouvernement français, l’existence de deux appellations, «or» et «alliage d’or», correspondant à des types d’ouvrages dont la teneur en or est substantiellement différente, répond à la préoccupation d’informer le consommateur, afin d’assurer sa protection. Il s’agirait là d’un but d’intérêt général susceptible de justifier une mesure relative à la dénomination des ouvrages au regard des exigences de l’article 28 CE.
9
Par ailleurs, le système de double dénomination assurerait une meilleure information des consommateurs que celui suggéré par la Commission, à savoir l’étiquetage indiquant seulement la teneur en or des ouvrages. Ce dernier système délivrerait une information technique brute aux consommateurs alors que la double dénomination irait au-delà en leur donnant déjà une interprétation facilement compréhensible quant à la qualité des produits en cause.
10
Dans ces conditions, le gouvernement français considère que le système d’appellation résultant de l’article 522 bis du CGI n’est pas contraire à l’article 28 CE.
Appréciation de la Cour
11
Selon une jurisprudence constante, toute mesure susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives et, à ce titre, interdite par l’article 28 CE (voir arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5, et du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C-322/01, non encore publié au Recueil, point 66).
12
La Commission affirme, sans être contredite par le gouvernement français, que des ouvrages contenant de l’or aux titres de 375 ou de 585 millièmes sont légalement commercialisés sous l’appellation «or» dans d’autres États membres que la France.
13
Il est constant que l’appellation «alliage d’or» est moins attrayante pour les consommateurs que l’appellation «or».
14
L’obligation de vendre de tels ouvrages sous la dénomination «alliage d’or», imposée par l’article 522 bis du CGI, alors que, dans leurs pays d’origine, ils sont commercialisés sous l’appellation «or», est, dans de telles conditions, susceptible d’entraver le commerce intracommunautaire.
15
Il s’ensuit que cette disposition du CGI est à considérer comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation au sens de l’article 28 CE, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve qu’elle a produit un effet sensible sur les échanges intracommunautaires.
16
Quant à la question de savoir si une telle disposition peut néanmoins être justifiée au regard du droit communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation nationale, adoptée en l’absence de règles communes ou harmonisées et indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés d’autres États membres, peut être compatible avec le traité dans la mesure où elle est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant,
notamment, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs, où elle est proportionnée à l’objectif ainsi poursuivi et où cet objectif n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir arrêt du 5 décembre 2000, Guimont, C-448/98, Rec. p. I-10663, point 27).
17
Il est constant que les titres à utiliser pour indiquer la proportion de métal précieux contenue dans les ouvrages ainsi que la manière d’indiquer ceux-ci ne font pas, en l’état actuel du droit communautaire, l’objet d’une harmonisation. Il est également constant que l’article 522 bis du CGI est indistinctement applicable aux produits français et aux produits importés d’autres États membres.
18
Par ailleurs, il convient d’admettre que la disposition du CGI en cause vise à assurer la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs.
19
La réglementation litigieuse impose cependant, pour les ouvrages ayant les deux niveaux de pureté les plus bas, commercialisés au stade du détail pour les particuliers, une double dénomination redondante dès lors qu’elle impose l’emploi non seulement du titre de l’ouvrage, lequel apporte une information objective sur son degré de pureté, mais également de l’appellation «alliage d’or» qui constitue une information beaucoup moins précise sur le même aspect.
20
Il en découle que le système de double dénomination prévu à l’article 522 bis du CGI n’est pas proportionné à l’objectif d’assurer la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs, et que cet objectif peut être atteint par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires.
21
Dès lors, il y a lieu de constater que, en réservant la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes, alors que ceux titrant 375 ou 585 millièmes portent la dénomination «alliage d’or», la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.
Sur les dépens
22
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre)
déclare et arrête:
1)
En réservant la dénomination «or» aux ouvrages titrant 750 millièmes, alors que ceux titrant 375 ou 585 millièmes portent la dénomination «alliage d’or», la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.
2)
La République française est condamnée aux dépens.
Timmermans Puissochet Cunha Rodrigues
Schintgen Colneric
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2004.
Le greffier Le président de la deuxième chambre
R. Grass C. W. A. Timmermans
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1 –
Langue de procédure: le français.