ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre) 27 septembre 2006
Affaire T-259/04
Anne Koistinen
contre
Commission des Communautés européennes
« Fonctionnaires – Rémunération – Indemnité de dépaysement – Article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut – Notion de résidence habituelle »
Texte complet en langue française II-A-2 - 0000
Objet : Recours ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 18 juillet 2003 refusant à la requérante le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes.
Décision : La décision de la Commission du 18 juillet 2003 refusant à la requérante le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes est annulée. La Commission supportera l’ensemble des dépens.
Sommaire
Fonctionnaires – Rémunération – Indemnité de dépaysement – Objet – Conditions d’octroi
[Statut des fonctionnaires, annexe VII, art. 4, § 1, sous a)]
La raison d’être de l’indemnité de dépaysement, prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut, est de compenser les charges et les désavantages particuliers résultant de l’exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n’a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions. La notion de dépaysement dépend de la situation subjective du fonctionnaire, à savoir son degré d’intégration dans son nouveau milieu résultant, par exemple, de sa
résidence habituelle ou de l’exercice antérieur d’une activité professionnelle principale.
L’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut doit être interprété comme retenant en tant que critère primordial, quant à l’octroi de l’indemnité de dépaysement, la résidence habituelle du fonctionnaire antérieurement à son entrée en fonctions. La résidence habituelle est le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts, étant entendu que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle, il importe de
tenir compte de tous les éléments de fait constitutifs de celle‑ci.
Le seul fait d’avoir résidé dans le pays d’affectation pendant une période de temps limitée à l’exécution d’un contrat de travail à durée déterminée ne permet pas de présumer l’existence d’une volonté de déplacer dans ce pays le centre permanent ou habituel de ses intérêts, la possibilité de l’existence de deux résidences, la première à titre de résidence habituelle, dans le pays d’origine, et la seconde au titre de l’activité professionnelle principale, ne pouvant être exclue d’emblée.
(voir points 32 à 34 et 38)
Référence à : Cour 2 mai 1985, De Angelis/Commission, 246/83, Rec. p. 1253, point 13 ; Cour 15 septembre 1994, Fernández/Commission, C‑452/93 P, Rec. p. I‑4295, points 20 à 22 ; Tribunal 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T‑4/92, Rec. p. II‑357, point 39 ; Tribunal 28 septembre 1999, J/Commission, T‑28/98, RecFP p. I‑A‑185 et II‑973, point 32 ; Tribunal 13 décembre 2004, E/Commission, T‑251/02, RecFP p. I‑A‑359 et II‑1643, points 53, 54 et 73 ; Tribunal 25 octobre 2005, Dedeu i
Fontcuberta/Commission, T‑299/02, RecFP p. I‑A‑303 et II‑1377, points 61 et 66
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
27 septembre 2006 (*)
« Fonctionnaires – Rémunération – Indemnité de dépaysement – Article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut – Notion de résidence habituelle »
Dans l’affaire T‑259/04,
Anne Koistinen, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par M^es S. Orlandi, X. Martin Membiela, A. Coolen, J.-N. Louis et É. Marchal, avocats,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall et M^me L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 18 juillet 2003 refusant à la requérante le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
composé de MM. R. García-Valdecasas, président, J. D. Cooke et M^me V. Trstenjak, juges,
greffier : M. I. Natsinas, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1^er février 2006,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 L’article 69 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), dans sa rédaction applicable à la présente espèce, dispose que l’indemnité de dépaysement est égale à 16 % du total du traitement de base et de l’allocation de foyer ainsi que de l’allocation pour enfant à charge auxquelles le fonctionnaire a droit.
2 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut :
« L’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire est accordée :
a) au fonctionnaire :
– qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation
et
– qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. Pour l’application de cette disposition, les situations résultant de services effectués pour un autre État ou une organisation internationale ne sont pas à prendre en considération ;
[…] »
Faits à l’origine du litige
3 Entre le 25 mars 1992 et le 14 janvier 1996, la requérante, de nationalité finlandaise, a exercé son activité professionnelle en Finlande, d’abord pour les International Training Services (services de formation internationale) de la direction de l’éducation finlandaise et ensuite pour Forestry Training Programme International Ltd (ci-après « FTP »), société qui a repris toutes les fonctions et responsabilités des International Training Services. La requérante était liée à FTP par un contrat
à durée indéterminée, signé le 24 janvier 1995.
4 La requérante a ensuite travaillé à Bruxelles, du 15 janvier 1996 jusqu’à la fin de juillet 1998, au bureau de FTP dans cette ville, en tant qu’« assistant junior » pour le programme « Junior EU-ASEAN-Managers Exchange », cofinancé par la Commission, en vertu d’un contrat à durée déterminée, signé le 13 février 1996.
5 À la suite de la décision de la Commission de réduire progressivement le personnel chargé de la mise en oeuvre du programme précité, FTP a décidé d’anticiper la fin du détachement de la requérante à Bruxelles. À une date antérieure au 22 avril 1998, FTP a proposé à la requérante de réintégrer son bureau à Helsinki, ce que celle-ci a accepté.
6 Par lettre du 22 avril 1998, la requérante a notifié à son bailleur la résiliation du bail de son appartement situé avenue de la Brabançonne, à Bruxelles, à partir du 31 juillet 1998, conformément à la « clause de rupture pour raison professionnelle » du contrat. La requérante a indiqué que, pour des raisons professionnelles, elle devait quitter la Belgique le 1^er août 1998. Entre le 20 et le 22 juillet 1998, la requérante a effectué le déménagement de ses meubles dudit appartement de
Bruxelles vers Helsinki. Du 1^er août au 6 septembre 1998, la requérante a résidé en Finlande. Du 17 août au 2 septembre 1998, elle a continué à travailler pour FTP.
7 À partir du 7 septembre 1998, la requérante a travaillé à Bruxelles au service de la Finnish Foreign Trade Association (association finlandaise pour le commerce extérieur, ci-après la « Finpro »), en vertu d’un contrat à durée déterminée daté du 10 septembre 1998. Selon l’attestation du conseiller financier de la représentation permanente de la Finlande auprès de l’Union européenne, les services de la Finpro à Bruxelles constituent une unité de la représentation permanente de la Finlande
auprès de l’Union européenne à Bruxelles (« a unit of the Permanent Representation of Finland to the European Union in Brussels »). La requérante a exercé son activité professionnelle pour la Finpro à Bruxelles jusqu’au 15 janvier 2002.
8 Le 7 octobre 1998, la requérante a signé un nouveau contrat de bail à Bruxelles, relatif, cette fois, à un immeuble situé boulevard Brand Whitlock et prenant effet le 1^er novembre 1998. Elle s’est aussi abonnée aux services téléphoniques de l’entreprise belge de téléphonie, Belgacom, à partir du 26 octobre 1998.
9 Le 16 janvier 2002, la requérante est entrée au service de la Commission en tant qu’agent auxiliaire, par un contrat initial d’une durée de onze mois et demi. Par décisions du 9 décembre 2002 et du 11 mars 2003, ce contrat a été successivement prolongé. Le 9 juillet 2002, lors de la fixation des droits statutaires de la requérante en tant qu’agent auxiliaire, l’indemnité de dépaysement lui a été refusée, au motif qu’elle avait eu sa résidence habituelle à Bruxelles avant d’entrer au service
de la Commission. Le 20 décembre 2002, la requérante a introduit une réclamation contre cette décision, laquelle a été rejetée par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN »). La requérante n’a pas introduit de recours contre cette décision de rejet.
10 Le 1^er juillet 2003, la requérante, lauréate du concours COM/A/6/01, a pris ses fonctions à la Commission en tant que fonctionnaire stagiaire.
11 Le 18 juillet 2003, l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » de la direction générale (DG) « Personnel et administration » a établi la fiche personnelle d’entrée en service de la requérante, dans laquelle le bénéfice de l’indemnité de dépaysement lui a été refusé (ci-après la « décision litigieuse »).
12 Le 20 octobre 2003, la requérante a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision contenue dans cette fiche.
13 Par décision du 12 mars 2004, dont la requérante a pris connaissance le 19 mars 2004, l’AIPN a rejeté cette réclamation. Il ressort de cette décision que l’indemnité de dépaysement a été refusée à la requérante au motif, en premier lieu, que son retour en Finlande du 17 août au 7 septembre 1998 ne représentait qu’un déplacement provisoire et ne signifiait pas qu’elle ait déplacé le centre permanent de ses intérêts dans ce pays. Partant, ce déplacement ne serait pas de nature à faire cesser sa
résidence habituelle en Belgique pendant la période de référence, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. En second lieu, l’AIPN a considéré que l’activité professionnelle de la requérante au service de la Finpro à Bruxelles ne pouvait être considérée comme des « services effectués pour un autre État » au sens de l’exception prévue par la disposition précitée. L’AIPN a estimé que le contrat d’emploi de la requérante auprès de la Finpro était un contrat de droit
privé au titre duquel elle n’avait aucun lien juridique direct avec l’État finlandais et que la requérante n’avait d’ailleurs jamais eu le statut de fonctionnaire de cet État. L’AIPN a considéré que l’« [o]n ne saurait considérer comme ‘services effectués pour un autre État’ des services effectués pour une organisation avec laquelle la [requérante] a signé un contrat de droit privé sans avoir entretenu à aucun moment un lien juridique direct avec l’État ».
Procédure et conclusions des parties
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 juin 2004, la requérante a introduit le présent recours.
15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à la requérante de produire un document. De même, conformément à l’article 24, second alinéa, du statut de la Cour de justice, le Tribunal a posé certaines questions à la République de Finlande. La requérante et la République de Finlande ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
16 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience publique du 1^er février 2006.
17 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision du 18 juillet 2003 lui refusant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement ;
– condamner la Commission aux dépens.
18 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– statuer sur les dépens comme de droit.
En droit
19 La requérante invoque, à l’appui de son recours, un seul moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut. Dans le cadre de ce moyen, la requérante soutient, à titre principal, qu’elle n’a pas résidé ou exercé son activité professionnelle principale en Belgique pendant la totalité de la période de référence. À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que son travail auprès de la Finpro doit être qualifié de situation résultant de services
effectués pour un autre État, au sens de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut. Il convient d’examiner en premier lieu les arguments soulevés à titre principal par la requérante.
Arguments des parties
20 La requérante rappelle que le Tribunal a jugé dans son arrêt du 14 décembre 1995, Diamantaras/Commission (T‑72/94, RecFP p. I‑A‑285 et II‑865, point 50), qu’un fonctionnaire perdait le bénéfice de l’indemnité de dépaysement uniquement s’il avait eu sa résidence habituelle ou avait exercé son activité professionnelle principale dans le pays du lieu de son affectation durant la totalité de la période de référence.
21 La requérante fait remarquer, en premier lieu, que, à partir du 15 janvier 1996, elle a travaillé à Bruxelles pour le compte de FTP, en vertu d’un contrat à durée déterminée. Elle soutient qu’elle a toutefois conservé son centre d’intérêts en Finlande.
22 La requérante relève, en second lieu, que, avant l’échéance de ce contrat, FTP lui a proposé un poste à Helsinki, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, à partir du 17 août 1998. Elle fait observer qu’elle a accepté cette proposition et que, en conséquence, elle a résilié son bail à Bruxelles à la fin de juillet 1998 et a fait rayer son nom du registre de la population en Belgique. Le 20 juillet 1998, la requérante aurait procédé au déménagement de ses meubles vers la Finlande, en
s’installant à Helsinki. Par la suite, la Finpro lui aurait proposé un contrat à durée déterminée concernant un poste établi à Bruxelles à partir du 7 septembre 1998, que la requérante aurait accepté. En tout état de cause, la requérante n’aurait pas habité en Belgique entre le 31 juillet et le 7 septembre 1998.
23 En réponse aux objections de la Commission sur la réalité du déménagement de la requérante de Bruxelles à Helsinki en 1998, celle-ci a produit en annexe à sa réplique une copie de la lettre envoyée à son bailleur le 22 avril 1998 manifestant sa volonté de résilier son bail avec effet au 31 juillet 1998, une copie de la facture de l’entreprise qui s’est chargée de son déménagement de Bruxelles à Helsinki, une copie du bail de location d’un appartement situé boulevard Brand Whitlock, qu’elle
aurait signé le 7 octobre 1998, à son retour à Bruxelles, et une copie de la lettre de Belgacom informant la requérante de son raccordement téléphonique le 26 octobre 1998. Il ressortirait de ces documents, selon la requérante, qu’elle a procédé à son déménagement avec la volonté de fixer sa résidence habituelle à Helsinki.
24 La requérante conteste, en outre, la thèse de la Commission selon laquelle sa période de travail à Helsinki en 1998 serait une absence sporadique qui serait dépourvue d’un réel détachement de son pays d’affectation. Ainsi, la jurisprudence citée par la Commission (voir points 28 et 29 ci-après) se distinguerait entièrement de la présente affaire, car, en l’espèce, le départ de la requérante se justifierait précisément par l’exercice de son activité professionnelle et le retour à son centre
d’intérêts. En effet, l’employeur de la requérante lui aurait offert un poste à durée indéterminée à Helsinki, où elle disposerait toujours d’un appartement. Son intention aurait donc bien été de s’établir dans son pays d’origine et de conférer un caractère stable à sa résidence à Helsinki.
25 La Commission soutient que la demande principale de la requérante ne peut être accueillie. Il ressortirait en effet du dossier qu’à la date du 16 janvier 1997 – soit au début de la période de référence aux fins de l’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut – la requérante habitait depuis un an à Bruxelles et qu’elle a continué à y habiter jusqu’à son entrée en fonctions à la Commission en juillet 2003. Elle aurait donc résidé et travaillé pendant toute la
période de référence à Bruxelles, où elle aurait établi auparavant le centre permanent de ses intérêts.
26 S’agissant de la période comprise entre le 17 août et le 7 septembre 1998, la Commission note que la requérante a produit, avec son mémoire en réplique, des documents qui prouveraient que celle-ci a résilié son bail à Bruxelles et a effectué un déménagement vers Helsinki. Cependant, cette donnée n’aurait pas été connue au préalable par la Commission et n’aurait pas pu être prise en considération lors de la détermination des droits de la requérante, raison pour laquelle elle serait sans
pertinence pour juger de la légalité de la décision litigieuse (arrêt du Tribunal du 4 juin 2003, Del Vaglio/Commission, T‑124/01 et T‑320/01, RecFP p. I‑A‑157 et II‑767, point 77).
27 La Commission prétend, par ailleurs, que, même si la requérante a déménagé en Finlande pendant cette période, il est clair que celle-ci n’a pas eu la moindre intention de conférer à sa résidence dans ce pays un caractère stable, ni d’y déplacer son centre d’intérêts. Ainsi, dans l’arrêt du 24 avril 2001, Miranda/Commission (T‑37/99, RecFP p. I‑A‑87 et II‑413), le Tribunal aurait considéré que la notion de résidence impliquerait l’intention de conférer à la demeure en un certain lieu la
continuité résultant d’une habitude de vie et du déroulement de rapports sociaux normaux (point 32 de l’arrêt). Or, la requérante n’aurait pas eu cette intention, puisqu’elle aurait tout mis en œuvre pour rentrer en Belgique, en parvenant à se faire recruter en 17 jours à un nouveau poste à Bruxelles, où elle aurait effectivement commencé à travailler 21 jours seulement après son déménagement en Finlande. Son absence de Bruxelles aurait été si brève que la requérante ne pourrait être considérée
comme ayant résidé de façon habituelle à Helsinki. Partant, le prétendu transfert de résidence en Finlande, à supposer qu’il ait existé, n’aurait pas eu un caractère effectif.
28 La Commission considère ainsi que cette période de 21 jours devrait être considérée comme une absence sporadique non susceptible de déplacer le centre d’intérêts de la requérante de la Belgique vers la Finlande. Elle rappelle, à cet égard, que, selon la jurisprudence, une absence de neuf mois du pays de la résidence habituelle ne signifiait pas un changement du centre permanent des intérêts de l’intéressé (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1993, Magdalena Fernández/Commission, T‑90/92, Rec.
p. II‑971, point 29, confirmé, sur pourvoi, par arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, C‑452/93 P, Rec. p. I‑4295, point 23). De même, un séjour total de 20 mois pendant la période de référence dans un État membre autre que celui du lieu de la résidence habituelle n’aurait pas été considéré suffisant pour modifier le lieu de la résidence habituelle (arrêt de la Cour du 17 février 1976, Delvaux/Commission, 42/75, Rec. p. 167, points 6 à 10). Dès lors, une période de 17
jours ne pourrait être considérée comme suffisante pour faire cesser la résidence habituelle de la requérante en Belgique.
29 La Commission précise que, selon la jurisprudence, les conditions de l’article 4 de l’annexe VII du statut pouvaient être réunies même dans le cas d’une absence de courte durée, à condition néanmoins que le déplacement de l’intéressé vers le lieu d’affectation après une telle absence soit susceptible d’occasionner des charges et des désavantages particuliers (arrêt de la Cour du 23 mars 1988, Morabito/Parlement, 105/87, Rec. p. 1707, point 12). Tel ne serait pas le cas en l’espèce, puisque ni
la prétendue nouvelle installation de la requérante en Belgique ni son entrée en service en tant qu’agent auxiliaire à la Commission ne lui auraient occasionné de telles charges ou désavantages.
30 Enfin, la circonstance selon laquelle la requérante disposerait toujours d’un appartement en Finlande ne pourrait être invoquée à l’appui de la thèse de celle-ci, car, outre le fait qu’il serait courant que les fonctionnaires conservent des liens patrimoniaux avec leur lieu d’origine, cet élément serait indépendant de la question de la résidence effective de la requérante.
Appréciation du Tribunal
31 L’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut dispose que l’indemnité de dépaysement est accordée au fonctionnaire qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation et qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire dudit État.
32 Selon une jurisprudence constante, la raison d’être de l’indemnité de dépaysement est de compenser les charges et les désavantages particuliers résultant de l’exercice permanent de fonctions dans un pays avec lequel le fonctionnaire n’a pas établi de liens durables avant son entrée en fonctions (arrêts du Tribunal du 30 mars 1993, Vardakas/Commission, T‑4/92, Rec. p. II‑357, point 39, et du 28 septembre 1999, J/Commission, T‑28/98, RecFP p. I‑A‑185 et II‑973, point 32). La notion de
dépaysement dépend de la situation subjective du fonctionnaire, à savoir son degré d’intégration dans son nouveau milieu, résultant, par exemple, de sa résidence habituelle ou de l’exercice antérieur d’une activité professionnelle principale (arrêts de la Cour du 2 mai 1985, De Angelis/Commission, 246/83, Rec. p. 1253, point 13, et du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, précité, point 20 ; arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Dedeu i Fontcuberta/Commission, T‑299/02, non encore
publié au Recueil, point 61).
33 En vue de déterminer de telles situations, le juge communautaire a affirmé que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut devait être interprété comme retenant pour critère primordial, quant à l’octroi de l’indemnité de dépaysement, la résidence habituelle du fonctionnaire, antérieurement à son entrée en fonctions (arrêt du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, précité, point 21, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 2004, E/Commission, T‑251/02, RecFP p. I‑A‑359
et II‑1643, point 53).
34 La résidence habituelle est le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Aux fins de la détermination de la résidence habituelle, il importe de tenir compte de tous les éléments de fait constitutifs de celle-ci (arrêt du 15 septembre 1994, Magdalena Fernández/Commission, précité, point 22, et arrêt E/Commission, précité, point 54).
35 En l’espèce, la période de référence de cinq années prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), second tiret, de l’annexe VII du statut aux fins de l’octroi du bénéfice de l’indemnité de dépaysement est, en principe, celle comprise entre le 1^er janvier 1998 et le 31 décembre 2002. Cependant, en l’occurrence, il faut neutraliser la période de onze mois et demi passée par la requérante en qualité d’agent auxiliaire à la Commission pendant ladite période de référence (soit entre le 16 janvier
2002 et le 31 décembre 2002), car il s’agit d’un lien de travail direct avec une organisation internationale. Il est donc nécessaire de reporter d’autant le début de la période de référence. Cette période s’étend ainsi, en l’espèce, du 16 janvier 1997 au 15 janvier 2002.
36 Il importe de relever que, entre le 25 mars 1992 et le 14 janvier 1996, la requérante a exercé son activité professionnelle en Finlande, auprès d’abord des International Training Services et ensuite de FTP, cette dernière ayant succédé aux International Training Services, dans leurs fonctions et responsabilités. En particulier, depuis le mois de janvier 1995, la requérante était liée à FTP par un contrat à durée indéterminée, signé le 24 janvier 1995, lequel fixait Helsinki comme lieu de
travail. Il n’est pas contesté que la requérante avait, au cours de cette période, le centre permanent ou habituel de ses intérêts, et donc sa résidence habituelle, en Finlande.
37 En janvier 1996, FTP, l’employeur de la requérante, a affecté celle-ci à l’exécution du programme « Junior EU-ASEAN-Managers Exchange », cofinancé par la Commission. À cet effet, un contrat à durée déterminée a été conclu le 13 février 1996 entre FTP et la requérante. Ce contrat établissait que le « pays d’affectation », soit celui dans lequel la requérante devait travailler principalement, était la Belgique, et que le lieu d’exécution des tâches visées était Bruxelles (point 2 et annexes 1
et 2 du contrat). Eu égard aux fonctions et obligations qu’elle assumait dans le cadre dudit contrat, la requérante a résidé en Belgique du 15 janvier 1996 jusqu’à la fin de juillet 1998.
38 Or, il y a lieu de relever que le seul fait de résider dans un pays étranger pendant une période de temps limitée à l’exécution d’un contrat de travail à durée déterminée ne permet pas de présumer l’existence d’une volonté de déplacer dans ce pays le centre permanent ou habituel de ses intérêts (voir, en ce sens, arrêt Dedeu i Fontcuberta/Commission, précité, point 66). Le Tribunal a ainsi admis que la possibilité de l’existence de deux résidences, la première au titre de la résidence
habituelle et la seconde au titre de l’activité professionnelle principale, ne saurait être nécessairement exclue (arrêt E/Commission, précité, point 73). En l’occurrence, il ne saurait être déduit du seul fait que la requérante a résidé à Bruxelles pendant une période de 18 mois, entre janvier 1996 et juillet 1998, qu’elle a eu la volonté, au cours de cette période, de fixer le centre permanent de ses intérêts, et ainsi sa résidence habituelle, en Belgique, en l’absence d’autres éléments tirés des
circonstances professionnelles ou personnelles susceptibles de confirmer une telle intention.
39 À cet égard, il convient de relever que le contrat du 13 février 1996 conclu entre FTP et la requérante prévoyait explicitement que le « pays de la résidence permanente » de cette dernière était la Finlande (point 1 du contrat) et que la relation de travail visée par ce contrat était à durée déterminée, cette relation devant débuter le 15 janvier 1996 et se terminer le 31 juillet 1999 (point 6.1 du contrat). Qui plus est, le contrat stipulait que « [l]a relation de travail continuera[it] en
Finlande après l’exécution du travail conformément au contrat d’emploi signé [en janvier 1995] » (point 6.2 du contrat). Le contrat prévoyait aussi que l’employeur paierait à l’employée, ainsi qu’aux membres de sa famille, les frais de voyage du lieu de résidence (Helsinki) au lieu d’exécution des tâches (Bruxelles) et, à la fin de la période de travail, du lieu d’affectation (Bruxelles) au lieu de résidence (point 12 du contrat).
40 En définitive, la requérante s’est déplacée à Bruxelles, suivant les instructions de son employeur, pour participer à la mise en oeuvre d’un projet concret et pour une période déterminée. Dès le début, il était prévu que, à la fin de son affectation audit projet, la requérante retournerait en Finlande, pour reprendre son travail antérieur pour le même employeur. Cela a été par ailleurs confirmé par la suite par les faits de l’espèce. Ainsi, lorsque FTP a mis fin, de manière anticipée, à la
participation de la requérante à la mise en oeuvre du projet en cause, celle-ci a quitté Bruxelles pour réintégrer le bureau de FTP à Helsinki. À cet effet, un nouveau contrat a été signé le 24 août 1998 entre FTP et la requérante. Ce contrat était à durée indéterminée et stipulait expressément que la relation de travail entre l’employeur et la requérante se poursuivait depuis le 1^er janvier 1995 (point 2 du contrat).
41 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le séjour de la requérante à Bruxelles entre janvier 1996 et juillet 1998 doit être considéré comme provisoire et comme n’ayant pas comporté un déplacement stable du centre permanent ou habituel des intérêts de la requérante, et, partant, de sa résidence habituelle, de la Finlande en Belgique.
42 À titre surabondant, le Tribunal considère qu’il y a lieu de rejeter la thèse de la Commission selon laquelle l’absence de résidence de la requérante en Belgique du 31 juillet au 7 septembre 1998 ne serait pas de nature à interrompre la prétendue résidence habituelle de la requérante en Belgique, eu égard à la très brève durée de cette interruption de la résidence de la requérante en Belgique, qui ferait qu’elle doive être considérée comme une absence sporadique non susceptible de déplacer
son centre d’intérêts en Finlande, et au fait que la requérante n’a pas eu la moindre intention de conférer un caractère stable à sa résidence à Helsinki.
43 En effet, plusieurs éléments du dossier montrent que la requérante avait la volonté de conférer à sa résidence en Finlande un caractère stable et habituel.
44 La requérante a procédé à toutes les démarches nécessaires pour mettre fin à son séjour à Bruxelles. Ainsi, en premier lieu, elle a résilié son contrat de bail. En effet, par lettre du 22 avril 1998, la requérante a communiqué à son bailleur que, « [p]our raison professionnelle, [elle se] trouv[ait] dans l’obligation de quitter la Belgique le 1^er août 1998 » et que, « [d]e ce fait et conformément à la ‘clause de rupture pour raison professionnelle du contrat’, [elle] renon[çait] au bail
d’appartement (avenue de la Brabançonne 43, B-1000 Bruxelles) à partir du 31 juillet 1998 ». En second lieu, elle a fait déménager ses affaires à Helsinki. Ainsi, le devis d’une entreprise de déménagement, daté du 6 juillet 1998, mentionne comme objet le déménagement des meubles de la requérante de son adresse à Bruxelles vers son adresse à Helsinki, entre le 20 et le 22 juillet 1998.
45 Ce déménagement de la requérante de Bruxelles à Helsinki en juillet 1998 est confirmé par le fait que, quand, peu après, celle-ci a accepté une offre professionnelle de la Finpro pour retourner à Bruxelles, elle a dû procéder à nouveau aux démarches nécessaires pour s’installer dans cette ville à partir du mois de septembre 1998. Ainsi, la requérante a produit le contrat de bail qu’elle avait signé le 7 octobre 1998 pour un appartement situé boulevard Brand Whitlock à Bruxelles, prenant effet
le 1^er novembre 1998, de même qu’une lettre de Belgacom l’informant de la mise en service du raccordement téléphonique pour cette adresse le 26 octobre 1998.
46 Il y a lieu de rejeter à cet égard l’argument de la Commission selon lequel les documents prouvant que la requérante a effectivement déménagé de Bruxelles à Helsinki en juillet 1998 sont sans pertinence pour juger de la légalité de la décision litigieuse, dans la mesure où ils n’auraient pas été connus de la Commission au moment de l’adoption de celle-ci. En effet, il convient de relever que, dans sa réclamation du 20 octobre 2003 introduite au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut,
la requérante avait informé la Commission qu’elle « a[vait] résilié son bail de résidence à Bruxelles, [avait] été rayée du registre de la population en Belgique, [avait] procédé à un déménagement de ses meubles vers la Finlande et s’y [était] installée du 17 août 1998 au 7 septembre 1998 ». Or, la Commission, dans sa décision du 12 mars 2004 rejetant cette réclamation, n’a pas mis en doute la réalité d’un tel déménagement, se limitant à considérer que le déplacement provisoire de la requérante en
Finlande ne faisait pas cesser la résidence habituelle de celle-ci en Belgique. Ce n’est que dans son mémoire en défense dans la présente affaire que la Commission a mis en doute la réalité d’un tel déménagement, sur la base des informations contenues dans un extrait du registre national de la population d’Helsinki. Par conséquent, la requérante était habilitée à produire avec sa réplique des moyens de preuve aux fins de contester ces arguments de la Commission.
47 En outre, il peut être relevé que, si la requérante n’avait pas eu l’intention de s’installer en Finlande, elle aurait pu prolonger son contrat de bail ou prendre d’autres mesures pour conserver ses meubles à Bruxelles pendant qu’elle cherchait un nouvel emploi dans cette ville, au lieu de procéder au déménagement de tous ses biens vers la Finlande. Le Tribunal estime que le seul fait d’accepter – certes, très peu de temps après son retour à Helsinki – une offre professionnelle pour revenir à
Bruxelles ne signifie pas nécessairement que la requérante n’aurait jamais eu l’intention de rester en Finlande. Il convient simplement de relever à cet égard, en ce qui concerne les éventuelles raisons de la requérante pour accepter cette offre, que le travail que la Finpro lui a proposé à Bruxelles impliquait une majoration importante de son salaire.
48 Au demeurant, il convient de relever que les références faites par la Commission aux arrêts Delvaux/Commission, Morabito/Parlement, du 15 septembre1994 Magdalena Fernández/Commission, du 28 septembre 1993, Magdalena Fernández/Commission et Miranda/Commission, précités, relatifs à des absences sporadiques non susceptibles d’altérer la résidence habituelle d’un intéressé, sont dépourvues de pertinence, étant donné qu’aucune des situations faisant l’objet de ces arrêts n’est comparable à celle
de l’espèce.
49 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas résidé habituellement en Belgique pendant la totalité de la période de référence, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut.
50 Il s’ensuit que la Commission a considéré à tort que la requérante ne remplissait pas la condition exigée par l’article 4, paragraphe 1, sous a), de l’annexe VII du statut pour l’octroi de l’indemnité de dépaysement.
51 Par conséquent, il y a lieu de déclarer fondé le présent recours et d’annuler la décision litigieuse, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les arguments avancés à titre subsidiaire par la requérante.
Sur les dépens
52 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) La décision de la Commission du 18 juillet 2003 refusant à la requérante le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes est annulée.
2) La Commission supportera l’ensemble des dépens.
García-Valdecasas Cooke Trstenjak
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2006.
Le greffier Le président
E. Coulon R. García-Valdecasas
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* Langue de procédure : le français.