CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JÁN MAZÁK
présentées le 8 septembre 2009 ( 1 )
Affaire C-333/08
Commission européenne
contre
République française
«Manquement d’État — Libre circulation de marchandises — Articles 28 CE et 30 CE — Restriction quantitative à l’importation — Mesure d’effet équivalent — Régime d’autorisation préalable — Auxiliaires technologiques et denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques en provenance d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés — Procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription de telles substances
sur une ‘liste positive’ — Clause de reconnaissance mutuelle — Cadre réglementaire national créant une situation d’insécurité juridique pour des opérateurs économiques»
1. Par son recours, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater qu’en prévoyant, pour les auxiliaires technologiques et denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable ne respectant pas le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de
l’article 28 CE.
I — Cadre juridique
A — Droit communautaire
2. Les auxiliaires technologiques ne font pas, en tant que tels, l’objet d’une harmonisation horizontale au niveau communautaire. Le droit communautaire n’harmonise que certaines catégories d’auxiliaires technologiques ( 2 ) et l’utilisation d’auxiliaires technologiques dans la fabrication de certaines denrées alimentaires ( 3 ).
3. La réglementation nationale des auxiliaires technologiques fait partie de la législation alimentaire et donc, en conséquence, doit satisfaire aux exigences découlant du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ( 4 ). Celui-ci
fait figurer le principe d’analyse des risques et le principe de précaution au nombre des principes généraux de la législation alimentaire.
B — Réglementation française concernant des auxiliaires technologiques
4. Le régime juridique concernant les auxiliaires technologiques a été établi par le décret du 15 avril 1912 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires, tel que modifié par le décret no 73-138, du , et le décret no 99-242, du (ci-après le «décret de 1912»).
5. Le décret de 1912 repose sur le système d’autorisation préalable. Cela signifie que la commercialisation des marchandises et des denrées destinées à l’alimentation humaine a été interdite lorsqu’elles ont été additionnées de produits chimiques ( 5 ) ou lorsque des produits chimiques ont été utilisés lors de leur préparation. Cette interdiction ne concerne pas les produits chimiques dont l’emploi a été déclaré licite par les arrêtés pris en application du décret de 1912.
6. Une série d’arrêtés a été prise en application du décret de 1912. Ceux-ci déterminent en général la substance autorisée ainsi que l’usage et la denrée alimentaire pour lesquels celle-ci est autorisée. Ils précisent les critères de pureté et autres caractéristiques que doivent respecter les auxiliaires technologiques, et fixent, outre les conditions d’emploi de l’auxiliaire concerné dans le processus de fabrication, les teneurs résiduelles maximales des auxiliaires technologiques employés dans la
denrée alimentaire finie. Seuls quatre de ces arrêtés contiennent une clause de reconnaissance mutuelle.
7. Le décret de 1912 a été abrogé par le décret no 2001-725, du 31 juillet 2001, relatif aux auxiliaires technologiques pouvant être employés dans la fabrication de denrées destinées à l’alimentation humaine (ci-après le «décret de 2001»), qui n’est, cependant, entré en vigueur que le .
8. L’article 1er du décret de 2001 comporte une définition des «auxiliaires technologiques» et détermine le champ d’application matériel dudit décret. Selon cette définition, on entend par auxiliaires technologiques:
«toute substance non consommée comme ingrédient alimentaire en soi et volontairement utilisée dans la transformation des matières premières, des denrées alimentaires ou de leurs ingrédients, pour répondre à un objectif technologique déterminé pendant le traitement ou la transformation, et pouvant avoir pour résultat la présence non intentionnelle de résidus techniquement inévitables de cette substance ou de ses dérivés dans le produit fini, et à condition que ces résidus ne présentent pas de
risque sanitaire et n’aient pas d’effet technologique sur le produit fini».
9. Le décret de 2001 est basé, tout comme le décret de 1912, sur le système d’autorisation préalable des auxiliaires technologiques. Il découle de l’article 2 du décret de 2001 que les ministres chargés de la consommation, de l’agriculture, de la santé et de l’industrie prennent un arrêté qui fixe, premièrement, la liste des auxiliaires technologiques dont l’emploi est autorisé et, le cas échéant, les conditions de leur emploi ainsi que les limites maximales de résidus admissibles, deuxièmement, les
critères d’identité et de pureté auxquels ils doivent répondre, et, troisièmement, les règles concernant les substances utilisées comme produits de support ou de dilution.
10. L’article 3 du décret de 2001 concerne la possibilité de modification de l’arrêté prévu à son article 2. Il est libellé comme suit:
«Les demandes visant à modifier ou compléter les dispositions de l’arrêté prévu à l’article 2 peuvent être établies par toute personne physique ou morale. Elles sont adressées à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, accompagnées du dossier nécessaire à leur instruction, en vue de leur transmission à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Un arrêté des ministres chargés de la consommation, de l’agriculture, de la santé et de l’industrie fixe les règles relatives à la constitution des dossiers.
Dès lors que le dossier est complet, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes accuse réception de celui-ci et assure sa transmission à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. L’agence dispose d’un délai de quatre mois à compter de la réception de la demande pour émettre un avis.
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes notifie au demandeur l’avis de cette instance ainsi que la décision motivée du ministre prise suite à cet avis. Cette notification est faite dans le mois suivant l’adoption de l’avis.»
11. L’article 6 du décret de 2001 prévoit qu’il est interdit de détenir ou d’exposer en vue de la vente, de mettre en vente, de vendre ou de distribuer à titre gratuit des auxiliaires technologiques ne répondant pas aux dispositions de l’article 2 du décret de 2001 et des denrées destinées à l’alimentation de l’homme pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques ne répondant pas aux dispositions de l’article 2 du décret de 2001.
12. Toutefois, l’article 6 du décret 2001 prévoit une clause de reconnaissance mutuelle qui est libellée comme suit:
«Toutefois, ces dispositions ne font pas obstacle au principe de libre circulation:
a) des denrées visées au 1° du présent article provenant d’autres États membres de la Communauté européenne, ou d’autres parties contractantes de l’accord sur l’Espace économique européen, dès lors que ces États ont mis en place un mode d’évaluation des risques que présente l’emploi d’auxiliaires technologiques, permettant d’assurer un niveau de sécurité équivalant à celui garanti par le présent décret;
b) des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres de la Communauté européenne, ou d’autres parties contractantes de l’accord sur l’Espace économique européen, présentant des critères de pureté différents de ceux fixés par l’arrêté prévu à l’article 2, lorsque ces critères ont été fixés par l’un de ces États, ou ont fait l’objet d’un avis favorable d’une instance compétente dans l’un de ces pays, officiellement publié.»
13. Conformément à son article 7, le décret de 2001 n’est entré en vigueur qu’à compter de la date de publication de l’arrêté prévu à son article 2. Étant donné que cet arrêté, à savoir l’arrêté relatif à l’emploi d’auxiliaires technologiques dans la fabrication de certaines denrées alimentaires (ci-après l’«arrêté de 2006»), a été adopté le 19 octobre 2006 et publié au Journal officiel de la République française du 2 décembre suivant, le décret de 2001 est entré en vigueur le .
II — Phase précontentieuse de la procédure et conclusions des parties
14. Estimant que la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 28 CE en prévoyant, pour les auxiliaires technologiques et denrées alimentaires, lorsque leur processus d’élaboration emploie des auxiliaires technologiques, provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable et, à titre subsidiaire, en ayant omis d’établir, pour l’obtention d’autorisations d’emploi des auxiliaires
technologiques une procédure suffisamment claire, facilement accessible, transparente et répondant aux exigences de sécurité juridique, la Commission a envoyé, le 18 octobre 2005, une lettre de mise en demeure à la République française ( 6 ) conformément à l’article 226 CE.
15. N’étant pas satisfaite des observations formulées par la République française dans sa réponse du 16 février 2006 ( 7 ), la Commission lui a adressé un avis motivé en date du , dans lequel elle a invité les autorités françaises à prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois.
16. Malgré les arguments exposés par les autorités françaises dans leur réponse à l’avis motivé du 8 septembre 2006, la Commission a introduit le présent recours par lequel elle demande à la Cour de constater qu’en prévoyant, pour les auxiliaires technologiques et denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable ne respectant
pas le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE et de condamner la République française aux dépens.
17. Sur base des arguments présentés dans son mémoire en défense et sa duplique, la République française conclut à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Commission aux dépens.
III — Analyse
A — Système d’autorisation préalable en tant que mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives
18. En l’espèce, le fait que le système d’autorisation préalable des auxiliaires technologiques, prévu tant par le décret de 1912 que par le décret de 2001, constitue, en lui-même, une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives n’est pas contesté.
19. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner le système d’autorisation préalable instauré par le décret de 1912 au regard des vitamines et des minéraux. Dans l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France ( 8 ), la Cour a jugé que la réglementation, qui exige que la commercialisation de denrées alimentaires enrichies en vitamines et en minéraux soit soumise à l’inscription préalable de ces substances nutritives sur une «liste positive», rendait la commercialisation de ces denrées plus difficile et plus
coûteuse et, par conséquent, constituait une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l’article 30 du traité.
20. Dans l’arrêt du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel ( 9 ), la Cour a confirmé et généralisé cette jurisprudence en admettant qu’une réglementation qui exigeait que la commercialisation de certaines marchandises fût soumise à l’inscription préalable de celles-ci sur une «liste positive» rendait leur commercialisation plus difficile et plus coûteuse, et, par conséquent, entravait les échanges entre les États membres.
21. Cette jurisprudence nous semble transposable à notre affaire. Tant le décret de 1912 que le décret de 2001 sont basés sur le système d’autorisation préalable des auxiliaires technologiques qui, en exigeant que la commercialisation des auxiliaires technologiques et des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques soit soumise à l’inscription préalable des auxiliaires technologiques sur une «liste positive», rend plus difficile et plus
coûteuse la commercialisation des auxiliaires technologiques et des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés et, par conséquent, entrave les échanges entre les États membres.
22. Nous estimons qu’une telle constatation serait exclue si le système d’autorisation préalable contenait une clause de reconnaissance mutuelle éliminant les effets négatifs dudit système, en ce qui concerne la commercialisation des auxiliaires technologiques et des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés. Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce.
23. En ce qui concerne le décret de 1912, une clause de reconnaissance mutuelle n’était contenue que dans quatre des arrêtés pris en son application. En ce qui concerne le décret de 2001, il contient, certes, une clause de reconnaissance mutuelle. Cependant, comme cela résulte de son libellé, elle se limite à garantir la libre circulation des auxiliaires technologiques et des denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant uniquement
d’États qui assurent un niveau de sécurité équivalant à celui garanti par la réglementation française.
B — Justification du système d’autorisation préalable
24. Même si le système d’autorisation préalable constitue une mesure d’effet équivalent, il est de jurisprudence constante qu’une réglementation nationale qui entrave la libre circulation des marchandises n’est pas nécessairement contraire au droit communautaire si elle peut être justifiée par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 30 CE ou par l’une des exigences impératives ( 10 ).
25. Étant donné que le système d’autorisation d’emploi préalable des auxiliaires technologiques trouve sa justification, selon le gouvernement français, dans l’exigence de la protection de la santé publique, laquelle est expressément prévue à l’article 30 CE, il convient d’examiner si les conditions permettant une dérogation à la règle générale de l’article 28 CE sont réunies.
26. À cet égard, la Commission est d’avis que le système général d’autorisation d’emploi préalable des auxiliaires technologiques ne peut pas être justifié par l’objectif de la protection de la santé publique, parce qu’il est disproportionné au regard des risques éventuels que les auxiliaires technologiques peuvent présenter pour la santé humaine. Elle n’exclut pas, par principe, que certaines catégories d’auxiliaires technologiques puissent être soumises à l’autorisation préalable, à condition
toutefois que le recours à un tel régime soit ciblé et précisément justifié sur un fondement scientifique pour chaque catégorie d’auxiliaires technologiques concernée.
27. Pour sa défense, le gouvernement français fait valoir que les auxiliaires technologiques peuvent présenter des risques potentiels pour la santé publique, liés à la présence des résidus des auxiliaires technologiques eux-mêmes et/ou de produits néoformés dans les produits finis. Au soutien de son allégation, il se réfère, premièrement, à une note de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (ci-après «AFSSA») du 13 août 2008, dans laquelle elle a résumé son bilan de huit années
d’évaluation de demandes d’autorisations d’emploi d’auxiliaires technologiques employés dans l’industrie agro-alimentaire et, deuxièmement, à l’étude de l’AFSSA sur l’impact des procédés de fabrication des denrées alimentaires dans la formation des produits néoformés d’avril 2007.
28. Le gouvernement français souligne que, conformément au principe de précaution, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, il est possible de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Il en déduit que, pour justifier son système d’autorisation préalable au regard des impératifs de santé publique, le gouvernement ne doit pas établir précisément
et scientifiquement l’existence du risque présenté par les auxiliaires technologiques. En revanche, il lui appartient d’établir le risque que peut présenter leur utilisation.
29. À cet égard, la Commission ne conteste pas que le système d’autorisation préalable soit apte à protéger la santé publique. La question se poserait de savoir si une telle protection de la santé est nécessaire ou, en d’autres termes, si les auxiliaires technologiques dans leur ensemble présentent un risque tel pour la santé publique qu’il est nécessaire de veiller à sa protection par un régime d’autorisation préalable.
30. Avant d’entamer l’examen de savoir si le risque des auxiliaires technologiques pour la santé publique a été prouvé, nous souhaitons souligner qu’il est nécessaire d’opérer une distinction entre l’examen de la proportionnalité du système d’autorisation préalable des auxiliaires technologiques, comme en l’espèce, et l’examen de la proportionnalité des décisions concrètes interdisant la commercialisation de marchandises prises en application de ce système, comme, par exemple, dans l’affaire ayant
donné lieu à l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France ( 11 ). En effet, l’évaluation de la preuve de l’existence du risque pour la santé publique doit être différente dans ces deux cas.
31. Il convient de relever également que la requête de la Commission ne concerne pas les décisions prises en application du système d’autorisation préalable ayant pour objet d’interdire la commercialisation d’un produit concret. Au contraire, elle concerne seulement le système d’autorisation préalable lui-même.
32. Il découle de la jurisprudence de la Cour qu’il appartient aux États membres, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de l’exigence d’une autorisation préalable à la mise sur le marché des denrées alimentaires, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la
Communauté ( 12 ).
33. Il ressort, également, de la jurisprudence de la Cour qu’il incombe aux autorités nationales qui invoquent l’article 30 CE de démontrer dans chaque cas d’espèce, à la lumière des habitudes alimentaires nationales et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés par ladite disposition et, notamment, que la commercialisation des produits en question présente un risque réel pour la santé
publique ( 13 ).
34. Il pourrait sembler qu’il existe une discordance entre les principes jurisprudentiels ci-dessus rappelés. Alors que, d’une part, aux fins de l’examen d’une autorisation préalable à la mise sur le marché des denrées alimentaires, il suffit de démontrer les incertitudes subsistant en l’état actuel de la recherche scientifique, il est nécessaire, d’autre part, de démontrer dans chaque cas d’espèce, compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que la commercialisation des
produits en question présente un risque réel pour la santé publique.
35. C’est dans ce contexte qu’il faut opérer une distinction entre le système d’autorisation préalable et les décisions concrètes interdisant la commercialisation de marchandises adoptées en application de ce système. Selon nous, dans le cas d’un système d’autorisation préalable, il suffit de démontrer les incertitudes subsistant en l’état actuel de la recherche scientifique, alors que, dans le cas des décisions concrètes interdisant la commercialisation de marchandises, il faut démontrer dans
chaque cas d’espèce, compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que la commercialisation des produits en question présente un risque réel pour la santé publique.
36. Par conséquent, nous estimons, que le gouvernement français s’est acquitté de la charge de la preuve requise. Une note de l’AFSSA du 13 août 2008 et l’étude de l’AFSSA d’avril 2007 constituent des preuves suffisantes. Elles démontrent que, en l’état actuel de la recherche scientifique, il n’est pas certain que les auxiliaires technologiques soient inoffensifs pour la santé publique.
37. S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel seules certaines catégories d’auxiliaires technologiques peuvent être soumises à l’autorisation préalable, à condition que le recours à un tel régime soit ciblé et précisément justifié sur un fondement scientifique pour chaque catégorie d’auxiliaires technologiques concernée, nous nous rallions à l’argument du gouvernement français selon lequel, eu égard à l’évolution permanente des procédés de fabrication, il est difficile de préjuger des
substances susceptibles d’être utilisées comme auxiliaires technologiques et d’identifier à l’avance les catégories d’auxiliaires technologiques qui seraient inoffensifs.
38. Pour conclure, nous considérons que le système d’autorisation préalable des auxiliaires technologiques est justifié par des motifs de protection de la santé publique.
C — Procédure permettant de modifier la liste positive des auxiliaires technologiques autorisés
39. La Commission fait grief au système d’autorisation d’emploi préalable des auxiliaires technologiques de ne pas satisfaire aux exigences fixées par la jurisprudence de la Cour en la matière, aux termes desquelles une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription des auxiliaires technologiques sur la liste nationale des auxiliaires technologiques autorisés doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur
un refus, celui-ci doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel.
40. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, une réglementation qui exige que la commercialisation de certaines marchandises soit soumise à l’inscription préalable de celles-ci sur une «liste positive» n’est conforme au droit communautaire que si plusieurs conditions sont réunies ( 14 ). L’une des conditions prévoit que cette réglementation doit être assortie d’une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription des marchandises
sur la liste positive nationale des marchandises autorisées. Cette procédure doit être aisément accessible, ce qui suppose qu’elle soit expressément prévue dans un acte de portée générale, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus d’inscription, lequel doit être motivé, celui-ci doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel ( 15 ).
41. Selon nous, les conditions susmentionnées relèvent des critères permettant d’évaluer la proportionnalité de la réglementation nationale concernée.
42. Comme nous l’avons déjà indiqué au point 19 des présentes conclusions, la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner le système d’autorisation d’emploi préalable instauré par le décret de 1912. Dans l’arrêt du 5 février 2004, Commission/France ( 16 ), la Cour a jugé que, s’agissant du décret de 1912, la procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription des marchandises sur la liste positive nationale des marchandises autorisées ne satisfaisait pas aux conditions rappelées au
point 35 des présentes conclusions.
43. En ce qui concerne le système d’autorisation d’emploi préalable instauré par le décret de 2001, la Commission met l’accent sur le fait que, même s’il prévoit une procédure permettant de modifier ou de compléter la liste des auxiliaires technologiques autorisés, la procédure en question ne satisfait pas, pour plusieurs raisons, aux exigences fixées par la jurisprudence de la Cour en la matière.
44. Premièrement, la Commission indique que les demandes d’inscription des nouvelles substances sur la liste des auxiliaires technologiques autorisés sont traitées de la même manière, sans tenir compte du fait qu’il s’agit d’une substance domestique non encore autorisée ou d’une substance légalement fabriquée et/ou commercialisée en tant qu’auxiliaire technologique dans un autre État membre. Cet élément n’a pas été contesté par le gouvernement français. Néanmoins, il a fait valoir que la
circonstance qu’une substance a été commercialisée dans un autre État membre ne saurait la dispenser d’un examen par l’AFSSA et par les autorités françaises compétentes.
45. Nous ne pensons pas que le traitement préférentiel de nouvelles substances légalement fabriquées et/ou commercialisées en tant qu’auxiliaires technologiques dans un autre État membre dans le cadre de la procédure d’autorisation figure au nombre des conditions à respecter pour assurer la conformité au droit communautaire d’une réglementation selon laquelle la commercialisation de certaines marchandises est soumise à une autorisation préalable. Dans le cas contraire, cela irait à l’encontre du
sens du système d’autorisation préalable lui-même.
46. Deuxièmement ( 17 ), la Commission attire l’attention sur le fait qu’en opposition avec l’exigence d’accessibilité de la procédure d’autorisation, l’arrêté ministériel précisant la composition des dossiers de demande d’inscription n’a toujours pas été adopté. Le gouvernement français rétorque que, le 2 juillet 2003, l’AFSSA a publié sur son site Internet le document intitulé «Lignes directrices pour la constitution d’un dossier relatif à l’emploi d’un auxiliaire technologique en alimentation
humaine», qui constitue une aide pour la présentation des dossiers de demande d’autorisation.
47. Nous partageons pleinement l’analyse selon laquelle la possibilité d’avoir accès aux informations sur la composition des dossiers de demande d’inscription a une incidence sur l’accessibilité de la procédure d’autorisation. De plus, les délais prévus par le décret de 2001 pour statuer sur la demande d’inscription d’une substance sur la liste des auxiliaires technologiques autorisés commencent à courir le jour où le dossier de la demande est complet.
48. Sans qu’il soit nécessaire d’analyser le contenu des «Lignes directrices pour la constitution d’un dossier relatif à l’emploi d’un auxiliaire technologique en alimentation humaine», nous partageons le point de vue de la Commission selon lequel ledit document ne saurait, en tout état de cause, se substituer à l’arrêté ministériel prévu à l’article 3 du décret de 2001 devant fixer les règles relatives à la composition des dossiers de demande.
49. En effet, la personne sollicitant l’inscription d’une substance sur la liste des auxiliaires technologiques autorisés n’est pas en relation avec l’AFSSA, qui est l’auteur des «Lignes directrices pour la constitution d’un dossier relatif à l’emploi d’un auxiliaire technologique en alimentation humaine». Selon l’article 3 du décret de 2001, le demandeur introduit sa demande auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui, en définitive,
statue sur cette demande. Du point de vue du demandeur, l’AFSSA ne constitue qu’un organe consultatif. Pour cette raison, le document de l’AFSSA n’a pas, et ne saurait avoir, l’effet contraignant à l’égard de personnes sollicitant l’inscription d’une substance sur la liste des auxiliaires technologiques autorisés.
50. Troisièmement, la Commission estime que la durée de la procédure, qui est d’environ cinq mois, au minimum, devrait être considérablement réduite s’agissant de substances provenant d’autres États membres où elles sont déjà autorisées en tant qu’auxiliaires technologiques. En tout état de cause, la durée de l’examen du dossier par l’administration serait injustifiée. Selon le gouvernement français, une procédure d’une durée d’environ cinq mois, dont quatre sont réservés à l’évaluation de l’AFSSA,
n’apparaît pas excessive.
51. Il nous semble que l’exigence de la réduction de la durée de procédure d’autorisation dans le cas des nouvelles substances légalement fabriquées et/ou commercialisées en tant qu’auxiliaires technologiques dans un autre État membre est, à l’instar de l’exigence du traitement préférentiel de telles substances, non fondée.
52. Il convient toutefois d’examiner si la durée de la procédure d’autorisation peut être considérée comme un «délai raisonnable» au sens de la jurisprudence de la Cour ( 18 ).
53. Selon l’article 3 du décret de 2001, la procédure d’autorisation pourrait être menée à terme au mieux dans un délai de cinq mois. Cependant, le libellé dudit article et surtout le mode de calcul du délai n’excluent pas un dépassement de ce délai.
54. De surcroît, le délai commence à courir le jour où le dossier de demande d’autorisation est complet. Compte tenu de l’incertitude relative à la composition du dossier, le moment de départ du délai paraît incertain.
55. Quatrièmement, la Commission souligne que les voies de recours en cas de décision de refus d’inscription ne sont pas prévues par le décret de 2001. Le gouvernement français ne le conteste pas. Cependant, il soutient que la décision de refus d’inscription peut faire l’objet d’un recours même si les voies de recours contre une telle décision ne sont pas précisées par le décret de 2001. De plus, en droit français, il existe une obligation générale d’information des justiciables quant aux voies de
recours disponibles, ainsi que sur leurs conditions d’exercice.
56. Sur ce point, nous sommes d’accord avec l’argument du gouvernement français selon lequel l’exigence d’une possibilité de recours contre la décision de refus d’inscription ne signifie pas que les voies de recours contre une telle décision auraient dû être prévues par le décret de 2001. Le gouvernement français a établi l’existence d’une réglementation générale, à savoir le Code de justice administrative, qui garantit, de manière générale, la possibilité d’introduire un recours contre toute
décision administrative.
57. En conclusion, nous estimons donc que, en ne prévoyant pas une procédure aisément accessible permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription des auxiliaires technologiques sur la liste positive nationale des marchandises autorisées susceptible d’être menée à son terme dans des délais raisonnables, le décret de 2001, qui exige que la commercialisation des auxiliaires technologiques soit soumise à autorisation préalable, n’est pas conforme au droit communautaire.
58. Compte tenu du fait que tant le décret de 1912 que le décret de 2001 ne sont pas, à notre avis, assortis d’une procédure respectant le principe de proportionnalité, la détermination du décret applicable à la date pertinente, à savoir au terme du délai fixé dans l’avis motivé, importe peu. Cependant, nous estimons qu’un avis des autorités françaises aux entreprises du secteur alimentaire, publié au Journal officiel de la République française le 19 janvier 2002, indiquant que, à compter de sa
publication, il n’y avait pas d’obstacle à l’application des dispositions du décret de 2001 relatives au dépôt des dossiers et au principe de libre circulation, ne peut pas avoir d’effets contraignants à l’égard des tiers. Dans le cas contraire, cela irait à l’encontre du principe de sécurité juridique qui fait partie du principe de l’État de droit.
D — Système d’autorisation préalable et clause de reconnaissance mutuelle
59. Le présent recours a soulevé la question de savoir si le droit communautaire exigeait l’inclusion dans la réglementation nationale de clauses de reconnaissance mutuelle.
60. Dans l’arrêt du 10 février 2009, Commission/Italie ( 19 ), la Cour a, à nouveau, clairement précisé que l’article 28 CE reflétait l’obligation de respecter les principes de non-discrimination et de reconnaissance mutuelle des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, ainsi que celle d’assurer aux produits communautaires un libre accès aux marchés nationaux. Il en résulte qu’une clause de reconnaissance mutuelle constitue un des moyens pour satisfaire
l’obligation découlant de l’article 28 CE.
61. Toutefois, l’article 30 CE autorise certaines exceptions à l’obligation découlant de l’article 28 CE. Cela signifie que la réglementation nationale constituant une mesure d’effet équivalent ne doit pas contenir de clause de reconnaissance mutuelle si cette entrave peut être justifiée par l’un des motifs d’intérêt général énumérés à l’article 30 CE. Si la réglementation concernée contenait une clause de reconnaissance mutuelle, elle ne constituerait pas une mesure d’effet équivalent.
62. En confrontant l’arrêt du 22 octobre 1998, Commission/France ( 20 ) avec l’arrêt du , Commission/France ( 21 ), certains doutes pourraient surgir. Dans les deux cas, la Commission a reproché à la République française de n’avoir pas introduit dans sa réglementation, impliquant une entrave à la libre circulation des marchandises, une clause de reconnaissance mutuelle. Si, dans le premier cas, la Cour a constaté un manquement, dans le second cas, elle a rejeté ce grief du manquement. Cependant,
lesdites affaires se distinguent par le fait que, si, dans le second cas, la République française a prouvé que sa réglementation entravant la libre circulation des marchandises était justifiée par la protection de la santé publique, dans le premier cas, aucune considération relative à la protection de la santé publique n’a été avancée.
IV — Sur les dépens
63. En vertu de l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en ses moyens, nous considérons qu’il y a lieu de la condamner aux dépens.
V — Conclusion
64. Eu égard aux éléments qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:
— Constater qu’en prévoyant, pour les auxiliaires technologiques et denrées alimentaires pour la préparation desquelles ont été utilisés des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou commercialisés, un régime d’autorisation préalable qui n’est pas assorti d’une procédure permettant aux opérateurs économiques d’obtenir l’inscription des auxiliaires technologiques provenant d’autres États membres où ils sont légalement fabriqués et/ou
commercialisés sur la liste positive nationale des auxiliaires technologiques autorisés, respectant le principe de proportionnalité, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.
— Condamner la République française aux dépens.
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( 1 ) Langue originale: le français.
( 2 ) Par exemple, les solvants d’extraction qui sont harmonisés par la directive 88/344/CE du Conseil, du 13 juin 1988, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les solvants d’extraction utilisés dans la fabrication des denrées alimentaires et de leurs ingrédients (JO L 157, p. 28).
( 3 ) Par exemple, les vins qui sont couverts par le règlement (CE) no 1493/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 179, p. 1).
( 4 ) JO L 31, p. 1.
( 5 ) Les termes «produits chimiques» utilisés dans le décret de 1912 recouvrent les termes «auxiliaires technologiques» qui n’étaient pas connus en 1912.
( 6 ) Il s’agit d’une mise en demeure complémentaire qui annulait et remplaçait la lettre de mise en demeure du 3 juillet 1996 et l’avis motivé du .
( 7 ) Conformément à la demande des autorités françaises, la Commission a accepté de proroger le délai de réponse à la lettre de mise en demeure.
( 8 ) C-24/00, Rec. p. I-1277, point 23.
( 9 ) C-219/07, Rec. p. I-4475, point 23.
( 10 ) Voir arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral (120/78, Rec. p. 649, point 8); du , Commission/Italie (C-420/01, Rec. p. I-6445, point 29); du , Commission/Italie (C-270/02, Rec. p. I-1559, point 21), et du , Schwarz (C-366/04, Rec. p. I-10139, point 30).
( 11 ) Cité note 8, points 49 à 75.
( 12 ) Voir arrêt du 5 mars 2009, Commission/Espagne (C-88/07, Rec. p. I-1353, point 86 et jurisprudence citée).
( 13 ) Voir arrêt du 5 mars 2009, Commission/Espagne (cité note 12, point 89 et jurisprudence citée).
( 14 ) Voir arrêts du 16 juillet 1992, Commission/France (C-344/90, Rec. p. I-4719, points 8 à 10 et jurisprudence citée); du , Commission/France (cité note 8, point 25), ainsi que du , Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel (cité note 9, points 33 à 36).
( 15 ) Voir arrêt du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel (cité note 9, point 35 et jurisprudence citée).
( 16 ) Cité note 8, points 36 à 42.
( 17 ) Pour une meilleure compréhension, nous avons modifié l’ordre des arguments de la Commission.
( 18 ) Voir jurisprudence citée à la note 15.
( 19 ) C-110/05, Rec. p. I-519, point 34 et jurisprudence citée.
( 20 ) C-184/96, Rec. p. I-6197.
( 21 ) Cité note 8.