ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
25 février 2010 ( *1 )
«Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 5, point 1, sous b) — Compétence en matière contractuelle — Détermination du lieu d’exécution de l’obligation — Critères de distinction entre ‘vente de marchandises’ et ‘fourniture de services’»
Dans l’affaire C-381/08,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 9 juillet 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure
Car Trim GmbH
contre
KeySafety Systems Srl,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur), G. Arestis et T. von Danwitz, juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour KeySafety Systems Srl, par Me C. von Mettenheim, Rechtsanwalt,
— pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,
— pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme H. Walker, en qualité d’agent, assistée de M. A. Henshaw, barrister,
— pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes A.-M. Rouchaud-Joët et S. Grünheid, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 septembre 2009,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement»), et, plus particulièrement, sur la question de savoir comment il convient de fixer la délimitation entre les contrats de «vente de marchandises» et les contrats de «fourniture de
services» ainsi que de déterminer le lieu d’exécution en cas de vente à distance.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Car Trim GmbH (ci-après «Car Trim») à l’entreprise KeySafety Systems Srl (ci-après «KeySafety») au sujet des obligations contractuelles des parties concernant la livraison de composants pour la fabrication de systèmes d’airbags.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 En vertu de l’article 68, point 1, du règlement, entré en vigueur le 1er mars 2002, celui-ci remplace, entre tous les États membres, excepté le Royaume de Danemark, la convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention.
4 Conformément à son deuxième considérant, le règlement a pour objet, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, «d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement».
5 Les onzième et douzième considérants du règlement précisent de la manière suivante le rapport entre les différentes règles de compétence ainsi que leurs objectifs réglementaires:
«(11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. […]
(12) Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.»
6 L’article 2, point 1, du règlement, qui fait partie de la section 1 du chapitre II, intitulée «Dispositions générales», est libellé comme suit:
«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»
7 L’article 5 du règlement, qui fait partie de la section 2 du chapitre II, intitulée «Compétences spéciales», énonce:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
— pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
— pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;
[…]»
8 L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (JO L 171, p. 12), dispose:
«Aux fins de la présente directive, sont également réputés être des contrats de vente les contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer ou à produire.»
La réglementation internationale
9 La convention des Nations unies, signée à Vienne le 11 avril 1980, sur les contrats de vente internationale de marchandises (ci-après la «CVIM») est entrée en vigueur en Italie le et en Allemagne le .
10 Le troisième alinéa du préambule de la CVIM dispose:
«[…] [L’]adoption de règles uniformes applicables aux contrats de vente internationale de marchandises et compatibles avec les différents systèmes sociaux, économiques et juridiques contribuera à l’élimination des obstacles juridiques aux échanges internationaux et favorisera le développement du commerce international».
11 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la CVIM:
«La présente [c]onvention s’applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents:
a) lorsque ces États sont des États contractants […]»
12 L’article 3 de la CVIM prévoit au sujet de son champ d’application matériel:
«1. Sont réputés ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n’ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production.
2. La présente [c]onvention ne s’applique pas aux contrats dans lesquels la part prépondérante de l’obligation de la partie qui fournit les marchandises consiste en une fourniture de main-d’œuvre ou d’autres services.»
13 Selon l’article 30 de la CVIM, «le vendeur s’oblige, dans les conditions prévues au contrat et par la présente [c]onvention, à livrer les marchandises, à en transférer la propriété et, s’il y a lieu, à remettre les documents s’y rapportant».
14 L’article 31 de la CVIM dispose:
«Si le vendeur n’est pas tenu de livrer les marchandises en un autre lieu particulier, son obligation de livraison consiste:
a) lorsque le contrat de vente implique un transport des marchandises, à remettre les marchandises au premier transporteur pour transmission à l’acheteur;
[…]»
15 Aux termes de l’article 6 de la convention des Nations unies, signée à New York le 14 juin 1974, sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises:
«1. La présente [c]onvention ne s’applique pas aux contrats dans lesquels la partie prépondérante des obligations du vendeur consiste en une fourniture de main-d’œuvre ou d’autres services.
2. Sont assimilés aux ventes les contrats de fourniture d’objets mobiliers corporels à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande la chose n’ait à fournir une partie essentielle des éléments nécessaires à cette fabrication ou production.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 KeySafety, établie en Italie, fournit des systèmes d’airbags à des fabricants de voitures italiens et a acheté, à Car Trim, des composants entrant dans la fabrication de ces systèmes, conformément à cinq contrats de livraison, du mois de juillet 2001 au mois de décembre 2003 (ci-après les «contrats»).
17 KeySafety a dénoncé lesdits contrats avec effet à la fin de l’année 2003. Estimant que les contrats devaient courir, pour partie, jusqu’en été 2007, Car Trim a considéré ces résiliations comme autant de ruptures de contrat et a introduit un recours en dommages et intérêts devant le Landgericht Chemnitz, juridiction du site de production des composants. Celui-ci s’est déclaré incompétent pour connaître du recours, faute de compétence internationale des tribunaux allemands.
18 L’Oberlandesgericht a rejeté l’appel formé par la requérante.
19 Cette dernière juridiction a fait observer que les contrats obligeaient la requérante à fabriquer, à la manière d’un équipementier automobile, des airbags d’une forme déterminée, avec des produits achetés à des fournisseurs prédéterminés, pour pouvoir les livrer sur demande, suivant les besoins du processus de production de KeySafety et selon un grand nombre de prescriptions relatives à l’organisation du travail, au contrôle de qualité, à l’emballage, à l’étiquetage, aux bons de livraison et aux
factures.
20 Car Trim a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesgerichtshof.
21 Pour la juridiction de renvoi, la solution de ce recours porte sur le point de savoir si c’est à tort que le Landgericht Chemnitz a nié sa compétence internationale, qu’il devait apprécier sur le fondement du règlement.
22 La réponse à cette question dépend de l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), dudit règlement, dans la mesure où la défenderesse a son siège, qui peut servir de critère de compétence, au titre de l’article 2 du règlement, en Italie, et que l’Oberlandesgericht a constaté qu’il n’y a ni compétence exclusive des juridictions allemandes, au titre de l’article 22 du règlement, ni prorogation de compétence explicite ou implicite, au titre des articles 23 et 24 dudit règlement.
23 Par conséquent, les juridictions allemandes ne peuvent être compétentes pour statuer sur le recours en dommages et intérêts que si le lieu de la production est considéré comme lieu d’exécution de l’obligation qui sert de «base à la demande» au sens de l’article 5, point 1, du règlement.
24 La juridiction de renvoi estime que le tribunal compétent est celui avec lequel le lien de rattachement géographique est le plus étroit, en raison du lieu d’exécution de la prestation caractéristique du contrat. Par conséquent, celle-ci serait déterminée par la prestation contractuelle prépondérante, qui devrait être appréhendée en fonction de critères économiques, faute d’un autre lien de rattachement adéquat. Ce critère de la prestation économique prépondérante serait celui aussi dégagé à
l’article 3, paragraphe 2, de la CVIM ou à l’article 6, paragraphe 2, de la convention des Nations unies du 14 juin 1974 sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises.
25 Dans l’hypothèse où le lieu d’exécution déterminant le for serait celui de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, il conviendrait de définir l’endroit où les marchandises vendues ont été ou auraient dû être livrées en vertu des contrats. La juridiction de renvoi considère que, même pour les ventes à distance, ce lieu d’exécution se réfère à l’endroit où l’acheteur acquiert ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposition effective sur la chose livrée, en vertu des contrats.
26 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 5, point 1, sous b), du règlement […] doit-il être interprété en ce sens que des contrats relatifs à la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire doivent être qualifiés de ventes de marchandises (premier tiret) et non de fournitures de services (second tiret), même lorsque l’acheteur a formulé certaines exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison de ces marchandises, notamment quant à la garantie de la qualité de fabrication, la fiabilité des
livraisons et le bon déroulement administratif du traitement de la commande? Quels sont les critères déterminants pour faire la délimitation?
2) Si l’on a affaire à une vente de marchandises, le lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées doit-il être déterminé, lorsqu’il s’agit de ventes à distance, sur la base du lieu de la remise matérielle à l’acheteur ou de celui où les marchandises sont remises au premier transporteur en vue de leur transmission à l’acheteur?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
27 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour comment il convient de délimiter les «contrats de vente de marchandises» et les «contrats de fourniture de services» au sens de l’article 5, point 1, sous b), du règlement, en cas de contrat relatif à la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire lorsque l’acheteur a formulé certaines exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison de ces marchandises.
28 À titre liminaire, il y a lieu de relever que cette question a été posée à l’occasion d’un litige opposant deux fabricants dans le secteur automobile. Ce secteur industriel se caractérise par une forte coopération entre les fabricants. L’offre de produit fini doit s’adapter aux exigences précises et aux spécifications individuelles de l’acheteur. Généralement, ce dernier détermine avec précision ses besoins et fournit des instructions pour la production que le fournisseur doit respecter.
29 Dans un tel processus de fabrication, qui est également utilisé dans d’autres secteurs de l’économie moderne, la production de marchandises peut inclure une fourniture de services qui contribue, ensemble avec la livraison suivante du produit fini, à la réalisation de l’objet final du contrat en cause.
30 Le libellé de l’article 5, point 1, sous b), du règlement ne contient ni une définition des deux catégories de contrat ni des éléments de différenciation de ces deux catégories lors de la vente de marchandises incluant en même temps la fourniture de services. En particulier, le premier tiret de ladite disposition, relatif à la vente de marchandises, ne précise pas s’il s’applique également lorsque la marchandise en question doit être fabriquée ou produite par le vendeur en respectant certaines
exigences formulées à cet égard par l’acheteur, eu égard au fait qu’une telle fabrication ou production ou une partie de celle-ci pourrait être qualifiée de «service» au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement.
31 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 5, point 1, du règlement retient pour les contrats de vente de marchandises et ceux de fourniture de services l’obligation caractéristique de ces contrats en tant que critère de rattachement à la juridiction compétente (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C-533/07, Rec. p. I-3327, point 54).
32 Compte tenu de cette considération, il y a donc lieu de se fonder sur l’obligation caractéristique des contrats en cause. Un contrat dont l’obligation caractéristique est la livraison d’un bien sera qualifié de «vente de marchandises» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement. Un contrat dont l’obligation caractéristique est une prestation de services sera qualifié de «fourniture de services» au sens dudit article 5, point 1, sous b), second tiret.
33 Afin de déterminer l’obligation caractéristique des contrats en cause, il y a lieu de prendre en considération les éléments suivants.
34 En premier lieu, il convient de relever que la qualification d’un contrat qui a pour objet la vente de marchandises qui doivent d’abord être fabriquées ou produites par le vendeur est réglée par certaines dispositions du droit de l’Union et du droit international qui peuvent orienter l’interprétation à conférer aux notions de «vente de marchandises» et de «fourniture de services».
35 Tout d’abord, en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 1999/44, les contrats de fourniture de biens de consommation à fabriquer ou à produire sont réputés être des contrats de vente et, selon l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de cette directive, tout objet mobilier corporel est qualifié de «bien de consommation» avec certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes dans une affaire telle que celle au principal.
36 En outre, selon l’article 3, paragraphe 1, de la CVIM, sont réputés contrats de vente ceux de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n’ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou à cette production.
37 De plus, l’article 6, paragraphe 2, de la convention des Nations unies du 14 juin 1974 sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises prévoit également que sont assimilés aux ventes les contrats de fourniture d’objets mobiliers corporels à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande la chose n’ait à fournir une partie essentielle des éléments nécessaires à cette fabrication ou production.
38 Dès lors, les dispositions susmentionnées constituent un indice que le fait que la marchandise à livrer est à fabriquer ou à produire au préalable ne modifie pas la qualification du contrat en cause comme contrat de vente.
39 Par ailleurs, la Cour est parvenue au même résultat en matière de marchés publics. Dans l’arrêt du 11 juin 2009, Hans & Christophorus Oymanns (C-300/07, Rec. p. I-4779), la Cour a jugé, au point 64 de cet arrêt, que la notion de «marchés publics de fournitures», contenue à l’article 1er, paragraphe 2, sous c), premier alinéa, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du , relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et
de services (JO L 134, p. 114), comprend l’achat de produits, indépendamment de la question de savoir si le produit considéré est mis à la disposition des consommateurs déjà prêt ou après avoir été fabriqué selon les exigences de ceux-ci. Au point 66 dudit arrêt, la Cour a conclu que, en cas de mise à disposition de marchandises qui sont fabriquées et adaptées individuellement en fonction des besoins de chaque client, la confection desdites marchandises fait partie de la fourniture des
marchandises en cause.
40 En deuxième lieu, il convient de tenir compte du critère évoqué par la Commission des Communautés européennes relatif à l’origine des matériaux à transformer. Le fait que ceux-ci ont été fournis ou non par l’acheteur, aux fins de l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), du règlement, peut être également pris en considération. Si l’acheteur a fourni la totalité ou la majorité des matériaux à partir desquels la marchandise est fabriquée, cette circonstance peut constituer un indice en
faveur de la qualification du contrat comme «contrat de fourniture de services». En revanche, dans le cas contraire, en l’absence de fourniture de matériaux par l’acheteur, il existe un indice fort pour que le contrat soit qualifié de «contrat de vente de marchandises».
41 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, dans l’affaire au principal, même si KeySafety a déterminé les fournisseurs auprès desquels Car Trim devait s’approvisionner en certaines pièces, elle n’a mis aucun matériau à la disposition de cette dernière.
42 En troisième lieu, même si la juridiction de renvoi ne fournit aucune information à cet égard, il est nécessaire de relever que la responsabilité du fournisseur peut aussi être un élément à considérer lors de la qualification de l’obligation caractéristique du contrat en cause. Si le vendeur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, qui est le résultat de son activité, cette responsabilité fera pencher la balance vers une qualification en tant que «contrat de
vente de marchandises». En revanche, si celui-ci n’est responsable que de l’exécution correcte suivant les instructions de l’acheteur, cette circonstance milite plutôt en faveur d’une qualification du contrat en tant que «fourniture de services».
43 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que les contrats dont l’objet est la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire, alors même que l’acheteur a formulé certaines exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison des marchandises, sans que les matériaux aient été fournis par celui-ci, et que le fournisseur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, doivent être qualifiés de «vente de
marchandises» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement.
Sur la seconde question
44 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, en présence d’un contrat de vente à distance, le lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être «livrées», au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, doit être déterminé sur la base du lieu de la remise matérielle à l’acheteur.
45 D’emblée, il convient de souligner que, en vertu de l’article 5, point 1, sous b), du règlement, les parties au contrat disposent d’une autonomie de volonté pour déterminer le lieu de livraison des marchandises.
46 En effet, l’expression «sauf convention contraire» figurant à l’article 5, point 1, sous b), du règlement indique que les parties peuvent passer une convention afin de s’entendre sur le lieu d’exécution de l’obligation aux fins de l’application de cette disposition. De plus, aux termes de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement, qui mentionne l’expression «en vertu du contrat», le lieu de livraison des marchandises est en principe celui retenu par les parties dans le contrat.
47 Afin de répondre à la question posée, la Cour se fonde sur la genèse, les objectifs et le système du règlement (voir arrêts du 3 mai 2007, Color Drack, C-386/05, Rec. p. I-3699, point 18, et du , Rehder, C-204/08, Rec. p. I-6073, point 31).
48 Il est de jurisprudence constante que la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 1, du règlement, en matière contractuelle, qui complète la règle de compétence de principe du for du domicile du défendeur, répond à un objectif de proximité et est motivée par l’existence d’un lien de rattachement étroit entre le contrat et le tribunal appelé à en connaître (voir arrêts précités Color Drack, point 22, et Rehder, point 32).
49 En ce qui concerne le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, le règlement définit, à son article 5, point 1, sous b), premier tiret, de manière autonome ce critère de rattachement pour la vente de marchandises, afin de renforcer l’objectif primordial d’unification des règles de compétence judiciaire dans un souci de prévisibilité (voir, en ce sens, arrêts précités Color Drack, point 24, et Rehder, point 33).
50 Dans le cadre du règlement, cette règle de compétence spéciale en matière contractuelle consacre ainsi le lieu de livraison en tant que critère de rattachement autonome, qui a vocation à s’appliquer à toutes les demandes fondées sur un même contrat de vente de marchandises et non seulement à celles fondées sur l’obligation de livraison elle-même (arrêt Color Drack, précité, point 26).
51 Pour autant, aucune disposition du règlement ne définit les notions de «livraison» et de «lieu de livraison» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement.
52 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, lors de la genèse de cette disposition, la Commission, dans sa proposition de règlement (CE) du Conseil du 14 juillet 1999 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [COM(1999) 348 final, p. 14], a souligné que cette disposition était destinée à «pallier les inconvénients du recours aux règles de droit international privé de l’État dont la juridiction est saisie» et que cette
«désignation pragmatique du lieu d’exécution» reposait sur un critère purement factuel.
53 Tout d’abord, il convient de constater que l’autonomie des critères de rattachement, prévus à l’article 5, point 1, sous b), du règlement, exclut le recours aux règles de droit international privé de l’État membre du for, ainsi qu’au droit matériel qui, en vertu de celui-ci, serait applicable.
54 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner d’abord si le lieu de livraison ressort des dispositions du contrat.
55 S’il est possible d’identifier le lieu de livraison ainsi, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, c’est ce lieu qui est considéré comme celui où les marchandises ont été ou auraient dû êtres livrées, en vertu du contrat au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement.
56 En revanche, il peut y avoir des situations où le contrat ne contiendrait aucune disposition révélant, sans recours au droit matériel applicable, la volonté des parties quant au lieu de livraison des marchandises.
57 Dans de telles situations, la règle de compétence prévue à l’article 5, point 1, sous b), du règlement étant de nature autonome, il convient de déterminer ce lieu en fonction d’un autre critère qui respecte la genèse, les objectifs et le système du règlement.
58 La juridiction de renvoi envisage deux lieux qui pourraient servir de lieu de livraison aux fins de la fixation d’un tel critère autonome, applicable en l’absence d’une disposition contractuelle. Le premier est celui de la remise matérielle de la marchandise à l’acheteur et le second est celui de la remise de la marchandise au premier transporteur en vue de la transmission à l’acheteur.
59 Il convient de considérer, à l’instar de la juridiction de renvoi, que ces deux lieux apparaissent les plus aptes à déterminer par défaut le lieu d’exécution où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.
60 Il y a lieu de constater que le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être matériellement remises à l’acheteur à la destination finale de celles-ci correspond le mieux à la genèse, aux objectifs et au système du règlement, en tant que «lieu de livraison» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, de celui-ci.
61 Ce critère présente un degré élevé de prévisibilité. Il répond également à l’objectif de proximité, en ce qu’il assure l’existence d’un lien de rattachement étroit entre le contrat et le tribunal appelé à en connaître. Il convient de relever, en particulier, que les marchandises, qui constituent l’objet matériel du contrat, doivent se trouver, en principe, en ce lieu après l’exécution de ce contrat. De plus, l’objectif fondamental d’un contrat de vente de marchandises est le transfert de
celles-ci du vendeur à l’acheteur, opération qui ne s’achève de manière complète que lors de l’arrivée desdites marchandises à leur destination finale.
62 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au
contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
1) L’article 5, point 1, sous b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que les contrats dont l’objet est la livraison de marchandises à fabriquer ou à produire, alors même que l’acheteur a formulé certaines exigences concernant l’obtention, la transformation et la livraison des marchandises, sans que les matériaux aient été
fournis par celui-ci, et que le fournisseur est responsable de la qualité et de la conformité au contrat de la marchandise, doivent être qualifiés de «vente de marchandises» au sens de l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, de ce règlement.
2) L’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens que, en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat. S’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a
acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.