Affaire C-512/08
Commission européenne
contre
République française
«Manquement d’État — Article 49 CE — Sécurité sociale — Soins médicaux envisagés dans un autre État membre et nécessitant le recours à des équipements matériels lourds — Exigence d’autorisation préalable — Soins programmés dispensés dans un autre État membre — Différence entre les niveaux de couverture en vigueur, respectivement, dans l’État membre d’affiliation et dans l’État membre de séjour — Droit de l’assuré social à une intervention de l’institution compétente complémentaire de celle de
l’institution de l’État membre de séjour»
Sommaire de l'arrêt
Libre prestation des services — Restrictions — Réglementation nationale relative au remboursement des frais médicaux engagés dans un autre État membre
(Art. 49 CE)
Ne manque pas aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE un État membre dont la réglementation nationale subordonne, en dehors de situations particulières liées, notamment, à l’état de santé de l’affilié ou au caractère urgent des soins requis, à l'exigence d’une autorisation préalable la prise en charge par l’institution compétente, selon le régime de couverture en vigueur dans l’État membre dont elle relève, de soins programmés dans un autre État membre et impliquant le recours
à des équipements matériels lourds en dehors d’infrastructures hospitalières.
En effet, si une telle réglementation est de nature à décourager, voire à empêcher, les assurés sociaux du système national en cause de s’adresser à des prestataires de services médicaux établis dans un autre État membre aux fins d’obtenir les soins en cause et constitue, dès lors, tant pour ces assurés que pour les prestataires, une restriction à la libre prestation des services, il n'en reste pas moins que, au regard des risques pour l’organisation de la politique de santé publique et pour
l’équilibre financier du système de sécurité sociale, une telle exigence apparaît, en l’état actuel du droit de l’Union, comme une restriction justifiée. Ces risques sont liés au fait que, indépendamment du milieu, hospitalier ou non, dans lequel ils ont vocation à être installés et utilisés, les équipements matériels lourds, limitativement énumérés par la réglementation nationale en cause, doivent pouvoir faire l’objet d’une politique de planification, telle que celle définie par cette
réglementation, en ce qui concerne, notamment, leur nombre et leur répartition géographique, et ce afin de contribuer à garantir sur l’ensemble du territoire national une offre de soins de pointe qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible, mais aussi afin d’éviter dans la mesure du possible tout gaspillage de moyens financiers, techniques et humains.
En l’absence de preuve de pratiques administratives contraires au droit de l’Union et d'éventuelles plaintes formulées en cette matière par des assurés sociaux, une réglementation nationale qui, corroborée par au moins une décision rendue par une juridiction nationale suprême, énonce le principe général de la prise en charge, par l’institution nationale compétente, des soins dispensés à un assuré social du système national de sécurité sociale dans un autre État membre ou dans un État partie à
l’accord sur l’Espace économique européen, dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus dans l'État membre en question, et dans les limites des dépenses effectivement engagées par l’assuré social, ne donne pas lieu à une situation susceptible de priver les assurés sociaux du système national en cause du droit à un remboursement complémentaire dans l’hypothèse, visée par l’arrêt du 12 juillet 2001, Vanbraekel e.a., C-368/98, dans laquelle le remboursement de frais exposés pour des
services hospitaliers fournis dans l’État membre de séjour, remboursement résultant de l’application des règles en vigueur dans cet État membre, est inférieur à celui qui aurait résulté de l’application de la législation en vigueur dans l’État membre d’affiliation. Par la généralité de ses termes, une telle réglementation englobe le droit à un remboursement complémentaire à charge de l’institution nationale compétente dans l’hypothèse visée par ledit arrêt.
(cf. points 27-28, 32, 37, 42-43, 51, 57-58, 67-69)
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
5 octobre 2010 (*)
«Manquement d’État – Article 49 CE – Sécurité sociale – Soins médicaux envisagés dans un autre État membre et nécessitant le recours à des équipements matériels lourds – Exigence d’autorisation préalable – Soins programmés dispensés dans un autre État membre – Différence entre les niveaux de couverture en vigueur, respectivement, dans l’État membre d’affiliation et dans l’État membre de séjour – Droit de l’assuré social à une intervention de l’institution compétente complémentaire de celle de
l’institution de l’État membre de séjour»
Dans l’affaire C‑512/08,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 25 novembre 2008,
Commission européenne, représentée par M^me N. Yerrell ainsi que par MM. G. Rozet et E. Traversa, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
République française, représentée par M^me A. Czubinski et M. G. de Bergues, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par:
Royaume d’Espagne, représenté par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent,
République de Finlande, représentée par M^me A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agent,
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par M^me I. Rao, puis par M. S. Ossowski, en qualité d’agents, assistés de M^me M.-E. Demetriou, barrister,
parties intervenantes,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts (rapporteur), J.-C. Bonichot et M^me C. Toader, présidents de chambre, MM. K. Schiemann, P. Kūris, E. Juhász, G. Arestis, A. Arabadjiev, J.-J. Kasel et M. Safjan, juges,
avocat général: M^me E. Sharpston,
greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mars 2010,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 juillet 2010,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en subordonnant, en vertu de l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale, à la délivrance d’une autorisation préalable le remboursement des prestations médicales accessibles en cabinet de ville nécessitant le recours à des équipements matériels lourds figurant à l’article R. 712-2-II du code de la santé publique (devenu article R. 6122-26 de ce code), d’une part, et en ne prévoyant pas, audit
article R. 332-4 ou dans une autre disposition du droit français, la possibilité d’octroyer au patient, assuré social du système français, un remboursement complémentaire dans les conditions prévues au point 53 de l’arrêt du 12 juillet 2001, Vanbraekel e.a. (C‑368/98, Rec. p. I-5363), d’autre part, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 CE.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement (CE) n° 1992/2006 du
Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»):
«Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article 18 et:
a) dont l’état vient à nécessiter des prestations en nature nécessaires du point de vue médical au cours d’un séjour sur le territoire d’un autre État membre, compte tenu de la nature des prestations et de la durée prévue du séjour
ou
[…]
c) qui est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,
a droit:
i) aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour […], selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l’État compétent;
[…]»
Le droit national
Le code de la sécurité sociale
3 La prise en charge des soins de santé dispensés à des assurés sociaux du système français en dehors de la France est régie, notamment, par les articles R. 332-3 et R. 332-4 du code de la sécurité sociale, lesquels ont été introduits dans ce code par le décret n° 2005-386, du 19 avril 2005, relatif à la prise en charge des soins reçus hors de France et modifiant le code de la sécurité sociale (deuxième partie: décrets en Conseil d’État) (JORF du 27 avril 2005, p. 7321).
4 Ces articles du code de la sécurité sociale disposent:
«Article R. 332-3
Les caisses d’assurance maladie procèdent au remboursement des frais des soins dispensés aux assurés sociaux et à leurs ayants droit dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France, sans que le montant du remboursement puisse excéder le montant des dépenses engagées par l’assuré et sous réserve des adaptations prévues aux articles R. 332-4 à R. 332-6.
Article R. 332-4
Hors l’hypothèse de soins inopinés, les caisses d’assurance maladie ne peuvent procéder que sur autorisation préalable au remboursement des frais des soins hospitaliers ou nécessitant le recours aux équipements matériels lourds mentionnés au II de l’article R. 712-2 du code de la santé publique dispensés aux assurés sociaux et à leurs ayants droit dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen et appropriés à leur état.
Cette autorisation ne peut être refusée qu’à l’une des deux conditions suivantes:
1° Les soins envisagés ne figurent pas parmi les soins dont la prise en charge est prévue par la réglementation française;
2° Un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité peut être obtenu en temps opportun en France, compte tenu de l’état du patient et de l’évolution probable de son affection.
L’assuré social adresse la demande d’autorisation à sa caisse d’affiliation. La décision est prise par le contrôle médical. Elle doit être notifiée dans un délai compatible avec le degré d’urgence et de disponibilité des soins envisagés et au plus tard deux semaines après la réception de la demande. En l’absence de réponse à l’expiration de ce dernier délai, l’autorisation est réputée accordée.
Les décisions de refus sont dûment motivées et susceptibles de recours dans les conditions de droit commun devant le tribunal des affaires de sécurité sociale compétent. Toutefois, les contestations de ces décisions, lorsqu’elles portent sur l’appréciation faite par le médecin-conseil de l’état du malade, du caractère approprié à son état des soins envisagés ou du caractère identique ou d’un même degré d’efficacité du ou des traitements disponibles en France, sont soumises à expertise médicale dans
les conditions prévues par le chapitre I^er du titre IV du livre I^er du présent code.»
5 L’application du décret n° 2005-386 a fait l’objet de la circulaire DSS/DACI/2005/235, du 19 mai 2005 (ci-après la «circulaire du 19 mai 2005»), dans laquelle figurent les énonciations suivantes:
«Le décret n° 2005-386 [...] parachève l’intégration en droit interne de la jurisprudence communautaire relative à la libre prestation de services et à la libre circulation des marchandises en matière de soins de santé.
[…]
Il détermine les conditions de prise en charge des soins reçus à l’étranger en fonction de la zone géographique dans laquelle ils ont été délivrés: […] son article 3 crée quatre nouveaux articles (R. 332-3, R. 332-4, R. 332-5 et R. 332-6) spécifiques aux soins reçus en [Union européenne – Espace économique européen (UE-EEE)].
[…]
II – La prise en charge des soins reçus en UE-EEE (articles R. 332-3, R. 332-4, R. 332-5, R. 332-6)
Ces quatre nouveaux articles concernent spécifiquement les soins reçus en UE-EEE.
Ils comprennent un article de portée générale qui affirme le principe de la prise en charge des soins reçus dans un autre État membre et trois articles d’adaptation à des situations particulières.
[…]
B – Les adaptations particulières (articles R. 332-4, R. 332-5 et R. 332-6)
Les articles R. 332-4, R. 332-5 et R. 332-6 complètent l’article R. 332-3 en apportant certaines adaptations du principe posé par cet article dans les situations suivantes:
1 – Les soins hospitaliers (article R. 332-4)
– L’article R. 332-4 encadre le remboursement des soins hospitaliers et le recours à des équipements matériels lourds – type IRM, TEP-SCAN, etc. – listés au II de l’article R. 712-2 du code de la santé publique [...], auxquels il est possible d’avoir accès hors de l’hôpital, en cabinet de ville.
– Cet article ne s’applique pas aux soins reçus inopinément à l’occasion d’un séjour temporaire (professionnel, familial, touristique, etc.), qui doivent être pris en charge sur la base des règlements [(CEE)] n° 1408/71 et n° 574/72 de coordination des régimes de sécurité sociale en Europe, que l’assuré ait ou non présenté dans l’État du lieu de soins un document communautaire attestant l’ouverture de ses droits.
– La prise en charge des soins hospitaliers et du recours à des équipements matériels lourds reste subordonnée à la délivrance d’une autorisation préalable par l’organisme d’affiliation de l’assuré qui envisage d’obtenir ces prestations en UE-EEE.
Cette restriction est autorisée par la [Cour de justice des Communautés européennes], les soins hospitaliers comme le recours à des équipements matériels lourds étant susceptibles, en cas de totale liberté d’accès hors du territoire national, de porter gravement atteinte à l’organisation du système sanitaire ou à l’équilibre financier du système de sécurité sociale de l’État d’affiliation de l’assuré.
Toutefois, en pratique, les organismes d’assurance maladie ne doivent pas systématiquement refuser de délivrer l’autorisation préalable pour ce type de prestations programmées dans un autre État membre.
L’autorisation préalable ne peut en effet être refusée, si les soins envisagés sont prévus au remboursement en France et si ces soins, ou un traitement d’effet équivalent, ne sont pas disponibles en temps opportun, c’est-à-dire dans un délai compatible avec l’état du patient et l’évolution probable de son affection.
[…]
– Bien entendu, les décisions de refus doivent être motivées. La [Cour de justice] n’admet pas, en cas de refus d’autorisation préalable, que la décision n’indique pas précisément à l’assuré les raisons pour lesquelles il ne lui est pas permis d’obtenir ses soins dans un autre État membre. Ainsi, la simple mention, sans précisions supplémentaires, de l’existence des soins pouvant être délivrés en France en temps opportun, ne peut pas être considérée comme suffisante au regard des exigences de
la [Cour de justice]. Les décisions de refus doivent donc comporter, dès lors qu’il est répondu au demandeur qu’un traitement d’effet équivalent peut être délivré en France, les éléments de faits fondant cette affirmation. Il pourra notamment être utile de communiquer une liste d’établissements ou de professionnels de santé susceptibles de prodiguer au patient les soins nécessaires dans le délai requis.
– Dans les régions qui souffrent d’un déficit d’offre de soins hospitaliers spécifiques ou d’équipements matériels lourds, les organismes d’assurance maladie devront systématiquement autoriser la prise en charge de certaines catégories de soins programmés en UE-EEE. Une prochaine circulaire précisera les régions et les types de soins hospitaliers ou équipements matériels lourds concernés par cette disposition.»
6 La circulaire du 19 mai 2005 a été modifiée et complétée par la circulaire DSS/DACI/2008/242, du 21 juillet 2008, relative à la prise en charge des soins reçus dans un autre État membre de l’UE – EEE (ci-après la «circulaire du 21 juillet 2008»), dans laquelle il est indiqué, notamment, que «même si [la] jurisprudence [Vanbraekel e.a.] est d’ores et déjà appliquée par les caisses», celles-ci sont confrontées à de nombreuses difficultés concrètes. Dans cette circulaire, le ministre compétent
«demande néanmoins [aux responsables des organismes concernés] de continuer à faire le nécessaire pour mettre en œuvre le dispositif de complément différentiel, en cas de demande de l’assuré».
Le code de la santé publique
7 L’article L. 6121-1 du code de la santé publique prévoit:
«Le schéma d’organisation sanitaire a pour objet de prévoir et susciter les évolutions nécessaires de l’offre de soins préventifs, curatifs et palliatifs afin de répondre aux besoins de santé physique et mentale. Il inclut également l’offre de soins pour la prise en charge des femmes enceintes et des nouveau-nés.
Le schéma d’organisation sanitaire vise à susciter les adaptations et les complémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations, notamment entre les établissements de santé. Il fixe des objectifs en vue d’améliorer la qualité, l’accessibilité et l’efficience de l’organisation sanitaire.
Il tient compte de l’articulation des moyens des établissements de santé avec la médecine de ville et le secteur médico-social et social ainsi que de l’offre de soins des régions limitrophes et des territoires frontaliers.
Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe la liste des thèmes, des activités de soins et des équipements lourds devant figurer obligatoirement dans un schéma d’organisation sanitaire.
Le schéma d’organisation sanitaire est arrêté sur la base d’une évaluation des besoins de santé de la population et de leur évolution compte tenu des données démographiques et épidémiologiques et des progrès des techniques médicales et après une analyse, quantitative et qualitative, de l’offre de soins existante.
Le schéma d’organisation sanitaire peut être révisé en tout ou partie, à tout moment. Il est réexaminé au moins tous les cinq ans.»
8 L’article L. 6122-1 dudit code énonce:
«Sont soumis à l’autorisation de l’agence régionale de l’hospitalisation les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, et l’installation des équipements matériels lourds.
La liste des activités de soins et des équipements matériels lourds soumis à autorisation est fixée par décret en Conseil d’État.»
9 L’article R. 6122-26 du code de la santé publique, qui reprend les dispositions de l’article R. 712-2-II de ce code, dispose:
«Sont soumis à l’autorisation prévue à l’article L. 6122-1 les équipements matériels lourds énumérés ci-après:
1° Caméra à scintillation munie ou non de détecteur d’émission de positons en coïncidence, tomographe à émissions, caméra à positons;
2° Appareil d’imagerie ou de spectrométrie par résonance magnétique nucléaire à utilisation clinique;
3° Scanographe à utilisation médicale;
4° Caisson hyperbare;
5° Cyclotron à utilisation médicale.»
La procédure précontentieuse
10 À la suite d’une plainte, la Commission a adressé à la République française, le 18 octobre 2006, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle alléguait l’absence de conformité de l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale à l’article 49 CE, tel qu’interprété par la Cour. Trois griefs spécifiques étaient énoncés au soutien de cette allégation, à savoir:
– l’exigence d’une autorisation préalable pour le remboursement de certains soins non hospitaliers dispensés dans un autre État membre;
– l’absence de disposition prévoyant l’envoi d’un accusé de réception au demandeur d’une autorisation préalable à la prise en charge de soins hospitaliers prodigués dans un autre État membre, et
– l’absence de disposition permettant d’accorder à un assuré social du système français un remboursement complémentaire dans les conditions prévues au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
11 Le point 53 de cet arrêt énonce:
«[…]
L’article [49 CE] doit être interprété en ce sens que, si le remboursement de frais exposés pour des services hospitaliers fournis dans un État membre de séjour, qui résulte de l’application des règles en vigueur dans cet État, est inférieur à celui qui aurait résulté de l’application de la législation en vigueur dans l’État membre d’affiliation en cas d’hospitalisation dans ce dernier, un remboursement complémentaire correspondant à cette différence doit être accordé à l’assuré social par
l’institution compétente.»
12 Par une lettre du 1^er mars 2007, la République française a répondu à cette lettre de mise en demeure.
13 En ce qui concerne le premier grief, cet État membre a fait part de son intention de modifier l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale dans le sens exigé par la Commission et d’émettre, dans l’attente de cette modification, une circulaire destinée à garantir le respect des exigences découlant du droit de l’Union.
14 La République française a contesté le bien-fondé du deuxième grief, en faisant valoir que les organismes français de sécurité sociale sont tenus, en tant qu’autorités administratives visées par la législation nationale relative aux droits du citoyen dans ses rapports avec l’administration, de délivrer au demandeur d’une autorisation préalable à la prise en charge de soins envisagés dans un autre État membre, un accusé de réception mentionnant, notamment, la date de réception de la demande et
le délai à l’expiration duquel celle-ci peut être considérée comme étant acceptée.
15 En ce qui concerne le troisième grief, la République française a fait valoir que la circonstance invoquée par la Commission était imputable aux incertitudes pesant sur la portée exacte de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, laquelle devait être débattue entre les États membres au niveau du Conseil de l’Union européenne. Renvoyant à la circulaire DSS/DACI/2003/286, du 16 juin 2003, relative à l’application de la réglementation pour assurer l’accès aux soins des assurés d’un régime français de
sécurité sociale au sein de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (ci-après la «circulaire du 16 juin 2003»), cet État membre a toutefois ajouté qu’il n’entrait aucunement dans ses intentions de dissimuler auxdits assurés l’existence du droit à un remboursement complémentaire consacré par ledit arrêt. Il a, par ailleurs, souligné que les autorités administratives françaises accordaient une large portée à cet arrêt, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation.
16 Au vu de ces éléments de réponse, la Commission a, le 23 octobre 2007, adressé à la République française un avis motivé dans lequel elle a indiqué, d’une part, qu’elle renonçait au deuxième grief formulé dans sa lettre de mise en demeure et, d’autre part, qu’elle maintenait ses deux autres griefs et invitait cet État membre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa réception.
17 Dans sa réponse audit avis motivé, datée du 13 décembre 2007, la République française a fait état de l’adoption imminente d’un décret visant à adapter l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale aux exigences du droit de l’Union et à compléter les articles R. 332-2 à R. 332-6 dudit code en ce qui concerne le droit à un remboursement complémentaire prévu par l’arrêt Vanbraekel e.a., précité. Elle a également indiqué qu’une circulaire visant à remplacer la circulaire du 19 mai 2005 était
en cours de finalisation.
18 À la suite d’un rappel qui lui a été adressé par la Commission le 10 juin 2008, la République française a communiqué à cette dernière la circulaire du 21 juillet 2008. Elle a, par ailleurs, fait état d’un certain nombre de difficultés techniques retardant l’adoption définitive de la réforme du code de la sécurité sociale annoncée dans sa réponse à l’avis motivé.
19 N’étant pas satisfaite par ces explications, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
Sur le premier grief, tiré de l’exigence d’une autorisation préalable pour la prise en charge de soins non hospitaliers envisagés dans un autre État membre et nécessitant le recours à des équipements matériels lourds
Argumentation des parties
20 La Commission fait valoir que l’exigence d’une autorisation préalable aux fins de la prise en charge, par l’institution compétente, de soins accessibles dans un cabinet de ville, dans un autre État membre, et nécessitant le recours à des équipements matériels lourds constitue une restriction à la libre prestation des services.
21 Elle soutient que, si, certes, des objectifs de planification sont de nature à justifier pareille exigence aux fins de la couverture sociale de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre, cette exigence n’est, en revanche, pas justifiée dans le domaine des soins non hospitaliers, ainsi que la Cour l’a jugé dans les arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, Rec. p. I-1931), et du 13 mai 2003, Müller-Fauré et van Riet (C-385/99, Rec. p. I-4509).
22 Considérant, à la lumière du point 75 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, que l’élément caractéristique d’une prestation hospitalière réside dans le fait que la prestation en cause ne peut pas être dispensée en dehors d’un cadre hospitalier, la Commission soutient que, dans le cas de soins nécessitant le recours à des équipements lourds accessibles en dehors d’infrastructures hospitalières, le maintien d’une exigence d’autorisation préalable n’est pas objectivement justifié.
23 Elle ajoute qu’un certain nombre d’éléments, tels que l’application des limitations de couverture et des conditions d’octroi des prestations de sécurité sociale en vigueur dans l’État membre d’affiliation, les facteurs linguistiques et géographiques, le manque d’informations sur la nature des soins disponibles dans les autres États membres ou encore les frais de séjour inhérents à un déplacement dans un autre État membre à des fins médicales, permettent de considérer que la suppression de
l’exigence d’autorisation préalable dans le domaine des soins impliquant le recours à des équipements matériels lourds ne conduirait pas à un exode massif d’assurés sociaux du système français vers les autres États membres et ne mettrait pas en péril l’équilibre financier du système national de sécurité sociale.
24 La République française, soutenue par le Royaume d’Espagne, la République de Finlande et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, conteste le bien-fondé de ce premier grief.
25 Ces États membres font valoir que la jurisprudence de la Cour admettant, au nom d’objectifs de planification globale, une mesure d’autorisation préalable à la prise en charge, par l’institution compétente, de soins hospitaliers dispensés dans un autre État membre (voir arrêts Müller-Fauré et van Riet, précité, points 67 et 77 à 80, ainsi que du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec. p. I-4325, points 104 et 108 à 111) est transposable au contexte des prestations médicales nécessitant le recours
à des équipements matériels lourds en dehors d’infrastructures hospitalières, eu égard au coût très élevé de ces équipements ainsi qu’à leur impact sur le budget des systèmes de sécurité sociale.
Appréciation de la Cour
26 À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, que, aux termes de l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale, l’exigence d’autorisation préalable litigieuse ne concerne pas l’hypothèse dite «des soins inopinés», c’est-à-dire des soins dont la nécessité survient lors d’un séjour temporaire de l’assuré social dans un autre État membre. Ainsi qu’il ressort des mémoires présentés par la Commission, le premier grief est ainsi circonscrit à l’hypothèse des soins dits «programmés»,
c’est-à-dire de ceux que l’assuré social envisage d’obtenir dans un autre État membre.
27 D’autre part, il importe de souligner que ledit grief ne porte pas sur un prétendu manquement à l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, en vertu duquel l’institution compétente est, en dehors de situations particulières liées, notamment, à l’état de santé de l’affilié ou au caractère urgent des soins requis (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, non encore publié au Recueil, points 45 et 51), en droit de subordonner à une autorisation préalable
la prise en charge, pour son propre compte, de soins programmés dans un autre État membre, par l’institution de l’État membre de séjour en fonction du régime de couverture en vigueur dans ce dernier État membre.
28 Le premier grief, fondé sur l’article 49 CE, vise, par conséquent, à dénoncer l’absence de conformité à cet article de l’exigence d’une autorisation préalable aux fins de la prise en charge par l’institution compétente, selon le régime de couverture en vigueur dans l’État membre d’affiliation, de soins programmés dans une structure non hospitalière située dans un autre État membre et impliquant le recours à des équipements matériels lourds.
29 Ces précisions liminaires étant apportées, il convient de souligner que, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, notamment, les conditions d’octroi des prestations de sécurité sociale couvrant des soins tels que ceux concernés par le premier grief. Il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union, notamment les dispositions relatives à la libre
prestation des services (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2010, Commission/Espagne, C-211/08, non encore publié au Recueil, point 53 et jurisprudence citée).
30 Conformément à une jurisprudence constante, les prestations médicales fournies contre rémunération relèvent du champ d’application desdites dispositions, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les soins sont dispensés dans un cadre hospitalier ou en dehors d’un tel cadre (voir, notamment, arrêts du 18 mars 2004, Leichtle, C-8/02, Rec. p. I-2641, point 28; Watts, précité, point 86, et du 19 avril 2007, Stamatelaki, C‑444/05, Rec. p. I-3185, point 19).
31 Il a aussi été jugé de manière itérative que la libre prestation des services inclut la liberté des destinataires de services, notamment des personnes devant recevoir des soins médicaux, de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier de ces services sans être gênés par des restrictions (voir notamment, en ce sens, arrêts précités Watts, point 87, et Commission/Espagne, point 49).
32 Or, en l’espèce, l’exigence d’autorisation préalable à laquelle est subordonnée, en vertu de la réglementation nationale en cause, la prise en charge par l’institution compétente, selon le régime de couverture en vigueur dans l’État membre dont elle relève, de soins programmés dans un autre État membre et impliquant le recours à des équipements matériels lourds en dehors d’infrastructures hospitalières est de nature à décourager, voire à empêcher, les assurés sociaux du système français de
s’adresser à des prestataires de services médicaux établis dans un tel autre État membre aux fins d’obtenir les soins en cause. Elle constitue dès lors, tant pour ces assurés que pour ces prestataires, une restriction à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts précités Müller-Fauré et van Riet, points 44 et 103, ainsi que Watts, point 98).
33 S’agissant du caractère objectivement justifié d’une telle restriction, il convient de rappeler que la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que des impératifs de planification tenant, d’une part, à l’objectif de garantir sur le territoire de l’État membre concerné une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins de qualité et, d’autre part, à la volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter autant que possible tout gaspillage de ressources financières,
techniques et humaines peuvent justifier l’exigence consistant à soumettre à une autorisation préalable la prise en charge financière par l’institution compétente de soins envisagés dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C-157/99, Rec. p. I‑5473, points 76 à 81; Müller-Fauré et van Riet, précité, points 76 à 81, ainsi que Watts, précité, points 108 à 110).
34 De telles considérations, exprimées au sujet de prestations médicales dispensées en milieu hospitalier, peuvent être reprises pour des prestations médicales impliquant le recours à des équipements matériels lourds, quand bien même ces dernières seraient, comme celles concernées par le premier grief de la Commission, fournies en dehors d’un tel milieu.
35 À cet égard, il convient de constater que, au point 75 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, la Cour, après avoir souligné la difficulté d’établir une distinction entre les notions de «prestations hospitalières» et de «prestations non hospitalières», a, certes, relevé que des prestations dispensées en milieu hospitalier, mais susceptibles de l’être par un praticien dans un cabinet ou dans un centre médical, pourraient, à ce titre, être assimilées à des prestations non hospitalières.
36 Contrairement à la position défendue par la Commission, il ne saurait cependant être inféré de cet extrait dudit arrêt que la circonstance que des soins impliquant le recours à des équipements matériels lourds puissent être dispensés en dehors d’un cadre hospitalier enlève toute pertinence à des considérations tirées d’impératifs de planification.
37 Or, indépendamment du milieu, hospitalier ou non, dans lequel ils ont vocation à être installés et utilisés, les équipements matériels lourds, limitativement énumérés à l’article R. 6122-26 du code de la santé publique, doivent pouvoir faire l’objet d’une politique de planification, telle que celle définie par la réglementation nationale en cause, en ce qui concerne, notamment, leur nombre et leur répartition géographique, et ce afin de contribuer à garantir sur l’ensemble du territoire
national une offre de soins de pointe qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible, mais aussi afin d’éviter dans la mesure du possible tout gaspillage de moyens financiers, techniques et humains.
38 Un tel gaspillage serait d’autant plus dommageable que les conditions d’installation, de fonctionnement et d’utilisation des cinq types d’équipements limitativement énumérés à l’article R. 6122-26 du code de la santé publique sont particulièrement onéreuses, et ce alors que les ressources budgétaires que les États membres sont à même de consacrer aux soins de pointe et, en particulier, au subventionnement de tels équipements ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas
illimitées (voir par analogie, concernant les médicaments, arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie, C-531/06, Rec. p. I-4103, point 57, ainsi que Apothekerkammer des Saarlandes e.a., C-171/07 et C-172/07, Rec. p. I-4171, point 33).
39 Sans être contredits par la Commission, la République française et le Royaume-Uni, en prenant l’exemple du tomographe à émission de positons, utilisé dans le dépistage et le traitement du cancer, ont ainsi souligné que ces équipements représentent des coûts se chiffrant en centaines de milliers, voire en millions, d’euros, tant en ce qui concerne leur acquisition que leur installation et leur utilisation.
40 Or, si les assurés sociaux du système français pouvaient librement et en toutes circonstances obtenir à charge de l’institution compétente, auprès de prestataires établis dans d’autres États membres, des soins impliquant le recours à des équipements matériels lourds correspondant à ceux limitativement énumérés par le code de la santé publique, l’effort de planification des autorités nationales ainsi que l’équilibre financier de l’offre de soins de pointe seraient par là même compromis.
41 Une telle possibilité serait, en effet, susceptible de conduire à une sous-utilisation des équipements matériels lourds implantés dans l’État membre d’affiliation et subventionnés par celui-ci ou encore à une charge démesurée pour le budget de la sécurité sociale de cet État membre.
42 Au regard de ces risques pour l’organisation de la politique de santé publique et pour l’équilibre financier du système de sécurité sociale, l’exigence consistant à soumettre, en dehors de situations particulières telles que celles visées au point 27 du présent arrêt, à une autorisation préalable de l’institution compétente la prise en charge par celle-ci, selon le régime de couverture en vigueur dans l’État membre dont elle relève, d’un traitement programmé dans une structure non
hospitalière située dans un autre État membre et impliquant le recours à des équipements matériels lourds qui figurent à l’article R. 6122-26 du code de la santé publique apparaît, en l’état actuel du droit de l’Union, comme une restriction justifiée (voir, par analogie, arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, point 81).
43 Il convient encore de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un régime d’autorisation préalable doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire. Un tel régime d’autorisation doit par ailleurs reposer sur un système procédural aisément accessible et propre à garantir aux intéressés que leur demande sera
traitée dans un délai raisonnable et avec objectivité et impartialité, d’éventuels refus d’autorisation devant en outre pouvoir être mis en cause dans le cadre d’un recours juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 90; Müller-Fauré et van Riet, point 85, ainsi que Watts, point 116).
44 En l’occurrence, la Commission n’a formulé aucune critique spécifique à l’égard des règles de procédure et de fond encadrant la mesure d’autorisation préalable en cause, en particulier des conditions limitatives auxquelles ladite autorisation peut, en vertu de l’article R. 332-4 du code de la sécurité sociale, être refusée.
45 Dans ces conditions, le manquement à l’article 49 CE allégué dans le cadre du premier grief n’apparaît pas fondé. Ledit grief doit, par conséquent, être rejeté.
Sur le second grief, tiré de l’absence de disposition de droit français prévoyant le droit de l’assuré social du système français à un remboursement complémentaire dans les conditions prévues au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a.
Argumentation des parties
46 La Commission soutient que, en l’absence, en droit français, de disposition prévoyant une possibilité de remboursement complémentaire dans les conditions énoncées au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, l’assuré social du système français ne peut bénéficier du droit à un tel remboursement. La solution découlant dudit arrêt ne pourrait, dès lors, être considérée comme étant mise en œuvre en droit français.
47 La Commission ajoute que de simples pratiques administratives ne sauraient être regardées comme constituant une exécution valable des obligations découlant du traité CE. Du reste, les circulaires des 16 juin 2003, 19 mai 2005 et 21 juillet 2008, adressées par le ministère de la Santé aux organismes français de sécurité sociale, attesteraient de l’existence d’une ambiguïté dans la législation française, propre à engendrer une méconnaissance et, partant, une impossibilité, pour les assurés
sociaux du système français, d’exercer effectivement le droit découlant de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
48 La Commission soutient encore que les cas, mentionnés par la République française, d’assurés sociaux ayant pu bénéficier d’un remboursement complémentaire conformément à cet arrêt, ou étant sur le point de bénéficier d’un tel remboursement, ne suffisent pas à démontrer le respect effectif des droits des assurés sociaux du système français dans leur ensemble.
49 La République française, soutenue à l’audience par le Royaume d’Espagne, fait valoir que, compte tenu de l’effet direct de l’article 49 CE, ainsi que de l’obligation pour les juridictions nationales de sauvegarder les droits conférés par cet article aux particuliers, l’ouverture, par ledit article, du droit à un remboursement complémentaire dans les conditions énoncées au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, ne nécessite pas de mesure spécifique de mise en œuvre dans un texte
normatif de droit interne. Elle ajoute que l’article R. 332-3 du code de la sécurité sociale couvre, notamment, l’hypothèse visée audit point 53. La solution consacrée par cet arrêt aurait, du reste, été effectivement appliquée par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mars 2002.
50 La République française fait valoir que, dans ces conditions, une circulaire visant à rappeler cette solution aux organismes compétents suffit à en assurer la mise en œuvre. Les circulaires adoptées à cette fin auraient en outre été suivies d’un effet pratique, ainsi que l’attesterait la mise en place, au cours de l’année 2006, d’un Centre national des soins à l’étranger, chargé de gérer, en conformité, notamment, avec ladite solution, les demandes de remboursement de soins dispensés à des
assurés sociaux du système français dans un autre État membre ou dans un pays tiers.
Appréciation de la Cour
51 Au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, la Cour a, dans le contexte de soins programmés dispensés dans un autre État membre, et dont l’autorisation nécessaire à la prise en charge par l’institution compétente avait été indûment refusée, interprété l’article 49 CE en ce sens que, si le remboursement de frais exposés pour des services hospitaliers fournis dans l’État membre de séjour, qui résulte de l’application des règles en vigueur dans cet État membre, est inférieur à celui qui
aurait résulté de l’application de la législation en vigueur dans l’État membre d’affiliation en cas d’hospitalisation dans ce dernier, un remboursement complémentaire correspondant à cette différence doit être accordé à l’assuré social par ladite institution.
52 Ainsi que la Cour l’a ultérieurement précisé, le droit de l’assuré social à un tel remboursement complémentaire s’inscrit dans les limites des frais réellement exposés dans l’État membre de séjour (voir, en ce sens, arrêt Watts, précité, points 131 et 143).
53 À cet égard, il y a lieu de souligner que l’article 49 CE, tel qu’interprété au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, lie, en tant que disposition directement applicable du traité, toutes les autorités des États membres, y compris les autorités administratives et juridictionnelles, lesquelles sont tenues, partant, de l’observer, sans qu’il soit nécessaire d’adopter des dispositions nationales d’exécution (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 1986, Commission/Italie, 168/85, Rec. p.
2945, point 11, ainsi que du 21 février 2008, Commission/Italie, C‑412/04, Rec. p. I-619, points 67 et 68).
54 La faculté pour les justiciables d’invoquer cet article, tel qu’interprété par la Cour, devant les autorités nationales ne constitue toutefois qu’une garantie minimale et ne suffit pas à assurer, à elle seule, l’application pleine et complète de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 1986, Commission/Pays-Bas, 72/85, Rec. p. 1219, point 20; du 15 octobre 1986, Commission/Italie, précité, point 11, ainsi que du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et
C-48/93, Rec. p. I-1029, point 20).
55 Encore faut-il, en effet, que l’ordre juridique de l’État membre en cause ne donne pas lieu à une situation ambiguë qui soit de nature à maintenir les sujets de droits concernés dans un état d’incertitude quant à la possibilité d’invoquer cette disposition du droit de l’Union dotée d’un effet direct (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 1986, Commission/Italie, précité, point 11, ainsi que arrêts du 26 février 1991, Commission/Italie, C-120/88, Rec. p. I-621, point 9, et Commission/Espagne,
C-119/89, Rec. p. I-641, point 8).
56 À cet égard, il convient cependant de rappeler que, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué en apportant à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement (voir, notamment, arrêt du 29 avril 2010, Commission/Allemagne, C-160/08, non encore publié au Recueil, point 116 et jurisprudence citée).
57 En l’espèce, il convient, premièrement, de relever que l’article R. 332-3 du code de la sécurité sociale énonce, ce que confirme la circulaire du 19 mai 2005, le principe général de la prise en charge, par l’institution française compétente, des soins dispensés à un assuré social du système français dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, «dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France», et dans les limites des
dépenses effectivement engagées par l’assuré social.
58 Par la généralité de ses termes, cette disposition englobe le droit à un remboursement complémentaire à charge de l’institution française compétente dans l’hypothèse visée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, ce dont la Commission a d’ailleurs pris acte au cours de la procédure devant la Cour.
59 Ce constat n’est pas remis en cause par les «adaptations prévues aux articles R. 332-4 à R. 332-6» du code de la sécurité sociale, auxquelles renvoie l’article R. 332-3 de ce code, et qui portent, respectivement, sur l’exigence d’autorisation préalable pour la prise en charge de certains types de soins dispensés dans un autre État membre, sur la possibilité offerte aux organismes français de sécurité sociale de passer avec des établissements de soins établis dans un autre État membre ou dans
un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen des conventions définissant les conditions de séjour des assurés sociaux du système français dans ces établissements et les modalités de remboursement des soins qui leur sont dispensés dans ceux-ci, ainsi que sur les conditions de remboursement des frais d’analyses effectuées par un laboratoire d’analyse de biologie médicale établi dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen.
60 Ainsi que l’a fait observer la République française à l’audience, la Commission n’a pas, par ailleurs, identifié de disposition du droit français qui ferait obstacle à l’application de la solution consacrée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
61 Deuxièmement, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas, en l’espèce, fait état de décisions rendues par des juridictions nationales qui auraient conduit à nier le droit découlant pour les assurés sociaux du système français de l’article 49 CE dans l’hypothèse visée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
62 Au contraire, l’institution requérante a pris acte, au cours de la procédure devant la Cour, de l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2002, dans lequel cette dernière a jugé qu’«il résulte des dispositions de l’article 49 [CE], tel qu’interprété par la Cour de justice [dans l’arrêt Vanbraekel e.a., précité,] que la caisse du lieu d’affiliation est tenue de prendre en charge les frais médicaux exposés par son assuré dans un autre État membre selon le tarif applicable à des soins
identiques dispensés en France, de sorte que si le remboursement effectué en application des règles en vigueur dans l’État de séjour est inférieur à celui qui aurait résulté de l’application de la législation en vigueur dans l’État d’affiliation, un remboursement complémentaire correspondant à cette différence doit être accordé à l’assuré social par l’institution compétente».
63 Troisièmement, la Commission n’a pas, en l’espèce, établi l’existence d’une quelconque pratique administrative qui aurait consisté à priver des assurés sociaux du système français du droit à un remboursement complémentaire dans l’hypothèse visée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
64 Au contraire, elle a, dans l’avis motivé, pris note des indications, figurant dans la réponse de la République française à la lettre de mise en demeure, selon lesquelles, conformément à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2002, mentionné au point 62 du présent arrêt, les organismes français de sécurité sociale donnent une application large à la solution retenue dans l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
65 Quant aux circulaires des 16 juin 2003, 19 mai 2005 et 21 juillet 2008 émises par l’autorité ministérielle compétente, leur objet n’était pas, contrairement à la position défendue par la Commission devant la Cour, de dissiper une situation prétendument ambiguë. Elles ne visaient pas davantage à mettre fin à de prétendues pratiques divergentes des organismes français de sécurité sociale, dont certaines auraient conduit à écarter l’application de la solution consacrée par l’arrêt Vanbraekel
e.a., précité.
66 Ainsi que la Commission l’a elle-même constaté dans son avis motivé, la circulaire du 16 juin 2003 comportait, à l’intention des organismes concernés, une simple description de la solution dégagée par ledit arrêt. Quant à la circulaire du 19 mai 2005, son objet était, ainsi qu’il ressort des extraits de celle-ci figurant au dossier, d’expliciter la portée des articles R. 332-3 à R. 332-6 du code de la sécurité sociale, introduits par le décret n° 2005-386. La circulaire du 21 juillet 2008
comporte, pour sa part, le constat selon lequel ladite solution est «d’ores et déjà appliquée par les caisses» et demande à ces dernières de «continuer à faire le nécessaire pour mettre en œuvre le dispositif de complément différentiel», et ce en dépit des difficultés concrètes auxquelles celles-ci sont confrontées dans le calcul de ce complément, en raison, notamment, de l’absence d’instrument de comparaison des coûts d’un même traitement en France et dans les autres États membres, ainsi que des
lenteurs de la coopération entre les institutions nationales concernées.
67 Dans ces conditions, s’il est, certes, vrai que, en vertu de la jurisprudence constante de la Cour rappelée par la Commission, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration, ne sauraient, dans le contexte d’une législation nationale incompatible avec le droit de l’Union, être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité (voir, notamment, arrêts du 13 mars 1997, Commission/France, C-197/96, Rec. p. I-1489, point 14; du
9 mars 2000, Commission/Italie, C-358/98, Rec. p. I-1255, point 17, et du 10 mars 2005, Commission/Royaume-Uni, C-33/03, Rec. p. I-1865, point 25), il n’en demeure pas moins que, en l’espèce, l’absence de preuve de pratiques administratives contraires au droit de l’Union corrobore le constat selon lequel la législation française, en particulier l’article R. 332-3 du code de la sécurité sociale, n’engendre pas une situation de nature à priver les assurés sociaux du système français des droits qu’ils
tirent de l’article 49 CE, tel qu’interprété dans l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
68 Quatrièmement, la Commission n’a fait état, en l’espèce, d’aucune plainte liée à un prétendu refus d’un organisme français de sécurité sociale de reconnaître à un assuré social le droit à un remboursement complémentaire dans l’hypothèse visée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité. Au contraire, la République française a fourni, au cours de la procédure devant la Cour, plusieurs exemples de cas d’assurés sociaux du système français se trouvant dans la situation visée au point 53 de
l’arrêt Vanbraekel e.a., précité, qui ont pu bénéficier d’un remboursement complémentaire conformément à cet arrêt, ou étaient sur le point de bénéficier d’un tel remboursement.
69 Il résulte des considérations qui précèdent que la Commission n’a pas établi que l’ordre juridique français donne lieu à une situation susceptible de priver les assurés sociaux du système français du droit à un remboursement complémentaire dans l’hypothèse visée au point 53 de l’arrêt Vanbraekel e.a., précité.
70 Partant, le second grief doit être rejeté.
71 Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
72 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République française ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, du même article, le Royaume d’Espagne, la République de Finlande et le Royaume-Uni, qui sont intervenus au présent litige, supporteront
leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
3) Le Royaume d’Espagne, la République de Finlande ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.