CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M ME VERICA TRSTENJAK
présentées le 12 janvier 2012 ( 1 )
Affaire C‑591/10
Littlewoods Retail Ltd e.a.
contre
Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs
[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]
«Restitution de la taxe sur la valeur ajoutée perçue en violation du droit de l’Union — Taux d’intérêts — Intérêts simples — Intérêts composés — Autonomie procédurale des États membres — Principe d’effectivité — Principe d’équivalence»
I – Introduction
1. Par la présente demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), la Cour est saisie de quatre questions portant sur l’obligation découlant du droit de l’Union de restituer la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») perçue en violation du droit de l’Union. Ce faisant, la juridiction de renvoi s’interroge en particulier sur le point de savoir si, et, dans l’affirmative, dans quelle mesure, un État membre qui a perçu de la TVA
en violation des dispositions du droit de l’Union en matière de TVA peut être également tenu, outre de restituer la somme principale, de payer des intérêts sur celle-ci.
II – Le cadre juridique
A – Le droit national
2. La loi sur la taxe sur la valeur ajoutée de 1994 (Value Added Tax Act 1994, ci-après la «VATA 1994») contient les dispositions législatives nationales relatives à l’administration, la perception et la mise en œuvre de la TVA ainsi qu’aux recours devant une juridiction spécialisée.
3. Si un assujetti paie un montant trop élevé de TVA, la section 80 de la VATA 1994 lui permet de déposer une réclamation auprès des Her Majesty’s Commissioners of Revenue and Customs (ci-après les «Commissioners») en vue de récupérer le montant trop payé. Pour ce qui nous intéresse dans la présente affaire, la section 80 de la VATA 1994 prévoit ce qui suit:
«Crédit pour TVA surévaluée ou trop payée ou remboursement de la TVA surévaluée ou trop payée
1. Lorsqu’un assujetti
a) a déposé une déclaration TVA auprès des Commissioners pour un exercice comptable donné (quelle que soit la date à laquelle il a pris fin), et
b) ce faisant, a déclaré à titre de taxe en aval un montant qui n’était pas dû à titre de taxe en aval,
les Commissioners créditeront l’assujetti pour ce montant.
[…]
1B. Lorsqu’une personne a, pour un exercice comptable donné (quelle que soit la date à laquelle il a pris fin), payé aux Commissioners à titre de TVA un montant qui ne leur était pas dû, autrement que du fait
a) d’un montant qui n’était pas dû à titre de taxe en aval déclaré à titre de taxe en aval, ou
[…]
les Commissioners rembourseront à l’assujetti le montant ainsi payé.
2. Les Commissioners ne créditeront ou ne rembourseront un montant au titre de la présente section que sur réclamation déposée à cette fin.
2A. Lorsque
a) du fait d’une réclamation au titre de la présente section, en vertu des sous-sections 1 ou 1A ci-dessus, un montant doit être crédité à un assujetti, et
b) après compensation de toute somme au titre de la présente loi, tout ou une partie de ce montant reste porté au crédit de l’assujetti,
les Commissioners verseront (ou rembourseront) à cet assujetti la totalité du montant restant au crédit de celui-ci.
[…]
7. Hormis les cas prévus par les dispositions de la présente section, les Commissioners ne créditeront ou ne rembourseront pas les montants déclarés ou payés à titre de TVA qui ne leur étaient pas dus à titre de TVA.»
4. Lorsque la réclamation déposée au titre de la section 80 de la VATA 1994 est accueillie, l’assujetti peut également réclamer des intérêts sur les sommes trop payées, calculés conformément aux dispositions de la section 78 de la VATA 1994. Cette section 78 prévoit ce qui suit:
«Intérêts dans certains cas d’erreurs officielles
1. Lorsque, du fait d’une erreur de la part des Commissioners, un assujetti a
a) déclaré aux Commissioners un montant à titre de taxe en aval dont il n’était pas redevable à titre de taxe en aval, et que, de ce fait, les Commissioners sont tenus de lui verser (ou lui rembourser) un montant donné conformément à la section 80, 2A, ou
b) n’a pas demandé à bénéficier d’un crédit au titre de la section 25 pour un montant pour lequel il était en droit de réclamer un tel crédit et que les Commissioners sont par conséquent tenus de lui verser, ou
c) [autrement que dans un cas relevant des points a) ou b) ci-dessus] a payé aux Commissioners à titre de TVA un montant qui n’était pas dû à titre de TVA et que les Commissioners sont par conséquent tenus de lui rembourser; ou
d) a subi un retard dans le versement d’un montant dû par les Commissioners en rapport avec la TVA,
les Commissioners, si et dans la mesure où ils ne sont pas tenus de le faire sans égard à la présente section, verseront des intérêts à cet assujetti sur le montant donné, pour la période concernée, sous réserve des dispositions suivantes de la présente section.
[…]
3. Les intérêts qui doivent être versés conformément à la présente section le seront au taux applicable en vertu de la section 197 de la loi de finances de 1996 (Finance Act 1996).
[…]»
III – Les faits au principal et les questions préjudicielles
5. Les parties requérantes au principal ont exercé, ou exercent, au Royaume-Uni des activités de vente à domicile sur catalogue dans le cadre desquelles elles distribuent des catalogues et vendent les produits illustrés dans lesdits catalogues au moyen de réseaux de personnes connues sous le nom d’«agents». Les agents reçoivent une commission sur les ventes réalisées par eux ou par leur intermédiaire (achats par des tiers), cette commission pouvant être prélevée en liquide, appliquée aux achats
passés faits par les agents eux-mêmes ou (à un taux majoré) appliquée sur les achats futurs.
6. Dans le litige au principal, il n’est pas contesté que, au cours de la période allant de l’année 1973 au mois d’octobre 2004, dans le cadre du calcul de la TVA tant selon le droit de l’Union que selon le droit national, les commissions sur achats par des tiers ont été traitées de manière erronée de sorte que, sur certaines livraisons, le montant imposable a été erronément fixé trop haut et que, en conséquence, un montant trop élevé de TVA a été payé.
7. Depuis le mois d’octobre 2004, les Commissioners ont remboursé aux parties requérantes au principal la TVA trop payée à raison de 204774763 GBP conformément à la section 80 de la VATA 1994. En outre, les parties défenderesses au principal ont versé aux parties requérantes des intérêts simples à hauteur de 268159135 GBP conformément à la section 78 de la VATA 1994.
8. Les parties requérantes au principal réclament le paiement d’autres sommes à hauteur d’environ un milliard de GBP. Selon elles, ce montant correspond à l’avantage dont a bénéficié le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord du fait de l’utilisation des montants en principal de taxe trop payée. À cet égard, par arrêt du 19 mai 2010, la juridiction de renvoi a décidé que, en vertu du droit national, et sans avoir égard au droit de l’Union, cette demande devrait être rejetée.
9. Ayant des doutes quant à la conformité de ce résultat avec les exigences du droit de l’Union, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:
«1) Lorsqu’un assujetti a payé un montant trop élevé de TVA, perçu par l’État membre en violation des exigences de la législation de l’Union en matière de TVA, le mode de réparation prévu par cet État membre est-il conforme au droit de l’Union si la réparation en question consiste en, d’une part, le remboursement des sommes principales trop payées et, d’autre part, des intérêts simples sur ces sommes conformément à la législation nationale, comme la section 78 de la [VATA] 1994?
2) Si non, le droit de l’Union exige-t-il que le mode de réparation instauré par l’État membre prévoie, d’une part, le remboursement des sommes principales trop payées et, d’autre part, le paiement d’intérêts composés à titre d’équivalent de la valeur d’utilisation des sommes trop payées dans le chef de l’État membre et/ou de la perte de la valeur d’utilisation de la somme dans le chef de l’assujetti?
3) Si les réponses tant à la première question qu’à la deuxième question sont négatives, que doit comporter le mode de réparation que le droit de l’Union exige de l’État membre qu’il prévoie, en plus du remboursement des sommes principales trop payées, eu égard à la valeur d’utilisation de la somme trop payée et/ou des intérêts?
4) Si la réponse à la première question est négative, le principe de droit de l’Union de l’effectivité exige-t-il d’un État membre qu’il écarte l’application des restrictions de droit national (telles que les sections 78 et 80 de la [VATA] 1994) vis-à-vis des actions ou des modes de réparation quels qu’ils soient qui seraient, à défaut de ces restrictions, à la disposition de l’assujetti pour faire valoir le droit tiré du droit de l’Union établi dans la réponse de la Cour aux trois premières
questions, ou suffit-il que la juridiction nationale écarte l’application de ces restrictions eu égard seulement à l’une de ces actions ou de ces modes de réparation?
Quels autres principes doivent-ils guider la juridiction nationale s’agissant de donner effet à ce droit tiré du droit de l’Union de façon à se conformer au principe de droit de l’Union de l’effectivité?»
IV – La procédure devant la Cour
10. La décision de renvoi datée du 4 novembre 2010 est parvenue au greffe de la Cour le 14 décembre 2010. Au cours de la procédure écrite, des observations ont été déposées par les parties requérantes au principal, le Royaume-Uni, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la République de Chypre, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande ainsi que par la Commission européenne. Les représentants des parties requérantes au principal, du Royaume-Uni et de la Commission ont
participé à l’audience qui s’est tenue le 22 novembre 2011.
V – Argumentation des parties
A – Sur les première, deuxième et troisième questions préjudicielles
11. Selon la Commission, il convient de répondre aux première, deuxième et troisième questions en ce sens que, lorsqu’un assujetti a réglé trop de TVA qui a été perçue par un État membre en violation des exigences de la législation de l’Union en matière de TVA, le mode de réparation qui ne prévoit que la restitution des sommes principales trop payées et le versement d’intérêts simples sur ces sommes n’est pas contraire au droit de l’Union pour autant qu’il garantisse une restitution adéquate ou une
compensation adéquate de la perte de l’utilisation de l’argent et qu’aucun mode de réparation plus généreux ne soit disponible, dans le droit national, en rapport avec des impôts autres que la TVA.
12. Les gouvernements du Royaume-Uni, allemand, français et chypriote répondent à la première question que le mode de réparation mis à disposition par un État membre qui prévoit, en cas de perception de la TVA en violation du droit de l’Union, la restitution du montant principal trop perçu ainsi que le versement d’intérêts simples sur cette somme conformément aux dispositions du droit national est en conformité avec le droit de l’Union. Le gouvernement finlandais répond lui aussi en ce sens tout en
soulignant qu’il convient de respecter les principes d’effectivité et d’équivalence. De manière similaire, le gouvernement néerlandais soutient que le droit de l’Union n’obligerait pas les États membres a versé des intérêts composés dans le cadre de la restitution de la TVA perçue en violation du droit de l’Union. Dans ces conditions, selon les gouvernements du Royaume-Uni et chypriote ainsi que selon les gouvernements néerlandais et finlandais, il ne serait pas nécessaire de répondre aux
deuxième, troisième et quatrième questions.
13. En ce qui concerne la réponse aux première, deuxième et troisième questions, les parties requérantes au principal partent de la thèse selon laquelle le mode de réparation que les États membres doivent mettre à disposition aux fins de restitution de la TVA perçue en violation du droit de l’Union devrait avoir pour effet de compenser l’avantage que l’État membre a obtenu grâce à l’utilisation du montant principal qui a été trop perçu en violation du droit de l’Union. Ce serait aux juridictions
nationales qu’il incomberait de déterminer si, outre la restitution de la somme principale trop perçue, le mode de réparation doit prévoir le versement d’intérêts simples, d’intérêts composés ou un autre mode de calcul des intérêts.
B – Sur la quatrième question préjudicielle
14. Selon les parties requérantes au principal, il convient de répondre à la quatrième question en ce sens qu’une restriction nationale contraire au droit de l’Union, telle que celle que contiennent les sections 78 et 80 de la VATA 1994, qui porterait sur deux modes de réparation nationaux différents, devrait rester inappliquée à l’égard de ces deux modes de réparation, lorsque, en vertu du droit national, la personne pouvant prétendre à la restitution pourrait opter librement pour l’un ou l’autre
de ces modes de réparation.
15. Selon la Commission, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question. Dans la mesure où la Cour déciderait néanmoins d’y répondre, cette réponse devrait aller dans le sens que la section 78 de la VATA 1994 devrait rester intégralement inappliquée s’il s’avérait que cette disposition n’est pas conforme au droit de l’Union.
VI – Appréciation juridique
A – Sur les première, deuxième et troisième questions préjudicielles
16. Par ses première, deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur le point de savoir de quelle manière, dans un cas tel que celui du litige au principal, la TVA trop perçue en violation du droit de l’Union doit porter intérêt au profit à l’assujetti ayant droit à sa restitution. Ce faisant, elle se demande en particulier si, outre la restitution de la somme principale trop payée, le droit national doit prévoir de verser sur cette somme des intérêts
«simples» (première question), des «intérêts composés» (deuxième question) ou un autre type de taux d’intérêt devant être précisé par la Cour (troisième question).
17. La juridiction de renvoi entend par «intérêts simples» des intérêts produits sans capitalisation des intérêts des périodes de calcul précédentes. À l’opposé, des «intérêts composés» signifieraient que les intérêts générés au cours des périodes de calcul précédentes s’ajoutent au capital, de sorte qu’ils entrent dans la base de calcul des intérêts générés au cours des périodes suivantes.
18. Le point de départ pour répondre aux première et troisième questions est le constat que la question des intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union n’a été expressément réglementée ni dans la deuxième directive 67/228/CEE ( 2 ) ni dans la sixième directive 77/388/CEE ( 3 ).
19. Il convient en outre de souligner que les parties requérantes au principal n’ont pas exercé une action en indemnisation pour violation par le Royaume-Uni du droit de l’Union ( 4 ). Selon ce qu’expose la juridiction de renvoi, il n’est pas contesté dans le litige au principal que les conditions d’un droit à réparation du fait de la responsabilité de l’État au titre du droit de l’Union ne sont pas réunies. Il s’agit donc, dans le litige au principal, d’actions en répétition de la TVA perçue en
violation du droit de l’Union qui ne peuvent être qualifiées d’actions en indemnisation.
20. À l’aune de ces précisions, c’est de la jurisprudence constante selon laquelle les États membres sont tenus, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union ( 5 ) qu’il convient de partir pour répondre aux première et troisième questions. Le droit du contribuable en découlant d’obtenir le remboursement de taxes perçues en violation du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union
prohibant de telles taxes ( 6 ).
21. Pour exercer en justice ces droits à restitution découlant du droit de l’Union, les personnes pouvant prétendre à la restitution doivent s’adresser aux juridictions des États membres ( 7 ).
22. En l’absence de législation de l’Union en la matière, c’est également aux États membres qu’il appartient de déterminer les modalités procédurales concrètes des actions en restitution, les États membres étant à cet égard toutefois toujours tenus de respecter les principes d’équivalence et d’effectivité ( 8 ). Il appartient à chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des actions en restitution, ces modalités ne devant pas être moins
favorables que celles concernant les actions similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne devant pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 9 ).
23. Cette mission des États membres de fixer les modalités procédurales de l’exercice des droits des personnes physiques et morales découlant du droit de l’Union et le pouvoir d’appréciation dont jouissent les États membres pour le faire sont traditionnellement désignés par la notion d’«autonomie procédurale des États membres». Cette notion prête toutefois légèrement à confusion et manque de précision. Alors que l’expression «autonomie» semble indiquer que les États membres disposent d’un pouvoir
absolu d’appréciation pour déterminer les règles procédurales, un tel pouvoir d’appréciation absolu n’existe pas en vertu de la jurisprudence de la Cour. En effet, d’une part, dans ce courant jurisprudentiel, la Cour part de l’obligation pour les États membres, en vertu du droit de l’Union, de permettre sur le plan procédural l’exercice des droits découlant du droit de l’Union ( 10 ). Il s’ensuit que la décision de prévoir ou non des règles procédurales concernant l’exercice de droits découlant
du l’Union ne relève pas du pouvoir d’appréciation des États membres. D’autre part, le pouvoir d’appréciation dont jouissent les États membres pour déterminer les procédures et les modalités procédurales est limité par les principes d’effectivité et d’équivalence.
24. La maxime «autonomie procédurale» confère donc non pas une réelle autonomie aux États membres, mais plutôt une certaine marge d’appréciation dans le contexte de la détermination des modalités procédurales des droits découlant du droit de l’Union dont les modalités d’exercice en justice ne sont pas fixées par celui-ci ( 11 ). En outre, la jurisprudence de la Cour sur l’«autonomie procédurale» des États membres n’est pas restée limitée à des questions d’ordre procédural. Bien au contraire, elle
s’étend en partie au contenu des droits découlant du droit de l’Union ( 12 ) de sorte que la notion d’autonomie procédurale englobe aussi une certaine «remedial autonomy» des États membres ( 13 ).
25. Quand bien même la notion d’«autonomie procédurale des États membres» est donc imprécise à deux égards, elle s’est néanmoins imposée en jurisprudence comme un concept particulièrement marquant ( 14 ). Sous la réserve des précisions apportées ci-dessus, j’utiliserai moi aussi cette notion ci-dessous.
26. Dans le cadre de sa jurisprudence relative à l’autonomie procédurale des États membres, la Cour s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la question des intérêts dus sur des montants perçus en violation de droit de l’Union. Elle a cependant ce faisant apporté dans les différents arrêts des nuances différentes qui amènent à distinguer deux courants jurisprudentiels.
27. Dans une première série d’arrêts — essentiellement plus anciens —, la Cour a jugé que la problématique du versement d’intérêts sur des montants perçus en violation du droit de l’Union constituait une question accessoire devant être réglée par le droit national. Dans ce contexte, c’est aux États membres qu’il appartient notamment de régler la question du versement d’intérêts, y compris la date à partir de laquelle ceux-ci doivent être calculés, et du taux d’intérêt. C’est en ce sens que la Cour a
statué dans les arrêts Roquette frères/Commission ( 15 ) et Express Dairy Foods ( 16 ). Ce courant jurisprudentiel a été confirmé par, entre autres, les arrêts Ansaldo Energia e.a. ( 17 ) ainsi que N ( 18 ).
28. En revanche, dans une deuxième série d’arrêts — essentiellement plus récents —, la Cour a jugé que, en vertu du droit de l’Union, le contribuable a droit au versement d’intérêts sur les taxes perçues en violation du droit de l’Union. Ce courant jurisprudentiel a débuté par l’arrêt Metallgesellschaft e.a. ( 19 ) dans lequel la Cour devait se pencher sur un cas de paiement anticipé de l’impôt en violation du droit de l’Union. Certes, dans cet arrêt, la Cour a tout d’abord confirmé sa jurisprudence
antérieure selon laquelle c’est au droit national qu’il appartient de régler toutes questions accessoires ayant trait à la restitution de taxes indûment perçues, telles que le versement éventuel d’intérêts, y compris la date à partir de laquelle ceux-ci doivent être calculés et leur taux ( 20 ). Cependant, elle a toutefois précisé ensuite que, en cas d’exigibilité prématurée de l’impôt en violation du droit de l’Union, ce dernier imposait d’octroyer des intérêts. À cet égard, elle a déclaré
notamment que la disposition du droit de l’Union qui s’oppose à l’exigibilité prématurée ouvre au contribuable le droit d’obtenir les intérêts courus sur le montant de l’impôt payé par anticipation au cours de la période allant de la date du paiement anticipé, contraire au droit de l’Union, à la date d’exigibilité, en conformité avec le droit de l’Union, de ce paiement ( 21 ).
29. Ce nouveau courant jurisprudentiel a été confirmé dans les arrêts Test Claimants in the FII Group Litigation ( 22 ) et Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation ( 23 ). De plus, il ressort nettement de ces deux arrêts que l’argumentation développée dans l’arrêt Metallgesellschaft e.a., précité, au sujet de paiements anticipés d’impôts en violation du droit de l’Union est transposable à des cas dans lesquels la perception de la taxe dans son ensemble était contraire au droit de l’Union.
Cela est également logique. En effet, pour motiver le droit d’obtenir des intérêts découlant du droit de l’Union en raison du paiement anticipé, en violation du droit de l’Union, de l’impôt, la Cour part du constat que, du fait de l’indisponibilité de sommes d’argent à la suite de l’exigibilité prématurée de l’impôt, le contribuable a subi des pertes, ces pertes devant être qualifiées de sommes que l’État membre a conservées ou qui lui ont été payées en violation du droit de l’Union ( 24 ).
Puisque la perception de taxes en violation du droit de l’Union aboutit aussi à une indisponibilité des sommes réglées jusqu’à la date de leur restitution, il n’existe aucun motif d’opérer une distinction entre le droit du contribuable découlant du droit de l’Union d’obtenir des intérêts dans le contexte de paiements anticipés contraires au droit de l’Union et ce même droit dans le contexte de paiements, par essence, contraires au droit de l’Union.
30. Il ressort de ces considérations que, en vertu de la jurisprudence la plus récente de la Cour, les États membres qui ont perçus des taxes en violation du droit de l’Union doivent, en principe, à la fois restituer les taxes perçues en violation du droit de l’Union et verser des intérêts pour compenser l’indisponibilité des montants payés. Le contribuable jouit donc d’un droit à la restitution des taxes ainsi que d’un droit au versement d’intérêts. Ces droits du contribuable trouvent leur
fondement dans les dispositions du droit de l’Union en vertu desquelles les taxes qui ont été perçues sont interdites.
31. En application de la jurisprudence relative à l’autonomie procédurale des États membres, c’est à ceux-ci qu’il incombe de définir le contenu du droit d’obtenir des intérêts découlant du droit de l’Union ainsi que de fixer les modalités procédurales de l’exercice de ce droit. Les États membres peuvent donc, dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence, décider des modalités du versement des intérêts, y compris de décider si cela doit intervenir dans le cadre d’un régime
d’«intérêts simples» ou encore dans celui d’un régime d’«intérêts composés».
32. Il ressort des explications de la juridiction de renvoi que le Royaume-Uni a respecté son obligation, au titre du droit de l’Union, d’accorder à l’assujetti à la TVA pouvant prétendre à un remboursement de celle-ci le droit au versement d’intérêts. En revanche, il y a litige sur le point de savoir si, en déterminant les modalités d’exercice de ce droit, le Royaume-Uni a violé le principe d’effectivité ou le principe d’équivalence en accordant seulement des intérêts simples sur le montant
principal.
33. Selon moi, il peut, sans difficultés, être répondu par l’affirmative à la question de savoir si le principe d’effectivité a été respecté.
34. En vertu de la jurisprudence constante, le principe d’effectivité interdit à un État membre de rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ( 25 ). Dans le contexte de la détermination des modalités d’exercice d’un droit au versement d’intérêts découlant du droit de l’Union, une violation du principe d’effectivité ne serait donc envisageable que si, en fin de compte, les intérêts étaient si peu élevés que cela réduirait
de manière excessive le contenu du droit au versement d’intérêts découlant du droit de l’Union.
35. À cet égard, il résulte de la décision de renvoi que le Royaume-Uni a versé sur la TVA perçue sur les parties requérantes au principal en violation du droit de l’Union des intérêts conformément à la section 78 de la VATA 1994.
36. Les intérêts payés au titre de la section 78 de la VATA 1994 sont calculés par référence à la section 197 de la loi de finances de 1996 et au règlement de 1998 sur les droits et autres taxes indirectes sur les passagers aériens [Air Passenger Duty and Other Indirect Taxes (Interest Rate) Regulations 1998]. Ces dispositions ont, en gros, pour effet que, depuis l’année 1998, aux fins de la section 78 de la VATA 1994, les taux sont fixés selon une formule qui fait référence au taux prêteur de base
moyen de six banques de compensation, appelé «taux de référence». Pour la période s’étendant des années 1973 à 1998, les taux sont précisés au tableau 7 dudit règlement de 1998. Le taux applicable au titre de cette section 78 est le taux de référence réduit de 1 %. Ladite section 78 définit la «période concernée» pour laquelle des intérêts sont dus. Dans les circonstances du litige au principal, cette période commence à la date à laquelle les Commissioners ont reçu le trop perçu et se termine à
la date à laquelle les Commissioners ont autorisé le paiement du montant sur lequel les intérêts sont dus.
37. En application de ces dispositions, le Royaume-Uni a restitué aux parties requérantes au principal la TVA obtenue au cours de la période allant des années 1973 à 2004 en violation du droit de l’Union pour un montant d’environ 204774763 GBP, assorti d’intérêts simples à hauteur de 268159135 GBP. Il s’ensuit que les parties requérantes au principal se sont vues reconnaître le droit d’obtenir le versement d’intérêts simples, conformément à la section 78 de la VATA 1994, en vertu duquel le montant
des intérêts dus sur environ 30 ans (268159135 GBP) dépasse de plus de 25 % le montant de la somme principale (204774763 GBP). Selon moi, les modalités de versement des intérêts conformément à la section 78 de la VATA 1994 satisfont bien au principe d’effectivité.
38. Il est en revanche plus difficile de répondre à la question de savoir si, dans une procédure comme celle en cause au principal, le versement d’intérêts simples conformément à la section 78 de la VATA 1994 satisfait au principe d’équivalence.
39. En vertu de la jurisprudence constante, le principe d’équivalence requiert que l’ensemble des règles applicables aux recours s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux, similaires, fondés sur la méconnaissance du droit interne ( 26 ). À l’égard de la procédure en cause, cela signifie que les modalités d’exercice du droit au versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union ne doivent pas être moins avantageuses que celles des
droits similaires au versement d’intérêts découlant d’une violation du droit interne (ci-après les «droits similaires de nature interne au versement d’intérêts»). À cet égard, la similitude des droits de nature interne au versement d’intérêts devant être pris en considération en tant que base de comparaison suppose que ceux-ci puissent être considérés comme similaires eu égard à leur objet et à leurs éléments essentiels ( 27 ).
40. Pour répondre à la question portant sur le respect du principe d’équivalence, la juridiction de renvoi, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités du versement d’intérêts dans le cadre d’action en restitution contre l’État, doit donc vérifier si les modalités qui, conformément à la section 78 de la VATA 1994, s’appliquent au versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union correspondent ou non à celles qui s’appliquent dans le cadre de l’exercice de
droits similaires de nature interne au versement d’intérêts.
41. À cet égard, il y a lieu de souligner que les parties à la présente procédure définissent de manière différente le groupe des droits similaires de nature interne au versement d’intérêts devant être pris en considération en tant que base de comparaison.
42. Selon la Commission, dans le cadre de l’examen du principe d’équivalence, il convient d’opérer une comparaison entre les intérêts dus sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union et ceux dus en cas de perception illégale d’autres taxes. Selon cette approche, il conviendrait donc de comparer les intérêts dus sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union avec ceux dus selon le droit interne en cas de perception illégale d’impôts directs ou indirects autres que la TVA.
43. De son côté, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que les intérêts dus sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union ne pourraient être comparés qu’avec ceux dus en cas de perception illégale d’impôts indirects et non avec ceux dus en cas de perception illégale d’impôts directs.
44. Selon le gouvernement néerlandais ( 28 ), dans un cas tel que celui de la présente affaire, le principe d’équivalence exige que les demandes de remboursement de la TVA indûment perçue doivent être traitées de manière équivalente à un recours de nature interne en récupération de taxes ou de redevances similaires. Selon cette approche, il faudrait tout d’abord rechercher quelles taxes et quels impôts sont comparables à la TVA. Ensuite, il faudrait comparer les modalités de versement d’intérêts en
cas de perception illégale de telles taxes et de tels impôts avec celles existant en matière de TVA.
45. Le gouvernement français ( 29 ) renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle une modalité interne de remboursement respecte le principe d’équivalence dès lors qu’elle s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne, en ce qui concerne le même type de taxe.
46. Ces observations divergentes des gouvernements du Royaume-Uni, français et néerlandais ainsi que de la Commission montrent clairement que, dans un cas tel que celui du litige au principal, il peut s’avérer particulièrement difficile de déterminer concrètement quels sont les droits similaires de nature interne au versement d’intérêts.
47. Afin de déterminer quels sont les droits similaires de nature interne au versement d’intérêts, la juridiction de renvoi doit partir des éléments essentiels du droit au versement d’intérêts sur la TVA perçue illégalement découlant du droit de l’Union. En tout état de cause, les droits d’obtenir des intérêts sur des impôts indirects perçus en violation du droit national sont similaires. En revanche, il n’est pas possible de répondre in abstracto à la question de savoir si, dans un cas tel que
celui de la présente affaire, les droits au versement d’intérêts sur des impôts ou taxes directs perçus en violation du droit national peuvent aussi être considérés comme des droits similaires de nature interne au versement d’intérêts ( 30 ). Dans la mesure où cette question se poserait de facto dans le litige au principal dans le contexte de l’examen du principe d’équivalence, la juridiction de renvoi devrait saisir la Cour d’une nouvelle demande de décision préjudicielle motivée pour obtenir
des précisions supplémentaires sur la similitude des droits pertinents de nature interne au versement d’intérêts.
48. Dans l’hypothèse où, compte tenu des considérations qui précèdent, la juridiction de renvoi devait finalement parvenir à la conclusion qu’il existe plusieurs droits similaires de nature interne au versement d’intérêts dont les modalités sont différentes, il n’y aurait néanmoins pas violation du principe d’équivalence du seul fait que la TVA perçue en violation du droit de l’Union ne porterait pas intérêt selon les modalités les plus avantageuses s’appliquant à un ou plusieurs droits similaires
de nature interne au versement d’intérêts. En effet, en vertu de la jurisprudence constante, le principe d’équivalence ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l’ensemble des actions introduites dans un certain domaine du droit ( 31 ).
49. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première, deuxième et troisième questions en ce sens que, en vertu du droit de l’Union, l’assujetti qui a payé un montant trop élevé de TVA, perçu par l’État membre en violation des exigences de la législation de l’Union en matière de TVA, a droit à la restitution de la TVA perçue en violation du droit de l’Union ainsi qu’à des intérêts sur la somme principale. La question de savoir si la somme principale doit
porter intérêt selon un régime d’«intérêts simples» ou plutôt selon un régime d’«intérêts composés» concerne les modalités d’exercice du droit d’obtenir des intérêts découlant du droit de l’Union qui doivent être déterminées par les États membres dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence.
B – Sur la quatrième question préjudicielle
50. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la manière de procéder qui s’impose en vertu du droit de l’Union dans le cas où il s’avérerait que le versement, en application de la section 78 de la VATA 1994, d’intérêts simples sur la TVA trop perçue au cours de la période allant des années 1973 à 2004 ne satisfait pas aux exigences découlant du principe d’effectivité du droit de l’Union.
51. Ainsi que je l’ai déjà exposé, le versement d’intérêts simples sur la TVA trop perçue au cours de la période allant des années 1973 à 2004 satisfait bien au principe d’effectivité. Cela ne signifie toutefois pas que la quatrième question doit être considérée comme étant sans objet. En effet, il ressort des explications données par la juridiction de renvoi sur l’origine de la quatrième question que, en dépit du renvoi exprès au principe d’effectivité, celle-ci porte en substance sur l’effet du
principe d’équivalence.
52. Pour une meilleure compréhension de la quatrième question, il convient tout d’abord de se pencher sur les différentes actions tendant au versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union qui sont discutées dans le cadre du litige au principal. Il ressort notamment de la décision de renvoi que, outre le droit à des intérêts simples en vertu de la section 78 de la VATA 1994, deux autres actions ou modes de réparation du droit interne sont discutés, à savoir, d’une part, la
«mistake-based claim» et, d’autre part, la «Woolwich claim». Selon l’exposé de la juridiction de renvoi, l’application de la section 78 de la VATA 1994 écarte ces deux actions de «common law».
53. Dans l’hypothèse où, dans le cadre de l’examen des première à troisième questions, il s’avérerait qu’il serait contraire au droit de l’Union que ces deux actions de «common law» soient exclues du fait de l’application de la section 78 de la VATA 1994, la juridiction de renvoi laisse entendre qu’une solution conforme au droit de l’Union pourrait être atteinte en permettant aux parties requérantes au principal l’exercice d’une «Woolwich claim», tout en continuant à écarter la «mistake-based
claim».
54. Dans ce contexte, par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande en substance si, en cas de non-conformité constatée au droit de l’Union des sections 78 et 80 de la VATA 1994, la non-application au regard de la «Woolwich claim» de la restriction que contiennent ces dispositions pourrait aboutir, dans le litige au principal, au versement d’intérêts conforme au droit de l’Union ou s’il faudrait pour cela écarter l’application de cette restriction à l’égard de toutes les actions ou
modes de réparation de «common law».
55. Dans leurs observations écrites et orales, les parties requérantes au principal ont exposé ( 32 ) que les actions de «common law» présentant une pertinence à l’égard du litige au principal se caractérisent par le principe des voies de recours concurrentes. Il s’ensuit que, lorsque toutes les conditions sont réunies, le titulaire de l’action peut librement choisir l’une ou l’autre des actions qui lui sont ouvertes. Les deux actions de «common law» (la «mistake-based claim» et la «Woolwich
claim»), qui seraient ouvertes aux parties requérantes au principal, seraient soumises à un délai de prescription de six ans. En ce qui concerne la «Woolwich claim», ce délai de prescription commencerait à courir dès la date du paiement, alors que celui de la «mistake-based claim» ne commencerait à courir qu’à la date à laquelle celui qui peut prétendre à une restitution a découvert le caractère illicite de la perception des sommes réglées ou aurait pu le découvrir en faisant preuve d’une
diligence raisonnable. Selon leur propre exposé, du fait qu’elles auraient fait valoir leurs droits dans le délai de six ans à compter de la découverte, les parties requérantes au principal auraient un intérêt particulier à se fonder sur la «mistake-based claim».
56. Pour répondre à la quatrième question, il convient de partir du principe que c’est aux États membres qu’il appartient de déterminer, dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence, les modalités selon lesquelles des intérêts sont dus sur des taxes perçues en violation du droit de l’Union. À cet égard, je suis déjà parvenue à la conclusion que le versement d’intérêts simples sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union, tel que le Royaume-Uni l’a déterminé à la section 78 de
la VATA 1994, satisfait au principe d’effectivité ( 33 ).
57. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de répondre, conformément aux critères qui ont d’ores et déjà été exposés ( 34 ), à la question de savoir si ce versement d’intérêts simples conformément à la section 78 de la VATA 1994 et la restriction apportée à l’exercice d’autres actions de «common law» qui y est liée satisfont au principe d’équivalence. Dans le contexte de la quatrième question, cette juridiction devra notamment trancher le point de savoir si un contribuable qui réclame la
restitution, assortie d’intérêts, d’impôts ou de taxes équivalentes perçus en violation du droit national peut librement choisir la voie d’action de «common law» ou, le cas échéant, celle prévue par la législation écrite, par laquelle il exerce son droit d’obtenir des intérêts et qu’il peut donc, lorsque toutes les conditions sont réunies, opter pour la «Woolwich claim», la «mistake-based claim» ou tout autre action et, par ce biais, déterminer les modalités selon lesquelles les sommes dues
portent intérêt.
58. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi devait parvenir à la conclusion que les modalités du versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation de droit de l’Union sont moins favorables que les modalités des droits similaires de nature interne au versement d’intérêts parce que, par le choix de la voie d’action, les contribuables peuvent déterminer le délai de prescription ainsi que les autres éléments de ces droits similaires de nature interne alors que tel n’est pas le cas en ce qui
concerne le versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union, il conviendrait d’appliquer les modalités plus favorables s’appliquant à ces droits similaires de nature interne également aux intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union et de permettre ainsi aux contribuables le libre choix de la voie d’action.
59. Afin de garantir le plein effet du droit de l’Union, dans ce cas, la juridiction de renvoi serait tenue, le cas échéant, d’écarter les dispositions nationales qui font obstacle à ce que la TVA perçue en violation du droit de l’Union porte intérêt selon les modalités plus avantageuses applicables aux droits similaires de nature interne au versement d’intérêts et d’appliquer les dispositions nationales qui prévoient des modalités plus avantageuses d’exercice des droits similaires de nature interne
au versement d’intérêts aux droits au versement d’intérêts découlant du droit de l’Union ( 35 ). Cette obligation résulte directement de l’effet direct et de la primauté ( 36 ) des dispositions du droit de l’Union dont découle le droit au versement d’intérêts de l’assujetti à la TVA pouvant prétendre à la restitution.
60. Il y a lieu toutefois à ce stade de rappeler que le principe d’équivalence ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre son régime interne le plus favorable à des actions similaires relatives aux intérêts que portent la TVA perçue en violation du droit de l’Union ( 37 ). S’il devait s’avérer que les contribuables pouvant prétendre à une restitution ne peuvent déterminer le délai de prescription et les autres modalités de versement des intérêts qu’à l’égard de quelques uns
des droits similaires de nature interne au versement d’intérêts, alors que cela est exclu à l’égard d’autres de ces droits similaires de nature interne, l’État membre peut exclure le libre choix de la voie d’action également en ce qui concerne le versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union.
61. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question en ce sens que, pour autant qu’elle devrait parvenir à la conclusion que les modalités, en cause dans le litige au principal, de versement d’intérêts sur la TVA perçue en violation du droit de l’Union sont moins favorables que celles des droits similaires de nature interne au versement d’intérêts et qu’il existe donc de ce fait une violation du principe d’équivalence, la juridiction de renvoi
est tenue d’interpréter et d’appliquer les dispositions nationales en ce sens que la TVA perçue en violation du droit de l’Union doit porter intérêt selon les modalités plus favorables qui s’appliquent aux droits similaires de nature interne au versement d’intérêts.
VII – Conclusion
62. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles:
«1) En vertu du droit de l’Union, l’assujetti qui a payé un montant trop élevé de taxe sur la valeur ajoutée, perçu par l’État membre en violation des exigences de la législation de l’Union européenne en matière de taxe sur la valeur ajoutée, a droit à la restitution de ladite taxe perçue en violation du droit de l’Union ainsi qu’à des intérêts sur la somme principale. La question de savoir si la somme principale doit porter intérêt selon un régime d’‘intérêts simples’ ou plutôt selon un régime
d’‘intérêts composés’ concerne les modalités d’exercice du droit d’obtenir des intérêts découlant du droit de l’Union qui doivent être déterminées par les États membres dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence.
2) Pour autant qu’elle devrait parvenir à la conclusion que les modalités, en cause dans le litige au principal, de versement d’intérêts sur la taxe sur la valeur ajoutée perçue en violation du droit de l’Union sont moins favorables que celles des droits similaires au versement d’intérêts découlant d’une violation interne et qu’il existe donc de ce fait une violation du principe d’équivalence, la juridiction de renvoi est tenue d’interpréter et d’appliquer les dispositions nationales en ce sens
que la taxe sur la valeur ajoutée perçue en violation du droit de l’Union doit porter intérêt selon les modalités plus favorables qui s’appliquent aux droits similaires au versement d’intérêts découlant d’une violation interne.»
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( 1 ) Langue originale: l’allemand.
( 2 ) Directive du Conseil du 11 avril 1967 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Structure et modalités d’application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303).
( 3 ) Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).
( 4 ) En vertu de la jurisprudence constante, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une action en indemnisation pour violation du droit de l’Union puisse être exercée parallèlement à une action en répétition de l’indu. Voir arrêt du 20 octobre 2011, Danfaus et Sauer-Danfoss (C-94/10, Rec. p. I-9963, point 32).
( 5 ) Voir arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 84); du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C-147/01, Rec. p. I-11365, point 93), ainsi que du 15 septembre 2011, Accor (C-310/09, Rec. p. I-8115, point 71).
( 6 ) Voir arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 12); du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C-192/95 à C-218/95, Rec. p. I-165, point 20); du 28 janvier 2010, Direct Parcel Distribution Belgium (C-264/08, Rec. p. I-731, point 45); du 6 septembre 2011, Lady & Kid e.a. (C-398/09, Rec. p. I-7375, point 17), ainsi que Danfoss et Sauer-Danfoss (précité à la note 4, point 20).
( 7 ) Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne confère aux particuliers que dans le cadre de quelques procédures spécifiques un droit direct d’agir devant la Cour tel par exemple le droit d’agir des personnes physiques et morales en vertu des articles 263, paragraphe 4, TFUE, 268 TFUE ou 270 TFUE. Voir également, sur ce point, Basedow, J., «Der Europäische Gerichtshof und das Privatrecht», Archiv für die civilistische Praxis, tome 210, 2010, p. 157, points 192 et suiv., qui voit dans
l’impossibilité pour les acteurs privés de porter devant les juridictions de l’Union les litiges relatifs à des droits découlant du droit de l’Union une incohérence non satisfaisante entre le droit procédural et le droit matériel de l’Union.
( 8 ) Voir arrêts Weber’s Wine World e.a. (précité à la note 5, point 103); du 6 octobre 2005, MyTravel (C-291/03, Rec. p. I-8477, point 17), ainsi que Danfoss et Sauer-Danfoss (précité à la note 4, point 24).
( 9 ) Voir arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C-446/04, Rec. p. I-11753, point 203); du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C-524/04, Rec. p. I-2107, point 111); du 8 juillet 2010, Bulicke (C-246/09, Rec. p. I-7003, point 25), et Accor (précité à la note 5, point 79).
( 10 ) Voir déjà, à cet égard, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, Rec. p. 1989), qui est considéré comme l’arrêt de principe de la jurisprudence de la Cour sur l’autonomie procédurale des États membres. Dans cet arrêt qui portait sur la conformité au droit de l’Union de délais, prévus par le droit national, d’exercice en justice de droits découlant du droit de l’Union, la Cour a lié la notion d’autonomie procédurale des États membres au principe, désormais fixé à
l’article 4, paragraphe 3, TUE, de la coopération loyale entre l’Union et les États membres. Elle a notamment déduit de ce principe que c’est aux juridictions nationales qu’il incombe d’assurer la protection juridique découlant directement pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union. Cette mission des États membres a pour objectif de garantir le plein effet du droit de l’Union et elle est étroitement liée au principe de la protection juridictionnelle effective et au droit fondamental
à un recours effectif visé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Sur ce lien entre les obligations des États membres en vertu de l’article 4 TUE, la garantie du plein effet du droit de l’Union et le principe de la protection juridictionnelle effective ainsi que le droit fondamental à un recours effectif visé à l’article 47 de ladite charte des droits fondamentaux, voir arrêt du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, Rec. p. I-2483, points 41 et suiv.).
( 11 ) Voir Kakouris, C. N., «Do the Member States possess judicial procedural ‘autonomy’?», CMLRev, 1997, p. 1389 et suiv. Voir, aussi, van Gerven, W., «Of Rights, Remedies and Procedures», CMLR, 2000, p. 502, qui propose entre autres de remplacer la notion d’autonomie procédurale par celle de la compétence procédurale des États membres. Voir aussi Delicostopoulos, J., «Towards European Procedural Primacy in National Legal Systems», ELJ, 2003, p. 599 et suiv., qui part à cet égard d’un mélange de
compétence procédurale des États membres et de primauté du droit procédural de l’Union.
( 12 ) Voir arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C-212/04, Rec. p. I-6057, points 90 et suiv.), dans lequel la Cour a eu recours, entre autres, au principe d’autonomie procédurale pour répondre à la question de savoir quelles sont les mesures ou sanctions que doivent prévoir les États membres pour faire face à la violation de droits découlant du droit de l’Union sur laquelle portait cette procédure. Voir, aussi, arrêts du 7 septembre 2006, Marrosu et Sardino (C-53/04, Rec. p. I-7213, points 50 et
suiv.), ainsi que Vassallo (C-180/04, Rec. p. I-7251, points 35 et suiv.).
( 13 ) Voir Trstenjak, V., et Beysen, E., «European Consumer Protection Law: Curia semper dabit remedium?», CMLRev, 2011, p. 104 et suiv.
( 14 ) Sur le rôle de l’autonomie procédurale des États membres dans le système européen de procédure civile, voir Wagner, G., «Einleitung vor Art. 1», dans Stein, F., et Jonas, M., Kommentar zur Zivilprozessordnung, 22e éd., Tübingen, 2011, points 68 et suiv.
( 15 ) Arrêt du 21 mai 1976 (26/74, Rec. p. 677, points 11 et suiv.).
( 16 ) Arrêt du 12 juin 1980 (130/79, Rec. p. 1887, points 16 et suiv.).
( 17 ) Arrêt du 15 septembre 1998 (C-279/96 à C-281/96, Rec. p. I-5025, point 28).
( 18 ) Arrêt du 7 septembre 2006 (C-470/04, Rec. p. I-7409, point 60).
( 19 ) Précité.
( 20 ) Ibidem (point 86).
( 21 ) Ibidem (points 87 et 89).
( 22 ) Précité à la note 9, points 202 et suiv.
( 23 ) Précité à la note 9, point 112.
( 24 ) Voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation (précité à la note 9, point 205).
( 25 ) Voir arrêts du 30 juin 2011, Meilicke e.a. (C-262/09, Rec. p. I-5669, point 55), ainsi que Accor (précité à la note 5, point 79).
( 26 ) Voir arrêts du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor (C-392/04 et C-422/04, Rec. p. I-8559, point 62); du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C-118/08, Rec. p. I-635, point 33), ainsi que du 15 avril 2010, Barth (C-542/08, Rec. p. I-3189, point 19).
( 27 ) Voir arrêts du 16 mai 2000, Preston e.a. (C-78/98, Rec. p. I-3201, point 49); Transportes Urbanos y Servicios Generales (précité à la note 26, point 35), ainsi que Bulicke (précité à la note 9, point 28).
( 28 ) Voir observations écrites du gouvernement néerlandais (point 21).
( 29 ) Voir observations écrites du gouvernement français (point 55).
( 30 ) Voir, à cet égard, arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C-35/05, Rec. p. I-2425, points 43 et suiv.), dans lequel, dans le contexte de l’examen du caractère comparable des taxes directes et indirectes, la Cour est parvenue à la conclusion que le système d’imposition directe dans son ensemble est sans rapport avec celui de la TVA.
( 31 ) Voir arrêts Ansaldo Energia e.a. (précité à la note 17, point 29); du 29 octobre 2009, Pontin (C-63/08, Rec. p. I-10467, point 45); Transportes Urbanos y Servicios Generales (précité à la note 26, point 34), ainsi que Bulicke (précité à la note 9, point 27).
( 32 ) Voir observations écrites (points 34 et suiv. ainsi que points 112 et suiv.).
( 33 ) Voir points 33 et suiv. des présentes conclusions.
( 34 ) Voir points 38 et suiv. des présentes conclusions.
( 35 ) Voir arrêts du 8 novembre 2005, Leffler (C-443/03, Rec. p. I-9611, point 51); du 14 janvier 2010, Kyrian (C-233/08, Rec. p. I-177, point 61), et du 15 juillet 2010, Purrucker (C-256/09, Rec. p. I-7353, point 99).
( 36 ) Voir avis 1/91, du 14 décembre 1991 (Rec. p. I-6079, point 21), et avis 1/09, du 8 mars 2011 (Rec. p. I-2099, point 65).
( 37 ) Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 31.