CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. JÁN MAZÁK
présentées le 3 mai 2012 ( 1 )
Affaire C‑115/11
Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe sp. z o.o.
contre
Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie
[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (Pologne)]
«Sécurité sociale des travailleurs migrants — Détermination de la législation applicable — Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres — Travail effectué durant des périodes consécutives et sur la base de contrats de travail successifs — Certificat E 101 — Divergence entre le contrat de travail et le travail effectif»
I – Introduction
1. Par ordonnance du 15 décembre 2010, parvenue à la Cour le 2 mars 2011, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne) a adressé à la Cour au titre de l’article 267 TFUE une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui
se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 ( 2 ), tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 ( 3 ) (ci-après le «règlement no 1408/71»).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe sp. z o.o. (ci-après «Format»), en présence d’un de ses salariés, M. Kita, au Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie (Institut des assurances sociales, bureau I de Varsovie, ci-après le «ZUS»), au sujet de la détermination de la législation applicable à M. Kita au sens du règlement no 1408/71.
3. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si une personne qui se trouve dans la situation de M. Kita peut être considérée comme une «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» pour l’application de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, auquel cas, par exception, la législation de l’État membre de résidence du travailleur – en l’espèce, la législation polonaise – peut être
applicable.
II – Le cadre juridique
4. Pour ce qui importe en l’espèce, l’article 13 du règlement no 1408/71, intitulé «Règles générales», prévoit, en ce qui concerne la détermination de la législation applicable, que:
«1. Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.
2. Sous réserve des articles 14 à 17:
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;
[…]»
5. L’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1408/71, intitulé «Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée», dispose, pour ce qui importe en l’espèce, que:
«La règle énoncée à l’article 13 paragraphe 2 point a) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes:
1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre État membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme
de la période de son détachement;
b) si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder douze mois, la législation du premier État membre demeure applicable jusqu’à l’achèvement de ce travail, à condition que l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel l’intéressé est détaché ou l’organisme désigné par cette autorité ait donné son accord; cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de
douze mois. Toutefois, cet accord ne peut être donné pour une période excédant douze mois;
2) la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit:
a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de ce dernier État. Toutefois:
[…]
b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise:
i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres;
ii) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité».
III – L’exposé des faits, du déroulement de la procédure et des questions préjudicielles
6. Il ressort de la décision de renvoi que Format, dont le siège est à Varsovie, exerce des activités en qualité de sous-traitant dans le secteur de la construction dans les différents États membres de l’Union européenne. En 2008, Format était active sur quinze à 18 chantiers simultanément, dans cinq ou six États membres. Format procédait en employant des travailleurs recrutés en Pologne afin de les détacher sur des chantiers en cours dans les différents États membres selon les besoins de
l’entreprise et selon la nature du travail à effectuer.
7. Un travailleur qui devait être détaché auprès d’un autre site de construction recevait un ordre de mission. En cas de cessation du contrat de construction et d’absence de travail pour ce travailleur, celui-ci rentrait en Pologne et bénéficiait alors d’un congé sans solde, ou bien il était mis fin au contrat de travail. Cela dépendait de la quantité de travail, qui était plus rare dans les années 2008 et 2009 (années de crise). En principe, le travailleur devait effectuer le travail dans les pays
de l’Union. Aucun des travailleurs de Format n’a travaillé en Pologne durant les années 2008 et 2009.
8. Plus particulièrement, en ce qui concerne M. Kita, le lieu de sa résidence, au sens de l’article 1er, sous h), du règlement no 1408/71 (lieu de séjour habituel), est en Pologne.
9. À trois reprises, M. Kita a été employé à plein temps par Format sur la base de contrats de travail à durée déterminée.
10. Le premier contrat de travail à durée déterminée était conclu pour la période du 17 juillet 2006 au 31 janvier 2007, prolongée ensuite jusqu’au 22 décembre 2007. Ce contrat a pris fin le 30 novembre 2006. Il définissait, à la clause 2, point 2, le lieu d’exécution du travail, à savoir les installations et sites de construction en Pologne et sur le territoire de l’Union (en Allemagne, en Irlande, en France, en Finlande et en Grande-Bretagne), selon les instructions de l’employeur. Dans le cadre
de ce contrat, M. Kita a toutefois travaillé uniquement en France.
11. Le ZUS, en tant qu’institution compétente en matière de pension, a délivré – pour la période du 17 juillet 2006 au 22 décembre 2007 – un certificat E 101 conformément à l’article 11 bis du règlement (CEE) no 574/72 ( 4 ) confirmant, sur le fondement de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, que la législation applicable à M. Kita était la législation polonaise. Comme suite à la cessation du contrat, le certificat a été corrigé pour viser la période allant jusqu’au
30 novembre 2006.
12. Le deuxième contrat a été conclu le 2 janvier 2007 entre Format et M. Kita, pour la période du 4 janvier 2007 au 21 décembre 2008. Selon la clause 2, point 2, de ce contrat, le lieu d’exécution du travail était défini comme étant en Pologne et sur le territoire de l’Union (en Allemagne, en Irlande, en France, en Finlande et en Grande-Bretagne), selon les instructions de l’employeur.
13. Dans le cadre de ce contrat, M. Kita a exercé son activité hors de Pologne, en France. Le contrat a pris fin d’un commun accord le 5 avril 2008, mais du 22 août 2007 au 31 décembre 2007, M. Kita était en incapacité de travailler pour cause de maladie. Par conséquent, le 8 janvier 2008, le ZUS a corrigé le certificat E 101 délivré en vue de viser la période allant jusqu’au 22 août 2007.
14. Par décision du 23 juillet 2008 (ci-après la «décision»), adressée à Format et à M. Kita, le ZUS – sur la base de la législation polonaise et de l’article 14, paragraphes 1, sous a), et 2, sous b), du règlement no 1408/71 – a refusé de délivrer le certificat concernant la législation applicable au moyen du formulaire E 101 ou de confirmer sur ce certificat que, durant les périodes du 1er janvier 2008 au 21 décembre 2008 et du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009, M. Kita relevait du régime de
sécurité sociale polonais. Selon cette décision, M. Kita était non pas une personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de plusieurs États membres de l’Union ou de l’Espace économique européen, mais un travailleur détaché selon la situation de l’employeur.
15. Le 24 juillet 2008, soit après l’adoption de la décision contestée, un troisième contrat de travail à durée déterminée a été conclu entre Format et M. Kita. Ce contrat était conclu pour la période du 30 juillet 2008 au 31 décembre 2012 et portait la même indication quant au lieu d’exécution du travail que les deux contrats précédents. Or, dans un avenant au contrat du 24 juillet 2008, il était précisé que le lieu d’exécution du travail était la centrale nucléaire de Olkiluoto en Finlande. Après
avoir travaillé en Finlande, M. Kita a obtenu un congé sans solde du 1er novembre 2008 au 30 septembre 2009, étant ainsi libéré de l’obligation d’effectuer un travail rémunéré. Le contrat de travail a pris fin d’un commun accord le 16 mars 2009.
16. Format a attaqué la décision contestée devant le Sąd Okręgowy – Sąd Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie (tribunal régional – tribunal de la sécurité sociale de Varsovie), qui a rejeté le recours par un jugement du 12 février 2009, considérant que les conditions n’étaient pas remplies pour admettre que M. Kita avait été détaché, au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, parce que Format n’exerçait pas principalement ses activités dans l’État dans lequel se trouve
son siège social. Le Sąd Okręgowy – Sąd Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie jugeait également que M. Kita n’exerçait pas normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, mais qu’il avait exercé en permanence son activité pendant quelques mois ou plus de dix mois sur le territoire d’un seul État membre (en France puis en Finlande) et que, par conséquent, la règle générale de coordination communautaire s’appliquait à son égard, à savoir que la législation
applicable était définie selon le principe du lieu d’exercice de l’activité.
17. Format et M. Kita ont interjeté appel du jugement du Sąd Okręgowy – Sąd Ubezpieczeń Społecznych w Warszawie du 12 février 2009 devant la juridiction de renvoi.
18. Devant la juridiction de renvoi, Format a fait valoir que le régime dans le cadre duquel ses travailleurs exercent leur activité est celui prévu à l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, qui ne vise pas nécessairement l’exercice simultané de l’activité dans deux ou plusieurs États membres, et qui ne fait aucune mention de quelconques périodes de référence ou de la fréquence à laquelle un travailleur change de lieu de travail ou traverse la frontière.
19. M. Kita partage l’opinion de Format et soutient dans son appel que sa situation est conforme à l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, dès lors qu’il a déjà «exercé normalement une activité salariée sur le territoire de plus de deux États membres» dans le cadre de sa relation de travail avec Format, à savoir dans le cadre de contrats qui ont été conclus pour le territoire de six États membres, même s’ils n’ont été exécutés que dans deux États membres (en France et en
Finlande) jusqu’ici. De plus, s’il devait être déplacé vers un chantier en Pologne, ledit article 14, paragraphe 2, sous b), i), serait aussi applicable.
20. Dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi affirme que, dans une autre affaire concernant un travailleur de Format, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a jugé que la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», figurant à l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, n’était pas tout à fait claire. Cette notion pourrait viser soit i) le travailleur effectuant son travail, aux termes d’un seul
contrat de travail, dans plusieurs États membres en même temps (simultanément) soit ii) la personne qui, sur la base d’un contrat de travail conclu avec un seul employeur, effectue le travail dans plusieurs États membres successivement. Cependant, à la lumière des objectifs du règlement no 1408/71, et en particulier celui de surmonter les difficultés techniques ou administratives découlant de l’application du principe de la lex loci laboris en cas de travail à durée déterminée ainsi que de
promouvoir la libre circulation des travailleurs, il serait raisonnable, selon cette juridiction, de considérer une personne comme «exerçant normalement une activité salariée» sur le territoire de plusieurs États membres, au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, lorsque, dans le contexte d’une même relation de travail, cette personne est tenue en permanence (c’est-à-dire normalement) d’exercer son activité dans plusieurs États membres autres que celui dans
lequel elle réside.
21. Selon la juridiction de renvoi, cette interprétation soulève deux questions. Premièrement, il n’apparaît pas clairement si la longueur des périodes consécutives d’exécution des obligations dans chacun des États membres et des intervalles entre ces périodes est un élément significatif. Pour répondre à cette question, le libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, qui prévoit que la durée de détachement temporaire n’excède pas douze mois, ne saurait être ignoré.
22. Deuxièmement, la question se pose de savoir si l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71 s’applique lorsqu’une obligation, aux termes d’un contrat de travail, d’exercer une activité dans plusieurs États membres sur une base permanente comprend l’exécution d’obligations dans l’État membre de résidence du travailleur alors que l’exécution du travail dans cet État membre particulier apparaît toutefois avoir été exclue au moment de la conclusion du contrat. Si la réponse à
cette question est négative, alors la question se pose de savoir ensuite si l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 est applicable.
23. Dans ces circonstances, le Sąd Apelacyjny w Warszawie a décidé de suspendre la procédure et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:
«1) Le fait qu’une ‘personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres’ – dont il est précisé [au point] b) de cette disposition qu’il s’agit d’une personne autre que celle visée au point a) – relève du champ d’application de l’article 14, paragraphe 2, première phrase, du règlement [no 1408/71], signifie-t-il qu’un travailleur salarié occupé aux termes d’un contrat de travail par un seul employeur
a) est assimilé à une telle personne si, en raison de la nature de l’emploi, il exerce une activité dans plusieurs États membres en même temps (simultanément), y compris pour des périodes relativement courtes, et traverse donc fréquemment la frontière
et signifie-t-il également que ce travailleur
b) est aussi assimilé à une telle personne s’il est tenu, dans le cadre d’un seul contrat de travail, d’effectuer en permanence (normalement) son travail dans plusieurs États membres, y compris dans l’État où il réside ou dans plusieurs États membres autres que son État de résidence
soit indépendamment de la durée des périodes successives d’exécution des obligations dans chacun des États membres et des interruptions entre elles, soit avec une limite dans le temps?
2) Si la Cour répond par l’affirmative à l’hypothèse présentée [au point] b) ci-dessus, est-il possible d’appliquer l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, lorsque l’obligation issue du contrat de travail entre le travailleur et un seul employeur pour un travail à exécuter en permanence dans plusieurs États membres comprend l’exécution des obligations dans l’État de résidence du travailleur, alors que cette situation – le travail dans l’État de résidence – semble
exclue au moment de la signature du contrat de travail et, dans la négative, est-il possible de recourir à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71?»
IV – Analyse juridique
A – Observations préalables
24. Avant d’entamer l’analyse, il semble utile de formuler quelques observations préalables afin de délimiter les problèmes soulevés par les questions déférées.
25. Par ses questions, qu’il convient de considérer ensemble, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si, durant les périodes en cause dans l’affaire qui lui est soumise, M. Kita devait être considéré – selon une application correcte du règlement no 1408/71 et, en particulier, des exceptions prévues à son article 14 – comme soumis à la législation polonaise en matière de sécurité sociale, c’est-à-dire à la législation de son État membre de résidence, ce qui signifierait que le ZUS,
en tant qu’institution compétente, aurait dû délivrer un certificat E 101 confirmant son affiliation à ce régime de sécurité sociale.
26. À cet égard, il convient de noter, tout d’abord, qu’il ressort de sa décision de renvoi que la juridiction de renvoi se fonde sur l’hypothèse selon laquelle l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, relatif au détachement temporaire de travailleurs, n’est pas applicable dans la situation de M. Kita, au motif – semble-t-il – que Format, la société qui l’emploie, n’exerce normalement pas d’activités significatives sur le territoire de la République de Pologne, l’État membre
dans lequel elle est établie, comme le requiert cette disposition ( 5 ).
27. Je ne mettrai pas en cause cette affirmation dans le cadre de la présente procédure, puisqu’il a également été confirmé à l’audience que, durant les périodes pertinentes, Format n’effectuait en fait aucun travail de construction en Pologne.
28. Par conséquent, la juridiction nationale se limite dans ses questions à demander, en substance, si une situation telle que celle dans laquelle se trouve M. Kita peut relever soit de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71, soit de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), de ce règlement, l’application des deux dispositions étant soumise, conformément à la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement, à la condition qu’il s’agisse d’une «personne qui
exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres».
29. Il importe d’observer ensuite, à cet égard, que les faits de l’affaire au principal sont marqués – comme certaines parties à la présente procédure l’ont correctement observé et, en particulier, comme cela est reflété dans le libellé de la deuxième question – par une divergence entre, d’une part, le libellé des contrats de travail respectifs conclus entre Format et M. Kita et, d’autre part, la manière dont ces contrats ont été exécutés en pratique, qui est également à l’origine d’une certaine
ambiguïté des questions posées par la juridiction nationale.
30. Ainsi, dans les contrats de travail, le lieu du travail était dans chaque cas décrit comme suit: les installations et sites de construction en Pologne et sur le territoire de l’Union (en Allemagne, en Irlande, en France, en Finlande et en Grande-Bretagne), selon les instructions de l’employeur.
31. En réalité, cependant, ainsi qu’il ressort des informations fournies par la juridiction nationale et par les parties, la situation de M. Kita était celle-ci: des contrats de travail à durée déterminée successifs étaient conclus avec un même employeur (Format), aux termes desquels le travailleur exerçait en permanence une activité pendant plusieurs mois ou plus de dix mois sur le territoire d’un seul État membre, à savoir, dans le cadre du premier contrat en cause – ainsi que dans le cadre
d’autres contrats à durée déterminée antérieurs – en France et, dans le cadre du contrat suivant, en Finlande. Il convient d’ajouter que, selon les constatations de la juridiction nationale, la résidence habituelle de M. Kita, au sens de l’article 1er, sous h), du règlement no 1408/71, est restée – même durant les périodes au cours desquelles il effectuait son travail en France ou en Finlande – en Pologne.
32. Il apparaît également que, dans chaque cas, lorsque le travail était terminé, le travailleur obtenait un congé sans solde et qu’il était ensuite mis fin prématurément au contrat de travail d’un commun accord. En outre, il apparaît constant, et la deuxième question repose aussi sur ce postulat, que M. Kita n’a, en fait, pas effectué de travail sur le territoire de la République de Pologne, son État membre de résidence.
33. À mon sens, il est dès lors nécessaire, afin de donner à la juridiction nationale une réponse correcte et utile, de faire une distinction conceptuelle entre, d’une part, la question d’interprétation relative aux conditions d’applicabilité de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 et de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), de ce règlement respectivement et, d’autre part, l’aspect relatif à la divergence, en l’espèce, entre les contrats de travail et les lieux
d’exécution du travail qu’ils prévoient – et sur la base desquels Format a demandé la délivrance du certificat E 101 – et la manière dont les obligations ont été réellement exécutées en pratique dans le cadre de ces contrats.
34. Par conséquent, j’examinerai d’abord, eu égard à la situation de M. Kita telle que décrite ci-dessus, les exigences des dispositions susmentionnées de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 et ensuite le problème de la divergence entre le libellé des contrats concernés et leur exécution effective. Ce dernier aspect se résume, en substance, à la question de savoir comment – ou plutôt sur quelle base factuelle et sur quels éléments de preuve – l’autorité compétente doit, afin de
délivrer un certificat E 101, déterminer si les conditions de l’application de l’une des exceptions aux termes dudit article 14, paragraphe 2, sont remplies dans un cas particulier.
B – Principaux arguments des parties
35. Dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle, des observations écrites ont été déposées par Format et par le ZUS, ainsi que par les gouvernements polonais, belge et allemand et par la Commission européenne. Toutes ces parties, à l’exception du gouvernement allemand, étaient également représentées lors de l’audience du 29 février 2012.
36. Format fait valoir que l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 vise également une personne qui, dans le cadre d’une même relation de travail, est tenue d’exercer en permanence son activité dans plusieurs États membres, quelle que soit la durée des périodes consécutives d’exécution des obligations dans les États membres concernés ainsi que la longueur des intervalles entre ces périodes, et elle propose, en substance, de répondre par l’affirmative aux questions soumises à la Cour. Les
autres parties – dont je ne résumerai pas non plus les arguments respectifs en détail – suggèrent une variété de définitions de la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» utilisée dans cette disposition, plutôt en faveur d’une interprétation plus restrictive de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71 que celle proposée par Format.
C – Appréciation
37. Il y a lieu de relever d’abord que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71, dont fait partie l’article 14, paragraphe 2, constituent, selon la jurisprudence constante de la Cour, un système complet et uniforme de règles de conflits de loi, qui tendent à ce que les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté européenne soient soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les
complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe est, plus spécialement, exprimé à l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, qui dispose que les personnes auxquelles ledit règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre ( 6 ).
38. Ainsi, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 constitue une exception à la règle, posée par son article 13, paragraphe 2, sous a), en vertu de laquelle le travailleur est soumis à la législation de l’État membre sur le territoire duquel il exerce une activité salariée (principe de la lex loci laboris) ( 7 ).
39. Ainsi qu’il ressort clairement de la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, ces exceptions s’appliquent aux personnes qui «exercent normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres».
40. À cet égard, l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, qui s’applique à ces personnes [autres que celles qui font partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous a), de ce règlement], dispose premièrement à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), dudit règlement que la législation de l’État membre sur le territoire duquel la personne concernée réside est applicable, si elle exerce une partie de son activité sur ce
territoire ( 8 ).
41. Cependant, il convient de noter à cet égard – comme l’a souligné le gouvernement belge – que la situation de M. Kita ne semble pas correspondre à ces conditions, dans la mesure où il semble établi que, durant la période concernée, il n’exerçait aucune activité sur le territoire de la République de Pologne, son État membre de résidence. Par conséquent, à mon sens – mais sans préjudice de la solution finale de cette question par la juridiction nationale et de la valeur à attribuer dans ce contexte
au libellé du contrat de travail, comme je l’exposerai ci-dessous – il convient déjà d’exclure, pour ce seul motif, l’applicabilité de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 dans les circonstances de l’espèce.
42. Par ailleurs, l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71 dispose qu’une personne est soumise à la législation en matière de sécurité sociale de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité.
43. Bien que, selon la décision de renvoi, M. Kita semble remplir cette dernière condition, l’applicabilité de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71 à sa situation dépend – de la même manière que pour l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), de ce règlement – de la question de savoir s’il peut être considéré comme une «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres».
44. Il est vrai que le règlement no 1408/71 ne définit pas cette notion mais on peut au moins affirmer de manière générale que, tout d’abord, il s’agit de toute évidence d’une activité salariée qui ne se trouve pas confinée au territoire d’un seul État membre, mais qui s’étend normalement et habituellement – c’est-à-dire en règle générale plutôt que seulement exceptionnellement ou temporairement – sur le territoire de plusieurs États membres ( 9 ).
45. Certains exemples du type d’activité salariée visé par la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 sont fournis par ce règlement lui-même et par la jurisprudence de la Cour.
46. Ainsi, comme il ressort de l’article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71, les personnes qui font partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant des transports internationaux sont, en principe, considérées comme des personnes exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de plusieurs États membres.
47. En outre, la Cour a admis, par exemple, que la situation d’un travailleur, demeurant dans un État membre et employé exclusivement par une entreprise ayant son siège social dans un autre État membre, qui, dans le cadre de ce rapport de travail, exerce de manière régulière, à concurrence de plusieurs heures par semaine, et pour une période qui n’est pas limitée à douze mois, une partie de son activité dans le premier État relève de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 (
10 ).
48. Ces cas concernent des situations dans lesquelles, en principe, dans le cadre d’une relation de travail, une personne effectue un travail plus ou moins simultanément ou concurremment dans plusieurs – c’est-à-dire au moins deux – États membres.
49. Cependant, à mon sens, il est possible également que la notion d’exercice normal d’une activité salariée sur le territoire de plusieurs États membres vise une situation telle que celle à laquelle fait référence la juridiction nationale, caractérisée par l’exercice successif ou en alternance de missions de travail ou de projets dans plus d’un État membre.
50. À cet égard, il convient de souligner que les exceptions prévues à l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71 – comme c’est le cas des autres exceptions à la règle de l’État membre du lieu d’exercice de l’activité prévues aux articles 14 à 17 de ce règlement – visent à surmonter les obstacles susceptibles d’entraver la libre circulation des travailleurs et également à favoriser l’interpénétration économique en évitant les complications administratives, en particulier pour les
travailleurs et les entreprises ( 11 ).
51. De tels obstacles et complications peuvent clairement surgir également dans le cas d’un travailleur dont le travail n’est pas exercé, au sens utilisé ci-dessus, simultanément sur le territoire de plusieurs États membres, mais consiste en missions de travail effectuées dans différents États membres durant des périodes successives ou en alternance.
52. Un autre exemple dans ce contexte et sur le même thème peut être tiré du fait que – bien qu’il s’agisse du nouveau règlement (CE) no 883/2004 ( 12 ), non applicable ratione temporis en l’espèce – aux termes de l’article 14, paragraphe 5, du règlement (CE) no 987/2009 ( 13 ) une personne qui «exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres» désigne à la fois une personne qui exerce ces activités simultanément et une personne qui exerce en permanence des activités
alternantes dans deux États membres ou plus.
53. Il convient de noter à cet égard que, aux termes de cette disposition, cette dernière hypothèse s’applique quelle que soit la fréquence ou la régularité de l’alternance.
54. Il semble également difficile de déduire de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, en l’absence de toute disposition à cet effet, une fréquence ou alternance spécifique, ou une durée spécifique qu’une période d’activité dans l’un des États membres concernés ne pourrait pas dépasser, aux fins de l’applicabilité de cette disposition, comme l’ont en particulier proposé plusieurs parties lors de l’audience.
55. Par ailleurs, comme l’ont observé la juridiction de renvoi et la Commission, on ne saurait négliger le fait que, aux fins de l’exception prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, le législateur a manifestement considéré le détachement d’un travailleur dans un autre État membre allant jusqu’à douze mois comme «temporaire» et de «courte durée», justifiant donc une exception à la règle de l’État membre du lieu d’exercice de l’activité, motivée par l’encouragement de
l’interpénétration économique en évitant les complications administratives ( 14 ).
56. De même, il pourrait être admis qu’une personne exerçant – durant des périodes successives de travail – des activités dans différents États membres pourrait être considérée comme une «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres» si une période ininterrompue de travail dans un État membre dure jusqu’à – sans excéder – douze mois.
57. Cependant, un autre aspect encore – qui a été examiné également par certaines des parties – me semble plus déterminant eu égard aux faits à l’origine de la présente affaire. Il peut être soutenu que la question de savoir si une personne exerce «normalement» une activité salariée sur le territoire de plusieurs États membres – c’est-à-dire de savoir si le profil d’emploi de cette personne se caractérise effectivement par l’exercice successif et en alternance du travail dans différents États
membres – ne peut être résolue que par rapport à un cadre de référence qui est, à mon sens, la relation de travail telle que définie dans le contrat de travail.
58. À mon sens, la situation de travail salarié envisagée par la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 est non pas, par exemple, la situation dans laquelle une personne, une année donnée, accède à un travail salarié dans l’État membre A et, l’année suivante, sur la base d’un autre contrat, exerce un travail salarié dans l’État membre B, mais plutôt une relation de travail de nature cohérente et continue répartie, de façon simultanée ou durant des périodes
successives, sur le territoire de plusieurs États membres ( 15 ).
59. Il est alors clair que, inversement, si une personne exerce une activité dans le cadre d’un seul contrat de travail et, durant la période couverte par cette relation de travail, ne travaille que dans un seul État membre, elle ne saurait être considérée comme une personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres. Il convient d’ajouter que cela s’appliquerait même lorsque, dans le cadre d’un autre contrat de travail, ultérieur et séparé,
avec le même employeur, la personne peut exercer une activité salariée sur le territoire d’un État membre différent de celui mentionné dans le premier contrat de travail ( 16 ).
60. À la lumière des considérations qui précèdent, je proposerais à la Cour de juger, dans une première partie de la réponse à la juridiction de renvoi, qu’il convient d’interpréter la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», utilisée dans la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, en ce sens qu’elle vise également une personne qui, dans le cadre d’un seul et même contrat de travail conclu
avec un même employeur et durant la période couverte par celui-ci, effectue des missions de travail non pas simultanément ou concurremment, mais durant des périodes successives sur le territoire d’au moins deux États membres, pour autant que la période ininterrompue de travail dans chacun des États membres n’excède pas douze mois.
61. Ensuite, en ce qui concerne la question – relative à la délivrance du certificat E 101 – d’une divergence possible entre le libellé du contrat de travail concerné et la situation réelle du travailleur auquel se réfère ledit contrat, il est clair, tout d’abord, que pour déterminer si une personne est visée par une disposition particulière de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, l’institution compétente doit procéder correctement, c’est-à-dire qu’elle ne peut déclarer que la
législation de sécurité sociale de l’État membre de résidence reste applicable durant une période donnée que si la situation du travailleur concerné remplit réellement, dans les faits et concrètement, les conditions pertinentes dudit règlement.
62. À cet égard et à cette fin, conformément à la jurisprudence de la Cour, le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE (ancien article 10 CE) impose à l’institution émettrice de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable en matière de sécurité sociale et, partant, de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat E 101 ( 17 ).
63. Or, il convient néanmoins de garder à l’esprit que le certificat E 101 est, en règle générale, délivré – et, par conséquent, l’appréciation des faits susmentionnée est effectuée – avant le début de la période qu’il vise et qu’il établit, en substance, une présomption relative à la législation applicable ( 18 ). Il est délivré par l’institution compétente sur la base de la situation de travail anticipée du travailleur concerné qui, partant, doit être principalement établie sur le fondement du
contrat de travail décrivant la nature du travail.
64. S’il ressort, toutefois, d’autres éléments pertinents et d’éléments de preuve circonstancielle que la situation de travail d’un travailleur diffère substantiellement, en fait, de celle décrite dans son contrat de travail, l’obligation susmentionnée d’appliquer le règlement no 1408/71 signifie correctement qu’il incombe à l’institution compétente, quel que soit le libellé de ce contrat, de fonder ses constatations sur la situation réelle du travailleur et, le cas échéant, de refuser de délivrer
le certificat E 101. Par ailleurs, s’il apparaît par la suite que les faits sur lesquels le certificat est fondé sont substantiellement incorrects, il peut être demandé à l’institution compétente – ou, dans une procédure judiciaire, à la juridiction concernée – de retirer le certificat ou de le déclarer invalide ( 19 ).
65. Lors de l’appréciation des faits aux fins de la détermination de la législation de sécurité sociale applicable pour délivrer un certificat E 101, l’institution compétente peut tenir compte, en plus du libellé du contrat de travail, d’éléments tels que la manière dont des contrats similaires entre l’employeur et le travailleur concerné ont été exécutés en pratique dans le passé ou, plus généralement, les caractéristiques des activités exercées par l’entreprise concernée ( 20 ), dans la mesure où
ces éléments peuvent éclairer la nature réelle du travail concerné ou, le cas échéant, indiquer des pratiques abusives.
66. Il s’ensuit également que, si cette appréciation fait apparaître que, nonobstant le libellé du contrat de travail produit, il est immédiatement clair que le travailleur concerné ne remplit pas l’une des conditions d’application d’une disposition du règlement no 1408/71 – par exemple, la condition à laquelle fait référence la juridiction nationale dans la deuxième question, à savoir que, aux fins de l’application de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71, le travail doit
être exécuté dans l’État membre dans lequel le travailleur réside – cette disposition ne saurait être appliquée.
67. À la lumière des considérations qui précèdent, je proposerai à la Cour de juger, dans une deuxième partie de la réponse à la juridiction de renvoi, que, pour déterminer, aux fins de la délivrance d’un certificat E 101, si la situation d’une personne relève de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71 ou de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), de ce règlement, une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application de ces règles doit être effectuée, afin
d’assurer que la situation concrète du travailleur concerné remplit les conditions pertinentes selon ces règles. Il y a lieu d’entreprendre cette appréciation, principalement, sur la base du contrat de travail, mais d’autres éléments pertinents peuvent également être pris en compte, comme la manière dont des contrats similaires entre l’entreprise et la personne concernée ont été exécutés en pratique dans le passé et, plus généralement, les activités auxquelles se livre l’entreprise concernée.
S’il apparaît alors clairement que, nonobstant le libellé du contrat de travail, la situation de la personne ne remplit pas en fait une condition établie par une disposition du règlement no 1408/71 – comme, par exemple, la règle de son article 14, paragraphe 2, sous b), i), ou de son article 14, paragraphe 2, sous b), ii) – celle-ci ne saurait être appliquée.
V – Conclusion
68. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions dont elle est saisie par le Sąd Apelacyjny w Warszawie:
— Il convient d’interpréter la notion de «personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres», utilisée dans la première phrase de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise
à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, en ce sens qu’elle vise également une personne qui, dans le cadre d’un seul et même contrat de travail conclu avec un même employeur et durant la période couverte par celui-ci, effectue des missions de travail non pas simultanément ou concurremment, mais durant des périodes successives sur le territoire d’au moins
deux États membres, pour autant que la période ininterrompue de travail dans chacun des États membres n’excède pas douze mois.
— Pour déterminer, aux fins de la délivrance d’un certificat E 101, si la situation d’une personne relève de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement no 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement no 118/97, tel que modifié par le règlement no 1992/2006 ou de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), de ce règlement, une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application de ces règles doit être effectuée, afin d’assurer que la situation concrète du
travailleur concerné remplit les conditions pertinentes selon ces règles. Il y a lieu d’entreprendre cette appréciation, principalement, sur la base du contrat de travail, mais d’autres éléments pertinents peuvent également être pris en compte, comme la manière dont des contrats similaires entre l’entreprise et la personne concernée ont été exécutés en pratique dans le passé et, plus généralement, les activités auxquelles se livre l’entreprise concernée. S’il apparaît alors clairement que,
nonobstant le libellé du contrat de travail, la situation de la personne ne remplit pas en fait une condition établie par une disposition dudit règlement no 1408/71 – comme, par exemple, la règle de son article 14, paragraphe 2, sous b), i), ou de son article 14, paragraphe 2, sous b), ii) – celle-ci ne saurait être appliquée.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais.
( 2 ) JO 1997, L 28, p. 1.
( 3 ) JO L 392, p. 1.
( 4 ) Règlement du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO L 74, p. 1), dans sa version applicable à l’époque.
( 5 ) Voir à cet égard, en particulier, arrêt du 10 février 2000, FTS (C-202/97, Rec. p. I-883, point 45).
( 6 ) Voir, entre autres, arrêts du 20 mai 2008, Bosmann (C-352/06, Rec. p. I-3827); FTS (précité à la note 5, point 20); du 16 février 1995, Calle Grenzshop Andresen (C-425/93, Rec. p. I-269, point 9); du 13 mars 1997, Huijbrechts (C-131/95, Rec. p. I-1409, point 17), et du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 28).
( 7 ) Voir, à cet égard, arrêt du 9 novembre 2000, Plum (C-404/98, Rec. p. I-9379, points 14 et 15).
( 8 ) Le deuxième cas envisagé par cette disposition – si la personne relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs – n’est pas pertinent en l’espèce.
( 9 ) Il y a lieu de relever que, dans le cadre de l’interprétation d’autres dispositions de l’article 14 du règlement no 1408/71 comme, en particulier, l’article 14 bis, paragraphe 1, et l’article 14, paragraphe 1, sous a), la Cour a parfois opposé «normalement» à «temporairement» ou elle a considéré «normalement» comme un synonyme de «habituellement»: voir, par exemple, arrêts Plum (précité à la note 7, points 20 et 21); FTS (précité à la note 5, points 22 et 23), et du 30 mars 2000, Banks e.a.
(C-178/97, Rec. p. I-2005, point 25).
( 10 ) Voir arrêt Calle Grenzshop Andresen (précité à la note 6, point 15).
( 11 ) Voir à cet égard, entre autres, arrêts Plum (précité à la note 7, points 19 et 20); FTS (précité à la note 5, points 28 et 29), et du 17 décembre 1970, Manpower (35/70, Rec. p. 1251, point 10).
( 12 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1).
( 13 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO L 284, p. 1).
( 14 ) Voir en ce sens, entre autres, arrêt Plum (précité à la note 7, points 19 et 20); voir, également, arrêt Calle Grenzshop Andresen (précité à la note 6, points 9 à 11).
( 15 ) Voir, à cet égard, arrêt du 12 juillet 1973, Hakenberg (13/73, Rec. p. 935, point 19).
( 16 ) Comme le gouvernement belge l’a à juste titre souligné à cet égard, considérer des relations contractuelles successives et distinctes comme celles en cause dans le cas d’espèce, aux fins de l’application de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, comme une relation de travail unique et continue reviendrait en fait à établir a posteriori que la relation de travail comporte des alternances et des modifications successives, ce qui en effet apparaît artificiel et peut
conduire à des abus et à un contournement de la législation.
( 17 ) Voir arrêts Banks e.a. (précité à la note 9, point 38), et FTS (précité à la note 5, point 38).
( 18 ) Voir, dans ce contexte, arrêt Banks e.a. (précité à la note 9, points 40 et 53).
( 19 ) Voir arrêts FTS (précité à la note 5, point 55) et Banks e.a. (précité à la note 9, point 43).
( 20 ) Voir, à cet égard, arrêt FTS (précité à la note 5, points 42 et 43).