CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M ME JULIANE KOKOTT
présentées le 18 avril 2013 ( 1 )
Affaire C‑115/12 P
République française
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Fonds structurels — Fonds européen de développement régional (FEDER) — Intervention structurelle de l’Union dans la région Martinique — Réduction d’un concours financier — Article 2 de la directive 93/37/CEE — Marchés publics — Coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux — Subventionnement direct d’un marché de travaux passé par un organisme privé — Équipements sportifs, récréatifs et de loisirs — Travaux de rénovation et d’extension d’un complexe hôtelier
exploité par des particuliers»
I – Introduction
1. Dans quelles circonstances des projets de construction de particuliers qui sont en grande partie subventionnés ou financés par la puissance publique sont-ils soumis à une procédure d’adjudication selon le droit de l’Union en matière de marchés publics? La Cour est appelée à se prononcer sur cette question de droit, qui reste encore largement sans réponse, dans le cadre du présent pourvoi qui concerne l’emploi d’argent de l’un des fonds structurels européens.
2. Le litige a pour origine un projet de construction privé de 2003 dans la région française de Martinique ayant pour objet la rénovation et l’extension d’un village de vacances exploité par une société privée. Ce projet de construction a été financé à plus de 50 % par la puissance publique, notamment avec de l’argent du Fonds européen de développement régional (FEDER).
3. Lorsqu’il est apparu que le projet de construction en question avait été réalisé sans procédure d’adjudication préalable au sens du droit de l’Union en matière de marchés publics, la Commission européenne a supprimé la participation financière du FEDER par décision C(2010) 5229, du 28 juillet 2010 ( 2 ) (ci-après la «décision litigieuse»). Ce faisant, elle invoquait le principe selon lequel un financement des fonds structurels européens ne peut être accordé que pour des projets qui sont conformes
aux politiques de l’Union, notamment dans le domaine des marchés publics. Depuis lors, la République française et la Commission s’opposent sur le point de savoir si le droit en matière de marchés publics requérait véritablement une procédure d’adjudication pour les travaux de rénovation et d’extension du village de vacances privé.
4. À cet égard, il est déterminant de savoir si, du point de vue du droit des marchés publics, le village de vacances en cause peut être classé dans la catégorie des «équipements sportifs, récréatifs et de loisirs». En effet, spécialement en ce qui concerne de tels équipements, les dispositions du droit en matière de marchés publics doivent être respectées, même lorsque le marché de construction est passé par des particuliers, à condition que le projet en question soit directement subventionné à
plus de 50 % par la puissance publique.
5. En outre, il convient de se demander si des allègements fiscaux peuvent aussi être considérés comme un subventionnement direct au sens de ces dispositions.
II – Le cadre juridique
6. Le cadre juridique de l’affaire est déterminé par la directive 93/37/CEE ( 3 ). Son article 2 disposait ( 4 ):
«1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les pouvoirs adjudicateurs respectent ou fassent respecter les dispositions de la présente directive lorsqu’ils subventionnent directement à plus de 50 % un marché de travaux passé par une entité autre qu’eux-mêmes.
2. Le paragraphe 1 ne concerne que les marchés figurant dans la classe 50 groupe 502 de la nomenclature générale des activités économiques dans les Communautés européennes (NACE) et les marchés qui portent sur les travaux de bâtiment relatifs aux hôpitaux, aux équipements sportifs, récréatifs et de loisirs, aux bâtiments scolaires et universitaires et aux bâtiments à usage administratif.»
7. Pour compléter, il convient de citer l’article 1er, sous a), de la directive 93/37, qui était libellé comme suit:
«Aux fins de la présente directive:
a) les ‘marchés publics de travaux’ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux […] ou d’un ouvrage défini au point c), soit la réalisation […] d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur».
8. Les dispositions de la directive 93/37 trouvent à s’appliquer au cas d’espèce par le biais d’un renvoi figurant à l’article 12 du règlement (CE) no 1260/1999, qui comporte des dispositions générales relatives au fonds structurels de l’Union ( 5 ). Cette disposition, intitulée «compatibilité», prévoit:
«Les opérations faisant l’objet d’un financement par les Fonds ou d’un financement de la BEI ou d’un autre instrument financier doivent être conformes aux dispositions du traité et des actes arrêtées en vertu de celui-ci, ainsi qu’aux politiques et actions communautaires, y compris celles concernant les règles de concurrence, la passation des marchés publics, la protection et l’amélioration de l’environnement, l’élimination des inégalités, et la promotion de l’égalité, entre les hommes et les
femmes.»
III – Les antécédents du litige
9. La Société martiniquaise des villages de vacances (SMVV) exploite, dans la région française de Martinique, le village de vacances «Les Boucaniers» du Club Méditerranée. En 2003, la SMVV a décidé de rénover et d’étendre ce village. Le coût des travaux a été estimé à 49,98 millions d’euros.
10. Pour ce projet ont été accordés environ 2,5 millions d’euros par la région Martinique et, en outre, environ 16,69 millions d’euros d’avantages fiscaux par l’État français ( 6 ). Par décision C(2004) 4142, du 18 octobre 2004, la Commission a, pour sa part, fixé la participation financière du FEDER à 12,46 millions d’euros, ce qui représente 24,93 % du coût total éligible du projet.
11. Toutefois, à la suite d’un contrôle effectué en 2007, la Cour des comptes de l’Union européenne a contesté l’octroi de l’argent du FEDER par la Commission au motif que, en violation de l’article 2 de la directive 93/37, les travaux de rénovation et d’extension du village de vacances «Les Boucaniers» n’auraient pas fait l’objet d’une procédure d’adjudication, alors que le projet a été financé à hauteur de 63,33 % avec des aides de la puissance publique.
12. Ces objections ont donné lieu à un échange de lettres assez long et ont finalement conduit la Commission à supprimer entièrement la participation financière du FEDER au projet de rénovation et d’extension du village de vacances «Les Boucaniers» en adoptant la décision litigieuse. Comme ce projet de construction avait été subventionné dans le cadre d’une programmation unique des interventions structurelles de l’Union dans la région Martinique ( 7 ), d’un point de vue technique, cette décision de
la Commission a conduit à réduire en conséquence le montant global des interventions structurelles de l’Union dans cette région.
13. Le recours en annulation de la République française contre la décision litigieuse, introduit le 11 octobre 2010, n’a pas été accueilli en première instance. Dans son arrêt du 16 décembre 2011 ( 8 ) (ci-après l’«arrêt attaqué), le Tribunal a rejeté comme non fondé le recours de la République française et condamné cette dernière aux dépens.
IV – La procédure devant la Cour
14. Par requête du 1er mars 2012, la République française a formé le présent pourvoi contre l’arrêt du Tribunal. Elle conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
— annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué et
— statuer elle-même définitivement sur le litige en annulant la décision litigieuse, ou renvoyer l’affaire devant le Tribunal.
15. Pour sa part, la Commission demande:
— de déclarer irrecevable la seconde branche du premier moyen et la première branche du troisième moyen, subsidiairement de les rejeter et de rejeter le présent pourvoi; et
— de condamner la requérante aux dépens.
16. Des observations écrites ont été présentées à la Cour et une audience s’est tenue le 11 mars 2013.
V – Appréciation du pourvoi
17. La République française invoque à l’appui de son pourvoi contre l’arrêt du Tribunal au total trois moyens qui, d’une part, concernent la notion de subventionnement direct et la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2 de la directive 93/37 (premier et troisième moyens) et, d’autre part, soulèvent le grief de dénaturation de faits et d’une amélioration illicite de la motivation de la décision litigieuse (deuxième moyen). Nous commencerons par examiner le
deuxième moyen avant de nous pencher sur le premier et le troisième.
A – Le deuxième moyen: le grief de dénaturation de la décision litigieuse et d’amélioration de sa motivation
18. Le deuxième moyen invoqué par la République française est dirigé contre la deuxième phrase du point 43 de l’arrêt attaqué. Dans ce passage de l’arrêt, le Tribunal constate que, en examinant, dans la décision litigieuse, le projet consistant en une rénovation complète du club «Les Boucaniers», la Commission se serait basée sur la vocation d’ensemble du village de vacances ( 9 ).
19. La République française reproche au Tribunal d’avoir sur ce point dénaturé la décision litigieuse et amélioré la motivation de celle-ci. Selon elle, dans la décision litigieuse, la Commission ne se serait pas basée sur la vocation d’ensemble du village de vacances, mais sur la nature des travaux effectués. À cet égard, la République française renvoie notamment aux points 31 et 32 de la décision litigieuse.
20. Selon une jurisprudence bien établie, la Cour et le Tribunal ne peuvent, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué ( 10 ). Ils ne peuvent pas non plus dénaturer le contenu de l’acte attaqué ( 11 ).
21. En l’espèce, en fin de compte, le grief de dénaturation de la décision litigieuse et le grief d’amélioration de la motivation de cette décision vont en substance dans le même sens. À chaque fois, il est reproché au Tribunal d’avoir «prêté» à la décision quelque chose qui n’y figure pas. Par conséquent, il est possible de soumettre ces griefs à une appréciation unique.
22. Il nous semble que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas pris position clairement. Certes, aux points 31 et 32 de cette décision, les différents travaux effectués dans le cadre de la rénovation et de l’extension du village de vacances «Les Boucaniers» sont mis en avant. C’est ce que la République française a fait valoir à juste titre. Cependant, par ailleurs, la décision litigieuse évoque le fait qu’il s’agissait d’un «projet unique» ou d’un «projet d’ensemble» (points 28 et 31 de
la décision litigieuse).
23. C’est pourquoi il n’est pas exclu que, lors de l’adoption de sa décision, la Commission ait porté une appréciation non seulement sur la nature des travaux effectués, mais aussi sur la vocation d’ensemble du village de vacances «Les Boucaniers». Du moins, à cet égard, la décision litigieuse laisse place à l’interprétation, si bien que, en fin de compte, il n’y a pas lieu de considérer que la lecture faite par le Tribunal constitue une dénaturation ( 12 ) ou une amélioration de la motivation de la
décision.
24. Par conséquent, il convient de rejeter le deuxième moyen.
B – Le premier moyen: la notion de subvention directe au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37
25. En invoquant le premier moyen, la République française reproche au Tribunal d’avoir fait une application erronée de la notion de subventionnement direct au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37.
26. Ce grief est fondé sur le fait que l’aide accordée par l’État français pour la rénovation et l’extension du village de vacances «Les Boucaniers» n’était pas constituée de subventions, mais d’allègements fiscaux qui, de surcroît, selon la République française, n’ont pas été accordés à la société Club Méditerranée en tant que propriétaire ou à la SMVV en tant que maître d’ouvrage, mais aux personnes physiques qui avaient investi en tant qu’associés d’une société en nom collectif ( 13 ) privée dans
ce projet de construction ( 14 ).
27. La République française conteste que de tels allègements fiscaux puissent être considérés comme un «subventionnement direct» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37, et ce, d’une part, parce qu’ils n’auraient pas le caractère d’une subvention et, d’autre part, parce qu’ils n’auraient pas pour effet un subventionnement direct. Il convient de commencer par examiner le second aspect.
1. La notion de subventionnement «direct» (seconde branche du premier moyen)
28. La seconde branche du premier moyen traite de la notion de subventionnement «direct» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37 et est spécialement dirigée contre les points 36 et 37 de l’arrêt attaqué. Selon la République française, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant les allègements fiscaux pour le marché de travaux comme un subventionnement direct, alors que ces allègements n’ont été accordés ni au maître d’ouvrage ni au propriétaire du village de
vacances «Les Boucaniers», mais aux associés d’une société en nom collectif privée.
a) La recevabilité de la seconde branche du premier moyen
29. La Commission estime que cette branche du premier moyen est irrecevable, car elle remettrait en question l’appréciation des éléments de fait et de preuve portée par le Tribunal et avancerait de nouveaux arguments que la République française n’aurait pas fait valoir en première instance.
30. Cette objection ne nous convainc pas.
31. Le grief soulevé par la République française ne vise pas à remettre en cause les constats de faits du Tribunal concernant la personne du bénéficiaire des allègements fiscaux, et ce d’autant moins que de tels constats ne figurent pas dans l’arrêt attaqué. La République française critique plutôt, d’une part, l’interprétation donnée par le Tribunal à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37 et, d’autre part, la qualification des allègements fiscaux accordés en tant que subventionnement
«direct». Par conséquent, ce qui est en cause c’est la qualification juridique des faits à laquelle a procédé le Tribunal, que la Cour est compétente pour contrôler en vertu d’une jurisprudence constante ( 15 ).
32. D’ailleurs, contrairement à l’avis de la Commission, il importe peu que la République française ait ou non déjà abordé la question du subventionnement «direct» en première instance. En effet, ce qui est certain, c’est que le Tribunal a examiné cette question aux points 36 et 37 de l’arrêt attaqué. Ces considérations du Tribunal doivent pouvoir être soumises au contrôle juridique dans le cadre du pourvoi. La jurisprudence reconnaît que, dans le cadre du pourvoi, la Cour a compétence pour
l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges ( 16 ).
33. Il est possible que, en première instance, la République française n’ait pas encore soutenu que ni le maître d’ouvrage ni le propriétaire du village de vacances n’avaient bénéficié d’un subventionnement direct, puisque les allègements fiscaux avaient été accordés à des particuliers associés d’une société en nom collectif. Toutefois, il suffit à cet égard d’observer qu’il est permis aux parties de continuer à développer leur argumentation en cours de procédure, sous réserve qu’elles ne modifient
pas l’objet du litige devant le Tribunal ( 17 ). Or, en l’espèce une telle modification du litige n’est absolument pas à craindre, puisque, en première instance, la question du subventionnement direct, en tant que telle, a fait l’objet de débats contradictoires.
34. Par conséquent, la seconde branche du premier moyen est recevable.
b) Le fondement de la seconde branche du premier moyen
35. Toutefois, sur le fond, l’argumentation de la République française n’est pas fondée.
36. Le libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37 montre déjà que l’existence d’un «subventionnement direct» ne dépend pas des personnes à qui l’aide de la puissance publique est accordée. En effet, pour que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37 s’applique, il suffit que le marché de travaux passé par une entité autre qu’un pouvoir adjudicateur bénéficie d’un subventionnement direct de plus de 50 % de la part d’un ou de plusieurs pouvoirs adjudicateurs. En d’autres
termes, la notion de subventionnement direct ne se rapporte pas aux personnes, mais à l’ouvrage.
37. L’interprétation particulièrement étroite du subventionnement «direct» défendue par la République française permettrait de contourner beaucoup trop facilement l’article 2 de la directive 93/37. Ainsi, un pouvoir adjudicateur pourrait se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive en faisant bénéficier des subventions pour le marché de travaux non pas le maître d’ouvrage ou le propriétaire du terrain concerné, mais des personnes entretenant des liens économiques avec
ceux-ci.
38. C’est pourquoi c’est à parfaitement juste titre que, aux points 36 et 37 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est demandé si le projet avait bénéficié d’un subventionnement direct au sens de l’article 2 de la directive 93/37 et non pas si cette subvention avait été accordée spécialement au maître d’ouvrage ou au propriétaire du village de vacances «Les Boucaniers».
c) Conclusion intermédiaire
39. Par conséquent, la seconde branche du premier moyen est recevable, mais infondée.
2. La notion de «subventionnement» (première branche du premier moyen)
40. La première branche du premier moyen traite de la notion de «subventionnement» au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 93/37 et est dirigée spécialement contre les points 24 à 35 de l’arrêt attaqué. Selon la République française, l’octroi d’allègements fiscaux ne peut pas être considéré comme un subventionnement au sens de cette disposition.
41. La notion de subventionnement n’est pas définie plus précisément dans la directive 93/37. Comme de nombreuses autres notions juridiques indéterminées, cette notion peut avoir différents contenus. Ainsi, dans les dispositions de protection du marché intérieur contre des importations subventionnées en provenance de pays tiers, le terme «subvention» vise aussi expressément des allègements fiscaux ( 18 ). En revanche, en droit de la concurrence, si les allègements fiscaux relèvent de la notion large
d’aide d’État ( 19 ), ils ne relèvent pas de la notion, plus étroite, de subvention ( 20 ); en droit de la concurrence, cette dernière désigne seulement des versements directs.
42. Par conséquent, pour mettre en œuvre l’article 2 de la directive 93/37, il convient de déterminer, dans le cadre d’une interprétation autonome, quelle signification a la notion de subventionnement à laquelle il fait référence.
43. Il ne fait aucun doute que, en soi, tant les objectifs de l’article 2 de la directive 93/37 que le contexte normatif dans lequel s’insère cette disposition plaident en faveur d’une interprétation large de la notion de subventionnement, qui ne doit pas nécessairement se limiter à des versements directs de la puissance publique et peut aussi inclure d’autres mesures de financement, comme les allègements fiscaux en cause en l’espèce. C’est ce que le Tribunal a indiqué à juste titre dans son arrêt (
21 ).
44. Toutefois, l’interprétation de l’article 2 de la directive 93/37 ne doit pas s’appuyer uniquement sur les objectifs et le contexte normatif de cette disposition, mais doit aussi prendre en compte sa genèse. Il nous semble justement que, en l’espèce, le Tribunal n’a pas tiré les bonnes conclusions de cette genèse de la disposition.
45. C’est à l’article 1er bis de la directive 71/305/CEE ( 22 ), dans la version de la directive 89/440/CEE ( 23 ), que la disposition prévue à l’article 2 de la directive 93/37 a été incluse pour la première fois dans le droit de l’Union en matière de marchés publics ( 24 ).
46. Il convient d’observer, en ce qui concerne l’article 1er bis de la directive 71/305, que, à l’origine, tant la Commission que le Parlement européen avaient préféré une formulation très large ne se limitant pas au subventionnement direct. Ainsi, la Commission proposait que l’article 1er bis vise toutes les formes de financement direct ou indirect de marchés de travaux ( 25 ). La position du Parlement concernant l’article 1er bis, adoptée en première lecture, se fondait aussi sur cette notion de
financement très large. La position concernant l’article 1er bis adoptée par le Parlement en première lecture comportait même une définition de la notion de financement qui, outre les subventions publiques, incluait aussi expressément l’octroi d’avantages fiscaux ( 26 ).
47. Par contre, la version de l’article 1er bis de la directive 71/305 finalement adoptée par le Conseil de l’Union européenne ne fait plus référence de manière générale au financement de marchés de travaux, mais se limite exclusivement à la mention de la subvention directe de tels marchés par des pouvoirs adjudicateurs.
48. Par conséquent, contrairement à la proposition de la Commission et contrairement à la position adoptée en première lecture par la Parlement, le Conseil, qui était alors législateur communautaire, a choisi, pour l’article 1er bis de la directive 71/305, une formulation étroite qui évite le terme large de «financement» et se contente de la règle du subventionnement direct à plus de 50 % de marchés de travaux par des pouvoirs adjudicateurs.
49. C’est aussi ce qui ressort de la déclaration commune du Conseil et de la Commission, annexée au procès-verbal de la réunion du Conseil à l’occasion de l’adoption de l’article 1er bis de la directive 71/305. Dans cette déclaration, il est, certes, affirmé que «toutes les différentes formes de subventions directes» seraient visées ( 27 ). Cependant, il ne s’y trouve aucune indication selon laquelle, outre les subventions directes, d’autres avantages, comme les allègements fiscaux, devraient
relever du champ d’application de l’article 1er bis ou que des tels allègements fiscaux devraient être considérés comme des subventions, comme l’affirme la Commission dans le cadre de la procédure devant la Cour.
50. Dans ces conditions, la position du Tribunal ( 28 ) et de la Commission, selon laquelle la référence au subventionnement direct à l’article 1er bis de la directive 71/305 viserait «clairement et uniquement» à exclure les subventions indirectes et non pas à limiter d’une autre façon le champ d’application de cette disposition, est peu convaincante. En effet, cela ne permet pas d’expliquer pourquoi le Conseil a restreint spécialement le libellé de cette disposition à la subvention et n’a pas voulu
conserver le terme «financement», beaucoup plus général, employé initialement.
51. Compte tenu de cette genèse de la disposition, il est difficile de donner à la notion de subventionnement direct au sens de l’article 2 de la directive 93/37, disposition au contenu identique qui a succédé à l’article 1er bis de la directive 71/305, une interprétation tellement large qu’elle viserait même les allègements fiscaux. Rien n’indique que, dans cette disposition, le législateur ait voulu se fonder sur une interprétation aussi large de la notion de subventionnement.
52. C’est pourquoi le Tribunal a commis une erreur de droit lorsque, malgré la genèse exposée ci-dessus de l’article 2 de la directive 93/37, il a également inclus de simples allègements fiscaux dans le champ d’application de cette disposition.
53. Par conséquent, la première branche du premier moyen doit être accueillie. Cela suffit à justifier l’annulation de l’arrêt attaqué. En effet, si les allègements fiscaux accordés par l’État français pour la rénovation et l’extension du village de vacances «Les Boucaniers» ne sont pas pris en compte, alors la part du subventionnement direct de ce projet de construction par la puissance publique descend en dessous du seuil de 50 % fixé à l’article 2 de la directive 93/37 ( 29 ).
C – Le troisième moyen: la notion d’«équipements sportifs, récréatifs et de loisirs» au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37
54. Le troisième moyen invoqué par la République française est consacré à la notion d’«équipements sportifs, récréatifs et de loisirs» au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37. La République française reproche au Tribunal d’avoir donné une interprétation excessivement large à cette notion sans tenir compte de ce que la disposition concernerait uniquement des marchés de travaux qui, d’une part, visent à répondre aux besoins collectifs des usagers d’équipements sportifs, récréatifs
et de loisirs (voir ci-après, sous 1) et auxquels, d’autre part, des pouvoirs adjudicateurs ont un intérêt économique direct (voir ci-dessous, sous 2).
1. La pertinence des besoins collectifs des usagers d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs (première branche du troisième moyen)
55. La première branche du troisième moyen est dirigée contre les points 56 à 63 de l’arrêt attaqué. La République française reproche au Tribunal d’avoir ignoré que seuls les équipements destinés à répondre aux besoins collectifs de leurs utilisateurs peuvent être considérés comme des équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37.
a) La recevabilité de la première branche du troisième moyen
56. Selon la Commission, cette première branche du troisième moyen est irrecevable, car, en première instance, la République française n’aurait pas invoqué l’argument des «besoins collectifs des usagers» d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs, mais se serait appuyée sur le critère des «besoins traditionnels des collectivités publiques».
57. Cette objection ne tient pas. Certes, il est exact que, en première instance, la République française n’a pas employé le critère des «besoins collectifs des usagers», en tout cas pas dans la procédure écrite, et que, initialement, elle a plaidé en faveur d’une application de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 à des marchés qui, de par leur nature, relèvent des besoins traditionnels des collectivités publiques. Cependant, lorsqu’elle invoque désormais les besoins collectifs des
usagers, elle ne fait que continuer à développer son argumentation, cela ne modifie pas l’objet du litige et est donc permis dans le cadre du pourvoi ( 30 ).
58. Par conséquent, cette branche du troisième moyen est recevable.
b) Le bien-fondé de la première branche du troisième moyen
59. Dans le cadre de cette première partie du troisième moyen, les parties s’opposent sur le point de savoir s’il convient de donner une interprétation large ou étroite à la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37.
60. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a choisi une interprétation large qu’il qualifie aussi d’«interprétation fonctionnelle» ( 31 ). D’après cette interprétation, même des marchés de travaux concernant des villages de vacances privés comme le Club Méditerranée «Les Boucaniers» relèvent du champ d’application du droit des marchés publics, à condition toujours qu’ils soient subventionnés à plus de 50 % par des pouvoirs adjudicateurs.
61. Cette interprétation de la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs n’est pas convaincante.
i) La nécessité d’une interprétation restrictive de la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs
62. Certes, il est possible que, à première vue, le libellé de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 corresponde aussi à des villages de vacances privés comme celui en cause en l’espèce. Cependant, tant la finalité de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 que le contexte dans lequel cette disposition inclut les équipements sportifs, récréatifs et de loisirs dans le champ d’application de la directive s’y opposent.
63. L’article 2 de la directive 93/37 ne prévoit pas une extension générale du droit des marchés publics à tous les projets de construction privés, dès lors qu’ils sont subventionnés à plus de 50 % avec des fonds publics.
64. L’article 2 de la directive 93/37 vise plutôt seulement à prévenir les pratiques destinées à éluder dans certains domaines la réglementation des marchés publics et les objectifs qu’elle poursuit ( 32 ). C’est pourquoi, précisément dans ces domaines, l’article 2 inclut les marchés de travaux dans le champ d’application de la directive, dès lors que ces projets sont subventionnés directement à plus de 50 % par des pouvoirs adjudicateurs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une disposition dont
l’application est susceptible d’être généralisée, c’est ce que montre notamment l’emploi de la formule «ne concerne que» à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37.
65. En outre, une comparaison avec les autres domaines mentionnés à l’article 2, paragraphe 2, de la directive montre qu’il s’agit uniquement de marchés qui portent sur les infrastructures de transport ( 33 ) ou de bâtiments qui sont à la disposition de la collectivité (écoles, universités, hôpitaux) ou qu’un pouvoir adjudicateur utilise lui-même (bâtiments à usage administratif).
66. Dans ces conditions, la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 doit aussi être interprétée restrictivement, ainsi que la Cour l’a déjà fait concernant d’autres dispositions du droit de l’Union en matière de marchés publics ( 34 ). Contrairement à ce que considère la Commission, cela ne conduit nullement à «ajouter par voie d’interprétation», à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37, un critère supplémentaire
que le législateur de l’Union n’a pas prévu. En effet, seule l’interprétation restrictive de la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs correspond à l’objectif et au contexte normatif de l’emploi de cette expression par le législateur dans la directive 93/37. C’est ce que la République française a fait observer à juste titre.
ii) Les critères d’interprétation restrictive de la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs
67. S’il convient ainsi de donner raison à la République française et d’admettre que la notion d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 requiert une interprétation restrictive, nous ne sommes pas persuadée que les critères proposés par cet État membre soient appropriés pour une telle interprétation.
68. Le critère consistant à «répondre aux besoins collectifs des usagers» d’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs, invoqué par la République française dans le cadre du présent pourvoi, paraît trop vague pour constituer un critère approprié d’interprétation et d’application de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37. De surcroît, la plupart des équipements mentionnés dans cette disposition (écoles, universités, hôpitaux, ainsi qu’équipements sportifs, récréatifs et de loisirs) sont
généralement destinés (aussi) à répondre à des besoins individuels de leurs usagers ( 35 ). En fin de compte, il importe beaucoup moins de savoir si les intérêts des usagers auxquels répondent les équipements en cause sont «individuels» ou «collectifs» que de savoir si leur mise à disposition est d’intérêt public.
69. Le critère des «besoins traditionnels des collectivités publiques», proposé par la République française en première instance, ne paraît pas plus approprié. Ce critère se concentre trop sur les missions traditionnelles des collectivités publiques et néglige le fait que ces missions peuvent évoluer et s’étendre au fil du temps. Une interprétation appropriée de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 doit aussi tenir compte de cette circonstance.
70. C’est pourquoi nous proposons d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 en ce sens qu’elle ne vise que les marchés privés de travaux qui sont subventionnés par des pouvoirs adjudicateurs afin de remplir leurs missions de service d’intérêt général. La notion de service d’intérêt général est une notion usuelle en droit de l’Union ( 36 ) qui, de surcroît, est suffisamment ouverte pour, d’une part, prendre en compte différents besoins dans les différents États membres et leurs
nombreuses collectivités territoriales et, d’autre part, pour répondre aux évolutions récentes des missions d’organismes publics. En outre, cela permettrait d’assurer une cohérence entre le droit des marchés publics et le droit de la concurrence de l’Union.
71. Même si, en l’espèce, ni la République française ni la Commission n’ont préconisé précisément l’emploi du critère de l’intérêt général, cela n’empêche pas la Cour de se baser justement sur ce critère pour interpréter et appliquer l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37. En effet, le juge n’est pas la «bouche des parties» ( 37 ). Par conséquent, il ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas
échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées ( 38 ).
72. Ainsi, si l’on interprète l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 en ce sens que cette disposition ne vise pas tous les équipements sportifs, récréatifs et de loisirs, mais seulement ceux qui sont d’intérêt général, comme des espaces verts accessibles au public, des installations sportives, des bibliothèques et des musées, alors, le Tribunal a commis une erreur de droit.
73. Par conséquent, la première branche du troisième moyen est fondée.
2. L’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur (seconde branche du troisième moyen)
74. La seconde branche du troisième moyen invoqué par la République française est dirigée spécialement contre le point 64 de l’arrêt attaqué. Selon la République française, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en considérant que l’expression «marchés de travaux» au sens de l’article 2 de la directive 93/37 doit être interprétée indépendamment de l’expression «marchés publics de travaux» au sens de l’article 1er, sous a), de cette directive. Or, selon la République française, tant
l’article 1er, sous a), que l’article 2 de la directive 93/37 concernent uniquement des marchés de travaux qui présentent un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur.
75. Les arguments avancés par la République française sont convaincants.
76. Les marchés de travaux au sens de l’article 2 de la directive 93/37 se distinguent de ceux visés à l’article 1er, sous a), de ladite directive uniquement en ce qu’ils sont passés non pas par des pouvoirs adjudicateurs, mais par d’autres entités, surtout des entreprises privées, et ce avec une subvention directe de plus de 50 % accordée par des pouvoirs adjudicateurs.
77. D’ailleurs, de par son libellé, en employant l’expression «marchés de travaux», l’article 2 de la directive 93/37 se base sur la définition donnée pour toute la directive à l’article 1er, sous a), et dont dépend justement le champ d’application matériel de ladite directive.
78. La finalité de l’article 2 de la directive 93/37 plaide aussi en faveur d’une interprétation de la notion de marché de travaux basée sur la définition générale donnée à l’article 1er, sous a), de ladite directive. En effet, l’article 2 de la directive vise à prévenir les pratiques destinées à éluder la réglementation du droit de l’Union en matière de marchés publics en faisant intervenir des particuliers ( 39 ). Par conséquent, l’article 2 ne peut pas inclure dans le champ d’application de la
directive d’autres marchés de travaux que ceux qui doivent aussi faire l’objet d’une procédure d’adjudication lorsqu’ils sont passés par un pouvoir adjudicateur et non pas par un particulier.
79. Par conséquent, si, dans le cas de figure normal prévu à l’article 1er, sous a), de la directive 93/37, on est en présence d’un marché de travaux seulement lorsque les travaux exécutés comportent un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur ( 40 ), il en va ainsi à plus forte raison dans le cas de figure particulier prévu à l’article 2 de ladite directive. Les travaux exécutés dans ce contexte peuvent, eux aussi, relever du champ d’application de la directive 93/37 seulement
lorsqu’ils présentent un intérêt économique direct pour les pouvoirs adjudicateurs qui subventionnent directement ces travaux à plus de 50 %.
80. Comme l’a indiqué la Cour, un intérêt économique direct peut être établi notamment lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages ou encore qu’il tirera des avantages économiques ou supportera des risques économiques de l’utilisation future de l’ouvrage ( 41 ). Il n’y a pas lieu de considérer qu’il en va ainsi dans un cas de figure comme en l’espèce, où un projet de construction
privé a seulement bénéficié d’un soutien financier de la part de pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre de l’aide structurelle.
81. En revanche, le seul fait qu’un projet de construction privé, comme, peut‑être, la rénovation et l’extension d’un village de vacances privé, puisse avoir des effets positifs sur le développement économique général d’une région ne suffit pas à établir un intérêt économique direct des collectivités publiques qui ont subventionné directement ce projet. En effet, l’intérêt que présentent les travaux exécutés pour ces bailleurs de fonds publics est, tout au plus, indirect.
82. Par conséquent, à cet égard aussi, le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37. C’est pourquoi la seconde branche du troisième moyen est également fondée.
3. Dernière remarque concernant le troisième moyen
83. Concernant les deux branches du troisième moyen, la Commission soutient en outre qu’une interprétation large de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37, telle que celle du Tribunal, viserait à garantir une attribution impartiale des fonds publics ( 42 ).
84. Il est vrai que cette considération fait aussi partie des objectifs poursuivis par les dispositions du droit de l’Union en matière de marchés publics. Toutefois, la prise en compte de ces objectifs ne saurait conduire à une interprétation large de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 qui serait contraire à l’économie de ladite directive. Le législateur a choisi d’atteindre cet objectif en ne soumettant que certains projets de construction privés, et pas tous ces projets, aux
dispositions de la directive 93/37.
85. À titre surabondant, il convient de rappeler que les libertés fondamentales du marché intérieur, notamment la liberté d’établissement et la libre prestation de services, comportent une interdiction de discrimination, dont découle aussi une obligation de transparence ( 43 ). Même en dehors du champ d’application des directives relatives aux passations de marchés, ces principes empêchent les pouvoirs adjudicateurs de subventionner ou de financer des marchés de construction privés avec des fonds
publics de manière non transparente ou discriminatoire. Il n’y a pas besoin pour cela d’une interprétation extensive de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37.
D – Synthèse
86. Comme la première branche du premier moyen ainsi que les deux branches du troisième moyen sont fondées, l’arrêt attaqué doit être annulé.
VI – La décision concernant le recours en première instance
87. Conformément à l’article 61, premier alinéa, de son statut, la Cour peut en outre soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
88. Dans le cas présent, le Tribunal a examiné de façon complète les moyens avancés en première instance par la République française à l’appui de son recours. En outre, au cours de la procédure devant le Tribunal, les parties ont eu l’occasion d’échanger leurs points de vue sur tous les éléments pertinents aux fins de la solution du présent litige. Il n’est par ailleurs pas nécessaire d’instruire les faits davantage. Le litige est ainsi en état d’être jugé.
89. Si l’article 2 de la directive 93/37 est interprété et appliqué comme nous l’avons proposé ci-dessus lorsque nous avons examiné les premier et troisième moyens ( 44 ), alors le recours en annulation introduit par la République française est fondé. En effet, d’une part, le village de vacances privé «Les Boucaniers» n’a pas été directement subventionné à plus de 50 %, si l’on exclut les allègements fiscaux accordés par l’État français. D’autre part, ce village de vacances ne peut pas être qualifié
d’équipement sportif, récréatif et de loisirs au sens de cette disposition. À supposer même que les habitants de la Martinique utilisent occasionnellement, à la journée et à titre onéreux, les équipements de loisirs du village de vacances, cela ne priverait pas ledit village de son caractère de complexe hôtelier servant des intérêts purement privés et ne fournissant aucun service d’intérêt général.
90. Par conséquent, la décision litigieuse de la Commission doit être annulée (article 264, premier alinéa, TFUE).
VII – Les dépens
91. Conformément à l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens ( 45 ).
92. En vertu des dispositions combinées de l’article 138, paragraphe 1, et de l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
93. Dans le cadre de son recours en annulation en première instance, la République française a demandé que la Commission soit condamnée aux dépens. Comme la Commission a succombé, elle doit supporter les dépens de la première instance.
94. En revanche, dans le cadre du pourvoi, la République française n’a pas présenté de conclusion concernant les dépens. C’est pourquoi il paraît juste de condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens.
VIII – Conclusion
95. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2011, dans l’affaire France/Commission (T‑488/10), est annulé.
2) La décision C(2010) 5229 de la Commission, du 28 juillet 2010, relative à la suppression d’une partie de la participation du Fonds européen de développement régional (FEDER) au titre du document unique de programmation de l’objectif no 1 pour une intervention structurelle communautaire dans la région française de la Martinique, est annulée.
3) La Commission européenne supportera les dépens de la première instance. Pour le reste, chacune des parties supportera ses propres dépens.
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( 1 ) Langue originale: l’allemand.
( 2 ) Décision relative à la suppression d’une partie de la participation du Fonds européen de développement régional (FEDER) au titre du document unique de programmation de l’objectif no 1 pour une intervention structurelle communautaire dans la région française de la Martinique.
( 3 ) Directive du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54). Depuis lors, cette directive a été supprimée et remplacée par la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114), qui devait être transposée au plus tard le 31 janvier 2006. Toutefois, en l’espèce,
c’est encore la directive 93/37 qui s’applique, car l’octroi de la participation du FEDER au projet de rénovation et d’extension du village de vacances «Les Boucaniers» relève de son champ d’application temporel.
( 4 ) Actuellement, l’article 8 de la directive 2004/18, qui s’applique non seulement aux marchés de travaux, mais aussi aux marchés de prestations de services, néanmoins, dans les deux cas au-dessus de certains seuils, comporte une disposition identique en substance.
( 5 ) Règlement du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO L 161, p. 1).
( 6 ) Ces avantages fiscaux sont fondés sur l’article 199 undecies B I du code général des impôts français.
( 7 ) Par décision C(2000) 3493, du 21 décembre 2000, la Commission avait approuvé le document unique de programmation pour les interventions structurelles communautaires dans la région de la Martinique relevant de l’objectif no 1 en France, pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2006, qui prévoit une participation du FEDER à hauteur de 17150000 euros.
( 8 ) Arrêt France/Commission (T‑488/10).
( 9 ) Le point 43 de l’arrêt attaqué est libellé comme suit: «Il convient de rappeler que, afin d’examiner si les marchés de travaux en cause portaient sur des travaux de bâtiment relatifs aux équipements sportifs, récréatifs et de loisirs au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37, il y a lieu de se baser sur la vocation d’ensemble du club Les Boucaniers et non sur les travaux entrepris. À cet égard, il convient de relever que, en examinant, dans la décision litigieuse, le projet
consistant en une rénovation complète du club Les Boucaniers, la Commission a analysé l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37 en ce sens».
( 10 ) Arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (C-164/98 P, Rec. p. I-447, points 38 et 49); du 1er juin 2006, P&O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission (C-442/03 P et C-471/03 P, Rec. p. I-4845, points 60 et 67); du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, Rec. p. I-10515, point 141), et du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission (C‑73/11 P, point 89).
( 11 ) Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour examine si le Tribunal a dénaturé des faits ou des éléments de preuve (voir, par exemple, arrêts du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C-229/05 P, Rec. p. I-439, points 35 et 37; du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C-326/05 P, Rec. p. I-6557, point 57, et du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, C-71/09 P, C-73/09 P et C-76/09 P, Rec. p. I-4727, points 152 et 153).
( 12 ) Voir en ce sens, concernant un document qui laissait place à plusieurs interprétations, arrêt du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission (C-260/09 P, Rec. p. I-419, point 54).
( 13 ) En droit français, la société en nom collectif (SNC) est une société commerciale dont les associés sont personnellement responsables avec la totalité de leur patrimoine.
( 14 ) En revanche, la Commission souligne que les allègements fiscaux de la société en nom collectif auraient été accordés à celle-ci en tant que telle pour le projet de construction litigieux.
( 15 ) Arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 49); du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission (C-167/04 P, Rec. p. I-8935, point 106); du 16 juillet 2009, Commission/Schneider Electric (C-440/07 P, Rec. p. I-6413, point 191), et du 19 juillet 2012, Conseil/Zhejiang Xinan Chemical Industrial Group (C‑337/09 P, point 55).
( 16 ) Arrêts Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (précité en note 15, point 59); du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret (C-295/07 P, Rec. p. I-9363, point 95), et du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil (C-548/09 P, Rec. p. I-11381, point 122).
( 17 ) Arrêts du 20 octobre 1994, Scaramuzza/Commission (C-76/93 P, Rec. p. I-5173, point 18); PKK et KNK/Conseil (précité en note 11, point 64); du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission (C-485/08 P, Rec. p. I-3009, point 37), et du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission (C-322/09 P, Rec. p. I-11911, point 41).
( 18 ) Article 3 du règlement (CE) no 597/2009 du Conseil, du 11 juin 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 188, p. 93).
( 19 ) Ainsi, il est déjà indiqué clairement dans l’arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709, point 28), que le caractère fiscal éventuel d’une mesure ne suffirait pas à la mettre à l’abri de la règle de l’article 107 TFUE (ancien article 92 CE); voir en outre arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri (C-169/08, Rec. p. I-10821, points 58 et 66).
( 20 ) Il ressort que la notion de subvention est plus étroite que la notion d’aide notamment des arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, Rec. p. 3, 43); du 14 septembre 2004, Espagne/Commission (C-276/02, Rec. p. I-8091, point 24), et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas (C-279/08 P, Rec. p. I-7671, point 86).
( 21 ) Voir, notamment, points 32 et 33 de l’arrêt attaqué.
( 22 ) Directive du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5).
( 23 ) Directive du Conseil, du 18 juillet 1989, modifiant la directive 71/305 (JO L 210, p. 1).
( 24 ) L’arrêt attaqué évoque à tort l’article 1er bis de la directive 89/440, alors que, en réalité, il s’agit de l’article 1er bis de la directive 71/305, dans la version de la directive 89/440.
( 25 ) Dans la proposition [COM(86) 679 final] concernant une directive modifiant la directive 71/305, le paragraphe 1 de la disposition, qui portait encore le numéro 2 bis, était libellé comme suit: «Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les dispositions de la présente directive soient respectées, lorsque des investissements pour des marchés de travaux passés par des entités autres que celles définies à l’article 1, paragraphe b), sont financés totalement ou partiellement,
directement ou indirectement, par des fonds publics».
( 26 ) En première lecture, le Parlement s’était prononcé pour la formulation suivante, qui, à ce moment-là, devait figurer à l’article 2 bis de la directive 71/305 (JO 1988, C 167, p. 76): «Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les dispositions de la présente directive soient respectées, lorsque les pouvoirs adjudicateurs […] financent de façon majoritaire les investissements pour des marchés de travaux passés par des entités autres que celles définies à l’article 1,
paragraphe b). Par financement on entend: le versement de subventions publiques, les bonifications d’intérêts sur les crédits consentis, l’octroi d’avantages fiscaux, l’octroi d’avantages immobiliers».
( 27 ) Le libellé précis de cette déclaration est le suivant: «Le Conseil et la Commission confirment que, lors de l’application de l’article 1 bis, il faut prendre en compte, dans la mesure du possible, toutes les différentes formes de subventions directes, y compris celles d’origine communautaire, pour les marchés de travaux en question».
( 28 ) Arrêt attaqué, fin du point 35.
( 29 ) Voir, à cet égard, points 9 à 11 des présentes conclusions.
( 30 ) Voir, à cet égard, la jurisprudence citée ci-dessus en note 17.
( 31 ) Arrêt attaqué, notamment à la fin du point 30 et au point 59.
( 32 ) Point 106 des conclusions de l’avocat général Léger, du 7 décembre 2000, dans l’affaire Ordine degli Architetti e.a. (arrêt du 12 juillet 2001, C-399/98, Rec. p. I-5409); voir aussi point 30 de l’arrêt attaqué.
( 33 ) Ce sont les marchés au sens de la classe 50 groupe 502 de la NACE, auxquels fait référence l’article 2, paragraphe 2, de la directive 93/37.
( 34 ) Voir, par exemple, l’interprétation restrictive qui, selon une jurisprudence constante, est donnée à la notion de marché public afin d’exclure les marchés «quasi in-house», depuis l’arrêt du 18 novembre 1999, Teckal (C-107/98, Rec. p. I-8121, point 50, deuxième phrase).
( 35 ) Le besoin de séjourner à l’hôpital dépend de l’état de santé de l’usager concerné et est donc extrêmement individuel. De même, la fréquentation d’équipements de formation dépend entièrement ou partiellement des capacités et des goûts individuels.
( 36 ) Voir, par exemple, la communication de la Commission «Les services d’intérêt général en Europe» (JO 2001, C 17, p. 4) et le rapport «Les prestations d’intérêt général» que la Commission a présenté au Conseil européen à Laeken [COM(2001) 598 final].
( 37 ) Comme l’observait déjà l’avocat général Léger au point 36 de ses conclusions présentées le 2 avril 1998 dans l’affaire Parlement/Gutiérrez de Quijano y Lloréns (arrêt du 19 novembre 1998, C-252/96 P, Rec. p. I-7421).
( 38 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, UER/M6 e.a. (C‑470/02 P, point 69), et arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C-514/07 P, C-528/07 P et C-532/07 P, Rec. p. I-8533, point 65).
( 39 ) Voir ci-dessus, point 64 des présentes conclusions.
( 40 ) Voir arrêts du 25 mars 2010, Helmut Müller (C-451/08, Rec. p. I-2673, points 49, 54, 57 et 58), et du 15 juillet 2010, Commission/Allemagne (C-271/08, Rec. p. I-7091, point 75), concernant la disposition qui a succédé à celle de la directive 93/37 dans la directive 2004/18.
( 41 ) Voir arrêt Helmut Müller (précité en note 40, points 50 à 52). L’avocat général Wathelet a récemment examiné le critère de l’intérêt économique direct aux points 108 à 113 de ses conclusions du 11 avril 2013 dans l’affaire Commission/Pays-Bas (C‑576/10, pendante devant la Cour); voir, en outre, points 46 à 62 des conclusions de l’avocat général Mengozzi du 17 novembre 2009 dans l’affaire Helmut Müller (précitée en note 40).
( 42 ) La Commission fait référence à l’article 31 de l’arrêt attaqué.
( 43 ) Arrêts du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress (C-324/98, Rec. p. I-10745, points 60 à 62); du 21 juillet 2005, Coname (C-231/03, Rec. p. I-7287, points 16 et 17), et du 13 avril 2010, Wall (C-91/08, Rec. p. I-2815, point 68).
( 44 ) Voir ci-dessus, points 54 à 82 des présentes conclusions.
( 45 ) En vertu du principe général selon lequel les nouvelles règles de procédure s’appliquent à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur (jurisprudence constante, voir par exemple arrêt du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9), en l’espèce, la décision relative aux dépens est régie par le règlement de procédure de la Cour du 25 septembre 2012, qui est entré en vigueur le 1er novembre 2012 (voir, en ce sens, arrêt du
15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, points 91 à 92). Toutefois, il n’existe pas de différence de fond avec les dispositions combinées de l’article 69, paragraphe 2, et des articles 118, ainsi que 122, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour du 19 juin 1991.