CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
ELEANOR SHARPSTON
présentées le 18 avril 2013 ( 1 )
Affaire C‑26/12
Fiscale eenheid PPG Holdings BV cs te Hoogezand
contre
Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen
[demande de décision préjudicielle formée par le Gerechtshof te Leeuwarden (Pays-Bas)]
«TVA — Fonds de pension créé par un employeur sous la forme d’une entité juridique distincte — TVA due sur les services de gestion relatifs au fonds de pension facturée à l’employeur — Déductibilité — Exonération de ces services de la TVA en tant que ‘gestion de fonds communs de placement’»
1. Un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») a créé un fonds de pension pour ses salariés. Comme l’exige la loi, le fonds est une entité juridique distincte. Dans le cadre de son fonctionnement, l’employeur a conclu des contrats et effectué des paiements relatifs à certains services de gestion pour lesquels la TVA a été facturée.
2. Deux questions se posent: la TVA facturée à l’employeur est-elle déductible pour être en lien direct avec son activité taxable et, à titre subsidiaire, le fonds de pension est-il un fonds commun de placement dont la gestion est exonérée de TVA?
Dispositions pertinentes du droit de l’Union
3. En 2001 et en 2002, les exercices en cause dans la procédure au principal, l’article 2 de la première directive TVA ( 2 ) définissait comme suit le régime de la TVA:
«Le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.
À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.
[…]»
4. La sixième directive ( 3 ) était également applicable à l’époque des faits. Son article 4 ( 4 ) prévoyait:
«1. Est considéré comme assujetti quiconque accomplit, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
2. Les activités économiques visées au paragraphe 1 sont toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
[…]»
5. L’article 17 de la sixième directive ( 5 ) s’énonçait comme suit (extraits pertinents):
«Naissance et étendue du droit à déduction
1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.
2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:
a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;
[...]
5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction […] et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction, la déduction n’est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.
[…]»
6. L’article 13, B, de la sixième directive ( 6 ) prévoyait (extraits pertinents):
«Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels:
[…]
d) les opérations suivantes:
[…]
6. la gestion de fonds communs de placement tels qu’ils sont définis par les États membres;
[…]»
Faits, procédure et questions préjudicielles
7. Au moment des faits du litige au principal (exercices 2001 et 2002), PPG Industries Fiber Glass BV (ci-après «PPG Fiber Glass») était membre de fiscale eenheid PPG Holdings BV cs te Hoogezand (ci-après «PPG Holdings»).
8. Le droit néerlandais imposait aux employeurs de prévoir des pensions de retraite pour leurs salariés. Légalement, tout fonds créé à cet effet devait être distinct de PPG pour toutes fins de droit ( 7 ), et donc nécessairement aux fins de la TVA. Pareil fonds ne pouvait pas faire partie de PPG Holdings. Il est apparu à l’audience que, en droit néerlandais tel qu’appliqué au moment des faits, les employeurs avaient le choix de créer eux-mêmes un tel fonds ou d’externaliser leurs obligations auprès
d’une compagnie d’assurances à laquelle ils verseraient leurs cotisations et qui serait responsable du paiement des pensions au personnel retraité. Il n’existait toutefois pas d’option leur permettant de conserver un régime de retraite interne.
9. À cet effet, les sociétés du groupe PPG Holdings ont créé un fonds ( 8 ) (ci-après le «fonds») auquel ils versaient les cotisations. Les pensions et les coûts de financement étaient couverts par ces cotisations et les revenus d’investissements. Les salariés ne versaient pas de cotisations. Il résulte des observations que le fonds était un régime à prestations définies, à savoir dans le cadre duquel le montant des prestations est déterminé selon une formule préétablie et ne varie pas en fonction
du rendement des investissements.
10. PPG Fiber Glass a conclu des contrats avec différents prestataires de services portant sur des services d’administration, de gestion de patrimoine, de contrôle des comptes et de conseil à destination du fonds. Elle s’est engagée à payer ces services, y compris la TVA facturée.
11. Les montants de TVA facturés en 2001 et en 2002 étaient les suivants: 18102,19 euros pour l’administration du fonds de pension; 61843,61 euros pour la gestion de patrimoine; 5572,58 euros pour le contrôle des comptes; 19950 euros pour le conseil en administration, et 33 835,85 euros pour le conseil, à savoir un total de 139304,23 euros.
12. Dans ses déclarations à la TVA, PPG Holdings a déduit l’ensemble de ces montants de sa taxe en aval. L’administration fiscale a considéré qu’ils n’étaient pas déductibles et a émis un redressement. Un recours contre le redressement a été rejeté et c’est à présent le Gerechtshof te Leeuwarden qui est saisi du litige. PPG Holdings fait valoir i) que les dépenses ayant étant exposées en faveur de ses salariés, elles relèvent des frais généraux afférents à son activité économique taxable et
devraient donc être déductibles au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive et ii), à titre subsidiaire, que le fonds est un fonds commun de placement au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de sorte que sa gestion doit être exonérée de la TVA.
13. Le Gerechtshof a posé deux questions préjudicielles:
«1) L’article 17 de [la sixième directive] permet-il à un assujetti qui, sur la base d’une législation nationale en matière de retraites, a créé un fonds de pension distinct afin de garantir les droits à retraite de ses salariés et anciens salariés en tant qu’affiliés à ce fonds, de déduire la taxe qu’il [a acquittée] sur les prestations qui lui ont été fournies pour assurer la mise en œuvre du régime de retraite et le fonctionnement du fonds de pension?
2) Un fonds de pension créé dans le but de constituer, pour ses affiliés, une pension de retraite au coût le plus bas possible, et dans le cadre duquel un patrimoine est apporté et investi par les affiliés ou en leur nom, avec partage des produits engendrés, peut-il être qualifié de ‘fonds commun de placement’ au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de [la sixième directive ]?»
14. PPG Holdings, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission européenne ont présenté des observations écrites et ont comparu à l’audience du 6 février 2013 pour y être entendus en leurs observations orales.
Appréciation
Deuxième question
15. Il ressort clairement de la décision de renvoi que, dans la procédure nationale, la deuxième question ne se pose qu’en cas de réponse négative à la première. En outre, la Cour a désormais répondu en substance à la deuxième question dans son récent arrêt dans l’affaire Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. ( 9 ).
16. Dans cet arrêt, la Cour a considéré qu’un fonds d’investissement regroupant les actifs d’un régime de pensions de retraite ne relève pas de la notion de «fonds communs de placement», au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive et de l’article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112, dont la gestion est susceptible d’être exonérée de la TVA à la lumière de l’objectif de ces directives et du principe de neutralité fiscale, dès lors que les affiliés ne
supportent pas le risque de la gestion dudit fonds et que les cotisations que l’employeur verse au régime de pensions de retraite constituent un moyen pour lui de s’acquitter de ses obligations légales vis-à-vis de ses employés.
17. Par conséquent, dès lors que le fonds dont il est question en l’espèce s’avère satisfaire à l’ensemble des trois critères énoncés dans cette décision [il regroupe les actifs d’un (ou de plusieurs) régime(s) de pensions de retraite, les affiliés ne supportent pas le risque de la gestion et l’employeur cotise afin de s’acquitter de ses obligations légales vis-à-vis de ses employés], les services en cause dans la procédure au principal ne sont pas exonérés de la TVA au titre de l’article 13, B,
sous d), point 6, de la sixième directive.
Première question
18. Il ressort des propos tenus à l’audience que le fonds a été créé conjointement par l’ensemble des sociétés du groupe PPG Holdings pour assurer une retraite à leurs salariés, mais que, au sein de ce groupement, c’est PPG Fiber Glass qui a conclu les contrats et effectué les paiements relatifs aux services en cause. En outre, il résulte clairement de la formulation de la question que, selon la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre le groupement et ses membres.
J’aborderai par conséquent le problème en partant du principe qu’un employeur unique a créé un fonds de pension unique pour ses propres salariés, les cotisations étant versées et les coûts supportés par cet employeur que j’appellerai désormais simplement «PPG».
19. Je relève par ailleurs que la création d’un fonds de pension et l’organisation de sa gestion supposent nécessairement divers frais. En l’espèce, c’est PPG qui les a directement supportés, mais s’ils avaient été supportés directement par le fonds, ils auraient tout de même été indirectement supportés par PPG en tant que seul contributeur de ce fonds.
20. La question est de savoir si les services en cause dans la procédure au principal (à savoir des services d’administration, de gestion, de conseil et de contrôle des comptes concernant le fonds, mais acquis et payés par PPG) ont été utilisés pour les besoins de ses opérations taxées au sens de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive.
21. Il est de jurisprudence constante que le droit à déduction prévu à l’article 17 de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont. Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la
parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA ( 10 ).
22. Cette jurisprudence est cependant soumise à certaines conditions. Pour que la TVA soit déductible, les opérations effectuées en amont doivent présenter un lien direct et immédiat avec les opérations en aval ouvrant droit à déduction. Ainsi, le droit à déduction de la TVA grevant l’acquisition de biens ou de services en amont présuppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction. Un
droit à déduction est cependant également admis en faveur de l’assujetti, même en l’absence de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, lorsque les coûts des services en cause font partie des frais généraux de ce dernier et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit. De tels coûts entretiennent, en effet, un lien direct et immédiat avec l’ensemble de
l’activité économique de l’assujetti. Un tel lien doit toujours exister entre les biens et les services acquis et les opérations en aval ouvrant droit à déduction. À cet égard, le but ultime poursuivi par l’assujetti est indifférent ( 11 ). Cependant, la TVA ayant grevé en amont des dépenses encourues par un assujetti ne saurait ouvrir droit à déduction dans la mesure où elle se rapporte à des activités qui, eu égard à leur caractère non économique, ne tombent pas dans le champ d’application de
la sixième directive ( 12 ).
23. En l’espèce, on peut soutenir que les frais occasionnés par la création d’un fonds de pension pour les employés et l’organisation de sa gestion et de son administration ne présentent pas de lien direct et immédiat avec l’activité économique ou les opérations taxées en aval d’un employeur tel que PPG, dont l’activité consiste à vendre une série de produits. Telle est, en substance, la position du gouvernement néerlandais. Cependant, selon un autre point de vue, PPG a l’obligation légale de
prévoir un régime de retraite pour ses salariés, sans lesquels elle ne pourrait pas exercer son activité ni effectuer des opérations taxées en aval, de sorte que les frais ainsi exposés sont nécessairement constitutifs du prix des biens qu’elle livre. C’est la position défendue par PPG et la Commission. Le Royaume-Uni fait valoir que certains frais exposés (les frais afférents à la création du fonds et les frais administratifs récurrents relatifs à l’affiliation des salariés au fonds) sont
imputables à l’activité de PPG et ouvrent dès lors droit à déduction. En revanche, les autres frais se rapportent uniquement au fonds, entité fiscale distincte, et n’entrent dès lors pas en considération s’agissant du droit à déduction.
24. Je suis très sensible à la position défendue par PPG et la Commission. Si les opérations effectuées en aval par un employeur sont toutes soumises à la TVA, ses frais de personnel sont de ce fait constitutifs du coût desdites opérations, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien direct et immédiat entre des frais spécifiques et des opérations en aval spécifiques. Il en va de même s’agissant de sommes payées pour pourvoir aux pensions de retraite, lesquelles constituent une forme de salaire
différé. Toutefois, de tels frais ne sont pas eux-mêmes soumis à la TVA, de sorte qu’aucune taxe en amont ne pourrait être déduite de la taxe en aval. À cet égard, toutes les parties présentes à l’audience ont admis que, si PPG avait externalisé son régime de retraite auprès d’une compagnie d’assurances et que cette compagnie avait facturé à PPG des services y afférents soumis à la TVA ( 13 ), cette taxe aurait été déductible de la taxe en aval de PPG. Dans ces conditions, le fait que «le
principe de neutralité fiscale, principe fondamental du système commun de la TVA, s’oppose […] à ce que des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA» ( 14 ) semblerait exiger que la TVA sur les services en cause en l’espèce soit déductible de la même manière.
25. Toutefois, les observations des deux États membres, et en particulier celles du Royaume-Uni, me semblent exactes en ce qu’elles insistent sur la séparation juridique et fiscale entre le fonds et PPG, permettant de conclure que la TVA en cause ne peut pas être déduite dans des circonstances telles que celles de la procédure au principal.
26. Les raisons d’exiger pareille séparation juridique et fiscale sont évidentes: il s’agit de protéger les bénéficiaires non seulement contre l’insolvabilité de l’employeur, mais aussi contre toute possibilité de «dévaliser» le fonds pour faire face à un problème, même temporaire, de trésorerie ou de détourner autrement ses actifs de leur finalité. C’est à présent le droit de l’Union qui exige cette séparation, mais le droit néerlandais l’imposait déjà au moment des faits. La nécessité de
compartimenter hermétiquement les différents actifs de PPG, d’une part, et du fonds, d’autre part, requiert fortement d’éviter tout type de perméabilité fiscale entre eux.
27. On peut évidemment soutenir que c’est PPG qui a conclu des contrats et effectué des paiements relatifs aux services en cause, de sorte qu’ils devraient être rattachés à son activité économique (qui semble être principalement, si ce n’est exclusivement, taxable) plutôt qu’à l’activité du fonds (qui, consistant en fait pour l’essentiel à recevoir les cotisations de retraite de PPG et des revenus d’investissements, ainsi qu’à effectuer le versement des retraites aux bénéficiaires, ne semble pas
contenir d’élément d’imposition).
28. Cependant, je considère qu’il n’est pas possible d’ignorer ou d’écarter le fait que les services ont été acquis pour parvenir à l’objectif du fonds, à savoir obtenir des revenus d’investissements, et qu’ils sont donc directement et immédiatement liés à l’activité dudit fonds alors qu’ils ne le sont qu’indirectement et en dernier ressort à celle de PPG. Même si l’activité économique de PPG est l’activité taxable avec laquelle les services sont le plus étroitement (bien qu’indirectement seulement)
liés, il n’en demeure pas moins qu’il existe un lien direct et immédiat avec l’activité (non taxable) du fonds, qui fait écran entre les services acquis et l’activité économique de PPG. Et la question de savoir si la taxe en amont est déductible ou non dépend de la nature de l’activité avec laquelle les biens ou les services qu’elle grève présentent un lien direct et immédiat. L’élément déterminant doit être le lien le plus étroit, et non le lien taxable le plus étroit. À défaut, il serait aisé
de contourner le principe en vertu duquel la taxe en amont ne peut pas être déduite lorsque les biens ou les services acquis en amont sont utilisés pour des opérations exonérées ou pour des opérations qui ne relèvent pas du champ d’application de la TVA.
29. La situation peut être illustrée plus clairement en recourant à l’exemple donné à l’audience par le Royaume-Uni. Si, au lieu d’investir uniquement dans des titres ou d’autres produits financiers, le fonds avait investi dans l’immobilier afin d’obtenir des revenus locatifs (et il ne s’agit pas d’une hypothèse invraisemblable), son activité de location aurait alors été soumise à la TVA si (ce qui est également réaliste) il avait opté pour la taxation conformément à l’article 13, C, sous a), de la
sixième directive ( 15 ). Dans ce cas, tous les services de contrôle des comptes, de conseil, de gestion ou d’administration que le fonds aurait pu utiliser pour les besoins de son activité de location auraient été directement imputables à cette activité taxable et la TVA facturée sur lesdits services aurait été déductible de la TVA que le fonds aurait dû comptabiliser sur ses opérations effectuées en aval. Elle n’aurait pas été déductible de la taxe en aval de PPG parce que les services
auraient été utilisés pour les besoins des opérations taxables du fonds (et non de PPG), quand bien même PPG en aurait assumé le paiement. S’agissant de la chaîne de l’imputabilité, je ne vois aucune raison de considérer la situation sous un aspect différent pour la seule raison que l’activité du fonds n’est pas soumise à la TVA.
30. Dès lors, il me semble que le fait que les services ont été utilisés par le fonds pour les besoins de sa propre activité, qui n’est pas seulement radicalement différente, mais aussi légalement et fiscalement distincte de celle de PPG, doit être déterminant. Le fait que PPG a payé pour ces services ne saurait être pertinent. Il y a trois manières d’appréhender cette circonstance: en tant que double opération de réception et de fourniture de services, telle qu’envisagée à l’article 6,
paragraphe 4, de la sixième directive ( 16 ), auquel cas PPG devrait répercuter la taxe au fonds; en tant que contrepartie obtenue de la part d’un tiers, constituant la base d’imposition aux fins de l’acquisition des services par le fonds, telle qu’envisagée à l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive ( 17 ); ou en tant que cadeau de PPG au fonds, ce qui ne relèverait pas du champ d’application de la TVA. Cette circonstance ne saurait toutefois impliquer que PPG ait acquis
les services pour les besoins de ses propres opérations taxables.
31. J’ai mentionné le principe de neutralité fiscale, qui (dans une de ses acceptions) s’oppose à ce que des prestations semblables en concurrence les unes avec les autres soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA. J’ai également indiqué que, en externalisant son régime de retraite auprès d’une compagnie d’assurances plutôt que de créer son propre fonds, PPG aurait éventuellement pu déduire la TVA en amont qui lui aurait été facturée sur des services réceptionnés à cet égard
(même s’il n’existe pas d’indication quant au montant de TVA qui aurait pu être comptabilisé). Examinée au regard du principe de neutralité fiscale, cette circonstance ne remet toutefois pas en cause la conclusion à laquelle je suis parvenue. Ainsi qu’il a été exposé dans l’arrêt Deutsche Bank ( 18 ), ce principe n’est pas une règle de droit primaire et des activités partiellement en concurrence peuvent parfois être traitées différemment aux fins de la TVA. Les limites du principe résultent en
outre de la jurisprudence constante de la Cour aux termes de laquelle les assujettis ont le droit de choisir la structure de leur activité de manière à limiter leur dette de TVA ( 19 ), ce qui serait impossible si toutes les activités concurrentes étaient traitées de la même manière aux fins de la TVA.
32. Cependant, je répète que ma conclusion est fondée sur le fait que le fonds a consommé les services en cause pour les besoins de sa propre activité, activité distincte de l’activité économique de PPG, et que ledit fonds est légalement et fiscalement distinct de PPG. Je conviens que les frais exposés par un employeur pour constituer un régime de retraite pour son personnel sont directement et immédiatement liés à son activité économique dans son ensemble (de sorte que la TVA sur ces frais est
déductible dans des circonstances appropriées) lorsque les frais sont liés à des biens ou à des services consommés par l’employeur. Je souscris dès lors à la thèse du Royaume-Uni en vertu de laquelle PPG pourrait être en mesure de déduire la TVA sur toutes acquisitions effectuées en amont pour les besoins de la création du fonds, de l’inscription des salariés dans le fonds, de la garantie du versement ponctuel de ses propres cotisations etc. De telles activités relèvent en effet de la sphère de
l’activité de PPG et non de celle du fonds distinct.
Conclusion
33. À la lumière de tous les éléments qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par le Gerechtshof te Leeuwarden:
1) L’article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu’un assujetti qui a créé un fonds de pension sous la forme d’une entité distincte, à toutes fins juridiques et fiscales, afin de garantir les droits à retraite de ses salariés et anciens salariés, n’a pas le
droit de déduire la taxe qu’il a acquittée sur des prestations qui ont été fournies à ce fonds et portant sur sa gestion et son fonctionnement. Seul le fonds lui-même a le droit de déduire une telle taxe de la taxe dont il est redevable, le cas échéant, sur ses propres opérations taxables.
2) Un fonds d’investissement regroupant les actifs d’un régime de pensions de retraite ne relève pas de la notion de fonds commun de placement, au sens de l’article 13, B, sous d), point 6, de la directive 77/388/CEE, dont la gestion est susceptible d’être exonérée de la TVA à la lumière de l’objectif de cette directive et du principe de neutralité fiscale, dès lors que les affiliés ne supportent pas le risque de la gestion dudit fonds et que les cotisations que l’employeur verse au régime de
pensions de retraite constituent un moyen pour lui de s’acquitter de ses obligations légales vis-à-vis de ses employés.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais.
( 2 ) Première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires (JO 71, p. 1301). Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).
( 3 ) Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
( 4 ) Voir article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112.
( 5 ) Tel que modifié par l’article 28 septies inséré par la directive 91/680/CEE du Conseil, du 16 décembre 1991, complétant le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée et modifiant, en vue de l’abolition des frontières fiscales, la directive 77/388/CEE (JO L 376, p. 1), et par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388/CEE et portant nouvelles mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée – champ d’application de certaines
exonérations et modalités pratiques de leur mise en œuvre (JO L 102, p. 18). Voir articles 167, 168 et 168 bis de la directive 2006/112.
( 6 ) Voir article 135, paragraphe 1, sous g), de la directive 2006/112.
( 7 ) Cette obligation relève à présent du droit de l’Union. L’article 8 de la directive 2003/41/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 juin 2003, concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (JO L 235, p. 10), impose aux États membres de garantir une séparation juridique entre des «entreprises d’affiliation» et des «institutions de retraite professionnelle».
( 8 ) Stichting Pensioenfonds PPG Industries Nederland.
( 9 ) Arrêt du 7 mars 2013, C‑424/11.
( 10 ) Arrêt du 26 mai 2005, Kretztechnik (C-465/03, Rec. p. I-4357, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée).
( 11 ) Voir arrêt du 6 septembre 2012, Portugal Telecom (C‑496/11, points 36 à 38 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 21 février 2013, Becker (C‑104/12, points 19 et suiv. ainsi que jurisprudence citée).
( 12 ) Arrêt du 13 mars 2008, Securenta (C-437/06, Rec. p. I-1597, point 30).
( 13 ) Il convient toutefois de rappeler que l’article 13, B, sous a), de la sixième directive exonérait «les opérations d’assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurance» [voir article 135, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112].
( 14 ) Voir, notamment, arrêt du 29 octobre 2009, SKF (C-29/08, Rec. p. I-10413, point 67 et jurisprudence citée). Sur la signification de la notion de «neutralité fiscale» dans le contexte de la TVA, voir mes conclusions dans l’affaire Deutsche Bank (arrêt du 19 juillet 2012, C‑44/11, note 18).
( 15 ) Voir article 137, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/112.
( 16 ) Voir article 28 de la directive 2006/112.
( 17 ) Voir article 73 de la directive 2006/112.
( 18 ) Précité à la note 14 (point 45); point 60 de mes conclusions et jurisprudence citée.
( 19 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 22 décembre 2010, Weald Leasing (C-103/09, Rec. p. I-13589, point 27 et jurisprudence citée).