ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)
18 avril 2013 (*)
«Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure − Renvoi préjudiciel − Aides d’État − Décision de la Commission déclarant un régime d’aides incompatible avec le marché commun − Récupération des aides − Appréciation de la validité d’un acte de l’Union − Absence de précisions relatives aux raisons justifiant la nécessité d’une réponse aux questions préjudicielles − Irrecevabilité manifeste»
Dans l’affaire C‑368/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour administrative d’appel de Nantes (France), par décision du 26 juillet 2012, parvenue à la Cour le 2 août 2012, dans la procédure
Adiamix
contre
Direction départementale des finances publiques de l’Orne,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. J. Malenovský, président de chambre, M. U. Lõhmus et M^me A. Prechal (rapporteur), juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de la décision 2004/343/CE de la Commission, du 16 décembre 2003, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France concernant la reprise d’entreprises en difficulté (JO 2004, L 108, p. 38, ci-après la «décision litigieuse»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Adiamix à la direction départementale des finances publiques de l’Orne au sujet de la récupération d’aides dont a bénéficié cette société.
Le litige au principal et la question préjudicielle
3 Les antécédents du litige au principal tels qu’ils ressortent de la décision de renvoi peuvent être résumés comme suit.
4 Adiamix a bénéficié, au titre de l’exercice clos en 2002, de l’exonération d’impôt sur les sociétés prévue à l’article 44 septies du code général des impôts (ci-après le «CGI»), dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 41 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 (JORF du 31 décembre 2004, p. 22522).
5 Cette société a bénéficié de cette exonération à raison de la reprise des ateliers «découpe et outillage» exploités par l’entreprise industrielle en difficulté Moulinex à Alençon (France).
6 Aux termes de l’article 1^er de la décision litigieuse, «[l]e régime d’aides d’État prévu à l’article 44 septies du [CGI], sous la forme d’un régime d’exonérations fiscales en faveur des entreprises reprenant les actifs d’entreprises en difficulté, mis à exécution par la France en violation de l’article 88, paragraphe 3, [CE], est incompatible avec le marché commun, sans préjudice des articles 2 et 3».
7 Les articles 2 et 3 de ladite décision portent sur les aides octroyées en application du régime d’exonérations fiscales condamné, qui sont néanmoins compatibles avec le marché commun dès lors qu’elles remplissent les conditions énoncées par la réglementation de l’Union, en particulier celle en matière d’aides de minimis, de régimes d’aides à finalité régionale ou d’aides en faveur des petites et moyennes entreprises.
8 En vertu des articles 4 et 5 de la même décision, la République française est tenue de supprimer le régime d’aides concerné et de prendre «toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de leurs bénéficiaires les aides octroyées au titre du régime visé à l’article 1^er, autres que celles visées aux articles 2 et 3, et illégalement mises à leur disposition» et «[l]a récupération a lieu sans délai, conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent
l’exécution immédiate et effective de la présente décision. Les aides à récupérer incluent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à la date de leur récupération».
9 Le 27 novembre 2009, la trésorerie générale de l’Orne a émis, à l’encontre d’Adiamix, un titre de perception portant sur un montant de 1 425 905 euros, correspondant au montant des aides dont elle avait bénéficié, assorti d’intérêts à hauteur de 338 131 euros. Par un titre d’annulation émis le 23 juillet 2010, ce titre de perception a été réduit, de sorte qu’il ne porte désormais plus que sur un montant de 832 210 euros.
10 Le tribunal administratif de Caen ayant rejeté la demande d’Adiamix tendant à l’annulation dudit titre de recettes, celle-ci a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes.
11 La juridiction de renvoi relève, après avoir rappelé les termes de certaines dispositions du droit de l’Union, en particulier en matière d’aides d’État, qu’Adiamix conteste la validité de la décision litigieuse, à laquelle est nécessairement subordonnée la légalité du titre de perception litigieux.
12 Cette juridiction reprend ensuite certains des moyens d’invalidité développés devant elle par Adiamix à l’encontre de la décision litigieuse.
13 Ladite juridiction considère que cette question présente des difficultés sérieuses.
14 Dans ces conditions, la cour administrative d’appel de Nantes a décidé de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête d’Adiamix jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur la validité de la décision litigieuse au regard des critiques formulées par cette société.
Sur la question préjudicielle
15 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision litigieuse doit être considérée comme invalide en raison de certaines des critiques formulées devant elle par la requérante au principal à l’encontre de cette décision.
16 À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’une question sur la validité d’un acte pris par les institutions de l’Union est soulevée devant une juridiction nationale, c’est à cette juridiction de juger si une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement et, partant, de demander à la Cour de statuer sur cette question. En conséquence, dès lors que les questions posées par le juge national portent sur la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en
principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2012, Association Kokopelli, C-59/11, non encore publié au Recueil, point 28 et jurisprudence citée).
17 Toutefois, l’article 267 TFUE ne constitue pas une voie de recours ouverte aux parties à un litige pendant devant le juge national et il ne suffit donc pas qu’une partie soutienne que le litige pose une question de validité du droit de l’Union pour que la juridiction concernée soit tenue de considérer qu’il y a question soulevée au sens de l’article 267 TFUE. Il en résulte que l’existence d’une contestation de la validité d’un acte de l’Union devant la juridiction nationale ne suffit pas, à
elle seule, à justifier le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour (arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C-344/04, Rec. p. I-403, point 28).
18 S’agissant des juridictions dont les décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne, la Cour a jugé que celles-ci peuvent examiner la validité d’un acte de l’Union et, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles, rejeter ces moyens en concluant que l’acte est pleinement valide. En effet, en agissant de la sorte, elles ne mettent pas en cause l’existence de l’acte de l’Union (arrêt IATA et ELFAA,
précité, point 29).
19 En revanche, lorsque de telles juridictions estiment qu’un ou plusieurs moyens d’invalidité avancés par les parties ou, le cas échéant, soulevés d’office sont fondés, il leur incombe de surseoir à statuer et de saisir la Cour d’une procédure de renvoi préjudiciel en appréciation de validité (arrêt IATA et ELFAA, précité, point 30).
20 La Cour a relevé à maintes reprises que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour la juridiction nationale exige que celle-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose ou que, à tout le moins, elle explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, ordonnance du 11 mars 2008, Consel Gi. Emme, C-467/06, point 15 et jurisprudence citée).
21 Par ailleurs, il découle de l’esprit de coopération qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel qu’il est indispensable que la juridiction nationale expose, dans sa décision de renvoi, les raisons précises pour lesquelles elle considère qu’une réponse à ses questions concernant l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union est nécessaire à la solution du litige (voir en ce sens, notamment, arrêts du 12 juin 1986, Bertini e.a., 98/85, 162/85 et
258/85, Rec. p. 1885, point 6; du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I-10423, point 46, ainsi que IATA et ELFAA, précité, point 31).
22 Dans ce cadre, il est important que la juridiction nationale indique en particulier les raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur la validité de certaines dispositions du droit de l’Union et expose les motifs d’invalidité qui, par voie de conséquence, lui paraissent pouvoir être retenus [voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 mars 2000, Greenpeace France e.a., C-6/99, Rec. p. I-1651, point 55 ; IATA et ELFAA, précité, point 30, ainsi que ordonnance du 17 septembre 2009,
Investitionsbank Sachsen-Anhalt, C‑404/08 et C-409/08, point 30; voir, également, point 22 de la note informative de la Cour de justice sur l’introduction de procédures préjudicielles par les juridictions nationales (JO 2005, C 143, p. 1), en substance identique au point 22 de la dernière version de ladite note informative (JO 2012, C 338, p. 1)].
23 Ceci est d’autant plus nécessaire que, ainsi qu’il ressort des points 18 et 19 de la présente ordonnance, les juridictions dont les décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel de droit interne peuvent, si elles n’estiment pas fondés les moyens d’invalidité que les parties invoquent devant elles, rejeter ces moyens en concluant que l’acte concerné est pleinement valide, sans être contraintes de surseoir à statuer et de saisir la Cour d’une procédure de renvoi
préjudiciel en appréciation de validité.
24 Il y a lieu également de souligner à cet égard que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les informations fournies dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à procurer aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que
cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de ladite disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées, accompagnées d’une traduction dans la langue officielle de chaque État membre, à l’exclusion du dossier national éventuellement transmis à la Cour par la juridiction de renvoi (voir, notamment, arrêts du 1^er avril 1982, Holdijk e.a., 141/81 à 143/81, Rec. p. 1299, point 6; du 13 avril 2000, Lehtonen et Castors Braine, C‑176/96, Rec.
p. I-2681, point 23, ainsi que ordonnance du 23 mars 2012, Thomson Sales Europe, C-348/11, point 49; voir, également, point 22 de la note informative mentionnée au point 22 de la présente ordonnance, en substance identique au point 22 de la dernière version de ladite note informative).
25 Il s’ensuit que le fait, pour le juge national, de se référer aux observations des parties au principal, qui, par ailleurs, sont susceptibles de contenir des présentations divergentes du litige pendant devant ce dernier, n’est pas à même de sauvegarder la possibilité de présenter des observations dont disposent lesdits gouvernements et les autres intéressés conformément audit article 23. Ainsi, l’absence de toute indication sur les situations de fait et de droit auxquelles se réfère le juge
national ne permet pas à la Cour de donner une interprétation utile du droit de l’Union (ordonnance du 2 mars 1999, Colonia Versicherung e.a., C‑422/98, Rec. p. I-1279, points 8 et 9).
26 Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale expose, dans les termes suivants, les raisons pour lesquelles elle considère qu’une réponse à sa question relative à la validité de la décision litigieuse est nécessaire:
«Considérant qu’[Adiamix] conteste la validité de la décision [litigieuse], à laquelle est nécessairement subordonnée la légalité du titre de perception litigieux, en faisant notamment valoir que les dispositions de l’article 44 septies du [CGI] n’ont pas instauré d’aide au sens du paragraphe 1 de l’article 87 [CE], le critère de sélectivité faisant en particulier défaut, que le régime qu’elles prévoient peut au mieux recevoir la qualification de régime d’aide existant, ce qui fait obstacle à la
restitution des aides déjà allouées, et que cette décision ne satisfait pas aux exigences de motivation posées à l’article 253 [TFUE] telles qu’interprétées par les juridictions communautaires s’agissant notamment des éléments de nature à démontrer en quoi le régime français d’aide à la reprise d’entreprises en difficulté fausse ou menace de fausser la concurrence et affecte les échanges entre les États membres; que cette question présente des difficultés sérieuses; qu’il y a lieu, par suite, pour
la cour, en application des stipulations précitées de l’article 267 [TFUE], de surseoir à statuer sur les conclusions susanalysées de la requête d’[Adiamix] jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur cette question préjudicielle».
27 Force est de constater que, ainsi que l’ont soutenu la République française et la Commission européenne, par cet exposé, la juridiction de renvoi n’a fourni, dans sa décision de renvoi, aucune indication précise sur les raisons pour lesquelles elle considère qu’une réponse à sa question concernant la validité de la décision litigieuse est nécessaire à la solution du litige et, en particulier, sur les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur la validité de ladite décision.
28 En effet, cette juridiction se borne à expliquer les raisons pour lesquelles la question de la validité de la décision litigieuse est pertinente pour la solution du litige au principal, en ce que celui-ci concerne la légalité d’un titre de perception, et à se référer ensuite et de manière tout à fait générale à certains des moyens d’annulation avancés devant elle par Adiamix, en indiquant seulement que la question de validité ainsi soulevée présente des difficultés sérieuses.
29 Ainsi, tout d’abord, la juridiction de renvoi n’explique pas les raisons pour lesquelles elle semble considérer que la validité de la décision litigieuse pourrait être mise en doute en raison du fait que le critère relatif à la sélectivité ferait défaut, alors que, aux considérants 25 à 28 de la décision litigieuse, la Commission a expliqué de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles elle considère que le régime examiné présente un caractère sélectif.
30 Ensuite, la lecture de la décision de renvoi ne permet pas non plus de comprendre le motif pour lequel la juridiction de renvoi paraît douter de la qualification d’aide nouvelle du régime d’exonération fiscale en cause, alors que celui-ci a été introduit en 1989 et qu’il est constant qu’il n’a fait l’objet ni d’une notification à la Commission ni d’une autorisation par cette dernière, préalablement à sa mise en œuvre.
31 Enfin, la décision de renvoi ne contient aucune explication quant aux raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi semble éprouver des doutes sur le caractère suffisant de la motivation relative à l’incidence du régime d’aide concerné sur le commerce entre les États membres et à la distorsion de la concurrence, alors que, au considérant 24 de la décision litigieuse, la Commission a fourni une motivation détaillée sur ces deux éléments.
32 Dans ces conditions, force est de conclure que, en l’absence d’indications minimales de la juridiction nationale, dans sa décision de renvoi, quant aux raisons pour lesquelles elle a considéré que les arguments avancés par la requérante au principal à l’appui de sa demande de déclaration d’invalidité de la décision litigieuse étaient susceptibles d’être fondés, et que, partant, elle estimait ne pas être en mesure de les écarter elle-même, la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.
33 Il y a lieu, également, de conclure que les informations fournies dans la décision de renvoi sont insuffisantes pour que la Cour puisse s’assurer que les gouvernements des États membres ainsi que les autres intéressés aient pu utilement faire usage de la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour.
34 À cet égard, ainsi que l’a relevé à bon droit la Commission, cette dernière disposition s’oppose à ce que des intéressés ayant décidé de présenter des observations à la Cour soient réduits à des conjectures en ce qui concerne la nature et la raison des doutes éprouvés par la juridiction de renvoi quant à la validité de l’acte de l’Union en cause au principal.
35 Il convient néanmoins de relever que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle pourvu que celle-ci comprenne des indications minimales quant aux raisons pour lesquelles elle considère que les arguments avancés par la requérante au principal à l’appui de sa demande de déclaration d’invalidité de la décision litigieuse sont susceptibles d’être fondés.
36 Dans ces conditions, il convient de constater, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.
Sur les dépens
37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:
La demande de décision préjudicielle introduite par la cour administrative d’appel de Nantes (France), par décision du 26 juillet 2012, est manifestement irrecevable.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.