CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME ELEANOR SHARPSTON
présentées le 16 mai 2013 ( 1 )
Affaires C‑120/12 P à C‑122/12 P
Bernhard Rintisch
contre
Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)
«Pourvoi — Marque communautaire — Opposition — Preuve de l’existence et de la validité de la marque antérieure — Preuves et traductions soumises après l’expiration du délai fixé par l’OHMI — Pouvoir d’appréciation de la chambre de recours»
1. Les pourvois dans ces trois affaires sont formés contre trois arrêts du Tribunal de l’Union européenne qui ont été rendus le même jour, qui sont formulés en des termes similaires et qui sont fondés sur la même interprétation de l’article 74, paragraphe 2, du règlement (CE) no 40/94 ( 2 ) et les règles 20, paragraphe 1, et 50, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2868/95 ( 3 ) (ci-après le «règlement d’application»). Les pourvois sont fondés sur les deux mêmes moyens.
2. Dans chacune de ces affaires, le même titulaire de marque, M. Rintisch, a fait opposition à l’enregistrement de trois marques différentes en tant que marques communautaires sur le fondement d’un risque de confusion avec certaines marques dont il soutient être le propriétaire. Il s’est appuyé, au soutien de son opposition, entre autres, sur des marques antérieures allemandes. Afin de faire opposition à l’enregistrement, il devait également démontrer l’existence et la validité de ces marques
antérieures. M. Rintisch n’a cependant pas soumis à la division d’opposition de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), dans le délai imparti par celle-ci, toutes les preuves nécessaires à cet effet avec les traductions des documents pertinents dans la langue de procédure qui était l’anglais dans chaque cas. La division d’opposition a donc rejeté les oppositions. Contestant ces rejets, M. Rintisch a alors déposé des documents supplémentaires et
des traductions des documents probatoires. Dans chaque cas, la chambre de recours de l’OHMI a refusé d’en tenir compte au motif qu’elle n’avait pas de pouvoir d’appréciation pour le faire. Le Tribunal a rejeté les recours contre les décisions de la chambre de recours.
3. Dans les présents pourvois, il est demandé à la Cour d’examiner si le Tribunal a commis une erreur en considérant que la chambre de recours n’a pas de pouvoir d’appréciation pour prendre en compte les preuves de l’existence et de la validité de marques antérieures ainsi que des traductions des documents probatoires déposées après l’expiration du délai fixé par la division d’opposition.
Le droit des marques de l’Union
4. L’article 42 du règlement no 40/94, intitulé «Opposition», dispose:
«1. Une opposition à l’enregistrement de la marque peut être formée dans un délai de trois mois à compter de la publication de la demande de marque communautaire, au motif que la marque devrait être refusée à l’enregistrement en vertu de l’article 8 [ ( 4 )]:
[…]
3. L’opposition doit être formée par écrit et motivée. […] Dans un délai imparti par l’Office, celui qui a formé opposition peut présenter à son appui des faits, preuves et observations.»
5. L’article 74 dudit règlement, relatif à l’examen d’office des faits, dispose:
«1. Au cours de la procédure, l’Office procède à l’examen d’office des faits; toutefois, dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.
2. L’Office peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.»
6. Le règlement d’application pose les règles nécessaires à l’application du règlement no 40/94 ( 5 ). Ses règles «doivent assurer le bon déroulement des procédures devant l’Office» ( 6 ).
7. La règle 18 du règlement d’application décrit l’ouverture de la procédure lorsque l’opposition est recevable ( 7 ):
«1. Lorsque l’opposition est jugée recevable conformément à la règle 17, l’Office informe les parties que la procédure d’opposition est réputée ouverte deux mois après la réception de la communication. […]
[…]»
8. Aux termes de la règle 19 dudit règlement:
«1. L’Office donne à l’opposant l’opportunité de présenter les faits, preuves et observations à l’appui de son opposition ou de compléter les faits, preuves et observations d’ores et déjà présentés conformément à la règle 15, paragraphe 3, dans un délai fixé par lui […]
2. Au cours du délai visé au paragraphe 1, l’opposant produit également la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur, ainsi que des éléments de preuve de son habilitation à former opposition. L’opposant produit notamment les preuves suivantes:
a) si l’opposition est fondée sur l’existence d’une marque autre qu’une marque communautaire, la preuve de son dépôt ou enregistrement, en produisant:
[…]
ii) si la marque est enregistrée, une copie du certificat d’enregistrement correspondant et, le cas échéant, du dernier certificat de renouvellement, attestant que le délai de protection de la marque dépasse le délai visé au paragraphe 1 et de toute extension de celui-ci, ou tout autre document équivalent émanant de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée;
[…]
3. Les informations et les preuves visées aux paragraphes 1 et 2 sont présentées dans la langue de procédure ou accompagnées d’une traduction. La traduction est produite dans le délai fixé pour la production du document original.
4. L’Office ne prend pas en considération les observations écrites ou documents ou parties de ceux-ci qui ne sont pas présentés ou qui ne sont pas traduits dans la langue de procédure, dans le délai imparti par l’Office.»
9. La règle 20 du règlement d’application, intitulée «Examen de l’opposition», énonce:
«1. Si, avant l’expiration du délai visé à la règle 19, paragraphe 1 [ ( 8 )], l’opposant ne prouve pas l’existence, la validité et l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur, ainsi que l’habilitation à former opposition, l’opposition est rejetée comme non fondée.
2. Si l’opposition n’est pas rejetée conformément au paragraphe 1, l’Office communique au demandeur les observations de l’opposant et l’invite à présenter ses observations dans le délai qu’il lui précise.
3. Si le demandeur ne présente aucune observation, l’Office statue sur l’opposition en se fondant sur les preuves dont il dispose.
4. L’Office communique à l’opposant les observations du demandeur et l’invite, s’il l’estime nécessaire, à présenter ses observations en réponse dans le délai qu’il lui précise.
5. La règle 18, paragraphes 2 et 3, s’applique mutatis mutandis après la date d’ouverture présumée de la procédure d’opposition.
6. Le cas échéant, l’Office peut inviter les parties à limiter leurs observations à des questions particulières et les autoriser à soulever d’autres questions dans la suite de la procédure. En aucun cas, l’Office n’est tenu d’informer les parties des faits ou preuves qui pourraient être ou n’ont pas été produits.
[…]»
10. La règle 50 du règlement d’application, intitulée «Examen du recours», énonce, à son paragraphe 1, premier et troisième alinéas:
«Sauf disposition contraire, les dispositions relatives aux procédures devant l’instance qui a rendu la décision attaquée sont applicables mutatis mutandis à la procédure de recours.
[…]
Lorsque le recours est dirigé contre une décision d’une division d’opposition, la chambre de recours limite l’examen du recours aux faits et preuves présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition conformément au règlement [no 40/94] et aux présentes règles, à moins que la chambre ne considère que des faits et preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte conformément à l’article 74, paragraphe 2, [dudit] règlement.»
Les procédures devant l’OHMI
L’affaire C‑120/12 P
11. Bariatrix Europe Inc. SAS a demandé le 17 mars 2006 l’enregistrement la marque verbale PROTI SNACK en tant que marque communautaire pour des produits relevant des classes 5, 29 et 32 de l’arrangement de Nice ( 9 ).
12. Le 9 mars 2007, M. Rintisch a fait opposition à l’enregistrement de ladite marque sur le fondement du motif exposé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 (le risque de confusion de la part du public sur le territoire duquel la marque antérieure est protégée). Les marques antérieures sur lesquelles reposait son opposition incluaient les marques verbales allemandes PROTIPLUS et PROTI ainsi que la marque figurative allemande PROTIPOWER.
13. M. Rintisch a soumis avec l’acte d’opposition des documents destinés à prouver l’existence et la validité de chacune des marques antérieures. Il a, en particulier, soumis à la division d’opposition, d’une part, des certificats d’enregistrement délivrés par le Deutsches Patent- und Markenamt (DPMA) (Office allemand des brevets et des marques) ( 10 ) et, d’autre part, des extraits du registre en ligne du DPMA. Des traductions en langue anglaise des certificats d’enregistrement originaux, mais pas
des extraits du registre en ligne, ont également été soumises.
14. Le 26 avril 2007, la division d’opposition a communiqué à M. Rintinsch la date du début de la phase contradictoire de la procédure. Elle a indiqué qu’un certificat de renouvellement devrait être fourni pour les marques dont l’enregistrement remontait à plus de dix ans et que l’existence et la validité des marques antérieures devaient être démontrées par des documents officiels traduits dans la langue de procédure. Si cette preuve n’était pas présentée avant le 27 août 2007, l’opposition serait
rejetée conformément à la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application, sans examen au fond.
15. Près d’un mois après l’expiration de ce délai, le 25 septembre 2007, M. Rintisch a soumis à l’OHMI pour chacune des marques antérieures, d’une part, un extrait du registre en ligne du DPMA et, d’autre part, une déclaration du DPMA confirmant que les marques avaient été renouvelées avant la date à laquelle l’acte d’opposition avait été soumis. Il a également présenté une traduction en langue anglaise de cette déclaration.
16. Le 31 mars 2008, la division d’opposition a rejeté l’opposition parce que M. Rintisch n’avait pas démontré, dans le délai imparti, l’existence et la validité des marques antérieures sur lesquelles l’opposition était fondée. Premièrement, les certificats d’enregistrement originaux soumis avec l’acte d’opposition étaient insuffisants pour établir la continuité de la validité des marques antérieures au 27 août 2007, la date limite du délai fixé par l’OHMI. En vertu du droit allemand, la protection
des marques allemandes prend fin à l’expiration d’une période de dix ans à compter de la date de dépôt. Deuxièmement, conformément à la règle 19, paragraphe 4, du règlement d’application, les extraits du registre en ligne du DPMA ne pouvaient pas être pris en compte comme preuve des dates de renouvellement des marques parce qu’ils n’avaient pas été traduits dans la langue de procédure. Troisièmement, la division d’opposition a refusé, sur le fondement de la règle 20, paragraphe 1, du règlement
d’application, de tenir compte des documents soumis le 25 septembre 2007 parce qu’ils l’avaient été tardivement.
17. Le 8 mai 2008, le requérant a formé un recours contre cette décision. Il a demandé à la chambre de recours de refuser l’enregistrement de la marque PROTI SNACK sur le fondement de l’existence d’un risque de confusion. Il a soutenu que les extraits non traduits du DPMA ne nécessitaient pas d’explication et suffisaient à démontrer au moins que les marques antérieures PROTIPLUS et PROTI POWER avaient été renouvelées. Il a soumis une fois de plus les documents qu’il avait déposés auprès de la
division d’opposition le 25 septembre 2007, avec leur traduction, et a demandé à la chambre de recours de les prendre en compte.
18. Le 15 décembre 2008, la chambre de recours a rejeté son recours. Elle a estimé que la division d’opposition avait décidé à bon droit, en appliquant la règle 19, paragraphes 2 à 4, ainsi que la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application, que M. Rintisch n’avait pas dûment démontré l’existence et la validité des marques antérieures. Elle a approuvé les raisons pour lesquelles la division d’opposition a décidé de ne pas tenir compte des certificats d’enregistrement (défaut de démontrer le
renouvellement des marques) et des extraits du registre en ligne du DPMA (absence de traduction) soumis le 9 mars 2007 et des documents soumis le 25 septembre 2007 (soumission tardive). Elle a en outre jugé que ni la chambre de recours ni la division d’opposition n’avait de pouvoir d’appréciation en vertu de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 pour prendre en compte des documents soumis après l’expiration du délai fixé par l’OHMI. La chambre de recours a ajouté que, même si elle
disposait d’un tel pouvoir d’appréciation, elle ne l’aurait pas exercé en faveur de M. Rintisch. Le demandeur n’aurait pas agi de manière irrégulière et n’aurait joué aucun rôle dans la soumission par M. Rintisch des preuves après l’expiration du délai imparti.
19. Le 13 février 2009, M. Rintisch a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal.
Les affaires C‑121/12 P et C‑122/12 P
20. Valfleuri Pâtes alimentaires SA (ci-après «Valfleuri») a demandé le 6 janvier 2006 l’enregistrement des marques verbales PROTIVITAL et PROTIACTIVE en tant que marques communautaires pour des produits relevant, entre autres, des classes 5, 29 et 30 de l’arrangement de Nice.
21. Le 24 octobre 2006, M. Rintisch a fait opposition aux deux demandes d’enregistrement sur le fondement des motifs prévus à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94. Son opposition visait les produits pour lesquels l’enregistrement était demandé. Au soutien de son opposition, M. Rintisch s’est appuyé, entre autres, sur des marques allemandes antérieures contenant les marques verbales PROTI et PROTIPLUS ainsi que la marque figurative PROTI POWER.
22. Le 16 janvier 2007, afin de démontrer l’existence et la validité de ces marques antérieures, M. Rintisch a soumis dans le cadre des deux procédures d’opposition, d’une part, des certificats d’enregistrement du DPMA et, d’autre part, des extraits du registre en ligne du DPMA. Il a fourni une traduction en langue anglaise des seuls certificats d’enregistrement pour chacune des marques.
23. Le 23 janvier 2007, la division d’opposition a communiqué à M. Rintisch la date du début de la phase contradictoire de la procédure d’opposition impliquant l’enregistrement de la marque PROVITAL. Le 13 mars 2007, elle a procédé à une communication équivalente dans la procédure impliquant la marque PROTIACTIVE. La division d’opposition a expressément indiqué que M. Rintisch devait démontrer l’existence et la validité des marques antérieures en soumettant des documents officiels traduits dans la
langue de procédure. Elle l’a invité à soumettre les certificats de renouvellement pour les marques dont l’enregistrement remonte à plus de dix ans. Le délai pour la soumission des preuves était le 4 juin 2007 dans la procédure PROVITAL et le 26 mai 2007 dans la procédure PROTIACTIVE. La division d’opposition a mis en garde M. Rintisch que, si les preuves pertinentes n’étaient pas soumises à cette date, elle rejetterait les oppositions sans examen au fond.
24. La division d’opposition a rejeté l’opposition le 19 septembre 2007 dans la procédure PROVITAL et le 24 septembre 2007 dans la procédure PROTIACTIVE au motif que l’opposant n’avait pas démontré dans le délai fixé l’existence et la validité des droits de marque antérieurs. Les certificats d’enregistrement démontraient l’enregistrement original des marques antérieures, mais ils ne montraient pas que ces marques étaient encore en vigueur à la date à laquelle expirerait le délai fixé par la division
d’opposition. En eux-mêmes, ces documents montraient que la validité des marques avait expiré. La division d’opposition a en outre retenu que, en vertu de la règle 19, paragraphe 4, du règlement d’application, elle ne pouvait pas tenir compte des extraits du registre en ligne du DPMA comme preuve des dates de renouvellement des marques antérieures parce qu’aucune traduction en langue anglaise n’avait été fournie.
25. Le 23 octobre 2007, M. Rintisch a formé recours contre ces deux décisions et a demandé à la chambre de recours de refuser l’enregistrement des marques demandées sur le fondement de l’existence d’un risque de confusion. Il a soumis avec son recours des extraits du registre en ligne du DPMA et une déclaration du DPMA accompagnés d’une traduction en langue anglaise, affirmant que les marques antérieures avaient été renouvelées avant la date à laquelle l’acte d’opposition avait été soumis.
26. La chambre de recours a rejeté le recours dans les deux procédures respectivement les 21 janvier 2009 et 3 février 2009. Elle a jugé que la division d’opposition avait rejeté à bon droit l’opposition parce que M. Rintisch n’avait pas démontré dans le délai imparti l’existence et la validité des marques antérieures. Les certificats d’enregistrement soumis le 16 janvier 2007 étaient insuffisants en eux-mêmes pour démontrer que les marques antérieures étaient opposables à la date à laquelle l’acte
d’opposition a été soumis. La division d’opposition avait en outre raison de ne pas tenir compte des extraits du registre en ligne du DPMA parce qu’ils n’avaient pas été traduits en langue anglaise. Enfin, ni la division d’opposition ni la chambre de recours n’avait de pouvoir d’appréciation pour prendre en compte les documents soumis après l’expiration du délai fixé par l’OHMI. La règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application affirme expressément que, dans de telles circonstances, un
recours doit être rejeté. Même si elle avait joui d’un tel pouvoir d’appréciation, la chambre de recours ne l’aurait pas exercé en faveur de M. Rintisch. L’autre partie n’avait pas agi de manière irrégulière et elle n’avait joué aucun rôle dans la soumission tardive des preuves.
Résumé des arrêts du Tribunal
L’affaire T‑62/09 (objet du pourvoi dans l’affaire C‑120/12 P)
27. Le recours contre la décision de la chambre de recours du 15 décembre 2009 reposait sur trois moyens, à savoir la violation par la division d’opposition de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, la violation par la chambre de recours de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 ainsi qu’un abus de pouvoir, et la violation par la chambre de recours de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94.
28. Le 16 décembre 2011, le Tribunal a rejeté le recours.
29. Le Tribunal a rejeté, au point 24 de l’arrêt Rintisch/OHMI – Bariatrix Europe (PROTI SNACK) ( 11 ), le premier moyen comme étant irrecevable parce qu’il n’était pas dirigé contre une décision de la chambre de recours.
30. Le Tribunal a rejeté le deuxième moyen comme étant sans fondement. Aux points 27 et 28 de son arrêt, le Tribunal a d’abord résumé les termes de la règle 19, paragraphes 1 à 3, du règlement d’application et rappelé les dates auxquelles M. Rintisch a soumis ses preuves.
31. Ensuite, aux points 29 à 32 de son arrêt, le Tribunal s’est concentré sur les termes de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 et sur la jurisprudence en vertu de laquelle, premièrement, d’une manière générale, la présentation par les parties de faits et de preuves reste possible après l’expiration du délai auquel une telle présentation est soumise en vertu des dispositions du règlement no 40/94, deuxièmement, une partie n’a aucun droit inconditionnel à ce que des faits et des preuves
soumises hors délai soient pris en compte par l’OHMI et, troisièmement, la possibilité pour les parties à une procédure devant l’OHMI de présenter des faits et des preuves après l’expiration des délais spécifiés à cette fin dépend de l’absence de disposition contraire.
32. Après avoir exposé les termes de la règle 20, paragraphe 1, et de la règle 50, paragraphe 1, premier et troisième alinéas, du règlement d’application, le Tribunal a poursuivi en examinant si cette dernière règle est une «disposition contraire» qui exclut l’application de ladite règle 20, paragraphe 1, aux procédures devant la chambre de recours:
«38 Il convient de relever d’emblée que, dans la mesure où l’opposition a été formée le 9 mars 2007, la version du règlement no 2868/95 applicable en l’espèce est celle en vigueur après la modification opérée par le règlement (CE) no 1041/2005 […]. En particulier, selon le considérant 7 de ce dernier règlement, l’une des finalités de cette modification était celle de remanier intégralement les dispositions concernant la procédure d’opposition afin de clarifier, parmi d’autres aspects, les
conséquences juridiques découlant des irrégularités procédurales.
39 Or, admettre l’interprétation avancée par le requérant, outre le risque de faire prévaloir un raisonnement circulaire des dispositions en cause, aurait pour conséquence de limiter significativement la portée de la règle 20, paragraphe 1, du [règlement d’application], telle que modifiée.
40 En effet, si les preuves visant à établir l’existence, la validité et l’étendue d’une marque antérieure, qui, conformément au nouveau libellé de la règle 20, paragraphe 1, du [règlement d’application], applicable en l’espèce, ne peuvent être prises en compte par la division d’opposition lorsqu’elles sont présentées tardivement, pouvaient néanmoins l’être devant la chambre de recours en vertu du pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94, la
conséquence juridique prévue de manière expresse dans le règlement no 1041/2005 pour ce type d’irrégularités, à savoir le rejet de l’opposition, pourrait se trouver, dans certains cas, dépourvue d’effet utile.
41 Il y a donc lieu de considérer que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en estimant qu’il existait, dans les circonstances de l’espèce, une disposition s’opposant à la prise en compte des éléments présentés tardivement par le requérant devant l’OHMI et que, partant, elle ne disposait d’aucune marge d’appréciation en vertu de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94.»
33. Le Tribunal s’est alors penché sur l’argument de M. Rintisch relatif à la déclaration de la chambre de recours que, en tout état de cause, elle aurait exercé son pouvoir d’appréciation en sa défaveur:
«43 À cet égard, il convient de constater que, même si la chambre de recours a considéré que les circonstances de l’espèce empêchaient, en tout état de cause, l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 en faveur du requérant, cette constatation a été faite, ainsi qu’il résulte du point 39 de la décision attaquée, à titre purement subsidiaire et en tenant compte du fait que l’arrêt CORPO livre [ ( 12 )], sur lequel son raisonnement principal
était fondé, faisait l’objet d’un pourvoi devant la Cour.
44 Or, il convient de relever que la Cour, dans son ordonnance K & L Ruppert Stiftung/OHMI [ ( 13 )], n’a pas remis en cause l’approche du Tribunal dans l’arrêt CORPO livre, […]. En outre, dans la mesure où la chambre de recours ne disposait pas, conformément à la conclusion établie au point 41 ci-dessus, du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments du requérant visant à faire constater que la décision attaquée
était entachée d’erreur à cet égard, à la lumière des conditions établies par l’arrêt OHMI/Kaul [ ( 14 )], […].
[…]
46 Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas violé l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94, en ne prenant pas en compte, dans la décision attaquée, les documents produits tardivement par le requérant devant la division d’opposition aux fins de prouver l’existence et la validité des marques antérieures.»
34. Au point 47 de son arrêt, le Tribunal a déclaré le recours irrecevable en ce qui concerne le prétendu abus de pouvoir de la chambre de recours parce que la requête ne satisfaisait pas aux exigences minimales de recevabilité, en particulier en ce qui concerne l’exigence d’une argumentation au soutien du recours, posée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, ces dispositions s’appliquant
aux questions de propriété intellectuelle en vertu de l’article 130, paragraphe 1, et de l’article 132, paragraphe 1, dudit règlement.
35. Au point 62 de son arrêt, le Tribunal a également rejeté le troisième moyen comme étant sans fondement car, ayant conclu que l’existence et la validité des marques antérieures n’avaient pas été dûment démontrées par la partie opposante, elle ne pouvait pas examiner le bien-fondé de l’opposition ou analyser en particulier l’existence d’un risque de confusion entre les marques en cause.
Les affaires T‑109/09 et T‑152/09 (objet du pourvoi respectivement dans les affaires C‑121/12 P et C‑122/12 P)
36. Les recours de M. Rintisch contre les décisions de la chambre de recours du 21 janvier 2009 et du 3 février 2009 étaient fondés sur les mêmes trois moyens en droit que ceux avancés dans l’affaire T‑62/09.
37. Le 16 décembre 2011, le Tribunal a rejeté les recours.
38. Tant dans l’affaire T‑109/09 ( 15 ) que dans l’affaire T‑152/09 ( 16 ), le Tribunal a rejeté les trois moyens sur le fondement d’un raisonnement qui, en substance, est identique à celui qui a conduit au rejet des moyens identiques dans l’affaire T‑62/09 (désormais objet d’un pourvoi dans l’affaire C‑120/12 P).
Résumé des pourvois et conclusions
39. Dans chacun des trois pourvois, M. Rintisch demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal et de condamner l’OHMI aux dépens.
40. Les pourvois sont fondés sur deux moyens, à savoir, premièrement, une violation de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 en ce que le Tribunal a constaté à tort que la chambre de recours n’avait pas de pouvoir d’appréciation en décidant qu’une partie opposante n’avait pas démontré l’existence des marques antérieures et, deuxièmement, un abus de pouvoir.
Résumé des arguments des parties dans les trois pourvois
Violation de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94
41. M. Rintisch soutient que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 et de la règle 50, paragraphe 1, du règlement d’application. Le Tribunal a conclu à tort que la chambre de recours n’avait pas de pouvoir d’appréciation pour décider que des documents soumis après l’expiration du délai fixé par la division d’opposition pourraient être pris en compte pour sa décision. Le Tribunal a également commis une erreur en ne constatant pas que la
chambre de recours avait fait un usage erroné du pouvoir d’appréciation que lui confère ledit article 74, paragraphe 2.
La chambre de recours dispose-t-elle d’un pouvoir d’appréciation?
42. M. Rintisch s’appuie sur l’arrêt Henkel/OHMI – LHS (UK) (Kleencare), où le Tribunal a estimé qu’«il découle du principe de la continuité fonctionnelle que, dans le champ d’application de l’article 74, paragraphe 1, in fine […], la chambre de recours est tenue de fonder sa décision sur tous les éléments de fait et de droit que la partie concernée a introduits soit dans la procédure devant l’unité ayant statué en première instance, soit, sous la seule réserve du paragraphe 2 de cette disposition,
dans la procédure de recours» ( 17 ). La chambre de recours devait donc tenir compte de documents soumis à la division d’opposition après l’expiration du délai, tels que des traductions de documents démontrant le renouvellement des marques.
43. Bien que M. Rintisch admette que la Cour a affirmé dans l’arrêt OHMI/Kaul ( 18 ) que le pouvoir d’appréciation prévu à l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 dépendait de l’absence de disposition contraire, il soutient que cette disposition ne contient pas en elle-même une telle disposition. Il n’y a pas non plus la moindre règle excluant l’exercice par la chambre de recours de ce pouvoir d’appréciation. Il semble donc également contester la validité du principe exposé dans l’affaire
ayant donné lieu audit arrêt.
44. M. Rintisch affirme que, bien qu’il soit exact que la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application s’applique aux procédures d’opposition, le Tribunal a omis de tenir compte du fait que la règle 50, paragraphe 1, du même règlement prime sur ladite règle 20, paragraphe 1, dans la mesure où elle accorde des pouvoirs discrétionnaires à la chambre de recours. Le Tribunal a ignoré le fait que le troisième alinéa de ladite règle 50, paragraphe 1, qui est une disposition spéciale pour l’examen
des recours, prévoit expressément l’application de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94. À cet égard, le Tribunal a omis de faire la distinction entre des faits entièrement nouveaux et la production tardive de faits et de preuves «nouveaux ou supplémentaires». Le Tribunal aurait également dû retenir que, en vertu dudit article 74, paragraphe 2, la chambre de recours aurait dû prendre en compte la traduction soumise après l’expiration du délai.
45. L’OHMI soutient que le problème soulevé par le premier moyen peut être réglé sur le fondement de deux considérations. Premièrement, la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application doit être lue à la lumière du contexte historique. Dans son ancienne version, cette règle n’indiquait pas quelle était la conséquence du non-respect des délais au titre de la règle 19, paragraphe 1, du même règlement. La règle 20, paragraphe 1, telle qu’amendée par le règlement no 1041/2005, prévoit désormais
expressément qu’une opposition doit être rejetée comme étant sans fondement si la partie opposante n’a pas démontré l’existence, la validité et l’étendue de la protection de sa marque antérieure avant l’expiration de la période mentionnée à la règle 19, paragraphe 1. Deuxièmement, la règle 19, paragraphe 3, affirme clairement que les preuves au soutien de la procédure d’opposition doivent être soumises dans la langue de procédure ou être accompagnées d’une traduction dans cette langue. Ce
principe est fondé sur la nécessité de respecter la règle audi alteram partem et d’assurer l’égalité des armes entre les parties dans une procédure inter partes. Les preuves tirées des certificats d’enregistrement ne peuvent donc être prises en compte que si elles sont conformes aux exigences posées à la règle 19, paragraphe 3. Le Tribunal a donc retenu à juste titre que la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application exclut tout pouvoir d’appréciation pour décider de tenir compte ou non
de preuves et de traductions soumises après l’expiration du délai.
46. L’OHMI poursuit en examinant le parallélisme éventuel entre la règle 20 et la règle 22, paragraphe 2, du règlement d’application. En ce qui concerne cette dernière règle et les conséquences de la soumission des preuves après l’expiration du délai imparti par l’OHMI en vertu de cette règle, le Tribunal avait auparavant fait la distinction entre les preuves initiales et les preuves additionnelles. Selon l’OHMI, cette jurisprudence concerne la soumission de preuves à un stade ultérieur dans la
procédure d’opposition. En ce qui concerne la preuve de l’usage sérieux, l’OHMI admet qu’il puisse y avoir différentes interprétations de la qualité des preuves présentées et donc un besoin de flexibilité. Dans le contexte de la démonstration de l’existence et de la validité des droits antérieurs, il n’y aura cependant jamais de doute quant à la suffisance des documents soumis. La distinction n’est donc pas pertinente dans ce contexte.
47. À la différence de Bariatrix Europe Inc. SAS dans l’affaire C‑120/12 P, Valfleuri est intervenue dans les affaires C‑121/12 P et C‑122/12 P. Elle est d’avis que, dans les circonstances qui ont conduit aux présents pourvois, l’OHMI n’a pas de pouvoir d’appréciation. Son argument est fondé sur les termes des règles 19 et 20 du règlement d’application et le fait que ces deux dispositions interdisent à l’OHMI d’accorder à la partie opposante un délai supplémentaire pour démontrer l’existence, la
validité et l’étendue de la protection de la marque antérieure. Elle conteste en outre l’invocation par M. Rintisch d’une jurisprudence qui ne mettait pas en jeu l’application des règles 19 et 20 du règlement d’application, telles que modifiées par le règlement no 1041/2005. Valfleuri note que, dans les présentes affaires, M. Rintisch ne disposait pas des documents probatoires requis avant l’expiration du délai imparti par l’OHMI. Il n’a néanmoins pas fourni la moindre raison pour laquelle il
n’a pas dévoilé les documents en cause avant le mois d’octobre 2007.
Exercice par la chambre de recours du pouvoir d’appréciation
48. M. Rintisch soutient que le Tribunal aurait dû constater que la chambre de recours a commis une erreur en déclarant que, si elle disposait d’un pouvoir d’appréciation en vertu de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94, elle l’aurait exercé à son détriment. Ici, le Tribunal aurait dû examiner ses arguments quant au défaut de la chambre de recours d’étudier si la prise en compte de preuves soumises après l’expiration du délai était justifiée parce que, d’une part, les documents étaient
prima facie susceptibles d’être pertinents pour l’issue de la procédure d’opposition et que, d’autre part, le stade de la procédure au cours duquel la soumission tardive a eu lieu et les circonstances l’entourant ne l’interdisaient pas.
49. L’OHMI soutient que ce moyen n’est pertinent que si la Cour juge que la chambre de recours dispose d’un pouvoir d’appréciation. En tout état de cause, la chambre de recours a expliqué comment elle exercerait ce pouvoir d’appréciation dans les circonstances de l’affaire.
Abus de pouvoir
50. M. Rintisch semble soutenir comme second moyen de son pourvoi un abus de pouvoir de la part du Tribunal. Il n’a cependant avancé aucun argument spécifique au soutien de ce moyen.
51. L’OHMI n’est pas certain que ce moyen soit maintenu dans le cadre du pourvoi. En tout état de cause, il doit être rejeté comme étant irrecevable.
Appréciation
Pouvoir d’appréciation de la chambre de recours et exercice de ce pouvoir d’appréciation
52. Le premier moyen peut être divisé en deux branches. La première concerne la question de savoir si la chambre de recours dispose d’un pouvoir d’appréciation pour tenir compte des preuves quant à l’existence et à la validité des marques antérieures et des traductions de ces preuves soumises après l’expiration du délai imparti par la division d’opposition. La deuxième branche concerne l’exercice de ce pouvoir d’appréciation s’il devait exister.
La chambre de recours dispose-t-elle d’un pouvoir d’appréciation?
53. Dans mes conclusions dans l’affaire New Yorker SHK Jeans/OHMI (C‑621/11 P), pendante devant la Cour, également présentées ce jour, j’ai expliqué que le point de départ de l’analyse quant à l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’OHMI pour admettre des preuves dans tous les types de procédures doit être que l’OHMI, y compris la division d’opposition et la chambre de recours, dispose normalement d’un pouvoir d’appréciation pour prendre en compte des preuves soumises en dehors du délai fixé.
54. Le pourvoi dans l’affaire New Yorker SHK Jeans/OHMI, précitée, concernait le point de savoir si la division d’opposition avait un pouvoir d’appréciation pour décider de prendre en compte ou non une deuxième série de preuves soumise après l’expiration du délai imparti par l’OHMI afin de démontrer l’usage sérieux dans la procédure d’opposition.
55. Le présent pourvoi concerne, d’une part, les preuves de l’existence et de la validité des marques sur lesquelles la partie opposante s’appuie et, d’autre part, les traductions de ces preuves. Il s’agit là des preuves qui doivent être soumises afin de franchir le seuil initial dans la procédure d’opposition. S’il n’y a pas de marque antérieure en cours de validité, il ne saurait être question d’opposition à une demande d’enregistrement d’une nouvelle marque.
56. Sur le fondement de la règle générale à l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94, il me semble évident, comme il l’était pour le Tribunal ( 19 ), que le point de départ est ici aussi que la chambre de recours dispose d’un pouvoir d’appréciation.
57. Le règlement no 40/94 ou le règlement d’application contiennent-ils une exception qui s’applique dans le contexte des trois pourvois en cause?
58. J’examinerai tout d’abord cette question sous l’angle de la soumission des preuves. Je me pencherai ensuite sur les traductions, en tant que question distincte.
59. En dehors de l’article 74, paragraphe 2, le règlement no 40/94 ne contient aucune règle expresse concernant le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours pour décider de tenir compte ou non de preuves de l’existence et de la validité de marques, soumises après l’expiration du délai imparti par la division d’opposition ( 20 ).
60. Toutefois, l’article 42, paragraphe 1, du règlement no 40/94 affirme clairement que seuls les titulaires de marques (antérieures) peuvent introduire un acte d’opposition à l’enregistrement d’une marque. La partie opposante doit donc fournir des informations concernant la marque sur laquelle elle s’appuie et ses droits à l’égard de cette marque. Les preuves matérielles de ces faits, c’est-à-dire, l’existence et la validité de la marque, peuvent être soumises plus tard à la division d’opposition (
21 ).
61. Bien que les preuves matérielles ne doivent pas être soumises avec l’acte d’opposition, les informations concernant l’existence et la validité de la marque relèvent de la recevabilité de l’opposition. Elles doivent donc être examinées par la division d’opposition avant que celle-ci ne se penche sur le fond. Les nécessités d’économie de la procédure, de bonne administration et de sécurité juridique m’amènent à conclure que, lu dans ce contexte, l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94
doit être compris en ce sens qu’il exclut la possibilité pour la chambre de recours d’examiner les preuves qui, sans avoir été présentées à un quelconque stade antérieur de la procédure d’opposition, prise dans son ensemble, lui sont soumises au soutien d’un élément lié à la recevabilité d’une opposition, comme (spécifiquement) les preuves de l’existence et de la validité des marques (antérieures).
62. Le troisième alinéa de la règle 50, paragraphe 1, du règlement d’application confirme cette position.
63. La première partie du troisième alinéa de la règle 50, paragraphe 1, dudit règlement expose la règle générale applicable aux recours contre les décisions de la division d’opposition. J’interprète cette règle, et en particulier le terme «limite», comme signifiant que la chambre de recours ne peut examiner que des faits et des preuves qui ont été présentés dans les délais «fixés ou précisés par la division d’opposition conformément au règlement et aux présentes règles». Tandis que le texte ne
distingue pas entre les preuves de l’existence et de la validité des marques antérieures et les autres preuves, des règles différentes dans le règlement no 40/94 et le règlement d’application gouvernent la présentation de ces deux types de preuves. Les règles 19 et 20 du règlement d’application régissent la soumission de preuves de l’existence et de la validité des marques antérieures et des traductions de tout document soumis.
64. Contrairement à ce qu’avance M. Rintisch, la première partie du troisième alinéa, de la règle 50, paragraphe 1, du règlement d’application ne «prime» pas sur la règle 20, paragraphe 1, de ce dernier. Elle fait plutôt un renvoi à cette disposition et exclut, en ce qui concerne les faits et les preuves autres que les «faits et les preuves nouveaux ou supplémentaires», la possibilité pour la chambre de recours d’examiner des faits et des preuves présentés en dehors des délais fixés ou précisés par
la division d’opposition conformément au règlement no 40/94 et au règlement d’application. Tout comme la division d’opposition ( 22 ), la chambre de recours n’a aucun pouvoir d’appréciation pour décider de tenir compte ou non de telles preuves.
65. La deuxième partie de ce troisième alinéa précise la règle posée dans la première partie de la phrase. Cette règle s’applique «à moins que la chambre ne considère que des faits et preuves nouveaux ou supplémentaires doivent être pris en compte conformément à l’article 74, paragraphe 2, du règlement [no 40/94]» qui expose la règle générale quant au pouvoir d’appréciation.
66. La question de savoir si la chambre de recours dispose de ce pouvoir d’appréciation dépend donc de la possibilité de caractériser les preuves de l’existence et de la validité des marques antérieures comme étant «nouvelles ou supplémentaires» ( 23 ). Bien que je ne considère pas qu’il soit nécessaire aux fins des présents pourvois de fournir une définition exhaustive de ces termes, il est clair que, pour que des preuves soient ainsi caractérisées, d’autres preuves doivent avoir été soumises à un
stade antérieur de la procédure.
67. Dans des circonstances dans lesquelles le règlement d’application définit, d’une part, les exigences formelles indispensables pour que des preuves soient recevables pour démontrer un fait et, d’autre part, le délai fixé pour soumettre ces preuves, je ne considère pas que la partie opposante puisse soumettre des preuves inadéquates dans le délai fixé et soumettre plus tard, éventuellement dans le cadre d’un recours, des preuves qui sont effectivement indispensables sous couvert de preuves
«nouvelles ou supplémentaires».
68. Quel que soit le fondement de l’opposition, la partie opposante doit toujours déposer la preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection des marques antérieures sur lesquelles elle s’appuie. La règle 19, paragraphe 2, du règlement d’application dispose que «[l]’opposant produit notamment les preuves suivantes». Ladite règle définit ensuite, à son paragraphe 2, sous a), ii), les documents probatoires requis dans des circonstances dans lesquelles l’opposition est fondée sur
une marque qui n’est pas une marque communautaire, à savoir le certificat d’enregistrement correspondant et, le cas échéant, le dernier certificat de renouvellement.
69. Depuis sa modification par le règlement no 1041/2005, la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application pose clairement la conséquence à laquelle s’expose la partie opposante si elle ne soumet pas le certificat d’enregistrement pertinent (et si nécessaire le certificat de renouvellement) avant l’expiration du délai fixé par la division d’opposition: «l’opposition est rejetée comme non fondée».
70. Bien qu’il soit vrai que cette phrase est analogue à la phrase «l’Office rejette l’opposition» inscrite à la règle 22, paragraphe 2, du règlement d’application, je considère néanmoins que les phrases en question devraient être interprétées différemment.
71. J’ai indiqué dans mes conclusions dans l’affaire New Yorker SHK Jeans/OHMI, précitée, que, en vertu de la règle 22, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement d’application, la division d’opposition doit rejeter l’opposition si aucune preuve de l’usage sérieux de la marque n’a été soumise à la date d’expiration du délai fixé par l’OHMI ( 24 ). J’ai également affirmé que l’exception à la règle générale à l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 ne s’applique plus si la partie opposante
qui est appelée à démontrer l’usage sérieux de sa marque a soumis, de bonne foi, des preuves initiales crédibles démontrant cet usage ( 25 ). Tandis que la règle 22, paragraphe 3, décrit ce qui doit être démontré et que la règle 22, paragraphe 4, énumère les manières possibles de le faire, il n’existe pas de liste exhaustive des documents probatoires indispensables qui doivent être soumis pour satisfaire à l’obligation de démontrer l’usage sérieux. En fonction des circonstances, comme le type de
marque et le marché sur lequel la marque est utilisée, la qualité et la quantité des preuves peut varier et le caractère suffisant des preuves initialement soumises pourrait légitimement être remis en cause par le demandeur au cours de la procédure inter partes.
72. Je n’interprète pas la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application de la même manière. Dans la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), de ce règlement, le législateur a, en substance, défini un seuil de la preuve: pour des marques enregistrées autres que des marques communautaires, la partie opposante doit soumettre une copie du certificat d’enregistrement correspondant et, le cas échéant, du dernier certificat de renouvellement attestant que la durée de protection de la marque dépasse le
délai fixé par la division d’opposition et de toute extension de celui-ci, ou tout autre document équivalent émanant de l’administration auprès de laquelle la demande de marque a été déposée.
73. Soit la partie opposante présente le certificat d’enregistrement pertinent (et le cas échéant le certificat de renouvellement), soit elle ne le fait pas. Je partage donc l’avis de l’OHMI, selon lequel il n’existe pas de marge de manœuvre pour mettre en cause le caractère suffisant des preuves ou discuter s’il s’agit de preuves nouvelles ou supplémentaires à des preuves soumises auparavant. Des documents probatoires indispensables ne peuvent pas être nouveaux ou supplémentaires à d’autres
documents probatoires (ces derniers peuvent néanmoins être nouveaux ou supplémentaires aux premiers).
74. Contrairement à M. Rintisch, je ne vois aucun fondement permettant de distinguer entre les documents soumis à la division d’opposition après l’expiration du délai et ceux soumis à la chambre de recours après cette date. D’après ma lecture de la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), et de la règle 20, paragraphe 1, du règlement d’application, la division d’opposition n’a pas de pouvoir d’appréciation pour tenir compte de certificats d’enregistrement ou de certificats de renouvellement soumis
après le délai fixé. Conformément au principe de continuité des fonctions et à moins qu’une disposition contraire n’existe, il n’y a pas de fondement permettant à la chambre de recours de tenir compte des preuves indispensables présentées tardivement que la division d’opposition n’a pas prises en compte. La continuité implique la cohérence dans l’application des mêmes règles ( 26 ).
75. Selon moi, la même conclusion s’applique à la soumission tardive de traductions des certificats d’enregistrement pertinents (et, le cas échéant, des certificats de renouvellement).
76. La règle 19, paragraphe 3, du règlement d’application fait clairement apparaître que les documents décrits dans la règle 19, paragraphe 2, doivent être soumis dans la langue de procédure ou doivent être accompagnés d’une traduction. La même règle prévoit que la traduction doit être «produite dans le délai fixé pour la production du document original». Selon la règle 19, paragraphe 4, l’OHMI «ne prend pas en considération» les documents qui ne sont pas présentés ou traduits dans le délai imparti.
Eu égard à ces termes sans ambiguïté, il me semble que la division d’opposition ne peut pas disposer d’un pouvoir d’appréciation pour décider de tenir compte ou non des traductions des documents décrits dans la règle 19, paragraphe 2, sous a), ii), et soumis tardivement. Il en va de même pour la chambre de recours.
77. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suis d’avis que le Tribunal a retenu à juste titre que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en constatant qu’elle n’avait pas de pouvoir d’appréciation pour tenir compte des preuves de l’existence et de la validité des marques antérieures soumises après l’expiration du délai imparti par la division d’opposition.
Exercice du pouvoir d’appréciation par la chambre de recours
78. Si la chambre de recours n’a pas de pouvoir d’appréciation pour tenir compte, d’une part, des preuves qui ne sont ni nouvelles ni supplémentaires et, d’autre part, des traductions soumises après l’expiration du délai imparti par la division d’opposition, il n’y a pas de marge de manœuvre pour examiner comment elle pourrait ou devrait exercer un tel pouvoir d’appréciation.
79. Je souscrit par conséquent à l’avis de l’OHMI que ce moyen n’est pertinent que si la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation de l’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 et conclut que, en ce qui concerne les preuves et les traductions en cause dans les trois pourvois, la chambre de recours dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider de tenir compte ou non de ces documents. Compte tenu de la conclusion à laquelle je parviens pour la première partie de
ce moyen, je n’examinerai pas plus avant la deuxième partie.
Abus de pouvoir
80. Je suis d’accord avec l’OHMI sur le fait que, en l’absence d’argument circonstancié pour soutenir le deuxième moyen du pourvoi, il doit être rejeté comme étant irrecevable.
Sur les dépens
81. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Ledit article 184, paragraphe 4, affirme que la Cour peut décider qu’une partie intervenante en première instance qui participe à la procédure doit supporter ses propres dépens.
82. Dans chacune des affaires, l’OHMI a conclu à la condamnation du requérant aux dépens et Valfleuri a conclu à la condamnation du requérant aux dépens dans les affaires C‑121/12 P et C‑122/12 P. Selon mon analyse, le requérant doit succomber dans les trois affaires.
Conclusion
83. Par ces motifs, je propose à la Cour de:
— rejeter les pourvois dans leur intégralité, et
— condamner M. Bernhard Rintisch aux dépens exposés par l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) et à ceux de la partie intervenante dans les affaires C‑121/12 P et C‑122/12 P.
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( 1 ) Langue originale: l’anglais.
( 2 ) Règlement du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1). Bien que ce règlement, tel qu’amendé, ait été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), le règlement en vigueur au moment où M. Rintisch a introduit son acte d’opposition et où les autres événements pertinents subséquents se sont déroulés dans les trois affaires était le règlement no 40/94. En tout état de cause, le
règlement no 207/2009 ne fait, matériellement, rien de plus que codifier le règlement no 40/94 et ses modifications. Les dispositions du règlement no 40/94 en cause dans ces procédures n’ont pas été affectées.
( 3 ) Règlement de la Commission du 13 décembre 1995 portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 (JO L 303, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1041/2005 de la Commission, du 29 juin 2005 (JO L 172, p. 4).
( 4 ) Ledit article 8 énonce les motifs relatifs de refus d’enregistrement.
( 5 ) Voir cinquième considérant du règlement d’application.
( 6 ) Voir sixième considérant du règlement d’application.
( 7 ) La règle 17 du règlement d’application énonce les motifs d’irrecevabilité d’une opposition, qui comprennent l’absence d’acquittement de la taxe d’opposition, l’introduction tardive de l’acte d’opposition, l’absence d’indication des motifs d’opposition, l’absence d’indication claire de la marque antérieure ou du droit antérieur sur la base de laquelle ou duquel l’opposition est formée, l’absence de production de la traduction requise en vertu de la règle 16, paragraphe 1, le non-respect des
dispositions de la règle 15.
( 8 ) Cette note ne concerne que la version anglaise des présentes conclusions.
( 9 ) Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1997, tel que révisé et modifié.
( 10 ) Ces certificats d’enregistrement étaient datés de mars 1996, d’octobre 1996 et de mars 1997.
( 11 ) Arrêt du Tribunal du 16 décembre 2011 (T‑62/09).
( 12 ) Arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, K & L Ruppert Stiftung/OHMI – Lopes de Almeida Cunha e.a. (CORPO livre) (T-86/05, Rec. p. II-4923).
( 13 ) Ordonnance du 5 mars 2009 (C‑90/08 P).
( 14 ) Arrêt du 13 mars 2007 (C-29/05 P, Rec. p. I-2213).
( 15 ) Arrêt du Tribunal du 16 décembre 2011, Rintisch/OHMI – Valfleuri Pâtes alimentaires (PROTIVITAL) (T‑109/09).
( 16 ) Arrêt du Tribunal du 16 décembre 2011, Rintisch/OHMI – Valfleuri Pâtes alimentaires (PROTIACTIVE) (T‑152/09).
( 17 ) Arrêt du Tribunal du 23 septembre 2003 (T-308/01, Rec. p. II-3253, point 32).
( 18 ) Précité à la note 14, point 42.
( 19 ) Voir point 30 de l’arrêt attaqué dans l’affaire T‑62/09, ainsi que point 31 des arrêts attaqués dans les affaires T‑109/09 et T‑152/09.
( 20 ) Voir règle 15 du règlement d’application.
( 21 ) Voir règle 19 du règlement d’application.
( 22 ) Voir point 74 des présentes conclusions.
( 23 ) Les différentes versions linguistiques du troisième alinéa de la règle 50, paragraphe 1, du règlement d’application ne sont pas totalement cohérentes. Par exemple, le texte français fait référence aux «faits et preuves nouveaux ou supplémentaires» et le texte néerlandais parle de «aanvullende feiten en bewijsstukken».
( 24 ) Voir point 57 de mes conclusions dans l’affaire New Yorker SHK Jeans/OHMI, précitée.
( 25 ) Ibidem (point 65). L’article 74, paragraphe 2, du règlement no 40/94 équivaut à l’article 76, paragraphe 2, du règlement d’application, en cause dans ladite affaire.
( 26 ) Voir point 111 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt OHMI/Kaul, précité à la note 14.