ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
4 septembre 2014 ( *1 )
«Pourvoi — Fonds de cohésion — Réduction du concours financier — Adoption de la décision par la Commission européenne — Existence d’un délai — Non-respect du délai imparti — Conséquences»
Dans l’affaire C‑192/13 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 15 avril 2013,
Royaume d’Espagne, représenté par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Commission européenne, représentée par Mmes S. Pardo Quintillán et D. Recchia, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits, S. Rodin et F. Biltgen (rapporteur), juges,
avocat général: M. M. Wathelet,
greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 mars 2014,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, le Royaume d’Espagne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Espagne/Commission (T‑235/11, EU:T:2013:49, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2011) 1023 final de la Commission, du 18 février 2011, portant réduction de l’aide du Fonds de cohésion aux stades de projet intitulés «Fourniture et installation d’équipement ferroviaire sur la ligne à grande vitesse
Madrid-Saragosse-Barcelone-Frontière française. Tronçon Madrid-Lérida» (CCI 1999.ES.16.C.PT.001), «Ligne ferroviaire à grande vitesse Madrid-Barcelone. Tronçon Lérida‑Martorell (plate-forme, 1re phase)» (CCI 2000.ES.16.C.PT.001), «Ligne à grande vitesse Madrid-Saragosse-Barcelone-Frontière française. Accès ferroviaires à la nouvelle gare de Saragosse» (CCI 2000.ES.16.C.PT.003), «Ligne à grande vitesse Madrid-Barcelone-Frontière française. Tronçon Lérida-Martorell. Sous-tronçon X‑A
(Olérdola‑Avinyonet del Penedés)» (CCI 2001.ES.16.C.PT.007), «Nouvel accès ferroviaire de la ligne à grande vitesse à Levante. Sous‑tronçon La Gineta‑Albacete (plate-forme)» (CCI 2004.ES.16.C.PT.014) (ci‑après la «décision litigieuse»), et, à titre subsidiaire, à l’annulation de cette décision en tant qu’elle concerne les corrections apportées par la Commission européenne.
Le cadre juridique
2 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a décrit comme suit le cadre juridique.
3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1164/94 du Conseil, du 16 mai 1994, instituant le Fonds de cohésion (JO L 130, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1264/1999 du Conseil, du 21 juin 1999 (JO L 161, p. 57), et par le règlement (CE) no 1265/1999 du Conseil, du 21 juin 1999 (JO L 161, p. 62, ci‑après le «règlement no 1164/94 modifié»):
«Le Fonds fournit une contribution financière à des projets qui contribuent à la réalisation des objectifs fixés par le traité sur l’Union européenne, dans le domaine de l’environnement et dans celui des réseaux transeuropéens d’infrastructures de transport dans les États membres dont le produit national brut par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire, mesurée sur la base des parités du pouvoir d’achat, et qui ont mis en place un programme visant à satisfaire aux conditions de
convergence économique visées à l’article [126 TFUE].»
4 L’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1164/94 modifié prévoit:
«Les projets financés par le Fonds doivent être conformes aux dispositions des traités, aux actes adoptés en vertu de ceux-ci et aux politiques communautaires, y compris celles qui concernent la protection de l’environnement, les transports, les réseaux transeuropéens, la concurrence et la passation de marchés publics.»
5 L’annexe II du règlement no 1164/94 modifié, relative aux «Dispositions de mise en application», comporte un article H, intitulé «Corrections financières», qui dispose:
«1. Si, après avoir effectué les vérifications nécessaires, la Commission conclut:
a) que la mise en œuvre d’un projet ne justifie ni une partie ni la totalité du concours octroyé, y compris en cas de non‑respect d’une des conditions fixées dans la décision d’octroi du concours, et notamment de modification importante affectant la nature ou les conditions de mise en œuvre du projet pour laquelle l’approbation de la Commission n’a pas été demandée ou
b) qu’il existe une irrégularité en ce qui concerne le concours du Fonds et que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures correctives nécessaires,
la Commission suspend le concours alloué au projet concerné et demande, en indiquant ses motifs, que l’État membre présente ses observations dans un délai déterminé.
Si l’État membre conteste les observations formulées par la Commission, l’État membre est invité à une audition par la Commission, au cours de laquelle les deux parties s’efforcent de parvenir à un accord sur les observations et les conclusions qu’il convient d’en tirer.
2. À l’expiration d’un délai fixé par la Commission, dans le respect de la procédure applicable, en l’absence d’accord et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission décide, dans un délai de trois mois:
[…]
b) de procéder aux corrections financières requises, c’est-à-dire supprimer totalement ou partiellement le concours octroyé au projet.
Ces décisions doivent respecter le principe de proportionnalité. La Commission, en établissant le montant de la correction, tient compte de la nature de l’irrégularité ou de la modification et de l’étendue de l’impact financier potentiel des défaillances éventuelles des systèmes de gestion ou de contrôle. Toute réduction ou suppression de concours donne lieu à répétition de l’indu.
[…]
4. La Commission arrête les modalités détaillées de mise en œuvre des paragraphes 1, 2 et 3 et les communique pour information aux États membres et au Parlement européen.»
6 L’article 18 du règlement (CE) no 1386/2002 de la Commission, du 29 juillet 2002, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 1164/94 du Conseil en ce qui concerne les systèmes de gestion et de contrôle et la procédure de mise en œuvre des corrections financières relatifs au concours du Fonds de cohésion (JO L 201, p. 5), est libellé comme suit:
«1. Le délai imparti à l’État membre concerné pour réagir à une demande au titre de l’article H, paragraphe 1, premier alinéa, de l’annexe II du règlement (CE) no 1164/94 de présenter ses observations est fixé à deux mois, à l’exception de cas dûment justifiés où une période plus longue peut être accordée par la Commission.
2. Lorsque la Commission propose une correction financière sur la base d’une extrapolation ou sur une base forfaitaire, l’État membre a la possibilité de démontrer, par un examen des dossiers concernés, que l’étendue réelle de l’irrégularité est inférieure à celle estimée par la Commission. En accord avec la Commission, l’État membre peut limiter la portée de son examen à une partie ou un échantillon approprié des dossiers concernés.
À l’exception de cas dûment justifiés, le délai supplémentaire imparti pour cet examen ne dépasse pas deux mois suivant la période de deux mois visée au paragraphe 1. Les résultats de cet examen sont analysés selon la procédure prévue à l’article H, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe II du règlement (CE) no 1164/94. La Commission tient compte de tout élément de preuve fourni par l’État membre dans les délais.
3. Chaque fois que l’État membre conteste les observations de la Commission et qu’une audition a lieu en application de l’article H, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe II du règlement (CE) no 1164/94, le délai de trois mois au cours duquel la Commission peut prendre une décision au titre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II dudit règlement commence à courir à partir de la date de l’audition.»
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
7 Les antécédents du litige ont été exposés aux points 13 à 23 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.
8 Par la décision C(2000) 2113, du 13 septembre 2000, telle que modifiée, la Commission a approuvé l’octroi d’un concours financier au titre du Fonds de cohésion à certains stades de projet relatifs à la ligne ferroviaire à grande vitesse Madrid-Barcelone (Espagne).
9 Pour chacun de ces stades de projet, respectivement par lettre du 23 octobre 2009, par lettre du 30 mars 2010 ainsi que par trois lettres du 21 avril 2010, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne une proposition de clôture. Chacune de ces propositions incluait des corrections financières en raison d’irrégularités dans l’application de la législation sur les marchés publics.
10 Les autorités espagnoles ayant exprimé leur désaccord avec les propositions de clôture de la Commission par quatre lettres du 13 mai 2010, une audition a été tenue le 23 juin 2010. Au cours de cette audition, un «mémoire des autorités administratives concernant la proposition de correction financière» ainsi qu’une «liste de documents envoyée en réponse à la proposition de correction financière de la Commission européenne relative à la proposition de clôture de projets relevant du Fonds de
cohésion» ont été transmis à la Commission.
11 Le Royaume d’Espagne a envoyé des informations supplémentaires à la Commission par lettre du 23 juillet 2010.
12 Le 18 février 2011, la Commission a adopté la décision litigieuse.
13 Dans cette décision, dont le Royaume d’Espagne a reçu notification le 21 février 2011, la Commission a constaté plusieurs irrégularités dans l’application de la réglementation de l’Union relative aux marchés publics affectant les stades de projet en cause et a, en conséquence, réduit de 31328947,63 euros le concours total octroyé auxdits stades.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 avril 2011, le Royaume d’Espagne a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation de cette décision en tant qu’elle concerne les corrections appliquées par la Commission.
15 À l’appui de ce recours, le Royaume d’Espagne a invoqué, à titre principal, deux moyens tirés, respectivement, du non-respect par la Commission du délai prévu à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié et de l’application erronée de l’article 20, paragraphe 2, de la directive 93/38/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications
(JO L 199, p. 84), ainsi que, à titre subsidiaire, un moyen tiré d’une erreur de droit dans l’application de l’article 20, paragraphe 2, sous f), de cette directive.
16 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ledit recours comme non fondé.
17 S’agissant du premier moyen, par lequel le Royaume d’Espagne avait soutenu en substance que le respect du délai de trois mois prévu tant à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié qu’à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 implique que la décision de correction financière aurait dû être adoptée dans un délai de trois mois à compter de la date de l’audition ou, à tout le moins, de celle à laquelle la Commission avait reçu les informations
complémentaires du gouvernement espagnol, de sorte que la décision litigieuse est tardive et, partant, illégale, le Tribunal a jugé, au point 32 de l’arrêt attaqué, qu’il ressort de son arrêt Grèce/Commission (T‑404/05, EU:T:2008:510, point 44), lequel aurait été confirmé par l’ordonnance de la Cour Grèce/Commission (C‑43/09 P, EU:C:2010:36), que l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié ne prévoit aucun délai dans lequel la Commission doit arrêter sa décision. Une
telle interprétation ressortirait d’ailleurs explicitement du libellé de cette disposition. Le délai de trois mois auquel il est fait référence concernerait la conclusion d’un accord entre la Commission et l’État membre concerné.
18 Le Tribunal a poursuivi en indiquant, au point 33 de l’arrêt attaqué, que si, certes, la version en langue française de ladite disposition dispose que, «[à] l’expiration d’un délai fixé par la Commission, dans le respect de la procédure applicable, en l’absence d’accord et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission décide, dans un délai de trois mois», toutes les versions linguistiques autres que la version en langue française de cette même disposition seraient
rédigées différemment, les termes «dans un délai de trois mois» se rapportant à l’absence d’accord entre les parties. Or, ainsi qu’il résulterait notamment de l’arrêt Bacardi (C‑253/99, EU:C:2001:490, point 41 et jurisprudence citée), la nécessité d’une interprétation uniforme des règlements de l’Union exclut de considérer un texte déterminé isolément, mais exige, en cas de doute, qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles.
19 Dans ces conditions, le délai de trois mois fixé à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié permettrait à l’État membre concerné de présenter à la Commission, à la suite de l’audition, des informations complémentaires et à la Commission de tenir compte de telles informations et ce ne serait «qu’en l’absence d’accord entre la Commission et l’État membre concerné dans un délai de trois mois, et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, que la
Commission adopte une décision» (point 34 de l’arrêt attaqué).
20 S’agissant de la thèse avancée par le Royaume d’Espagne lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, thèse exposée au point 35 de l’arrêt attaqué, selon laquelle coexisteraient deux délais concomitants courant à partir de la date de l’audition, à savoir l’un fixé à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié, qui viserait l’obtention d’un accord avec l’État membre concerné, et l’autre, prévu à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002, qui
viserait l’adoption par la Commission d’une décision aux fins de procéder aux corrections financières requises, le Tribunal a estimé qu’elle ne saurait être retenue.
21 En effet, il a jugé au point 36 de cet arrêt que «l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 se limit[ait] à fixer la date à partir de laquelle le délai pour la prise de décision en vertu de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 [modifié] commen[çait] à courir», mais, ainsi qu’il ressort du point 32 dudit arrêt, ladite disposition ne prévoirait «aucun délai dans lequel la Commission devait arrêter sa décision».
22 Ainsi, le Tribunal a considéré, au point 37 de l’arrêt attaqué, que, dès lors qu’un règlement d’application, tel que le règlement no 1386/2002, doit faire l’objet, si possible, d’une interprétation conforme aux dispositions du règlement de base, une interprétation de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 qui impliquerait que la Commission ne dispose que d’un délai de trois mois pour adopter la décision litigieuse ne saurait prospérer.
23 Par ailleurs, il a ajouté, au point 38 de cet arrêt, que l’interprétation de ces deux dispositions préconisée «par le Royaume d’Espagne priverait le délai prévu à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié de son effet utile, puisqu’il en résulterait que la Commission serait, dans l’hypothèse de l’existence de deux délais distincts mais concomitants, dans l’obligation d’adopter une décision au titre de cette disposition dans le délai de trois mois au cours duquel
elle tenterait de parvenir à un accord avec l’État membre concerné».
24 Le Tribunal en a conclu, aux points 39 à 41 de l’arrêt attaqué, que, «dès lors que l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 se limite à fixer la date à partir de laquelle [le délai pour la prise de décision] en vertu de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 [modifié] commence à courir», la circonstance que les versions en langues espagnole, danoise, allemande et néerlandaise de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 font état du délai de
trois mois au cours duquel la Commission «doit adopter» ou «adopte» une décision, tandis que la version en langue slovène de celle-ci se réfère, de manière plus générale, à la «décision en vertu de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II de ce règlement» et que les autres versions linguistiques de cette disposition visent le délai de trois mois au cours duquel la Commission «peut» prendre une décision au titre de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II dudit règlement» est dépourvue de
pertinence en l’espèce, de telle sorte que le premier moyen doit être rejeté.
25 Le Tribunal a également rejeté, respectivement aux points 44 à 72 et 76 à 108 de l’arrêt attaqué, les deuxième et troisième moyens invoqués par le Royaume d’Espagne.
Les conclusions des parties devant la Cour
26 Dans son pourvoi, le Royaume d’Espagne demande à la Cour:
— d’annuler l’arrêt attaqué;
— de statuer elle-même définitivement sur le litige en annulant la décision litigieuse, et
— de condamner la Commission aux dépens.
27 La Commission demande à la Cour:
— de rejeter le pourvoi dans son ensemble et
— de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.
Sur le pourvoi
28 À l’appui de son pourvoi, le Royaume d’Espagne invoque deux moyens tirés d’erreurs de droit commises par le Tribunal en ce qui concerne, en premier lieu, le non-respect du délai prévu à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié aux fins de l’adoption de la décision litigieuse et, en second lieu, la notion d’«adjudication», au sens de la directive 93/38.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
29 Le Royaume d’Espagne fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié n’impose pas de délai à la Commission pour l’adoption de la décision litigieuse.
30 Selon cet État membre, ladite disposition doit, au contraire, être comprise comme établissant un délai imposant à la Commission, en l’absence d’accord avec l’État membre concerné au cours de l’audition prévue à l’article H, paragraphe 1, de la même annexe, de prendre, dans les trois mois, une décision portant réduction de l’acompte ou procédant à des corrections financières.
31 En effet, seule l’interprétation soutenue par le Royaume d’Espagne serait de nature à conférer un sens et un effet utile aux dispositions pertinentes.
32 Ainsi, l’article H de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié établirait, à son paragraphe 2, un délai de trois mois qui commence à courir «à l’expiration d’un délai fixé par la Commission», ce dernier ne pouvant être que le délai figurant au paragraphe 1, premier alinéa, dernier membre de phrase, du même article, qui dispose que «la Commission […] demande […] que l’État membre présente ses observations dans un délai déterminé». Ce délai viendrait à échéance avant l’audition prévue au
paragraphe 1 de cet article H et aurait pour but de permettre à la Commission et à l’État membre concerné de parvenir à un accord. En revanche, l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 viserait un autre délai de trois mois en faisant explicitement référence à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié et ce délai commencerait à courir à compter de la date de l’audition prévue par le règlement no 1164/94 modifié. Ces dernières dispositions combinées
auraient pour but de fixer le délai au terme duquel la Commission, dans l’hypothèse où aucun accord n’aurait été trouvé entre les parties, est tenue d’adopter une décision de correction financière. Si ledit article 18, paragraphe 3, devait être interprété comme ne faisant que fixer le point de départ du délai de trois mois devant permettre aux parties de parvenir à un accord, il serait dépourvu d’effet utile, l’article H de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié établissant clairement à quel
moment s’écoule ledit délai.
33 En conséquence, si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de l’audition, la Commission n’a pas adopté de décision de correction financière, cette institution serait tenue de réaliser le paiement et toute correction effectuée, comme en l’occurrence, après l’écoulement dudit délai serait illégale, la Commission ne disposant plus du fondement juridique nécessaire pour appliquer une telle mesure. Il ne saurait en effet être considéré que la Commission puisse déterminer à sa
guise à quel moment elle adopte une décision de grande importance pour la planification financière des autorités nationales concernées.
34 Une telle interprétation serait de surcroît de nature à permettre aux États membres, conformément au principe de sécurité juridique, de savoir, dans un délai suffisamment bref et déterminable à l’avance, si les frais engagés sont financés par le Fonds de cohésion. Ladite interprétation serait d’ailleurs corroborée par la circonstance que, dans la communication (2011) C 332/01 de la Commission au Parlement européen, au Conseil et à la Cour des comptes, relative aux comptes annuels de l’Union
européenne – Exercice 2010 (JO 2011, C 332, p. 1), il est indiqué à la page 63, concernant la politique de cohésion, que «la Commission dispose de trois mois à compter de la date d’une audition formelle avec l’État membre (six mois pour les programmes 2007-2013) pour adopter une décision de correction financière formelle et elle émet un ordre de recouvrement afin d’obtenir un remboursement de la part de l’État membre».
35 Au surplus, en étayant son raisonnement, au point 32 de l’arrêt attaqué, par une référence à son arrêt Grèce/Commission (EU:T:2008:510), ainsi qu’à l’ordonnance de la Cour Grèce/Commission (EU:C:2010:36), le Tribunal aurait fait une lecture incorrecte de ces décisions, dans la mesure où, d’une part, ainsi que la Cour l’a expressément relevé dans cette ordonnance, l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 n’était pas applicable au projet en cause dans l’affaire ayant donné lieu à ces
deux décisions et que, d’autre part, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond de la question juridique actuellement soulevée par le Royaume d’Espagne.
36 La Commission rétorque que, premièrement, le Royaume d’Espagne n’explique pas dans son pourvoi en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit en invoquant, dans l’arrêt attaqué, son arrêt Grèce/Commission (EU:T:2008:510), ainsi que l’ordonnance de la Cour Grèce/Commission (EU:C:2010:36). Cette branche du moyen ne s’analyserait qu’en un énoncé abstrait ne contenant pas un exposé d’arguments juridiques cohérents critiquant spécifiquement l’appréciation faite à cet égard par le Tribunal et
elle serait, partant, irrecevable.
37 En tout état de cause, ladite branche serait dépourvue de fondement, puisque le Tribunal n’aurait commis aucune erreur de droit en fondant son raisonnement sur l’interprétation du règlement no 1164/94 modifié qu’il a donnée dans cet arrêt et qui aurait été confirmée de manière certes implicite, mais nécessaire par la Cour dans l’ordonnance Grèce/Commission (EU:C:2010:36), interprétation selon laquelle l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II dudit règlement n’impose à la Commission aucun délai
pour arrêter sa décision de correction financière.
38 Deuxièmement, la Commission considère que le Royaume d’Espagne ne fait en substance que réitérer devant la Cour la thèse qu’il avait déjà défendue en première instance.
39 En particulier, le pourvoi serait irrecevable en ce que, en alléguant que le délai de trois mois serait un délai au terme duquel la Commission ne pourrait plus appliquer des corrections financières une fois qu’il est venu à expiration, le Royaume d’Espagne n’expliquerait pas de quelle manière cette allégation serait liée à l’arrêt attaqué ni quelle violation le Tribunal aurait commise à cet égard, de sorte que ladite allégation constituerait une simple demande de réexamen de la requête présentée
en première instance.
40 En outre, cette branche du moyen serait en tout état de cause non fondée. D’abord, même à supposer que le règlement no 1164/94 modifié prévoie un délai de trois mois, le dépassement de ce dernier ne saurait entraîner aucune impossibilité d’action pour la Commission. En effet, ledit règlement ayant pour objet d’assurer que les dépenses nationales ont été engagées par les États membres selon les règles du droit de l’Union, pareil délai ne pourrait être considéré que comme indicatif, sous réserve
d’une atteinte aux intérêts d’un État membre, preuve que le Royaume d’Espagne n’aurait pas rapportée en l’espèce. Ensuite, eu égard au fait que, en l’occurrence, le Royaume d’Espagne a, après l’audition du 23 juin 2010, transmis à la Commission des renseignements complémentaires en date du 23 juillet 2010, le délai de 6 mois et 16 jours entre cette dernière date et celle à laquelle la décision litigieuse a été adoptée devrait être considéré comme tout à fait raisonnable. Enfin, l’interprétation
soutenue par le Royaume d’Espagne serait non seulement dépourvue de fondement, mais également illogique et contradictoire. En effet, ce serait à bon droit que le Tribunal a jugé que le délai de trois mois fixé à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié ne concerne que la conclusion d’un éventuel accord entre la Commission et l’État membre concerné et que l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 ne peut pas être interprété en ce sens qu’il imposerait à
la Commission un délai de trois mois pour prendre une décision de correction financière.
Appréciation de la Cour
– Sur la recevabilité
41 S’agissant de la recevabilité du premier moyen, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par la Commission.
42 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément aux articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de la procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit de l’Union par le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P,
EU:C:1994:211, point 47).
43 En outre, il découle des articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour ainsi que des articles 168, paragraphe 1, sous d), et 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 34;
Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 15, ainsi que Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 49).
44 Ainsi, ne répond pas aux exigences de motivation résultant de ces dispositions un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction (voir, notamment, arrêt Interporc/Commission, EU:C:2003:125, point 16). En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant
le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, notamment, arrêt Reynolds Tobacco e.a./Commission, EU:C:2006:541, point 50).
45 Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés dans le cadre d’un pourvoi (arrêt Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, EU:C:2000:397, point 43). En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens
(arrêt Interporc/Commission, EU:C:2003:125, point 17).
46 Or, le premier moyen répond à ces exigences.
47 En effet, en l’occurrence, le Royaume d’Espagne soutient, en substance, que le Tribunal, en jugeant que l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié n’impose aucun délai à la Commission pour adopter une décision de correction financière, a violé le droit de l’Union.
48 Dans ces conditions, loin de se borner à répéter des arguments déjà soulevés devant le Tribunal et à poursuivre un nouvel examen au fond de sa demande initiale, le Royaume d’Espagne met en doute la réponse que cette juridiction a expressément donnée à une question de droit dans l’arrêt attaqué, laquelle peut faire l’objet d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.
49 Un requérant est, en effet, recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêt Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, EU:C:2007:730, point 17).
50 De surcroît, et contrairement aux allégations de la Commission, le Royaume d’Espagne indique clairement les arguments juridiques sur lesquels il s’appuie à cet égard.
51 Il s’ensuit que le premier moyen du Royaume d’Espagne est recevable.
– Sur le fond
52 S’agissant de l’examen au fond du premier moyen, il convient de constater que, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 33 de l’arrêt attaqué, le sens de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié diverge en fonction des versions linguistiques de cette disposition.
53 En effet, il ressort de la version en langue française de celle-ci, en vertu de laquelle, en l’absence d’accord entre les parties, la Commission décide «dans un délai de trois mois», que le délai de trois mois y énoncé se rapporte à l’adoption de la décision de corrections financières.
54 En revanche, dans les autres versions linguistiques de la même disposition, ce délai de trois mois se rattache à l’absence d’accord entre les parties.
55 Or, il est de jurisprudence constante que, aux fins d’assurer une interprétation et une application uniformes d’un même texte dont la version dans une langue de l’Union européenne diverge de celles établies dans les autres langues, la disposition en cause doit être interprétée en fonction du contexte et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, notamment, arrêt DR et TV2 Danmark, C‑510/10, EU:C:2012:244, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
56 À cet égard, pour ce qui est du contexte dans lequel s’insère l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié, il convient de relever que le Fonds de cohésion a été institué, conformément à l’article 130 D, second alinéa, CE, par le règlement no 1164/94 dans sa version initiale.
57 L’article H, paragraphe 2, de l’annexe II de ce règlement dans sa version initiale se borne à prévoir que, dans le cas où il existe une irrégularité ou lorsque l’une des conditions énoncées dans la décision d’octroi du concours n’est pas satisfaite, la Commission peut réduire, suspendre ou supprimer le concours pour l’action concernée, sans toutefois que l’exercice de cette compétence soit enfermé dans un délai.
58 Ainsi qu’il a été indiqué au point 3 du présent arrêt, la version initiale dudit règlement a été modifiée, notamment, par le règlement no 1265/1999 qui a remplacé le texte de cet article H de l’annexe II par celui cité au point 5 du présent arrêt, dont le paragraphe 2, premier alinéa, fait l’objet du présent litige. Cette modification est intervenue sur la base de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1164/94 dans sa version initiale, selon lequel le Conseil de l’Union européenne, statuant
sur proposition de la Commission conformément à la procédure prévue à l’article 130 D CE, réexamine ledit règlement avant la fin de l’année 1999.
59 Il ressort du préambule du règlement no 1265/1999, et notamment des considérants 1, 2, 4 et 5 de celui-ci, que ladite annexe II a été modifiée aux fins d’accroître l’efficacité du Fonds de cohésion, de simplifier le système de gestion financière tout en prévoyant un contrôle accru de la réalité des dépenses et d’améliorer ainsi que de systématiser la coopération entre la Commission et l’État membre concerné en matière de contrôle des projets.
60 Le règlement no 1164/94 ainsi modifié était applicable au cours de la période allant de l’année 2000 à l’année 2006. En effet, d’une part, les règlements nos 1264/1999 et 1265/1999 ayant modifié le règlement no 1164/94 dans sa version initiale sont entrés en vigueur le 1er janvier 2000 et, d’autre part, conformément à l’article 1er, point 11, du règlement no 1264/1999, le règlement no 1164/94 tel que modifié en 1999 devait être réexaminé au plus tard le 31 décembre 2006.
61 Le règlement no 1386/2002 a été adopté par la Commission aux fins de fixer les modalités d’application du règlement no 1164/94 modifié. En application de son article 23, le règlement no 1386/2002 est entré en vigueur le 7 août 2002 et s’applique, en vertu de son article 1er, aux projets qui ont été approuvés pour la première fois après le 1er janvier 2000.
62 Il découle de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002, qui se réfère explicitement à l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié, que la Commission dispose, en vertu de cet article H, paragraphe 2, d’un délai de trois mois pour prendre une décision de correction financière, ce délai commençant à courir à partir de la date de l’audition.
63 L’ensemble des versions linguistiques de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002 concordent en ce sens.
64 Au cours de la même période que celle visée au point 60 du présent arrêt, le règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO L 161, p. 1), qui, conformément à son article 2, s’appliquait au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds européen d’orientation et de garantie agricole, section«orientation», ainsi qu’à l’Instrument financier d’orientation de la pêche, énonçait à son article 39,
paragraphe 3, que, «[à] l’expiration du délai fixé par la Commission, en l’absence d’accord et si l’État membre n’a pas effectué les corrections et compte tenu des observations éventuelles de l’État membre, la Commission peut décider, dans un délai de trois mois», de réduire l’acompte ou de procéder aux corrections financières requises en supprimant tout ou partie de la participation des Fonds à l’intervention concernée.
65 Il n’existe pas, en ce qui concerne le libellé de ladite disposition dans ses différentes versions linguistiques, de divergences comparables à celles décrites aux points 53 et 54 du présent arrêt.
66 Dans des termes comparables à ceux de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002, l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 448/2001 de la Commission, du 2 mars 2001, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne la procédure de mise en œuvre des corrections financières applicables au concours octroyé au titre des Fonds structurels (JO L 64, p. 13), prévoit que chaque fois que l’État membre conteste les observations de la
Commission et qu’une audience a lieu en application de l’article 39, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1260/1999, «le délai de trois mois au cours duquel la Commission peut prendre une décision au titre de l’article 39, paragraphe 3, dudit règlement commence à courir à partir de la date de l’audience».
67 S’agissant du point de droit faisant l’objet du présent litige, la rédaction de cette disposition ne présente, elle aussi, pas de divergences dans les différentes versions linguistiques de ce règlement.
68 Le règlement no 1260/1999 a été abrogé par le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion (JO L 210, p. 25), lequel s’applique, selon son article 1er, paragraphe 1, auxdits Fonds, sans préjudice des dispositions spécifiques prévues par les règlements régissant chacun de ces Fonds.
69 Les corrections financières pouvant être adoptées par la Commission font désormais l’objet de règles communes à ces trois Fonds, énoncées aux articles 99 à 102 dudit règlement.
70 Le paragraphe 5 de l’article 100, intitulé «Procédure», du règlement no 1083/2006 dispose que, «[e]n l’absence d’accord, la Commission statue sur la correction financière dans les six mois suivant la date de l’audition en tenant compte de toutes les informations et observations présentées au cours de la procédure[;] [s]’il n’y a pas d’audition, la période de six mois débute deux mois après la date de l’envoi de la lettre d’invitation par la Commission».
71 Il importe de préciser, à cet égard que, d’une part, en ce qui concerne la question qui oppose les parties au présent litige ledit paragraphe 5 de l’article 100 est libellé de manière identique dans les différentes versions linguistiques du règlement no 1083/2006 et que, d’autre part, le règlement (CE) no 1084/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, instituant le Fonds de cohésion et abrogeant le règlement (CE) no 1164/94 (JO L 210, p. 79), ne comporte aucune disposition relative à la procédure en
matière de corrections financières, pas plus que le règlement (CE) no 1828/2006 de la Commission, du 8 décembre 2006, établissant les modalités d’exécution du règlement no 1083/2006, et du règlement (CE) no 1080/2006 du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds européen de développement régional (JO L 371, p. 1).
72 Il en va de même du règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au
Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO L 347, p. 320). En effet, son article 145, paragraphe 6, dispose que, «[p]our appliquer des corrections financières, la Commission statue, par voie d’actes d’exécution, dans les six mois suivant la date de l’audition ou la date de réception des informations complémentaires lorsque l’État membre accepte d’en fournir à la suite de l’audition[;] [l]a Commission tient compte de toutes
les informations et observations présentées au cours de la procédure[;] [e]n l’absence d’audition, la période de six mois débute deux mois après la date de l’envoi de la lettre d’invitation à l’audition par la Commission».
73 Cette disposition présente un contenu comparable dans les différentes versions linguistiques du règlement no 1303/2013.
74 Par ailleurs, le règlement (UE) no 1300/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au Fonds de cohésion et abrogeant le règlement (CE) no 1084/2006 du Conseil (JO L 347, p. 281), ne régit pas la procédure applicable en cas de corrections financières. Il en va de même du projet de règlement délégué (UE) de la Commission, complétant le règlement no 1303/2013, projet qui a été transmis au Parlement européen le 3 mars 2014.
75 Des développements qui précèdent, il résulte que seule la réglementation applicable à la période initiale, allant de l’année 1994 à l’année 1999, ne fixe pas de délai pour l’adoption d’une décision de correction financière par la Commission.
76 En revanche, force est de constater que, à compter de l’année 2000, tant le règlement no 1260/1999 que les règlements nos 1083/2006 et 1303/2013, entrés en vigueur respectivement le 1er janvier 2007 et le 1er janvier 2014, ainsi que des divers règlements d’application desdits règlements adoptés par la Commission fixent un tel délai.
77 Étant donné que l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié, en vigueur à compter du 1er janvier 2000, présente des divergences selon les versions linguistiques de ce règlement, il y a en effet lieu d’en déterminer le sens exact par référence au contexte dans lequel cette disposition s’insère, à savoir, en l’occurrence, des règlements comparables en matière de gestion des Fonds de l’Union.
78 Or, il s’avère que tous les règlements applicables dans ce domaine depuis l’année 2000 confirment la thèse, soutenue par le Royaume d’Espagne, selon laquelle la Commission doit adopter la décision de correction financière en se conformant à un certain délai, dont la computation peut certes varier selon la réglementation en vigueur, mais dont l’existence même est prévue sans aucune ambiguïté par le législateur de l’Union.
79 La circonstance que le règlement no 1260/1999 ne s’applique pas au Fonds de cohésion en tant que tel ne fait, à cet égard, pas obstacle à une telle interprétation, dès lors que le texte de l’article 39, paragraphe 3, dudit règlement et celui de l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié sont quasiment identiques et qu’il n’apparaît pas justifié que, dans le second règlement, le délai se rattacherait à l’absence d’accord entre les parties, alors que, dans le premier
règlement, ce délai se réfère à la prise de décision par la Commission.
80 Une interprétation en ce sens se justifie d’autant plus que tous les règlements ultérieurs, tant du Conseil que de la Commission, confirment que la Commission est tenue de respecter un certain délai lorsqu’elle adopte une décision de correction financière.
81 Il convient d’ajouter, s’agissant plus particulièrement du règlement no 1386/2002 qui a pour objet de fixer les modalités d’application du règlement no 1164/94 modifié dont fait partie la disposition faisant l’objet du présent litige, que le point de vue défendu par la Commission et consacré par le Tribunal aux points 36 et 39 de l’arrêt attaqué, selon lequel l’article 18 du règlement no 1386/2002 se bornerait à fixer la date à partir de laquelle le délai pour la prise de décision au titre de
l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié commence à courir ne saurait être retenu, étant donné que le législateur de l’Union ne pourrait pas avoir fixé le point de départ d’un délai aux fins de l’adoption d’une décision visée audit article H si un tel délai n’existait pas.
82 En conséquence, il y a lieu de considérer que, à partir de l’année 2000, la Commission est tenue de respecter un délai légal pour adopter une décision de correction financière.
83 Cette conclusion, déduite d’une interprétation systématique des règlements pertinents tant du Conseil que de la Commission, est du reste encore confortée par le libellé du passage figurant à la page 63 de la communication (2011) C 332/01 de la Commission elle-même, invoqué par le Royaume d’Espagne à l’appui de son pourvoi, ainsi que cela ressort du point 34 du présent arrêt.
84 Ladite conclusion est également en cohérence avec l’objectif, énoncé à l’article 161, premier alinéa, CE, devenu l’article 177 TFUE, selon lequel le législateur de l’Union établit «les règles générales applicables aux Fonds», cette approche devant nécessairement aboutir à une harmonisation des règles applicables en la matière. Une telle démarche s’impose d’autant plus en ce qui concerne les règles de procédure. Il faut à cet égard observer que, depuis l’année 2007, notamment les règles de
procédure ont effectivement été uniformisées dans le cadre d’un règlement du Conseil portant dispositions générales à l’ensemble des Fonds de l’Union. Or, les règles de procédure y énoncées corroborent entièrement l’interprétation selon laquelle l’adoption d’une décision de correction financière est enfermée dans un délai prédéterminé par le législateur.
85 Par ailleurs, cette interprétation n’est pas de nature à affecter la cohérence et l’efficacité de la procédure de correction financière prévue par le droit de l’Union, le délai prévu par le législateur laissant à la Commission une période de temps suffisante pour adopter sa décision tout en tenant dûment compte de ses concertations avec l’État membre concerné.
86 Au contraire, ainsi qu’il ressort du considérant 5 du règlement no 1265/1999, la procédure que le législateur de l’Union a mise en place en matière de corrections financières repose sur une coopération entre l’État membre concerné et la Commission, laquelle doit être fondée sur l’équilibre entre les droits et les obligations des parties. Or, il serait dans ces conditions contraire à cette exigence d’équilibre des droits et des obligations des parties que, dans le cadre de cette procédure, l’État
membre soit tenu de respecter certains délais précis, alors que tel ne serait pas le cas pour la Commission.
87 Il est en effet de jurisprudence constante que le principe de coopération loyale oblige non seulement les États membres à prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union, mais impose également aux institutions de celle-ci des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres (voir, en ce sens, ordonnance Zwartveld e.a., C‑2/88 IMM, EU:C:1990:315, point 10).
88 En outre, s’agissant en l’occurrence de décisions à incidence budgétaire notable, il est de l’intérêt tant de l’État membre concerné que de la Commission que le terme de la procédure de correction financière soit prévisible, ce qui suppose la fixation d’un délai préétabli pour l’adoption de la décision finale. Il convient également de relever que le dépassement du délai prévu pour l’adoption d’une décision de correction financière n’est pas compatible avec le principe général de bonne
administration.
89 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 32 et 36 de l’arrêt attaqué, que l’article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié ne prévoit aucun délai dans lequel la Commission arrête sa décision de correction financière, le délai de trois mois auquel cette disposition renvoie concernant la conclusion d’un accord entre la Commission et l’État membre concerné.
90 Il s’ensuit que le premier moyen du pourvoi est fondé et que l’arrêt attaqué doit être annulé, sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen du pourvoi.
Sur le recours de première instance
91 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
92 En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur le recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse introduit par le Royaume d’Espagne devant le Tribunal.
93 Ainsi qu’il résulte des points 56 à 89 du présent arrêt, l’adoption par la Commission d’une décision de correction financière est, à compter de l’année 2000, subordonnée au respect d’un certain délai.
94 La durée de ce délai varie en fonction de la réglementation applicable.
95 Ainsi, en application des dispositions combinées des articles H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 modifié et 18, paragraphe 3, du règlement no 1386/2002, le délai au terme duquel la Commission doit adopter une décision de correction financière était de trois mois à compter de la date de l’audition.
96 Conformément à l’article 100, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006, la Commission statue sur la correction financière dans les six mois suivant la date de l’audition et, s’il n’y a pas eu d’audition, la période de six mois débute deux mois après la date de l’envoi de la lettre d’invitation par la Commission.
97 En vertu de l’article 145, paragraphe 6, du règlement no 1303/2013, la Commission statue dans les six mois suivant la date de l’audition ou la date de réception des informations complémentaires, lorsque l’État membre accepte de fournir ces informations à la suite de l’audition. En l’absence d’audition, la période de six mois débute deux mois après la date de l’envoi de la lettre d’invitation à l’audition par la Commission.
98 À cet égard, il importe de préciser que, si le règlement no 1265/1999, qui a modifié le règlement no 1164/94, est entré en vigueur le 1er janvier 2000, il résulte cependant de l’article 108, second alinéa, du règlement no 1083/2006 que l’article 100 de celui-ci est applicable à partir du 1er janvier 2007, y compris aux programmes antérieurs à la période 2007-2013. Cela est d’ailleurs conforme au principe selon lequel les règles de procédure trouvent à s’appliquer immédiatement après leur entrée
en vigueur.
99 Quant à l’article 145 du règlement no 1303/2013, il s’applique, aux termes de l’article 154, deuxième alinéa, de celui-ci, avec effet au 1er janvier 2014.
100 Or, en l’espèce, l’audition s’est tenue le 23 juin 2010, alors que la Commission n’a adopté la décision litigieuse que le 18 février 2011.
101 Dans ces conditions, il s’avère que, en l’occurrence, la Commission n’a pas respecté le délai de six mois imparti par l’article 100, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006.
102 Contrairement à ce que la Commission a allégué, la circonstance que la réglementation pertinente ne prévoit pas expressément que, en cas de non-respect du délai imparti pour l’adoption d’une décision de correction financière, la Commission ne peut plus adopter une telle décision est dépourvue de pertinence, étant donné que l’énonciation d’un délai dans le cadre duquel doit être adoptée une décision de cette nature est en elle-même suffisante.
103 De surcroît, le non-respect des règles de procédure relatives à l’adoption d’un acte faisant grief constitue une violation des formes substantielles (voir, en ce sens, arrêt Royaume-Uni/Conseil, 68/86, EU:C:1988:85, points 48 et 49), qu’il appartient au juge de l’Union de soulever même d’office (voir, en ce sens, arrêts Commission/ICI, C‑286/95 P, EU:C:2000:188, point 51, ainsi que Commission/Solvay, C‑287/95 P et C‑288/95 P, EU:C:2000:189, point 55). Or, le fait, pour la Commission, de ne pas
avoir adopté la décision litigieuse dans le délai fixé par le législateur de l’Union constitue une violation des formes substantielles.
104 Partant, la décision litigieuse n’a pas été valablement adoptée et doit, par conséquent, être annulée.
Sur les dépens
105 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.
106 L’article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant obtenu gain de cause dans le cadre du pourvoi et le recours devant le Tribunal étant accueilli, il y a lieu, conformément aux conclusions du Royaume d’Espagne, de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux
exposés par cet État membre, tant en première instance que dans le cadre du pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Espagne/Commission (T‑235/11, EU:T:2013:49) est annulé.
2) La décision C (2011) 1023 final de la Commission, du 18 février 2011, portant réduction de l’aide du Fonds de cohésion aux stades de projet intitulés «Fourniture et installation d’équipement ferroviaire sur la ligne à grande vitesse Madrid-Saragosse-Barcelone-Frontière française. Tronçon Madrid-Lérida» (CCI 1999.ES.16.C.PT.001), «Ligne ferroviaire à grande vitesse Madrid-Barcelone. Tronçon Lérida‑Martorell (plate-forme, 1re phase)» (CCI 2000.ES.16.C.PT.001), «Ligne à grande vitesse
Madrid-Saragosse-Barcelone-Frontière française. Accès ferroviaires à la nouvelle gare de Saragosse» (CCI 2000.ES.16.C.PT.003), «Ligne à grande vitesse Madrid-Barcelone-Frontière française. Tronçon Lérida-Martorell. Sous-tronçon X-A (Olérdola‑Avinyonet del Penedés)» (CCI 2001.ES.16.C.PT.007), «Nouvel accès ferroviaire de la ligne à grande vitesse à Levante. Sous‑tronçon La Gineta‑Albacete (plate-forme)» (CCI 2004.ES.16.C.PT.014), est annulée.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens du Royaume d’Espagne et à ses propres dépens, tant dans la procédure de première instance que dans le cadre du présent pourvoi.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.